Fragments extraits du Kandjour/Première section/Chap II

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Traduction par Léon Feer.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Annales du Musée Guimetp. 13-32).
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Première section — Histoire

II
PREMIÈRES PRÉDICATIONS DE ÇÂKYA

Ce fragment est le récit des actions de Çâkya, depuis le moment où il sortit du découragement qui l’empêchait de publier sa doctrine et des conversions qu’il opéra à Bénarès jusqu’à son départ de cette ville. Le Mahâvagga du Vinaya pâli contient une relation des mêmes faits, non identique mais très semblable à celle du Kandjour. La fameuse prédication des quatre vérités, le texte du Sûtra appelé Dharma çakra-pravartanam fait nécessairement partie du récit ; nous le laissons en blanc, parce que nous le donnons à part plus loin.

Tout ce qui, dans notre traduction, précède la célèbre prédication, est déjà connu par le Lalitavistara ; nous le donnons néanmoins, non seulement pour être plus complet, mais aussi parce que la rédaction du Dulva se distingue nettement de celle du Lalitavistara.

Ce qui suit la prédication sur les quatre vérités, n’a pas encore été traduit, que je sache : je pense qu’on sera bien aise d’en avoir la traduction.

Tout ce récit, emprunté au volume IV du Dulva, reparaît dans l’Abhiniṣkramaṇa Sûtra, qui n’est guère, semble-t-il, qu’un extrait du Dulva.


PREMIÈRES PRÉDICATIONS DU BUDDHA
Dulva IV folios 59-79 —
DÉCOURAGEMENT DE ÇAKYA

Ensuite Bhagavat se dit en lui-même : cette loi profonde, qui brille dans la profondeur, difficile à voir et difficile à comprendre, qui n’offre point matière aux raisonnements (négatifs) des sceptiques, subtile, digne d’être connue des sages avisés et des savants, je l’ai comprise : mais si je la communiquais à d’autres, ces autres ne la comprendraient pas ; il en résulterait pour moi de la fatigue, il en résulterait de l’épuisement, parce que, au lieu de me renfermer en moi-même, je me disperserais au dehors. Hé bien ! il vaut mieux que je reste seul dans un bois désert et épais, constamment appliqué à la méditation qui consiste à demeurer paisiblement dans la loi de la vue (de la vérité). Ainsi Bhagavat, restant là à cause de son peu de cœur, n’était pas disposé à manifester du zèle et à enseigner la loi.

2. VISITE DE BRAHMÂ À ÇAKYA

Alors Brahmâ le maître du monde eut cette pensée : Hélas ! le monde ne durera pas ! Hélas ! si le monde ne dure pas, à quoi sert-il que le Tathâgata, Arhat, parfait et accompli Buddha, soit venu ainsi dans le monde en suivant la voie royale, une seule fois, comme la fleur de l’Udumbara. Puisque Bhagavat reste assis maintenant de la sorte, à cause de son peu de cœur, et ne tend pas à manifester du dévouement et à enseigner la loi, eh bien ! j’irai et je le supplierai. — Telle fut sa pensée. Alors Brahmâ, le maître du monde, avec la même (facilité) qu’un homme robuste étendrait son bras plié, ou plierait son bras étendu, disparut du monde de Brahmâ et se trouva en présence de Bhagavat.

Brahmâ le maître du monde adressa en ce temps là cette gâthâ à Bhagavat :

Il exista jadis dans le Magadha une loi
Impure, méditée par des hommes souillés ;
Ouvre la porte de la loi de l’Amrta,
Annonce (la loi) comprise par celui qui est sans tache.

Bhagavat répondit :

Brahmâ, c’est avec une grande difficulté
Que j’ai surmonté les vices et compris (la loi).
Ceux qui sont dominés par la passion de l’existence
Ne comprendront pas bien cette loi.
La voie qui suit une direction contraire au courant (général),
(Cette voie) profonde et très difficile à apercevoir,
Ceux qui sont enveloppés par l’amas des ténèbres
Et en proie à la passion du désir ne la verront pas par cette raison.

— Vénérable, parmi les hommes qui sont dans le monde, parmi les êtres qui ont vieilli dans le monde, on en trouve qui de naissance ont les sens alertes, ou les sens médiocres, ou les sens émoussés ; qui sont faciles à entraîner ou faciles à discipliner, qui ont peu de corruption naturelle, peu de passion : ceux-là, s’ils n’entendent pas la loi, tendront à tomber toujours plus bas. Vénérable, il en est comme des Nympheas, des Lotus, des Lotus rouges, des Lotus blancs, qui sont nés dans l’eau, ont grandi dans l’eau. Tandis que les uns s’élèvent au-dessus de l’eau, quelques uns sont au niveau même de l’eau, quelques-uns sont encore plongés dans l’eau. Ainsi, Vénérable, parmi les hommes qui sont dans le monde, parmi les êtres qui ont vieilli dans le monde, on en trouve qui, selon leur nature, ont les sens alertes, les sens médiocres, les sens émoussés, qui sont faciles à conduire, faciles à discipliner, qui ont peu de corruption naturelle, peu de passion ; ceux-là, s’ils n’entendent pas la loi, tomberont toujours plus bas. Afin qu’ils aient le joyau de la loi, je prie Bhagavat de proclamer la loi, je prie le Sugata de proclamer la loi. Alors Bhagavat se dit en lui-même : Hé bien ! il faut que moi-même, avec l’œil du Buddha, je regarde le monde.

Cette réflexion faite, Bhagavat lui-même, avec l’œil du Buddha, contempla le monde. Quand Bhagavat contempla ainsi le monde avec l’œil du Buddha, parmi les hommes qui étaient dans le monde, et parmi les êtres qui avaient vieilli dans le monde, il y avait des natures à sens alertes, à sens médiocres, à sens, émoussés, faciles à conduire, faciles à discipliner, ayant peu de corruption naturelle, ayant peu de passion ; ceux-là, s’ils n’entendaient pas la loi, tendraient à tomber toujours plus bas : Voilà ce qu’il vit. À cette vue, Bhagavat en vint à déployer un grand amour pour les êtres.

