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Expérience et Prédiction/I/§ 8. Discussion de la théorie de la vérifiabilité de la signification

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§ 8. Discussion de la théorie de la vérifiabilité de la signification

Nous devons maintenant examiner certaines objections qui peuvent être soulevées contre la théorie de la vérifiabilité de la signification. Puisque ce terme doit inclure à la fois la théorie de la vérité et la théorie probabiliste de la signification, nous parlons ici des objections soulevées contre les deux théories en commun ; une telle discussion commune est possible parce que la théorie probabiliste est une expansion continue de la théorie de la vérité de la signification.

Les objections habituelles partent du fait que le concept de signification est fréquemment utilisé sans référence particulière à la vérification. Les poètes parlent des mythes anciens, les religieux de Dieu et des cieux, les scientifiques de l’origine possible du monde, sans s’intéresser à la question de la vérification. Ils conviennent peut-être que, dans ces cas, la vérification est hors de portée de l’homme, mais ils sont convaincus que, malgré cela, leurs idées ont au moins une signification. Ils voient même des images avec « l’œil de l’esprit » et sont sûrs d’avoir une idée claire de ce qu’ils veulent dire. Ce fait psychologique n’est-il pas une preuve contre le lien entre signification et vérifiabilité ?

À cela, il faut répondre que les cas considérés n’ont pas un caractère uniforme et doivent être soigneusement classés. Il existe de nombreux cas dans lesquels il faut nier non pas la vérifiabilité, mais la vérité. Les histoires inventées par les poètes et les vieux mythes ne sont certainement pas vraies ; et c’est justement pour cette raison qu’elles sont vérifiables, ce terme ne désignant que la qualité neutre selon laquelle il est possible de déterminer si elles sont vraies ou fausses. Ces cas ne sont donc pas des exemples de séparation entre signification et vérifiabilité. D’un autre côté, il y a des cas où la vérifiabilité est remise en question, comme dans le cas de nombreuses affirmations religieuses que leurs adeptes avancent souvent en prétendant qu’aucune connaissance humaine ne pourra jamais en vérifier la véracité.

Nous faisons ici principalement référence au mysticisme religieux qui, de tout temps, a exercé une grande influence sur les hommes, mais dont les doctrines ne peuvent être mesurées à l’échelle de la vérité scientifique. Les discours des prophètes religieux sont souvent tels que les étrangers ne les comprennent pas du tout, tandis que les croyants sont élevés à la plus haute exaltation ; ou, s’il y a un sens ordinaire dans les mots utilisés, il est soutenu par les adhérents que cette partie vérifiable de la doctrine n’est pas la signification essentielle — qu’il y a une signification « supérieure » qui n’a rien à voir avec la vérifiabilité.

Avant d’entrer dans l’analyse de cette conception, on peut faire une remarque générale. Si l’on entend contester aux mystiques le droit de parler de leur discours comme étant pourvu de signification, il ne s’agit pas de remettre en cause la pertinence que leurs énoncés peuvent avoir pour eux-mêmes ou pour leurs auditeurs. Ce serait faire preuve d’un intellectualisme naïf que de contester la valeur morale et esthétique que la mystique peut avoir et a effectivement eu dans l’histoire de l’esprit humain. Mais si les paroles mystiques peuvent avoir une signifiance, cela n’implique pas qu’elles aient aussi une signification. La musique a, elle aussi, un effet de premier ordre sur les hommes et peut être l’un des meilleurs moyens d’éducation spirituelle et morale. Mais nous ne parlons pas de la signification de la musique. Dans ce cas, l’absence de la propriété « signification » est évidente car la musique ne possède pas les formes extérieures du langage. Les énoncés mystiques, cependant, présentent de telles formes ; c’est la raison pour laquelle le caractère émotionnel et éducatif de ces énoncés peut être confondu avec ce que nous appelons « signification ».

Il est vrai que le langage n’est pas toujours utilisé dans l’intention de communiquer quelque chose à d’autres personnes. Le langage peut être utilisé dans le but d’influencer les personnes, de susciter en elles certains états d’âme que l’on souhaite voir naître chez elles ; et le langage peut être un bon instrument pour cela, parfois même meilleur que la musique, qui, si elle n’est pas accompagnée de paroles, peut n’avoir que des effets incomplets. Un bon prédicateur peut susciter, par son sermon, des sentiments de dévotion, de pénitence, de contrition, ou l’impulsion à une vie conforme aux conceptions morales de l’Église ; et l’effet des chants qui l’accompagnent peut être confiné à un rôle subalterne par rapport à son discours. Un homme politique, par son discours, peut imposer son opinion à une assemblée, même si des réflexions rationnelles réfuteraient ses vues. Le langage familier n’est jamais totalement exempt d’une telle composante suggestive — qu’il s’agisse de la suggestion contenue dans le discours d’un vendeur à un client, dans le discours d’un professeur à son élève ou dans le discours d’un ami à un ami. Mais la fonction suggestive du langage doit être logiquement séparée de sa fonction communicative, c’est-à-dire de sa fonction d’information des autres personnes sur certains faits ou relations entre les faits.

