Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome I/V/7

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Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (Ip. 457-523).
LIVRE SEPTIÈME.


des organes de la voix.


Chapitre i. — L’objet du présent livre est l’histoire de la structure du poumon, considéré surtout comme organe de la voix. — Si les descriptions verbales ne suffisent pas pour enseigner l’anatomie, du moins elles remémorent ce qu’on a déjà appris, et elles préparent à mieux profiter des dissections.


Le poumon, avons-nous dit précédemment (VI, ii), est l’organe de la respiration et de la voix. Pourquoi a-t-il été formé de parties si nombreuses et telles que nous les voyons ? pourquoi était-il mieux qu’elles ne fussent ni plus ni moins nombreuses, et qu’elles ne différassent de ce qu’elles sont ni par le volume, ni par la forme, ni par la consistance, ni par la configuration ? C’est ce que nous dirons dans le présent livre, commençant, comme il est naturel, par exposer les parties du poumon. Sans doute il faut les examiner en disséquant les animaux, et ne pas croire qu’aucune explication puisse, à l’égal des sens, instruire de toutes les particularités du poumon ; c’est un fait que personne ne pourra contester (cf. I, xvii, p. 149, note 2. — Voy. aussi VI, xx, fine ; VII, ii ; XII, viii, et Medic. sec. gen., III, ii, t. XII, p. 603 et suiv.) ; néanmoins il ne faut pas se refuser à exposer sa structure à l’aide de la parole, pour rappeler ainsi cette structure à ceux qui ont disséqué et pour la faire connaître, comme enseignement préparatoire, à ceux qui l’ignorent complètement.


Chapitre ii. — Il existe trois ordres de vaisseaux dans le poumon : veines et artère pulmonaires, trachée-artère. — Comment les vaisseaux se ramifient dans le poumon.


Le poumon est, comme le foie, un lacis de vaisseaux très-nombreux, dont les intervalles sont remplis par une chair molle comme le duvet du poterium épineux[1] (στοίβη). Parmi les vaisseaux, l’un naît du ventricule gauche du cœur (veines pulmonaires ou artères veineuses)[2], l’autre du ventricule droit (artère pulmonaire ou veine artérielle), le troisième du pharynx (trachée-artère). Ces vaisseaux en avançant se divisent tous de la même façon, d’abord en deux branches, parce qu’une partie du poumon se trouve à la droite de l’animal, et l’autre à sa gauche, ces deux parties étant séparées par de fortes membranes (médiastins). Ensuite chacune de ces branches se partage à son tour en deux autres branches, parce que dans chaque partie du poumon il existe deux lobes ; de cette façon les quatre branches de chacun des susdits vaisseaux se distribuent en se ramifiant de mille manières dans les quatre lobes du poumon ; le cinquième et petit lobe placé à droite dans la cavité du thorax, lobe qui, disions-nous (VI, iv, p. 389-391), sert d’appui et comme de coussin à la veine cave, reçoit, des vaisseaux qui se distribuent au grand lobe avec lequel il est en contact, de petites ramifications dont son tissu est entièrement pénétré. Tous les lobes sont enveloppés d’une membrane mince (plèvre viscérale), laquelle reçoit quelques rameaux des nerfs qui descendent le long de l’œsophage sur l’estomac (pneumo-gastrique). Telle est la nature du poumon. À propos du ventricule droit du cœur, nous avons démontré clairement (VI, x) qu’il était préférable que la veine du poumon fût artérielle et que son artère fût veineuse.


Chapitre iii. — De la structure de la trachée-artère ; partie cartilagineuse et partie membraneuse. — Comment cette artère se ramifie dans le poumon. — Elle est exempte de sang dans l’état normal, tandis que les autres artères, aussi bien l’artère veineuse (veine pulmonaire) que celles du reste du corps, en sont pourvues.


Pourquoi à ces deux vaisseaux la nature en a-t-elle adjoint un troisième issu du larynx, et nommé trachée-artère par les uns, <ref follow=p489>est le nom propre d’une plante dont le duvet servait à rembourrer les selles des bêtes de somme, comme nous l’apprend Tibérius dans les Hippiatriques (p. 169, 2), mais dans les Glossaires ce mot signifie aussi stipatio, stramentum ; et les dérivés de στοίβη prouvent qu’on lui avait aussi donné ce sens anciennement, sens tiré, du reste, des usages auxquels servait le potérium épineux. J’ai donc traduit quelquefois ce mot par bourre.<ref> bronche (βρόγχος)[3] par d’autres. C’est ce que nous dirons maintenant, quand nous aurons d’abord exposé toute la structure du poumon dans le but d’éclaircir notre explication. — Il existe une partie simple dans le corps de l’animal, partie dont nous avons parlé précédemment dans le livre Sur la main (I, xi, p. 131) ; plus dure que toutes les autres, plus molle que l’os seulement, elle a reçu de presque tous les médecins le nom de cartilage (χόνδρος). La nature, employant une grande portion de cette matière cartilagineuse à la construction de la trachée-artère, l’a recourbée complètement et lui a donné une forme également cylindrique ; la face externe que nous touchons est convexe, l’interne est concave ; ensuite disposant ces cerceaux l’un au-dessous de l’autre dans la longueur du cou et remplissant de cette façon tout l’intervalle compris entre le larynx et le poumon[4] elle a rattaché les cerceaux par de forts ligaments membraneux tout à fait semblables à ceux qui rattachent les cerceaux des langoustes[5]. La partie de la trachée qui devait toucher l’œsophage, lequel est sous-jacent (c’est-à-dire en arrière) n’est plus composée de cartilage [mais fibro-membraneuse] ; le cercle n’est pas complet, et chaque cartilage ressemble à la lettre C. C’est pour cela, je pense, que quelques-uns les nomment sigmoïdes (cf. Manuel des dissections, VII, v).

Ces ligaments, les autres ligaments ronds (cerceaux fibreux) et les cartilages mêmes, sont recouverts uniformément à l’intérieur par une autre tunique exactement périphérique qui les tapisse tous (membrane muqueuse et tunique à fibres élastiques[6]). Cette tunique épaisse et forte ayant les fibres droites, longitudinales, fait suite, je me souviens l’avoir dit précédemment (IV, viii ; cf. VII, vii), à celle qui tapisse toute la bouche, l’intérieur de l’œsophage et tout le canal intestinal. Toutes les parties sont extérieurement entourées d’une membrane (tunique fibreuse commune, ou cylindre fibreux), qui sert comme de vêtement et d’enveloppe à toute la trachée-artère. Telle est la nature de l’artère du cou, au moyen de laquelle les animaux inspirent, expirent, émettent des sons et soufflent. Aussitôt qu’elle a dépassé les clavicules et qu’elle entre dans la cavité du thorax, elle se divise et se porte dans toutes les parties du poumon, s’y distribuant dans tous les lobes avec les vaisseaux qui viennent du cœur (cf. VII, viii, p. 472 et suiv., et Hoffmann, l. l., p. 132). Néanmoins elle ne s’éloigne pas de la nature qu’elle avait primitivement ; elle ne se modifie en rien dans aucune de ses ramifications, mais toutes ces ramifications restent formées de cartilages sigmoïdes nombreux, rattachés les uns aux autres par des ligaments jusqu’aux derniers lobes du poumon[7]. C’est le seul vaisseau du poumon exactement privé de sang. Érasistrate répute aussi comme telle l’autre artère, qui est lisse (veines pulmonaires), mais à tort, comme nous l’avons dit souvent (voy. VI, xvii, p. 442, et les notes 1 et 2). En effet, celle-ci renferme une quantité non médiocre d’un sang vaporeux léger et pur. La trachée est complétement dépourvue de sang, du moins dans l’état normal. S’il survient un déchirement, une anastomose[8] (ouverture) ou une érosion d’un vaisseau dans le poumon, alors il se répand dans cette artère du sang qui gêne la respiration, en obstruant le passage de l’air ; dans ce cas l’animal tousse et le sang remonte dans la bouche par le pharynx.

Chapitre iv. — Les cartilages de la trachée-artère servent à l’émission de la voix, et les membranes permettent que cette partie suive les mouvements de resserrement et de dilatation du poumon et du thorax. — Cela est démontré par l’expérimentation sur les animaux morts.


Pourquoi la nature, au lieu de faire cette artère entièrement cartilagineuse ou membraneuse, a-t-elle placé alternativement un cartilage et une membrane, et ces cartilages mêmes, pourquoi, au lieu d’être des cercles parfaits, manquent-ils chacun d’un petit segment ? C’est ce que je vais expliquer.

Je prouverai d’abord que l’organe de la voix exigeait absolument des cartilages (voy. chap. v) ; car j’ai démontré, dans mes Commentaires sur la voix[9], que toute percussion de l’air n’est pas capable de produire un son, mais qu’il faut un certain rapport [entre l’air, d’une part] et d’une autre entre la substance et la force du corps qui frappe l’air, de manière que ce dernier oppose quelque résistance, et ne soit pas rejeté vaincu au premier choc. Le cartilage dans les animaux présente ce degré convenable ; les corps plus mous faute de force frappent l’air d’une façon insensible ; les corps durs repoussent l’air si vivement, qu’il reçoit le coup sans attendre et sans résister, et que s’échappant et s’évanouissant, il paraît moins recevoir le coup que s’écouler (cf. Vitruve, De archit., V, v)[10].

Il ne faut pas chercher ici les démonstrations de ces faits non plus que d’aucune autre fonction, Après avoir décrit séparément [dans d’autres traités] chacune de ces fonctions, nous terminons en exposant l’utilité des parties, ce qui exige, comme nous l’établissions dès le principe (I, xvi), la connaissance préalable de toutes les fonctions.

Le cartilage de la trachée-artère est l’organe particulier de la voix même[11]. Elle serait tout entière composée de cartilage, n’ayant en aucune façon besoin de ligament et de tunique, si elle ne devait éprouver aucun ébranlement quand l’animal inspire, souffle, ou émet un son[12]. Maintenant, comme toutes ces actions exigent qu’alternativement elle s’allonge et se rétrécisse, puis qu’elle se raccourcisse, nécessairement elle n’a pas dû être constituée seulement de matière cartilagineuse incapable de se dilater ni de se contracter, mais elle a encore été pourvue de substance membraneuse pour se conformer aisément aux mouvements susdits. En effet, dans l’inspiration tout le thorax se dilate, comme nous l’avons démontré dans nos Commentaires sur le mouvement de cet organe (voy. p. 385, note 1) ; puis, pour remplir la place laissée vide, il dilate en tous sens le poumon. Pendant ce temps-là les parties membraneuses de la trachée-artère se distendent aisément en largeur et en longueur ; en largeur, celles qui occupent l’espace laissé entre les [extrémités des] cartilages sigmoïdes [et complètent ainsi le cercle] ; en longueur, celles qui unissent les cartilages mêmes.

Vous pouvez constater évidemment ce fait sur un animal déjà mort, en insufflant par la trachée-artère de l’air dans tout le poumon, et ensuite en le comprimant et le vidant. On voit, en effet, les membranes de jonction des cartilages, quand l’air insufflé a rempli tout le poumon, se tendre et écarter les cartilages les uns des autres, autant que leur nature leur permet de se distendre ; au contraire, quand l’air est expulsé, ils se relâchent, se replient, se ramassent sur eux-mêmes, et permettent aux cartilages de se toucher réciproquement[13]. Les ligaments remplissant l’intervalle entre les [extrémités des] cartilages sigmoïdes, s’élargissent en se gonflant par l’insufflation et deviennent convexes du côté extérieur ; par l’expulsion de l’air ils se relâchent et retombent intérieurement. Cela montre évidemment que les alternatives d’allongement et de raccourcissement de la trachée-artère sont produites par les parties qui unissent les cartilages, et que l’élargissement et l’affaissement dépendent de celles qui achèvent le cercle commencé par les cartilages sigmoïdes.

Chapitre v. — Au moyen de la trachée, et particulièrement du larynx, le poumon est parfaitement conformé pour être à la fois un organe de la respiration et un organe de la voix. — Du mode de production de la voix. — Les pièces cartilagineuses et immobiles servent à produire le son, et les pièces membraneuses ou mobiles concourent à l’acte de la respiration. — La trachée manque nécessairement chez les poissons, puisqu’ils vivent dans l’eau, et que, par conséquent, ils n’ont pas besoin de voix ; aussi la nature ne leur a-t-elle donné qu’un organe (les branchies) qui sert à rafraîchir le cœur ; en d’autres termes, ils n’ont que l’instrument de la respiration.


Ainsi rien ne manque au poumon pour être à la fois un instrument de la voix et de la respiration au moyen de la trachée-artère, celle-ci renfermant les cartilages comme organes phonétiques, et les ligaments qui les unissent comme organes respiratoires. Que le cartilage soit le premier organe de la voix (voy. p. 466-8), la meilleure preuve en est le larynx. On appelle ainsi l’organe qui, unissant la trachée-artère au pharynx, paraît surgir du cou, est dur au toucher (pomme d’Adam) et remonte pendant la déglutition.

Que le larynx soit le premier, le principal organe de la voix, c’est ce que nous avons démontré dans notre traité Sur la production de la voix (voy. pag. 380, note 2). Qu’il soit entièrement[14] cartilagineux, cela n’a pas besoin d’être démontré, c’est un fait évident[15]. Nous avons aussi établi, dans ce traité, que la trachée-artère règle et prépare la voix au larynx (voy. p. 463, note 1), et qu’au moment où elle s’y est déjà produite, elle est renforcée par la voûte palatine établie en avant pour renvoyer le son comme un bassin[16] et par la luette qui joue le rôle de plectrum[17] (voy, XI, xi) ; nous y avons encore démontré que la voix ne se produit pas par une expiration simple, que l’émission du souffle (ἐκφύσησις, exsufflation)[18], est la matière spéciale du son ; qu’il existe une différence entre l’exsufflation et l’expiration même et quelle est cette différence ; que les muscles du thorax produisent l’exsufflation ; quel en est le mode de formation, et quel est celui de la voix. En ce moment, et comme je l’ai dit, mon but n’est pas de démontrer aucun de ces faits ; je veux prouver, les tenant pour réels, qu’il n’était pas possible de donner une meilleure structure à une partie qui est en même temps l’organe de la respiration et celui de la voix. Ces démonstrations actuelles sur l’utilité des parties témoigneront naturellement que nous avons bien exposé précédemment leurs fonctions. Ainsi nous avons établi, dans ce traité, que la voix est préparée au larynx par la trachée-artère, mais que le son n’y est pas encore achevé.

