Festons et astragales/La Terre et les Étoiles

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Festons et astragalesAlphonse Lemerre, éditeur (p. 11-14).


La Terre et les Étoiles.


À Agénor Brady.


Roulant dans la nuit solitaire,
Les astres dirent à la terre :
« Où vas-tu, monde audacieux ?
Comme un point perdu dans l’espace,
Ton orbe étroit tremble et s’efface,
Mais toujours on connaît ta place,
Au bruit que tu fais dans les cieux !

« Ô terre dont le flanc tressaille,
Quel enfantement te travaille ?

Quel volcan soulève tes mers ?
À l’heure des brises glacées,
Pourquoi ces plaintes insensées
Qui, dans l’ombre des nuits, poussées,
Réveillent le grand univers ?…

« Dans ta rumeur et ta fumée,
Comme dans un cercle enfermée,
Tu roules ton noir tourbillon.
Et l’on dirait une carène
Que sur la mugissante arène
Le vent des mers toujours entraîne,
Sans boussole et sans pavillon !

« N’as-tu plus tes blondes campagnes,
Tes bois penchés sur tes montagnes,
Tes océans mélodieux ?
Et tes fleurs et tes ruches pleines,
Et tes si charmantes haleines
Que pour s’égarer dans tes plaines,
Les anges s’exilaient des cieux !

« Cesse tes cris, monde en démence !
Laisse en paix, sur ton dos immense,
Flotter au vent tes cheveux d’or.
Doux était ton chant solitaire…
Tu souriais avec mystère…
Souris encore, ô belle terre !
Ô belle terre, chante encor !… »


Et la terre dit aux étoiles :
« Tournez, mes sœurs, planez sans voiles !
Jetez aux cieux votre lueur !
Moi, je suis l’ardente ouvrière
Qui, dans l’ombre ou dans la lumière,
Marche, les pieds noirs de poussière,
Et le front baigné de sueur !…

« Plus de soirs joyeux, plus d’aurore !
Comme un fruit que le ver dévore,
Mon flanc porte un hôte inconnu ;
L’homme, en ses courses incertaines,
A broyé l’herbe de mes plaines,
Et pour tirer l’or de mes veines,
Dans mon sein plongé son bras nu.

« Avec sa rame, avec sa sonde,
Il a heurté la mer profonde,
Et déchiré son manteau bleu !
Sans souci du ciel qui se venge,
En trône il a pétri sa fange,
Et j’ai cru, dans sa force étrange,
Qu’il allait créer comme Dieu.

« Mes monts chancellent, mon sol ploie,
La foudre sur mon front flamboie,
Chaque jour hâte mon déclin,
Ma couronne a ses fleurs fanées,
Et j’ai vu les mers déchaînées

Dans mes campagnes étonnées,
Déborder comme un vase plein.

« Pourtant dans ma douleur amère,
J’aime l’homme, ainsi qu’une mère
L’enfant qui la frappe et la mord.
Chantez, mes sœurs ! Comme en un rêve
Moi je vais au vent qui s’élève,
Il faut que ma route s’achève
Jusqu’à l’écueil ou jusqu’au port !… »