Il existe encore une troisième fonction du langage qui doit être distinguée de sa fonction communicative. Le langage peut nous libérer d’une contrainte intérieure, détendre un esprit tendu — qu’il s’agisse de l’oppression causée par des douleurs physiques ou psychiques, de la tension délicieuse de la joie, ou de la contrainte nerveuse des situations productives d’un esprit créateur. La fonction relaxante s’exprime sous des formes très diverses : le « Oh » prononcé lorsqu’une aiguille nous pique le doigt, un air sifflé à soi-même, les vers qui libèrent la tension émotionnelle d’un poète. Cette fonction relaxante du langage est aussi différente de la fonction communicative que l’est la fonction suggestive ; elle peut montrer des relations avec cette dernière en assumant une fonction autosuggestive, comme dans le cas d’un enfant qui parle fort en entrant seul dans une chambre obscure. Nous pouvons combiner ces deux fonctions, la fonction suggestive et la fonction relaxante, dans le terme de fonctions émotionnelles, en indiquant que c’est la sphère émotionnelle qui est concernée, et en laissant ouverte la possibilité d’ajouter d’autres fonctions d’un caractère similaire.[1]

Il ne s’agit pas ici de montrer pourquoi les fonctions émotionnelles sont si bien remplies par l’utilisation d’énoncés qui ont en même temps un caractère communicatif ; ce qui nous intéresse, c’est la question de la détermination logique de la fonction communicative. Cette détermination n’est pas exempte d’arbitraire ; mais il me semble qu’il y a deux facteurs indispensables à une telle définition si l’on veut qu’elle corresponde à l’usage de la parole dans la vie pratique.

Le premier est qu’une fonction communicative ne commence que lorsqu’il y a certaines règles établies pour l’utilisation des termes. Nous avons parlé de la fonction relaxante que le mot « Oh » peut avoir pour une personne piquée par une aiguille ; imaginez maintenant une personne assise dans le fauteuil d’un dentiste et recevant l’ordre d’indiquer toute sensation de douleur causée par la fraise. Le « Oh » prononcé dans ce cas — sans perdre, heureusement, sa fonction relaxante — possède en même temps une fonction communicative ; il communique au dentiste le fait que sa fraise a percé la fine surface de l’émail de la dent. Ce « Oh » est une phrase dotée de signification ; il l’est parce qu’il s’agit d’un énoncé en correspondance avec les règles établies par l’ordre du dentiste. C’est l’adaptation à certaines règles qui transforme un énoncé à caractère relaxant en un énoncé à caractère communicatif, c’est-à-dire en une proposition (cf. aussi § 2).

Les règles dont nous parlons sont arbitraires dans de larges limites ; mais il y a une propriété — et c’est le deuxième facteur essentiel que nous voulons indiquer — que nous exigeons pour qu’elles puissent être appelées règles déterminant une signification. Cette propriété est l’occurrence de quelque chose comme une valeur de vérité. Pour cela, nous n’exigeons pas la vérité absolue ; notre prédicat de poids est un représentant suffisant de ce qui doit être exigé ici. Mais une telle détermination doit se produire ; nous devons être capables d’approuver ou de nier une phrase, ou du moins de l’approuver dans une certaine mesure. Il n’y a jamais eu, en effet, de théorie de la signification qui contredise ce postulat. Les énoncés mystiques sont présentés par leurs adeptes avec une telle prétention, et même avec des revendications à un degré de vérité extrêmement élevé ; car les mystiques parlent de la vérité absolue de leurs doctrines. C’est justement pour cette raison qu’ils distinguent leur discours des stimuli émotionnels tels que la musique. La musique, même si elle est suggestive, excitante, puissante, n’est pas vraie, alors que le discours d’un mystique prétend être vrai, absolument vrai.

Si la théorie de la vérifiabilité de la signification est ensuite remise en question par des philosophes qui veulent soutenir le mysticisme, ou tout autre type de vérité « non physique », ce n’est pas le prédicat de la valeur de vérité qui est attaqué par eux. Ce qu’ils attaquent, c’est la vérifiabilité de telles propositions ; ils ne reconnaissent pas qu’il doit toujours être possible de déterminer la valeur de vérité par des méthodes d’observation. L’homme religieux soutient que ses affirmations concernant Dieu, le jour du jugement, etc. sont vraies, mais admet qu’il n’y a pas de possibilité de prouver leur vérité de manière empirique. C’est donc la différence entre l’existence de la valeur de vérité et la déterminabilité empirique d’une valeur de vérité qui constitue l’objet de toute discussion concernant la théorie de la vérifiabilité de la signification.

Avec cette formulation, le problème de la définition de la signification acquiert une forme plus précise. Nous avons distingué trois types de signification que nous avons appelés signification de vérité physique, signification de probabilité et signification logique. Introduisons un quatrième terme pour le type de signification présupposée dans le discours religieux ou mystique ; appelons-le signification supra-empirique. Les adeptes de ce type de signification, avons-nous dit, ne contredisent pas l’idée qu’un énoncé doit être vrai ou faux ; ils n’admettent pas, cependant, que les méthodes habituelles de la science empirique soient le seul moyen de déterminer une valeur de vérité. Ils opposent donc la signification supra-empirique à la signification empirique, regroupant dans ce dernier terme les trois autres types de signification mentionnés. L’ordre logique des quatre types de signification peut être indiqué par le schéma de la figure 1 ; si l’on considère les classes de propositions admises comme signifiantes par chacune de ces définitions, leurs extensions forment des domaines qui s’incluent ou sont inclus les uns dans les autres.

Il nous faut maintenant analyser la question du choix entre signification empirique et signification supra-empirique. Cette question, nous devons l’admettre, ne peut être soulevée sous la forme d’une interdiction ou d’une autorisation de décider d’une signification supra-empirique. Nous avons précisé que la question de la signification n’est pas une question de caractère de vérité, mais de définition et, par conséquent, de décision volitive ; ainsi, la question de l’interdiction ou de l’autorisation d’un usage ou d’un autre ne peut pas être soulevée. Comme nous l’avons souligné au § 1, il y a en revanche, sur le caractère de vérité, deux questions liées à la décision. Elles concernent la décision effectivement utilisée en science, et ce que nous appelons les « décisions induites ». La première de ces questions ne nous intéresse pas pour l’instant ; nous voulons faire un choix, décider d’une définition. C’est donc la seconde question, celle des décisions impliquées, qu’il nous faut soulever ; ce n’est qu’en répondant à

cette question que nous trouverons une base pour régler la question du lien entre signification et vérifiabilité.