Puis Bhagavat prononça en ce moment-là cette stance :

 Les portes de l’Amrta vont être ouvertes ;
Quiconque désire entendre, qu’il guérisse ses doutes.
Brahmâ, j’annoncerai la loi aux hommes,
Cette loi de satisfaction, irréprochable et humble.

Puis Brahmâ, le maître du monde, pensa en lui-même : Ah ! Bhagavat annoncera la loi. Ah ! le Sugata annoncera la loi. — À cette pensée, à cette certitude, il se réjouit, fut content, très content, et avec une joie centuplée, le cœur à l’aise, il adora avec la tête les deux pieds de Bhagavat. Après quoi, ayant tourné trois fois autour de Bhagavat, il disparut.

3. MANQUE D’AUDITEURS CAPABLES

Ensuite Bhagavat eut cette pensée : À qui enseignerai-je premièrement la loi ? Telle fut sa réflexion. Puis Bhagavat eut encore cette pensée : Oh ! c’est à cet Arâta Kâlâma que je dois enseigner la loi tout d’abord. Car il a été mon premier maître, lui personnellement ; en conséquence, si je l’honore en lui rendant le premier des honneurs, si je le respecte en lui rendant le premier des respects (hommages), il se réjouira et aura foi dans les conceptions supérieures.

Les dieux dirent à Bhagavat : Vénérable, Arâta Kâlâma est mort, il y a de cela une semaine.

Bhagavat réfléchit alors ; assis et produisant la vue de la haute science, (il vit en effet, que) Arâta Kâlâma était mort depuis déjà une semaine. Bhagavat eut donc cette pensée : Hélas ! Arâta Kâlâma est mort et n’est véritablement plus. Hélas ! puisque Arâta Kâlâma est mort et n’est véritablement plus, il n’a pas entendu cette discipline de la loi ; s’il avait entendu cette discipline de la loi, il l’aurait comprise !

Ensuite Bhagavat fit cette réflexion : À qui enseignerai-je la loi en premier ? Puis Bhagavat eut aussitôt cette pensée : C’est à Rudraka fils de Râma que je dois enseigner la loi d’abord. Il a été mon premier maître, lui personnellement. En conséquence, si je l’honore en lui rendant le premier des honneurs, si je le respecte en lui rendant le premier des hommages, il se réjouira et aura foi dans les conceptions supérieures.

Les dieux diront à Bhagavat : Vénérable, Rudraka, fils de Râma, est mort au crépuscule avant la dernière nuit. Bhagavat s’étant alors assis pour méditer, et ayant produit l’œil de la science, (vit qu’en effet) Rudraka fils de Râma était mort à (ce) crépuscule. Puis Bhagavat eut cette pensée : Hélas ! Rudraka, fils de Râma est mort ; il n’est vraiment plus. Hélas ! puisque Rudraka fils de Râma est mort, il n’a pas entendu cette discipline de la loi ; s’il avait entendu cette discipline de la loi, il l’aurait comprise. Telle fut sa réflexion. Ensuite Bhagavat eut cette pensée : À qui enseignerai-je premièrement la loi ? Puis il eut cette (autre) pensée : C’est aux Bhixus, formant un groupe de cinq, que je dois premièrement enseigner la loi ; ceux-là, autrefois quand je restais en place, appliqué avec énergie à la méditation (yoga) qui pouvait m’affranchir de la douleur, m’ont assisté comme leur supérieur, de leurs respects et de leurs amabilités.

Puis Bhagavat eut cette pensée : Où résident maintenant les Bhixus du groupe de cinq ? — et Bhagavat, avec son œil divin parfaitement pur et qui dépasse l’(œil) humain, vit les Bhixus du groupe de cinq installés à Bénarès, à Ṛṣivadana[1], dans le bois des Gazelles (Mṛgadâva). À cette vue, après avoir demeuré aussi longtemps qu’il lui avait plu près de l’arbre de la Bodhi, il se dirigea du côté où est Vârânasi, capitale des Kaçi.

4. RENCONTRE D’UPAKA

En ce temps, l’Ajivaka Upaka cheminait sur cette même route. L’Ajivaka Upaka aperçut Bhagavat qui venait par ce chemin. L’ayant vu, il lui adressa ces paroles : Çramana Gautama, tes sens sont purs ; les couleurs de ton visage sont parfaitement pures ; puisque tu as le teint si clair, Ayuṣmat Gautama, quel est ton précepteur ? Sur qui t’es-tu appuyé pour devenir parivrajaka (moine errant) ? Dans la loi de qui te complais-tu ?

Bhagavat prononça ces stances :

Il n’existe personne qui soit semblable à moi ;
Pour moi il n’existe point de maître.

Je suis le seul Buddha qui soit au monde,
J’ai obtenu la Bodhi parfaite et forte.

J’ai tout vaincu : je connais tout (dans) le monde ;
Aussi ne suis-je lié par aucune loi.
J’ai tout rejeté, je suis sans désir ardent, pleinement délivré,
Ayant par moi-même la connaissance surnaturelle ; sur qui m’appuierais-je ?
 
Tathâgata, docteur des dieux et des hommes,
Sachant tout, doué de toutes les forces,
Ayant par moi-même saisi la Bodhi, instruit à fond,
N’ayant ni égal, ni semblable, sur qui me reposerais-je ?

C’est moi qui suis l’Arhat dans le monde ;
Dans le monde je suis sans supérieur ;
Dans le monde avec ses dieux,
Je suis le Jina, le vainqueur des démons.

Ayusmat Gautama, tu te dis un Jina ?
— Quiconque a obtenu la destruction de la misère
Est un autre Jina : voilà ce qu’il faut savoir.
J’ai surmonté la loi du péché :
Voilà pourquoi, Upaka, je suis un Jina.

Ayusmat Gautama, où vas-tu ?
— Après être arrivé à Vârânasi,
J’y ferai entendre le tambour de la loi.
J’y ferai tourner la roue de la loi,
Qui n’a point encore tourné dans le monde.

