Essai sur les mœurs/Chapitre 177

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CHAPITRE CLXXVII.

Du gouvernement et des mœurs de l’Espagne depuis Philippe II
jusqu’à Charles II.

On voit, depuis la mort de Philippe II, les monarques espagnols affermir leur pouvoir absolu dans leurs États, et perdre insensiblement leur crédit dans l’Europe. Le commencement de la décadence se fit sentir dès les premières années du règne de Philippe III : la faiblesse de son caractère se répandit sur toutes les parties de son gouvernement. Il était difficile d’étendre toujours des soins vigilants sur l’Amérique, sur les vastes possessions en Asie, sur celles d’Afrique, sur l’Italie, et les Pays-Bas ; mais son père avait vaincu ces difficultés, et les trésors du Mexique, du Pérou, du Brésil, des Indes orientales, devaient surmonter tous les obstacles. La négligence fut si grande, l’administration des deniers publics si infidèle, que, dans la guerre qui continuait toujours contre les Provinces-Unies, on n’eut pas de quoi payer les troupes espagnoles ; elles se mutinèrent, elles passèrent, au nombre de trois mille hommes, sous les drapeaux du prince Maurice. (1604) Un simple stathouder, avec un esprit d’ordre, payait mieux ses troupes que le souverain de tant de royaumes, Philippe III aurait pu couvrir les mers de vaisseaux, et les petites provinces de Hollande et de Zélande en avaient plus que lui : leur flotte lui enlevait les principales îles Moluques (1606), et surtout Amboine, qui produit les plus précieuses épiceries, dont les Hollandais sont restés en possession. Enfin ces sept petites provinces rendaient sur terre les forces de cette vaste monarchie inutiles, et sur mer elles étaient plus puissantes.

(1609) Philippe III, en paix avec la France, avec l’Angleterre, n’ayant la guerre qu’avec cette république naissante, est obligé de conclure avec elle une trêve de douze années, de lui laisser tout ce qui était en sa possession, de lui assurer la liberté du commerce dans les Grandes-Indes, et de rendre enfin à la maison de Nassau ses biens situés dans les terres de la monarchie. Henri IV eut la gloire de conclure cette trêve par ses ambassadeurs. C’est d’ordinaire le parti le plus faible qui désire une trêve, et cependant le prince Maurice ne la voulait pas. Il fut plus difficile de l’y faire consentir que d’y résoudre le roi d’Espagne.

(1609) L’expulsion des Maures fit bien plus de tort à la monarchie. Philippe III ne pouvait venir à bout d’un petit nombre de Hollandais, et il put malheureusement chasser six à sept cent mille Maures de ses États. Ces restes des anciens vainqueurs de l’Espagne étaient la plupart désarmés, occupés du commerce et de la culture des terres, bien moins formidables en Espagne que les protestants ne l’étaient en France, et beaucoup plus utiles, parce qu’ils étaient laborieux dans le pays de la paresse. On les forçait à paraître chrétiens ; l’Inquisition les poursuivait sans relâche. Cette persécution produisit quelques révoltes, mais faibles et bientôt apaisées (1609). Henri IV voulut prendre ces peuples sous sa protection ; mais ses intelligences avec eux furent découvertes par la trahison d’un commis du bureau des affaires étrangères. Cet incident hâta leur dispersion. On avait déjà pris la résolution de les chasser ; ils proposèrent en vain d’acheter de deux millions de ducats d’or la permission de respirer l’air de l’Espagne. Le conseil fut inflexible : vingt mille de ces proscrits se réfugièrent dans des montagnes ; mais n’ayant pour armes que des frondes et des pierres, ils y furent bientôt forcés. On fut occupé, deux années entières, à transporter des citoyens hors du royaume, et à dépeupler l’État. Philippe se priva ainsi des plus laborieux de ses sujets, au lieu d’imiter les Turcs, qui savent contenir les Grecs, et qui sont bien éloignés de les forcer à s’établir ailleurs.