Les positivistes ont avancé l’idée que les énoncés qui ont une signification supra-empirique sont vides ; nous prétendons, dit-on, signifier quelque chose, mais nous ne signifions rien. Je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une réfutation claire. Il est difficile de convaincre une personne que ses paroles ne signifient rien ; c’est parce que la reconnaissance de cette contention dépend de la définition des termes « signification de quelque chose » et « signification de rien ». Dans quelles conditions un énoncé est-il vide ? Si c’est le cas lorsqu’un énoncé n’est pas vérifiable, alors bien sûr la signification super-empirique est vide ; mais comment pourrions-nous convaincre une personne qu’elle devrait accepter cette définition du vide ? Les arguments de ce type sont des argumenta ad hominem ; ils peuvent persuader certaines personnes, mais ils ne clarifient pas le problème.

La question des décisions qui en découlent est claire et sans ambiguïté. Elle conduit à une distinction indubitable entre les questions pertinentes pour les décisions en faveur d’une signification empirique ou super-empirique.

Pour mener à bien cette analyse, nous devons d’abord introduire une classification des déclarations super-empiriques. Regroupons dans une classe toutes les significations pour lesquelles on soutient que nous n’avons aucun moyen de connaître leur valeur de vérité ; dans l’autre classe, nous mettons toutes les significations dont la valeur de vérité est connue, mais par des méthodes super-empiriques.

En ce qui concerne la première de ces deux classes, nous pouvons maintenant indiquer une propriété qui la distingue des énoncés empiriques. Cette propriété concerne l’applicabilité de ces énoncés à des fins d’action. Si nous voulons utiliser un énoncé dans la poursuite d’une certaine action, nous devons connaître sa valeur de vérité, ou du moins, son poids. Nous n’avons pas l’intention de dire que les énoncés dont la valeur de vérité est connue sont une base suffisante pour les actions ; nous avons expliqué précédemment (§3) qu’une action présuppose toujours une décision volitive concernant un but. Mais en plus de cette fixation du but, nous avons besoin d’une certaine connaissance, c’est-à-dire d’énoncés ayant un caractère de vérité, pour atteindre le but ; ils indiquent la voie de la réalisation. Or, il est évident que cette fonction ne peut être remplie que par des énoncés dont la valeur de vérité ou le poids est connu. Il s’ensuit que les énoncés de notre première classe d’énoncés super-empiriques ne peuvent jamais servir de base à des actions.

Passons maintenant à la deuxième catégorie. Il semble que l’inapplicabilité de ces énoncés aux actions ne puisse être maintenue. La croyance religieuse a été historiquement la source de nombreuses actions, et même d’actions de la plus grande importance. Les idées selon lesquelles le monde est une création de Dieu, que Dieu est omnipotent et omniprésent, qu’il y a une vie après la mort, etc. ont joué un grand rôle dans l’histoire de l’humanité. Il est vrai qu’il est impossible de donner des preuves empiriques de ces affirmations, mais il y a toujours eu des adeptes de ces idées tellement convaincus de leur vérité super-empirique qu’ils n’hésitaient pas à mener des guerres, à tuer des gens ou à sacrifier leur propre vie, lorsque la reconnaissance de ces affirmations l’exigeait.

Pour analyser ce problème, il faut d’abord souligner que tous les énoncés religieux ne sont pas dépourvus de signification empirique. L’affirmation de la vie après la mort implique des expériences futures semblables à celles que nous avons dans la vie ordinaire ; si nous devons contester sa signification de vérité physique, nous ne pouvons pas nier sa signification logique. De telles affirmations peuvent devenir des bases d’actions si elles sont supposées vraies ; car, pour qu’une affirmation devienne une base d’actions, il suffit que nous la pensions vraie. Si l’homme primitif dépose des jarres contenant de la nourriture et de l’eau dans les tombes de ses amis, cette action est correctement dérivée de sa croyance que ses amis continueront à vivre après la mort. Dans un tel cas, notre enquête doit prendre une autre direction ; nous devons nous demander s’il existe des méthodes pour découvrir la valeur de vérité des énoncés ayant une signification logique. La réponse est donnée dans la discussion sur les méthodes scientifiques ; il y est montré que cela n’est possible que s’il existe au moins des inférences probabilistes à de tels énoncés, c’est-à-dire s’ils appartiennent à la partie de la signification logique qui coïncide avec la signification de la probabilité. Si tel est le cas, nous ne pouvons admettre qu’il existe une détermination super-empirique de leur poids, différente d’une détermination par des méthodes empiriques. D’autre part, pour le domaine de la signification purement logique, il n’y a pas de possibilité de déterminer la valeur de vérité, ou le poids ; il s’ensuit que les inférences dérivées de tels énoncés et conduisant à des actions sont fausses — qu’elles sont tout simplement une fausse justification des actions. Cela ne signifie pas que l’énoncé est faux, mais que la justification est fausse ; la valeur de vérité de l’énoncé est inconnue et c’est précisément pour cette raison qu’aucune inférence concernant les actions ne peut en être déduite. Le statut de ce type d’affirmation est donc réglé par des réflexions relevant de la discussion scientifique, et nous pouvons abandonner toute discussion à ce sujet.