J’ai traversé (comme une mer) l’attachement au monde ;
Celui qui sait tout, le Buddha qui a atteint le calme,
N’est point l’homme bon,
S’il ne s’efforce de faire passer le monde à l’autre rive.

Ayusmat Gautama Jina, c’est bien ! dit l’Ajivaka
Upaka
, et il continua son chemin.

5. RÉCEPTION FAITE À ÇAKYA PAR LES CINQ

En ce temps-là, les Bhixus du groupe de cinq étaient installés à Bénarès, à Ṛṣivadana, dans le bois des Gazelles. Les Bhixus du groupe de cinq virent de très loin Bhagavat. En le voyant, ils concentrèrent leurs réflexions sur ce point, et étant bien assis (ils se dirent entre eux) : Savants doués de moralité, le Çramana Gautama est sans solidité : il n’est pas défiguré, il est nourri par bien des gens, il a rompu son vœu, il a mangé du riz cuit, des aliments chauds, des mets de tout genre ; il s’est frotté le corps de beurre frais et d’huile de sésame, puis il l’a baigné dans l’eau douce : et le voilà qui se dirige vers nous. Il ne faut pas lui parler, il ne faut pas le saluer, il ne faut pas le satisfaire, il ne faut pas nous lever pour lui offrir un tapis ; ou bien, s’il étend pour lui-même le surplus du tapis, nous lui dirons : Ayuṣmat Gautama, puisqu’il y a un tapis, si tu le désires, assieds-toi ; voilà ce que nous lui dirons. — C’est ainsi qu’ils s’entretinrent.

À mesure que Bhagavat, ayant vu les Bhixus du groupe de cinq, s’avançait vers eux, avec la même gradation, les Bhixus du groupe de cinq n’ayant pas oublié la majesté, la splendeur de Bhagavat, cet air qui commande le respect, se levèrent de dessus leur tapis ; quelques-uns, en vue de la loi, lui préparèrent là un siège, d’autres lui offrirent de l’eau pour se laver les pieds et un marchepied. Quelques-uns, le recevant avec empressement, prirent son vêtement et son manteau de religieux. Ils lui disaient : Savant Gautama, viens ici ! Savant Gautama, tu es le bienvenu ! Savant Gautama, assieds-toi sur ce tapis préparé exprès pour toi.

Puis Bhagavat fit en lui-même cette réflexion : « Ah ! ces hommes fous s’étaient fait une règle, mais je l’ai renversée. » Et, se rendant bien compte de cela dans sa pensée, il prit place sur le siège qui lui avait été préparé.

Puis les Bhixus du groupe de cinq parlèrent ensemble des signes de Bhagavat, ils parlèrent de sa naissance ; ils répétèrent tout ce que Bhagavat avait dit. Alors Bhagavat dit aux Bhixus du groupe de cinq :« Vous, Bhixus, parlez ensemble des signes du Tathâgata, parlez de sa naissance, répétez ce qu’a dit l’Ayuṣmat ! pendant longtemps il y aura pour vous du dommage, il n’y aura pas d’avantages, il y aura de la douleur. Pourquoi cela, direz-vous ?

C’est que, Bhixus, toutes les fois que quelques hommes parlent ensemble des signes du Tathâgata, parlent de sa famille, répètent ce qu’a dit l’Ayuṣmat, dans ce cas, il y a pour ces hommes, (si) grands (qu’ils soient), du dommage pour longtemps, il n’y a pas d’avantages, il y a de la douleur.

Ils lui firent cette réponse : Ayuṣmat Gautama, t’es-tu vu un moment privé d’obtenir, par cette règle d’autrefois, par cette conduite, par cette pratique des austérités, la connaissance approfondie de la loi humaine supérieure et sublime, ou bien l’as-tu comprise, l’as-tu vue ? mais tu n’as pas même aperçu le terrain de la science ! Et maintenant que ton inconstance est (établie), que dans mainte circonstance où tu avais à te montrer, tu t’es fait nourrir par d’autres, que tu as rompu ton vœu, que tu as mangé du riz cuit, des aliments chauds, toute espèce de provision de bouche, que tu as frotté ton corps de terre rouge et d’huile de sésame pour laver ton corps dans l’eau douce, combien n’en es-tu pas encore plus loin !

— Bhixus, voyez-vous que les couleurs du visage du Tathâgata et ses sens aient une apparence différente qui s’écarte de leur éclat d’autrefois ? Ils répondirent : Ayusmat Gautama, cela est ainsi K Alors Bhagavat parla ainsi au groupe de cinq Bhixus : Bhixus, quand on est initié, etc.

6. ENSEIGNEMENT DES QUATRE VÉRITÉS (DHARMACAKRA-PRAVARTANAM

Ici se place fa première prédication du BitdJIia, renseignement des quatre vérités, le sûfra intitulé Dharma-cakra-pravartanam, dont nous donnons plus loin la traduction selon les deux versions principales. Cet épisode se termine comme suit :

Pendant que cette explication de la loi était prononcée, l’Ayusmat Ajiïàta Kaundinya eut l’esprit entièrement délivré des péchés de manière à ne plus y retomber. Pour les Bhixus qui restaient du groupe de cinq, l’œil de la loi naquit sans poussière et sans lAt-he. En ce temps -là, il y avait dans le monde un Arhat (Ajñata-Kaundinya) : le second était Bhagavat.

Suit le récit de la conversion des quatre autres premiers disciples.

7. CONVERSION DE YAÇAS

En ce temps-là vivait à Bénarès le fils d’un chef de famille, nommé Yaças^^2 ; les jours se succédaient pour lui dans le plaisir que lui donnait la musique

1 C’est-à-dire : oui. Mais cela n’est pas très clair. Je suppose que le Buddha veut dire que son air, depuis qu’il est Buddha, diffère de celui qu’il avait avant de l’être devenu.