La plus grande partie des Maures espagnols se réfugièrent en Afrique, leur ancienne patrie ; quelques-uns passèrent en France, sous la régence de Marie de Médicis : ceux qui ne voulurent pas renoncer à leur religion s’embarquèrent en France pour Tunis. Quelques familles, qui firent profession du christianisme, s’établirent en Provence, en Languedoc ; il en vint à Paris même, et leur race n’y a pas été inconnue ; mais enfin ces fugitifs se sont incorporés à la nation, qui a profité de la faute de l’Espagne, et qui ensuite l’a imitée dans l’émigration des réformés. C’est ainsi que tous les peuples se mêlent, et que toutes les nations sont absorbées les unes dans les autres, tantôt par les persécutions, tantôt par les conquêtes.

Cette grande émigration, jointe à celle qui arriva sous Isabelle, et aux colonies que l’avarice transplantait dans le nouveau monde, épuisait insensiblement l’Espagne d’habitants, et bientôt la monarchie ne fut plus qu’un vaste corps sans substance. La superstition, ce vice des âmes faibles, avilit encore le règne de Philippe III ; sa cour ne fut qu’un chaos d’intrigues, comme celle de Louis XIII. Ces deux rois ne pouvaient vivre sans favoris, ni régner sans premiers ministres. Le duc de Lerme, depuis cardinal, gouverna longtemps le roi et le royaume : la confusion où tout était le chassa de sa place. Son fils lui succéda, et l’Espagne ne s’en trouva pas mieux.

(1621) Le désordre augmenta sous Philippe IV, fils de Philippe III. Son favori, le comte-duc Olivarès, lui fit prendre le nom de grand à son avènement : s’il l’avait été, il n’eût point eu de premier ministre. L’Europe et ses sujets lui refusèrent ce titre, et quand il eut perdu depuis le Roussillon par la faiblesse de ses armes, le Portugal par sa négligence, la Catalogne par l’abus de son pouvoir, la voix publique lui donna pour devise un fossé, avec ces mots : « Plus on lui ôte, plus il est grand. »

Ce beau royaume était alors peu puissant au dehors, et misérable au dedans. On n’y connaissait nulle police. Le commerce intérieur était ruiné par les droits qu’on continuait de lever d’une province à une autre. Chacune de ces provinces ayant été autrefois un petit royaume, les anciennes douanes subsistaient : ce qui avait été autrefois une loi regardée comme nécessaire devenait un abus onéreux. On ne sut point faire de toutes ces parties du royaume un tout régulier. Le même abus a été introduit en France ; mais il était porté en Espagne à un tel excès qu’il n’était pas permis de transporter de l’argent de province à province. Nulle industrie ne secondait, dans ces climats heureux, les présents de la nature : ni les soies de Valence, ni les belles laines de l’Andalousie et de la Castille, n’étaient préparées par les mains espagnoles. Les toiles fines étaient un luxe très-peu connu. Les manufactures flamandes, reste des monuments de la maison de Bourgogne, fournissaient à Madrid ce que l’on connaissait alors de magnificence. Les étoffes d’or et d’argent étaient défendues dans cette monarchie, comme elles le seraient dans une république indigente qui craindrait de s’appauvrir. En effet, malgré les mines du nouveau monde, l’Espagne était si pauvre que le ministère de Philippe IV se trouva réduit à la nécessité de la monnaie de cuivre, à laquelle on donna un prix presque aussi fort qu’à l’argent : il fallut que le maître du Mexique et du Pérou fît de la fausse monnaie pour payer les charges de l’État. On n’osait, si on en croit le sage Gourville, imposer des taxes personnelles, parce que ni les bourgeois ni les gens de la campagne, n’ayant presque point de meubles, n’auraient jamais pu être contraints à payer. Jamais ce que dit Charles-Quint ne se trouva si vrai : « En France tout abonde, tout manque en Espagne. »

Le règne de Philippe IV ne fut qu’un enchaînement de pertes et de disgrâces, et le comte-duc Olivarès fut aussi malheureux dans son administration que le cardinal de Richelieu fut heureux dans la sienne.

