Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre cinquième/Chapitre III

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CHAPITRE III.

Les Galls.

Puisque les émigrations des Ibères et des Rasènes, celles des Illyriens et des Thraces ont précédé tout autre établissement des familles blanches dans le sud de l’Europe, on doit considérer comme démontré que, lorsque les Ibères ont traversé la Gaule du nord au sud, et les Rasènes la Pannonie et un coin des Alpes Rhétiennes, pour gagner leurs demeures connues, aucune nation de race noble n’était sur leur chemin pour leur barrer le passage. Ibères et Rasènes ne formaient que des corps détachés des grandes multitudes slaves déjà établies dans le nord du continent, et que harcelaient en plus d’un lieu d’autres nations parentes, les Galls.

L’ensemble de la famille slave n’ayant joué aucun rôle de quelque importance aux époques antiques, il est inutile d’en parler en ce moment. Il suffit d’avoir indiqué son existence en Espagne, en Italie, et d’ajouter qu’établie, fortement au long de la mer Baltique, dans les régions comprises entre les monts Krapacks et l’Oural, et au delà encore, nous apercevrons bientôt quelques-unes de ses tribus entraînées au milieu du torrent celtique. À l’exception de ces détails que le récit fera naître naturellement, la personnalité de ce peuple restera dans l’ombre jusqu’au moment où l’histoire l’amènera tout entier sur la scène.

Déterminer, même vaguement, l’époque de l’acheminement des Galls vers le nord et l’ouest présente des difficultés insurmontables. Voici tout ce qu’on peut dire à ce sujet :

Au XVIIe siècle avant notre ère, on voit les Galls oocupés à forcer le passage des Pyrénées, défendu par les Ibères. C’est le premier renseignement positif sur leur existence dans l’ouest. Ils occupaient cependant les contrées situées entre la Garonne et le Rhin, et avaient parcouru et possédé les rives du Danube, longtemps avant cette époque.

D’autre part, il n’y a pas de doute qu’en quittant l’Asie, ils ne se résignèrent à s’avancer du côté de l’ouest, beaucoup moins attrayant que le sud, et, en outre, occupé déjà par des essaims de peuples jaunes, que parce que les routes méridionales leur étaient visiblement fermées et interdites par les encombrements d’Arians en marche vers l’Inde, l’Asie antérieure et la Grèce. Dès lors, leur arrivée dans l’Europe occidentale, si ancienne qu’on la suppose, est de beaucoup postérieure à l’apparition des Arians sur les crêtes de l’Himalaya et des Sémites du côté de l’Arménie. Or nous avons à peu près fixé, d’après des données convenables, l’âge de cette apparition à l’an 5000. C’est donc entre cette date et l’an 2000 environ, période de 3,000 ans, qu’il faut chercher l’époque de l’établissement des Celtes dans l’ouest.

La lutte des Ibères et des Galls, du côté de la Garonne, au XVIIe siècle, donne naissance, on l’a déjà vu, au plus ancien récit des annales de l’Occident. Là se confirme cette observation que l’histoire ne résulte jamais que du conflit des intérêts des blancs. Nous trouvons les Ibères, gens laborieux, mais relativement faibles, aux prises avec ces multitudes de guerriers hardis et turbulents, qui longtemps firent la loi dans notre partie du monde.

Le nom de ces guerriers vient de Gall, fort. J’en rapporte l’origine à une ancienne racine de la race blanche, très reconnaissable encore dans le sanscrit wala ou walya, qui a le même sens. Les nations sarmates et, par suite, les gothiques restèrent fidèles à cette forme, et appelèrent les Galls Walah. Les Slaves altéraient le mot davantage, et en faisaient Wlach. Les Grecs le prononçaient Γαλάται ou Κέλτοι, dont les Romains firent Celtæ, pour se rabattre ensuite, couramment, à la forme plus régulière Galli (1)[1].

Outre ce nom, les Galls en avaient un autre : celui de Gomer, inscrit dans les généalogies bibliques, au nombre des fils de Japhet (2)[2]. On a ainsi la mesure de l’antique notoriété d’un si puissant rameau de la famille blanche. À cette période très ancienne, où les populations sémitiques étaient encore accumulées dans les montagnes de l’Arménie, et s’adossaient au Caucase, elles ont pu, sans doute, entretenir des relations directes avec les Celtes ou Gomers, dont plusieurs nations vivaient alors sur les côtes septentrionales de la mer Noire. Cependant il est également probable que les Celtes avaient eu des contacts avec les Sémites dès avant cette époque. Les rédacteurs de la Genèse ont puisé, sans doute, plus d’un renseignement cosmogonique et historique dans les annales des Chananéens[3], mais rien ne s’oppose à ce qu’ils aient eu les moyens de compléter ces récits par des souvenirs qui leur étaient propres, et dont la source remontait à l’âge où toute l’espèce blanche se trouvait rassemblée au fond de la haute Asie.

Ces Gomers, connus traditionnellement des nations chananéennes du sud, le furent plus directement des Assyriens. Il y eut, à la fin du XIIIe siècle, entre les deux peuples, des conflits et des mêlées. Inhabiles à laisser à la postérité des monuments de leurs triomphes, les Celtes en perdirent la mémoire ; mais leurs rivaux asiatiques, plus soigneux, ont gardé des traces d’exploits dont ils s’honoraient. M. le lieutenant-colonel Rawlinson a trouvé très fréquemment dans les inscriptions cunéiformes le nom des Gumiris, entre autres, sur les pierres de Bisoutoun[4]. C’est donc dans l’Asie occidentale que se rencontrent les premières mentions du peuple qui devait se répandre le plus loin en Europe.

Outre la Bible et les témoignages assyriens, l’histoire grecque aussi parle de l’invasion cimmérienne au temps de Cyaxares[5]. Ces Cimmériens, ces Gumiris, qui firent alors tant de mal, et furent si rapidement dispersés par les Scythes, nous les suivons, dès lors, au delà de l’Euxin où ils retournent, et, montant avec eux vers l’ouest et le nord-ouest, nous ne perdons plus de vue leurs vastes pérégrinations.

Ils s’enfoncent jusqu’aux contrées voisines de la mer du Nord, et y portent leur nom de Kimbr ou Cimri[6]. Ils occupent la Gaule, et lui font connaître les Kymris. Ils s’établissent dans la vallée du Pô, et y répandent la gloire des Umbri, des Ambrones (1)[7]. En Écosse, on connaît encore le clan de Cameron ; en Angleterre, l’Humber et la Cambrie ; en France, les villes de Quimper, de Quimperlé, de Cambrai, comme, dans les plaines du pays de Posen, le souvenir des Ombrons est resté attaché, jusqu’à nos jours, à un territoire nommé Obrz (2)[8].

On a pensé que ce nom de Gumiri, de Kymri, de Cimbre, pouvait indiquer une branche de la famille celtique, différente de celle des Galls, de même que dans les Celtes on ne savait pas reconnaître ces derniers. Mais il suffit de considérer combien les deux dénominations de Gall et de Kymri s’appliquent souvent aux mêmes tribus, aux mêmes peuplades, pour abandonner cette distinction. D’ailleurs, les deux mots ont le même sens ou à peu près : si Gall veut dire fort, Kymri signifie vaillant (3)[9].

En réalité, il n’existe aucun motif de scinder les masses celtiques en deux fractions radicalement distinctes, mais on n’aurait pas moins tort de croire que toutes les branches de la famille aient été absolument semblables. Ces multitudes, accumulées des rives de la Baltique et de la mer du Nord (4)[10] au détroit de Gibraltar, et de l’Irlande à la Russie (1)[11], différaient notablement entre elles, suivant qu’elles s’étaient plus ou moins alliées ici aux Slaves, là aux Thraces et aux Illyriens, partout aux Finnois. Bien qu’issues originairement d’une même souche, elles n’avaient souvent conservé qu’une simple et lointaine parenté dont l’identité de langue, altérée d’ailleurs par des modifications infinies de dialectes, était l’insigne. Du reste, elles se traitaient à l’occasion en rivales et en ennemies, ainsi que plus tard on vit les Franks austrasiens guerroyer, en toute tranquillité de conscience, contre les Francs neustriens. Elles formaient donc des réunions politiques pleinement étrangères les unes aux autres (2)[12].

Qu’elles aient appartenu à la race blanche dans la partie originelle de leur essence, il n’y a pas à en douter. Chez elles, les guerriers avaient une carrure solide, des membres vigoureux et une taille gigantesque (3)[13], les yeux bleus ou gris, les cheveux blonds et rouges. C’étaient des hommes à passions turbulentes ; leur extrême avidité, leur amour du luxe, les faisaient volontiers recourir aux armes. Ils étaient doués d’une compréhension vive et facile, d’un esprit naturel très éveillé, d’une insatiable curiosité, très mous devant l’adversité, et, pour couronner le tout, d’une redoutable inconsistance d’humeur, résultat d’une inaptitude organique à rien respecter ni à rien aimer longtemps (1)[14].

Ainsi faites, les nations galliques étaient parvenues de très bonne heure à un état social assez relevé, dont les mérites comme les défauts représentaient bien et la souche noble d’où ces nations tiraient leur origine, et l’alliage finnois qui avait modifié leur nature (2)[15]. Leur établissement politique présente le même spectacle que nous ont donné, à leurs origines, tous les peuples blancs.

Nous y retrouvons cette organisation sévèrement féodale et ce pouvoir incomplet d’un chef électif en usage chez les Hindous primitifs, chez les Iraniens, chez les Grecs homériques, chez les Chinois de la plus ancienne époque. L’inconsistance de l’autorité et la fierté ombrageuse du guerrier paralysent souvent l’action du mandataire de la loi. Dans le gouvernement des Galls, comme dans celui des autres peuples issus de la même souche, pas de vestiges de ce despotisme insensé d’une table d’airain ou de pierre, forte de l’abstraction qu’elle représente, aberration si familière aux républiques sémitiques. La loi était assez flottante, médiocrement respectée ; la prérogative des chefs incertaine. En un mot, le génie celtique maintenait ces droits hautains que l’élément noir détruit partout où il parvient à s’introduire.

Qu’on ne prenne pas ici le change en attribuant à un état de barbarie ces instincts peu disciplinables et cette organisation tourmentée. On n’a qu’à jeter les yeux sur la situation politique de l’Afrique actuelle pour se convaincre que la barbarie la plus radicale n’exclut pas, dans les sociétés, un développement monstrueux du despotisme. Être libre, être esclave, à un moment donné, ce sont là des faits qui dérivent souvent, pour un peuple, d’une série de combinaisons historiques fort longues ; mais, avoir une prédisposition naturelle à l’une ou à l’autre de ces situations, ce n’est jamais qu’un résultat ethnique. Le plus simple examen de la manière dont les idées sociales sont distribuées parmi les races ne permet pas de s’y tromper.

À côté du système politique se place naturellement le système militaire. Les Galls ne combattaient pas au hasard. Leurs armées, à l’image de celles des Arians Hindous, étaient composées de quatre éléments, l’infanterie (1)[16], la cavalerie, les chariots de guerre (2)[17] et les chiens de combat, qui tenaient la place des éléphants (3)[18]. Ces troupes agissaient suivant les lois d’une stratégie sans doute médiocre, si l’on veut la considérer au point de vue perfectionné de la légion romaine, mais qui n’avait rien de commun avec l’élan grossier de la brute se précipitant sur sa proie. On en peut juger d’après la manière intelligente dont furent conduites les grandes invasions celtiques et le mode d’administration établi par les conquérants dans les pays occupés, régime original qui n’empruntait que des détails aux usages des vaincus. La Gallo-Grèce présente ce spectacle.

Les armes des Kymris étaient de métal (1)[19], quelquefois de pierre, mais, en ce cas, très finement travaillées au moyen d’outils de bronze ou de fer. Il semblerait même que les épées et les haches de cette dernière espèce, qu’on a trouvées dans des tombes, étaient plutôt emblématiques ou vouées à des usages sacrés qu’à un emploi sérieux. À la même catégorie appartenaient, incontestablement, des glaives et des masses d’armes en argile cuite, richement dorées et peintes, qui ne peuvent avoir eu qu’une destination purement figurative (2)[20]. Du reste, il est bien probable aussi que les hommes de la plèbe la plus pauvre se faisaient arme de tout. Il leur était meilleur marché et plus facile d’emmancher un caillou percé dans un bâton que de se procurer une hache de bronze. Mais ce qui établit d’une manière irrécusable que cette circonstance n’implique nullement l’ignorance générale des métaux et l’inhabileté à les travailler, c’est que les langues galliques possèdent des mots propres pour dénommer ces produits, des mots dont on ne rencontre l’origine ni dans le latin, ni dans le grec, ni dans le phénicien. Si tels de ces vocables ont une affinité marquée avec leurs correspondants helléniques, ce n’est pas à dire qu’ils aient été fournis par les Massaliotes. Ces ressemblances prouvent seulement que les Arians Hellènes, pères des Phocéens et les aïeux des Celtes, étaient issus d’une race commune.

Le fer s’appelle ierne, irne, uirn, jarann ; le cuivre copar, et c’était le métal le plus en usage chez les Galls pour la fabrication des épées ; le plomb, luaid ; le sel, hal, sal (3)[21].

Toutes ces expressions sont entièrement galliques, et c’est un témoignage qu’on ne peut récuser de l’antiquité du travail des métaux chez les Kymris. Il serait d’ailleurs bien étrange, on en conviendra, que dans cet Occident où les Ibères étaient en possession de l’art du mineur, où les Étrusques indigènes avaient le même avantage, les Galls en eussent été privés, eux, venus les derniers du pays du nord-est, terre classique, terre natale des forgerons.

Les monuments des deux âges de bronze et de fer ont fourni une énorme quantité d’outils divers, qui donnent encore une haute idée de l’aptitude des nations celtiques au travail du minerai. Ce sont des épées, des haches, des fers de lance, des hallebardes, des jambards, des casques, le tout d’or ou doré, de bronze ou d’argent, ou de fer, ou de plomb, ou de zinc ; des baudriers, des chaînes précieuses, destinées aux hommes pour suspendre leurs glaives, et aux femmes pour attacher les clefs de la ménagère ; des bracelets de fil de métal tourné en spirales, des broderies appliquées sur des étoffes, des sceptres, des couronnes pour les chefs, etc. (1)[22].

Les Galls pratiquaient la vie sédentaire. Ils vivaient dans de grands villages qui devenaient souvent des villes considérables. Avant l’époque romaine, plusieurs des capitales de leurs nations les plus opulentes avaient acquis un degré notable de puissance. Bourges comptait alors quarante mille habitants (2)[23]. On peut juger, d’après ce seul fait, si ces cités étaient à dédaigner quant à leur étendue et à leur population (3)[24], Autun, Reims, Besançon, dans les Gaules, Carrhodunum, en Pologne, bien d’autres bourgades, n’étaient certainement pas sans importance et sans éclat (4)[25].

L’antiquité latine nous a parlé de la forme des maisons. On en possède en France et dans l’Allemagne méridionale (5)[26] de nombreux restes. Ce sont ces sortes d’excavations connues des antiquaires sous le nom de margelles. Plusieurs mesurent cent pas de tour. Elles sont rondes et toujours réunies deux par deux. L’une servait d’habitation, l’autre de grange. Quelques-uns de ces emplacements semblent avoir porté un mur de soutènement en pierres, sur lequel s’élevait la bâtisse faite de planches et de torchis, souvent recouverte de plâtre. Les Galls usaient volontiers, dans leurs constructions, de la combinaison de la pierre ou du mortier avec le bois (6)[27]. Ces vieilles maisons, si communes encore dans presque toutes nos villes de province, comme en Allemagne, et formées de charpentes apparentes, dont les intervalles sont remplis de pierres ou de terre, sont des produits du système celtique.

Rien n’indique que les habitations aient comporté plusieurs étages. Elles ne semblent pas avoir eu beaucoup de luxe à l’intérieur. Les Celtes recherchaient plus que le beau, le bien-être.

Ils avaient des meubles travaillés en bois avec assez de soin, des ouvrages d’os et d’ivoire, tels que peignes, aiguilles de tête, cuillers, dés à jouer, cornes servant de vases à boire ; puis des harnais de chevaux garnis et ornés de plaques de cuivre ou de bronze doré, et surtout un grand nombre de vases de toutes formes, tasses, amphores, coupes, etc. Les objets en verre n’étaient pas moins communs chez eux. On en trouve de blancs et de coloriés en bleu, en jaune, en orange. On a aussi des colliers de cette matière. On veut que ces ornements aient servi d’insignes au sacerdoce druidique pour distinguer les degrés de la hiérarchie (1)[28].

