Essai sur l’inégalité des races humaines/Livre sixième/Chapitre V

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CHAPITRE V.

Dernières migrations arianes-scandinaves.

Tandis que les grandes nations sorties de la Scandinavie après le Ier siècle de notre ère gravitaient successivement vers le sud, les masses encore considérables qui étaient demeurées dans la péninsule ou aux environs étaient loin de se vouer au repos. On doit les distinguer en deux grandes fractions : celle que produisit la confédération anglo-saxonne ; puis un autre amas dont les émissions furent plus indépendantes les unes des autres, commencèrent plus tôt, finirent plus tard, allèrent beaucoup plus loin, et auquel il convient de donner la qualification de normand, que les hommes qui le composaient s’attribuaient à eux-mêmes.

Bien que, depuis le Ie siècle avant Jésus-Christ jusqu’au Ve, l’action de ces deux groupes se soit fait sentir à plusieurs reprises jusque dans les régions romaines, il n’y a pas lieu, sur ce terrain, d’en parler avec détail ; cette action s’y confond, de toutes manières, avec celle des autres peuples germaniques. Mais, après le Ve siècle, les conséquences de la domination d’Attila mirent fin à ces rapports antiques, ou du moins les relâchèrent très sensiblement[1]. Des multitudes slaves, entraînées par les convulsions ethniques dont les Teutons et les Huns étaient les principaux agents, furent jetées entre les pays Scandinaves et l’Europe méridionale, et c’est de ce moment seul que l’on peut faire dater la personnalité distincte des habitants arians de l’extrême nord de notre continent.

Ces Slaves, victimes encore une fois des catastrophes qui agitaient les races supérieures, arrivèrent dans les contrées connues de leurs ancêtres, il y avait déjà bien des siècles ; peut-être même s’avancèrent-ils plus loin que ceux-ci ne l’avaient fait deux mille ans avant notre ère (1)[2]. Ils repassèrent l’Elbe, rencontrèrent le Danube, apparurent dans le cœur de l’Allemagne. Conduits par leurs noblesses, formées de tant de mélanges gètes, sarmates, celtiques, par lesquels ils avaient été jadis asservis, et confondus avec quelques-unes des bandes hunniques qui les poussaient, ils occupèrent, dans le nord, tout le Holstein jusqu’à l’Eider (2)[3]. A l’ouest, gravitant vers la Saale, ils finirent par en faire leur frontière ; tandis qu’au sud ils se répandirent dans la Styrie, la Carniole, touchèrent d’un côté la mer Adriatique, de l’autre le Mein, et couvrirent les deux archiduchés d’Autriche, comme la Thuriuge et la Souabe (3)[4]. Ensuite ils descendirent jusqu’aux contrées rhénanes, et pénétrèrent en Suisse. Ces nations wendes, toujours opprimées jusqu’alors, devinrent ainsi, bon gré mal gré, conquérantes, et les mélanges qui les distinguaient ne leur rendirent pas d’abord ce métier par trop difficile. Les circonstances, agissant avec énergie en leur faveur, amenèrent les choses à ce point que l’élément germanique s’affaiblit considérablement dans toute l’Allemagne, et ne resta quelque peu compact que dans la Frise, la Westphalie, le Hanovre et les contrées rhénanes depuis la mer jusque vers Bâle. Tel fut l’état des choses au VIIIe siècle.

Bien que les invasions saxonnes et les colonisations frankes des trois ou quatre siècles qui suivirent aient un peu modifié cette situation, il n’en demeura pas moins acquis, par la suite, que la masse des nations locales se trouva à jamais dépouillée de ses principaux éléments arians. Ce ne furent pas seulement les invasions slaves de l’époque hunnique qui contribuèrent à cette transformation ; elle fut en grande partie amenée par la constitution intime des groupes germaniques eux-mêmes. Essentiellement mixtes et éloignés de ne compter que des guerriers de noble origine, ils traînaient à leur suite, ainsi qu’on l’a vu, de nombreuses bandes serviles, celtiques et wendes. Quand leurs nations émigraient ou périssaient, c’était surtout la partie illustre qui, en elles, était frappée, et les traces subsistantes de leur occupation se retrouvaient infailliblement dans la personne des karls et des traells, deux classes que les catastrophes politiques n’atteignaient que par contre-coup, mais qui possédaient une bien faible proportion de l’essence scandinave. Au contraire, les nations slaves perdaient-elles leurs nobles, elles n’en devenaient que plus émancipées de cette influence arianisée qui les détournait de leur véritable nature. Pour ces deux raisons, la disparition des Germains d’une part, de l’autre l’épuisement des aristocraties wendes, les populations de l’Allemagne, d’ailleurs composées sur les différents points des mêmes doses ethniques en quantités spéciales, ce qui est aussi l’origine de leurs dispositions faiblement sporadiques, se trouvèrent définitivement très peu germanisées. Tout en porte témoignage, les institutions commerciales, les habitudes rurales, les superstitions populaires, la physionomie des dialectes, les variétés physiologiques. De même qu’il n’est pas rare de trouver dans la forêt Noire, non plus qu’aux environs de Berlin, des types parfaitement celtiques ou slaves, de même il est facile d’observer que le naturel doux et peu actif de l’Autrichien et du Bavarois n’a rien de cet esprit de feu qui animait le Frank ou le Longobard (1)[5].

Ce fut sur ces populations que les Saxons et les Normands eurent à agir, absolument comme les Germains avaient agi sur des masses à peu de chose près semblables. Quant au théâtre des nouveaux exploits qui s’opérèrent, il fut identiquement le même, avec cette différence que, les forces employées étant moins considérables, les résultats géographiques restèrent plus limités.

Les Normands reprirent d’abord l’œuvre des tribus gothiques. Navigateurs aussi hardis, ils poussèrent leurs expéditions principales dans l’est, franchirent la Baltique, vinrent aborder sur les plages où avaient débuté les ancêtres d’Hermanarik, et, traversant, l’épée au poing, toute la Russie, allèrent, d’un côté, lier des rapports de guerre, quelquefois d’alliance, avec les empereurs de Constantinople, tandis que, de l’autre, leurs pirates étonnaient et épouvantaient les riverains de la Caspienne (1)[6].