2 Grags pa, « gloire. » L’original sanskrit Yaças est bien connu. exécutée par des femmes, il s’en réjouissait. À force de goûter ce plaisir, son corps s’affaiblit, son corps se fatigua, son corps s’exténua et tomba subitement dans un assoupissement disgracieux. Il en fut de même pour ces femmes ; leur corps s’affaiblit, leur corps se fatigua, leur corps s’exténua et tomba soudain dans un assoupissement lourd et disgracieux. Le fils du chef de famille, Yaças, s’étant réveillé la nuit de son sommeil, vit toutes ces femmes dans des attitudes violentes et nues, les cheveux épars et les bras étendus.

Cette vue fit naître en lui, à propos de ses épouses se présentant à lui de la sorte, l’idée d’un cimetière.

Ensuite Yaças, le fils du chef de famille se levant de sa couche, mit des chaussures (ornées) de joyaux du prix de cent mille (pièces de monnaie), puis étant arrivé à la porte de sa chambre à coucher : Compagnons, dit-il, je suis tourmenté ; compagnons, je suis déchu ! — Il proféra ces paroles de découragement ; la porte lui fut ouverte par des êtres non humains, sans dire un mot.

Ensuite Yaças, le fils du chef de famille, arriva à la porte de la maison, disant : Compagnons, je suis tourmenté ; compagnons, je suis perdu ! — À ces paroles de découragement, la porte fut ouverte par des êtres non humains, sans dire un mot.

Ensuite Yaças, fils du chef de famille, arriva au lieu où était la porte de la ville : Compagnons, dit-il, je suis tourmenté ; compagnons, je suis perdu ! — À ces paroles de découragement, la porte fut ouverte par des êtres non humains, sans dire un mot.

Ensuite Yaças, le fils de famille, arriva au lieu où est le cours d’eau Vârana[2].

En ce moment, sur le bord du cours d’eau Vârana, sur la partie extérieure et découverte du Vihâra, Bhagavat allant et venant, marchait à pas comptés, pendant que Yaças le fils de famille arrivait. Yaças, le fils du chef de famille, aperçut de loin Bhagavat marchant (allant et venant) sur le bord du cours d’eau Vârana. À cette vue, il prononça ces paroles de découragement : Çramana, je suis tourmenté, Çramana, je suis perdu ! — Bhagavat répondit à Yaças, le fils du chef de famille : Jeune homme, viens ici ! Ce lieu sera pour toi sans tourments, il ne sera point (pour toi) une (cause de) perdition.

Puis Yaças, le fils du chef de famille, déposa sur le bord du cours d’eau Vârana sa paire de chaussures ornée de joyaux du prix de cent mille (pièces) ; passant alors le cours d’eau Vârana, il vint au lieu où était Bhagavat, puis ayant adoré avec la tête les deux pieds de Bhagavat, il se tint à peu de distance. Ensuite, Bhagavat ayant mis au large Yaças, le fils de famille, se rendit au lieu où était son Vihâra, puis s’assit sur le siège préparé spécialement pour lui. Quand ils furent assis, Bhagavat s’adressant à Yaças, le fils de famille, par des discours pleins de la loi et propres à l’instruire, à lui faire prendre prise, à l’exalter, à lui donner une joie vive, développa longuement les discours de la loi qui avaient été dans les temps antérieurs ceux des bienheureux Buddhas, tels que le discours sur le don (dâna), le discours sur la moralité (çila), le discours sur le Svarga, le peu de satisfaction que donnent les passions et leur néant, la corruption morale complète, la perfection, la sortie (hors du monde), l’éloge de la solitude complote, la région de la perfection.

Lorsque Bhagavat vit que (Yaças) avait l’esprit joyeux, l’esprit tourné k la vertu, l’esprit tourné à l’application, l’esprit exempt de ténèbres, doué de jugement, et capable de comprendre si on lui présentait un exposé complet de la loi, alors Bhagavat lui enseigna, en la développant telle qu’elle est, la loi d’après l’exposé complet qu’en ont (toujours) fait les Buddhas, à savoir : la douleur, l’origine, l’empêchement, le chemin ; par exemple, si l’on revêt un habit pur, exempt de taches noires et de saletés, d’une couleur convenable, il importe d’adopter la couleur convenable. En conséquence, Yaças le fils du chef de famille, pendant qu’il était encore assis sur le siège, passa en revue (dans son esprit) les quatre vérités sublimes : la douleur, l’origine, l’empêchement, la voie.

Puis Yaças le fils de famille vit la loi, entendit la loi, obtint la loi, pénétra les profondeurs de la loi, fut débarrassé de toutes ses obscurités, débarrassé de tous ses doutes. N’attendant plus son bien d’autre (chose), ne se laissant plus conduire par autre (chose que la loi), ayant conquis l’absence de toute crainte grâce aux lois enseignées par le maître, il se leva du tapis où il était assis, rejeta son vêtement de dessus sur son épaule et faisant l’anjali en s’inclinant du côté où était Bhagavat, parla ainsi à Bhagavat ; Vénérable je suis un àrya, je suis un ârya complet : je vais en refuge dans le Buddha, la Loi, et la Confrérie des Bhixus ; je demande à être reçu solennellement. — Désormais, pendant tout le temps de ma vie, tant que je jouirai du souffle vital, j’aurai une foi complète pour aller dans le refuge.

8. CONVERSION DU PÈRE DE YAÇAS

Cependant, une nuit, cette (nuit) même, une servante s’étant réveillée, vit que le jeune Yaças ne se trouvait plus dans sa chambre à coucher. À cette vue, elle se rendit près du maître de maison chef de famille, et, quand elle y fut arrivée, elle dit au chef de famille, maître de maison : maître, il faut que tu le saches : le jeune Yaças ne se trouve pas dans sa chambre à coucher.