La fabrication des étoffes avait lieu sur une grande échelle. On a découvert souvent, dans les tombeaux, des restes de drap de laine de différents degrés de finesse, et on sait, par les témoignages historiques, que les Celtes, s’ils étaient fort empressés à se chamarrer de chaînes et de bracelets de métal, ne l’étaient pas moins à se vêtir de ces étoffes bariolées dont les tartans écossais sont un souvenir direct (2)[29].

De très bonne heure, cet amour des jouissances matérielles avait porté les Celtes au travail, et du travail productif naquit le goût du commerce. Si les Massaliotes prospérèrent, c’est qu’il trouvèrent dans les populations qui les entouraient, et dans celles qui couvraient derrière eux les pays du nord, un instinct mercantile qui, à sa façon, répondait au leur, et que cet instinct avait créé de nombreux éléments d’échange. Il avait aussi à sa disposition des moyens de transport abondants et faciles. Les Celtes possédaient une marine. Ce n’étaient pas les pirogues misérables des Finnois, mais de bons vaisseaux de haut bord, bien construits et solidement membrés, armés d’une forte mâture et de voiles de peaux, souples et bien cousues. Ces navires, dans l’opinion de César, étaient mieux entendus pour la navigation de l’Océan que les galères romaines. Le dictateur s’en servit pour la conquête de l’île de Bretagne, et put les apprécier d’autant mieux que, dans la guerre contre les Vénètes, il s’en fallut de peu que sa flotte ne succombât à la supériorité de celle de ce peuple. Il parle aussi avec admiration de la quantité de bâtiments dont disposaient les nations de la Saintonge et du Poitou (1)[30].

De sorte que les Celtes avaient sur mer un puissant instrument d’activité et de fortune. Pour tant de raisons, leurs villes peu brillantes, étant d’ailleurs grandes, populeuses et bien pourvues de richesses de tout genre, le caractère belliqueux de la race leur faisait courir de fréquents dangers. La plupart étaient fortifiées, et non pas sommairement d’une palissade et d’un fossé, mais avec toutes les ressources d’un art d’ingénieur qui n’était pas méprisable. César rend justice au talent des Aquitains gaulois dans l’attaque des places au moyen de la mine. Il n’est pas à croire que les Celtes, habiles aux travaux souterrains, comme les Ibères, fussent plus maladroits que ces derniers dans l’application militaire de leurs connaissances (2)[31].

Les défenses des villes étaient donc très fortes. Elles consistaient en murs de bois et de pierres ainsi disposés, que, tandis que les poutres paralysaient l’emploi du bélier par leur élasticité, les moellons mettaient obstacle à l’action du feu (1)[32]. Outre ce système, il y en avait un autre, probablement beaucoup plus ancien encore et dont on a trouvé de bien curieux vestiges en plusieurs endroits du nord de l’Écosse ; à Sainte-Suzanne, à Péran, en France ; à Görlitz, dans la Lusace. Ce sont de gros murs dont la surface, mise en fusion par l’action du feu, s’est recouverte d’une croûte vitrifiée qui fait du travail entier un seul bloc d’une dureté incomparable (2)[33]. Ce mode de construction est si étrange que longtemps on a douté qu’il fût dû à l’action de l’homme, et on l’a pris pour un produit volcanique, dans des contrées qui d’ailleurs ne révèlent pas une seule trace de l’existence de feux naturels. Mais on ne peut nier l’évidence. Le camp de Péran montre ses substructions vitrifiées sous une maçonnerie romaine, et il n’est pas douteux que ce genre impérissable de travail ne soit l’ouvrage des Celtes. L’antiquité en est certainement des plus reculées. J’en vois la preuve dans ce fait, qu’au temps des Romains l’Ecosse était tombée en décadence, et que de tels monuments dépassaient, de toute façon, ses besoins et les ressources dont elle disposait. On doit donc les attribuer à une époque où la population calédonienne n’avait pas encore subi, à un point dégradant, le mélange avec les hordes finniques qui l’entouraient (3)[34].

Des murs vitrifiés, construits en grosses pierres, supposent l’existence de l’architecture fragmentaire. En effet, les Celtes, fort différents des peuplades jaunes, ne se bornaient pas à juxtaposer des quartiers de roches énormes ; ils élevaient, l’un sur l’autre, des blocs polygones qu’ils conservaient bruts, afin, a-t-on dit, de n’en pas diminuer la force (1)[35]. C’est là l’origine du système connu sous les noms de pélasgique et de cyclopéen (2)[36]. On en trouve en France, comme en Grèce, comme en Italie. À cet ordre de constructions appartiennent des enceintes découvertes dans nos provinces, et les chambres sépulcrales d’un grand nombre de tumulus, qui se distinguent ainsi nettement des ouvrages finniques, dans lesquels les blocs ne sont jamais superposés de manière à former muraille (3)[37].

La puissance extraordinaire de ces débris massifs a résisté, en plus d’un lieu, à l’outrage des siècles. Les Romains s’en sont servis, comme des remparts de Sainte-Suzanne, et en ont fait la base de leurs propres travaux. Puis, les chevaliers du moyen âge, à leur tour, élevant leurs donjons sur cette double antiquité, sont venus compléter les archives matérielles de l’architecture militaire en Europe.

Outre la pierre et le bois, les Galls usaient aussi de la brique. Ils ont bâti des tours très remarquables, dont quelques-unes subsistent encore, une, entre autres, sur la Loire, et d’usage inconnu, mais probablement religieux (1)[38].

Les cités, ainsi bien peuplées, bien bâties, bien défendues, bien fournies de meubles, d’ustensiles et de bijoux, communiquaient entre elles à travers le pays, non par des sentiers et des gués difficiles, mais par des routes régulières et des ponts. Les Romains n’ont pas été les premiers à établir des voies de communication dans les pays kymriques : ils en ont trouvé qui existaient avant eux, et plusieurs de leurs chemins les plus célèbres, parce qu’ils étaient les plus fréquentés, n’ont été que d’anciens ouvrages nationaux entretenus et réparés par leurs soins. Quant aux ponts, César en nomme que certes il n’avait pas bâtis (2)[39].

Outre ces communications, les Celtes en avaient organisé de plus rapides encore pour les circonstances extraordinaires. Ils possédaient une télégraphie véritable. Des agents désignés se criaient de l’un à l’autre la nouvelle qu’il fallait transmettre : de cette façon, un ordre ou un avis parti d’Orléans, au lever du soleil, arrivait en Auvergne avant neuf heures du soir, ayant parcouru de la sorte quatre-vingts lieues de pays (3)[40].

Si les villes étaient nombreuses et rassemblaient beaucoup d’habitants, les campagnes paraissent n’avoir pas été moins peuplées. On le peut induire du nombre considérable de cimetières découverts dans les différentes contrées de l’Europe celtique. L’étendue de ces champs mortuaires est généralement remarquable. On n’y voit pas de tumulus. Cette construction, lorsqu’elle contient un dolmen, appartient aux premiers habitants finnois : il n’est pas question ici de cette variété. Lorsqu’elle renferme une chambre sépulcrale en maçonnerie, elle appartient aux princes, aux nobles, aux riches des nations. Les cimetières sont plus modestement le dernier asile des classes moyennes ou populaires. Ils ne fournissent à l’observateur que des tombeaux plats, la plupart construits avec soin, taillés souvent dans le roc ou établis dans la terre battue. Les tombes y sont couvertes de dalles. Les corps ont presque toujours été brûlés. Bien que ce fait ne soit pas absolument sans exception, sa fréquence établit une sorte de distinction supplémentaire entre les cadavres des plus anciens indigènes, toujours entiers, et ceux des Celtes. En tout cas, les tumulus à chambres funéraires, pélasgiques et cyclopéennes, monuments probablement contemporains des cimetières, ne renferment jamais de squelettes intacts, mais toujours des ossements incinérés contenus dans des urnes.

Une autre différence existe encore entre celles de ces sépultures qui appartiennent à l’époque nationale, et celles qui ne remontent qu’à la période romaine : c’est que les objets trouvés dans ces dernières ont un caractère mixte où l’élément latin hellénisé se fait aisément apercevoir. Non loin de Genève, on voit un cimetière de cette espèce (1)[41].

Outre que l’abondance des cimetières purement celtiques donne une haute idée de l’ampleur des populations qui les ont fondés, elle inspire encore des réflexions d’un autre ordre. Le soin et, par suite, les frais qu’on y a employés, le nombre, la nature et la richesse des objets divers que renferment les tombes, tout cela, rapproché de l’observation qu’en les contemplant on n’a pas sous les yeux le lieu de repos des grands et des chefs, mais seulement des classes moyennes et inférieures, fait naître une très haute idée du bien-être de ces classes, et conséquemment de l’opulence générale des nations dont elles formaient la base (1)[42]. Nous voilà bien loin de l’opinion si longtemps répandue, et si légèrement adoptée, sur la barbarie complète des tribus galliques, opinion qui prenait surtout son point d’appui dans la fausse allégation que les monuments finniques étaient leur œuvre.

Ce n’est pas encore fuir assez de si lourdes erreurs : plusieurs détails importants qui restent à dire vont allonger la distance. Les Celtes, habiles à tant de travaux divers, ne pouvaient pas être étrangers au besoin de les rémunérer et de leur reconnaître un prix. Ils connaissaient l’usage du numéraire, et, trois cents ans avant la venue de César, battaient monnaie pour les besoins du commerce extérieur. Ils avaient des pièces d’or, d’argent, d’or-argent et cuivre, de cuivre et plomb, de fer, de cuivre seul, rondes, carrées, radiées, concaves, sphériques, plates, épaisses, minces, frappées en creux ou en relief (2)[43]. Un très grand nombre de ces monnaies ont été visiblement produites sous l’influence massaliote, macédonienne ou romaine (3)[44]. Mais d’autres échappent complètement au soupçon de cette parenté. Ce sont certainement les plus anciennes : elles remontent bien au delà de la date que je viens d’indiquer. Il en est, les radiées, qui ont leurs analogues en Étrurie, soit que les hommes de ce pays les aient empruntées aux peuples umbriques de leur voisinage, soit qu’un grand commerce entre les deux nations, commerce qui n’est pas à révoquer en doute, et que la présence fréquente du succin dans les tombeaux toscans les plus anciens suffirait à démontrer, ait de bonne heure engagé les deux groupes contractants à user de moyens d’échange parfaitement semblables (1)[45].

Avec la monnaie, les Celtes possédaient encore l’art de l’écriture. Plusieurs inscriptions copiées sur des médailles celtibériennes, mais jusqu’à présent non déchiffrées, en font foi pour une époque lointaine.

Tacite signale, de son côté, un fait qui semble remonter à un âge au moins aussi éloigné. On disait de son temps qu’il existait, dans la Germanie et dans les Alpes Rhétiennes, des monuments antiques couverts d’inscriptions grecques. On ajoutait que ces monuments avaient été élevés par Ulysse, lors de ses grandes pérégrinations septentrionales, aventures dont nous n’avons pas le récit (2)[46]. En rapportant cette tradition, Tacite, fort judicieusement, exprime le doute que le fils de Laërte ait jamais voyagé dans les Alpes et du côté du Rhin ; mais sa réserve devient excessive lorsqu’elle s’étend de la personne du voyageur à l’existence des inscriptions elles-mêmes (3)[47].

Avec le témoignage de Tacite vient celui de César, qui, lorsqu’il eut défait les Helvétiens, trouva dans leur camp un état détaillé de la population émigrante, guerriers, femmes, enfants et vieillards. Ce registre était, à son dire, écrit en lettres grecques (1)[48].

Dans un autre passage des Commentaires, le dictateur raconte que, pour toutes les affaires publiques (2)[49] et privées, les Celtes faisaient usage des lettres grecques. Par une singulière anomalie, les druides ne voulaient rien écrire de leurs doctrines ni de leurs rites, et forçaient leurs élèves à tout apprendre par cœur (3)[50]. C’était une règle stricte. D’après ces renseignements, il est hors de discussion qu’avant d’avoir passé par l’éducation romaine, les nations celtiques étaient accoutumées à la représentation graphique de leurs idées, et, ce qui est ici particulièrement intéressant, l’emploi qu’elles faisaient de cette science était tout autre que celui dont les grands peuples asiatiques de l’antiquité nous ont donné le spectacle. Chez ces derniers, l’écriture servait principalement aux prêtres, était révérée à l’égal d’un mystère religieux, et passait si difficilement dans l’usage familier que jusqu’à l’époque de Pisistrate, on n’écrivit pas même les poèmes d’Homère, objets, cependant, de l’admiration générale. Chez les Celtes, tout au rebours, ce sont les sanctuaires qui ne veulent pas de l’alphabet. La vie privée et l’administration profane s’en emparent : on s’en sert pour indiquer la valeur des monnaies et pour ce qui est d’intérêt personnel ou public. En un mot, chez les Celtes, l’écriture, dépouillée de tout prestige religieux, est une science essentiellement vulgarisée.

Mais Tacite et César ajoutent que ces lettres, que cet alphabet si usité, dont la présence n’est désormais pas douteuse en Allemagne (4)[51], est certaine dans la péninsule hispanique, les Gaules et l’Helvétie, que cet alphabet, dis-je, est hellénique, n’a rien de national, et provient d’une importation grecque. Aussitôt, pour expliquer cette assertion, les gens qui ne veulent voir partout que des civilisations importées, se tournent vers les Massaliotes. C’est leur grande ressource quand ils ne peuvent fermer les yeux sur la réalité d’un état de choses étranger à la barbarie dans les pays celtiques. Mais leur hypothèse n’est pas plus admissible cette fois que dans tant d’autres occasions où la saine critique en a fait justice.

Si les Massaliotes avaient eu le pouvoir d’agir sur les idées des nations galliques d’une manière assez constante, assez puissante, assez générale pour répandre partout l’usage de leur alphabet, à plus forte raison auraient-ils fait accepter les formes séduisantes de leurs armes et de leurs ornements. Cette victoire eût été certainement la plus facile de toutes. Cependant ils n’y réussirent pas. Lorsque les nations de la Gaule imaginèrent de copier les monnaies grecques, elles cédèrent à un sentiment d’utilité positif qui leur révélait tous les avantages attachés à l’unité du système monétaire ; mais, au point de vue artistique, elles s’y prirent avec une maladresse et une grossièreté qui montrent de la manière la plus évidente combien elles connaissaient peu les intentions du peuple dont elles cherchaient à contrefaire les œuvres, et le peu de fréquentation intellectuelle qu’elles avaient avec lui. Une race n’emprunte pas à une autre son alphabet sans lui prendre quelque chose de plus, des croyances religieuses, par exemple, et précisément les druides ne voulaient pas entendre parler de l’écriture. Donc l’écriture, chez les Celtes, n’était dépositaire d’aucun dogme. Ou bien, quelquefois, à défaut de doctrines théologiques, il pourrait être question d’importations littéraires. Nul écrivain de l’antiquité n’en a jamais remarqué la moindre trace (1)[52]. Enfin, cet usage de l’alphabet si répandu, si fort entré dans les mœurs des nations galliques qui avaient entre elles le moins de contact, par quelle voie aurait-il passé des Helvétiens aux gens de la Celtibérie ? Si ces derniers avaient été tentés de demander à des étrangers un moyen graphique de conserver le souvenir des faits, ils se fussent tournés certainement du côté des Phéniciens. Or, les letteras desconocidas gravées sur les médailles indigènes de la Péninsule n’ont pas le moindre rapport avec l’alphabet chananéen ; elles n’en ont pas non plus avec celui de la Grèce.

Ce mot terminera la discussion quant à l’identité matérielle des deux familles de lettres. Ce qui n’est pas vrai pour les Celtibériens ne l’est pas non plus pour la plupart des autres nations kymriques. Je ne prétends pas néanmoins qu’il n’y eut qu’un seul alphabet pour elles toutes (1)[53]. Je m’arrête à cette limite que le système de l’agencement et des formes était identique en principe, bien que pouvant offrir des nuances et des variations locales fort tranchées.