Ils se familiarisèrent si bien avec les contrées russes, ils y donnèrent une si haute idée de leur intelligence et de leur courage, que les Slaves de ce pays, faisant l’aveu officiel de leur impuissance et de leur infériorité, implorèrent presque unanimement leur joug. Ils fondèrent d’importantes principautés. Ils restaurèrent en quelque sorte Asgart, et le Gardarike, et l’empire des Goths. Ils créèrent l’avenir du plus imposant des États slaves, du plus étendu, du plus solide, en lui donnant pour premier et indispensable ciment leur essence ariane. Sans eux la Russie n’eût jamais existé (2)[7].

Qu’on pèse bien cette proposition, et qu’on en examine les bases : il y a au monde un grand empire slave  ; c’est le premier et le seul qui ait bravé l’épreuve des temps, et ce premier et unique monument d’esprit politique doit incontestablement son origine aux dynasties varègues, autrement dit normandes. Cependant cette fondation politique n’a de germanique que le fait même de son existence. Rien de plus aisé à concevoir. Les Normands n’ont pas transformé le caractère de leurs sujets  ; ils étaient trop peu nombreux pour obtenir un pareil résultat. Ils se sont perdus au sein des masses populeuses qui n’ont fait qu’augmenter autour d’eux, et dans lesquelles les invasions tatares du moyen âge ont, sans cesse et sans mesure, augmenté l’influence énervante du sang finnique. Tout aurait fini, même l’instinct de cohésion, si une intervention providentielle n’avait ramené à temps cet empire sous l’action qui lui avait donné naissance : cette action a suffi jusqu’à présent pour neutraliser les pires effets du génie slave. L’accession des provinces allemandes, l’avènement des princes allemands, une foule d’administrateurs, de généraux, de professeurs, d’artistes, d’artisans allemands, anglais, français, italiens, émigration qui s’est faite lentement, mais sans interruption, a continué à tenir sous le joug les instincts nationaux, et à les réduire, malgré eux, à l’honneur de jouer un grand rôle en Europe. Tout ce qui en Russie présente quelque vigueur politique, dans le sens où l’Occident prend ce mot, tout ce qui rapproche ce pays, dans les formes du moins, de la civilisation germanisée, lui est étranger.

Il est possible que cette situation se soutienne pendant un temps plus ou moins long  ; mais, au fond, elle n’a rien changé à l’inertie organique de la race nationale, et c’est gratuitement que l’on suppose la race wende dangereuse pour la liberté de l’Occident. On se l’est imaginée bien à tort conquérante. Quelques esprits abusés, la voyant peu capable de s’élever à des notions originales de perfectionnement social, se sont avisés de la déclarer neuve, vierge et pleine d’une sève qui n’a pas encore coulé. Ce sont là autant d’illusions. Les Slaves sont une des familles les plus vieilles, les plus usées, les plus mélangées, les plus dégénérées qui existent. Ils étaient épuisés avant les Celtes. Les Normands leur ont donné la cohésion qu’ils n’avaient pas en eux-mêmes. Cette cohésion se perdit quand l’invasion de sang Scandinave fut absorbée ; des influences étrangères l’ont restituée et la maintiennent ; mais elles-mêmes valent, au fond, peu de chose : elles sont riches d’expérience, rompues à la routine de la civilisation  ; mais, dépouillées d’inspiration et d’initiative, elles ne sauraient donner à leurs élèves ce qu’elles ne possèdent pas.

Vis-à-vis de l’Occident, les Slaves ne peuvent occuper qu’une situation sociale toute subordonnée, et réduits, à ce point de vue, à la condition d’annexés et d’écoliers de la civilisation moderne, ils joueraient un personnage presque insignifiant dans l’histoire future comme dans l’histoire passée, si la situation physique de leurs territoires ne leur assurait un emploi qui est véritablement des plus considérables. Placés aux confins de l’Europe et de l’Asie, ils forment une transition naturelle entre leurs parents de l’ouest et leurs parents orientaux de race mongole. Ils rattachent ces deux masses qui croient s’ignorer. Ils forment des masses innombrables depuis la Bohême et les environs de Pétersbourg jusqu’aux confins de la Chine. Ils maintiennent ainsi, entre les métis jaunes des différents degrés, cette chaîne ininterrompue d’alliances ethniques qui fait aujourd’hui le tour de l’hémisphère boréal, et par laquelle circule un courant d’aptitudes et de notions analogues.

Voilà la part d’action dévolue aux Slaves, celle qu’ils n’auraient jamais acquise, si les Normands ne leur avaient donné la force de la prendre, et qui a son foyer principal en Russie, parce que c’est là que la plus considérable dose d’activité a été implantée par ces mêmes Normands qu’il faut suivre maintenant sur d’autres champs de bataille.

Je serai bref dans l’énumération de leurs hauts faits ; c’est surtout matière à considération pour l’histoire politique. Repoussés du centre de l’Allemagne par la foule des combattants qui s’y pressaient déjà, tenus en échec par les Saxons leurs égaux (1)[8], les Normands continuèrent néanmoins jusqu’au VIIIe siècle à y pousser des incursions, mais sans autre résultat sensible que d’y augmenter le désordre. Effrayant les mers occidentales par le nombre et surtout par l’audace de leurs pirateries, ils allaient pénétrant jusque dans la Méditerranée, pillant l’Espagne, en même temps que, par un travail plus fécond, ils colonisaient les îles voisines de l’Angleterre, s’établissaient en Irlande et en Écosse, peuplaient les vallées d’Islande.

Un peu plus tard, ils firent mieux  ; ils s’établirent à demeure dans cette Angleterre qu’ils avaient tant inquiétée, et en enlevèrent une grande partie aux Bretons, et surtout aux Saxons qui les avaient précédés sur cette terre. Plus tard encore, ils renouvelèrent le sang de la province française de Neustrie, et lui apportèrent une supériorité ethnique bien appréciable sur d’autres contrées de la Gaule. Elle la conserva longtemps, et en montre encore quelques restes. Parmi leurs titres de gloire les plus éclatants, et qui ne furent pas non plus sans de grands résultats, il faut compter surtout la découverte du continent américain, opérée au Xe siècle, et les colonisations qu’ils portèrent dans ces régions au XIe et peut-être jusqu’au XIIIe. Enfin je parlerai en son lieu de la conquête totale de l’Angleterre par les Normands français.