Alors le maître de maison, chef de famille, se dit en lui-même : le jeune homme aurait-il été enlevé violemment à cause de ses richesses ? car il est peu probable que des séducteurs l’aient entraîné au dehors : tout en faisant ces calculs dans son esprit, il envoya dans la direction des quatre points (cardinaux) des messagers à cheval ; lui-même avec des hommes tenant des flambeaux à la main se dirigea vers le cours d’eau Vârana. Sur le bord du cours d’eau Vârana, le maître de maison chef de famille vit la paire de chaussures valant cent mille pièces de monnaie, qui avait été déposée. À cette vue, il fit encore cette réflexion : le jeune homme aurait-il donc été enlevé par des brigands à cause de ses richesses, car il n’est pas (à croire) que des séducteurs l’aient entraîné au dehors. Ainsi d’après ce fait qu’une paire de chaussures de cent mille pièces de monnaie a été déposée sur le bord du cours d’eau Vârana, on ne peut guère douter que le jeune homme n’ait quitté le bord du cours d’eau Vârana pour passer (à l’autre bord). — Se disant donc : il a jeté sur le bord du cours d’eau Vârana une paire de chaussures du prix de cent mille pièces de monnaie ; il passa de l’autre coté du cours d’eau Vârana, et se dirigea vers le lieu où était Bhagavat. Bhagavat vit de loin le maître de maison, chef de famille, qui arrivait. À cette vue, cette pensée lui vint à l’esprit : si je faisais à l’aide de ma puissance surnaturelle une combinaison telle que le maitre de maison chef de famille ne puisse voir le jeune Yaças assis sur son siège ? — En vertu de cette réflexion, Bhagavat fit une combinaison propre à manifester sa puissance surnaturelle, si bien qu’il empêcha le maître de maison, chef de famille, de voir le jeune Yaças assis sur son siège.

Puis, quand le maître de maison chef de famille fut arrivé au lieu où était Bhagavat, il parla ainsi à Bhagavat : Bhagavat, n’as tu pas vu le jeune Yaças ? — Maître de maison, assieds-toi, puisqu’il en est ainsi. Assis sur le siège, tu seras dans le lieu le plus propice pour voir assis le jeune Yaças.

Alors le maître de maison chef de famille se dit en lui-même : Sans aucun doute, Bhagavat a vu le jeune Yaças ; car Bhagavat a dit : Assieds-toi donc, maître de maison ; une fois assis sur ce siège, tu seras dans le lieu le plus propice pour voir le jeune Yaças assis. Telle a été la parole de Bhagavat. — Faisant ces réflexions, il fut joyeux, content, ravi, enchanté, plein de satisfaction ; il salua avec la tête les pieds de Bhagavat, et se plaça à peu de distance. Quand il fut placé à peu de distance, Bhagavat lui adressa un discours sur la loi.

Pendant cet exposé détaillé de la loi, l’œil de la loi pour (voir) les lois sans poussière et sans tache naquit pour le maître de maison chef de famille. Quant à l’âyusmat Yaças, comme un homme qui a été souillé d’ordures et n’en reprend plus (après s’être nettoyé), son esprit fut débarrassé de tous péchés.

Puis Bhagavat ayant démoli (défait) la combinaison formée en vertu de sa puissance surnaturelle prononça cette stance :

Celui qui, comme un homme chargé d’ornements pratique la loi,
Pratique la discipline et la loi dans ses moindres détails.
S’abstient avec soin de toute rigueur envers les êtres,
Celui-là est vraiment un Brahmane, un Çramana, un Bhixu.

Il y avait alors dans le monde six Arhats ; Bhagavat était le septième.

Le maître de maison, chef de famille, vit le jeune Yaças assis sur son tapis. Alors il (Bhagavat) parla ainsi au jeune Yaças. Jeune homme, viens ! Toi qui, au prix des plus grandes fatigues du corps, par une science qu’on ne t’avait point enseignée, par des vues qu’on ne t’avait point fait connaître, en es venu à méditer sur les quatre vérités sublimes, la douleur, l’origine, l’empêchement, la voie, es-tu tel que tu aies une maison, que tu résides dans une maison ? Les richesses accumulées sont-elles l’objet de tes désirs, et vis-tu au sein des richesses ?

— Vénérable, il n’en est rien.

— Maître de maison, de même que toi, par une connaissance qui t’a été enseignée, par des vues qui t’ont été enseignées, tu en es venu à méditer sur les quatre vérités sublimes, savoir : la douleur, la cause, l’empêchement, la voie ; ainsi, le jeune Yaças, par des vues qui ne lui avaient pas été enseignées, en est venu à méditer sur les quatre vérités sublimes, la douleur, la cause, l’empêchement, la voie.

— Vénérable, puisque le jeune Yaças, par une connaissance qui ne lui avait pas été enseignée, par des vues qui ne lui avaient pas été enseignées, en est venu à raisonner sur les quatre vérités sublimes, à savoir : la douleur, la cause, l’empêchement, la voie, le gain qu’il a fait est un bon gain. Que Bhagavat et Yaças devenu Gramana, manifestant leur compassion, veuillent bien se rendre chez le chef de famille.

Bhagavat accepta la proposition du chef de famille en gardant le silence.

Quand le maître de maison, chef de famille, comprit que Bhagavat avait acquiescé par son silence, il salua avec la tête les pieds de Bhagavat, et se retira de devant Bhagavat.

Ensuite, quand cette nuit fut passée, Bhagavat revêtit de grand matin sa tunique, prit son vase à aumônes, s’enveloppa de son manteau de religieux et avec l’Ayusmat Yaças marchant derrière lui, il se rendit à la demeure du maitre de maison, chef de famille.

9. CONVERSION DE LA MÈRE ET DE LA FEMME DE YAÇAS

En ce moment, la mère de l’Ayusmat Yaças et son épouse, elle deuxième, se tenaient assises constaunnent sur le seuil de la porte pour recevoir (leur hôte). La mère de l’Ayusmat Yaças et son épouse, elle deuxième, virent donc de-loin Bhagavat qui arrivait. Dés qu’elles le virent, elles préparèrent un siège pour Bhagavat, et parlèrent ainsi : Viens, Bhagavat, approche ! Bhagavat est le bienvenu ! Que Bhagavat veuille bien s’asseoir sur ce siège ! — Et Bhagavat s’assit sur le siège préparé pour lui.