Ce qui est plus important pour nous, c’est la discussion sur les énoncés véritablement super-empiriques, c’est-à-dire les énoncés qui n’ont même pas de signification logique. C’est la deuxième catégorie de ces énoncés, ceux qui sont considérés comme vrais, que nous devons maintenant examiner.

Demandons quelle est la relation entre ces énoncés et les actions. Il semble que de tels énoncés puissent être appliqués à des actions ; nous ne pouvons pas démontrer, comme pour les énoncés ayant une signification logique, que leur valeur de vérité doit nécessairement rester inconnue — nous ne le pouvons pas parce qu’ils ne sont pas soumis aux méthodes de calcul des probabilités. Si certaines personnes croient que le chat est un animal divin, elles ne prétendent pas pouvoir le prouver empiriquement ; malgré cela, une telle croyance peut déterminer leurs actions. Elle peut, par exemple, les empêcher de tuer des chats. Dans ce cas, un énoncé super-empirique peut devenir pertinent pour les actions.

Pour analyser ce problème, procédons à une analyse plus approfondie de l’exemple donné. Nous pouvons tout d’abord demander à notre adorateur de chats les raisons de sa croyance. Il peut répondre que il y a quelques indications du caractère divin chez les chats, comme le scintillement de leurs yeux, mais qu’une preuve complète ne peut être donnée empiriquement ; il connaît directement, dit-il, le caractère divin des chats parce qu’ils suscitent en lui un certain sentiment de crainte — en bref, il ressent la divinité du chat. C’est cette connaissance immédiate qui le détermine à ne jamais tuer un chat.

Nous n’avons pas l’intention de dissuader notre adorateur des chats de sa croyance. Ce que nous opposons à sa conviction religieuse, c’est une affirmation d’un type très modeste. Ce qu’il appelle un animal divin, disons-nous, peut être appelé par nous un animal qui suscite, chez certaines personnes, des sentiments d’admiration, bref, un animal « producteur d’émotions ». À son concept super-empirique « divin » nous coordonnons ainsi le concept empirique « producteur d’émotions » ; il est empirique parce qu’il est défini par l’occurrence de certaines réactions psychologiques chez l’homme, appartenant à la sphère des faits d’observation.[2] Notre concept coordonné est équivalent au sien dans le sens suivant : toute action qu’il peut dériver de sa signification super-empirique peut également être dérivée de notre signification empirique coordonnée. Son principe, par exemple, selon lequel les animaux divins ne doivent pas être tués, se lit chez nous : les animaux producteurs d’émotions ne doivent pas être tués.

Notre adversaire peut objecter que cette équivalence n’est pas valable pour lui. Il a souvent observé, dit-il, que les gens sont persuadés si quelqu’un leur dit que « les animaux divins ne doivent pas être tués » ; mais les mots profanes, « les animaux producteurs d’émotions ne doivent pas être tués », ne les convertissent pas. C’est peut-être vrai, mais cela ne prouve rien d’autre qu’une influence suggestive spéciale attachée au mot « divin », rien de plus. Nous avons parlé plus haut de la fonction suggestive du langage ; nous voyons maintenant que deux propositions qui déterminent logiquement les mêmes conséquences peuvent différer quant à leurs effets suggestifs. La signification super-empirique se réduit donc à un surplus d’effet suggestif ; elle ne nous conduit cependant pas à des actions différentes de celles déterminées par la signification empirique, si les décisions volitives sont prises de manière correspondante.

Nous n’interdisons à personne de se décider pour une signification super-empirique ; mais il ne peut pas se débarrasser de la conséquence que nous pouvons coordonner à ses propositions d’autres significations empiriques qui ont la même portée sur nos actions. Le « contenu super-empirique » de la proposition n’est donc pas utilisable, pas convertible ; les propositions super-empiriques sont comme des papiers inconvertibles que nous gardons dans notre coffre-fort sans possibilité de réalisation future. Tel est le résultat de notre analyse critique des différentes définitions de la signification, menée à travers la question des décisions qui en découlent.

On peut mettre en doute l’opportunité de cette caractérisation en soulignant le fait qu’il existe de nombreux énoncés vérifiables, et même des énoncés réputés vrais, que nous n’utilisons jamais comme base d’action. C’est vrai ; c’est dû au fait que nos connaissances sont beaucoup plus vastes que le domaine des phrases pratiquement utiles. Nous savons que Charlemagne est mort en 814, ou que la lune est à une distance de 238 840 miles de la terre, ou que la langue anglaise compte environ 400 000 mots ; et en effet, nous ne faisons aucun usage pratique de ces connaissances. Mais nous pourrions le faire ; et il se peut qu’un jour nous soyons placés dans une situation qui exige l’utilisation de ces connaissances. En ce qui concerne Charlemagne, il se peut qu’une querelle concernant un héritage, ou le droit de porter un certain titre, dépende de l’année de sa mort ; la distance de la lune prendra une importance pratique au moment où la navigation spatiale sera rendue praticable, et la taille le vocabulaire de la langue anglaise a son importance pratique au moment où l’on doit construire un dictionnaire anglais complet. Je ne dis pas que la signification est l’utilité, ou que la vérité est l’utilité ; je dis seulement que les phrases ayant une signification empirique peuvent devenir utiles. Je ne dis pas non plus qu’elles sont vraies parce qu’elles peuvent devenir utiles ; je dis qu’elles peuvent devenir utiles parce qu’elles sont vérifiables. Ce n’est pas la définition de la vérité ou du poids qu’il s’agit de donner ici ; ces concepts sont présupposés dans la présente discussion. C’est la définition de la signification que nous discutons, et la question de savoir si ce terme doit devenir une fonction de la vérité ou du poids ; nous fondons cette décision sur le fait que la définition vérifiable de la signification conduit à une combinaison de la signification et de l’utilisabilité, et détermine les propositions signifiantes comme celles qui peuvent être utilisées comme base d’actions.