La Scandinavie, d’où sortaient ces guerriers, occupait encore dans la période héroïque des âges moyens le rang le plus distingué parmi les souvenirs de toutes les races dominantes de l’Europe. C’était le pays de leurs ancêtres vénérés, c’eût encore été le pays des dieux mêmes, si le christianisme l’eût permis. On peut comparer les grandes images que le nom de cette terre évoquait dans la pensée des Franks et des Goths à celles qui pour les brahmanes entouraient la mémoire de l’Ultara-Kourou. De nos jours, cette péninsule si féconde, cette terre si sacrée n’est plus habitée par une population égale à celles que son sein généreux a pendant si longtemps et avec tant de profusion répandues sur toute la surface du continent d’Europe (1)[9]. Plus les anciens guerriers étaient de race pure, moins ils étaient tentés de rester paresseusement dans leurs odels, quand tant d’aventures merveilleuses entraînaient leurs émules vers les contrées du midi. Bien peu y demeurèrent. Cependant quelques-uns y revinrent. Ils y trouvèrent les Finnois, les Celtes, les Slaves, soit descendants de ceux qui avaient autrefois occupé le pays, soit fils des captifs que les hasards de la guerre y avaient amenés, luttant avec quelque avantage contre les débris du sang des Ases. Cependant il n’est pas douteux que c’est encore en Suède, et surtout en Norwège, que l’on peut aujourd’hui retrouver le plus de traces physiologiques, linguistiques, politiques, de l’existence disparue de la race noble par excellence, et l’histoire des derniers siècles est là pour l’attester. Ni Gustave-Adolphe, ni Charles XII, ni leurs peuples ne sont des successeurs indignes de Ragnas Lodbrog et de Harald aux beaux cheveux. Si les populations norwégiennes et suédoises étaient plus nombreuses, l’esprit d’initiative qui les anime encore pourrait n’être pas sans conséquences ; mais elles sont réduites par leur chiffre à une véritable impuissance sociale : on peut donc affirmer que le dernier siège de l’influence germanique n’est plus au milieu d’elles. Il s’est transporté en Angleterre. C’est là qu’il déploie encore avec le plus d’autorité la part qu’il a gardée de son ancienne puissance.

Lorsqu’il a été question des Celtes, on a vu déjà que la population des îles Britanniques au temps de César était formée d’une couche primitive de Finnois, de plusieurs nations galliques différemment affectées par leur mélange avec ces indigènes, mais certainement très dégradées par leur contact, et de plus d’une immigration considérable de Belges germanisés, occupant le littoral de l’est et du sud.

Ce fut à ces derniers surtout que les Romains eurent affaire, tant pour la guerre que pour la paix. A côté de ces tribus d’origine étrangère vinrent se placer de très bonne heure, s’ils n’y étaient pas déjà lors de l’arrivée de César, des Germains plus purs, appelés par les documents gallois Coritaniens (1)[10]. A dater de ce moment, les invasions et les immigrations partielles des groupes teutoniques ne cessèrent plus jusqu’à l’an 449, date ordinairement, bien qu’abusivement, assignée aux débuts de la période anglo-saxonne. Sous Probus, le gouvernement impérial colonisa dans l’île beaucoup de Vandales ; quelque temps après, il y amena des Quades et des Marcommans (2)[11]. Honorius établit dans les cantons du nord plus de quarante cohortes de barbares qui amenèrent avec eux femmes et enfants. Ensuite des Tungres, en nombre considérable, reçurent encore des terres. Toutes ces accessions furent assez importantes pour couvrir d’une population nouvelle la côte de l’ouest, et nécessiter la création d’un fonctionnaire spécial qui, dans la hiérarchie romaine de l’île, portait le titre de préfet de la côte saxonne. Ce titre démontre que, longtemps avant qu’il fût question des deux frères héroïques Hengest et Horsa, nombre d’hommes de leur nation vivaient déjà en Angleterre (1)[12].

Ainsi la population bretonne se trouvait très anciennement affectée par des immixtions germaniques. Il est peu douteux que les tribus les moins bien douées, celles qui occupaient les provinces du centre, furent graduellement obligées de se confondre avec les masses environnantes, ou de se retirer au fond des montagnes du nord, ou enfin d’émigrer dans l’île d’Irlande, qui devint ainsi le dernier asile des Celtes purs, si toutefois il en restait de tels.

Bientôt la population romaine était devenue à son tour importante. Lors de la révolte de Boadicée, soixante-dix mille Romains et alliés avaient été égorgés par les rebelles dans les trois seuls cantons de Londres, de Vérulam et de Colchester. Les causes qui avaient amené ces méridionaux dans la Grande-Bretagne continuant toujours d’agir, de nouveaux venus comblèrent bientôt les vides produits par l’insurrection, et le nombre des Romains insulaires continua à suivre une progression ascendante.

An IIIe siècle, Marcien compte dans le pays cinquante-neuf villes de premier rang (2)[13]. Beaucoup n’étaient peuplées que de Romains, expression qu’il ne faut pas entendre dans ce sens que ces habitants n’avaient dans les veines que du sang d’outre-mer, mais dans celui-ci, que tous, d’origine bretonne ou étrangère, suivaient et pratiquaient la coutume romaine, obéissaient aux lois impériales, construisaient en abondance ces monuments, aqueducs, théâtres, arcs de triomphe, que l’on admirait encore au XIVe siècle (1)[14], bref, donnaient à tout le pays plat une apparence très analogue à celle des provinces de la Gaule.