On demandera comment il s’est pu faire que César, si accoutumé à la lecture des ouvrages grecs, se soit trompé sur l’apparence des registres helvétiens, et ait vu des lettres helléniques là où il n’y en avait pas ? Voici la réponse : César a tenu dans ses mains, probablement, ces manuscrits, mais c’est un interprète qui lui en a donné le sens. Ils étaient tracés, suivant ce secrétaire, en caractères grecs, c’est-à-dire en caractères qui ressemblaient fort aux grecs, mais la langue était gallique. L’apparence a suffi au dictateur, et, comme il regardait comme indubitable que les alphabets italiotes et étrusques étaient d’origine grecque, malgré leurs déviations de ce type, quand il a vu un ensemble qu’il ne comprenait pas, mais où son œil démêlait les mêmes analogies, il a conclu et dit ce qu’il a dit (1)[54]. Du reste, cette explication n’est pas facultative : il n’y a pas à hésiter : les monuments récemment découverts ont fait connaître les alphabets en usage, antérieurement aux Romains, chez les Salasses de la Provence, chez les Celtes du Saint-Bernard, chez les montagnards du Tessin : tous ces modes d’écriture sont originaux, ils n’ont que des affinités lointaines avec le grec (2)[55].

Je ne nie pas en effet que, si l’alphabet ou les alphabets celtiques ne sont pas grecs, ils ne soient placés, à l’égard de l’alphabet hellénique, dans des rapports très intimes, en un mot, qu’ils ne puissent se reporter tous, eux et lui, à une même source. Ce ne sont pas des copies, mais ils se forment sur un même système, sur un mode primordial, antérieur à eux-mêmes comme au type hellénique, et qui leur a fourni leurs apparences communes, en même temps qu’un mécanisme identique.

L’ancien alphabet grec, celui qui, au dire des experts, fut employé le premier par les nations arianes helléniques, était composé de seize lettres. Ces lettres ont, il est vrai, des noms sémitiques, ont même plusieurs points de ressemblance avec les caractères chananéens et hébreux, mais rien ne prouve que l’origine des uns et des autres soit locale et n’ait pas été apportée du nord-est par les premiers émigrants de race blanche (1)[56]. L’alphabet grec primitif s’écrivait tantôt de droite à gauche, tantôt de gauche à droite, et ce n’est que tard que sa marche actuelle a été fixée (1)[57].

Il n’y a là rien d’insolite. On a démontré que le dévanagari, qui suit aujourd’hui notre méthode, avait été inventé selon les besoins du système contraire. De même encore, les runes se placent de toutes les façons, de droite à gauche, de gauche à droite, de bas en haut, ou en cercle. On est même en droit d’affirmer qu’il n’existait pas primitivement de façon normale d’écrire les runes.

Les seizes lettres du modèle grec ne rendaient pas tous les sons de la langue mixte formée d’éléments aborigènes, sémitiques et arians-helléniques. Elles ne pouvaient répondre davantage au besoin des idiomes de l’Asie antérieure, qui tous ont des alphabets beaucoup plus nombreux. Mais peut-être convenaient-elles mieux à l’idiome de ces habitants primitifs du pays, vaguement nommés Pélasges, dont je n’ai encore qu’indiqué l’origine celtique ou slave. Ce qui est certain, c’est que les runes du nord, que W. Grimm considère comme n’ayant point été inventées pour les dialectes teutoniques (2)[58], n’ont aussi que seize lettres, également insuffisantes pour reproduire toutes les modulations de la voix chez un Goth. W. Grimm (3)[59], comparant les runes aux caractères découverts par Strahlenberg et par Pallas sur les monuments arians des rives du Jenisseï, n’hésite pas à voir dans ces derniers le type originel. Il reporte, ainsi au berceau même de la race blanche la souche de tous nos alphabets actuels, et partant de l’alphabet grec ancien lui-même, sans parler des systèmes sémitiques. Cette considération deviendra dans l’avenir, je n’en doute pas, le point de départ des études les plus importantes pour l’histoire primitive.

Keferstein, poursuivant les traces de Grimm, relève, avec beaucoup de sagacité, que des lettres, des plus essentielles aux dialectes gothiques, manquent parmi les runes : ce sont les suivantes : c, d, e, f, g, h, q, w, x.

Appuyé sur cette observation, il complète fort bien la remarque de son devancier, en concluant que les runes ne sont autres que des alphabets à l’usage celtique (1)[60]. Les caractères runiques, ainsi rendus à leurs véritables inventeurs, trouvent à l’instant un analogue très authentique chez un peuple de même race : c’est l’alphabet irlandais fort ancien, appelé bobelot ou beluisnon. Il est composé, comme les anciens prototypes, de seize lettres seulement, et offre avec les runes des ressemblances frappantes (2)[61].

Il ne faut pas perdre de vue que le système de tous ces modes d’écriture est absolument le même que celui de l’ancien grec, et que les rapports généraux de formes avec ce dernier ne cessent jamais d’exister. Je termine cette revue générale en citant les alphabets italiotes, tels que l’umbrique, l’osque, l’euganéen, le messapien (3)[62] et les alphabets étrusques (4)[63], également rapprochés du grec par leurs formes, et conséquemment ses alliés. Tous ces alphabets sont d’une date très reculée, et, bien qu’ayant entre eux de grandes ressemblances, ils ne présentent pas moins de diversités. Ils possèdent des lettres qui n’ont rien d’hellénique, et jouissent ainsi d’une physionomie vraiment nationale, dont il est fort difficile à la critique la plus systématique de les dépouiller (1)[64]. En outre, tous, sauf les étrusques, sont celtiques, comme on le verra plus tard. Pour le moment, personne n’en doutera quant à l’euganéen et à l’umbrique.

Les monuments qui nous les ont conservés se montrent, pour la plupart, antérieurs à l’invasion de l’hellénisme dans la péninsule italique. Il faut donc conclure que ces alphabets européens, parents les uns des autres, parents du grec, ne sont pas formés d’après lui ; qu’ils remontent, ainsi que lui, à une origine plus ancienne ; que, comme le sang des races blanches, ils ont leur source dans les établissements primitifs de ces races au fond de la haute Asie ; que, comme les peuples qui les possèdent, ils sont originaux et vraiment indépendants de toute imitation grecque sur le territoire européen où ils ont été employés ; enfin, que les nations celtiques, n’ayant pas emprunté leur genre de culture sociale à la Grèce, non plus que leur religion, non plus que leur sang, ne lui devaient pas davantage leurs systèmes graphiques (2)[65].

Ce qui est bien frappant chez elles, c’est l’emploi tout à fait utilitaire qui y était fait de la pensée écrite. Nous n’avons encore rien rencontré de semblable dans les sociétés féminines élevées à un degré correspondant sur l’échelle de la civilisation, et, l’esprit encore tout plein des faits que l’examen du monde asiatique a fournis aux pages du premier volume, nous devons nous reconnaître ici sur un terrain tout nouveau. Nous sommes au milieu de gens qui comprennent et éprouvent l’empire d’une raison plus sèche, et qui obéissent aux suggestions d’un intérêt plus terre à terre.

Les nations celtiques étaient guerrières et belliqueuses, sans doute ; mais, en définitive, beaucoup moins qu’on ne le suppose généralement. Leur renommée militaire se fonde sur les quelques invasions dont elles ont troublé la tranquillité des autres peuples. On oublie que ce furent là des convulsions passagères d’une multitude que des circonstances transitoires jetaient hors de ses voies naturelles, et que, pendant de très longs siècles, avant et après leurs grandes guerres, les États celtiques ont profondément respecté leurs voisins. En effet, leur organisation sociale avait elle-même besoin de repos pour se développer.

Ils étaient surtout agriculteurs, industriels et commerçants. S’il leur arrivait, comme à toutes les nations du monde, même les plus policées, de porter la guerre chez autrui, leurs citoyens s’occupaient, beaucoup plus ordinairement, de faire pâturer leurs bœufs et leurs immenses troupeaux de porcs dans les vastes clairières des forêts de chênes qui couvraient le pays. Ils étaient sans rivaux dans la préparation des viandes fumées et salées. Ils donnaient à leurs jambons un degré d’excellence qui rendit célèbre, au loin et jusqu’en Grèce, cet article de commerce (1)[66]. Longtemps avant l’intervention des Romains, ils débitaient dans la péninsule italique, aussi bien que sur les marchés de Marseille, et leurs étoffes de laine, et leurs toiles de lin, et leurs cuivres, dont ils avaient inventé l’étamage. À ces différents produits ils joignaient la vente du sel, des esclaves, des eunuques, des chiens dressés pour la chasse ; ils étaient passés maîtres dans la charronnerie de toute espèce, chars de guerre, de luxe et de voyage (2)[67]. En un mot, les Kymris, comme je le faisais remarquer tout à l’heure, aussi avides marchands, pour le moins, que soldats intrépides, se classent, sans difficulté, dans le sein des peuples utilitaires, autrement dit, des nations mâles. On ne saurait les assigner à une autre catégorie. Supérieurs aux Ibères, militairement parlant, voués comme eux et plus qu’eux aux travaux lucratifs, ils ne semblent pas les avoir dépassés en besoins intellectuels. Leur luxe était surtout d’une nature positive : de belles armes, de bons habits, de beaux chevaux. Ils poussaient d’ailleurs ce dernier goût jusqu’à la passion, et faisaient venir à grands frais des coursiers de prix des pays d’outre-mer (3)[68].

Ils paraissent cependant avoir possédé une littérature. Puisqu’ils avaient des bardes, ils avaient des chants. Ces chants exposaient l’ensemble des connaissances acquises par leur race, et conservaient les traditions cosmogoniques, théologiques, historiques.

La critique moderne n’a pas à la disposition de ses études des compositions écrites remontant à la véritable époque nationale. Toutefois il est, dans le fonds commun des richesses intellectuelles appartenant aux nations romanes comme aux peuples germaniques, un certain coin marqué d’une origine toute spéciale, que l’on peut revendiquer pour les Celtes. On trouve aussi, chez les Irlandais, les montagnards du nord de l’Écosse et les Bretons de l’Armorique, des productions en prose et en vers composées dans les dialectes locaux.

L’attention des érudits s’est fixée avec intérêt sur ces œuvres de la muse populaire. Elle leur a dû quelquefois de ressaisir les traces de quelques linéaments de l’ancienne physionomie du monde kymrique. Malheureusement, je le répète, ces compositions sont loin d’appartenir à la véritable antiquité. C’est tout ce que peuvent faire leurs admirateurs les plus enthousiastes, que d’en reporter quelques fragments au cinquième siècle (1)[69], date bien jeune pour permettre de juger de ce que pouvaient être les ouvrages celtiques à l’époque anté-romaine, au temps où l’esprit de la race était indépendant comme sa politique. En outre, on ressent, à l’aspect de ces œuvres, une défiance dont il n’est guère possible de se débarrasser, si l’on veut garder l’oreille ouverte à la voix de la raison. Bien que leur authenticité, en tant que produits des bardes gallois ou armoricains, des sennachies irlandais ou gaëliques, soit incontestable, on est frappé de leur ressemblance extrême avec les inspirations romaines et germaniques des siècles auxquels elles appartiennent.

La comparaison la plus superficielle rend cette vérité par trop notoire. Les allures de la pensée, les formes matérielles de la poésie, sont identiques (2)[70]. Le goût est tout semblable pour la recherche énigmatique, pour la tournure sentencieuse du récit, pour l’obscurité sibyllienne, pour la combinaison ternaire des faits, pour l’allitération. À la vérité, on peut admettre que ces marques caractéristiques sont dues précisément à des emprunts primordiaux opérés sur le génie celtique par le monde germanique naissant. Tout porte à croire, en effet, que, dans le domaine moral, les Arians Germains ont dû prendre énormément des Kymris, puisque, dans l’ordre des faits ethniques et linguistiques, ils se sont laissé si puissamment modifier par eux. Mais, tout en reconnaissant comme admissible et même comme nécessaire ce point de départ, il n’en est pas moins très vraisemblable que les formes, les habitudes littéraires, désormais communes, ont pu, à la suite des invasions du Ve siècle, rentrer dans le patrimoine des Celtes, et, cette fois, fortement développées et enrichies par des apports dus à l’essence particulière des conquérants.

Les Kymris des quatre premiers siècles de l’Église étaient, en tant que Kymris, tombés bien bas et devenus fort peu de chose. Leur vie intellectuelle, dépouillant son originalité, fut, comme le sang de la plupart de leurs nations, extrêmement altérée par l’influence romaine. La question n’en est pas une pour ce qui concerne la Gaule. Les compositions des ovates avaient péri en laissant peu de traces. Il n’en fut nullement de ces œuvres comme de celles des Étrusques, qui, bien que frappés d’impopularité auprès des vieux Sabins par la prétendue barbarie de la langue, n’en maintinrent pas moins leur importance et leur dignité, grâce à leur valeur historique. Le généalogiste et l’antiquaire se virent contraints d’en tenir compte, de les traduire, de les faire entrer, bien qu’en les transformant, dans la littérature dominante. La Gaule n’eut pas autant de bonheur. Ses peuples consentirent à l’abandon presque complet d’un patrimoine qu’ils apprirent rapidement à mépriser, et, sous toutes les faces où ils pouvaient s’examiner eux-mêmes, ils s’arrangèrent de façon à devenir aussi Latins que possible. Je veux que les idées de terroir, peut-être même quelques anciens chants, traduits et défigurés, se soient conservés dans la mémoire du peuple. Ce fonds, resté celtique au point de vue absolu, a cessé de l’être littérairement parlant, puisqu’il n’a vécu qu’à la condition de perdre ses formes.

Il faut donc considérer, à partir de l’époque romaine, les nations celtiques de la Gaule, de la Germanie, du pays helvétien, de la Rhétie, comme devenues étrangères à la nature spéciale de leur inspiration antique, et se borner à ne plus reconnaître chez elles que des traditions de faits et certaines dispositions d’esprit qui, persistant avec la mesure du sang des Kymris demeuré dans le nouveau mélange ethnique, ne gardaient d’autre puissance que de prédisposer les populations nouvelles à reprendre un jour quelques-unes des voies jadis familières à l’intelligence spéciale de la race gallique.

Les Celtes du continent, ainsi mis hors de cause longtemps avant la venue des Germains, il reste à examiner si ceux des îles de Bretagne, d’Irlande, ont conservé quelques débris du trésor intellectuel de la famille, et ce qu’ils en ont pu transmettre à leur colonie armoricaine.

César considère les indigènes de la grande île comme fort grossiers. Les Irlandais l’étaient encore davantage. À la vérité, les deux territoires passaient pour sacrés, et leurs sanctuaires étaient en vénération auprès des druides. Mais, autre chose est la science hiératique, autre la science profane. J’indiquerai plus bas les motifs qui me portent à croire la première très anciennement corrompue et avilie chez les Bretons. La seconde était évidemment peu cultivée par eux, non pas parce que ces insulaires vivaient dans les bois ; non pas parce qu’ils n’avaient pour villes que des circonvallations de branches d’arbres au milieu des forêts ; non pas parce que la dureté de leurs mœurs autorisait, à tort ou à raison, à les accuser d’anthropophagie ; mais parce que les traditions génésiaques qu’on leur attribue contiennent une trop faible proportion de faits originaux.

La prédominance des idées classiques y est évidente. Elle saute aux yeux, et elle ne nous apparaît même pas sous le costume latin ; c’est dans la forme chrétienne, dans la forme monacale, dans le style de pensée germano-romain, qu’elle s’offre à nos regards (1)[71]. Aucun observateur de bonne foi ne peut se refuser à reconnaître que les pieux cénobites du VIe siècle ont, sinon composé toutes ses œuvres, du moins donné le ton à leurs compositeurs, même païens. Dans tous ces livres, à côté de César et de ses soldats, on voit apparaître les histoires bibliques : Magog et les fils de Japhet, les Pharaons et la terre d’Égypte ; puis le reflet des événements contemporains : les Saxons, la grandeur de Constantinople, la puissance redoutée d’Attila.

De ces remarques je ne tire pas la conséquence qu’il n’existe absolument aucun reste de souvenir véritablement ancien dans cette littérature ; mais je pense qu’elle appartient, totalement dans ses formes et presque entièrement dans le fond, à l’époque où les indigènes n’étaient plus seuls à habiter leurs territoires, à l’époque où leur race avait cessé d’être uniquement celtique, à celle où le christianisme et la puissance germanique, bien que trouvant encore parmi eux de grandes résistances, n’en étaient pas moins victorieux, dominateurs, et capables de plier à leurs vues l’intelligence intimidée des plus haineux ennemis.

