Examen important de Milord Bolingbroke/Édition Garnier/Chapitre 31

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Examen important de Milord BolingbrokeGarniertome 26 (p. 279-282).
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CHAPITRE XXXI.

ARIANISME ET ATHANASIANISME.

Qu’un Juif nommé Jésus ait été semblable à Dieu, ou consubstantiel à Dieu, cela est également absurde et impie.

Qu’il y ait trois personnes dans une substance, cela est également absurde.

Qu’il y ait trois dieux dans un dieu, cela est également absurde.

Rien de tout cela n’était un système chrétien, puisque rien de toute cette doctrine ne se trouve dans aucun Évangile, seul fondement reconnu du christianisme. Ce ne fut que quand on voulut platoniser qu’on se perdit dans ces idées chimériques. Plus le christianisme s’étendit, plus ses docteurs se fatiguèrent à le rendre incompréhensible. Les subtilités sauvèrent ce que le fond avait de bas et de grossier.

Mais à quoi servent toutes ces imaginations métaphysiques ? Qu’importe à la société humaine, aux mœurs, aux devoirs, qu’il y ait en Dieu une personne ou trois ou quatre mille ? En sera-t-on plus homme de bien pour prononcer des mots qu’on n’entend pas ? La religion, qui est la soumission à la Providence, et l’amour de la vertu, a-t-elle donc besoin de devenir ridicule pour être embrassée ?

Il y avait déjà longtemps qu’on disputait sur la nature du Logos, du verbe inconnu, quand Alexandre, pape d’Alexandrie, souleva contre lui l’esprit de plusieurs papes, en prêchant que la Trinité était une monade. Au reste, ce nom de pape était donné indistinctement alors aux évêques et aux prêtres. Alexandre était évêque ; le prêtre Arius se mit à la tête des mécontents : il se forma deux partis violents ; et la question ayant bientôt changé d’objet, comme il arrive souvent, Arius soutint que Jésus avait été créé, et Alexandre qu’il avait été engendré.

Cette dispute creuse ressemblait assez à celle qui a divisé depuis Constantinople, pour savoir si la lumière que les moines voyaient à leur nombril était celle du Thabor, et si la lumière du Thabor et de leur nombril était créée ou éternelle.

Il ne fut plus question de trois hypostases entre les disputants. Le Père et le Fils occupèrent les esprits, et le Saint-Esprit fut négligé.

Alexandre fit excommunier Arius par son parti. Eusèbe, évêque de Nicomédie, protecteur d’Arius, assembla un petit concile où l’on déclara erronée la doctrine qui est aujourd’hui l’orthodoxe ; la querelle devint violente ; l’évêque Alexandre, et le diacre Athanase, qui se signalait déjà par son inflexibilité et par ses intrigues, remuèrent toute l’Égypte. L’empereur Constantin était despotique et dur ; mais il avait du bon sens : il sentit tout le ridicule de la dispute.

On connaît assez cette fameuse lettre qu’il fit porter par Osius aux chefs des deux factions. « Ces questions, dit-il, ne viennent que de votre oisiveté curieuse ; vous êtes divisés pour un sujet bien mince. Cette conduite est basse et puérile, indigne d’hommes sensés. » La lettre les exhortait à la paix ; mais il ne connaissait pas encore les théologiens.

Le vieil Osius conseilla à l’empereur d’assembler un concile nombreux. Constantin, qui aimait l’éclat et le faste, convoqua l’assemblée à Nicée. Il y parut comme en triomphe avec la robe impériale, la couronne en tête, et couvert de pierreries. Osius y présida comme le plus ancien des évêques. Les écrivains de la secte papiste ont prétendu depuis que cet Osius n’avait présidé qu’au nom du pape de Rome Silvestre. Cet insigne mensonge, qui doit être placé à côté de la donation de Constantin, est assez confondu par les noms des députés de Silvestre, Titus et Vincent, chargés de sa procuration. Les papes romains étaient à la vérité regardés comme les évêques de la ville impériale, et comme les métropolitains des villes suburbicaires dans la province de Rome ; mais ils étaient bien loin d’avoir aucune autorité sur les évêques de l’Orient et de l’Afrique.

Le concile, à la plus grande pluralité des voix, dressa un formulaire dans lequel le nom de Trinité n’est pas seulement prononcé. « Nous croyons en un seul Dieu et en un seul Seigneur Jésus-Christ, fils unique de Dieu, engendré du Père, et non fait consubstantiel au Père. » Après ces mots inexplicables, on met, par surérogation : « Nous croyons aussi au Saint-Esprit, » sans dire ce que c’est que ce Saint-Esprit, s’il est engendré, s’il est fait, s’il est créé, s’il procède, s’il est consubstantiel. Ensuite on ajoute : « Anathème à ceux qui disent qu’il y a eu un temps où le Fils n’était pas. »

Mais ce qu’il y eut de plus plaisant au concile de Nicée, ce fut la décision sur quelques livres canoniques. Les Pères étaient fort embarrassés sur le choix des Évangiles et des autres écrits. On prit le parti de les entasser tous sur un autel, et de prier le Saint-Esprit de jeter à terre tous ceux qui n’étaient pas légitimes. Le Saint-Esprit ne manqua pas d’exaucer sur-le-champ la requête de Pères[1]. Une centaine de volumes tombèrent d’eux-mêmes sous l’autel ; c’est un moyen infaillible de connaître la vérité, et c’est ce qui est rapporté dans l’Appendix des actes de ce concile : c’est un des faits de l’histoire ecclésiastique les mieux avérés.

Notre savant et sage Middleton a découvert une chronique d’Alexandrie, écrite par deux patriarches d’Égypte, dans laquelle il est dit que non-seulement dix-sept évêques, mais encore deux mille prêtres, protestèrent contre la décision du concile.

Les évêques vainqueurs obtinrent de Constantin qu’il exilât Arius et trois ou quatre évêques vaincus ; mais ensuite Athanase ayant été élu évêque d’Alexandrie, et ayant trop abusé du crédit de sa place, les évêques et Arius exilés furent rappelés, et Athanase exilé à son tour. De deux choses l’une, ou les deux partis avaient également tort, ou Constantin était très-injuste. Le fait est que les disputeurs de ce temps-là étaient des cabaleurs comme ceux de ce temps-ci, et que les princes du ive siècle ressemblaient à ceux du nôtre, qui n’entendent rien à la matière, ni eux, ni leurs ministres, et qui exilent à tort et à travers. Heureusement nous avons ôté à nos rois le pouvoir d’exiler ; et si nous n’avons pu guérir dans nos prêtres la rage de cabaler, nous avons rendu cette rage inutile.

Il y eut un concile à Tyr, où Arius fut réhabilité, et Athanase condamné. Eusèbe de Nicomédie allait faire entrer pompeusement son ami Arius dans l’église de Constantinople ; mais un saint catholique, nommé Macaire, pria Dieu avec tant de ferveur et de larmes de faire mourir Arius d’apoplexie que Dieu, qui est bon, l’exauça. Ils disent que tous les boyaux d’Arius lui sortirent par le fondement ; cela est difficile : ces gens-là n’étaient pas anatomistes. Mais saint Macaire ayant oublié de demander la paix de l’Église chrétienne, Dieu ne la donna jamais. Constantin, quelque temps après, mourut entre les bras d’un prêtre arien ; apparemment que saint Macaire avait encore oublié de prier Dieu pour le salut de Constantin.

  1. Cela est rapporté dans l’Appendix des actes du concile, pièce qui a toujours été réputée authentique. (Note de Voltaire, 1771.)