Toutefois une grande différence subsistait. Les habitants de la Grande-Bretagne témoignaient d’une exubérance d’énergie politique tout à fait supérieure à celle de leurs voisins du continent, tout à fait disproportionnée à l’étendue de leur propre territoire, et en contradiction manifeste avec leur situation topographique qui, les rejetant sur le flanc de l’empire, semblait leur interdire l’espérance de pouvoir peser sur ses destinées. Mais ici s’offre encore une preuve manifeste du peu d’action qu’exerce la question géographique sur la puissance d’un pays. Les demi-Germains de la Grande-Bretagne furent les plus grands fabricateurs d’empereurs, reconnus ou refusés, qu’il y eut jamais dans le monde romain. Ce fut chez eux et avec leur concours que s’élaborèrent presque constamment les grandes trames ambitieuses. Ce fut de leur rivage et avec leurs cohortes que partirent presque par bandes les dominateurs de la romanité, et, trouvant encore cette gloire insuffisante, ils osèrent entreprendre la tâche dans laquelle leurs voisins les Gaulois avaient tant de fois échoué : ils prétendirent se donner des dynasties particulières, et ils y réussirent. Depuis Carausius, ils ne tinrent plus que faiblement au grand corps romain (2)[15] ; ils formèrent à part un centre politique orgueilleusement constitué sur le modèle et avec tous les insignes de la mère patrie. Ils se signalaient déjà dans leurs brouillards par cette auréole de liberté sévère et quelque peu égoïste qui fait encore la gloire de leurs neveux.

Je ne nommerai pas les empereurs britto-romains Allectus (l)[16], Magnentius, Yalentinius, Maxime, Constantin, avec qui Honorius fut contraint de pactiser ; je ne dirai rien de ce Marcus qui, de nom comme de fait, établit pour toujours l’isolement de son pays (2)[17]. J’ai voulu montrer seulement à quelle antiquité remonte ce titre d’impérial donné par les Anglais modernes à leur État et à leur parlement. Les formes romaines prévalurent dans nie pendant quatre cent cinquante ans à peu près. Cette période révolue, commencèrent les guerres civiles entre les Britto-Romains germanisés et les Saxons plus purs déjà établis depuis longues années sur plusieurs points du pays, mais qui, poussés et renforcés par des essaims de compatriotes accourus du continent, d’où les chassaient les agressions des Slaves, prétendirent tout à coup à la possession entière de l’île. Les historiens nous ont montré souvent ces fils des Scandinaves, ces Sakaï-Suna, ou fils des Sakas, arrivant de la pointe de la Chersonèse cimbrique et des îles voisines montés sur des barques de cuir. Ils ont vu dans ce mode de navigation une preuve de la plus grande barbarie, et se sont trompés. Au Ve siècle, les hommes du Nord possédaient de grands vaisseaux sur la Baltique. Ils étaient habitués depuis longtemps à voir naviguer dans leurs mers les galères romaines, et l’étonnante expédition des Franks qui de la mer Noire étaient revenus dans la Frise, montés sur des navires enlevés à la flotte impériale, aurait suffi, s’il en avait été besoin, pour leur apprendre à construire des bâtiments de cette espèce  ; mais ils n’en voulaient pas. Des embarcations tirant très peu d’eau, et pouvant être facilement transportées à bras, convenaient mieux à ces hommes intrépides pour passer de la mer dans les fleuves, des fleuves dans les plus petites rivières ; ils pouvaient remonter de la sorte jusqu’au cœur des provinces, ce qui leur aurait été fort difficile avec de grands navires, et c’est ainsi qu’ils achevèrent la conquête dans la mesure qui leur fut utile. Alors recommença la fusion des races, et le conflit des institutions (1)[18].

La population britto-romaine, infiniment plus énergique que les Gallo-Romains à cause de son origine en grande partie germanique, maintint en face de ses vainqueurs une situation beaucoup plus fière et beaucoup meilleure (2)[19]. Une partie resta presque indépendante, sauf le vasselage ; une autre, faisant de ses municipalités des espèces de républiques, se borna à une reconnaissance pure et simple du haut domaine saxon et au payement d’un tribut (3)[20]. Le reste tomba, à la vérité, dans la situation subordonnée du iarl, du ceorl, suivant les dialectes des nouveaux maîtres  ; mais là il fut soutenu et relevé par les lois mêmes de ceux-ci, et l’accession à la propriété foncière, le port des armes, le droit de commandation, ou de choisir son chef, lui restèrent acquis. La population britto-romaine put donc arriver ou prévoir qu’elle arriverait au rang des nobles, des iarls, des ceorls.

Le même sentiment qui portait les rois franks à s’entourer de préférence de leudes gaulois engageait également les princes de l’Heptarchie à recruter leurs bandes domestiques parmi les Britto-Romains. Ceux-ci revêtirent donc de très bonne heure des emplois importants à la cour de ces monarques, fils des Ases (1)[21]. Ils leur enseignèrent les lois romaines (2)[22] ; ils leur en firent apprécier les avantages gouvernementaux, ils les initièrent à des idées de domination que les guerriers anglo-saxons n’auraient certainement pas contribué à répandre. Mais, et en ceci les conseillers britto-germains différaient essentiellement des leudes gaulois ou mérowings, ils ne sauvèrent pas de la destruction l’extérieur des mœurs romaines, attendu qu’eux-mêmes ne l’avaient jamais qu’assez imparfaitement possédé, et ils ne déposèrent pas dans l’administration le germe de la féodalité, parce que leur pays n’avait été que très passagèrement affecté par le régime des lois bénéficiales (3)[23]. L’Angleterre se trouvait donc mise à part, dès le Ve siècle, du mode d’existence qui allait prévaloir dans tout le reste de l’Europe.

Ce que les ceorls britto-romains inspirèrent très bien aux descendants de Wodan et de Thor, ce fut l’envie de recueillir la succession entière des empereurs nationaux. On voit avec quelque étonnement les princes anglo-saxons les plus habiles, les plus forts, s’entourer des marques romaines de la souveraine puissance, frapper des médailles au type de la louve et des jumeaux, approprier les lois romaines à l’usage de leurs sujets, se plaire à entretenir avec la cour de Constantinople des rapports d’intimité, et revêtir un double titre, celui de bretwalda, vis-à-vis de leurs sujets anglo-saxons et bretons, celui de basileus, dans leurs documents écrits en langue latine (4)[24]. Ce terme de basileus auquel les rois franks, wisigoths, lombards, n’osèrent jamais prétendre, donnait une situation de grandeur et d’indépendance toute particulière aux souverains qui le portaient. Dans l’île, comme sur le continent, on en comprenait parfaitement la portée, car, lorsque Charlemagne eut pris la succession de Constantin V, il se qualifia très bien, dans une lettre à Egbert, d’empereur des chrétiens orientaux, et salua son correspondant du titre d’empereur des chrétiens occidentaux (1)[25].