En exposant que c’est la partie cartilagineuse de la trachée qui prépare la voix, nous avons fourni une nouvelle preuve de la justesse de notre manière de voir, d’une part, au sujet du larynx, que nous considérons comme organe principal de la voix ; et, d’une autre part, au sujet de la trachée-artère dont la partie cartilagineuse est organe de la voix, et dont l’autre partie est organe de la respiration. Évidemment il n’était pas possible qu’un organe autrement construit que ne l’est la trachée-artère exerçât mieux cette double action. En effet, il fallait absolument qu’elle fut composée de pièces immobiles et d’autres mobiles, puisqu’en tant qu’organe de la voix elle ne pouvait se dilater et se contracter ; attendu que pour remplir cette fonction (c’est-à-dire la formation de la voix), il fallait une rigidité telle, qu’il lui était impossible de subir tour à tour ce changement d’état ; d’un autre côté, en tant qu’organe de la respiration, elle ne pouvait être assez dure pour moduler un son, puisque sa première fonction était le mouvement[19]. Mais maintenant les pièces mobiles, étant alternativement disposées avec les pièces immobiles, la voix est produite par les pièces immobiles, et la respiration par celles qui sont mobiles. De plus, les pièces immobiles, emportées par le mouvement des pièces mobiles se meuvent accidentellement avec elles ; c’est une conséquence de leur union.

Ainsi donc cette artère est une partie essentielle du poumon elle manque nécessairement chez les poissons, aussi bien que le poumon lui-même, puisque, vivant dans l’eau, ces animaux n’ont aucun besoin de la voix. Pour rafraîchir le sang échauffé du cœur, or les poissons n’avaient besoin de respirer que pour cela, la nature a disposé les branchies. Nous avons dit quelques mots de leur structure (VI, ix), et nous en reparlerons d’une manière spéciale et plus complète dans notre ouvrage Sur l’anatomie de tous les animaux.

Maintenant, après avoir démontré que tout ce que nous avons dit dans ce traité Sur les utilités des parties, est vrai et que les autres traités sur les fonctions concordent ensemble et se servent mutuellement de preuves, nous aborderons les autres parties du poumon.


Chapitre vi. — La trachée ne pouvait pas être mieux conformée qu’elle n’est actuellement ; ôtez, par la pensée, les ligaments membraneux, la respiration est abolie ; enlevez les cartilages, la voix est perdue.


Nous disions que la voix a pour organe le cartilage de la trachée-artère, et la respiration les ligaments membraneux[20] ; que la trachée-artère, instrument à la fois de la respiration et de la voix, résultant de l’union de ces parties, ne saurait avoir une autre structure préférable, puisqu’aucune substance plus dure ou plus molle que le cartilage ne produirait mieux le son. Attachées autrement qu’elles ne sont, les parties n’exécuteraient pas mieux les mouvements en largeur et en longueur, c’est-à-dire de dilatation dans l’inspiration, de contraction dans l’expiration.

Supposez détruite la partie que vous voulez, immédiatement vous détruisez en même temps toute l’action. Si vous enlevez les cartilages, vous anéantissez la voix ; car la substance des membranes, des tuniques et de tous les corps aussi mous, est comme une corde mouillée, impropre à la production de la voix (cf. chap. vii, p. 471-2). Si, par hypothèse, vous enlevez le ligament, vous abolissez la respiration en la confiant à des organes immobiles. Si vous enlevez quelques-unes de ces parties en conservant les autres, l’action perd tout ce que lui donnaient de force les parties enlevées. En effet, si vous détruisez les ligaments qui rattachent les cerceaux les uns aux autres, l’artère perd la faculté de s’allonger ; elle perd celle de s’élargir si elle est dépouillée de la membrane qui remplit le vide laissé par le cercle incomplet des cartilages sigmoïdes.

Chapitre vii. — La nature a merveilleusement agi pour la sûreté de la trachée et de l’œsophage et pour la marche du bol alimentaire ou des boissons, en plaçant en avant les cartilages, et en arrière, c’est-à-dire en contact avec l’œsophage, la membrane qui complète la circonférence de la trachée. — Comment il est avantageux que nous ne puissions pas respirer et avaler en même temps. — Capacité des deux conduits. — Utilité de la membrane muqueuse commune à la bouche, à l’œsophage et à la trachée. D’abord, elle prévient l’ulcération si dangereuse du cartilage ; en second lieu, son degré moyen de sécheresse est favorable au timbre régulier de la voix ; enfin, la densité ne permet pas aux humeurs de la traverser, et de rendre ainsi la voix rauque, et d’altérer les cartilages.


Est-ce que la nature, qui a créé la trachée-artère avec un art suprême, aurait procédé avec négligence, eu égard à la position respective de ses diverses parties constituantes, en disposant extérieurement (c’est-à-dire, en avant) la partie arrondie des cartilages, et intérieurement (c’est-à-dire en arrière) pour achever le cercle, les ligaments qui complètent le reste de la circonférence ? Ou bien n’est-ce pas une preuve de cette habileté, toujours la même, que d’avoir, à l’endroit où l’artère devait toucher l’œsophage, établi en arrière le ligament qui rattache les cartilages, et d’avoir fixé en avant le cartilage comme un moyen de défense contre les corps extérieurs, afin que l’œsophage ne fût pas comprimé par la dureté de ces cartilages, et que la trachée-artère, rencontrant les corps extérieurs par ses parties les plus molles, ne fût pas exposée à des lésions ? Dans l’état actuel, les parties dures se trouvant à la face antérieure du cou et les parties molles touchant l’œsophage, la nature a donné à chacun des organes de merveilleuses protections contre les lésions ; l’œsophage ne saurait être lésé par l’artère, ni l’artère par les corps extérieurs.

Est-ce là le seul avantage que la nature ait tiré pour les animaux de la disposition des cartilages de la trachée-artère, ou bien en résulte-t-il un plus considérable pour la déglutition des aliments et des boissons qu’on prend en grande masse à la fois ? Elle me paraît encore avoir merveilleusement préparé ce résultat. Car si les cartilages eussent été tous complètement circulaires[21], outre qu’ils eussent pressé l’œsophage en pesant sur sa convexité, ils auraient encore notablement rétréci le passage, lorsqu’on avale un bol alimentaire très-volumineux. Dans l’état actuel, en de semblables circonstances, la tunique de la trachée-artère établie dans cet endroit, repoussée par le voisinage des aliments et se repliant sur l’espace laissé libre par les cartilages, permet à l’œsophage de prêter au passage des aliments toute sa capacité. Dans ce cas, la convexité des cartilages faisant obstacle aux distensions de l’œsophage eût intercepté une grande partie de sa largeur, et par là rétréci le canal des aliments.

Si l’on pouvait à la fois avaler et respirer, loin qu’une telle situation fût avantageuse, elle nous serait nuisible, attendu que la convexité de l’œsophage, empiétant sur la largeur de la trachée-artère, rétrécirait d’autant le passage de l’air. Mais, comme l’acte de la respiration s’accomplit dans un temps, et celui de la déglutition dans un autre, l’artère et l’œsophage se prêtent mutuellement l’espace occupé par leur canal, de sorte qu’en peu de temps, une plus grande quantité de matière passe à travers chacun des conduits. De plus, la forme cylindrique des conduits a été disposée parfaitement pour que le plus de matière possible passât par le canal le plus petit possible, et pour que ces conduits fussent à l’abri des lésions. En effet, nous avons montré (I, xi, xiv ; III, viii ; IV, vii) que cette figure est celle qui prête le moins aux lésions, et que c’est la plus grande de toutes celles qui ont un périmètre égal. S’il en est ainsi, la plus grande quantité de matières passera le plus facilement par les organes les plus étroits.

En outre, comment n’admirerait-on pas qu’une commune tunique (membrane muqueuse) rattache la trachée et l’œsophage l’un à l’autre, et ces deux conduits à la bouche ? En effet, nous avons montré (IV, viii) que cette tunique concourt grandement à la déglutition dans l’œsophage et que, dans la trachée-artère, elle tapisse intérieurement les cartilages et les relève avec le larynx vers le pharynx (cf. plus bas, chap. ix), quand l’animal avale ; cela se passe d’une façon tout à fait semblable à ce qui se pratique avec la machine appelée grue (κληώνειον).

Pourquoi était-il préférable que les cartilages de l’artère fussent tapissés par une semblable tunique ? Parce que souvent il devait s’y déverser de la tête une sérosité phlegmatique non bénigne[22] ; que dans la déglutition, il devait y pénétrer fréquemment tantôt quelques gouttes de boisson, tantôt même quelques fragments d’aliments, que l’inspiration devait parfois entraîner un air d’une qualité acre, chargé de particules de suie, de cendre, de charbon ou de quelque autre substance délétère ; que dans la toux l’on rejette souvent du pus de nature maligne et mordicante, ou quelque autre humeur, bile jaune, bile noire ou pituite salée pourries intérieurement, toutes matières devant nécessairement entamer, ronger et ulcérer le cartilage. Or, les médecins vous apprendront[23], si vous-même vous ne pratiquez pas la médecine, que les affections des cartilages sont complètement incurables ou très-difficiles à guérir. Vous n’aurez pas besoin de leur enseignement à cet égard, si-vous êtes déjà instruit à l’école de l’expérience. Pour la tunique qui recouvre les cartilages de l’artère, elle est très-facile à guérir, et toute affection qui s’y engendre se dissipe aisément (!), à moins qu’une partie de cette tunique rongée par une pourriture considérable n’ait laissé complétement à nu le cartilage. Alors il n’est plus facile de guérir une semblable affection, non certes à cause de la tunique, mais parce que le mal a pénétré jusqu’au cartilage. Ce fait rare deviendrait fréquent, si naturellement le cartilage était à nu.

Mais pourquoi la tunique était-elle à la fois mince, dense et modérément sèche ? Plus épaisse qu’elle n’est effectivement, outre qu’elle n’eût rendu aucun service, elle eût encore empiété notablement sur la capacité de l’artère. Poreuse, elle n’empêcherait pas l’écoulement des humeurs qui parcourent sa surface de pénétrer jusqu’au cartilage sous-jacent ; elle-même, s’humectant aisément, eût rendu la voix rauque. C’est encore pour cette même raison qu’elle est modérément sèche ; car les corps secs résonnent mieux que les corps humides, comme aussi les corps complétement secs rendent un son moins net que les corps modérément secs (cf. chap. vi, p. 468). Dans toutes les fièvres ardentes, les parties qui constituent le pharynx et la trachée-artère étant fortement desséchées, il se produit alors des sons appelés éclatants par Hippocrate[24]. C’est ce qui a lieu chez les animaux qui ont le cou très-long et les cartilages secs comme les grues. Aussi Homère (Iliade, III, vers 5) dit-il, à propos de ces oiseaux : « Ils planent sur les flots de l’océan avec des cris éclatants. » Ainsi un instrument sec rend cette espèce de mauvais son. Dans les catarrhes et les coryzas, la voix devient rauque par abondance d’humidité superflue. Instruit par avance de tous ces faits, notre Créateur a donné une sécheresse modérée à la tunique sous-jacente des cartilages en évitant l’un et l’autre excès.

Telle est la nature de l’artère du poumon composée de bronches ἐκ τῶν βρογχίων συγκειμένη. Les médecins ont appelé (βρόγχια) les cartilages, comme aussi ils appellent βρόγχον toute la trachée et son extrémité supérieure qui se nomme encore larynx. Nous parlerons un peu plus loin de la structure de ces organes (chap. xi, p. 483 suiv.).


Chapitre viii. — Galien démontre contre certains médecins, et en partie contre Érasistrate que le poumon ne pouvait pas être constitué uniquement par la trachée-artère, mais qu’il fallait de plus une artère lisse et une veine. — Nouvelles attaques contre Érasistrate, suivant qui, la nature aurait créé inutilement, d’une part, les artères lisses du poumon (veines pulmonaires), puisqu’elle aurait pu attacher directement la trachée-artère au cœur, et d’une autre part les veines (artère pulmonaire), attendu que, toujours d’après Érasistrate, les artères n’ont pas besoin de veines nourricières, et qu’elles sont vides de sang, de sorte qu’il n’y avait besoin de veines, ni pour alimenter la trachée et les veines pulmonaires, ni pour établir des anastomoses entre ce dernier vaisseau et l’artère pulmonaire. — Précautions prises par la nature pour que le sang ne passe pas à travers les bronches. — Que le poumon élabore le pneuma comme le foie élabore l’aliment. — Fausse théorie d’Érasistrate sur l’asphyxie ; il ne tient compte que du degré de ténuité de l’air, et paraît ignorer que l’air a comme les aliments des qualités intimes qui le rendent propre ou impropre à la respiration. — De la position respective des trois ordres de vaisseaux du poumon. — Avantages de la substitution des tuniques dans les veines et dans les artères pulmonaires.


Le poumon, pour qui examine légèrement de semblables questions, pourrait sembler, d’après ce que nous venons d’en dire, avoir déjà tout ce dont il a besoin au moyen d’un seul organe, la trachée-artère, puisque, grâce à elle, il est capable d’émettre un son, d’exsuffler, d’expulser l’air et de l’aspirer. Mais, si vous remarquez que cet organe même ne reçoit de sang pour le nourrir que par certaines veines, et que le cœur ne tire aucun avantage de la respiration que quand il lui est rattaché par une autre artère (veines pulmonaires), vous saurez que la nature a uni et enlacé avec les bronches une double espèce d’autres vaisseaux (cf. plus haut, chap. ii et iii). Vous saurez aussi qu’un vaisseau suspendu ne peut sans danger demeurer divisé, si une certaine substance molle et spongieuse n’est placée dans les interstices des bifurcations pour remplir comme de la bourre (voy. p. 457, note 1) le vide qui existe entre tous les vaisseaux et pour servir d’appui et de protection à la faiblesse de ces derniers. Vous saurez aussi que le tissu du poumon a été créé avec raison et prévoyance. Ce tissu offre encore une autre utilité non médiocre dont nous parlerons un peu plus loin (chap. ix.)

