Exposé élémentaire de la théorie d’Einstein et de sa généralisation/conclusions générales

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CONCLUSIONS GÉNÉRALES


La loi de la gravitation est maintenant connue : elle englobe toute la dynamique et bouleverse les anciennes conceptions. Jusqu’à la découverte d’Einstein, non seulement on ignorait la loi exacte, mais on était bien loin de soupçonner la nature du champ de gravitation : on est certain aujourd’hui que ce champ est la manifestation du caractère non euclidien de la structure géométrique de l’Univers.

L’Univers est caractérisé, en chaque point-événement, par ses propriétés géométriques, liées à la présence ou au voisinage de la matière, L’espace n’est ni un vide amorphe, ni l’éther quasi-matériel de l’ancienne physique, et il ne doit pas être infini.

Le temps est l’aspect d’une des dimensions de la multiplicité quadridimensionnelle qui constitue l’Univers ; il reste très mystérieux. S’il existe un système de référence privilégié auquel est lié un « temps d’Univers absolu » (hypothèse d’Einstein), ce temps absolu n’est pas, en toute rigueur, celui que nous percevons et que nous pouvons mesurer ; pour nous il y a toujours, suivant la conception de Minkowski, union de l’espace et du temps : la division de l’Univers en espace et en temps n’est possible qu’en choisissant convenablement les coordonnées, et elle est relative à l’observateur.

Toutefois, les phénomènes de la Nature ont un caractère absolu, parce qu’ils sont déterminés par des coïncidences absolues dans l’Espace-Temps, des intersections de lignes d’Univers. Il y a des réalités que la science peut atteindre : elles se traduisent par des lois qui s’expriment à l’aide d’équations intrinsèques, de relations tensorielles où tout système de coordonnées a disparu.

Cependant la théorie de la relativité ne remonte pas aux causes profondes des phénomènes ; elle ne fait pas connaître la nature du substratum universel. C’est une description en langage mathématique, une interprétation géométrique des lois physiques et une magnifique synthèse de ces lois. C’est, dit M. Eddington, « la science de la structure et non celle de la substance ».

La mécanique et la physique sont ramenées à la géométrie non-euclidienne de Riemann, ou plus exactement à la géométrie plus générale encore de MM. Weyl et Eddington (note 15) ; c’est là le fond de la théorie. Dans la géométrie, on groupe dans un tenseur des grandeurs inséparables les unes des autres, et l’annulation d’un tenseur (ou l’égalité de deux tenseurs) exprime une propriété intrinsèque de l’Univers. En mécanique et en physique, on forme des tenseurs avec des grandeurs que nous révèle notre science expérimentale ; la théorie de la relativité affirme que les tenseurs mécaniques et physiques fondamentaux doivent être égalés à certains tenseurs de la géométrie riemannienne.

Les tenseurs mécaniques et physiques sont égaux à des tenseurs géométriques : cela ne saurait être mis en doute, mais comment faut-il comprendre ces égalités ? S’agit-il d’« équations » ou d’« identités » ? La loi de la gravitation, celles de l’électromagnétisme sont-elles des conditions imposées par la Nature aux relations entre la matière et l’Espace-Temps, ou ne sont-elles que des identifications de l’aspect physique et de l’aspect géométrique des propriétés d’une même entité ? Si l’Espace-Temps et la matière sont deux entités distinctes, les lois fondamentales sont des équations. Mais si l’on admet, avec M. Eddington, que les particules qui, en dernière analyse, constituent la matière ne sont autre chose qu’une structure géométrique d’Univers, la matière cesse d’être une entité primordiale, les tenseurs mécaniques et physiques deviennent des tenseurs géométriques vus sous un aspect relatif à notre interprétation de la Nature, relatif à notre entendement.

Admettons cette conception. Est-ce dire que la loi de la gravitation est complètement subjective ? Non pas, au fond, car il existe un théorème de géométrie, qui se traduit par les quatre identités dont nous avons parlé (p. 108) : c’est là une propriété intrinsèque de la multiplicité quadridimensionnelle qui constitue l’Univers, c’est une vérité objective. Mais la loi de conservation de l’impulsion-énergie et la loi de la gravitation sont des aspects subjectifs de cette vérité. L’homme a recherché ce qui, dans la Nature, se présente à ses yeux comme permanent : il a trouvé les lois de conservation de la masse, de l’énergie, de la quantité de mouvement ; par synthèses successives, il a été conduit à identifier les grandeurs physiques qu’on peut grouper dans le tenseur matériel avec celles qui constituent un tenseur géométrique, le tenseur (éq. 25, p. 119) dont le théorème mentionné plus haut exprime précisément les propriétés de permanence : c’est la loi de la gravitation, d’où découle toute la dynamique. On ne peut pas prétendre que la Nature force la matière à suivre cette loi, car c’est nous qui définissons la matière de façon que cette loi soit satisfaite : ce que nous avons appelé tenseur matériel ou tenseur impulsion-énergie n’est pas autre chose qu’un certain tenseur d’Univers conservatif ; notre loi de conservation ainsi que notre loi de la gravitation n’expriment, au fond, que des identités.

Nous avons fait allusion à deux généralisations successives de la théorie d’Einstein. Ces généralisations (Weyl et Eddington) complètent la théorie d’Einstein sans l’altérer ; leur intérêt est considérable. Partant des propriétés géométriques les plus générales que doit posséder un univers quadridimensionnel, M. Eddington a montré qu’il doit exister deux catégories de propriétés qui correspondent à ce que les mathématiciens peuvent appeler la non-intégrabilité de la direction et la non-intégrabilité de la longueur ; il doit en résulter, à nos yeux, deux catégories de phénomènes, deux champs de force de natures différentes. La quadruple indétermination des coordonnées doit se traduire par quatre formules qui expriment une loi de conservation ; mais ce n’est pas tout : l’indétermination du système de mesures, c’est-à-dire l’indétermination de l’unité choisie en chaque point pour la mesure des intervalles, doit donner une autre loi de conservation.

C’est exactement ce que l’expérience nous révèle. Nous connaissons deux champs de force : le champ de gravitation et le champ électromagnétique ; la conservation de l’impulsion-énergie est une loi expérimentale qui s’exprime par quatre équations ; l’autre loi, bien connue, est celle de la conservation de l’électricité.

Quelle que puisse être, dans l’avenir, l’évolution des idées, l’union de l’espace et du temps, l’inertie et la pesanteur de l’énergie, la loi de la gravitation, la dynamique de la relativité, la courbure de l’Univers, les lois générales de l’électromagnétisme sont des résultats, presque tous dus au génie d’Einstein, qui resteront acquis à la science.

La théorie actuelle pourra être retouchée ou plutôt complétée, surtout en ce qui concerne les hypothèses cosmologiques, la généralisation de la théorie d’Einstein et l’interprétation philosophique des lois. Mais ce qu’on peut affirmer, c’est qu’un retour en arrière, vers les idées encore enracinées dans quelques esprits, est une chose impossible.