S’agit-il de pragmatisme ? La réponse peut être déterminée par ceux qui ont une meilleure connaissance du pragmatisme que la mienne. Pour la théorie développée ici, il est essentiel que la signification ne soit pas définie en termes d’utilité mais en termes de vérité et de poids ; seul l’argument en faveur de ce choix de définition est fourni par sa relation avec l’utilisation. Cette relation est en elle-même un énoncé que nous tenons pour vrai ; on peut en déduire que les théories sur la combinaison de la signification et de l’utilisabilité présupposent le concept de vérité et que la vérité ne peut pas être définie par l’utilisabilité. Pour autant que je sache, les pragmaticiens n’ont pas clarifié ces relations plutôt complexes. Mais notre conception peut peut-être être considérée comme un développement ultérieur d’idées issues du pragmatisme. Les fondateurs du pragmatisme ont eu le grand mérite de défendre une théorie antimétaphysique de la signification à une époque où les instruments logiques d’une théorie de la connaissance n’étaient pas encore développés à un degré aussi élevé que de nos jours.

L’avantage de notre caractérisation de la théorie de la vérifiabilité de la signification est qu’elle ne prescrit pas la définition de la vérifiabilité de la signification, mais qu’elle clarifie cette définition ainsi que les décisions qu’elle implique. C’est la méthode du panneau indicateur logique que nous appliquons ici, laissant la décision à chacun comme une affaire personnelle. Si nous nous décidons, personnellement, pour la théorie de la vérifiabilité, c’est parce que ses conséquences, la combinaison de la signification et de l’action, nous paraissent si importantes que nous ne voulons pas les manquer.

Nous devons cependant nous demander si la justification que nous donnons ici de la signification empirique s’applique à chacune des trois sortes de signification que nous englobons dans le concept de signification empirique. En entrant dans cette enquête, nous allons rencontrer des résultats remarquables.

Nous avons déjà souligné que le domaine de la signification purement logique comprend des propositions qui ne peuvent jamais être utilisées pour l’action. En effet, leur valeur de vérité ne nous est pas accessible. Ainsi, ce domaine s’avère être d’un type similaire à la signification super-empirique ; les propositions de signification purement logique ainsi que les propositions super-empiriques sont inconvertibles, ne sont pas utilisables pour des actions.

D’autre part, si nous considérons la signification de la vérité physique, nous constatons que cette définition ne peut pas non plus être justifiée par l’utilisabilité. Au § 3, nous avons discuté de la différence entre vérité et poids, et nous avons montré que la vérité ne peut être déterminée que pour les phrases concernant le passé ; alors que les phrases concernant le futur ne peuvent être rangées que dans l’échelle du poids, leur valeur de vérité nous étant inconnue. Nous avons ajouté qu’il en résulte une prépondérance du poids par rapport à la vérité, dès que l’on introduit le point de vue de l’action, car les actions sont fondées sur des énoncés concernant l’avenir. Les affirmations concernant les événements passés ne prennent de l’importance pour les actions que dans la mesure où ils conduisent à des énoncés concernant l’avenir, c’est-à-dire dans la mesure où ils fournissent une base pour la détermination du poids des énoncés. Le problème de ces inférences à des énoncés concernant l’avenir englobe le problème de l’induction et sera analysé plus loin ; indépendamment du résultat de cette analyse, il est évident que seules les phrases dont le poids est apprécié fournissent la base directe des actions, et non les phrases connues comme vraies. L’argument que nous avons donné en faveur de la théorie de la vérifiabilité de la signification, à savoir que les phrases qui peuvent fournir une base aux actions doivent être considérées comme significatives, s’avère donc être un argument en faveur de la théorie probabiliste de la signification, et pour la distinguer de la théorie de la vérité. La théorie de la vérité est trop étroite ; elle ne retient comme significatives qu’une partie des propositions servant de base à l’action, et seulement celle qui fournit la base indirecte, nécessitant dans chaque cas de compléter par des propositions d’une autre classe, la classe des phrases ayant un poids évalué. Il serait erroné de dire que ces phrases ne sont une base possible d’action que parce qu’elles seront éventuellement vérifiées comme vraies ou fausses ; car dès qu’elles sont ainsi vérifiées, elles ne sont plus une base d’action — les événements décrits dans les phrases étant alors passés et n’étant plus accessibles à l’action. C’est donc le prédicat de poids qui indique le lien entre l’énoncé et l’action.

Notre analyse nous conduit donc à attribuer une position unique à la théorie probabiliste de la signification. C’est justement cette théorie de la signification qui se distingue par le postulat d’une relation entre signification et action. La ligne de séparation dans le domaine de la signification, dans la mesure où elle est déterminée par le postulat de l’utilisabilité des énoncés, traverse le domaine de la signification empirique ; elle laisse la signification purement logique du même côté que la signification super-empirique, les déterminant toutes deux comme comprenant des énoncés inconvertibles. De l’autre côté de la ligne, nous trouvons à la fois la signification de vérité physique et la signification de probabilité ; mais la première seulement parce qu’elle est liée à la seconde — seulement parce que les phrases vraies peuvent conduire à des phrases ayant un poids, qu’elles peuvent servir de base à l’action. En combinant, comme au §7, la signification physique de vérité et la signification de probabilité sous le nom de signification physique, on peut dire que le domaine de la signification physique est le domaine utilisable. C’est donc la théorie probabiliste de la signification qui permet à elle seule de satisfaire au postulat liant signification et utilisabilité[3].