Puis la mère de l’Ayusmat Yaças, puis son épouse, elle deuxième, saluèrent avec la tête les pieds de Bhagavat, et s’assirent non loin de lui. Quand elles furent assises non loin de lui, Bhagavat par un discours plein de la loi instruisit, endoctrina, éleva, réjouit la mère de l’Ayusmat Yaças et son épouse, elle deuxième. Il leur adressa les discours traditionnels des bienheureux Buddhas, savoir le discours sur le don, le discours sur la moralité, le discours sur le Svarga, il développa tout au long les faibles avantages en même temps que la bassesse et la défectuosité des passions, la corruption morale absolue, la pureté, la sortie hors du monde, l’éloge de la solitude et les lois de la région de pureté.

Quand Bhagavat vit qu’elles avaient toutes les deux l’esprit joyeux, l’esprit tourné à la joie, l’esprit ravi, que leur jugement était (sûr) et que si on leur exposait la loi en la leur offrant complètement, elles étaient capables de la connaître, il leur exposa tout au long la loi qu’ont toujours enseignée par transmission les bienheureux Buddhas, à savoir la douleur, la cause, l’empêchement, avoie ; par exemple, puisque l’on doit revêtir un habit exempt de toutes taches noires et de souillures, de couleur convenable, il importe d’adopter la couleur prescrite. Selon cet (enseignement) la mère de l’Ajusmat Yaças et son épouse, elle deuxième, méditèrent à fond dans cette séance même sur la douleur, la cause, l’empêchement, la voie.

Puis la mère de l’Ayusmat Yaças et son épouse, virent la loi, obtinrent la loi, connurent la loi, pénétrèrent dans les profondeurs de la loi, furent affranchies de toutes leurs incertitudes, affranchies de tous leurs doutes, n’eurent plus de foi en aucun autre, ne se laissèrent plus conduire par aucun autre, conquirent l’absence de crainte dans les lois qui leur avaient été enseignées par le maitre. S’étant levées de dessus leur tapis, elles firent l’anjali en se tournant du côté de Bhagavat et parlèrent ainsi à Bhagavat : Vénérable, nous sommes élevées (à l’état d’ârya) ; étant élevées au plus haut degré (à l’état d’ârya), nous venons en refuge près de Bhagavat, de la Loi, et de la Confrérie des Bhixus, nous te prions de nous admettre comme Upasikas. Désormais, aussi longtemps que nous vivrons et que le souffle nous restera, notre foi se manifestera hautement par ce refuge (que nous adoptons). Vénérable, nous demandons à faire acte (de soumission) par un repas (que nous t’offrons). Bhagavat accueillit par son silence l’offre de la mère de l’Ayusmat Yaças et de sa femme, elle deuxième.

La mère de l’Âyusmat Yaças et son épouse, elle deuxième, avant compris que Bhagavat acquiesçait par son silence, firent asseoir Bhagavat commodément, puis le fortifièrent et le rassasièrent en lui offrant de leurs propres mains des mets solides et liquides, purs et agréables. Après qu’elles l’eurent ainsi fortifié et rassasié par toutes sortes de mets et de breuvages purs et succulents, quand elles virent que Bhagavat avait fini de manger, rentré ses mains et serré son vase, elles prirent sur le tapis une position modeste et s’assirent en face de Bhagavat pour entendre la loi.

Alors par un discours qui renfermait la loi, Bhagavat instruisit, endoctrina à fond, exalta, réjouit vivement la mère de Yaças et son épouse, elle deuxième. Après les avoir instruites, endoctrinées à fond, exaltées, réjouies vivement par des discours variés sur la loi, il se leva de son siège et partit.

10. anciens mérites de yaças

Les Bhixus, ayant conçu un doute, questionnèrent Bhagavat, celui qui résout tous les doutes : Vénérable, quels actes l’âyusmat Yaças avait-il faits, pour que, par la maturité de ces actes, quand il était au milieu de l’entourage de son palais, là dans son propre palais, il ait eu la notion d’un cimetière, et que, comme nettoyé de toutes les souillures, la dignité d’Arhat se soit manifestée pour lui en présence de Bhagavat ?

Bhagavat dit : Bhixus, dans d’autres existences, antérieures à celle-ci, ce Yaças a fait, accumulé des actes, il en a pris le fardeau croissant, il a réalisé l’enchaînement de leurs causes et de leurs effets. Ces actes se pressent comme les tlots, et la fatalité de leurs conséquences est inévitable : quel autre que celui qui a fait, accumulé ces actes pourrait en recueillir le fruit ? Oui, Bhixus, les actes qu’on a faits, accumulés, ne mûrissent pas en dehors (de l’individu) ; ils ne mûrissent ni dans l’élément terrestre, ni dans l’élément aqueux, ni dans l’élément lumineux, ni dans l’élément igné, ni dans l’élément du vent. C’est dans l’élément du Skandha, dans les Ayatanas que mûrissent les actes qu’on a faits ou accomplis. Vertueux ou vicieux, les actes ne périront jamais, même après des centaines de kalpas. Quand tout est au complet, que le temps est venu, ils portent leurs fruits, certes, pour les êtres corporels[3].

Autrefois, Bhixus, dans la ville de Vârânasî, sur une montagne peu éloignée de la ville, résidait un Rsi plein de charité et de compassion, dont toutes les pensées étaient dirigées vers le bien des êtres. Au moment d’entrer (en ville) pour les aumônes, il rencontra le corps d’un homme mort. Il entra en ville avec des dispositions avides, afin de recevoir des aumônes, puis, quand on lui en eut donné, il revint. Dans l’intervalle le cadavre était devenu tout vert et tombé en putréfaction complète. Il passa devant cet objet, et à l’instant même, il fut délivré des convoitises. — Que pensez-vous, Bhixus ? Celui qui, en ce temps-là, à cette époque, fut le Rsi, c’était le jeune Yaças ; c’est par là qu’il a été délivré des attachements passionnés. C’est par là que, même alors qu’il était dans (les bras d)’une épouse, il a atteint la conséquence de cet acte.