Toutes ces raisons, en établissant que les groupes parlant, depuis l’ère chrétienne, des dialectes celtiques, avaient, depuis longtemps, perdu toute inspiration propre, appuient encore cette proposition, avancée tout à l’heure, que, si le génie germanique s’est, à son origine, enrichi d’apports kymriques, c’est sous son influence, c’est avec ce qu’il a rendu aux peuplades gaéliques, galloises et bretonnes, que s’est composée, vers le Ve siècle, la littérature de ces tribus, littérature que dès lors on est en droit d’appeler moderne. Celle-ci n’est plus qu’un dérivé de courants multiples, non pas une source originale. Je ne répéterai donc pas, avec tant de philologues, que les habitants celtiques de l’Angleterre possédaient, à l’aurore de l’âge féodal, des chants et des romans purement tirés de leur propre invention, et qui ont fait le tour de l’Europe ; mais, tout au contraire, je dirai que, de même que les moines irlandais, les sculdées ont brillé d’un éclat de science théologique, d’une énergie de prosélytisme tout à fait admirable et étranger aux habitudes égoïstes et peu enthousiastes des races galliques, de même leurs poètes, placés sous les mêmes influences étrangères, ont puisé dans le conflit d’idées et d’habitudes qui en résultèrent, dans le trésor des traditions si variées ouvert sous leurs yeux, enfin dans le faible et obscur patrimoine qui leur avait été légué par leurs pères, cette série de productions qui a, en effet, réussi dans toute l’Europe, mais qui a dû son vaste succès à ce motif même qu’elle ne reflétait pas les tendances absolues d’une race spéciale et isolée : tout au contraire, elle était à la fois le produit de la pensée celtique, romaine et germanique, et de là son immense popularité.

Cette opinion ne serait assurément pas soutenable, elle serait même opposée à toutes doctrines de ce livre, si la pureté de race qu’on attribue généralement aux populations parlant encore le celtique était prouvée. L’argument, et c’est le seul dont on se sert pour l’établir, consiste dans la persistance de la langue. On a déjà vu plusieurs fois, et notamment  à propos des Basques, combien cette manière de raisonner est peu concluante (1)[72]. Les habitants des Pyrénées ne sauraient passer pour les descendants d’une race primitive, encore moins d’une race pure ; les plus simples considérations physiologiques s’y opposent. Les mêmes raisons ne font pas moins de résistance à ce que les Irlandais, les montagnards de l’Écosse, les Gallois, les habitants de la Cornouaille anglaise et les Bretons soient considérés comme des peuples typiques et sans mélange. Sans doute, on rencontre, en général, parmi eux, et chez les Bretons surtout, des physionomies marquées d’un cachet bien particulier ; mais nulle part on n’aperçoit cette ressemblance générale des traits, apanage, sinon des races pures, au moins des races dont les éléments sont depuis assez longtemps amalgamés pour être devenus homogènes. Je n’insiste pas sur les différences très graves que présentent les groupes néo-celtiques quand on les compare entre eux. La persistance de la langue n’est donc pas, ici plus qu’ailleurs, une garantie certaine de pureté quant au sang. C’est le résultat des circonstances locales, fortement servies par les positions géographiques.

Ce que la physiologie ébranle, l’histoire le renverse. On sait de la manière la plus positive que les expéditions et les établissements des Danois et des Norwégiens dans les îles semées autour de la Grande-Bretagne et de l’Irlande ont commencé de très bonne heure (1)[73]. Dublin a appartenu à des populations et à des rois de race danoise, et un écrivain on ne peut plus compétent a solidement établi que les chefs des clans écossais étaient, au moyen âge, d’extraction danoise, comme leurs nobles ; que leur résistance à la couronne avait pour appuis les dominateurs danois des Orcades, et que leur chute, au XIIe siècle, fut la conséquence de celle de ces dynastes, leurs parents (2)[74].

Dieffenbach constate, en conséquence, l’existence d’un mélange scandinave et même saxon très prononcé chez les Highlanders. Avant lui, Murray avait reconnu l’accent danois dans le dialecte du Buchanshire, et Pinkerton, analysant les idiomes de l’île entière, avait également signalé, dans une province qui passe d’ordinaire pour essentiellement celtique, le pays de Galles, des traces si évidentes et si nombreuses du saxon, qu’il nomme le gallois a saxonised celtic (3)[75].

Ce sont là les principaux motifs qui me semblent s’opposer à ce que l’on puisse considérer les ouvrages gallois, erses ou bretons comme reproduisant, même d’une manière approximative, soit les idées, soit le goût des populations kymriques de l’occident européen. Pour se former une idée juste à ce sujet, il me paraît plus exact de choisir un terrain d’abstraction. Prenons en bloc les productions romaines et germaniques ; résumons, d’autre part, tout ce que les historiens et les polygraphes nous ont transmis d’aperçus et de détails sur le génie particulier des Celtes, et nous en pourrons tirer les conclusions suivantes.

L’exaltation enthousiaste, observée en Orient, n’était pas le fait de la littérature des Galls. Soit dans les ouvrages historiques, soit dans les récits mythiques, elle aimait l’exactitude, ou, à défaut de cette qualité, ces formes affirmatives et précises qui, auprès de l’imagination, en tiennent lieu (1)[76]. Elle cherchait les faits plus que les sentiments ; elle tendait à produire l’émotion, non pas tant par la façon de dire, comme les Sémites, que par la valeur intrinsèque, soit tristesse, soit énergie, de ce qu’elle énonçait. Elle était positive, volontiers descriptive, ainsi que le voulait l’alliance intime qui la rapprochait du sang finnique, ainsi qu’on en voit l’exemple dans le génie chinois, et, par son défaut intime de chaleur et d’expansion, volontiers elliptique et concise. Cette austérité de forme lui permettait d’ailleurs une sorte de mélancolie vague et facilement sympathique qui fait encore le charme de la poésie populaire dans nos pays.

On trouvera, je l’espère, cette appréciation admissible, si l’on se rappelle qu’une littérature est toujours le reflet du peuple qui l’a produite, le résultat de son état ethnique, et si l’on compare les conclusions qui ressortent de cette vérité avec l’ensemble des qualités et des défauts que le contenu des pages précédentes a fait apercevoir dans le mode de culture des nations celtiques.

Il en résulte sans doute que les Kymris ne pouvaient pas être doués, intellectuellement, à la manière des nations mélanisées du sud. Si cette condition mettait son empreinte sur leurs productions littéraires, elle n’était pas moins sensible dans le domaine des arts plastiques. De tout le bagage que les Galls ont laissé derrière eux en ce genre, et que leurs tombes nous ont rendu, on peut admirer la variété, la richesse, la bonne et solide confection : il n’y a pas lieu de s’extasier sur la forme. Elle y est des plus vulgaires, et ne fournit aucune trace qui puisse faire reconnaître un esprit amusé, comme dans l’Asie antérieure, à donner de belles apparences aux moindres objets ou sentant le besoin de plaire à des yeux exigeants (1)[77].

Il est vraiment curieux que César, qui s’étend avec assez de complaisance sur tout ce qu’il a rencontré dans les Gaules, et qui loue avec beaucoup d’impartialité ce qui le mérite, ne se montre aucunement séduit par la valeur artistique de ce qu’il observe. Il voit des villes populeuses, des remparts très bien conçus et exécutés : il ne mentionne pas une seule fois un beau temple (2)[78]. S’il parle des sanctuaires aperçus par lui dans les cités, cet aspect ne lui inspire ni éloge ni blâme, ni expression de curiosité. Il paraît que ces constructions étaient, comme toutes les autres, appropriées à leur but, et rien de plus. J’imagine que ceux de nos édifices modernes qui ne sont copiés ni du grec, ni du romain, ni du gothique, ni de l’arabe, ni de quelque autre style, inspirent la même indifférence aux observateurs désintéressés.

On a trouvé, outre les armes et les ustensiles, un très petit nombre de représentations figurées de l’homme ou des animaux. J’avoue même que je n’en connais pas d’exemple bien authentique.

Le goût général, semblerait-il donc, ne portait pas les fabricants ou les artistes à ce genre de travail. Le peu qu’on en possède est fort grossier et tel que le moindre manœuvre en saurait faire autant. L’ornementation des vases, des objets en bronze ou en fer, des parures en or ou en argent, est de même dénuée de goût, à moins que ce ne soient des copies d’œuvres grecques ou plutôt romaines, particularité qui indique, lorsqu’elle se rencontre, que l’objet observé appartient à l’époque de la domination des Césars, ou du moins à un temps qui en est assez rapproché. Dans les périodes nationales, les dessins en spirales simples et doubles ou en lignes ondulées sont extrêmement communs : c’est même le sujet le plus ordinaire.

Nous avons vu que les gravures observées sur les plus beaux dolmens de construction finnique affectaient ordinairement cette forme. Il semblerait donc que les Celtes, tout en gardant leur supériorité vis-à-vis des habitants antérieurs du pays, se sont sentis assez pauvrement pourvus du côté de l’imagination pour ne pas dédaigner les leçons de ces malheureux (1)[79]. Mais, comme de pareils emprunts ne s’opèrent jamais qu’entre nations parentes, en trouver la marque peut servir à faire remarquer qu’outre les mélanges jaunes, déjà subis pendant la durée de la migration à travers l’Europe, les Celtes en contractèrent beaucoup d’autres avec les édificateurs des dolmens dans la plupart des contrées où ils s’établirent, sinon dans toutes. Cette conclusion n’a rien d’inattendu pour l’esprit du lecteur : de puissants indices l’ont déjà signalée.

Il en est d’ailleurs d’autres encore, et d’une nature plus relevée et plus importante que de simples détails d’éducation artistique. C’est ici le lieu d’en parler avec quelque insistance.

Quand j’ai dit que le système aristocratique était en vigueur chez les Galls, je n’ai pas ajouté, ce qui pourtant est nécessaire, que l’esclavage existait également parmi eux.

On voit que leur mode de gouvernement était assez compliqué pour mériter une sérieuse étude. Un chef électif, un corps de noblesse moitié sacerdotale, moitié militaire, une classe moyenne, bref l’organisation blanche, et, au-dessous, une population servile. Sauf le brillant des couleurs, on croit se retrouver dans l’Inde.

Dans ce dernier pays, les esclaves, aux temps primitifs, se composaient de noirs soumis par les Arians. En Égypte, les basses castes ayant été également formées, et presque en totalité, de nègres, force est d’en conclure qu’elles devaient de même leur situation à la conquête ou à ses conséquences. Dans les États chamo-sémitiques, à Tyr, à Carthage, il en était ainsi. En Grèce, les Hélotes lacédémoniens, les Pœnestes thessaliens et tant d’autres catégories de paysans attachés à la glèbe, étaient les descendants des aborigènes soumis. Il résulte de ces exemples que l’existence de populations serviles, même avec des nuances notables dans le traitement qui leur est infligé, dénote toujours des différences originelles entre les races nationales.

L’esclavage, ainsi que toutes les autres institutions humaines, repose sur d’autres conditions encore que le fait de la contrainte. On peut, sans doute, taxer cette institution d’être l’abus d’un droit ; une civilisation avancée peut avoir des raisons philosophiques à apporter au secours de raisons ethniques, plus concluantes, pour la détruire : il n’en est pas moins incontestable qu’à certaines époques l’esclavage a sa légitimité, et on serait presque autorisé à affirmer qu’il résulte tout autant du consentement de celui qui le subit que de la prédominance morale et physique de celui qui l’impose.

On ne comprend pas qu’entre deux hommes doués d’une intelligence égale ce pacte subsiste un seul jour sans qu’il y ait protestation et bientôt cessation d’un état de choses illogique. Mais on est parfaitement en droit d’admettre que de tels rapports s’établissent entre le fort et le faible, ayant tous deux pleine conscience de leur position mutuelle, et ravalent ce dernier à une sincère conviction que son abaissement est justifiable en saine équité.

La servitude ne se maintient jamais dans une société dont les éléments divers se sont un tant soit peu fondus. Longtemps avant que l’amalgame arrive à sa perfection, cette situation se modifie, puis s’abolit. Bien moins encore est-il possible que la moitié d’une race dise à son autre moitié : « Tu me serviras, » et que l’autre obéisse (1)[80].

De tels exemples ne se sont jamais produits, et ce que le poids des armes pourrait consacrer un moment, n’étant jamais ratifié par la conscience des opprimés, fragile et vacillant, s’anéantirait bientôt. Ainsi, partout où il y a esclavage, il y a dualité ou pluralité de races. Il y a des vainqueurs et des vaincus, et l’oppression est d’autant plus complète que les races sont plus distinctes. Les esclaves, les vaincus, chez les Galls, ce furent les Finnois. Je ne m’arrêterai pas à combattre l’opinion qui veut apercevoir dans la population servile de la Celtique des tribus ibériennes proprement dites. Rien n’indique que cette famille hispanique ait jamais occupé les provinces situées au nord de la Garonne (1)[81]. Puis les différences n’étaient pas telles entre les Galls et les maîtres de l’Espagne, que ces derniers aient pu être abaissés en masse au rôle d’esclaves vis-à-vis de leurs dominateurs. Quand des expéditions kymriques, pénétrant dans la Péninsule, allèrent y troubler tous les rapports antérieurs, nous en voyons résulter des expulsions et des mélanges ; mais tout démontre que, la guerre finie, il y eut, entre les deux parties contendantes, des relations généralement basées sur la reconnaissance d’une certaine égalité (2)[82].

Il en fut absolument de même pour d’autres groupes à demi blancs, apparentés aux Ibères d’assez près, et plus tard aux Galls. Ces groupes étaient composés de Slaves qui, semés sur plusieurs points des pays celtiques, y vivaient sporadiquement, côte à côte avec les Kymris. Les mêmes motifs qui empêchaient les Ibères d’Espagne, envahis par les Celtes, d’être réduits en esclavage, assuraient à ces Wendes, perdus loin du gros de leur race, une attitude d’indépendance. On les voit formant dans l’Armorique une nation distincte, et y portant leur nom national de Veneti. Ces Vénètes avaient aussi dans le pays de Galles actuel une partie des leurs (1)[83], dont la résidence était Wenedotia ou Gwineth. La Vilaine s’appelait, d’après eux, Vindilis. La ville de Vannes garde aussi bien dans son nom une trace de leur souvenir, et ce qui est assez curieux, c’est qu’elle le garde dans la forme que les Finnois donnent au mot Wende : Wane (2)[84].

Une tribu gallique, parente des Vénètes, les Osismii, possédait un port qu’elle nommait Vindana (3)[85]. Bien loin de là encore, sur l’Adriatique et tout à côté des Celtes Euganéens, résidaient les Veneti, Heneti ou Eneti, dont la nationalité est un fait historiquement reconnu, mais qui, bien que parlant une langue particulière, avaient absolument les mêmes mœurs que les Galls, leurs voisins. Plusieurs autres populations slaves, celtisées dans des proportions diverses, vivaient au nord-est de l’Allemagne et sur la ligne des Krapacks, côte à côte avec les nations galliques.

Tous ces faits démontrent que les Slaves de la Gaule et de l’Italie, comme les Ibères d’Espagne, conservaient un rang assez digne et faisaient nombre parmi les États kymriques auxquels ils s’étaient alliés. Sans donc songer à déshonorer gratuitement leur mémoire, cherchons la race servile où elle put être : nous ne trouvons que les Finnois.

Leur contact immédiat devait nécessairement exercer sur leurs vainqueurs, bientôt leurs parents, une influence délétère. On en retrouve les preuves évidentes.