Ceci est important pour la critique du positivisme. Les positivistes ont défendu leur concept de signification en insistant sur le fait que seule le leur a une signification ; nous avons constaté qu’il s’agissait d’un absolutisme injustifié, et que la question des décisions entraînées par la définition donnée de la signification devait être soulevée. Nous avons essayé de montrer qu’il y a une distinction en faveur d’une définition qui relie la signification à la vérifiabilité, mais nous découvrons maintenant, après un examen plus approfondi, que cette distinction s’oppose à une théorie qui restreint la signification à des phrases absolument vérifiables — les phrases vérifiables sont uniquement vraies ou fausses. Dans notre recherche d’arguments défendables en faveur de la théorie de la vérifiabilité de la signification, nous trouvons donc que ces arguments conduisent à une expansion de cette théorie ; ils devraient inciter le positiviste à relier la signification au concept plus large de poids et non au concept de vérité.

Notre théorie de la signification peut donc être qualifiée de développement ultérieur du positivisme, tout en étant conçue comme un développement ultérieur du pragmatisme. Ce lien avec le positivisme a un fondement psychologique. Il me semble que les motifs psychologiques qui ont conduit les positivistes à leur théorie de la signification sont à rechercher dans le lien entre la signification et l’action et que c’est le postulat de l’utilisabilité qui a toujours été à la base de la théorie positiviste de la signification, ainsi que de la théorie pragmatique, où il était d’ailleurs explicitement énoncé. Ce qui a été négligé, du moins par les positivistes, c’est le fait qu’il n’est jamais possible d’obtenir de véritables déclarations concernant l’avenir. Cela correspond à l’état de l’épistémologie à l’époque de la fondation du positivisme. Le caractère probabiliste de la connaissance n’était pas reconnu ; les lois de la physique étaient considérées comme strictement valables pour les phénomènes empiriques, et il était tacitement supposé qu’elles fournissaient des déclarations concernant l’avenir qui devaient être considérées comme absolument vraies. Nous lisons dans les livres des plus anciens positivistes que l’objet de la science est de prévoir l’avenir et que cela constitue la signification même de la science. Cela a été dit, cependant, sans tenir compte du fait que la prédiction de l’avenir présuppose des inductions et que le problème de l’induction doit être résolu avant qu’une théorie de la signification puisse être donnée qui inclut la fonction prédictive de la science. Bien que le problème de l’induction ait été exposé dans toute sa rigueur par Hume, sa pertinence n’a pas été perçue, et un absolutisme naïf concernant les propositions futures a été associé à la conception vérifiable de la signification. Mais en raison de cette combinaison même, cette dernière conception n’a pas conduit à des restrictions profondes du contenu de la science.

Une attitude plus critique s’est développée dans la deuxième phase du positivisme — sa phase critique. Les objections sceptiques de Hume contre l’induction ont été acceptées, et l’échec de toute tentative d’arriver à une solution logique de l’induction est devenu plus évident en termes de prétentions de précision développées dans la logistique. L’impossibilité d’obtenir une connaissance certaine des événements futurs a été reconnue, et cette prise de conscience a conduit, en combinaison avec le postulat de la logique comme étant à deux valeurs, au rejet de toute tentative d’interpréter les propositions scientifiques comme des prévisions de l’expérience future. C’est ainsi qu’est née la théorie positiviste moderne, étrange combinaison d’éléments de bon sens et d’un radicalisme doctrinaire, qui contredit toute vision impartiale des intentions de la science. Le postulat de la vérifiabilité absolue, lorsqu’il a été prononcé dans le cadre de la science, a été atténué par une application inconséquente et n’a donc pas pu faire de mal ; mais entre les mains des philosophes, il a été exagéré jusqu’à un radicalisme qui a remis en question la légitimité de l’objectif même de la science — la prévision de l’avenir. Wittgenstein, l’esprit le plus radical parmi les positivistes modernes, écrit : « Que le soleil se lève demain est une hypothèse, ce qui signifie que nous ne savons pas s’il se lèvera ».[4] Il ne se rend pas compte qu’il existe des degrés dans le domaine de l’inconnu, tels que nous les avons exprimés par le prédicat de poids. S’en tenant strictement au postulat de la vérifiabilité absolue, il arrive à la conclusion que l’on ne peut rien dire sur le futur.

Cela n’implique pas pour lui que les propositions futures soient dépourvues de signification ; elles ont une signification, mais leur valeur de vérité est inconnue. Elle indique cependant qu’il ne peut pas établir de lien entre la signification et l’action. Si nous débarrassons sa théorie de ses oripeaux dogmatiques, et si nous appliquons notre test aux décisions qu’elle implique, nous arrivons à la conclusion suivante : pour Wittgenstein, une phrase a un sens lorsque nous pouvons attendre qu’elle soit vérifiée. L’accent est mis sur le terme « attendre » ; nous ne pouvons pas utiliser activement la proposition — nous ne pouvons qu’attendre passivement de la connaître. Il est évident qu’à cette fin, sa définition de la signification comme vérifiabilité est suffisante. Mais il est également évident que, de cette façon, une tendance importante et saine de l’ancien positivisme a été abandonnée — la tendance à combiner la signification et l’action. Le processus décomposant de l’analyse n’a pas été accompagné dans ce cas par un processus constructif ; la possibilité de fonder la signification sur le prédicat de poids a été négligée parce qu’une interprétation satisfaisante de ce prédicat n’a pas pu être développée. La clé d’une théorie de la signification correspondant aux intentions de la physique se trouve dans le problème des probabilités. Le destin des doctrines positivistes a été d’être poussées par la critique logique dans un ascétisme intellectuel qui a supprimé toute compréhension de la tâche de la science consistant à construire un pont entre le connu et l’inconnu, entre le passé et l’avenir. La cause de ce doctrinarisme malsain se trouve dans la sous-estimation du concept de probabilité. La probabilité n’est pas une invention faite pour le sport des joueurs ou pour les affaires des statistiques sociales ; c’est la forme essentielle de tout jugement concernant l’avenir et le représentant de la vérité dans tous les cas où la vérité absolue ne peut être obtenue.

