Eugène Pottier franc-maçon

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Chants révolutionnairesAu bureau du Comité Pottier (p. xi-xv).


EUGÈNE POTTIER FRANC-MAÇON




Connaissant de longue date, — j’arrive bientôt au cinquantenaire de mon initiation, — l’esprit de solidarité qui unit les enfants de la Grande famille, j’ai pensé qu’il était de notre devoir de l’associer à l’œuvre entreprise en faveur de notre F∴ Pottier et de nos sœurs : sa veuve et sa fille, empêchées toutes les deux de subvenir aux nécessités de la vie, l’une par l’âge, l’autre par la maladie, et, pour faire con-naître Eugène Pottier franc-maçon, j’ai demandé au dévoué secrétaire-trésorier du Comité Pottier, au F∴ Élie May, pour la joindre à ce livre, la note suivante, relatant ses souvenirs sur l’initiation Maçonnique de l’auteur des Chants révolutionnaires.

Le Président du Comité Pottier :
Edm. Goupil ∴
Ancien Grand Maître du Rite écossais réformé,
supprimé par l’Empire,
Ancien Vénérable de la Loge l’Alliance fraternelle,
Membre de la Loge La Justice no 133, Or. de Paris.


Son Initiation


J’ai eu le grand honneur d’initier Eugène Pottier à la Franc-Maçonnerie.

C’était en 1875 : un groupe de proscrits de la Commune venait de fonder, à New-York, la Loge Les Égalitaires.

La place d’Eugène Pottier était toute marquée au milieu de nous.

J’ai conservé soigneusement sa demande d’admission et, pour répondre au désir du Président du Comité, il me semble qu’il n’y a rien de mieux à faire que de la publier textuellement.

Tous commentaires seraient, en effet, superflus et ne feraient qu’affaiblir la force de cette éloquente profession de foi de mon ami Eugène Pottier.

C’est lui qui parle, c’est lui qui se révèle ici tel qu’il fut. Je n’ajouterai pas un mot !…


Le Secrétaire-Trésorier du Comité Pottier,
Élie May


Vénérable d’honneur de la R∴ L∴ Les Trinitaires,
O∴ de Paris,
Membre du Conseil fédéral de la Grande Loge de France.


Demande d’admission
d’Eugène Pottier


New-York, 2 décembre 1875.


« Citoyens,


« Je demande à participer aux travaux de la Maçonnerie et à être admis dans votre Loge.

« Je sais qu’elle est composée d’un groupe de libres penseurs qui, ayant fait table rase des traditions et ne reconnaissant rien de supérieur à la Raison humaine, emploient consciencieusement la leur à la recherche de la Vérité et de la Justice.

« Je crois comme vous que le bonheur de l’Humanité ne peut avoir d’autres bases. La Science, dégagée de toute entrave dogmatique, marche de jour en jour à la découverte des lois de notre nature et prépare ainsi le code social ; l’Humanité, pour entrer dans sa voie normale, doit se créer à notre propre image, c’est-à-dire devenir comme l’homme, une et multiple : une par l’action, multiple par les organes.

« Cette transformation de l’universel conflit en Harmonie universelle, ne peut s’opérer que dans une phase d’égalité réelle ; non pas égalité mensongère de droits, mais égalité de lumière et de bien-être.

« Ces quelques mots me serviront de profession de foi, et je crois que ma vie en prouve la sincérité.

« Je suis né à Paris, le 4 octobre 1816, d’une mère dévote et d’un père bonapartiste. À l’école des frères jusqu’à dix ans et à l’école primaire jusqu’à douze, — c’est à mes lectures de jeune homme que je dois d’être sorti de cette double ornière sans m’y embourber.

« En 1832 j’étais républicain, en 1840 socialiste. J’ai pris une part obscure aux révolutions de 1848 : février et juin.

« Du coup d’État au 4 septembre je demeurai intransigeant : pactiser avec les assassins du Droit, c’est se prostituer.

« Après plus de trente ans de prolétariat, je m’établis dessinateur en 1864. Les dessinateurs industriels n’avaient pas alors de chambre syndicale. À mon instigation, ils en fondèrent une qui comptait cinq cents membres avant la guerre et qui adhéra en bloc à la fédération de l’Internationale.

« C’est à ma coopération à ce mouvement que je dus d’être élu membre de la Commune dans le IIe arrondissement. Jusqu’au 28 mai j’y exerçai les fonctions de maire. Après la prise de la mairie par les Versaillais je me repliai sur le XIe arrondissement.

« J’avais accepté sans réserve le programme de la Révolution du 18 mars :

 
« Autonomie de la Commune.
« Émancipation du travailleur.


« Je crois, dans toute cette période, avoir accompli mon devoir.

« Dans la lutte où tous les citoyens dévoués ont perdu leur vie ou leur liberté, je m’estime favorisé de n’avoir perdu que ma fortune. J’ai passé deux ans d’exil à Londres et deux ans à Boston, tâchant d’honorer par le travail ma pauvreté et la proscription.

« C’est à Paris, dans les derniers jours de la lutte, quand j’ai vu, au milieu des transports d’enthousiasme, le spectacle grandiose de la Maçonnerie adhérant à la Commune et plantant ses bannières sur nos murailles éventrées d’obus ; c’est alors que je me suis juré d’être un jour un des compagnons de cette phalange laborieuse.

« Je me présente à son chantier.

« Embauchez-moi !


Eugène Pottier

« 238. East 30th Street. »