(1625) Les Hollandais, qui commencèrent la guerre à l’expiration de la trêve de douze années, enlèvent le Brésil à l’Espagne ; il leur en est resté Surinam. Ils prennent Mastricht, qui leur est enfin demeuré. Les armées de Philippe sont chassées de la Valteline et du Piémont par les Français, sans déclaration de guerre ; et enfin, lorsque la guerre est déclarée en 1635, Philippe IV est malheureux de tous côtés. L’Artois est envahi (1639) ; la Catalogne entière, jalouse de ses priviléges auxquels il attentait, se révolte, et se donne à la France (1640) ; le Portugal secoue le joug (1641) ; une conspiration aussi bien exécutée que bien conduite mit sur le trône la maison de Bragance. Le premier ministre, Olivarès, eut la confusion d’avoir contribué lui-même à cette grande révolution en envoyant de l’argent au duc de Bragance, pour ne point laisser de prétexte au refus de ce prince de venir à Madrid. Cet argent même servit à payer les conjurés.

La révolution n’était pas difficile. Olivarès avait eu l’imprudence de retirer une garnison espagnole de la forteresse de Lisbonne. Peu de troupes gardaient le royaume. Les peuples étaient irrités d’un nouvel impôt ; et enfin le premier ministre, qui croyait tromper le duc de Bragance, lui avait donné le commandement des armées (11 décembre 1640). La duchesse de Mantoue, vice-reine, fut chassée sans que personne prît sa défense. Un secrétaire d’État espagnol et un de ses commis furent les seules victimes immolées à la vengeance publique. Toutes les villes du Portugal imitèrent l’exemple de Lisbonne presque dans le même jour. Jean de Bragance fut partout proclamé roi sans le moindre tumulte : un fils ne succède pas plus paisiblement à son père. Des vaisseaux partirent de Lisbonne pour toutes les villes de l’Asie et de l’Afrique, pour toutes les îles qui appartenaient à la couronne de Portugal : il n’y en eut aucune qui hésitât à chasser les gouverneurs espagnols. Tout ce qui restait du Brésil, ce qui n’avait point été pris par les Hollandais sur les Espagnols, retourna aux Portugais, et enfin les Hollandais, unis avec le nouveau roi don Juan de Bragance, lui rendirent ce qu’ils avaient pris à l’Espagne dans le Brésil.

Les îles Açores, Mozambique, Goa, Macao, furent animées du même esprit que Lisbonne. Il semblait que la conspiration eût été tramée dans toutes ces villes. On vit partout combien une domination étrangère est odieuse, et en même temps combien peu le ministère espagnol avait pris de mesures pour conserver tant d’États.

On vit aussi comme on flatte les rois dans leurs malheurs, comme on leur déguise des vérités tristes. La manière dont Olivarès annonça à Philippe IV la perte du Portugal est célèbre. « Je viens vous annoncer, dit-il, une heureuse nouvelle : Votre Majesté a gagné tous les biens du duc de Bragance : il s’est avisé de se faire proclamer roi, et la confiscation de ses terres vous est acquise par son crime. » La confiscation n’eut pas lieu. Le Portugal devint un royaume considérable, surtout lorsque les richesses du Brésil commencèrent à lui procurer un commerce qui eût été très-avantageux si l’amour du travail avait pu animer l’industrie de la nation portugaise.

Le comte-duc Olivarès, longtemps le maître de la monarchie espagnole, et l’émule du cardinal de Richelieu, fut enfin disgracié pour avoir été malheureux. Ces deux ministres avaient été longtemps également rois, l’un en France, l’autre en Espagne, tous deux ayant pour ennemis la maison royale, les grands, et le peuple ; tous deux très-différents dans leurs caractères, dans leurs vertus, et dans leurs vices ; le comte-duc aussi réservé, aussi tranquille, et aussi doux, que le cardinal était vif, hautain et sanguinaire. Ce qui conserva Richelieu dans le ministère, et ce qui lui donna presque toujours l’ascendant sur Olivarès, ce fut son activité. Le ministre espagnol perdit tout par sa négligence ; il mourut de la mort des ministres déplacés : on dit que le chagrin les tue ; ce n’est pas seulement le chagrin de la solitude après le tumulte, mais celui de sentir qu’ils sont haïs et qu’ils ne peuvent se venger. Le cardinal de Richelieu avait abrégé ses jours d’une autre manière, par les inquiétudes qui le dévorèrent dans la plénitude de sa puissance.