Une autre conséquence de ce manque de compréhension de la signification du concept de probabilité se manifeste dans l’interprétation erronée de la relation entre les phrases directes et indirectes. Le principe de rétrogradation a son origine dans le fait de confondre la relation de probabilité entre ces deux types de phrases et de la remplacer par une équivalence. Ce principe peut donc être considéré comme l’expression typique du logicisme trop étroit qui caractérise cette forme de positivisme, de la simplification injustifiée qui fait violence à la structure même de la science. Le positivisme radical ne peut être considéré comme une interprétation des phrases indirectes correspondant à la pratique de la physique.

Les représentants les plus tolérants du positivisme ont reconnu cette divergence entre leur théorie et la science réelle ; ils ont donc cherché à élargir la définition étroite de la signification précédemment acceptée. Carnap, dans quelques publications récentes[5], a développé un élargissement du critère du significatif dans lequel l’idée de vérification absolue est abandonnée ; il introduit à la place le concept de « degré de confirmation », qui fournit une série graduée de propositions, et qui doit s’appliquer aux prédictions aussi bien qu’aux propositions concernant des événements passés. Ce « degré de confirmation » correspond, à bien des égards, à notre « poids », à la différence près que Carnap doute qu’il soit identique à la « probabilité ». Le fait qu’avec cette nouvelle théorie de Carnap, le développement des conceptions du Cercle de Vienne s’oriente dans une direction conduisant à un lien plus étroit avec la physique et à une meilleure approximation de l’état actif de la connaissance me semble être un signe de grand progrès ; avec ce changement, une ancienne différence entre les conceptions de Carnap et les miennes, qui a fait l’objet de nombreuses discussions,[6] est considérablement réduite. Une discussion sur la nouvelle conception de Carnap doit, cependant être reportée jusqu’à ce qu’il ait donné quelques informations supplémentaires concernant la détermination de son « degré de confirmation » et les règles de fonctionnement avec celui-ci. De notre point de vue, toutes ces questions trouvent leur réponse dans la théorie des probabilités, et le chapitre v présentera nos réponses en détail ; mais, si l’interprétation en termes de probabilités n’est pas acceptée par Carnap, il doit développer une théorie propre sur les degrés de confirmation. La principale difficulté d’une telle théorie résidera dans le problème de l’application du degré de confirmation aux actions ; le problème de l’induction se posera à Carnap sous une forme nouvelle si la solution de ce problème dans le cadre d’une logique des probabilités, telle que je l’ai développée, n’est pas considérée comme applicable à son interprétation du « poids » des propositions.

Ajoutons quelques mots concernant le deuxième principe de la théorie de la vérifiabilité de la signification. Comme nous l’avons montré, ce principe a pour fonction logique de couper toute signification excédentaire qui pourrait être supposée dans une proposition au-delà de son contenu vérifiable. Il remplit cette fonction de manière très « polie » : il n’interdit pas les concepts « métaphysiques », comme les forces, les tendances, les essences et les divinités, mais il déclare : s’il existe une proposition non métaphysique équivalente, c’est-à-dire une proposition qui n’utilise pas ces termes, mais qui a la même valeur de vérité que la première pour tous les faits possibles, alors les deux propositions ont la même signification. Ainsi, la proposition « métaphysique » est privée de sa prétendue signification excédentaire et réduite à une proposition non métaphysique équivalente. Ce processus d’élimination des prétentions métaphysiques a été mis en avant pour la première fois par les nominalistes du Moyen-Âge. Guillaume d’Ockham a énoncé le principe sous la forme suivante : « entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem » et, depuis lors, le « rasoir d’Ockham » a été le programme de tout empirisme ou logicisme conséquent.Texte en italique Le « principium identitatis indiscernibilium » de Leibnitz et son application aux problèmes de l’espace et du mouvement, la réduction par Hume de la causalité à une succession invariable dans le temps, la critique par Mach du concept de force et de la théorie de l’espace de Newton constituent des exemples d’application du deuxième principe de la théorie de la vérifiabilité de la signification, c’est-à-dire du principe d’Ockham ; en physique moderne, c’est surtout la théorie de la relativité d’Einstein qui a ouvert au principe d’Ockham un nouveau domaine d’application. Ce n’est pas seulement la relativité du mouvement qu’il faut mentionner ici ; il y a aussi beaucoup d’autres parties des théories d’Einstein, comme sa conception de la simultanéité et son principe d’équivalence de la gravitation et de l’accélération, qui doivent être conçues comme un résultat du deuxième principe de la théorie de la vérifiabilité de la signification. Ce principe peut donc être appelé le fondement même d’une attitude antimétaphysique.

Ce que nous avons dit sur l’expansion nécessaire du premier principe de la théorie de la vérifiabilité de la signification vaut cependant aussi pour le second principe. Notre insistance sur le postulat de la vérifiabilité absolue nous conduirait à renoncer à toute application du principe, car il n’existe pas de phrases qui puissent être vérifiées de manière absolue. Si nous voulons pouvoir indiquer des phrases qui ont une signification égale, nous devons nous contenter de montrer qu’elles obtiennent un poids égal par l’ensemble des faits observables. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans un examen plus approfondi de ce point, car la discussion ne ferait que répéter les arguments de l’analyse du premier principe.