Les artères lisses (veines pulmonaires), qui doivent rattacher au cœur les bronches, contiennent, déjà nous l’avons souvent démontré, un sang léger, pur et vaporeux, et ne sont pas seulement un organe de respiration ; le présent livre en rend un témoignage sensible. En effet, si ces artères sont complétement dépourvues de sang comme les bronches (car telle est la supposition d’Érasistrate, — cf. plus haut, chap. iii, p. 461), pourquoi la trachée ne se termine-t-elle pas directement au cœur ? Pourquoi aussi, sur la trachée-artère s’insère-t-il de petites ramifications de veines fournies par l’artère pulmonaire, tandis qu’il ne s’en insère pas sur les artères lisses[25]. Car, de cette façon, la nature qui ne fait rien inutilement, comme le reconnaît Érasistrate lui-même, eût créé sans but non-seulement les artères lisses du poumon (veines pulmonaires), mais encore les veines (artère pulmonaire) ; les premières, attendu que le cœur, pouvant se rattacher directement à la trachée, n’avait pas besoin d’artères lisses ; les secondes, car, d’après lui, la tunique de la trachée-artère elle-même, et généralement des artères de toutes les parties du corps, étant un tissu de veine, d’artère et de nerf, chacune d’elles est nourrie par la veine qu’elle renferme, veine simple, et perceptible seulement par la pensée, et n’a aucun besoin de l’adjonction d’une veine grande et composée. Si donc le ventricule gauche ne renferme que de l’air, comme la trachée-artère, si, par ce motif, les artères lisses sont sans utilité pour le poumon, et si aucune artère n’a besoin de recevoir d’une veine ses aliments, la raison demandait que le poumon fût composé d’une trachée seulement. Car, sans parler des autres raisons, celui qui voudrait défendre Érasistrate [en soutenant que les artères lisses sont utiles, bien qu’elles soient privées de sang] serait mal fondé [à présenter cette défense] en disant que la trachée-artère étant composée de cartilages ne pouvait être unie au cœur [et que par conséquent les artères lisses servaient de moyen d’union]. En effet, si les cerceaux de la trachée sont attachés les uns aux autres par des corps membraneux, ils pourraient l’être au cœur de la même façon.

Pourquoi donc n’y a-t-il pas eu dans le poumon une seule espèce d’artères ? Pourquoi, de plus, avait-il besoin de veines ? Érasistrate ne saurait répondre à ces questions, il ne peut expliquer non plus pourquoi la tunique des artères est veineuse et celle des veines artérielle ; quant à nous, nous l’expliquons aisément (cf. VI, x, xiii) Nos raisonnements sur les utilités témoignent en faveur de nos démonstrations sur les fonctions.

Comme toutes les autres artères du corps de l’animal ainsi que le ventricule gauche du cœur renferment du sang et que les bronches seules vides de sang ont été rattachées au cœur par le moyen des artères lisses, la nature qui ne fait rien sans raison a dû nécessairement proportionner les orifices des bronches, de façon qu’elles donnent seulement passage à la vapeur et à l’air, et qu’elles le refusent au sang et aux matières aussi épaisses. Si, par hasard, venant à s’ouvrir, elles perdent la juste proportion du calibre de leur canal, une partie du sang, venant des artères lisses, transsude à travers les bronches et provoque à l’instant la toux et le crachement de sang ; dans l’état normal, l’air même, qui des trachées passe dans les artères lisses (veines pulmonaires), est très-peu considérable, la substance du poumon apparaît rare et pleine d’air, montrant ainsi qu’elle a été préparée évidemment pour élaborer l’air, comme celle du foie pour élaborer les aliments. Car il est naturel que l’air externe ne serve pas instantanément et tout d’un coup à alimenter le pneuma renfermé dans le corps de l’animal, mais que, se transformant peu à peu comme les aliments, il acquière avec le temps la qualité appropriée à l’air intérieur, et que le premier organe de ce changement soit la substance du poumon, comme celle du foie, nous l’avons démontré (IV, xii, xiii), est le principe de la transformation des aliments du sang.

Érasistrate, là où il faudrait signaler la qualité propre ou impropre de l’air, signale, je ne sais pourquoi, sa légèreté ou son épaisseur, expliquant ainsi la mort de ceux qui périssent soit dans les cavernes méphitiques[26], soit dans les maisons fraîchement enduites d’une couche de chaux, soit par la vapeur du charbon ou d’autres matières semblables, attendu, suivant lui, que l’air inspiré en de pareilles circonstances, est incapable de séjourner dans le corps à cause de sa ténuité [et qu’il entraîne ainsi avec lui l’air vital]. Il serait mieux de supposer que, si pour les aliments, il existe une certaine qualité bonne dans les légumes secs et frais, le pain et autres objets semblables, mauvaise dans la cantharide, le lièvre de mer (aplysia depilans) et autres animaux analogues, il y a de même une qualité de l’air appropriée et favorable à celui qui est renfermé dans l’animal, une autre contraire et nuisible. Si Érasistrate eût compris une fois cette idée, il n’aurait pas osé dire que la vapeur de charbon est plus légère que l’air pur, quand, à tous les yeux, elle apparaît évidemment plus lourde, mais il eût recherché, je pense, les parties destinées par la nature à l’élaborer. Ou plutôt, il serait complétement ridicule, quand un homme n’a su rien dire sur la génération du sang et des autres humeurs, d’exiger qu’il poussât ses recherches physiologiques jusqu’à connaître la transformation et l’élaboration du sang. Mais, sur cette question, nous avons ailleurs pris Érasistrate à partie plus longuement. L’air tiré du dehors par les bronches subit, du reste, dans le tissu du poumon, la première élaboration, ensuite la seconde dans le cœur et dans les artères, surtout dans celles du plexus réticulé (voy. plus loin IX, iv), enfin la plus complète dans les cavités de l’encéphale où il devient exactement esprit animal (cf. VIII, x ; XVI, x, et Manuel des dissections, IX, iii).

A-t-il de l’utilité cet esprit ? et comment, en reconnaissant que nous ignorons encore complétement la nature de l’âme[27], osons-nous cependant lui donner le nom d’esprit animal ? Mais ce n’est pas maintenant le lieu de discuter cette question. Nous rappellerons d’abord que le tissu du poumon remplit les intervalles des bifurcations des vaisseaux et en même temps qu’il élabore l’air venant du dehors ; nous répéterons au sujet des veines insérées sur la trachée-artère, dont nous parlions tout à l’heure (p. 473), que cette artère, étant complétement dépourvue de sang, reçoit nécessairement l’insertion de veines venant de parties qui lui sont étrangères ; secondement que si la nature eût prévu qu’il ne devait pas y avoir de sang dans les artères lisses, elle aurait nécessairement pourvu à leur alimentation ; troisièmement, qu’il était préférable que la veine fut artérielle et l’artère veineuse ainsi que nous l’avons démontré précédemment (VI, x, xiii). Après avoir rappelé sommairement ces questions, il conviendrait de passer à une des suivantes, en ajoutant encore ce point seulement, que c’est pour les raisons énoncées que la nature a disposé les bronches entre l’artère lisse et la veine (veines et artère pulm.). Elle devait en effet être voisine de l’une et de l’autre ; de l’artère (veines pulmonaires), parce que la trachée, grâce à elle, fait jouir le cœur du bénéfice de la respiration, de la veine (artère pulmonaire), parce qu’elle a besoin de celle-ci pour être alimentée. C’est pour ces motifs qu’elle a été placée entre elles deux.

Pourquoi la veine (artère pulmonaire) est-elle située en arrière du côté de l’épine, et l’artère (veines pulmonaires) en avant ? C’est qu’il n’était pas prudent d’éloigner du cœur l’artère qui a une tunique mince et faible (VI, x, pp. 409-410). C’est donc avec raison que la nature divise ce vaisseau issu du cœur (voy. p. 458, note 1) immédiatement à son entrée dans le poumon. Elle dirige plus loin le vaisseau plus fort et l’établit derrière l’artère. Voilà la cause de ces dispositions.

Il convient de s’occuper maintenant des questions suivantes. Il a été démontré (VI, x, cf. aussi VI, xvii) que la tunique des veines (artère pulmonaire) devait être dure pour qu’elles ne fussent pas comprimées ni dilatées aisément, et pour que le poumon fût nourri d’un sang léger et vaporeux, et non pas épais, ni bourbeux. Nous avons montré (Ibid.) qu’il y a double avantage à ce qu’il n’y ait ni compression, ni dilatation, d’une part pour que toute la cavité du thorax soit entièrement consacrée aux organes de la respiration, d’une autre pour que de ceux-ci le sang ne retourne pas violemment au cœur. La nature a prévenu avec grand soin ce danger comme le prouvent les épiphyses membraneuses (valvules, voy. VI, x et xi). De plus, nous montrions (Ibid.) que la tunique des artères a été créée mince, pour qu’à travers ses parois une plus grande quantité d’un sang naturellement pur, léger et subtil, vînt alimenter le poumon, et pour que le pneuma pénétrât aisément dans le cœur qui l’attire. Si quelqu’un désire connaître la démonstration de ces faits, il n’a qu’à lire avec soin le livre précédent.


Chapitre ix. — Que le poumon est chargé d’entretenir la chaleur naturelle, d’alimenter l’esprit animal, et d’aider à la production de la voix. La nature a merveilleusement approprié ce viscère à toutes ces fonctions. — Comment l’air, le sang, et le mélange de sang et d’air pénètrent le premier dans les bronches, le second dans les veines et le mélange dans l’artère pulmonaire. — Solidarité des mouvements du thorax, du poumon et des bronches. — Le fait est prouvé par une expérience sur un animal mort. — Que la respiration est et devait être un mouvement volontaire. — Pourquoi le poumon ne devait avoir que de petits nerfs.


Il est temps d’aborder les questions qu’il me reste à traiter. Après avoir démontré que la première, et la plus grande utilité de la respiration est l’entretien de la chaleur naturelle, raison pour laquelle les animaux meurent à l’instant dès qu’ils sont privés de réfrigération ; après avoir dit que sa seconde et moindre utilité est d’alimenter l’esprit animal, il convient maintenant d’admirer comment la nature a disposé le poumon approprié à ces fonctions et à la production de la voix.

En faisant aboutir toutes les artères lisses à un seul centre, le ventricule gauche du cœur où se trouve le principe de la chaleur naturelle, et en fournissant ainsi au cœur un moyen perpétuel de réfrigération, elle a droit à nos éloges. Si le cœur, dans ses contractions, déverse toutes les particules brûlées et fuligineuses qu’il contient dans ces artères mêmes et surtout par la grande artère (aorte) dans les autres, et si la nature a pris soigneusement toutes ces précautions pour éviter que la chaleur du cœur ne s’éteigne, étouffée par des résidus pernicieux, célébrons ses louanges. Si, en créant le tissu mou, poreux et délié du poumon, pour que l’air du dehors puisse y entrer, elle a disposé un aliment approprié au pneuma animal, elle mérite notre admiration. Si, le poumon étant composé de trois vaisseaux, une veine, deux artères (la trachée et les veines pulmonaires), elle a néanmoins disposé la trachée-artère pour attirer tout l’air et l’expulser quand nous parlons, afin que nous puissions parler sans avoir besoin de fréquentes inspirations, chacune d’elles suffisant pour un long intervalle, elle est digne de toutes nos louanges puisqu’elle a imaginé à cet égard le meilleur expédient. Pour moi, je vous démontrerai le fait et je vous expliquerai sa cause. C’est à vous, du reste, de louer l’auteur de ces créations, si vous n’êtes pas avare de justes éloges.

Que le poumon remplisse toute la cavité du thorax, et qu’il se dilate ou se contracte en entier, suivant la dilatation ou la contraction du thorax, mes Commentaires sur le mouvement de ces deux organes (voy. VI, iii, p. 385, note 1 ; cf. aussi Fac. natur., III, xiv) vous l’ont appris. Vous y avez également appris (cf. aussi p. 414 et p. 440) que dans tous les organes qui attirent par cela même qu’ils se vident, les matières plus légères remplissent plus fortement le vide que les matières plus lourdes, et que les organes se remplissent plus promptement par de larges orifices que par de petits. Vous savez aussi qu’il n’existe pour toute la trachée-artère et les bronches, qu’un orifice considérable touchant au pharynx, un autre pour les artères lisses s’ouvrant dans le ventricule gauche du cœur comme celui des veines s’ouvre dans le ventricule droit, que l’air seul est attiré du pharynx dans les bronches, et le sang seul du ventricule droit dans les veines (artère pulmonaire) et du ventricule gauche un mélange d’air et de sang. Si vous rassemblez tous ces faits rappelés à votre souvenir, vous trouverez aisément la démonstration de celui qui nous occupe. En effet, le poumon se dilatant, la substance la plus légère, c’est-à -dire l’air extérieur, pénétrera d’abord et remplira les bronches ; puis le mélange viendra du ventricule gauche du cœur et remplira les artères lisses. Le sang arrivera en troisième et dernier lieu. Avant que les bronches soient complétement remplies d’air, rien ne peut s’introduire dans aucun des autres vaisseaux. S’il en est ainsi, il ne pénétrera quelque matière du cœur dans les artères lisses et dans les veines, qu’à une seule condition : la dilatation du thorax et la distension préalable la plus grande possible des bronches. Mais, si le thorax cesse de se dilater au même instant que les bronches ont atteint leur maximum de distension, les artères lisses ni les veines n’ont plus le temps de se distendre. Car le poumon ne se dilatant plus, parce que le thorax ne se dilate pas davantage, aucune de ses parties ne saurait encore se dilater. Si donc, nous avons démontré que la dilatation des bronches seules opère la plus grande distension du poumon, il est évidemment facile de démontrer que seules aussi elles se remplissent dans l’inspiration.

Comment le démontrer ? Prenez un animal mort, insufflez-lui de l’air par le larynx, vous remplissez ses bronches et vous voyez le poumon atteindre sa plus grande distension, tandis que les artères lisses et les veines conservent le même volume. Cela prouve que la nature a créé les bronches capables d’amener le poumon à son maximum de distension, et que, par ce seul expédient, elle a nécessairement contraint, dans l’inspiration, l’air extérieur à pénétrer dans les bronches seules.

Quand donc l’air est-il attiré dans le cœur ? C’est dans la diastole de ce viscère, comme c’est dans la systole qu’il en est expulsé. Car il faut que les artères lisses obéissent aux mouvements du cœur et les trachées à ceux du poumon. Nous avons souvent démontré que ces mouvements ont deux principes totalement différents ; que ceux du cœur se produisent naturellement et ceux du thorax volontairement[28]. Nous avons démontré dans le livre précédent (VI, x ; cf. aussi VI, ii), qu’il était préférable que la respiration dépendit de nous et qu’elle obéît toujours à la volonté de l’animal. Il apparaît donc clairement que les parties du cœur et du poumon révèlent dans le Créateur la prévoyance et en même temps l’habileté portées au plus haut degré.