Avec toutes les pertes que fit la branche d’Autriche espagnole, il lui resta encore plus d’États que le royaume d’Espagne n’en possède aujourd’hui. Le Milanais, la Flandre, la Franche-Comté, le Roussillon, Naples et Sicile, appartenaient à cette monarchie ; et, quelque mauvais que fût son gouvernement, elle fit encore beaucoup de peine à la France jusqu’à la paix des Pyrénées.

La dépopulation de l’Espagne a été si grande que le célèbre Ustariz, homme d’État, qui écrivait en 1723 pour le bien de son pays, n’y compte qu’environ sept millions d’habitants, un peu moins des deux cinquièmes de ceux de la France ; et en se plaignant de la diminution des citoyens, il se plaint aussi que le nombre des moines soit toujours resté le même. Il avoue que les revenus du maître des mines d’or et d’argent ne se montaient pas à quatre-vingts millions de nos livres d’aujourd’hui.

Les Espagnols, depuis le temps de Philippe II jusqu’à Philippe IV, se signalèrent dans les arts de génie. Leur théâtre, tout imparfait qu’il était, l’emportait sur celui des autres nations ; il servit de modèle à celui d’Angleterre, et lorsque ensuite la tragédie commença à paraître en France avec quelque éclat, elle emprunta beaucoup de la scène espagnole. L’histoire, les romans agréables, les fictions ingénieuses, la morale, furent traités en Espagne avec un succès qui passa beaucoup celui du théâtre ; mais la saine philosophie y fut toujours ignorée. L’Inquisition et la superstition y perpétuèrent les erreurs scolastiques ; les mathématiques y furent peu cultivées, et les Espagnols, dans leurs guerres, employèrent presque toujours des ingénieurs italiens. Ils eurent quelques peintres du second rang, et jamais d’école de peinture. L’architecture n’y fit point de grands progrès : l’Escurial fut bâti sur les dessins d’un Français. Les arts mécaniques y étaient tous très-grossiers. La magnificence des grands seigneurs consistait dans de grands amas de vaisselle d’argent, et dans un nombreux domestique. Il régnait chez les grands une générosité d’ostentation qui en imposait aux étrangers, et qui n’était en usage que dans l’Espagne : c’était de partager l’argent qu’on gagnait au jeu avec tous les assistants, de quelque condition qu’ils fussent. Montrésor rapporte que quand le duc de Lerme reçut Gaston, frère de Louis XIII, et sa suite dans les Pays-Bas, il étala une magnificence bien plus singulière. Ce premier ministre, chez qui Gaston resta plusieurs jours, faisait mettre après chaque repas deux mille louis d’or sur une grande table de jeu. Les suivants de Monsieur, et ce prince lui-même, jouaient avec cet argent.

Les fêtes des combats de taureaux étaient très-fréquentes, comme elles le sont encore aujourd’hui ; et c’était le spectacle le plus magnifique et le plus galant, comme le plus dangereux. Cependant rien de ce qui rend la vie commode n’était connu. Cette disette de l’utile et de l’agréable augmenta depuis l’expulsion des Maures. De là vient qu’on voyage en Espagne comme dans les déserts de l’Arabie, et que dans les villes on trouve peu de ressource. La société ne fut pas plus perfectionnée que les arts de la main. Les femmes, presque aussi renfermées qu’en Afrique, comparant cet esclavage avec la liberté de la France, en étaient plus malheureuses. Cette contrainte avait perfectionné un art ignoré parmi nous, celui de parler avec les doigts : un amant ne s’expliquait pas autrement sous les fenêtres de sa maîtresse, qui ouvrait en ce moment-là ces petites grilles de bois nommées jalousies, tenant lieu de vitres, pour lui répondre dans la même langue. Tout le monde jouait de la guitare, et la tristesse n’en était pas moins répandue sur la face de l’Espagne. Les pratiques de dévotion tenaient lieu d’occupation à des citoyens désœuvrés.