Ainsi, Bhixus, les actes entièrement noirs portent un fruit entièrement noir, les actes entièrement blancs portent un fruit entièrement blanc ; les actes mélangés portent un fruit mélangé. En conséquence, Bhixus, renonçant aux actes entièrement noirs, comme aussi aux actes mélangés, appliquez-vous énergiquement aux actes entièrement blancs. Voilà, Bhixus, ce que vous devez apprendre[4]. — Ainsi parla Bhagavat : les Bhixus réjouis louèrent ouvertement le discours de Bhagavat.

11. conversion de quatre autres habitants

Or, il y avait à Vârânasî un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième fils de maître de maison chef de famille (à savoir) : Purna (-jit), Vimala, Gavâmpati, Subâhu. Ces fils de chefs de famille (Çresthi) entendirent cette nouvelle : Yaças, le fils du chef de famille a fait couper sa barbe et ses cheveux, il a pris des vêtements rouge-clair, a reçu la foi et a quitté les lieux habités pour les régions inhabitées. À cette nouvelle, ils se dirent : Oh ! mais, on ne peut pas dire que le Buddha ne soit pas une personne excellente et l’enseignement de la loi une chose excellente, puisque, à cause d’eux, Yaças le fils du chef de famille, vient, en un instant, lui si jeune, si amoureux du bien-être, de se couper cependant la barbe et les cheveux, de se revêtir d’habits rouge-clair, de recevoir la foi, de se faire initier et de quitter les lieux habités par les régions inhabitées. Eh bien ! nous aussi, il faut que nous coupions notre barbe et nos cheveux, que nous revêtions des habits rouge clair, que nous recevions la foi parfaite et que nous quittions les lieux habités pour les régions désertes.

Ensuite, le deuxième fils du chef de famille et le troisième, le quatrième, le cinquième (à savoir) : Pûrna (-jit), Vimala, Gavâmpati, Subâhu, ces fils du chef de famille sortirent de Vârânasi pour aller au lieu où se trouvait Bhagavat. Y étant arrivés, ils saluèrent avec la tête les pieds de Bhagavat et s’assirent non loin de lui. Une fois assis non loin de lui, le deuxième fils de chef de famille et le troisième, le quatrième, le cinquième, Purnajit, Vimala, Gavâmpati, Subâhu, les fils de chefs de famille parlèrent ainsi à Bhagavat : Vénérable, si l’initiation à la discipline de la loi bien enseignée, la consécration et la condition de Bhixu nous sont accordées, nous pratiquerons la pureté absolue en présence de Bhagavat. — Ces âyuṣmats reçurent l’initiation à la discipline de la loi bien enseignée, la consécration et la condition de Bhixu.

Ainsi initiés, ces âyuṣmats, voués à une solitude sévère, à la vigilance, à l’application, vécurent dans le renoncement.

Comme ils étaient voués à la solitude, à la vigilance, à l’application, au moment où ces fils de chef de famille eurent coupé leur barbe et leurs cheveux, revêtu des vêtements rouge-clair, reçu la foi véritable, quitté les lieux habités pour les régions inhabitées et atteint le terme delà pureté absolue au delà duquel il n’y a rien, en ce moment même ayant réussi à atteindre la manifestation pour eux-mêmes de la connaissance surnaturelle, ils purent dire : Notre naissance est épurée, la pureté absolue nous a été enseignée ; nous avons fait ce que nous avions à faire, nous ne connaissons pas d’autre naissance que celle-ci. En se conduisant ainsi, les âyuṣmats devinrent des Arhats dont l’esprit était entièrement délivré (de l’erreur comme du mal) et sachant tout.

En ce temps-là, il y avait dans le monde dix Arhats[5] ; le onzième, c’était Bhagavat.

12. conversion de cinquante habitants de bénarès

Dans la ville de Vârâṇasi, cinquante habitants, fils de chefs de famille, apprirent cette nouvelle : un premier, un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième fils de chef de famille, Yaças, Pûrṇa (-jit), Vimala, Gavâmpati, Subâhu, ces fils de chef de famille ont coupé leur barbe et leurs cheveux, revêtu des habits rouge clair, reçu la foi parfaite et conséquemment passé des lieux habités dans les régions désertes. À cette nouvelle, ils se dirent en eux -mêmes : Oh ! mais, on ne peut pas dire que le Buddha ne soit pas une personne excellente, ni l’enseignement de la loi une chose excellente, puisque à cause d’eux un premier, un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième fils de chefs de famille, Yaças, Pûrṇa (-jit), Vimala, Gavâmpati, Subâhu, ces fils de chef de famille, viennent subitement, tout jeunes qu’ils sont et amoureux du bien-être, de se raser les cheveux et la barbe, de revêtir des vêtements rouge-clair, de recevoir la foi parfaite, et conséquemment de passer des lieux habités dans les régions inhabitées après s’être fait initier. Eh bien 1 nous aussi, il faut que nous nous fassions couper la barbe et les cheveux, que nous prenions des vêtements rouge-clair, que nous recevions la foi parfaite pour nous faire initier afin de passer ensuite des lieux habités dans les régions inhabitées. — Telle fut leur réflexion.

Alors les cinquante habitants fils de chefs de famille sortirent de Vârânasî, et se rendirent près de Bhagavat. Quand ils y furent arrivés, ils saluèrent avec la tête les pieds de Bhagavat, et s’assirent non loin de lui. Une fois assis non loin de lui, les cinquante habitants chefs, fils de chefs, parlèrent ainsi à Bhagavat : Vénérable, si nous pouvons obtenir l’initiation à la discipline et à la loi bien enseignée, la réception solennelle et la condition des Bhixus, nous pratiquerons la pureté absolue en présence de Bhagavat.