Les rapports de race existant entre les Britto-Romains et les tribus germaniques venues du Jutland (2)[26] servaient puissamment à amener entre elles le compromis qui se fondait nécessairement, du côté des vaincus, sur l’abandon de la plupart des importations du sud, sur l’acceptation des idées germaniques, et, du côté des vainqueurs, sur certaines concessions à faire aux nécessités d’une administration plus sévère et plus fortement constituée que celle dont ils s’étaient fait gloire jusqu’alors de porter le joug facile (3)[27]. On vit s’établir des institutions tenant encore de très près à l’origine Scandinave. La tenure des terres dans la forme de l’odel et du féod, l’usage des droits politiques basé exclusivement sur la possession territoriale, le goût de la vie agricole, l’abandon graduel de la plupart des villes (4)[28], l’accroissement du nombre des villages, surtout des métairies isolées, le maintien solide des franchises de l’homme libre, l’influence soutenue des conseils représentatifs, ce furent là autant de traits par lesquels l’esprit arian se donna à reconnaître et témoigna de sa persistance, tandis que des phénomènes d’une nature tout opposée, l’augmentation du nombre des villes, l’indifférence croissante pour la participation aux affaires générales, la diminution du nombre des hommes absolument libres marquaient sur le continent les progrès d’un ordre d’idées d’une tout autre nature.

Il n’est pas étonnant que l’aspect assez digne du ceorl anglo-saxon, qui fut plus tard le yeoman, ait plu à la pensée de plusieurs historiens modernes, heureux de le voir libre dans sa vie rustique à une époque où ses analogues du continent, le karl, l’ariman, le bonus homo, avaient contracté des obligations souvent fort dures et perdu presque toute ressemblance avec lui. Mais, en se plaçant au point de vue de ces écrivains, il faut, pour être tout à fait juste, considérer aussi ce qui doit constituer pour eux le mauvais côté de la question. L’organisation des classes moyennes, sous les rois saxons comme sous les premiers dynastes normands, n’étant que le résultat d’un concours de circonstances ethniques parachevé, ne prêtait à aucune espèce de perfectionnement (1)[29]. La société anglaise d’alors, avec ses avantages, avec ses inconvénients, présentait un tout complet qui n’était susceptible que de décadence. L’existence individuelle n’y était ni sans noblesse ni sans richesse incontestablement ; mais l’absence presque totale de l’élément romanisé la laissait sans éclat et l’éloignait de ce que nous appelons notre civilisation. A mesure que les alliages divers de la population se fondaient davantage, les éléments celtiques, très imbus d’essence finnoise, demeurés dans le fond breton, ceux que l’immigration anglo-saxonne avait jetés dans les masses, ceux que les invasions danoises apportaient encore, tendaient à envahir les éléments germaniques, et il ne faut pas oublier que, quelque abondants que fussent ceux-là, ils diminuaient beaucoup de leur énergie en continuant de se combiner avec une essence hétérogène. Du même coup leur fraîcheur s’en allait avec leurs qualités héroïques, absolument comme un fruit qui passe de main en main perd sa fleur et se flétrit tout en conservant sa pulpe. De là le spectacle que présenta l’Angleterre à l’Europe du XIe siècle. A côté de remarquables mérites politiques une honteuse pauvreté dans le domaine de l’intelligence ; des instincts utilitaires extrêmement développés et qui avaient déjà accumulé dans l’île des richesses extraordinaires, mais nulle délicatesse, nulle élégance dans les mœurs ; des ceorls, plus heureux que les manants français, successeurs des boni homini ; mais l’esclavage complet et l’esclavage assez dur, ce qui n’existait presque plus ailleurs (1)[30]. Un clergé que l’ignorance et des moeurs basses et ignoblement sensuelles menaient lentement à l’hérésie ou, pour le moins, au schisme ; des souverains qui, ayant continué à gouverner un grand royaume comme jadis ils avaient fait leur odel et leur truste, avaient conservé, sans la déléguer, l’administration de la justice, et se faisaient payer la concession de leur sceau par une prévarication qui se trouvait être légale (2)[31] ; enfin l’extinction de toutes les grandes races pures, et l’avènement au trône du fils d’un paysan, c’étaient là, au temps de la conquête normande, des ombres peu favorables dont le tableau était notablement enlaidi.

L’Angleterre eut ce bonheur que l’avènement de Guillaume, sans lui rien ôter de ce qu’elle avait d’organiquement bon (1)[32], lui apporta, sous la forme d’une invasion gallo-scandinave, un nombre restreint d’éléments romanisés. Ceux-ci ne réagirent pas d’une manière ruineuse contre la prépondérance du fond teutonique  ; ils ne lui enlevèrent pas son génie utilitaire, son esprit politique, mais ils lui infusèrent ce qui lui avait manqué jusqu’alors pour s’associer plus intimement à la croissance de la civilisation nouvelle. Avec le duc de Normandie arrivèrent des Bretons francisés, des Angevins, des Manceaux, des Bourguignons, des hommes de toutes les parties de la Gaule. Ce furent autant de liens qui rattachèrent l’Angleterre au mouvement général du continent et qui la tirèrent de l’isolement où le caractère de sa combinaison ethnique la renfermait, puisqu’elle était restée par trop celto-saxonne dans un temps où le reste du monde européen tendait à se dépouiller de la nature germanique.