On disait alors que la fierté, la dévotion, l’amour, et l’oisiveté, composaient le caractère de la nation ; mais aussi il n’y eut aucune de ces révolutions sanglantes, de ces conspirations, de ces châtiments cruels, qu’on voyait dans les autres cours de l’Europe. Ni le duc de Lerme, ni le comte Olivarès, ne répandirent le sang de leurs ennemis sur les échafauds ; les rois n’y furent point assassinés comme en France, et ne périrent point par la main du bourreau, comme en Angleterre. Enfin sans les horreurs de l’Inquisition on n’aurait eu alors rien à reprocher à l’Espagne.

Après la mort de Philippe IV, arrivée en 1666, l’Espagne fut très-malheureuse. Marie d’Autriche, sa veuve, sœur de l’empereur Léopold, fut régente dans la minorité de don Carlos, ou Charles II du nom, son fils. Sa régence ne fut pas si orageuse que celle d’Anne d’Autriche en France ; mais elles eurent ces tristes conformités que la reine d’Espagne s’attira la haine des Espagnols pour avoir donné le ministère à un prêtre étranger, comme la reine de France révolta l’esprit des Français pour les avoir mis sous le joug d’un cardinal italien ; les grands de l’État s’élevèrent dans l’une et dans l’autre monarchie contre ces deux ministres, et l’intérieur des deux royaumes fut également mal administré.

Le premier ministre qui gouverna quelque temps l’Espagne, dans la minorité de don Carlos, ou Charles II, était le jésuite Évrard Nitard, Allemand, confesseur de la reine, et grand-inquisiteur. L’incompatibilité que la religion semble avoir mise entre les vœux monastiques et les intrigues du ministère excita d’abord les murmures contre le jésuite.

Son caractère augmenta l’indignation publique. Nitard, capable de dominer sur sa pénitente, ne l’était pas de gouverner un État, n’ayant rien d’un ministre et d’un prêtre que la hauteur et l’ambition, et pas même la dissimulation : il avait osé dire un jour au duc de Lerme, même avant de gouverner : « C’est vous qui me devez du respect ; j’ai tous les jours votre Dieu dans mes mains, et votre reine à mes pieds. » Avec cette fierté si contraire à la vraie grandeur, il laissait le trésor sans argent, les places de toute la monarchie en ruine, les ports sans vaisseaux, les armées sans discipline, destituées de chefs qui sussent commander : c’est là surtout ce qui contribua aux premiers succès de Louis XIV, quand il attaqua son beau-frère et sa belle-mère en 1667, et qu’il leur ravit la moitié de la Flandre et toute la Franche-Comté.

On se souleva contre le jésuite, comme en France on s’était soulevé contre Mazarin. Nitard trouva surtout dans don Juan d’Autriche, bâtard de Philippe IV, un ennemi aussi implacable que le grand Condé le fut du cardinal. Si Condé fut mis en prison, don Juan fut exilé. Ces troubles produisirent deux factions qui partagèrent l’Espagne ; cependant il n’y eut point de guerre civile. Elle était sur le point d’éclater, lorsque la reine la prévint en chassant, malgré elle, le P. Nitard, ainsi que la reine Anne d’Autriche fut obligée de renvoyer Mazarin, son ministre ; mais Mazarin revint plus puissant que jamais ; le P. Nitard, renvoyé en 1669, ne put revenir en Espagne. La raison en est que la régente d’Espagne eut un autre confesseur qui s’opposait au retour du premier, et la régente de France n’eut point de ministre qui lui tînt lieu de Mazarin.

Nitard alla à Rome, où il sollicita le chapeau de cardinal, qu’on ne donne point à des ministres déplacés. Il y vécut peu accueilli de ses confrères, qui marquent toujours quelque ressentiment à quiconque s’est élevé au-dessus d’eux. Mais enfin il obtint par ses intrigues, et par la faveur de la reine d’Espagne, cette dignité de cardinal, que tous les ecclésiastiques ambitionnent ; alors ses confrères les jésuites devinrent ses courtisans.

Le règne de don Carlos, Charles II, fut aussi faible que celui de Philippe III et de Philippe IV, comme vous le verrez dans le Siècle de Louis XIV[1].

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  1. Chapitre xvii.