Je pense qu’il ne reste aucun point que ne puisse connaître sans moi celui qui se souvient de ce que j’ai exposé précédemment sur la distribution des nerfs dans toutes les parties (V, x). Il s’expliquera ainsi pourquoi il était préférable pour le poumon comme pour le cœur, le foie, la rate et les reins, de n’avoir que de très-petits nerfs.


Chapitre x. — Utilités de la division du poumon en lobes.


Il a été déjà parlé (VI, iv, p. 389-391) de la division du poumon en lobes. Il suffit de se rappeler à cet égard les principaux faits ; d’abord, ces lobes offrent une première utilité semblable à celle des lobes du foie. En effet, si ce dernier embrasse d’une façon plus sûre l’estomac avec ses lobes comme avec des doigts, il en est de même du poumon par rapport au cœur (cf. IV, viii, p. 380, et VI, vii, p. 398) ; ensuite des deux lobes qui existent de chaque côté, l’un occupe la cavité supérieure du thorax au-dessus du diaphragme, l’autre la partie inférieure ; le cinquième et petit lobe de forme triangulaire, placé au côté droit, a été créé pour la veine cave[29] : de plus, par sa division en lobes, tout le viscère a plus de facilité pour se dilater et se contracter et se trouve en même temps moins exposé aux lésions. En effet, si toutes ses parties eussent formé un ensemble continu, peut-être l’une d’elles eut-elle souffert dans les inspirations violentes quand le poumon était obligé de remplir brusquement [en se dilatant] toute la cavité du thorax. La division en lobes lui convient donc mieux pour pénétrer facilement dans les enfoncements du thorax. Voilà ce que nous avons à dire sur les parties du poumon.

Chapitre xi. — Du nombre des cartilages et des muscles du larynx. — Description et situation de chacun des cartilages (Galien n’en reconnaît que trois). — De l’épiglotte. — Que les cartilages ne pouvaient être ni autrement construits, ni autrement disposés qu’ils ne le sont actuellement. — Des muscles intrinsèques du larynx. — Des muscles thyréo-hyoïdiens et sterno-thyréoïdiens.


Il faut traiter maintenant des parties du larynx. C’est aussi un organe de la respiration. Il porte, comme nous le disions précédemment (chap. ii med., et vii fine), non-seulement ce nom, mais encore celui de tête de la bronche (βρόγχου κεφαλή), parce qu’on appelle aussi bronche la trachée-artère. Il est formé de trois grands cartilages[30] qui ne ressemblent à ceux de la trachée-artère ni par la grandeur, ni par la figure. Il est mû par des muscles, douze pour son système propre et huit qui le mettent en rapport avec les parties voisines[31].

Le plus grand des cartilages du larynx est le cartilage antérieur que nous touchons (pomme d’Adam), convexe à sa face externe, intérieurement concave, tout à fait semblable à un bouclier, non pas au bouclier complétement rond, mais au bouclier ovale (προμηκεστέρῳ), appelé θυρεός. Cette ressemblance lui a fait donner par les anatomistes le nom de cartilage thyroïde[32].

Le second cartilage (innominé ou cricoïde. ― Voy. p. 483, note 1), plus grand que le troisième dans la même proportion qu’il est plus petit que le premier, est situé intérieurement (en arrière) du côté de l’œsophage. Ce qui manque au premier pour former un cercle parfait lui est fourni par ce dernier. En effet, si dans la trachée-artère toute la partie en contact avec l’œsophage est membraneuse, il n’en est pas de même du larynx. Voici quelle est la relation de ces cartilages avec les parties supérieures et inférieures.

À l’extrémité du dernier cartilage de la trachée-artère, vient le second cartilage (cricoïde) désigné ci-dessus, qui touche tout le cartilage de la trachée de tous les côtés, postérieur, antérieur et latéraux[33]. Un peu plus haut que les parties antérieures (arc) de celui-ci (cricoïde) commence le cartilage thyréoïde, le second (cricoïde) s’écartant en arrière. Ils s’articulent l’un et l’autre sur le côté par arthrodie, au moyen de la petite corne du thyréoïde et de l’apophyse articulaire du cricoïde (articulation crico-thyréoïdienne latérale). Le premier est rattaché au second par des ligaments membraneux et fibreux (ligaments thyréo-cricoïdiens, moyen et latéraux). Sur l’extrémité interne de celui-ci (cricoïde) s’élèvent deux petites éminences (facettes aryténoïdiennes) à la suite, vient le troisième cartilage (aryténoïdes. ― Voy. note 1) dont les cavités (base échancrée) s’adaptent parfaitement [par emboîtement réciproque] à ces épiphyses, de sorte que la disposition de ces deux cartilages présente une articulation double (artic. crico-aryténoïdiennes). De plus, le second cartilage (cricoïde) est plus étroit [à sa partie supérieure] qu’à sa base[34], de sorte que l’extrémité inférieure de l’ensemble du larynx qui touche la trachée-artère est plus large que l’orifice supérieur qui aboutit au pharynx. — De son côté aussi le troisième cartilage (aryténoïde) se termine en se rétrécissant tout à fait ; son extrémité supérieure (sommet) est nommée aryténoïde par la plupart des anatomistes à cause de la ressemblance qu’elle présente avec les vases appelés encore par certaines gens arytènes (aiguières[35]). La concavité de ce cartilage estdirigée aussi vers le conduit aérien, en sorte que l’ensemble de ces trois cartilages forme une espèce de flûte[36].

À l’intérieur du conduit même du larynx, se trouve un corps semblable pour la figure à l’anche d’une flûte [antique], mais formé d’une substance particulière telle qu’il n’existe dans aucune des parties du corps (glotte. — Voy. chap. xiii). Elle est à la fois membraneuse, adipeuse et glanduleuse.

Telle est la composition de la substance propre du larynx. Car pour la tunique qui tapisse son intérieur, elle est commune à la trachée-artère et à l’œsophage (voy. plus haut, chap. vii). Nous avons démontré, dans un autre traité (De la voix, voy. p. 562, note 1), que la voix naît d’abord dans le larynx, que son orifice supérieur se dilate et se contracte considérablement, qu’il s’ouvre et se ferme parfois complètement.

Je vais essayer de démontrer ici qu’il n’était pas possible de lui donner une structure préférable à celle qu’il a effectivement[37]. En effet, aucune autre substance que le cartilage ne pouvait constituer l’organe de la voix, comme l’ont démontré nos renseignements sur la trachée-artère (voy. chap. v). Formé de cartilage, mais d’une seule pièce, dénué de toute articulation, il aurait été complètement immobile, incapable de se fermer et de s’ouvrir, de se contracter et de se dilater. Évidemment donc, il était raisonnable que le larynx fût composé de cartilages assez nombreux, rattachés les uns aux autres, et que son mouvement ne fût pas physique (c’est-à-dire involontaire) comme celui des artères, mais dépendît de la volonté de l’animal. Car s’il devait servir dans l’inspiration et l’expiration, dans l’arrêt total de la respiration, dans l’émission du souffle et de la voix (et il était préférable que toutes ces facultés fussent régies par notre volonté) la raison voulait que le mouvement fût volontaire et soumis au libre arbitre de l’animal (voy. chap. ix, fine, p. 479-80). Or, nous l’avons démontré, la nature a destiné les muscles à exécuter tous les mouvements de cette espèce. Il fallait donc évidemment que ces cartilages fussent mus par des muscles.

Quels sont ces muscles ? quel est leur nombre ? d’où naissent-ils ? comment ouvrent-ils et ferment-ils le larynx ? C’est ce que nous allons dire, en commençant par les muscles communs aux trois cartilages.

Il en existe quatre qui attachent le premier cartilage (thyréoïde) au second (cricoïde), chez tous les animaux à grande voix, parmi lesquels est l’homme ; quatre, chez tous les animaux, unissent le deuxième cartilage (cricoïde) au troisième (aryténoïde), et deux autres relient le premier au troisième. Voici quelle est l’origine des muscles qui unissent le premier cartilage, le thyréoïde, au second (cricoïde}. — À l’extrémité inférieure de chacun des cartilages, à l’endroit où ils touchent la trachée-artère et se touchent l’un l’autre de chaque côté, il se détache du grand cartilage (thyréoïde) pour aller au second (cricoïde), deux muscles en dehors (c’est-à-dire en arrière, crico-thyréoïdiens postérieurs) et deux muscles en dedans (c’est-à-dire sur les côtés de la ligne médiane, crico-thyréoïdiens antérieurs[38]). Ces muscles sont exactement semblables l’un à l’autre, l’externe à l’externe, l’interne à l’interne. Ils rétrécissent exactement la partie inférieure du larynx en rapprochant le premier cartilage du second. Les quatre autres (crico-aryténoïdiens latéraux et postérieurs) qui rattachent le second (cricoïde) au troisième (aryténoïde) ouvrent l’extrémité supérieure du larynx ; le cartilage aryténoïde est fléchi en arrière par les muscles postérieurs et latéralement par les muscles latéraux. Les deux autres muscles (thyréo-aryténoidiens) ayant une action et une situation opposées à ces quatre muscles ferment exactement l’orifice supérieur du larynx, en tirant intérieurement dans la cavité le premier cartilage qui ressemble à une bourse fermée, par la multitude des membranes fibreuses qui l’enveloppent. Ces dix muscles décrits sont communs aux trois cartilages. Les deux autres situés à la base de l’aryténoïde (aryténoïdiens transverse et oblique) n’existent pas chez les animaux à voix grêle, animaux dont le singe fait partie.

Il est d’autres muscles beaucoup plus considérables propres au seul cartilage thyréoïde ; deux d’entre eux, naissant des parties inférieures de l’os hyoïde, s’insèrent en avant sur toute la longueur du premier cartilage (thyréo-hyoïdiens) ; deux autres naissent du cartilage même, et se dirigeant vers le sternum (sterno-thyréoïdiens), mêlent leurs fibres à celles des deux autres muscles chez les seuls animaux qui ont un grand larynx et un grand cartilage thyréoïde. Les deux autres muscles transverses crico-thyréo-pharyn., ou constricteur inférieur du pharynx[39]), nés des parties latérales du cartilage thyréoïde, puis, embrassant circulairement l’œsophage, convergent et aboutissent au même point.


Chapitre xii. — De l’utilité des cartilages et des muscles du larynx. — Des mouvements de cet organe.


Telle est la disposition des cartilages et des muscles du larynx. C’est maintenant le lieu d’exposer l’utilité de chacun en commençant par les cartilages. Ce n’est pas sans raison que la nature les a créés tels et aussi nombreux qu’ils sont. Comme il leur fallait des articulations et des mouvements de deux sortes, les uns pour les dilater et les contracter, les autres pour les ouvrir et les fermer, l’articulation du premier cartilage avec le second (articul. crico-thyréoïdienne) a été destinée à exécuter les premiers [à l’aide d’un double mouvement de glissement et de bascule], et l’articulation du second avec le troisième (articul. crico-aryténoïdienne), à exécuter les autres. Elle n’avait pas besoin d’une troisième espèce de mouvement ; aussi n’avait-elle pas besoin d’une troisième articulation, ni conséquemment d’une quatrième partie.

C’est pour le même motif que les muscles communs aux trois cartilages ont été créés au nombre de dix. Les deux premiers nommés (crico-thyréoïdiens postérieurs) unissent et ferment les parties antérieures des grands cartilages du larynx ; les deux suivants (crico-thyréoïdiens antérieurs) ferment les parties profondes. Sur les six autres, quatre (crico-aryténoïdiens latéraux et postérieurs) ouvrent le cartilage aryténoïde, les deux autres (thyréo-aryténoïdiens) le ferment. Dans la plupart des animaux, ils ont pour auxiliaires deux muscles obliques (aryténoïdiens) qui, unis l’un à l’autre, resserrent la base du troisième cartilage. Tous ces muscles sont contenus dans le larynx, n’ayant de rapport avec aucun des organes voisins.

Huit[40] autres muscles, rattachant le larynx aux corps voisins, président à un autre mouvement par lequel tout le canal aérien s’élargit et se contracte. Ceux qui descendent de l’os hyoïde (hyo-thyréoïdiens), tirant le premier cartilage vers les parties antérieures et supérieures, l’éloignent des cartilages postérieurs et élargissent le conduit. Ayant une action et une situation opposées à ceux-ci, les muscles obliques (sterno-thyréoïdiens) qui descendent du cartilage thyréoïde vers les parties basses, contractent les parties inférieures du cartilage et les tirent doucement en bas, en même temps qu’ils contractent et pressent la trachée-artère, de manière qu’elle ne présente ni pli, ni sinuosité, et qu’elle ne s’élargit pas trop quand l’animal veut proférer un son. Les autres (thyréo-pharyngiens) naissant des parties latérales du cartilage thyréoïde, rapprochent ces parties du premier cartilage, et les replient sur le second de manière à resserrer le conduit. Nous avons démontré tous ces mouvements dans le traité Sur la voix[41].

Maintenant, nous n’exposons pas les fonctions, nous voulons expliquer les utilités à ceux qui connaissent les fonctions, comme déjà nous l’avons dit souvent (cf. I, viii, xvi et xvii ; II, vii). L’utilité des parties qui agissent ressort immédiatement, et il suffit de rappeler l’action quand on expose l’utilité. Pour celles qui n’exécutent aucune action utile à l’ensemble de l’animal (et c’est ainsi qu’on doit toujours l’entendre[42]) mais qui concourent à l’action des autres, il faut donner sur elles une plus longue explication dans ce traité. Car, c’est là son but spécial. L’action exercée par les muscles et les nerfs met en mouvement toutes les autres parties du larynx, chacune d’elles déployant une utilité particulière.


Chapitre xiii. — De la glotte. — Elle doit être comparée à l’anche d’une flûte, ou plutôt c’est sur son modèle que l’anche des flûtes a été construite. — Propositions fondamentales extraites du traité De la voix, sur les conditions nécessaires à l’émission des sons. — Du rôle des diverses parties de la glotte dans la production des sons. — Que toutes les particularités de l’organisation de la glotte témoignent de l’habileté de la nature qui ne pouvait pas prendre de meilleures dispositions. — De la substance de la glotte. — De l’humeur qui la lubrifie.