Les Plantagenets et les Tudors continuèrent cette marche civilisatrice en en propageant les causes d’impulsion. De leur temps, l’importation de l’essence romanisée n’eut pas lieu dans des proportions dangereuses ; elle n’atteignit pas au vif les couches inférieures de la nation ; elle agit principalement sur les supérieures, qui partout sont soumises, et le furent là comme ailleurs, à des agents incessants d’étiolement et de disparition. Il en est de l’infiltration d’une race civilisée, bien que corrompue, au milieu des masses énergiques, mais grossières, comme de l’emploi des poisons à faible dose dans la médecine. Le résultat ne saurait en être que salutaire. De sorte que l’Angleterre se perfectionna lentement, épura ses mœurs, polit quelque peu ses surfaces, se rapprocha de la communauté continentale, et, en même temps, comme elle continuait à ester surtout germanique, elle ne donna jamais à la féodalité la direction servile qui lui fut imprimée chez ses voisins (1)[33] ; elle ne permit pas au pouvoir royal de dépasser certaines limites fixées par les instincts nationaux  ; elle organisa les corporations municipales sur un plan qui ressembla peu aux modèles romains  ; elle ne cessa pas de rendre sa noblesse accessible aux classes inférieures, et surtout elle n’attacha guère les privilèges du rang qu’à la possession de la terre. D’un autre côté, elle revint bientôt à se montrer peu sensible aux connaissances intellectuelles  ; elle trahit toujours un dédain marqué pour ce qui n’est pas d’usage en quelque sorte matériel, et s’occupa très peu, au grand scandale des Italiens, de la culture des arts d’agrément (2)[34].

Dans l’ensemble de l’histoire humaine, il y a peu de situations analogues à celle des populations de la Grande-Bretagne depuis le Xe siècle jusqu’à nos jours. On a vu ailleurs des masses arianes ou arianisées apporter leur énergie au milieu des multitudes de composition différente et les douer de puissance en même temps qu’elles en recevaient une culture déjà grande, que leur génie se chargeait de développer dans un sens nouveau : mais on n’a pas contemplé ces natures d’élite, concentrées en nombre supérieur sur un territoire étroit et ne recevant les immixtions de races plus perfectionnées par l’expérience, bien que subalternes par le rang, que suivant des quantités tout à fait médiocres. C’est à cette circonstance exceptionnelle que les Anglais ont dû, avec la lenteur de leur évolution sociale, la solidité de leur empire ; il n’a certes pas été le plus brillant ; ni le plus humain, ni le plus noble des États européens, mais il en est encore le plus vigoureux.

Cette marche circonspecte et si profitable s’accéléra cependant à dater de la fin du XVIIe siècle.

Le résultat des guerres religieuses de France avait apporté dans le Royaume-Uni une nouvelle affluence d’éléments français. Cette fois ils n’osèrent plus rentrer dans les classes aristocratiques, l’effet de relations commerciales, qui partout allait croissant, en jeta une forte proportion au sein des masses plébéiennes, et le sang anglo-saxon fut sérieusement entamé. La naissance de la grande industrie vint encore accroître ce mouvement en appelant sur le sol national des ouvriers de toutes races non germaniques, des Irlandais en foule, des Italiens, des Allemands slavisés ou appartenant à des populations fortement marquées du cachet celtique.

Alors les Anglais purent réellement se sentir entraînés dans la sphère des nations romanisées. Ils cessèrent d’occuper, aussi imperturbablement, ce médium qui auparavant les tenait autant rapprochés pour le moins du groupe scandinave que des nations méridionales, et qui, dans le moyen âge, les avait fait sympathiser surtout avec les Flamands et les Hollandais, leurs pareils sous beaucoup de rapports. A dater de ce moment, la France fut mieux comprise par eux. Ils devinrent plus littéraires dans le sens artiste du mot. Ils connurent l’attrait pour les études classiques  ; ils les acceptèrent comme on le faisait de l’autre côté du détroit ; ils prirent le goût des statues, des tableaux, de la musique, et, bien que des esprits depuis longtemps initiés, et doués, par l’habitude, d’une délicatesse plus exigeante, les accusassent d’y porter encore une sorte de rudesse et de barbarie, ils surent recueillir, dans ce genre de travaux, une gloire que leurs ancêtres n’avaient ni connue ni enviée.

L’immigration continentale continua et s’agrandit. La révocation de l’édit de Nantes envoya de nombreux habitants de nos provinces méridionales rejoindre dans les villes britanniques la postérité des anciens réfugiés (1)[35]. La révolution française ne fut pas moins influente, ni dans ce triste sens moins généreuse, et, sans parler de ce courant tout récemment formé qui transporte maintenant en Angleterre une partie de la population de l’Irlande, les autres apports ethniques se multipliant sans relâche, les instincts opposés au sentiment germanique ont indéfiniment continué à abonder au sein d’une société qui, jadis si compacte, si logique, si forte, si peu littéraire, n’aurait pas pu naguère assister sans horreur à la naissance de Byron (2)[36].

La transformation est bien sensible ; elle marche d’un pas sûr et se trahit de mille manières. Le système des lois anglaises a perdu de sa solidité ; des réformateurs ne sont pas loin, et les Pandectes sont leur idéal. L’aristocratie trouve des adversaires ; la démocratie, jadis inconnue, proclame des prétentions qui n’ont pas été inventées sur le sol anglo-saxon. Les innovations qui trouvent faveur, les idées qui germent, les forces dissolvantes qui s’organisent, tout révèle la présence d’une cause de transformation apportée du continent. L’Angleterre est en marche pour entrer à son tour dans le milieu de la romanité.