Au premier rang il faut mettre l’usage des sacrifices humains, dans la forme où on les pratiquait, et avec le sens qu’on leur donnait. Si l’instinct destructif est le caractère indélébile de l’humanité entière, comme de tout ce qui a vie dans la nature, c’est assurément parmi les basses variétés de l’espèce qu’il se montre le plus aiguisé. À ce titre, les peuples jaunes le possèdent tout aussi bien que les noirs. Mais, attendu que les premiers le manifestent au moyen d’un appareil spécial de sentiments et d’actions, il s’exerçait aussi chez les Galls, atteints par le sang finnique, d’une autre façon que chez les nations sémitiques, imbues de l’essence mélanienne. On ne voyait pas, dans les cantons celtiques, les choses se passer comme aux bords de l’Euphrate. Jamais, sur des autels publiquement élevés au milieu des villes, au centre de places inondées de la clarté du soleil, les rites homicides du sacerdoce druidique ne s’accomplirent impudemment, avec une sorte de rage bruyante, solennelle, délirante, joyeuse de nuire. Le culte morose et chagrin de ces prêtres d’Europe ne visait pas à repaître des imaginations ardentes par le spectacle enivrant de cruautés raffinées. Ce n’était pas à des goûts savants dans l’art des tortures qu’il fallait arracher des applaudissements. Un esprit de sombre superstition, amant des terreurs taciturnes, réclamait des scènes plus mystérieuses et non moins tragiques. À cette fin, on réunissait un peuple entier au fond des bois épais. Là, pendant la nuit, des hurlements poussés par des invisibles frappaient l’oreille effrayée des fidèles. Puis, sous la voûte consacrée du feuillage humide qui laissait à peine tomber sur une scène terrible la clarté douteuse d’une lune occidentale, sur un autel de granit grossièrement façonné, et emprunté à d’anciens rites barbares, les sacrificateurs faisaient approcher les victimes et leur enfonçaient, en silence, le couteau d’airain dans la gorge ou dans le flanc. D’autres fois, ces prêtres remplissaient de gigantesques mannequins d’osier de captifs et de criminels, et faisaient tout flamber dans une des clairières de leurs grandes forêts.

Ces horreurs s’accomplissaient comme secrètement ; et, tandis que le Chamite sortait de ses boucheries hiératiques ivre de carnage, rendu insensé par l’odeur du sang dont on venait de lui gonfler les narines et le cerveau, le Gall revenait de ses solennités religieuses, soucieux et hébété d’épouvante. Voilà la différence : à l’un, la férocité active et brûlante du principe mélanien ; à l’autre, la cruauté froide et triste de l’élément jaune. Le nègre détruit parce qu’il s’exalte, et s’exalte parce qu’il détruit. L’homme jaune tue sans émotion et pour répondre à un besoin momentané de son esprit. J’ai montré, ailleurs, qu’à la Chine l’adoption de certaines modes féroces, comme d’enterrer des femmes et des esclaves avec le cadavre d’un prince, correspondait à des invasions de nouveaux peuples jaunes dans l’empire.

Chez les Celtes, tout l’ensemble du culte portait également témoignage de cette influence. Ce n’est pas que les dogmes et certains rites fussent absolument dépouillés de ce qu’ils devaient à l’origine primitivement noble de la famille. Les mythologues y ont découvert de frappantes analogies avec les idées hindoues, surtout quant aux théories cosmogoniques. Le sacerdoce lui-même, voué à la contemplation et à l’étude, façonné aux austérités et aux fatigues, étranger à l’usage des armes, placé au-dessus, sinon au dehors de la vie mondaine, et jouissant du droit de la guider, tout en ayant le devoir d’en faire peu de cas, ce sont là autant de traits qui rappellent assez bien la physionomie des purohitas.

Mais ces derniers ne dédaignaient aucune science et pratiquaient toutes les façons de perfectionner leur esprit. Les druides avilis s’en tenaient à des enseignements à jamais fermés et à des formes traditionnelles. Ils ne voulaient rien savoir au delà, ni surtout rien communiquer, et les terreurs dangereuses dont ils entouraient leurs sanctuaires, les périls matériels qu’ils accumulaient autour des forêts ou des landes qui leur servaient d’école, étaient moins rébarbatifs encore que les obstacles moraux apportés par eux à la pénétration de leurs connaissances. Des nécessités analogues à celles qui dégradèrent les sacerdoces chamitiques pesaient sur leur génie.

Ils craignaient l’usage de l’écriture. Leur doctrine entière était confiée à la mémoire. Bien différents des purohitas sur ce point capital, ils redoutaient tout ce qui aurait pu faire apprécier et juger leurs idées. Ils prétendaient, seuls de leurs nations, avoir les yeux ouverts sur les choses de la vie future. Forcés de reconnaître l’imbécillité religieuse des masses serviles, et plus tard des métis qui les entouraient, ils n’avaient pas pris garde que cette imbécillité les gagnait, parce qu’ils étaient des métis eux-mêmes. En effet, ils avaient omis ce qui aurait pu seul maintenir leur supériorité en face des laïques : ils ne s’étaient pas organisés en caste ; ils n’avaient pris nul soin de garder pure leur valeur ethnique. Au bout d’un certain temps, la barbarie, dont ils avaient cru sans doute se garantir par le silence, les avait envahis, et toutes les plates sottises et les atroces suggestions de leurs esclaves avaient pénétré au sein de leurs sanctuaires si bien clos, en s’y glissant dans le sang de leurs propres veines. Rien de plus naturel.

Comme tous les autres grands faits sociaux, la religion d’un peuple se combine d’après l’état ethnique. Le catholicisme lui-même condescend à se plier, quant aux détails, aux instincts, aux idées, aux goûts de ses fidèles. Une église de la Westphalie n’a pas l’apparence d’une cathédrale péruvienne ; mais, lorsque c’est de religions païennes qu’il s’agit, comme elles sont issues presque entièrement de l’instinct des races, au lieu de dominer cet instinct, elles lui obéissent sans réserve, reflétant son image avec la fidélité la plus scrupuleuse. Il n’y a pas de danger, d’ailleurs, qu’elles s’inspirent avec partialité de la partie la plus noble du sang. Existant surtout pour le plus grand nombre, c’est au plus grand nombre qu’elles doivent parler et plaire. S’il est abâtardi, la religion se conforme à la décomposition générale, et bientôt se fait fort d’en sanctifier toutes les erreurs, d’en refléter tous les crimes (1)[86]. Les sacrifices humains, tels qu’ils furent consentis par les druides, donnent une nouvelle démonstration de cette vérité.

Parmi les nations galliques du continent, les plus attachées à ce rite épouvantable étaient celles de l’Armorique. C’est, en même temps, une des contrées qui possèdent le plus de monuments finnois. Les landes de ce territoire, le bord de ses rivières, ses nombreux marécages, virent se conserver longtemps l’indépendance des indigènes de race jaune. Cependant les îles normandes, la Grande-Bretagne, l’Irlande et les archipels qui l’entourent, furent encore plus favorisés à cet égard (2)[87].

Dans ses provinces intérieures, l’Angleterre possédait des populations celtiques inférieures de tout point à celles de la Gaule (3)[88], et qui, plus tard, ayant renvoyé à l’Armorique des habitants pour repeupler ses campagnes désertes, lui donnèrent cette colonie singulière qui, au milieu du monde moderne, a conservé l’idiome des Kymris. Certains Bas-Bretons, avec leur taille courte et ramassée, leur tête grosse, leur face carrée et sérieuse, généralement triste, leurs yeux souvent bridés et relevés à l’angle extrême, trahissent, pour l’observateur le moins exercé, la présence irrécusable du sang finnique à très forte dose.

Ce furent ces hommes si mélangés, tant de l’Angleterre que de l’Armorique, qui se montrèrent le plus longtemps attachés aux superstitions cruelles de leur religion nationale. De tels rites étaient abandonnés et oubliés par le reste de leur famille, qu’eux s’y cramponnaient avec passion. On peut juger du degré d’amour qu’ils lui portaient, en songeant qu’ils conservent actuellement, dans leur préoccupation pour le droit de bris, des notions tirées du code de morale honoré chez leurs antiques compatriotes, les Cimmériens de la Tauride.

Les druides avaient placé parmi ces Armoricains leur séjour de prédilection. C’était chez eux qu’ils entretenaient leurs principales écoles (1)[89].

Conformément à l’instinct le plus obstiné de l’espèce blanche, ils avaient admis les femmes au premier rang des interprètes de la volonté divine. Cette institution, impossible à maintenir dans les régions du sud de l’Asie, devant les notions mélaniennes, leur avait été facile à conserver en Europe. Les hordes jaunes, tout en repoussant leurs mères et leurs filles dans un profond état d’abjection et de servilité, les emploient volontiers, aujourd’hui encore, aux œuvres magiques. L’extrême irritabilité nerveuse de ces créatures les rend propres à ces emplois. J’ai déjà dit qu’elles étaient, des trois races qui composent l’humanité, les femmes les plus soumises aux influences et aux maladies hystériques. De là, dans la hiérarchie religieuse de toutes les nations celtiques, ces druidesses, ces prophétesses qui, soit renfermées à jamais dans une tour solitaire, soit réunies en congrégations sur un îlot perdu dans l’océan du Nord, et dont l’abord était mortel pour les profanes, tantôt vouées à un éternel célibat, tantôt offertes à des hymens temporaires ou à des prostitutions fortuites, exerçaient sur l’imagination des peuples un prestige extraordinaire, et les dominaient surtout par l’épouvante.

C’est en employant de tels moyens que les prêtres, flattant la populace jaune de préférence aux classes moins dégradées, maintenaient leur pouvoir en l’appuyant sur des instincts dont ils avaient caressé et idéalisé les faiblesses. Aussi n’y a-t-il rien d’étrange à ce que la tradition populaire ait rattaché le souvenir des druides aux cromlechs et aux dolmens. La religion était de toutes les choses kymriques celle qui s’était mise le plus intimement en rapport avec les constructeurs de ces horribles monuments.

Mais ce n’était pas la seule. La grossièreté primitive avait pénétré de toutes parts dans les mœurs du Celte. Comme l’Ibère, comme l’Étrusque, le Thrace et le Slave, sa sensualité, dénuée d’imagination, le portait communément à se gorger de viandes et de liqueurs spiritueuses, simplement pour éprouver un surcroît de bien-être physique. Toutefois, disent les documents, cette habitude avait d’autant plus de prise sur le Gall qu’il se rapprochait davantage des basses classes[90]. Les chefs ne s’y abandonnaient qu’à demi. Dans le peuple, mieux assimilé aux populations esclaves, on rencontrait souvent des hommes qu’une constante ivrognerie avait conduits par degrés à un complet idiotisme. C’est encore de nos jours chez les nations jaunes que se trouvent les exemples les plus de cette bestiale habitude. Les Galls l’avaient évidemment contractée par suite de leurs alliances finnoises, puisqu’ils y étaient d’autant moins soumis que le sang des individus était plus indépendant de ces mélanges[91].

À tous ces effets moraux ou autres, il ne reste plus qu’à joindre les résultats produits dans la langue des Kymris par l’association des éléments idiomatiques provenus de la race jaune. Ces résultats sont dignes de considération.

Bien que la conformation physique des Galls, très pareille à celle qu’on observa plus tard chez les Germains, ait conservé longtemps aux premiers la marque irréfragable d’une alliance étroite avec l’espèce blanche, la linguistique n’est arrivée que très tard à appuyer cette vérité de son assentiment[92].

Les dialectes celtiques faisaient tant de résistance à se laisser assimiler aux langues arianes, que plusieurs érudits crurent même pouvoir les dire de source différente. Toutefois, après des recherches plus minutieuses, plus scrupuleuses, on a fini par casser le premier arrêt, et d’importantes conversions ont décidément révisé le jugement. Il est aujourd’hui reconnu et établi que le breton, le gallois, l'erse d’Irlande, le gaëlique d’Écosse, sont bien des rameaux de la grande souche ariane, et parents du sanscrit, du grec et du gothique[93]. Mais combien ne faut-il pas que les idiomes celtiques soient défigurés pour avoir rendu cette démonstration si lente et si laborieuse ! Combien ne faut-il pas que d’éléments hétérogènes se soient mêlés à leur contexture pour leur avoir donné un extérieur si différent de celui de toutes les langues de leur famille ! Et, en effet, une invasion considérable de mots étrangers, des mutilations nombreuses et bizarres, voilà les éléments de leur originalité.

Tels sont les dégâts accomplis dans le sang, les croyances, les habitudes, l’idiome des Celtes, par la population esclave qu’ils avaient d’abord soumise, et qui ensuite, suivant l’usage, les pénétra de toutes parts et les fit participer à sa dégradation. Cette population n’était pas restée et ne pouvait rester longtemps reléguée dans son abjection, loin du lit de ses maîtres. Les Celtes, par des mariages contractés avec elle, firent de bonne heure éclore, de leur propre abaissement, des séries nouvelles de capacités, d’aptitudes, et par suite de faits, qui ont, à leur tour, servi et serviront de mobile et de ressort à toute l’histoire du monde. Les antagonismes et les mélanges de ces forces hybrides ont, suivant les temps, favorisé le progrès social et la décadence transitoire ou définitive. De même que dans la nature physique les plus grandes oppositions contribuent mutuellement à se faire ressortir, de même ici les qualités spéciales des alliages jaunes et blancs forment un repoussoir des plus énergiques à celles des produits blancs et noirs. Chez ces derniers, sous leur sceptre, au pied de leurs trônes magnifiques, tout embrase l’imagination, la splendeur des arts, les inspirations de la poésie s’y décuplent et couvrent leurs créateurs des rayons étincelants d’une gloire sans pareille. Les égarements les plus insensés, les plus lâches faiblesses, les plus immondes atrocités, reçoivent de cette surexcitation perpétuelle de la tête et du cœur un ébranlement, un je ne sais quoi favorable au vertige. Mais, quand on se retourne vers la sphère du mélange blanc et jaune, l’imagination se calme soudain. Tout s’y passe sur un fond froid.

Là, on ne rencontre plus que des créatures raisonnables, ou, à ce défaut, raisonneuses. On n’aperçoit plus que rarement, et comme des accidents remarqués, de ces despotismes sans bornes qui, chez les Sémites, n’avaient pas même besoin de s’excuser par le génie. Les sens ni l’esprit n’y sont plus étonnés par aucune tendance au sublime. L’ambition humaine y est toujours insatiable, mais de petites choses. Ce qu’on y appelle jouir, être heureux, se réduit aux proportions les plus immédiatement matérielles. Le commerce, l’industrie, les moyens de s’enrichir afin d’augmenter un bien-être physique réglé sur les facultés probables de consommation, ce sont là les sérieuses affaires de la variété blanche et jaune. À différentes époques, l’état de guerre et l’abus de la force, qui en est la suite, ont pu troubler la marche régulière des transactions et mettre obstacle au tranquille développement du bonheur de ces races utilitaires. Jamais cette situation n’a été admise par la conscience générale, comme devant être définitive. Tous les instincts en étaient blessés, et les efforts pour en amener la modification ont duré jusqu’au succès.

Ainsi, profondément distinctes dans leur nature, les deux grandes variétés métisses ont été au-devant de destinées qui ne pouvaient pas l’être moins. Ce qui s’appelle durée de force active, intensité de puissance, réalité d’action, la victoire, le royaume, devait, nécessairement, rester un jour aux êtres qui, voyant d’une manière plus étroite, touchaient, par cela même, le positif et la réalité ; qui, ne voulant que des conquêtes possibles et se conduisant par un calcul terre à terre, mais exact, mais précis, mais approprié rigoureusement à l’objet, ne pouvaient manquer de le saisir, tandis que leurs adversaires nourrissaient principalement leur esprit de bouffées d’exagérations et de non-sens.

Si l’on consulte les moralistes pratiques les mieux écoutés par les deux catégories, on est frappé de l’éloignement de leurs points de vue. Pour les philosophes asiatiques, se soumettre au plus fort, ne pas contredire qui peut vous perdre, se contenter de rien pour braver en sécurité la mauvaise fortune, voilà la vraie sagesse.

L’homme vivra dans sa tête ou dans son cœur, touchera la terre comme une ombre, y passera sans attache, la quittera sans regret.

Les penseurs de l’Occident ne donnent pas de telles leçons à leurs disciples. Ils les engagent à savourer l’existence le mieux et le plus longtemps possible. La haine de la pauvreté est le premier article de leur foi. Le travail et l’activité en forment le second. Se défier des entraînements du cœur et de la tête en est la maxime dominante : jouir, le premier et le dernier mot.

Moyennant l’enseignement sémitique, on fait d’un beau pays un désert dont les sables, empiétant chaque jour sur la terre fertile, engloutissent avec le présent l’avenir. En suivant l’autre maxime, on couvre le sol de charrues et la mer de vaisseaux ; puis un jour, méprisant l’esprit avec ses jouissances impalpables, on tend à mettre le paradis ici-bas, et finalement à s’avilir.



