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FABLE II.

Le Singe Cupidon.



UN vieux Singe des plus adrois,
Ayant veu l’Amour pluſieurs fois,
Décocher ſes fléches mortelles,
Sur les cœurs de maintes Cruelles ;
Comme luy, voulut eſtre Archer,
Et fléches d’Amour décocher.
Il euſt donné leçon d’adreſſe,

A tout maiſtre en tours de ſoupleſſe.
Il prend ſi bien ſon temps, choiſit ſi bien ſon lieu,
Qu’il détrouſſe le petit Dieu.
Enrichy d’un butin ſi rare,
A se cupidonner le Magot ſe prepare ;
Endoſſe le carquois, s’affuble du bandeau,
En conquerant des cœurs, ſe rengorge, & ſe quarre,
Et ſe mirant dans un ruiſſeau,
Se prend pour Cupidon, tant il ſe trouve beau.
Ces Animaux pour l’ordinaire,
Naiſſent ſçavans, en l’art de contrefaire,

Et dans le langage commun,
Singe, & Copiſte ce n’eſt qu’un.
Celuy-cy donc campé dans un boccage,
Attend une Nymphe au paſſage,
Et comme ſouvent le hazard,
Aux bleſſures du cœur a la meilleure part,
Noſtre Archer d’eſpece nouvelle ;
Atteint droit au cœur de la Belle.
Iamais la Nymphe avant ce jour,
N’avoit ſenty les fléches de l’amour.
Si cette bleſſure cruelle,
Fut un cas ſurprenant pour elle ;
I’en fais Iuge le jeune cœur,
Atteint de pareille douleur.

Iour, & nuict, la nouvelle Amante
Soûpire, ſe plaint, ſe tourmente,
Sans ſçavoir ce qu’elle ſentoit,
Ny pourquoy tant ſe lamentoit,
Maiſtre Magot darde-ſagette,
Qui mieux inſtruit du mal de la Pauvrette,
S’applaudiſſoit de ſa dexterité,
Se voyant la Divinité,
Pour qui ſe preparoit l’amoureux Sacrifice,
Se tenoit fier comme un Narciſſe.
Quand la Belle par ſes ſoûpirs,
Exprimoit ſes tendres deſirs ;
Que de ſes yeux, la langueur indiſcrette,

A ſon cœur ſervoit d’interprete,
Peu s’en faloit, qu’en ce moment,
L’indigne Auteur de ſon tourment,
Ne ſe cruſt ce qu’il feignoit d’eſtre.
Il euſt avec l’amour diſputé d’agrément,
Tant l’orgueil nous fait méconnoiſtre.
Mais on voit ordinairement,
Que la Gloire ſans fondement,
Eſt chimerique, & peu durable.
Du carquois dérobé, le Maiſtre redoutable,
Cherchoit plein de reſſentiment,
Le ſacrilege Auteur, d’un fait ſi puniſſable.

Le ſort le guida ſur le lieu,
Où le Magot paré des dépoüilles du Dieu,
Recevoit l’amoureux hommage
Qu’on devoit à ſon Equipage.
Si Cupidon fut offensé ;
Qu’un Magot pour luy ſe fiſt prendre,
Et comme tel fuſt encenſé,
Il eſt aisé de le comprendre.
Quoy ? dit-il, ce ridé Muſeau,
A la faveur de mon Bandeau,
Chez les Mortels remplit ma Place ?
A ces mots Meſſire l’Amour,
Détrouſſe le Singe à ſon tour,
Montre à nud ſa laide grimace,

Et tirant la Nymphe d’erreur,
Fit naiſtre un plus beau feu, dans ſon aveugle cœur.

Ainſi l’ame préoccupée,
Et par l’apparence trompée,
Eleve aux hommes des Autels,
Qui ne ſont deus qu’aux Immortels.
Le bandeau de l’Amour, fait des Metamorphoſes
Des plus deſagreables choſes ;
Mais quand un retour de raiſon,
Peut enfin trouver ſa ſaiſon,
Ou qu’un Amour, d’une plus pure eſſence,

A nos cœurs prevenus, fait ſentir ſa puiſſance,
Combien trouvons-nous odieux
Ce qu’avoient admiré nos yeux ?