Ces âyusmats obtinrent l’initiation à la discipline de la loi bien enseignée, la consécration etla condition de Bhixus. Ainsi initiés, ces âyusmats, livrés à une solitude Révère, à la vigilance et à l’application, vécurent dans le renoncement ; à cause de quoi, ces fils de famille, ayant coupé leur barbe et leurs cheveux, revêtu des habits rouge-clair, reçu la foi parfaite, se firent initier pour passer des lieux habités dans les régions inhabitées et atteignirent le terme de la pureté absolue au delà duquel il n’y a rien. En ce temps-là même, ayant réussi à faire apparaître pour eux la connaissance surnaturelle d’eux-mêmes, ils purent dire : Nos naissances sont épuisées, nous avons pratiqué assidûment la pureté absolue, nous avons fait ce que nous avions à faire, nous ne connaissons pas d’autre existence que celle-ci. — En se conduisant ainsi, ces âyuṣmats devinrent des Arhats à l’esprit parfaitement délivré du mal et de l’erreur et sachant tout.

En ce temps-là, il y avait dans le monde soixante[6] Arhats, le soixante et unième, c’était Bhagavat.

13. tentative de mâra. — départ de çâkya

Puis Bhagavat résida à Vârânasî, à Risivadana (au lieu dit « la parole des Ṛṣis ») dans le Mrgadàva (Bois des Gazelles).

Puis Bhagavat dit aux Bhixus : Pour moi, je suis délivré de tous les liens, tant divins qu’humains ; vous aussi, Bhixus, vous êtes délivrés de tous les liens tant divins qu’humains. Marchez donc, Bhixus, désormais pour le bien d’un grand nombre de créatures, pour le bien-être d’un grand nombre de créatures, par compassion pour le monde, pour le bien, le bien-être et des dieux et des hommes ; mais allez deux ensemble, et non isolément. Pour moi, je me rends à Uruvilva.

Cependant Mâra le méchant se dit en lui-même : Le Çramana Gautama, résidant à Vârânasî dans le lieu dit Parole-des Rsis, dans le parc des Gazelles, a enseigné la loi à ses auditeurs en ces termes : Pour moi, Bhixus, je suis délivré de tous liens, tant divins qu’humains : vous aussi, Bhixus, vous êtes délivrés de tous les liens tant divins qu’humains ; en conséquence, Bhixus, marchez pour le bien d’un grand nombre d’êtres, etc., etc. ; et cependant je me rends à la ville et au district d’Uruvilva. C’est ainsi qu’il leur a parlé ; mais il faut que je m’approche de lui pour le mettre en trouble. — Telle fut sa réflexion.

Alors Mâra, le méchant, le pervers, changeant de forme, prit la figure d’un fils de brâhmane. Il se rendit près de Bhagavat et, s’asseyant en présence de Bhagavat, parla en ces termes :

Tu n’es pas délivré et, si tu te figures être délivré,
Tes pensées de délivrance ne sont que des fictions de ton (invention) ;
Çramana, tu n’es pas délivré de mon (étreinte),
Tu es lié par de grands désirs.

Alors Bhagavat fit cette réflexion au dedans de lui-même : Oh ! mais, c’est Mâra le pervers ! Voici ! il s’est approché pour faire œuvre de trouble. — Cette réflexion faite et cette idée bien comprise, il prononça cette stance :

Oui, certes, toutes les passions tant divines qu’humaines,
J’en suis complètement délivré.
Tu es vaincu par tous les obstacles que tu (prétends élever).
Pervers, il en est ainsi, sache-le bien !

Alors Mâra le pervers se dit en lui-même : l’esprit du Çramana Gautama connaît ma pensée. — Ce fait bien compris, souffrant, le cœur abattu et chagrin, il disparut à l’instant[7].

Puis Bhagavat parla une seconde fois aux Bhixus : Bhixus, je suis complètement délivré de tous les liens tant divins qu’humains. Vous aussi, Bhixus, vous êtes délivrés de tous les liens tant divins qu’humains. En conséquence, Bhixus, allez, faisant tout pour le bien d’un grand nombre d’êtres.

Pour moi, je m’en vais à la ville et au district d’Uruvilva.

— Vénérable, il sera fait selon tes ordres ; — et les Bhixus, ayant entendu Bhagavat, se mirent en marche.


Nota. — Cette section II forme un tout suivi, sauf une seule lacune, la conversion des quatre compagnons d’Ajnata-Kaundinya ; elle sera ajoutée à la traduction de l’enseignement des quatre vérités annoncée page 20 ; — ainsi on aura toute cette série au complet.


  1. En certaines portions du Kandjour on trouve la leçon drang srong-gi-smra-va (Ṛṣivadan paroles des Ṛṣis ») au lieu de drang-srong-gi-lrung-va (Rṣipatana « chute des Riṣis »). — On sait que Bhixu (mendiant) est le nom sanskrit des moines bouddhistes ; les Tibétains le rendent par Dge-Slong.
  2. Le nom tibétain est Gnod-pa-can (« dangereux ») ; je restitue le sanskrit Vârana ; le Vârana (aujourd’hui Barnâ) est un cours d’eau voisin de Bénarès, et dont le nom entre, dit-on, dans celui de la ville. — Vàrana signifiant « empêchement », on peut considérer le tibétain gnod-pa comme une traduction de ce terme et gnod-pa-can comme un équivalent du nom de fleuve Vâraṇa.
  3. Ce développement sur la fatalité des conséquences des actes revient très souvent dans le Kandjour.
  4. Ce récit est un véritable Avadâna : nous en reparlerons plus loin.
  5. Ces dix sont les quatre dont on vient de raconter la conversion ; — Yaças dont la conversion a précédé et préparé les leurs, — et enfin les cinq premiers disciples.
  6. Ces soixante sont les cinquante dont il est question dans ce chapitre ajoutés aux dix dont il s’agit à la fin du précédent.
  7. Il y a, dans les textes tant pâlis que tibétains, nombre d’histoires de tentatives de Mâra analogues à celle-ci : les personnages diffèrent, les discours varient ; mais le bilan du récit est toujours le même.