  1. (1) P. Wachter, Encycl. Ersch u. Gruber, Galli, p. 47. — Le bas breton emploie aussi la forme Gallaouet, qui garde bien le t originaire de Γαλάται. Voir, à ce sujet, les médailles où l’on trouve les formes ΚΑΛΕΓΕΔΟΥ, ΚΑΛΔΟΥ, ΚΑΛΔΥ, ΚΑΛΕΔΥ et autres. — Vischer, Keltische Münzen aus Hunningen, in-4o, Bâle, p. 17. — Voir aussi Schaffarik, Slawische Alterth., t. I, p. 236. Cet auteur indique quelques formes intéressantes du nom : Galedin, que s’attribuaient les Belges et qui est la racine évidente de Caledonia ; Gaoidheal, en usage chez les Irlandais. Les Anglo-Saxons firent de walah le gothique vealh, fidèlement conservé dans notre valet. Les Anglais ont depuis abandonné cette dérivation insultante, pour cette autre, gallant, qui se rattache à notre vaillant. Ainsi, suivant l’humeur louangeuse ou méprisante de telle tribu de conquérants, la même racine ethnique a fourni l’éloge et l’injure. Une autre transformation de Gall, c’est Wallon, appliquée à un peuple de Belgique. Une autre encore, c’est Welche, dans la Suisse française, etc. — Schaffarik, ouvr. cité, t. I, p. 50 et pass. — On observe la trace du nom des Celtes dans certaines appellations de localités modernes, comme dans Chaumont = Kaldun, où la dernière syllabe est traduite ; dans Châlons, dans l’expression pays de Caux. Voir aussi la longue et savante dissertation de P.-L. Dieffenbach, Celtica II, in-8o, Stuttgart, 1840, 1re Abth., p. 9 et sqq., qui me paraît épuiser la matière.
  2. (2) GMR (hébreu) Les Arméniens, en transcrivant ce mot dans leurs chroniques, en ont fait Gamir. Je n’ose décider s’ils le possèdent directement ou s’ils l’ont simplement emprunté à des traditions étrangères. Cependant la première hypothèse est d’autant plus soutenable qu’ils étaient eux-mêmes alliés de très près aux Celtes. Il y a plus : à examiner le nom que la Bible leur a appliqué à eux-mêmes, ils ne sont qu’une branche détachée de ces Gomers ou Gamirs ; ils s’appellent dans la Genèse (X, 3), Thogarma, TGRM (hébreu) et sont les propres fils de Gomer. C’est ici le lieu de dire quelques mots de la généalogie japhétide. La chronique mosaïque ne la pousse pas très loin, et n’entend évidemment donner, à ce sujet, qu’un renseignement tout à fait fragmentaire. Il n’est question ni du gros des peuples zoroastriens, ni, à plus forte raison, des Hindous. Je ne signale que les deux lacunes les plus apparentes, En tête des fils de Japhet se trouve Gomer. C’est donc, dans la pensée biblique, le peuple le plus important, le plus considérable de la famille, par la puissance et le nombre. Au temps d’Ézéchiel, on pensait encore de même à Jérusalem et le prophète s’écriait : « Gomer et toutes ses troupes, la maison de Thogarma, les flancs de l’Aquilon et toute sa force et ses peuples nombreux. » (38,6.) — Ainsi les Celtes unis aux Arméniens, comme ne formant qu’une seule race, c’est là pour les Hébreux la grande nation japhétide. Après elle vient Magog. Ce sont les peuples de la région caucasienne, probablement arians, Gog étant la transcription sémitique de l’arian kogh. Le livre saint les place dans un rapport d’apposition ou d’opposition avec Gomer : car le chef qui doit conduire les armées cimmériennes s’appelle Gog. Il n’y a pas hostilité entre Gog et Magog. (Ezéch. 38, 2, 3, 4.) C’est le premier qui doit commander Magog tout comme Gomer. En conséquence, je vois dans Magog une nation géographiquement voisine des Cimmériens, une nation de la même souche, blanche comme eux, pouvant se réunir à eux ; je vois dans Magog des Slaves, et ne crois pas qu’on soit fondé à y voir autre chose. — Après ce peuple s’offre Madaï, qui s’explique aisément : ce sont les Mèdes, cette fraction des Zoroastriens, la plus anciennement connue, la seule connue même des Chamites noirs et des premiers Sémites (t. I, p. 469). Il est naturel que la Genèse ne cite qu’elle. Après Madaï se trouve Javan. J’ai montré ailleurs (voir t. Ier) les différentes destinées de ce mot. On ne saurait lui attribuer ici un autre sens que celui d’ occidental. Ainsi Javan n’indique ni les Ioniens ni les Grecs, mais seulement des populations établies à l’ ouest de la Palestine, soit qu’on entende par là le nord, le nord-ouest ou simplement l’ouest. — Thubal succède à Javan. Les commentateurs y voient un peuple insignifiant dans le Pont, les Tibaréniens. Il en est de même pour Meschesch, placé entre l’Ibérie, l’Arménie et la Colchide. Ces deux groupes ont pu avoir, très anciennement, une importance qui se dissipa dans les siècles suivants comme celle des Thiras, des Thraces, dont j’ai suffisamment parlé en leur lieu. Ce dernier nom clôt la liste des produits de la première génération de Japhet. Après eux viennent les fils de Gomer et les fils de Javan, c’est-à-dire les branches de la famille les moins inconnues. Les fils de Gomer sont Thogarma dont j’ai déjà fait mention, les Arméniens, cités (X, 3) les troisièmes et que je cite les premiers pour en finir avec eux, puis Aschkenas et Riphath. Aschkenas ne s’est prêté jusqu’ici à aucune explication. Rosenmuller incline à y voir une peuplade quelconque entre l’Arménie et la mer Noire. Il me semble que c’est supposer que la géographie biblique s’appesantit bien inutilement sur une région qui ne lui tenait pas fort à cœur et où elle avait déjà mis suffisamment d’habitants, si c’est à bon droit qu’on y place déjà Thubal et Meschesch. Puisque les Aschkenas sont des fils de Gomer, des Celtes véritables, et que Gomer lui-même, c’est-à-dire la souche de la nation, a déjà été reconnu dans son plus ancien gîte, sur la côte de la mer Noire, le parti le plus simple serait peut-être d’admettre qu’Aschkenas représente les groupes de même sang placés plus à l’ouest, indéfiniment, peut-être les Slaves. Quant à Riphath, les habitants des monts Riphées, ce sont encore des Celtes, s’allongeant du côté du nord dans des contrées froides, montagneuses, vaguement entrevues, et se confondant au milieu des Carpathes avec les Aschkenas. — Si les fils de Gomer paraissent assez difficiles à reconnaître, ceux de Javan, l’occidental, ne le sont pas moins, comme le promettait, du reste, le nom de leur père. Ils apparaissent au nombre de quatre : Elischah, les habitants de la Grèce continentale, soit ceux de l’Élide, soit ceux d’Éleusis, non pas des Hellènes, mais, beaucoup plus vraisemblablement, des aborigènes, Celtes et Slaves. (Voir plus bas, chap. IV.) Tharschisch, les Ibères d’Espagne et, peut-être aussi, des îles voisines. Kittim, dans l’hypothèse la plus ordinaire, les habitants de Chypre et des archipels grecs ; mais j’en doute, les premiers colons de ces îles paraissant avoir été des Sémites. Enfin, Dodanim, les gens de l’Épire, par conséquent les Illyriens. Consulter, entre autres, à ce sujet, Rosenmuller, Biblische Geographie, in-8o, Berlin, 1823, t. I, p. 224 pass. ; plus récemment Delitsch, die Genesis, p. 284 et sqq. ; et Knobel, Giessen, 1850. M. Richers a également publié un livre sur ce sujet, mais je ne l’ai pas eu entre les mains. On peut tirer de ce qui précède les conclusions suivantes : la géographie japhétide de la Genèse, basée sur les souvenirs antiques des Chamites et les connaissances acquises, très peu nombreuses, des Sémites de Chaldée, n’embrasse pas, tant s’en faut, tout l’ensemble des nations blanches du nord. Les Arians n’y figurent que par l’individualité médique, les races du Caucase, les Thraces, et une combinaison ethnique au second degré, les Illyriens. On peut distinguer trois parties dans le détail : 1° les noms de Gomer, de Magog, de Thubal, de Meschesch, de Thiras et d’ Aschkenas, sont des appellatifs patronymiques donnés à des peuples. Ils représentent probablement les produits de la plus ancienne tradition. 2° Les mots Javan, Kittim et Dodanim sont des noms collectifs de peuples, acquis après le temps des premières migrations. 3° Ceux de Madaï, Riphath, Thogarma, Elischah et Thraschisch, véritables dénominations géographiques, indiquent des contrées plutôt que des peuples, et résultent d’une connaissance topographique déjà plus expérimentée.
  3. T. I, p. 441.
  4. Lt-col. Rawlinson, Memoir on the babylonian and assyrian Inscriptions, 1851, p. XXI.
  5. T. II, p. 379.
  6. La nationalité celtique des plus anciens Cimbres n’est pas contestable. Ils nommaient l’Océan, sur les bords duquel ils résidaient, Mori-Marusa. Ce sont deux mots kymriques qui veulent dire mer morte. Ils lui donnèrent aussi le nom de crow, reproduit en latin dans la formation cronium, autre expression kymrique qui signifie glacé. Lorsqu’ils vinrent attaquer Marius, un de leurs chefs se nommait Boiorix ou le chef boïen, et, les Boïens étant des Galls incontestables, il n’y aurait aucun motif qui eût pu porter un guerrier cimbre à prendre un titre celtique, s’il n’avait pas été Celte lui-même. On retrouve encore à côté de ce même Boïorix un Lucius ou mieux Luk, et ce nom, très connu des Latins, leur avait été transmis par les Umbres Celtes de la péninsule italique ; il était donc gallique comme ses possesseurs.
  7. (1) C’est une règle celtique que le k et le g , deux lettres qui paraissent avoir été tout à fait confondues dans la prononciation, s’effacent souvent devant une voyelle. — Aufrecht et Kirchhoff, Die umbrischen Sprachdenkmæler, Lautlehre, p. 15 et pass. Il y en a beaucoup d’exemples : gwiper, vipère ; win et gwin, vin ; gwir et fire, vrai ; gwell, devenu l’anglais well ; alon et galon, étranger etc.
  8. (2) Schaffarik, ouvr. cité, t. I, p. 51.
  9. (3) M. Amédée Thierry, Hist. des Gaulois, t. I, Introduction. — Le nom est resté dans le danois Kiemper, avec la signification de combattant. — Salverte, Essai sur l’origine des noms d’hommes, de peuples et de lieux, 1821, in-8o, Paris, t. II, p. 108.
  10. (4) Je n’affirme nullement que l’inondation celtique se soit arrêtée au Danemark. — « Dans le Nord (dit Wormsaae), c’est une opinion fort répandue que les Celtes ont habité la Scandinavie méridionale, et, à défaut de renseignements historiques, on se fonde sur la ressemblance des armes, des instruments et des bijoux en bronze et en or, trouvés dans nos tumulus, avec ceux qui ont été découverts en Angleterre et en France. Cette opinion a des partisans en Norwège, et les historiens de ce pays l’ont tenue pour démontrée. » — Lettre à M. Mérimée, Moniteur du 14 avril 1853. Voir aussi Munch, ouvr. cité, p. 8.
  11. (1) En établissant les différents flux et reflux de la famille slave, Schaffarik donne d’excellentes indications sur l’étendue des établissements celtiques, principaux compétiteurs des Wendes. Un des points qui ressortent le mieux de cet examen, c’est que, sur plus d’une frontière, il est fort difficile de distinguer les deux groupes (Schaffarik, ouvr. cité, t. I, p. 56, 66, 89, 104, 207, 379.)
  12. (2) La monnaie d’or que frappaient les États celtiques n’avait cours que sur le territoire spécial de chaque nation, parce que le titre en était toujours particulier. Bien que cette observation ne puisse s’appliquer qu’au IVe siècle avant Jésus-Christ, comme cette époque est un temps d’indépendance bien complète pour les peuples celtiques, je conclus qu’il y a a là une preuve à ajouter à toutes celles qui, par ailleurs, témoignent de l’isonomie respective des différents peuples kymriques. — Mommsen, Die nordetruskischen Alphabete, dans les Mittheilungen der antiquarischen Gesellschaft in Zurich, VII B., 8 Heft, 1853, p. 265.
  13. (3) Wachter, ouvr. cité, p. 64.
  14. (1) César a ainsi dépeint les Gaulois en politique qui, prétendant se servir d’eux, voulait connaître et leur fort et leur faible. (Liv. II, 30 ; IV, 5, et VII, 20.) — Strabon, les jugeant en littérateur désintéressé, est beaucoup plus indulgent. Il trouve les Gaulois bonnes gens et sans malice, ne se fâchant que quand ils sont les plus forts, et se laissant, du reste, persuader aisément. (Strab., IV, 4, 2.)
  15. (2) Schaffarik, après avoir déclaré qu’il considère les Celtes comme le premier des peuples blancs établis en Europe, ajoute : « Déjà, dès les temps les plus anciens, ils étaient non seulement riches et puissants à l’extrême, mais encore extraordinairement cultivés (ungewœhnlich gebildet). Ils occupaient un tiers de l’Europe, et, du IIIe au IIe siècle avant notre ère, ils s’étendaient d’un côté jusqu’à la Vistule, de l’autre, sur le bas Danube, jusqu’au Dniester. » — Slawische Alterthümer, t. I, p. 89. — Il montre, en plus d’un pays, les Slaves dominés par les Celtes, et vivant en sujets au milieu d’eux.
  16. (1) Ils avaient des archers excellents. (Cæsar, Comment. de Bello Gall., VII, 31.)
  17. (2) Le char de guerre, covinus, était, comme celui des Assyriens, des Grecs homériques et des Hindous, monté par un guerrier et conduit par un écuyer. Fréquemment le guerrier, après avoir lancé ses javelots, mettait pied à terre pour combattre corps à corps. C’est absolument la même tactique que nous avons déjà observée en Asie. (César, ouvr. cité, IV, 36.)
  18. (3) Strabon, IV, 2.
  19. (1) Keferstein, Ansichten über die keltischen Alterthümer, t. I, p. 324 et passim. — Wormsaae, Primeval antiquities of Denmark, p. 23 et pass.
  20. (2) Ibidem. — Wormsaae donne la gravure d’une hache de cette espèce, qui est d’une grande élégance. (Ouvr. cité, p. 39.)
  21. (3) Keferstein, t. II, Erste Abtheilung, Verzeichniss. Les mots employés aujourd’hui dans l’art du mineur ont souvent l’avantage de fournir des notions fort anciennes. Keferstein fait cette réflexion pour l’Allemagne, et retrouve dans la langue actuelle des travailleurs souterrains du Harz des formes et des racines essentiellement celtiques, qui, en même temps que les procédés et les outils auxquels on les applique, ont passé des Galls aux métis germaniques. Quant à l’étymologie des noms de métaux, on peut remarquer que le mot celtique aes, ais, qui devient dans le breton aren et dans le latin aes, avec la flexion aeris, ne désigne pas proprement du bronze, mais bien, par excellence, le métal le plus dur. C’est à ce titre seulement qu’on le trouve employé dans la plus haute antiquité pour désigner le bronze. Le sanscrit le possède sous la forme ayas ou ayasa, et lui donne le sens de fer. L’allemand a de même Eisen, dérivé du gothique eisarn. L’anglo-saxon a iren, l’anglais iron, l’irlandais iarn. Nous avons ici le celtique ierne, et l’on peut voir que dans la forme jarann il n’est pas trop loin d’ aren. — Schlegel, Indische Bibliothek, t. I, p. 243 et pass. — Voir sur le sens de la racine primitive les recherches très curieuses de Dieffenbach, Vergleichendes Wœrterbuch der gothischen Sprache, in-8o, Frankfurt a. M., t. I, p. 14, 15, n° 18. La signification de dur parait être ici en corrélation avec l’idée de fondamental. — Il résulte aussi de ce mot plusieurs applications plus ou moins directes, comme celles de métal en général, de richesses, d’armes, harnais, harnisch. On le découvre non seulement dans le sanscrit, les langues celtiques et gothiques, mais aussi dans le pouschtou ou afghan, le grec, le balouki, l’ossète, et on l’aperçoit jusque dans le chaldéen HSN (hébreu), asina, hache. On le remarque dans les langues slaves, avec une forme qui le rapproche de certains dialectes galliques.
  22. (1) Keferstein, ouvr. cité, t. I, p. 330 et pass.