Nous venons de traiter des muscles et des cartilages du larynx. Abordons maintenant les autres parties. Dans la cavité du larynx par où sort et entre l’air, est placé un corps (glotte) dont j’ai dit quelques mots précédemment (chap. xi, p. 487) et qui, pour la substance et la forme, ne se rapproche d’aucune des parties de l’animal. J’en ai parlé dans mon traité Sur la voix et j’ai démontré que c’est le premier et le plus important organe de la voix[43]. Nous en dirons actuellement ce qu’il est utile de connaître pour le sujet qui nous occupe. Ce corps ressemble donc à l’anche d’une flûte surtout quand on examine la partie d’en haut et d’en bas. J’appelle en bas là où la trachée-artère et le larynx se relient l’un à l’autre, et j’appelle en haut là où se trouve l’orifice formé par l’extrémité des cartilages aryténoïde et thyréoïde. Il serait plus juste de comparer, non pas ce corps aux anches des flûtes (voy. p. 487, note 1), mais ces anches au corps lui-même. En effet, je le pense, la nature devance l’art et par le temps et par la supériorité de ses œuvres[44]. Si donc ce corps est l’œuvre de la nature, et si l’anche des flûtes est une invention de l’art, le second est une imitation du premier, imaginée par un habile artiste, capable de connaître et d’imiter les œuvres de la nature. L’inutilité de la flûte, dépourvue de l’anche, est manifestée par l’expérience même. Ne vous attendez pas à en trouver la cause dans le présent livre. Nous l’avons expliquée dans le traité Sur la voix ; nous y avons aussi démontré que la voix ne saurait se produire sans le rétrécissement du conduit ; que, s’il se déploie dans toute sa largeur, les deux premiers cartilages (thyréoïde et cricoïde) se relâchant et s’écartant l’un de l’autre, et le troisième (aryténoïde) étant ouvert, il ne peut être émis de son ; que si l’air est emporté doucement au dehors, l’expiration s’accomplit sans donner de son ; que si l’air s’échappe brusquement et avec force, il donne lieu à ce qu’on nomme soupir[45] ; que, pour que l’animal émette un son, l’abaissement brusque [du larynx] est absolument nécessaire ; que le rétrécissement du conduit de cet organe n’est pas moins nécessaire ; que ce retranchement ne doit pas s’effectuer simplement, mais que le conduit, de large qu’il est, doit peu à peu se rétrécir, et d’étroit qu’il est devenu, reprendre peu à peu sa largeur.

Cet acte est exactement accompli par le corps dont il s’agit actuellement, que je nomme glotte ou glottide du larynx. Cette glotte est nécessaire non-seulement au larynx pour produire la voix, mais encore pour ce qu’on nomme rétention du souffle (voy. V, xv, p. 376, note 1). C’est ce terme qu’on emploie non pas seulement quand nous restons sans respirer, mais lorsque, encore, nous contractons en même temps le thorax de tous côtés en tendant fortement les muscles situés dans les hypocondres et entre les côtes. Alors s’accomplit l’action la plus énergique de tout le thorax et des muscles qui ferment le larynx. Ceux-ci, en effet, s’opposent fortement à l’expulsion de l’air, en fermant le cartilage aryténoïde. Cette action ne trouve pas un médiocre auxiliaire dans la nature de la susdite glotte.

Les parties de la glotte se réunissent, venant de droite et de gauche, de manière à se replier l’une sur l’autre exactement et à fermer le conduit. S’il en reste une petite partie non fermée (glotte inter-aryténoïdienne), surtout chez les animaux dont tout le larynx est large (or, il est tel, nous l’avons démontré chez les animaux à voix forte. - Voy. p. 489), ce n’est pas une négligence de la nature qui a pratiqué une ouverture de chaque côté de la glotte (orifice des ventricules) et établi intérieurement au-dessous de l’ouverture une cavité assez grande (ventricules). Quand l’air entre dans l’animal ou en sort par une large ouverture, il n’est pas poussé latéralement dans cette cavité ; mais si le passage est bouché, l’air refoulé vient heurter violemment sur les côtés et ouvre l’orifice de la glotte (c.-à-d. des ventric.) qui jusque-là était fermé par le rapprochement des bords (cordes vocales supér. et infér. du même côté). Ce fait même, c’est-à-dire le rapprochement des bords [des ventricules], explique comment l’ouverture dont il s’agit a échappé à tous les anatomistes antérieurs[46]. Les cavités (ventricules) de la glotte du larynx étant remplies d’air, la masse doit nécessairement se déverser dans le conduit aérien, lequel se rétrécit exactement, bien qu’il fût déjà peu ouvert auparavant.

Cette habileté, déployée par la nature dans la création de la glotte, atteint la plus haute perfection pour la figure, la grandeur, la disposition, les ouvertures et les cavités de cet organe. Supposez cette glotte ou plus grande qu’elle n’est, vous interceptez les issues de l’air, comme il arrive habituellement quand elle est fermée, ou plus petite, et de beaucoup inférieure à la grandeur convenable, l’animal est complétement dépourvu de voix[47]. Si elle s’écarte un peu de la dimension voulue, l’animal a une voix d’autant plus grêle et plus vicieuse, que la glotte est plus loin de la juste mesure. De même, si vous changez sa position ou la grandeur du trou (orifice des ventricules) ou celles de la cavité (ventricule), vous en détruisez toute l’utilité. Cet orifice existe, comme nous l’avons dit, des deux côtés ; il est allongé de haut en bas comme une ligne (γραμμὴ στενή), bien que lui-même ne soit pas étroit, mais la substance des lèvres [de la glotte] retombe pour ainsi dire sur la cavité (ventricule) sous-jacente : aussi y voit-on une rugosité (ρυσσότης) plutôt qu’une ouverture, avant que les lèvres soient repliées. Quand elles sont repliées, on voit clairement ce trou (orifice du ventr.) et aussi la cavité (ventricule) sous-jacente. Les deux trous étant ainsi disposés des deux côtés, l’air passe à droite et à gauche, n’ayant aucun motif d’ouvrir l’orifice ou de remplir la cavité. Mais lorsque l’air est poussé d’en bas fortement, et qu’il se trouve arrêté en haut, ne pouvant plus continuer sa route en ligne droite, éprouvant pour ainsi dire un tournoiement, il se dirige vers les côtés du conduit, les heurte violemment, renverse aisément les épiphyses membraneuses (cordes vocales) de chacun des conduits dans les cavités (ventricules) sous-jacentes vers lesquelles il incline naturellement, il remplit et gonfle toute la glotte. De là, résulte nécessairement l’obturation exacte du conduit.

Le corps même de la glotte est formé de substance membraneuse pour n’être pas rompu par l’air qui le remplit, et pour n’être pas en danger d’éclater, quand l’ensemble du larynx s’élargissant ou se contractant tour à tour, il obéit à ces impulsions opposées. L’humeur qui la lubrifie n’est pas simplement humide, elle est mêlée d’une sorte de viscosité et de graisse, afin que la glotte soit perpétuellement lubrifiée par un fluide spécial, et que différent des anches des flûtes qui ont sans cesse besoin d’être mouillées artificiellement quand elles sont desséchées, la glotte n’ait pas à réclamer aussi un secours étranger. En effet, tandis qu’un fluide ténu, aqueux, se résolvant en vapeur, est desséché promptement et facilement, et s’écoule sur-le-champ, surtout quand le conduit est incliné, une humeur visqueuse et grasse suffit un temps considérable, car elle ne s’écoule ni ne se dessèche promptement. Si donc la nature, admirablement inventive dans la structure de tout le reste du larynx, eût négligé seulement de lui attribuer ce fluide, notre voix ne tarderait pas à être altérée, la glotte ainsi que les autres parties du larynx étant desséchées, comme il arrive quelquefois dans l’état actuel, si l’économie naturelle des humeurs est vaincue par des causes énergiques. En effet, une fièvre brûlante, une route faite par une ardente chaleur, ne permettent l’usage de la parole que quand le larynx est humecté.


Chapitre xiv. — Que les deux muscles obturateurs du larynx résistent aux efforts de tous les muscles du thorax. — Du mode d’insertion des nerfs sur les muscles du larynx, la tête du muscle est déterminée par le point d’insertion des nerfs. — Savantes dispositions prises par la nature, pour l’origine et le parcours des nerfs récurrents. Galien, à ce propos, entre dans de véritables extases d’admiration, et se livre à d’emphatiques divagations, au milieu desquelles il trouve cependant moyen d’attaquer Aristote, Épicure et Asclépiade. — Du mouvement de retour et des fonctions des nerfs récurrents expliqués par la machine chirurgicale appelée glossocome (Cf. Com. II, in lib. De fracturis, § 64, t. XVIII b, p. 505 et suiv., Method. med., VI, v, et nos notes du IIIe vol. d’Oribase) et par le diaule (course du double stade). — Galien se vante avec emphase d’avoir découvert les nerfs récurrents et toutes les particularités délicates de l’organisation du larynx. — Origine et distribution du pneumo-gastrique. — Comparaison détaillée de la marche et de l’action des nerfs récurrents avec le glossocome et le diaule. — De l’artifice de la nature dans le choix du lieu qui devait servir de poulie ou point de réflexion aux nerfs récurrents. — Voy. XVI, iv.


Ces explications suffisent sur la glotte du larynx. Je reviens aux muscles qui lui impriment le mouvement, particulièrement aux muscles obturateurs dont une digression m’a écarté. On s’étonnerait si l’on calculait, si l’on examinait quelle est la grandeur et le nombre des muscles constricteurs du thorax. {{ancre|renvp498]]Eh bien ! à tous ces muscles résistent deux petits muscles qui ferment le larynx (thyréo-aryténoïd., cf. p. 490) ; la glotte contribue aussi à cette occlusion comme nous l’avons démontré (chap. précéd.). Ici encore éclate l’habileté du Créateur des animaux, habileté méconnue des anatomistes, aussi bien que tout ce qui concerne la structure du larynx. En effet, les muscles obturateurs (thyréo-aryténoïdiens) naissent du milieu de la base du cartilage thyréoïde, ils montent droit, s’inclinent en arrière et obliquement, autant qu’il faut pour parvenir près de l’articulation [crico-aryténoïdienne] du troisième cartilage (aryténoïde). Il est donc évident que la tête de ces muscles est cette extrémité accolée au cartilage thyréoïde, et leur extrémité cette partie avec laquelle ils meuvent le cartilage aryténoïde.

Pour tous les muscles, un nerf venant de l’encéphale ou de la moelle épinière pour leur communiquer la sensibilité et le mouvement, s’insère soit sur la tête même du muscle, ou sur une des parties qui sont au delà de la tête ; il peut encore s’insérer au dehors de la tête du muscle, mais ne dépasse pas le milieu du muscle ; l’extrémité n’en reçoit aucun. Car alors, ce point serait la tête et non plus la queue du muscle. Les nerfs qui s’insèrent à la partie médiane du muscle comme ceux du diaphragme, et qui, de là, se distribuent dans tout le muscle, tirent vers le centre toutes les fibres, faisant de cette partie la tête du muscle ; et c’est une circonstance commune à tous les muscles que les nerfs, en se divisant, tendent vers le point où convergent les fibres musculaires.

Si donc vous réfléchissez attentivement à toutes ces remarques, vous serez persuadé, je pense, touchant les muscles obturateurs du larynx (thyréo-aryténoïdiens) qu’il leur fallait un nerf venant des parties inférieures. Il n’était pas moins nécessaire, je pense, que les deux autres paires de muscles (crico-aryténoïd. postérieurs et latér., voy. p. 490) qui ouvrent l’orifice du larynx fussent pourvues de nerfs qui s’implantent à leur partie inférieure. En effet, ceux-ci ont également en bas leur origine et leur tête, et à la partie supérieure leur queue avec laquelle ils ferment le cartilage aryténoïde. Toutefois, ce n’était pas des nerfs d’égale grandeur et de force égale que réclamaient les deux muscles (thyréo-aryténoïdiens) qui ferment le larynx, et les quatre muscles (crico-aryténoïdiens postérieurs et latéraux) qui l’ouvrent. Les premiers contre-balancent tous les muscles du thorax pendant la rétention du souffle (voy. chap. xiii, p. 494 ; voy. aussi p. 498). L’action des quatre muscles est loin d’être inutile ; obéissant aux muscles du thorax, ils livrent une issue facile à l’air violemment poussé par ceux-ci, ce qui, même sans le concours de ces muscles, peut arriver par l’impétuosité du courant, le troisième cartilage (aryténoïde), vu sa petitesse, se renversant aisément. Ainsi, à cause de la violence de cette action, les muscles obturateurs du larynx ont dû recevoir des parties inférieures des nerfs envoyés en ligne droite pour tirer le cartilage aryténoïde par l’intermédiaire des muscles.

Si donc le cœur était le principe des nerfs, comme le pensent certaines gens qui ne connaissent rien en anatomie (entre autres Aristote !Voy. VI, viii, p. 403, note 1), il aurait mû sans peine les six muscles précités (thyréo et crico-aryténoïdiens) par l’envoi de nerfs situés en ligne droite, mais il nous jetterait dans une égale incertitude au sujet des autres muscles qui, ayant leurs têtes en haut, s’insèrent par leurs extrémités inférieures sur les parties qu’ils meuvent. Mais dans la réalité, comme tout nerf évidemment dérive de l’encéphale ou de la moelle épinière, tous les muscles de la tête et du cou jouissent d’un mouvement facile. En effet, sur les muscles dirigés de haut en bas s’insère un nerf encéphalique, sur les muscles obliques un nerf cervical ou de la septième paire (12e des mod., — gd hypogl.) qui lui-même a une direction oblique. Les six autres muscles précités (crico et thyréo-aryténoïd.) ne pouvaient recevoir leur nerf ni de l’une ni de l’autre de ces régions. En effet, se dressant de bas en haut dans la longueur du larynx, ils n’avaient nullement besoin de nerfs obliques ; ils ne trouvaient pas de nerfs venant en droite ligne du cœur ; à la vérité on pouvait tirer de l’encéphale des nerfs, mais ces nerfs arriveraient en suivant une route opposée [à celle qui convient]. Les muscles susnommés couraient donc grand risque de manquer, seuls entre tous les muscles, de nerfs qui leur communiquassent la sensibilité et le mouvement.