  1. Schaffarik, Slawiche Allerth., t. I, p. 326 et seqq. — Amédée Thierry, Revue des Deux-Mondes, 1er décembre 1832, pass. On ne saurait trop louer cette belle appréciation de la confédération hunnique.
  2. (1) Schaffarik, Slawische Alterth., t. I, p. 166 ; t. II, p. 411, 416, 427, 443, 503, 526, 565. — Kefestein, Keltische Altherth., t. 1, p. XLV, XLVII, L et seqq.
  3. (2) Schaffarik incline même à penser que les Huns connus de l’ Edda sont tous des Slaves. Cette opinion est un peu absolue. (T. I, p. 328.)
  4. (3) Schaffarik, t. II, p. 310 et seqq. — Dans celle direction, les Slaves et leurs noblesses agissaient sous la pression spéciale des Avares, nation demi-mongole, demi-ariane. Beaucoup de ces derniers restèrent avec eux dans la Carniole et la Styrie. (P. 327.)
  5. (1) Haxthausen, Études sur la situation intérieure, la vie nationale et les institutions rurales de la Russie, Hanovre, 1817, in-8o, t. 1, p. III. — En recherchant l’origine de plusieurs coutumes qui exercent une influence décisive sur l’existence agricole en Allemagne, cet auteur démontre qu’on arrive immédiatement à une inspiration slave. — Quant aux dialectes allemands modernes, la présence d’abondants éléments celtiques dans leur contexture n’est pas mise en question. (Voir Grimm, Geschichte der teutschen Sprache, t. 1, p. 287 ; Mone, Th. p. 353 ; Keferstein, Keltische Alterth., t. I, p. XXXVIII, etc.)
  6. (1) Mémoires de l’Académie de Saint-Pétersbourg, 1848, t. IV, p. 182 et pass.
  7. (2) Ljudbrand de Ticino, évéque de Crémone, mort en 979, dit que le peuple appelé russe par les Grecs est nommé normand par les Occidentaux. (Munch, ouvr. cité, p. 55.) Au Xe siècle, les Russes, et il faut comprendre sous ce nom la portion dominante de la nation, parlaient le scandinave. Le territoire de cet idiome comprenait les plaines du lac Ladoga, du lac Ilmen et le haut Dnieper. (Schaffarik, 'ouvr. cité, t. I, p. 143.) Les Normands russes portaient plus particulièrement le nom de Warègues. Il est aussi ancien que le nom d’Ase, de Goth et de Saxon, et remonte comme eux à la pure souche ariane. Les Grecs connaissaient dans la Drangiane une nation sarmate appelée par eux Saraggoï, et qui s’intitulait elle-même Zaranga ou Zaryanga, dont la forme zend est Zarayangh. Pline transcrit ce mot en en faisant Evergetæ. (Westergaard et Lassen, Achemen Keilinschriften, p. 55. — Niebuhr, Inscript, pers., tabl. I, XXXI.) Ce nom de Saraggoï, Zaranga, Evergetae, ou Waregh, fut aussi apporté en France, où il a laissé des traces qui survivent jusqu’à ce jour dans les noms de Varange, de Varangeville et autres. — Il est très important de ne rien négliger de tout ce qui démontre à quel point les Arians du nord restèrent, tant qu’ils vécurent, rapprochés, malgré les distances de leur souche originelle.
  8. (1) Les Saxons du continent se mélangèrent si rapidement avec les populations celtiques ou slaves qui les entouraient, que, bien que leurs aïeux aient encore habité la Chersonèse cimbrique au Ve siècle et qu’ils n’aient envahi la Thuringe qu’au VIe, une tradition connue aujourd’hui les dit autochtones du Harz. Ils prétendent être nés tout à coup au milieu des rochers et des forêts de cette contrée, au bord d’une fontaine, avec leur roi Aschanes. C’est là une confusion de mythes scandinaves avec des notions aborigènes. (W. Muller, ouvrage cité, p. 298.)
  9. (1) La langue des inscriptions runiques diffère considérablement, comme aussi le gothique d’Ulfila, des langues scandinaves actuelles. (Keferstein, Keltische Alterth., t. I, p. 351.) Ces dernières ont de nombreuses marques d’alliage avec les éléments finniques. (Schaffarik, ouvr. cité, t. I, p. 140.)
  10. (1) Kemble, die Sachsen in England, übers. von Chr. Brandes, Leipzig, in-8o, 1853, t. I, p. 7. — Ptolémée appelle cette population Korianoi (II, 3). Elle habitait les comtés actuels de Lincoln, Leicester, Rutland, Northampton, Nottinghani et Derby. — Voir aussi Dieffenbach, Celtica I.
  11. (2) Kemble, ouvr. cité, p. 9.
  12. (1) Palsgrave, the Rise and Progress of the English Commonwealth, t. I, p. 355.
  13. (2) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 237. beaucoup de ces villes n’étaient peuplées que de colons romains. On sait ce qu’il faut entendre par cette dénomination au point de vue ethnique. — César a dit deux choses contradictoires sur les villes de la Grande-Bretagne. Dans un passage, il déclare qu’elles ne sont que des camps palissadés. Dans un autre (V, 13), il décrit « creberrima aedificia fere gallicis consimilia. » — Il veut dire que les Bretons de l’intérieur, les plus grossiers, n’avaient que des retraites dans les bois, mais que les Belges germanisés venus de la Gaule avaient des villes comme leurs frères du continent. Il n’est pas douteux, en effet, qu’ils n’aient dû conserver cette coutume, puisqu’ils frappaient monnaie d’après les types belgiques, et que d’ailleurs, quarante ans après l’occupation romaine, sous Agricola, il y avait, au calcul de Ptolémée, cinquante-six villes dans le pays. C’étaient évidemment, pour la plupart, des cités nationales.
  14. (1) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 323. — Tacite, fort sévère pour les Gaulois à cause de la facilité avec laquelle ils s’étaient laissés aller à la corruption romaine, ne l’est pas moins pour les Bretons de la grande île à ce même point de vue. Ils avaient adopté dans leurs villes toute l’organisation municipale de l’empire. (Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 349.)
  15. (2) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 375.
  16. (1) Allectus soutint sa puissance absolument comme les vrais empereurs soutenaient la leur. Il colonisa dans son île un grand nombre de Franks et de Saxons. (Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 377.)
  17. (2) Ce Marcus fut élu empereur avec la tâche spéciale de résister aux invasions saxonnes. On était alors en 407. (Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 386.)
  18. (1) Prosper d’Aquitaine fixe à l’an 441 la conquête définitive par les Anglo-Saxons. Cette prise de possession se distingue de celle de la Gaule par les Franks en deux manières : d’abord, les Saxons ne reçurent pas d’investiture impériale et n’avaient pas à en recevoir, puisque la Grande-Bretagne formait un pays tout à fait indépendant ; ensuite, comme conséquence de ce premier fait, leurs chefs n’eurent jamais l’idée de solliciter les titres de patrices et de consuls, puisqu’ils n’avaient pas à jouer le personnage de magistrats romains.