  23. (2) Cæsar, de Bello Gallico, VII, 28.
  24. (3) Les Celtes de Bourges, avant de s’insurger brûlèrent, en un seul jour, vingt de leurs villes qu’ils ne se jugeaient pas en état de défendre. Il s’en faut qu’aujourd’hui le Berry soit aussi peuplé.
  25. (4) Carrhodunum était dans le voisinage de Cracovie. Une autre ville celtique de Pannonie rappelle le nom des Carnutes du pays chartrain, c’est Carnuntum. (Schaffarik, t. I, p. 104.)
  26. (5) On en a trouvé également dans le Brunswick et en Suisse, une première fois près de Bâle, plus tard dans les Grisons. (Keferstein, t. I, p. 292.)
  27. (6) Ils appliquaient même fort habilement ce système à l’architecture militaire. César loue beaucoup leur façon de construire certains remparts. (Comm. de Bello Gall., VII, 23.) En général, les traducteurs rendent mal ce passage. Un historien de la ville d’Orléans me paraît l’entendre mieux. Voici sa version : « Ces poutres sont placées à deux pieds l’une de l’autre à angle droit avec le parement du rempart. Du côté de la ville, elles sont liées à l’aide de terres extraites du fossé ; à l’extérieur, de grandes pierres remplissent l’intervalle qui les sépare. Sur cette première assise on en établit une seconde, alternant en échiquier avec les pierres, et ainsi de suite. » (L. de Buzonnière, Histoire architecturale de la ville d’Orléans, 1849, In-8°, t. I, p. 2.)
  28. (1) Keferstein, ouvr. cité, t. I, p. 321 et pass.
  29. (2) Tacite les décrit très bien, d’un seul mot : il nomme le sagum celtique, versicolor. (Histor., II, 20.)
  30. (1) De Bello Gall., III, 8, 9, 11.
  31. (2) César dut renoncer à prendre Soissons, à cause de la largeur de ses fossés et de l’élévation de ses murailles. (De Bello Gall., II, 12.)
  32. (1) Bourges avait aussi des tours revêtues de cuir. (Cæsar, VII, 22.)
  33. (2) Keferstein, t. I, p. 286. — Geslin de Bourgogne, Notice sur l’enceinte de Péran, extrait du XVIIIe volume des Mémoires de la Société des Antiquaires de France, p. 6 et sqq., et 39.
  34. (3) Au premier siècle avant notre ère, l’Angleterre proprement dite comptait deux espèces de populations celtiques : l’une qui se disait autochtone, et qui habitait l’intérieur des terres ; l’autre était due à une immigration successive de Belges ou Galls germanisés, qui eut lieu vers le VIIe siècle à Rome. (Cæsar, de Bello Gall., V, 12.) — C’est à ces conquérants qu’appartiennent les monnaies celtiques de l’Angleterre. Ces restes numismatiques sont imités de ceux que l’on trouve depuis la Schelde jusqu’à Reims et à Soissons. Le type primitif en est le statère macédonien. On possède dans ce genre des exemplaires fort grossiers d’une monnaie d’or, marqués du cheval à gorge fourchue, pesant de 6,1 gr. à 5,4 gr. — Mommsen, Die nord-etruskischen Alphabete, dans les Mittheilungen der antiquarischen Gesellschaft in Zürich, VII B., 8 Heft, 1813, p. 245. — Les Celtes de l’intérieur de l'Angleterre étaient devenus fort barbares. Ils allaient vêtus de peaux de bêtes. La polyandrie était presque générale parmi eux. Ils avaient déjà, en se mêlant aux Belges immigrés, communiqué à ceux-ci l'usage de se peindre le corps. Ces derniers les surpassaient de beaucoup par le raffinement des habitudes et par les richesses. Une population semblable à celle des Bretons de l'intérieur de l'île, et peut-être plus avilie encore, c'étaient les Irlandais. On peut admettre comme vraisemblable qu'à une époque fort ancienne leur île avait reçu quelques colonisations phéniciennes et carthaginoises ; mais, d'après ce qu'on a vu en Espagne d'établissements semblables, il est douteux que l'influence en ait dépassé les limites du comptoir. Toutefois M. Pictet pense avoir découvert dans l’erse des traces sémitiques. Peut-être encore y a-t-il eu des immigrations ibériques ou plutôt celtibériennes. Quoi qu'il en soit, Strabon dépeint les Irlandais comme des cannibales, mangeant leurs parents âgés. Diodore de Sicile et saint Jérôme racontent d'eux les mêmes choses. Les traditions locales avec leurs colonies antédiluviennes, commandées par César, leur Partholan, cinquième descendant de Magog, fils de Japhet, leur Clanna, leur Nemihidh, parents de ce héros, leurs Fir-Bolgs, tous originaires de Thrace, enfin leurs Milésiens, fils de Mileadh, venus d'Égypte en Espagne, et d'Espagne en Irlande, sont trop évidemment influencées par des romanciers bibliques et classiques pour qu'on puisse leur accorder beaucoup d'antiquité et, par suite, de confiance. C'est le pendant des histoires de France commençant à Francus, fils d'Hector. Il paraît certain que l'île n'a commencé à se relever que vers le IVe siècle de l'ère chrétienne. Elle avait alors une marine. — Dieffenbach, Celtica II, Abth. 2, 371 et seqq., est peut-être l'écrivain le plus complet sur cette matière ardue, qui constitue un des chapitres des chroniques celtiques sur lesquels il a été débité le plus de folies et les extravagances les plus monstrueuses. Pour faire juger de l'esprit de ceux qui les ont mises en œuvre, je ne citerai qu'un trait : partant de ce point, que l'Irlande est une terre sacrée, qualité qu'en effet lui reconnaissaient les Druides, et qu'ont ensuite maintenue pour elle les Sculdées chrétiens, O'Connor raconte, dans ses Proleg., II, 75, que de l'avis d'un savant allemand, l’erse était la seule langue inaccessible au diable, comme trop saint pour qu'il pût jamais l'apprendre, et qu’à Rome un possédé, « aliis linguis locutum, at hibernice loqui, vel noluisse vel non potuisse. » Tout bien pesé cependant, il serait imprudent de rejeter absolument les traditions irlandaises ; elles contiennent çà et là des faits dignes d’être observés.
  35. (1) Keferstein, t. I. — Suivant Abeken, les murs les plus rudement façonnés de l’Italie se trouvent dans l’Apennin. (Ouvr. cité, p. 139.) Les constructions des Aborigènes, dans le Latium et l’Italie centrale, étant faites de tuf très tendre, présentèrent promptement des traces de taille. — Ibid. Dennis, ouvr. cité, t. II, p. 571 et pass. — Les ruines de Saturnia, une des plus anciennes villes de l’Étrurie, près d’Orbitello, renferment un tumulus bien évidemment celtique. Or, Saturnia, avant d’être aux Étrusques, appartenait aux aborigènes qui l’avaient fondée ; c’était une ville umbrique.
  36. (2) Abeken, ouvr. cité, p. 139. Cet auteur nomme pélasgiques les maçonneries non taillées, celles où l’emploi de petites pierres pour boucher les interstices est le plus indispensable. Il rappelle que Pausanias se sert de cette expression en décrivant les murs de Tyrinthe et de Mycènes. Les murs cyclopéens marqueraient ainsi un perfectionnement dans le genre des constructions à blocs polygones.
  37. (3) Keferstein, Ansichten, etc., t. IV, p. 287 Cet écrivain remarque qu’il y a fort peu de constructions celtiques maçonnées en Angleterre et en Scandinavie. Son observation s’accorde pleinement avec ce que dit César, que les Bretons de l’intérieur de l’île (non pas les Belges immigrés) appelaient ville une sorte de camp retranché formé de pieux et de branchages, au milieu des bois. (De Bello Gall., V, 21.) — Les contrées où l’on en trouve le plus, soit à l’état de murailles, soit comme tombeaux recouverts ou ayant été recouverts d’un tumulus de terre, sont les pays que j’ai nommés déjà, la Bohême, la Wetteravie, la Franconie, la Thuringe, le Jura, l’Asie Mineure. Voir aussi, quant à l’existence des tumulus celtiques, Boettiger, Ideen zur Kunstmythologie, c. II, p. 294.
  38. (1) « Coram adire alloquique Velledam negatum. Arcebantur adspectu quo venerationis plus inesset. Ipsa edita in turre ; delectus e propinquis consulta responsaque, ut internuncius numinis, portabat. » Tacite, Hist., IV, 65.
  39. (2) Keferstein, ouvr. cité, t. I, p. 192. Sur plusieurs bornes milliaires antiques, on trouve, en France, l’indication de la lieue celtique au lieu du mille romain. Quant aux ponts, Orléans et Paris en avaient. Cæsar, de Bello Gall., VII, 11.
  40. (3) Cæs., de Bello Gall., VII, 3.
  41. (1) Keferstein, ouvr. cité, t. I.
  42. (1) Keferstein, t. I, p. 304.
  43. (2) Id., ouvr. cité, t. I, p. 341.
  44. (3) Les différentes catégories d’imitations paraissent se limiter à des territoires déterminés. Celles qui ont pour objet les monnaies massaliotes se trouvent dans la Narbonnaise, sur le cours supérieur du Rhône, dans la Lombardie entière, à Berne, à Genève, dans le Valais, le Tessin, les Grisons et le Tyrol italien ; mais, en France, on n’en a pas rencontré jusqu’ici au-dessus de Lyon. — Sur le penchant septentrional des Pyrénées et les côtes de l’Océan, ce sont les colonies grecques de Rhodæ et d’Emporiæ qui ont fourni les types ; il s’en rencontre dans les pays de la Garonne, à Toulouse, dans le Poitou ; on en cite un exemplaire découvert en Sologne. Sur la Loire supérieure, sur le Rhin, sur la Schelde, se voient les contrefaçons grossières des statères macédoniens de Philippe II. Mommsen pense que cette habitude de copier, du moins mal possible, les types grecs pour la monnaie, a commencé au IVe siècle avant J.-C., c’est-à-dire environ trois cents ans avant la conquête de César. C’est, à coup sûr, l’indice de relations commerciales fort étendues, fort suivies et telles qu’on les pourrait à peine dire supérieures aujourd’hui. — Mommsen, Die nordetruskischen Alphabete, dans les Mittheilungen der antiquarischen Gesellschaft in Zurich, VII B. 8e Heft., in-4o 1853, p. 204, 233, 236, 256.
  45. (1) Abeken, ouvr. cité, p. 284. — On a découvert de ces monnaies radiées, d’origine étrusque, marquées de l’image d’une roue, à Posen et en Saxe. Elles se trouvaient mêlées à des médailles d’Égine et d’Athènes du VIIIe siècle avant notre ère.
  46. (2) Odyssée, XXIII, 267 et pass.
  47. (3) Tacite, de Moribus Germ., 3. — Mommsen considère comme démontré qu’avant l’époque romaine l’usage de l’écriture s’étendait, par delà les Alpes et le cours du Rhône, jusqu’au Danube. (Die nordetruskischen Alphabete, p. 221.)
  48. (1) Cæsar, de Bello Gall., I, 29.
  49. (2) Cæsar, de Bello Gall., VI, 14 : « In reliquis fere rebus (publicis) privatisque rationibus. » Publicis n’est pas certain. Le mot semble interpolé, quoique la plupart des éditions le donnent.
  50. (3) Cæsar, de Bello Gall., VI, 14.
  51. (4) Mommsen (Die nordetruskischen Alphabete) regarde le fait comme indubitable pour les contrées en deçà du Danube.
  52. (1) Je dois dire que Strabon, venant au-devant de cette objection, affirme que les Gaulois écrivaient leurs contrats en grec, non seulement avec les caractères, mais même dans la langue de l’Hellade : Τὰ συμβόλαια ἑλληνιστὶ γράφουσι (Strab., IV.) — Mais, soit dit avec tout le respect possible pour l’autorité de Strabon, cette assertion n’est guère recevable. Si les Celtes avaient à tel point sympathisé avec les Grecs, qu’ils eussent fait de l’idiome de ces derniers l’instrument ordinaire de leurs transactions de toute nature, ils eussent mérité, non pas le nom de barbares, que les écrivains classiques ne leur ménageaient pas, mais celui de philologues, d’érudits consommés ; encore n’ai-je connaissance d’aucun docte personnage, soit ancien, soit moderne, pas même Scaliger, qui se soit amusé à passer des actes civils, par-devant notaire, dans une langue savante. Tout ce qu’il est possible d’accorder, c’est que Strabon, ou plutôt Posidonius, aura vu entre les mains de quelques négociants massaliotes des cédules grecques tracées par ces derniers, et souscrites par des commerçants gaulois.
  53. (1) Mommsen compte jusqu’à neuf alphabets différents, recueillis par lui au nord de l’Italie et dans les Alpes. Voici la liste topographique qu’il en donne : Todi, Provence, Étrurie, Valais, Tyrol, Styrie, Conegliano, Vérone, Padoue. — Les déviations qui peuvent créer l’originalité de chacun de ces alphabets sont considérables, comme le déclare lui-même cet éminent et judicieux archéologue. (Die nordetruskischen Alphabete, p. 221, taf. III.)
  54. (1) Denys d’Halicarnasse raconte comme un fait admis que l’alphabet avait été apporté chez les Italiotes par les Pélasges arcadiens. Il ne tient nul compte des différences extrêmes que chacun peut remarquer entre les lettres grecques et celles de la Péninsule. (Dionys. Halic., Antiq. rom., 1, XXXIII.) — C’était un axiome scientifique, indiscutable pour les lettrés grecs et romains, que tout, le bien, le mal, les vertus et les vices, l’ennui et le plaisir, l’art de marcher, de manger et de boire, avait été inventé dans l’Hellade et s’était de là répandu sur le reste du monde. Homère et Hérodote, comme Hésiode, sont complètement étrangers à cette puérile doctrine.
  55. (1) Mommsen, Die nordetruskischen Alphabete.
  56. (1) Je ne saurais me rendre à l’observation qui a été faite, que les alphabets sémitiques ne peuvent convenir qu’aux langues auxquelles ils sont adaptés, parce qu’ils ne comptent pas de voyelles proprement dites. Ces langues ont toutes : י ,ו ,ה ,א, comme les Grecs ont α, ε, υ, ι, ο. Les runes, destinées incontestablement à des dialectes qui traitent les voyelles tout autrement que les idiomes sémitiques, n’ont pas même tous ces caractères : il leur manque l’ e. Le rôle de consonnes attribué, dans les temps historiques, aux lettres chananéennes que je viens de citer, ne s’oppose nullement à ce qu’on admette que, primitivement, elles ont été considérées sous un autre point de vue. — Consulter le travail de Gesenius, dans l’ Encycl. Ersch und Gruber, Palæographie, 3e section, IX Theil, p. 287. et pass. — Le problème de l’origine des alphabets est encore loin d’être éclairci comme il est désirable qu’il le devienne. Il tient d’aussi près que possible aux questions ethniques, et est destiné à prêter de grands secours à bien des solutions de détail. Il est, du reste, compliqué par une conception a priori, inventée au XVIIIe siècle et sur laquelle on se heurte, à chaque instant, quand il s’agit des grands traits, des caractères principaux de l’histoire humaine. Les gens qui font ce qu’ils appellent de la philosophie de l’histoire ont imaginé que l’écriture avait commencé par le dessin, que du dessin elle était passée à la représentation symbolique, et qu’à un troisième degré, à un troisième âge, elle avait produit, comme terme final de ses développements, les systèmes phonétiques. C’est un enchaînement fort ingénieux, à coup sûr, et il est vraiment fâcheux que l’observation en démontre si complètement l’absurdité. Les systèmes figuratifs, c’est-à-dire ceux des Mexicains et des Égyptiens, sont devenus, ou plutôt ont été, dès les premiers moments de leur invention, idéographiques, parce qu’en même temps qu’on a eu à donner la forme d’un arbre, d’un fruit ou d’un animal, il a impérieusement fallu exprimer par un signe graphique l’idée incorporelle qui motivait la représentation de ces objets. Or voilà un des deux degrés de transition supprimé. Quant au troisième, il ne semble pas s’être produit nécessairement, puisque ni les Mexicains, ni les Chinois, ni les Égyptiens n’ont fait sortir de leurs hiéroglyphes un alphabet proprement dit. Le procédé que les deux derniers de ces peuples emploient pour rendre les noms propres est la plus grande preuve à offrir que le principe sur lequel se base leur système de reproduction du langage oppose des obstacles invincibles à ce prétendu développement. Les écritures idéographiques sont donc nécessairement symboliques, et, d’autre part, n’ont aucun rapport, ni passé, ni présent, ni futur, avec la méthode de décomposition élémentaire et de représentation abstraite des sons. Elles restent ce qu'elles sont, et n'atteignent pas à un but logiquement contraire au principe fondamental de leur construction primitive. — Peut-on affirmer de même que les alphabets phonétiques que nous possédons ne soient pas des descendants de systèmes idéographiques oubliés ? Poser une telle question, c'est, je le sais, affronter des axiomes qui ont acquis force de loi, mais qu'on juge de leur valeur. On part du type phénicien comme paradigme, comme souche de toutes les écritures phonétiques, et l'on veut que X (hébreu) représente le cou et la forme du chameau ; (.X.), de même, est censé rappeler parfaitement un œil  ; (.X.) une maison ou une tente, etc. Pourquoi ? c'est que (.X.) et (.X.) sont les initiales de (.X.), de (.X.) et de (.X.). Mais (.X.) l'est également de (.X.), qui veut dire un puits, de (.X.) qui signifie un bouc, et, si l'on consent à examiner les choses sans prévention, on conviendra que (.X.) ressemble tout autant à un puits ou à un bouc qu'à un chameau. On pourrait trouver, sans nulle peine, d'aussi nombreuses analogies pour toutes les lettres de l'alphabet. Il suffit d'un peu de bonne volonté. Voilà ce que c'est que le système qui fait dériver, inévitablement, les alphabets phonétiques des séries idéographiques, et voilà les puissantes raisons sur lesquelles il s'appuie. Aussi est-il nécessaire d'y renoncer, et au plus tôt.