Je ne voudrais pas révéler comment la nature a corrigé ce défaut par l’invention d’un habile expédient, avant de demander aux disciples d’Asclépiade et d’Épicure (voy. I, xxi-xxii) de quelle façon, à la place du Créateur des animaux, ils auraient gratifié de nerfs les muscles précités. J’ai l’habitude d’agir ainsi parfois et de leur accorder pour délibérer non-seulement autant de jours, mais autant de mois qu’ils le demandent. Mais, comme il n’est pas possible d’user de cette méthode par écrit, ni de comparer l’habileté de ces gens à l’incapacité de la nature, ni de montrer comment la nature accusée par eux d’inhabileté est si supérieure par ses savantes combinaisons à la sagacité de ces gens-là, qu’ils ne peuvent même pas concevoir l’art qui brille dans les œuvres du Créateur, il est nécessaire que j’expose les expédients imaginés par la nature pour distribuer aux muscles dont il est question les mouvements.

Afin d’éclaircir l’explication, il faut connaître le mouvement dit de retour (μεταληπτικὴ κίνησις, mouvement de réflexion, — de poulie)[48], qu’emploient fréquemment dans les machines les mécaniciens, parmi les architectes[49] et parmi les médecins ceux qu’on appelle organiciens. Cette espèce de mouvement a été mise en usage par la nature, antérieurement aux arts, pour communiquer l’action aux muscles [du larynx].

Quelques-uns de ceux qui liront ce livre, connaissant le mécanisme du mouvement de retour, s’irriteront peut-être, je le crains, de la lenteur de mes explications, pressés qu’ils sont de s’instruire du moyen employé par la nature pour fournir dans le cas actuel des nerfs convenables. Mais ce n’est pas pour un, deux, trois, quatre lecteurs ou pour un nombre déterminé d’individus que mon discours cherche la clarté, il veut instruire tous ceux qui l’auront sous les yeux. En faveur du grand nombre qui ignore quel est ce genre de mouvement de retour, le petit nombre doit attendre quelque peu, et me permettre d’en tracer la description d’après un instrument usuel et connu de la plupart des médecins appelé par eux glossocomion.


Fig. 1.
Il est allongé, comme tous les autres instruments, destinés [à réduire les fractures ou les luxations et] par conséquent à recevoir toute la jambe de l’homme, ainsi que cela se pratique souvent dans les fractures du fémur et du tibia. Voici ce que le glossocomion offre de particulier. En bas est un axe auquel aboutissent les extrémités des lacs qui entourent le membre. Il existe dans la machine un certain nombre de petites poulies employées selon que la circonstance l’exige. Tel est l’appareil. — Après avoir attaché soigneusement le membre suivant la méthode usitée dans les fractures, on place deux lacs aux deux côtés de la fracture, l’un à la partie supérieure du membre l’autre à la partie inférieure. Le lacs le plus propre à cet usage est celui qui s’appelle lacs avec deux courroies opposées l’une à l’autre (βρόχος ὁ ἐκ δυοῖν διαντέων). C’est le nom ancien qu’il porte. Quelques-uns l’appellent loup (λύκον), le lacs se divisant pour ainsi dire en quatre jambes. Il est bon, après avoir disposé deux jambes à la partie droite du membre et deux à la partie gauche, de faire descendre en ligne droite vers l’axe les chefs du lacs inférieur et de les enrouler soigneusement sur cet axe, de manière à tirer en bas le membre fracturé, et de ramener en haut du côté opposé à l’axe l’extrémité du lacs supérieur. Il faut, en effet, je pense, que ces lacs tendent le membre en sens inverse du premier. Nécessairement les chefs du lacs tirent en haut, passent en dehors, s’attachent aux poulies, et de là redescendant, s’enroulent sur l’axe. Il arrive ainsi que les extrémités des deux lacs ayant un axe commun, opèrent la distension convenable du membre fracturé. En effet, elles se tendent et se relâchent également, obéissant aux révolutions de l’axe. Les chefs du lacs inférieur ont une tension simple, ceux du lacs supérieur une tension double ; le premier, en effet, s’opère suivant une ligne droite, tandis que l’autre s’opère, pour ainsi dire, à l’aide d’une double course[50] sur lui-même.

Cette double course, la nature, avant l’homme, l’a imaginée pour les nerfs qui descendent de l’encéphale à travers le cou ; elle a doué ainsi les muscles du larynx du mouvement de retour. En effet, ces muscles devaient recevoir un nerf cervical ou un nerf encéphalique ; mais comme le nerf cervical devait être oblique, il fallait nécessairement le rejeter et choisir le meilleur entre ceux qui viennent d’en haut. Il en existait deux, l’un exactement droit, que Marinus compte comme formant la sixième paire (pneumo-gastrique, 10e p. des modernes), l’autre, celui qui constitue la septième paire (grand hypoglosse, 12e p. des mod.), n’étant pas droit, était complètement inutile à des muscles droits. Le nerf de la sixième paire, utile par sa direction rectiligne, était non-seulement inutile, mais nuisible parce qu’il venait d’une région opposée. En effet, si, avec sa direction primitive, il se fût inséré sur les muscles en question, il eût mis leur tête en haut et leur queue en bas ; or, c’est le contraire, nous l’avons démontré, qui doit avoir lieu.

Maintenant, prêtez-moi plus d’attention que si, admis aux mystères d’Éleusis, de Samothrace ou de quelque autre sainte cérémonie, vous étiez complétement absorbé par les actions et les paroles des prêtres. Songez que cette initiation n’est pas inférieure aux précédentes, et qu’elle peut aussi bien révéler la sagesse, la prévoyance ou la puissance du Créateur des animaux. Songez surtout que cette découverte que je tiens dans la main, c’est moi qui l’ai faite le premier. Aucun anatomiste ne connaissait un seul de ces nerfs, ni une seule des particularités que j’ai signalées dans la structure du larynx ; c’est pourquoi ils ont commis de graves erreurs à propos des fonctions, et n’ont pas exposé la dixième partie des utilités.

Fixez donc maintenant votre attention, si vous ne l’avez pas encore fait, sur ce qu’il y a de plus vénérable, montrez-vous un auditeur digne des choses que je vais exposer ; prêtez l’oreille à la parole qui décrit les mystères merveilleux de la nature.

Un double tronc de nerfs droits venant de la partie postérieure de l’encéphale (pneumo-gastriques) descend à travers le cou de chaque côté de la trachée-artère en contact avec un autre petit faisceau de nerfs (grand sympathique ?). C’est de ce tronc [pendant qu’il marche de haut en bas] que les muscles du larynx (crico-thyréoïd.), sauf les six dont il s’agit[51], et que d’autres muscles droits du cou reçoivent des rameaux plus ou moins importants (laryngé supér., et quelques filets des nerfs cardiaques ?). Mais, comme le pneumo-gastrique est très-considérable, bien qu’il s’en détache pour les muscles susnommés de nombreuses branches, cependant une assez grande partie, traversant tout le cou, pénètre dans le thorax. Là elle envoie immédiatement pour la poitrine même une première paire de nerfs qui s’étend aussi le long des racines des côtes (grand sympathique ?), puis elle en fournit d’autres encore, celles-ci au cœur, celles-là au poumon, d’autres à l’œsophage.

Si je vous énumérais toutes les ramifications qu’elle répartit, en avançant, sur l’estomac, sur le foie, sur la rate[52], ramifications qu’elle distribue à toutes les parties qu’elle rencontre, comme ferait l’homme le plus généreux, vous vous étonneriez, je pense, qu’aucune d’elles ne se soit détachée sur les six muscles du larynx, bien qu’elle traverse le cou, non loin de ceux-ci, et qu’elle fournisse même quelque nerf à certains des muscles du cou. Mais nous venons de démontrer (au commencement de ce chapitre) que [six] des muscles du larynx ne devaient pas recevoir de nerfs qui se dirigent de haut en bas. Maintenant, nous allons expliquer comment, loin d’oublier ces six muscles, le Créateur, détachant de ces grands faisceaux qui passent près d’eux un rameau suffisant, leur a communiqué aussi la sensibilité et le mouvement.

Prêtez une oreille attentive à ce discours qui s’efforce d’expliquer un fait inouï et bien difficile à démontrer. Vous aurez de l’indulgence pour les anatomistes qui m’ont précédé, si un fait aussi difficile à découvrir a échappé à leur regard.

Dans le passage des nerfs à travers le thorax, un rameau remontant de chaque côté par la même route qu’il suivait naguère en descendant, accomplit ainsi un double trajet. Rappelez-vous, je vous prie, le mouvement de retour dont je parlais tout à l’heure, rappelez-vous aussi le genre de course de ceux qui pratiquent le diaule (voy. plus haut, p. 500-502, notes 1). La direction des nerfs ressemble en effet à l’un et à l’autre : au mouvement de retour, car, bien que l’origine de ces nerfs dérive de l’encéphale, lorsque la volonté veut que les muscles du larynx soient tendus comme par des courroies, le mouvement émané de l’origine des nerfs se propage de haut en bas ; et, descendant à travers le cou jusqu’à une partie assez avancée du thorax, remonte de là jusqu’au larynx où les nerfs s’insérant sur les muscles en question, chacun de ces six muscles est tiré en bas comme par des mains. De même que dans l’instrument fait pour la jambe (glossocomion) le principe du mouvement opéré par nos mains autour de l’axe, entraîne le mouvement des chefs du lacs jusqu’aux poulies, et que, de celles-ci, le mouvement revient de haut en bas, des poulies vers la partie de la jambe qu’on est en train de tendre ; de même se comportent les nerfs du larynx. Le faisceau de nerfs partant de l’encéphale est comme l’axe, principe de mouvement. Cette partie du thorax (à droite autour de la sous-clavière ; à gauche autour de la crosse de l’aorte) d’où les nerfs commencent à rebrousser chemin, est comme la poulie. En comparant leur trajet à la course du double stade (diaule), vous trouverez que cette partie représente non pas la poulie, mais ce qu’on appelle le point de réflexion (καμπτῆρ) : les coureurs qui exécutent la double course en font le tour, puis, revenant sur leurs pas, recommencent le même chemin qu’ils ont parcouru.


Fig. 2.
a. Os hyoïde. — b. Muscle thyréo-hyoïdien. — c. Muscle crico-thyréoïdien. — d. Corps thyréoïde. — A. crosse de l’aorte. — B. Artère sous-clavière gauche. — C. Artère carotide primitive gauche. — D. Tronc brachio-céphalique coupé pour laisser voir les nerfs cardiaques. — 1. Pneumo-gastrique, d’où naît le laryngé inférieur ou récurrent (4) ; ce nerf embrasse, à gauche, la crosse de l’aorte, à droite l’artère sous-clavière. — 2-3. Laryngé supérieur et laryngé externe, lequel se perd au crico-thyréoïdien (à gauche). — 5. Nerf cardiaque supérieur. — Ona enlevé une portion de la carotide pour laisser voir les nerfs cardiaques médians. Les nerfs card. inférieurs rampent sur la branche gauche de l’artère pulmon.
La raison même pour laquelle le nerf ne rebrousse pas chemin auparavant, bien qu’il ait parcouru un si long trajet à travers le cou et une partie notable du thorax, c’est qu’il n’y avait aucune partie du thorax qui pût remplir pour lui l’office de borne ou de poulie. Cette partie devait être ferme et unie, afin d’offrir un moyen au mouvement de retour inoffensif pour elle-même et pour le nerf. Il n’y avait dans cet intervalle (c’est-à-dire de l’encéphale à la poitrine) que la clavicule ou la première côte qui, revêtue d’une tunique membraneuse (plèvre), offrait au nerf sa convexité pour y tourner comme sur une poulie ; mais, de cette façon, le nerf serait arrivé presque à fleur de peau, exposé à toute espèce de lésions. Cependant, il n’était pas prudent, sans flexion, de ramener ainsi au larynx un petit nerf détaché d’un grand. Il courait risque de se rompre s’il n’était enroulé. Cet enroulement étant nécessaire, aucun expédient ne s’offrait si le nerf n’approchait du cœur. La nature avec raison n’a pas hésité à le prolonger, dût-il pour revenir parcourir un chemin considérable. Ce détour n’enlevait pas au nerf de sa force. Au contraire, tous les nerfs à leur origine sont mous, et semblables à l’encéphale même ; mais en avançant, ils deviennent de plus en plus durs[53]. Aussi ces nerfs ont-ils acquis par la longueur du trajet une force remarquable, faisant pour remonter, après leur inflexion, un chemin, peu s’en faut aussi long, qu’ils avaient fait pour descendre.


Chapitre xv. — Du mode de réflexion des nerfs récurrents, à droite autour de la sous-clavière, à gauche autour de la crosse de l’aorte. — Précautions prises par la nature pour leur sûreté. — Leur distribution dans les muscles du larynx. — Ils sont renforcés par une anastomose du grand hypoglosse.


Il est temps maintenant de parler de cette admirable partie, que vous vouliez l’appeler poulie, borne (νύσσα) ou point de réflexion (καμπτῆρ) des nerfs du larynx. Mais, il ne s’agit pas à présent de rechercher la beauté des dénominations, ni de perdre son temps pour des choses d’un intérêt si médiocre et si frivole, quand nous trouvons dans les œuvres de la nature une beauté si grande et si imposante. Certes, il existe en cette région des veines et de grandes artères qui du cœur s’élèvent à travers le cou, les unes en suivant une direction rectiligne, d’autres une direction oblique, aucune ne présente une direction transverse, exigée pour la réflexion des nerfs. Droite, elle ne permettrait pas cette réflexion aux nerfs qui descendent, puisque vaisseaux et nerfs vont en sens inverse ;oblique, l’enroulement est possible dans un certain degré, mais dépourvu de stabilité et de fermeté, surtout si l’obliquité s’écarte beaucoup de la ligne transversale, et se rapproche de la position droite. Pour moi, je ne saurais louer assez dignement la sagesse et la puissance de Celui qui a créé les animaux. Des œuvres si belles sont au-dessus, je ne dirai pas des éloges, mais des hymnes mêmes (voy. III, x, p. 260 suiv.). Avant de les voir, nous sommes convaincus que leur existence est impossible ; quand nous les avons vues, nous reconnaissons que nous avions mal jugé, surtout, lorsque, sans grand appareil, l’artisan, n’employant qu’un seul petit moyen, découvre de tout point une œuvre irréprochable et accomplie, ainsi qu’on peut le voir dans la flexion de ces nerfs.