  19. (2) Les Bretons, dans leurs batailles contre les Saxons, usaient de la tactique romaine. (Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p, 404.)
  20. (3) Kemble, Die Sachsen in England, t. II, pp. 231 et seqq. 249, 254.
  21. (1) Dans les documents anglo-saxons les plus anciens, on voit figurer, parmi les dignitaires, un grand nombre de noms bretons. (Kemble, ouvr. cité, t. I, p. 17.)
  22. (2) Eux-mêmes tenaient cette science de la meilleure source, puisque Papinien avait été chef de l’administration de l’île. (Palsgrave, t. 1, p. 322.)
  23. (3) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 495 et seqq.
  24. (4) Palsgrave, ouvr. cité, t. 1, p. 420, 488, 563. — Le titre de bretwalda entraînait la domination, au moins nominale, sur les nations bretonnes indépendantes de l’île. Plusieurs de ces nations, comme celle de la Cornouailles, par exemple, avaient au Xe siècle une noblesse d’origine germanique. (Palsgrave, 1. 1, p. 411.)
  25. (1) Guillaume le Conquérant porta encore le titre de basileus. Il semblerait qu’il fût le dernier souverain anglais qui en ait fait usage. (Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. CCCXLIII.)
  26. (2) Le titre d’Anglo-Saxons, appliqué aux conquérants de l’Angleterre d’une certaine époque, n’implique pas l’idée que tous ces hommes fussent d’une seule nation. Ils avaient parmi eux des Warègues, des Juthungs, des Saxons de Thuringe, etc. (Kemble, ouvr. cité, t. I, p. 50 et Anhang. A.) L’inspection des noms de lieux en Angleterre montre également que, de même que dans l’Europe occidentale, les tribus les plus diverses composaient de leurs contingents les armées de l’invasion.
  27. (3) Palsgrave insiste avec beaucoup de sagacité sur les rapports d’origine qui existèrent à toutes les époques entre les diverses couches des habitants de l’Angleterre, et il en tire les conséquences. (Ouvr. cité, t. 1, p. 35.)
  28. (4) Kemble, Die Sachsen in England, t. II, p. 259 et seqq. — Il arriva pour les villes bretonnes de l’Angleterre ce qui avait eu lieu pour les cités celtiques de la Germanie. Elles n’étaient pas assez riches ni assez fortement constituées pour résister à l’influence hostile du milieu où elles se trouvaient placées. Peu à peu leurs institutions romaines se germanisèrent, et dès lors la vie agricole, les envahissant, tendit à dissoudre leurs bourgeoisies, ou du moins à les transformer.
  29. (1) Et elle n’était pas très relevée. Les gens de la suite du roi, et que l’on nommait en Gaule, sous les Mérowings, les antrustions, n’étaient pas autorisés à posséder des alods. Leurs armes même devaient, à leur mort revenir au chef. (Kemble, ouvr. cité, t. I. p. 149.)
  30. (1) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, pp. 21,30. — Kemble, Die Sachsen in England, t. I, p. 150 et seqq. — Au temps de la conquête normande, les Anglo-Saxons en étaient encore à la première phase du servage, dépassée en France depuis les derniers Mérowings. — Le traell scandinave s’appelait dans la Grande-Bretagne lazzus et laet, dio et théow, enfln wealh. Les deux premiers noms indiquent la descendance slave des premiers esclaves, probablement amenés de la Germanie ; le dernier indique les Bretons. (T. I, pp. 150, 151, 172 et seqq.)
  31. (2) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 651. — Ce fait doit servir de commentaire, en quelque sorte justificatif, à certaines formes d’exactions de Guillaume le Roux et de Jean sans Terre. Ces souverains ne faisaient qu’appliquer de vieux usages anglo-saxons.
  32. (1) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 653. — Cette déclaration d’un des publicistes les plus érudits de l’Anglelerre est certainement digne d’être enregistrée. Elle se fonde, en fait, sur des considérations décisives. Guillaume ne toucha pas à l’organisation représentative ; il ne l’abolit pas ; en 1070, il convoqua lui-même un parlement, witanegemot, où figurèrent les Saxons, d’après la régie légale. Dans le procès contre le comte normand Odon et l’archevêque Lanfranc de Canterbury, ce fut un tribunal saxon qui jugea la cause, à Pennenden Heath, sous la direction d’un witan anglais, versé dans la connaissance des lois, et d’Egilrik, évêque de Chicester. Enfin la ville d’Exeter déclara à Guillaume qu’en vertu de ses droits, elle lui payerait le tribut, gafol, montant à dix-huit livres d’argent, et que, pour subsides de guerre, elle lui donnerait encore la somme des terrains imputable par la loi sur chaque terme de cinq hydes de terre ; qu’elle ne se refusait pas non plus à acquitter les rentes des marais appartenant au domaine royal, mais que les bourgeois ne lui devaient pas le serment d’hommage, qu’ils n’étaient pas ses vassaux, et qu’ils n’étaient pas astreints à le laisser entrer dans leurs murs. — Ces privilèges, qu’Exeter avait en commun avec Winchester, Londres, York et d’autres villes, ne furent pas abrogés par la conquête normande. (Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 631.)
  33. (1) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. VI : « Allen, with profound erudition, has shown how much of our monarchical theory is derived, not from the ancient Germans but from the government of the Empire. » — Celle théorie monarchique ne se développa jamais fortement, et resta toujours exotique et traitée comme telle par l’instinct national, tandis que sur le continent elle acquit à la fin le plein indigénat, et étouffa ce qui lui faisait résistance. En somme, les droits des rois anglais ont toujours vacillé entre les différentes nations des Romains, des Bretons et des nations germaniques, mais avec prépondérance de ces derniers. (Palsgrave, t. I, p. 627.)
  34. (2) Sharon Turner, History of the Anglo-Saxons, t. III, p. 389 : « The anglo-saxon nation... did not attain a général or striking eminence is litterature. But society wants other blessings besides these. The agencies that affected our ancestry took a différent course. They impelled them towards that of political melioration, the great fountain of human improvement. »
  35. (1) Les recherches de M. Weill ont établi que plus de cent mille protestants français ont trouvé, à différentes époques, un refuge en Angleterre.
  36. (2)

    If.....
    Of the great poet-rire of Italy
    I dare to build the imitation rhyme
    Harsh runic copy of the south’s sublime.
     
      (Byron, Dedication of the Prophecy of Dante.)