    D'autant mieux que les études actuelles sur les alphabets assyriens font découvrir une nouvelle méthode graphique qui, de quelque façon qu'on la torture, ne saurait nullement être rapprochée du dessin symbolique. Ces combinaisons claviformes affichent, bien certainement, la prétention la mieux justifiée à ne présenter la pensée qu'au moyen de signes abstraits.
    Puis, au besoin, on pourrait citer encore tels modes d'écriture qui ne sont ni idéographiques, ni phonétiques, ni syllabiques, mais seulement mnémoniques, et qui se composent de traits sans autre signification que celle qui leur est attribuée par l'écrivain. Ce dernier système, fort imparfait, assurément, et privé du pouvoir d'exprimer des mots, rappelle seulement au lecteur certains objets ou certains faits déjà connus. L'écriture lenni-lenape est de ce genre.
    Voilà donc, la question étant prise en gros, quatre catégories de ressources graphiques employées par les hommes pour garder la trace à leurs pensées. Ces quatre catégories sont fort inégales en mérite, et atteignent bien diversement le but pour lequel elles sont inventées. Elles résultent d'aptitudes très spéciales chez leurs créateurs, de façons très particulières de combiner les opérations de l'esprit et de déduire les rapports des choses. Leur étude approfondie mène à des résultats pleins d'intérêt, et sur les sociétés qui s'en servent, et sur les races dont elles émanent.
  57. (1) Bœckh, Ueber die griechischen Inschriften auf Thera, in-4o, Berlin, 1836, p. 17. — Généralement, et en dehors de l’influence romaine, les inscriptions osques, umbriques et étrusques vont de droite à gauche ; au contraire, l’alphabet sabellien, dans les deux seuls exemples connus jusqu’ici, suit la forme serpentine. — Mommsen, Die nord etruskischen Alphabete, p. 222.
  58. (2) W. C. Grimm, Ueber die teutsche Runen.
  59. (3) W. C. Grimm, ouvr. cité, p. 128. — Strahlenberg, Der nord und œstliche Theil von Europa und Asien, p. 407, 410 et 356, tab. V.
  60. (1) Keferstein, Ansichten, etc., t. I, p. 353. — Verelius, dans sa Runographia, avait déjà remarqué, il y a longtemps, ainsi que Rudbock, l’antériorité des runes à l’égard de la civilisation des Ases, et insisté sur l’interprétation fautive du Havamaal, qui semble attribuer à Odin l’invention des lettres sacrées, tandis que ce dieu ne peut prétendre qu’à celle de la poésie. Verelius a, de plus, fait observer que les runes étaient d’autant mieux tracées et mieux faites qu’elles étaient plus anciennes. — Salverte, Essai sur l’origine des noms d’hommes, de peuples et de lieux, t. II, p. 74, 75.
  61. (2) Keferstein, t. I, p. 355. — Dieffenbach, Celtica II, 2e Abth., p. 19.
  62. (3) Dennis constate l’extrême similitude de tous ces alphabets. (T. I, p. XVIII.)
  63. (4) On en compte plusieurs et dans lesquels le nombre de lettres varie. — Dennis, ouvr. cité, t. II, p. 399. — Voir aussi Mommsen, Die nordetruskischen Alphabete.
  64. (1) Niebuhr reconnaît que l’origine des alphabets étrusques et grecs est la même. Il la croit sémitique, à tort, suivant moi, si on veut admettre, ce qui me paraît discutable, que les écritures sémitiques soient elles-mêmes étrangères à l’invention ariane et nées sur le sol même de l’Asie antérieure après les grandes migrations. Mais le savant prussien déclare très positivement que, dans son opinion, les lettres étrusques ne se sont pas formées sur le type grec, et il en donne des raisons tout à fait concluantes. (Rœm. Geschichte, t. I, p. 89.) Un argument à l’appui de cette assertion, qui ne me paraît pas sans valeur, c’est que le mot celtique, le mot latin et le mot grec qui signifient écrire, ont, avec une même racine, des physionomies si différentes, qu’ils doivent s’être formés sur place et ne pas provenir d’un emprunt opéré dans les âges où l’un de ces peuples a pu exercer une action sur les autres. Ainsi, γράφειν, scribere, et le gallois, crifellu, ysgriffen, ysgrifan, ne se ressemblent que de loin, et on remarquera que le passage de γράφειν à scribere est assez bien marqué par les mots celtiques, tandis que scribere, au contraire, n’est pas un intermédiaire entre ces mots et l’expression grecque.
  65. (2) César, après avoir dit que les Celtes se servaient de caractères grecs, prouve, du reste, lui-même, l'inexactitude de son renseignement. Il raconte qu'ayant à envoyer une lettre à un de ses lieutenants, assiégé par les Belges, et ne voulant pas qu'elle pût être lue en route, il l'écrivit, non pas en langue grecque, mais en caractères grecs. Donc les caractères grecs étaient inconnus de ses adversaires. (Cæs., de Bello Gall., V.) — Tout ce qu'il y a de peu satisfaisant dans l'assertion que les lettres en usage chez les Celtes étaient d'origine grecque a, du reste, frappé les commentateurs de César. Pour concilier les nombreuses difficultés qui leur sautaient aux yeux, ils ont eu recours à des subtilités infinies, mais dont ils se montrent, eux-mêmes tout les premiers, fort médiocrement satisfaits. — Voir l'édition d'Oudendorp, in-8o, Lipsiæ, 1805. — Il est effectivement inadmissible que les Celtes, ayant pour les légendes de leurs monnaies des alphabets nationaux, comme les médailles le démontrent, aient employé, dans les détails de leur vie, des caractères étrangers.
  66. (1) Strabon, IV, 3.
  67. (2) M. Amédée Thierry, Hist. des Gaulois, Introduct.
  68. (3) Cæs., de Bello Gall., IV, 2.
  69. (1) La Villemarqué, Barzaz Breiz, t. I, p. XIV.
  70. (2) Voir le chant gallois attribué à Taliesin. (La Villemarqué, t. I, p. XIV). C’est un véritable sermon chrétien de l’époque.
  71. (1) Dieffenbach, Celtica II, 2e Abth., p. 55.
  72. (1) Vid. supra et livre Ier.
  73. (1) Dieffenbach, Celtica II, 2e Abth., p. 310 et pass. — Tacite n’hésitait déjà pas à reconnaître parmi les habitants de la Calédonie la présence d’une race germanique : « Rutilæ Caledoniam habitantium comæ, magni artus germanicum originem adseverant. » (Vita Agric., II) — Je n’en conclus pas que tous les Calédoniens étaient des Germains ; mais rien ne s’oppose à ce qu’en effet il y eût alors des immigrants germains en Écosse.
  74. (2) Ibid.
  75. (3) Dieffenbach, Celtica II, 2e Abth., p. 286. Sur l’extrême appauvrissement du breton et les mutilations qu’il a subies en se rapprochant dans ses formes grammaticales du français moderne, voir La Villemarqué, Barzaz Breiz, t. I, p. LXI.
  76. (1) M. de La Villemarqué relève avec raison, chez les auteurs des chants populaires de l’Europe, l’habitude de fixer aussi exactement que possible le lieu et la date des faits rapportés. (Barzaz Breiz, t. I, p. XXVI.) Le but de ce qu’il appelle le poète de la nature « est toujours, dit-il, de rendre la réalité. » (P. XXVIII.)
  77. (1) Keferstein, Ansichten, t. I p. 334.
  78. (2) Le fait que les Celtes élevaient des sanctuaires dans leurs villes, à Toulouse entre autres, prouve que les dolmens n’appartenaient pas à leur culte ordinaire. Strabon, parlant de l’ancienne splendeur des Tectosages, raconte qu’ils déposaient leurs trésors dans les chapelles, σηκοῖς ou dans les étangs sacrés, ἐν λίμναις ἱεραῖς. Si les dolmens avaient été ces σηκοὶ, leur forme les aurait rendus trop remarquables pour que Posidonius n’en eût pas fait la description. (Strab., IV, 13.)
  79. (1) Telle est la persistance des goûts dans les races qu’aux environs de Francfort-sur-le-Main, où l’on trouve beaucoup de maisons construites à la manière celtique, les dessins dont ces maisons sont ornées reproduisent constamment les mêmes spirales qui se voient sur les monuments de Gavr-Innis.
  80. (1) On opposera peut-être à ceci qu’en Russie comme en Pologne le servage est d’institution récente ; mais il faut observer, d’abord, que la situation du paysan de l’empire mérite à peine ce nom ; puis, dans les deux pays, elle se transforme rapidement en liberté complète, preuve qu’elle n’a jamais été subie sans protestation. Elle n’aura donc constitué qu’un accident transitoire, résultat naturel de la superposition de races différemment douées ; car, en Pologne aussi bien qu’en Russie, la noblesse est issue de conquérants étrangers. Aujourd’hui, cette ligne de démarcation ethnique disparaissant ou ayant disparu, le servage n’a plus de raison d’être et le prouve en s’éteignant.
  81. (1) Le rapprochement que l’on peut établir entre le nom de la nation hispanique métisse des Ligures et celui du fleuve de Loire, Liger, prouverait simplement que les Ligures avaient adopté le nom de la tribu austro-celtique paternelle, qui leur semblait plus honorable que celui de tout autre peuple, ibère d’origine, dont ils pouvaient également descendre. L’héritage de cette partie de leur généalogie se composait de souvenirs moins brillants. (Dieffenbach, Celtica II, 1re Abth., p. 22.) — Voir encore le même auteur pour le nom des Llœgrwys, que les Triades gaéliques rattachent à la souche primitive des Kymris. (Ibid., 2e Abth., p. 71 et 130.)
  82. (2) Les Celtibériens, produit de l’hymen des deux peuples, se montrèrent peut-être un peu supérieurs aux familles d’où ils sortaient. J’ai déjà fait remarquer que ce fait était assez ordinaire dans les alliages d’espèces inférieures ou secondaires. (Voir t. I, livre Ier.) Dieffenbach (Celtica II, 2e Abth., p. 47) fait cette même observation, précisément à propos du sujet dont il s’agit ici.
  83. (1) Schaffarik, Slawische Alterth., t. I, p. 260.
  84. (2) Schaffarik, ouvr. cité, t. I, p. 260.
  85. (3) En breton, Gwenet et Wenet. C’est une règle curieuse que là où les Hellènes mettaient le digamma et où les Grecs modernes placent le C, les Celtes, les Latins et les Slaves emploient le W. Le digamma se confond avec l’esprit rude ; les dialectes gothiques, et le sanscrit même, remplacent le W par le H. (Shaffarik, Slawische Alterthümer, t. I, p. 160.) On trouve encore en France la racine Vend dans plusieurs autres noms de lieux à l’ouest, tels que Vendôme et la Vendée. Strabon nomme encore des Οὐένονες ou Vennones au-dessus de Côme, à côté des Rhétiens, non loin, par conséquent, des Vénètes de l’Adriatique. (L. IV, 6.) — Dieffenbach, Celtica II, 1re Abth., p. 342, 219, 220, 222.
  86. (1) Voir tome Ier.
  87. (2) Il ne serait pas impossible qu’au temps de César, les îles situées à l’embouchure du Rhin aient été encore occupées par des tribus purement finnoises. Le dictateur raconte que les hommes qui les habitaient étaient extrêmement barbares et féroces, et vivaient uniquement de poissons et d’œufs d’oiseaux. Il les distingue complètement des Belges. (De Bello Gall., IV, 10.) Quant à la situation ethnique des Celtes des îles de l’ouest, on peut juger combien elle était dégradée, par ce fait que certaines tribus avaient adopté le nom même des jaunes et s’appelaient les Féniens. On trouve également l’indication d’un mélange avoué dans le nom caractéristique de Fin-gal.
  88. (3) Strabon (IV, chap. v, 2) raconte que plusieurs peuplades de la Grande-Bretagne étaient tellement grossières qu’ayant beaucoup de lait, elles ne savaient pas même en confectionner du fromage. Ce détail emprunte de l’intérêt à la même incapacité signalée chez plusieurs peuples jaunes. — Voir plus loin.
  89. (1) Les réunions druidiques annuelles du pays Chartrain n’avaient pas pour but de traiter des questions religieuses ; il ne s’agissait là que d’affaires temporelles. (Cæs., de Bello Gall., VI, 13.) — Une singulière opinion des druides voulait que le peuple entier des Celtes descendît de Pluton. Cette doctrine, reproduite par une bouche et avec des formes romaines, pourrait bien se rattacher à des idées finnoises, et se rapprocher de celles qui mêlent constamment cette race de petite taille aux rochers, aux cavernes et aux mines. (Cæsar, de Bello Gall., VI, 18.) Peut-être aussi n’était-ce qu’un jeu de mots sur le nom commun à toutes les tribus : gal, qui signifie aussi obscurité, et qui, dans cette acception, est la racine des mots teutoniques : Hœlle et Hell, l’enfer, comme du latin : caligo, les ténèbres.
  90. Am. Thierry, Hist. des Gaulois, t. II, p. 62. — Il ne faut pas confondre cet amour de la débauche avec la puissance de consommation dont s’honoraient les Arians Hellènes et les Scandinaves. Pour ces derniers peuples, c’était uniquement un signe de force chez les héros. On ne voit nulle part d’allusion qui puisse indiquer que l’ivresse en fût le résultat et parût excusable.
  91. Dans les populations de l’Europe actuelle l’ivrognerie est surtout répandue chez les Slaves, les restes de la race kymrique, les Allemands slavisés du sud, et les Scandinaves métis de Finnois ; mais les Lapons y sont les plus abandonnés de tous.
  92. Il est bon de remarquer que la numismatique favorise ce doute. Je citerai, entre autres, une médaille d’or des Médiomatrices, dont la face porte une figure marquée du type le plus laid, le plus vulgaire, le plus commun, et dans lequel l’influence finnique est impossible à méconnaître. Nos rues et nos boutiques sont remplies aujourd’hui de ce genre de physionomies. — Cabinet de S. E. M. le général baron de Prokesch-Osten.
  93. Pott, Encl. Ersch u. Gruber ; Indo-germanischer Sprachst., p. 87. — M. Bopp pense que le celtique ne le cède à aucune langue européenne en abondance de mots provenant de la souche indo-germanique. (Ueber die keltischem Sprachen, et Mémoires de l’Académie de Berlin, 1838, p. 189.) Il ajoute encore que, pour la désignation des rapports grammaticaux, les dialectes celtiques n’ont pas inventé de formes neuves non indo-germaniques, ni rien emprunté, sous ce même rapport, des familles de langues étrangères au sanscrit. Tous leurs idiomes proviennent uniquement de mutilations et de pertes. (Ouvr. cité, p. 195.)