En effet, pour le rameau gauche, la nature le prolongeant fort loin, n’a pas hésité à lui faire contourner la grande artère (crosse de l’aorte) ; elle a choisi l’endroit où, débouchant du cœur, elle se détourne vers le rachis. Le nerf devait donc avoir tout ce qui lui était nécessaire, position transverse, flexion lisse et circulaire, borne très-forte et très-solide. — Quant au rameau droit, ne trouvant pas de ce côté du thorax de soutien semblable, il a été contraint de contourner l’artère existant de ce côté, artère qui du cœur (c’est-à-dire, à droite, du tronc innominévoy. la figure 2 et son explication) remonte obliquement vers l’aisselle droite (sous-clavière droite). Quant à cette infériorité du moyen de réflexion oblique [à droite] par rapport au moyen de réflexion transverse [à gauche], la nature l’a compensée par la multitude des ramifications issues des deux côtés du nerf et par la force des ligaments. En effet, tous les nerfs qu’elle devait envoyer aux parties droites du thorax (voy. XVI, iii, vii), elle les a produits en masse dans cette région, et les a insérés sur les organes auxquels ils sont destinés, donnant aux nerfs des racines (nerfs cardiaques) comme aux végétaux fixés en terre. Elle a donc établi ce nerf du larynx au milieu de toutes ces racines[54] pour que des deux côtés il fût protégé par elles, et l’a rattaché par des ligaments membraneux à l’artère et aux corps voisins, afin que, maintenu, pour ainsi dire, dans ces limites, il accomplît sûrement sa réflexion autour de l’artère, s’enroulant sur elle comme sur la gorge d’une poulie.

Comme, après leur flexion, ces nerfs (les récurrents) remontent immédiatement, le grand nerf (c’est-à-dire le tronc même du pneumo-gastrique) étend, en guise de main, une ramification au moyen de laquelle il les dresse et les élève. De là, tous deux se portent à la tête de la trachée-artère, repassant par la route qu’ils suivaient naguère, mais ne distribuant plus à aucun muscle les plus petits filets nerveux[55], puisque aucun autre n’a besoin de recevoir des parties inférieures le principe de son mouvement tous deux se répartissent avec symétrie et équité, chacun dans la série des muscles du larynx qui lui correspond, l’un dans les muscles situés à droite, l’autre dans les trois muscles situés à gauche, tous deux se bornent aux six muscles qui ouvrent et ferment le larynx.

De ces six muscles comme nous l’avons démontré (chap. xii ; voy. aussi chap. xiv, init., et p. 503), les deux qui ferment le larynx exercent l’action la plus énergique, laquelle n’est même pas surpassée, dans la rétention du souffle (voy. p. 499) par les muscles si nombreux et si puissants qui contractent le thorax ; aussi la plus grande partie des nerfs vient-elle s’y distribuer. De plus, à leurs extrémités vient aboutir un nerf résistant[56] (branche anastomot. du laryngé supérieur avec le laryngé récurrent ?) qui se porte de haut en bas le long de l’un et de l’autre muscle, auquel empruntent des ramifications certaines parties voisines du larynx (muqueuse). Le reste de ce nerf, se rattachant au nerf propre du muscle (laryngé récurrent), contribue à sa force et à sa sûreté.


Chapitre xvi. — Pourquoi les aliments n’entrent-ils pas dans le larynx pendant l’acte de la déglutition ? Cela tient à la présence de l’épiglotte, dont la forme, la situation et la substance sont dans un rapport parfait avec les fonctions qu’elle a à remplir.


Maintenant, vous ne vous étonnerez plus, je pense, et vous ne demanderez plus (étonnement qu’exprimait la question que faisaient tous les médecins et les philosophes venus avant moi), comment lorsqu’on boit, le liquide, au lieu de tomber dans la trachée-artère, coule dans l’œsophage. Ils attribuent cette action au mouvement des muscles situés à la racine de la langue et pensent que ces muscles ramènent le larynx vers l’épiglotte. Mais, puisque le larynx est si étroitement fermé [pendant la déglutition] que l’air même violemment expulsé par le thorax ne saurait l’ouvrir, il n’y avait pas lieu de chercher ailleurs comment le liquide ne descend pas dans le poumon. Toutefois il eût été plus naturel, en voyant l’orifice du larynx pourvu d’une cavité (vestibule du larynx) nécessaire à cause de la forme et de l’utilité de la glotte[57], comme nous l’avons montré dans notre traité Sur la voix (voy. aussi chap. xiii), de supposer d’abord qu’au moment où s’accomplit la déglutition, les aliments solides et liquides s’accumuleront en cet endroit, de telle sorte que le larynx, s’ouvrant ensuite dans le temps où l’on respire, non-seulement les liquides, mais les solides devaient être précipités à l’instant dans le canal aérien, et de penser ensuite que c’est pour cela que la nature, dans sa prévoyance, a placé au-devant l’orifice du larynx, et pour servir d’opercule, l’épiglotte, laquelle se tient droite pendant tout le temps que respirent les animaux, et s’abaisse sur le larynx dans tout acte de déglutition. L’objet avalé tombant d’abord sur la racine, puis descendant sur la face postérieure de l’épiglotte, l’oblige à s’incliner et à retomber, car elle est d’une substance cartilagineuse et très-mince[58]. (Voy. IV, viii, p. 292.)

Si vous considérez attentivement toute la structure de l’épiglotte, je suis certain qu’elle vous paraîtra admirable. En effet, elle est arrondie, cartilagineuse, un peu plus grande que l’orifice du larynx ; elle est tournée du côté de l’œsophage, et située à l’opposite du troisième cartilage dit aryténoïde. Il est évident qu’elle n’aurait pas cette situation si elle ne prenait son origine du côté opposé. De plus, si elle n’était pas cartilagineuse, elle ne s’ouvrirait pas pendant l’inspiration, et ne serait pas déprimée par les aliments. Car les corps trop mous restent toujours abaissés, tandis que les corps trop durs sont très-difficiles à mouvoir. L’épiglotte, évitant ces deux extrêmes, doit se maintenir droite quand nous respirons et se renverser quand nous avalons.

Si, tout en réunissant ces deux conditions, elle était moins grande que l’orifice du larynx, il ne résulterait aucun avantage de son renversement, non plus que si elle était plus grande, car ainsi elle obstruerait encore l’œsophage. Si les aliments inclinent l’épiglotte sur le conduit du larynx, il en est de même des matières vomies relativement au cartilage aryténoïde. En effet, ce cartilage est tourné aussi vers la cavité du larynx, en sorte que le flux des matières qui remontent de l’œsophage venant frapper sa face postérieure, abaisse aisément tout le cartilage du côté où il incline.


Chapitre xvii. — Le cartilage aryténoïde a une utilité analogue à celle de l’épiglotte. — Si les aliments ne peuvent pas tomber dans la trachée, il ne s’ensuit pas qu’un peu de liquide n’y puisse pénétrer. Cette petite quantité de liquide lubrifie le poumon, comme les glandes voisines du larynx servent aussi à humecter cet organe.


Examinons ici la structure du cartilage aryténoïde, comme nous avons fait auparavant pour celle de l’épiglotte. En effet, si sa grandeur n’était pas telle qu’elle est réellement, sa forme telle, et telles aussi sa substance et sa position, il est évident qu’une partie assez considérable des matières vomies, accumulée près de la cavité du pharynx, serait entraînée dans la trachée-artère. Dans l’état actuel, la nature a établi ces deux admirables opercules du larynx qui sont fermés par les matières mêmes dont ils empêchent la chute dans le larynx ; c’est un expédient analogue à celui que nous signalions plus haut (VI, x, xi, xiv, xv, xvi), en parlant des membranes des orifices du cœur (valvules). À propos de celles-ci, nous observions (VI, xvi, p. 440) que, si la nature a créé une semblable épiphyse, ce n’est pas pour qu’il ne pénètre absolument aucune matière dans les orifices opposés, mais pour éviter une introduction considérable et précipitée. De même ici, il faut se rappeler les remarques faites dans mon traité Des dogmes d’Hippocrate et de Platon [VIII, ix], sur la petite quantité de liquide qui descend dans la trachée-artère, appliqué le long de ses parois et ne s’avançant pas au milieu du tube, liquide si peu abondant qu’il est immédiatement absorbé par le poumon, lequel en est humecté en entier[59].

Ce fait même est encore démontré par les glandes voisines du larynx (glandes salivaires, thyréoïde, thymus), lesquelles offrent une substance plus spongieuse que les autres glandes ; presque tous les anatomistes, en effet, s’accordent à reconnaître que la nature les a créées pour lubrifier toutes les parties du larynx et du pharynx. Il serait étonnant qu’ayant établi ces glandes pour lubrifier ces parties, elle eût complétement fermé à la boisson l’entrée du poumon. Tout ce que j’ai dit témoigne assez que les aliments ne sauraient tomber dans le conduit du larynx, mais il n’en résulte pas pour cela qu’il n’y pénètre point quelques gouttes de liquide. Si je rappelle ces faits démontrés ailleurs, c’est pour faciliter l’intelligence du sujet.


Chapitre xviii. — Par quel moyen l’œsophage n’est pas comprimé par le larynx.


Revenons aux autres utilités de ce qui se voit et se passe dans le larynx. Nous disions tout à l’heure (chap. iii, p. 460) que le ligament membraneux qui remplit les intervalles entre les cartilages sigmoïdes établissait une communauté entre le conduit de l’œsophage et celui de la trachée-artère. Nous disions aussi (chap. iii et iv) que si l’artère en cet endroit était circulaire, elle rétrécirait le passage des aliments. Ce rétrécissement, l’œsophage devrait le subir, étant établi près du larynx, corps entièrement cartilagineux (voy. chap. v, p. 465). Comment donc ne se rétrécit-il pas dans la déglutition des aliments ? Cela ne peut arriver qu’à la condition que lui-même est tiré en bas, tandis que le larynx remonte. Ainsi est modifiée la position réciproque de ces deux conduits, de telle sorte que l’extrémité supérieure répond à la trachée-artère, tandis que le larynx remonte dans le pharynx.


Chapitre xix. — De l’os hyoïde. — Des muscles qui s’y attachent. — Utilité de ces muscles et de l’os hyoïde lui-même. — De son mode d’union avec la tête.


Toutes ces combinaisons de la nature sont admirables : de plus, l’os appelé hyoïde, bien que très-petit, présente encore des utilités très-grandes et très-nombreuses. En effet, de lui dérivent la plupart des muscles de la langue : la paire antérieure de ceux du larynx (hyo-thyréoïdiens) dont nous avons parlé tout à l’heure (chap. xii, p. 492), et certains autres muscles étroits et longs qui s’étendent aux omoplates (coraco-hyoïdiens) ; de plus, un autre muscle double, fort, qui descend au sternum (sterno-hyoïdiens) ; puis deux autres muscles obliques aboutissant à la mâchoire inférieure (mylo et génio-hyoïdiens) ; enfin d’autres petits muscles (stylo-hyoïdiens) s’attachant aux racines des apophyses que les uns comparent aux ergots du coq, les autres aux pointes de styles, et qu’ils nomment fautivement styloïdes[60] ; mais vous pouvez, si vous le voulez, les appeler graphoïdes ou bélonoïdes.

Ces muscles nommés en dernier lieu (stylo-hyoïdiens) et les précédents (mylo-hyoïd.), rattachant l’os hyoïde à la mâchoire inférieure (voy. Dissert. sur l’anat.), sont propres à cette partie et lui impriment des mouvements obliques et antagonistes entre eux, de façon à la porter dans des sens opposés. Aucun des autres n’est propre à l’os hyoïde ; ceux qu’il envoie à la langue (hyo-glosses) ont été créés pour la langue elle-même ; le muscle double qui aboutit au sternum (sterno-hyoïdiens) est l’antagoniste de ceux-ci ; il sert à tirer en bas l’os hyoïde, s’il vient à être relevé trop brusquement par les muscles supérieurs ; comme l’os hyoïde, il sert encore d’appui au cartilage thyréoïde ; de plus il resserre (repousse ?) et dirige la trachée-artère[61]. D’un autre côté, les muscles qui s’attachent aux omoplates (coraco-hyoïdiens) meuvent l’os hyoïde et la trachée, pour ainsi dire, vers le cou.

Cet os qui est suspendu sur les parties convexes du larynx, en répartissant sur beaucoup de points les muscles nombreux que je citais, est maintenu par ces muscles mêmes, la nature, équitable en tout, ayant doué de force égale les muscles antagonistes. Mais, comme l’un de ces muscles pouvait être coupé ou paralysé, surtout parmi ceux qui sont situés à la partie antérieure du larynx, et qu’il était à craindre dans de semblables accidents, que l’os ne s’écartât vers le muscle fort, et que, s’éloignant du centre du larynx, il ne se détournât considérablement de côté, la nature a jugé préférable de ne pas s’en remettre à des muscles seuls pour son équilibre, mais de disposer quelques ligaments robustes destinés uniquement à lui prêter un appui, non pas accessoire, mais solide et réel. Dans ce but, la nature me paraît ne s’être pas bornée à placer des ligaments aux deux côtés de l’os hyoïde (ligaments hyo-thyréoïdiens-latéraux), elle a encore fait naître pour les insérer à chacune de ses faces d’autres ligaments cartilagineux arrondis. L’hyoïde n’en est pas moins rattaché par des membranes non-seulement au larynx (ligaments thyréo-hyoïdiens latéraux et médians), et à l’épiglotte (ligament hyo-épiglotique), mais encore à l’œsophage. Outre ces parties, il y a immédiatement un appui qui rattache l’os hyoïde à la tête (ligament stylo-hyoïdien). Chez quelques animaux, cet appui est plutôt osseux ; chez d’autres il est cartilagineux ; et cela en raison du volume des muscles qui s’implantent sur l’hyoïde. Voilà comme sont constituées les parties du larynx et de la trachée-artère.


Chapitre xx. — Récapitulation de ce que Galien avait exposé dans le traité Des causes de la respiration, sur la direction des fibres des muscles intercostaux (particularité ignorée des anatomistes ses devanciers), et sur les mouvements des côtes.


Parlons maintenant du thorax, en rappelant ici d’abord les remarques faites par nous dans le livre Sur les causes de la respiration. En effet, ainsi que nous l’avons dit d’une manière générale, au début de l’ouvrage Sur l’utilité des parties (I, viii, ix et passim), les fonctions de l’ensemble des organes doivent être connues avant que l’on puisse exposer les utilités de leurs parties. Car toutes répondent dans leur construction à un but unique : l’action de tout l’organe. Évidemment donc quiconque, avant d’être parfaitement instruit de cette action, imagine avoir fait quelques progrès dans la connaissance de l’utilité des parties, est dans une erreur complète.