En ce qui concerne le premier principe, le passage du postulat de la vérification absolue au postulat de la déterminabilité d’un poids a eu pour effet d’élargir le domaine de la signification physique ; des propositions qui n’avaient pas de signification pour la première conception en ont obtenu pour la seconde. De même, la même transition pour le second principe implique une augmentation des différences de signification ; des propositions qui ont la même signification dans le cadre de la théorie de la vérité physique de la signification peuvent avoir une signification différente dans le cadre de la théorie probabiliste de la signification. Cela se produit lorsque les faits nécessaires à la vérification absolue d’une proposition ne sont pas réalisables pour des raisons physiques, alors qu’il existe des faits physiquement possibles qui fournissent différents degrés de probabilité à la proposition en question. Dans nos recherches ultérieures, nous discuterons quelques exemples de ce genre (§14) ; ils montreront l’importance qu’un tel raffinement de nos instruments logiques peut obtenir dans la poursuite de l’interprétation du langage de la science et de la vie quotidienne.

Si notre élargissement du concept de signification devait être attaqué au motif que notre concept élargi de signification pourrait ouvrir la porte à la métaphysique, ce serait tout à fait erroné. Notre théorie de la signification est en mesure d’adopter le rasoir d’Ockham sous une forme appropriée ; la formulation que nous avons donnée au deuxième principe coupe tous les ajouts vides aux phrases aussi bien que le fait la formulation au sein de la théorie de la vérité de la signification. La théorie probabiliste de la signification maintient donc la position antimétaphysique du positivisme et du pragmatisme, sans reprendre la conception trop étroite de la signification dont souffrent ces théories si elles sont interprétées selon la formulation stricte de leurs programmes.

Inversement, nous devons dire que c’est la théorie probabiliste de la signification qui seule peut donner une justification satisfaisante au deuxième principe de la théorie de la vérifiabilité de la signification. Nous avons indiqué qu’une justification de la théorie de la vérifiabilité de la signification consiste en une relation entre la signification et l’action ; notre exemple de « l’animal divin » a montré que l’on peut coordonner à une proposition « super-empirique » donnée une proposition empirique qui conduit aux mêmes actions. Le second principe ne fait que formuler la conséquence que cette idée implique pour une théorie de la signification fondée sur le rapport de la signification à l’action. On peut l’énoncer sous la forme : si deux phrases nous conduisent dans toutes les conditions possibles aux mêmes actions, elles ont la même signification. Mais cette formulation n’est possible que dans le cadre de la théorie probabiliste de la signification ; car ce n’est que si l’on introduit le prédicat de poids que l’on peut démontrer la relation de la signification et de l’action. D’autre part, il devient évident, à partir de cette formulation, que la fonction antimétaphysique du principe est maintenue. Dans notre formulation également, le principe nie toute « signification super-empirique » et affirme : il y a autant de signification dans une proposition qu’il est possible d’en utiliser pour l’action. Avec cette formulation, la relation étroite de la théorie probabiliste de la signification avec le pragmatisme devient encore plus évidente ; nous pensons cependant que notre théorie, en utilisant les concepts de probabilité et de poids, peut fournir une meilleure justification de la relation entre la signification et l’action que le pragmatisme n’est capable de donner. Ce résultat de la théorie probabiliste de la signification — le lien entre la signification et l’action — me semble la meilleure garantie de sa correspondance avec la science empirique et avec l’intention du langage dans la vie réelle.

  1. Nous suivons, dans l’exposition des différentes fonctions du langage, les idées développées par Ogden, Buhler et Carnap.
  2. Nous invoquons ici des faits psychologiques, mais nous laissons la question du caractère des faits psychologiques à un examen ultérieur (cf. § 26).
  3. Parmi mes anciennes publications concernant la théorie probabiliste de la signification, je peux mentionner les suivantes. L’idée que les propositions empiriques ne doivent pas être conçues comme des entités à deux valeurs, mais qu’elles doivent être traitées comme ayant une « valeur de vérité » dans une échelle continue de probabilité (un point de vue qui exige qu’elles soient considérées dans le cadre d’une logique de probabilité) a été exposée pour la première fois par moi au premier congrès de « Erkenntnislehre der exakten Wissenschaften » à Prague en 1929 (cf. Erkenntnis, I [1930], 170-73). La suite de ces idées a été présentée au congrès suivant, tenu à Konigsberg en 1930 (cf. ibid., II [1931], 156-71). La construction de la logique des probabilités que j’avais demandée a été réalisée, sous la forme d’un calcul logistique (incluant la théorie des modalités), dans mon article « Wahrscheinlichkeitslogik », Berichte der Berliner Akademie Wissenschaften (math.-phys. KI. [ 1932]) ; cf. aussi mon livre Wahrscheinlichkeitslehre. Les deux principes de la théorie probabiliste de la signification donnés au § 7 ont été formulés pour la première fois dans « Logistic Empiricism in Germany and the Present State of Its Problems », Journal of Philosophy, XXXIII, n° 6 (12 mars 1936), 147-48 et 154.
  4. Op. cit. p. 181.
  5. « Wahrheit und Bewahrung », Actes du Congrès International de Philosophie Scientifique, 1935 (Paris, 1936), IV, 18 ; « Testability and Meaning », Philosophy of Science, III (1936), 420, et ibid, IV (1937), 1.
  6. Cf. la discussion sur le congrès de Prague, 1929, rapportée dans Erkenntnis, I (1930), 268-70.