Nous avons indiqué dans le livre Sur les causes de la respiration[62] les nombreux et admirables moyens inventés par la nature pour mettre en jeu le thorax ; nous avons dit que, dans l’inspiration, quelques-unes de ses parties s’élevaient, tandis que d’autres s’abaissaient, et, qu’au contraire, dans l’expiration celles qui tout à l’heure s’étaient abaissées remontaient, tandis que celles qui naguère s’élevaient, redescendaient à leur première place. Nous avons démontré encore qu’il existe beaucoup de principes de mouvement pour le thorax, que la respiration s’opère ou violemment, ou sans violence, qu’il existe des muscles pour chacun des deux cas[63]. Les utilités de ces muscles ont aussi été démontrées après qu’on avait traité de leurs fonctions, je rappellerai seulement les points principaux qui regardent les utilités.

Les muscles intercostaux n’ont pas comme tous les autres des fibres longitudinales, ces fibres passent d’une côte à l’autre, non pas d’une façon simple, ainsi que l’ont pensé les anatomistes venus avant moi, mais avec une légère inclinaison oblique ; cependant, ils n’affectent pas une forme unique comme ils se l’imaginent aussi dans leur ignorance. En effet, on peut voir les fibres internes opposées aux fibres externes, de même que les fibres musculaires qui sont couchées sur le sternum du côté de la partie cartilagineuse des côtes sont opposées en sens inverse aux fibres des parties osseuses jusqu’aux vertèbres[64]. Personne avant nous ne connaissait cette disposition, ni à plus forte raison son utilité. Nous avons dans le même ouvrage signalé cette utilité ainsi que celle des articulations des côtes. Nous avons également traité des parties cartilagineuses des côtes, Nous avons dit pourquoi elles sont telles, quel est leur mouvement, car cet exposé se rattachait à toute l’action du thorax. Nous avons aussi fait la démonstration des nerfs qui meuvent tous les muscles, montrant dès le début du livre, qu’il n’était pas préférable que les nerfs tirassent leur origine d’une autre région. Nous reparlerons de tous les nerfs comme aussi des artères et des veines dans le XVIe livre.

Chapitre xxi. — Du diaphragme et du thorax en général et des côtes en particulier[65]. — Raisons des diverses particularités de leur structure. — Pourquoi la nature a-t-elle entouré le cerveau d’os seulement ; le foie et le reste des viscères abdominaux de muscles seulement ; et les organes thoraciques d’un mélange d’os, de cartilages et de muscles.


Quant aux parties du thorax qui, n’ayant pas d’action spéciale, aident à l’action des autres parties, nous allons en traiter immédiatement. La substance propre du diaphragme est du tissu musculeux pour lequel on trouve une enveloppe sur chaque face ; l’inférieure est le sommet de la tunique péritonéale (cf. IV, ix, p. 299), la supérieure est la base de la tunique (plèvre) qui ceint les côtes (cf. VI, ii). Cette dernière tunique, en effet, se développe dans l’intérieur de toute la cavité du thorax ; dans les régions où elle tapisse les côtes, elle est disposée comme une défense pour le poumon qu’elle empêche dans l’acte respiratoire, de heurter contre des os nus ; dans la région dite intercostale, elle est établie dans l’intérêt des muscles et des vaisseaux qui s’y trouvent, elle sert d’enveloppe aux muscles comme au diaphragme, et aux vaisseaux de véhicule et d’appui (voy. Manuel des dissect., V, xiii et VII, ii). Nous avons précédemment, dans le même ouvrage (Utilité des parties, IV, ix et surtout V, xv), démontré que l’obliquité du diaphragme aidait à l’expulsion des matières solides. Nous avons montré aussi dans le traité De la respiration, qu’il contribuait puissamment à l’acte de la respiration.

Pourquoi le diaphragme ne naît-il pas de l’extrémité supérieure des fausses côtes ? pourquoi une partie des fausses côtes dépasse-t-elle ce muscle en se prolongeant vers les hypochondres comme une palissade ? Mais nous venons d’exposer leur utilité en les comparant à une palissade ; car cette palissade protège le diaphragme lui-même, le foie et beaucoup d’autres organes situés dans cette région. Pourquoi d’épais cartilages entourent-ils chaque extrémité des fausses côtes ? N’est-ce pas pour garantir contre les lésions les côtes d’abord, puis par elles les parties sous-jacentes ? Comme le cartilage ne se laisse ni entamer, ni rompre par le froissement (voy. I, xi et xii), il était mieux que les parties des os les plus saillantes fussent munies de cette même substance. C’est pour cela aussi qu’à l’extrémité du sternum se trouve le cartilage dit xiphoïde. Il sert évidemment à protéger l’orifice de l’estomac, la partie du diaphragme située dans cette région et de plus le cœur.

Pourquoi sept côtes se terminent-elles au sternum et cinq vers le diaphragme, et pourquoi en existe-t-il douze en tout ? c’est ce que nous expliquerons en parlant des vertèbres dorsales (XIII, vii)[66].

Si vous demandez pourquoi le sternum même est composé de plusieurs os, rappelez-vous ce que j’ai dit sur [les mouvements du carpe et du métacarpe à propos de] la main au commencement du second livre (II, viii). Pourquoi voit-on au sternum sept os, la cause en est le nombre des côtes qui s’y articulent ; car à chacune d’elles correspond un os du sternum.

Pourquoi ne compterait-on pas au nombre des œuvres les plus admirables de la nature ce thorax qu’elle ne crée pas uniquement cartilagineux ou musculeux, mais où elle alterne l’os avec le muscle ? Pourtant l’abdomen tout entier est formé de muscles et le crâne est formé d’os. Il faut aussi observer spécialement que sur les trois principes (le cerveau, le cœur et le foie) qui régissent l’animal, elle a entouré le premier d’os immobiles sans muscles, le troisième de muscles seuls, le second d’un mélange des deux. En effet, l’encéphale, dans aucun cas, n’avait besoin de muscles, car, chez tous les animaux, il est pour les autres parties le principe du mouvement volontaire. Aussi, est-il avec raison recouvert du crâne comme d’un mur inébranlable. Si une enveloppe semblable eût entouré le foie et l’estomac, où seraient reçus les aliments solides et liquides ? où serait placée la masse du fœtus ? Comment seraient expulsés les excréments sans la coopération d’un muscle ? Pour le thorax, composé seulement d’os, il perdrait absolument le mouvement ; formé de muscles seuls, ceux-ci n’ayant aucun support, tomberaient sur le poumon et le cœur. Pour qu’il existe donc une cavité intérieurement, et en même temps pour que tout l’organe soit mis en mouvement, les os et les muscles ont été disposés alternativement. Cette disposition importait fort à la sûreté du cœur et du poumon. Car, ces deux viscères sont protégés bien plus que s’il existait seulement des muscles. Si chaque os, loin d’être oisif, est pourvu, de chaque côté, d’une articulation, pour qu’au moyen de celle-ci, le mouvement se communique à tout le thorax, n’est-ce pas une preuve de prévoyance ?

Mais dira-t-on peut-être : pourquoi le ventre présente-t-il une structure moins bonne ? Enveloppé par le thorax comme est le cœur, la dilatation et la contraction seraient certainement tout aussi bien conservées, et la sécurité eût été augmentée. Celui qui soulève cette question doit apprendre, qu’il serait impossible au ventre de se dilater et de se contracter assez s’il avait une enveloppe osseuse. Dans cette condition d’abord, il eût été impossible que le fruit de la conception se développât ; ensuite on n’aurait pu en une seule fois manger assez pour se rassasier, on aurait eu continuellement besoin de manger comme on a continuellement besoin de respirer. Un besoin continuel de respirer n’a pas d’inconvénient chez un animal vivant dans l’air ; mais, si nous avions un égal besoin d’aliments, notre vie, étrangère à la culture de la philosophie et des Muses (cf. p. 326, 330 et 332), n’aurait pas de loisir pour les plus nobles distractions. En outre, le service que rend la respiration est naturellement restreint dans sa durée ; au contraire, une fois que nous avons mangé et bu suffisamment, nous passons sans besoin nouveau tout le jour et la nuit[67], en quoi la nature mérite encore nos éloges. Ces observations me paraissent suffire à présent pour l’exposition des parties du thorax. Si quelque question peu importante a été omise, on en trouvera aisément l’explication en lisant avec attention le traité Sur la respiration[68].

Chapitre xxii. — Pourquoi les mamelles sont tantôt au nombre de deux, et tantôt plus multipliées ; pourquoi sont-elles placées tantôt sur le thorax seulement, ou tantôt, soit sur le thorax et sur le ventre, soit sur le ventre seul. — Que, chez l’homme, la meilleure place pour les mamelles est le thorax — En général, elles sont placées là où la nature n’altère pas le sang par des productions extérieures, telles que cornes, crinières, etc., mais, en somme, la véritable place est le thorax, et, quand la nature s’en est éloignée, c’est par force. — Que, chez les femmes, les mamelles servent d’abord à secréter le lait, et, en second lieu, à protéger et réchauffer le cœur. — Elles n’existent pas toujours chez le mâle comme chez la femelle. — Pourquoi les mamelles ne sont pas aussi saillantes chez l’homme que chez la femme.


Après avoir parlé encore des mamelles, attendu qu’elles sont aussi attachées au thorax, nous terminerons le présent livre. Comme le lait est la sécrétion d’un aliment utile, et que chez certains animaux, les cornes, les défenses, la crinière ou quelque autre appendice de l’extrémité supérieure absorbent toute la puissance de sécrétion, chez ceux-ci naturellement un autre résidu utile ne pouvait s’accumuler à la région du thorax, aussi chez ces animaux la nature a transporté du thorax au ventre les mamelles, chez certains même, dans une partie si basse du ventre qu’elles sont voisines des extrémités postérieures. La nature a donné plusieurs mamelles aux animaux multipares, deux à ceux qui ne sont pas dans cette classe. Chez les animaux dont aucune partie supérieure n’absorbe entièrement les matières de la sécrétion, la nature a placé les mamelles sur le thorax, deux mamelles s’ils mettent bas un ou deux petits (cf. XIV, iv) ; s’ils en ont un plus grand nombre la nature établit deux mamelles sur le thorax et les autres plus bas. Chez l’homme (c’est lui, en effet, que nous avons dessein de décrire), les mamelles sont avec raison placées sur la poitrine, d’abord parce que cette situation est pour elles la plus convenable, si aucune autre chose ne s’y oppose ; ensuite parce que le cœur, étant placé sous la partie appelée sternum, est encore protégé par les mamelles établies de chaque côté ; enfin, parce que c’est la région où cette sécrétion d’un aliment utile peut s’amasser en plus grande abondance (cf. XIV, xi et viii et XVI, x).

Il faut démontrer d’abord le premier point énoncé, savoir : que cette place est la plus propre pour la production des mamelles. En effet, si les mamelles ont été créées pour le lait, si c’est le premier, le plus grand service qu’elles rendent aux animaux[69], enfin si le lait est un aliment parfaitement élaboré, il fallait de préférence les établir dans cette région, où peut se former en abondance plus aisément et aussi plus promptement un lait parfaitement élaboré. Or, quel lieu est mieux disposé pour profiter de la chaleur naturelle aux animaux, dont le cœur est la source, que celui destiné pour les mamelles chez l’homme ? Quelle autre partie reçoit, plus que les mamelles, le sang élaboré d’abord dans les artères et les veines ?

Ne voyez-vous pas que la nature pouvant détacher un rameau de la grande veine, appelée veine cave, qui du foie remonte par le diaphragme, a négligé ce moyen, bien que la veine fût proche des mamelles. Elle a amené d’abord cette veine au cœur, lui a fait traverser tout le thorax, puis quand elle a été proche des clavicules, elle en a détaché deux ramifications considérables (veines mammaires internes), et avec celles-ci deux ramifications artérielles (artères mammaires internes) ; elle a fait descendre ces quatre branches à travers toute la poitrine ; puis elle en a inséré deux à chaque mamelle, sans avoir eu d’autre but dans ce long trajet que d’élaborer davantage le sang dans les vaisseaux. En effet, après être remonté, ce sang passe devant le cœur et le rencontre de nouveau, en descendant, toujours remué par le mouvement du thorax, s’échauffant dans un tel circuit, attendu qu’il séjourne dans une partie perpétuellement agitée. Toutes ces circonstances contribuent à son élaboration parfaite. Comment alors la position des mamelles ne serait-elle pas la meilleure et la plus parfaite ?

Comment n’admirerait-on pas entre toutes les œuvres de la nature cette habileté avec laquelle, prenant chacun des organes créés dans l’animal pour une utilité, elle aime à s’en servir encore pour quelque autre but utile (cf. p. 492, note 2 et p. 526). Or, quoi de plus utile, de plus équitable que les mamelles rendant au cœur en échange des nombreux avantages qu’elles en tirent un léger service, le seul en effet qu’elles peuvent lui rendre. Elles ne peuvent que le protéger extérieurement ; car leur nature est glanduleuse, et analogue aux tissus foulés. Aussi sont-elles pour le cœur une sorte de protection et d’abri en même temps qu’elles réchauffent comme les vêtements de laine qui nous recouvrent : froids quand ils sont placés sur le corps, et, réchauffés par lui, bientôt ils lui renvoient de la chaleur ; de même la substance glanduleuse des mamelles, recouvrant le cœur, et par lui échauffée, le réchauffe à son tour.

Chez la femme, ces deux glandes, prenant un développement plus considérable, fournissent au cœur plus de chaleur et de protection que chez l’homme. Elles sont aussi utiles aux viscères situés dans l’hypochondre, viscères doués d’une chaleur moins grande dans la femme. En effet, nous avons démontré que toujours la femelle est plus froide que le mâle (cf. Dogmes d’Hipp. et de Platon, IX, iii, et Utilité des parties, XIV, vi).

Le troisième point énoncé, c’est que ni crinière, ni défenses, ni cornes, ni autre appendice semblable, n’absorbant l’aliment que fournit la partie supérieure du thorax, cet aliment devait être fort abondant chez la femelle ; par conséquent encore les mamelles occupent la meilleure position dans l’homme. Néanmoins dans la plupart des animaux, la nature craignant le manque de nourriture, les a reportées nécessairement à l’hypogastre. Elle voyait encore que, chez ces animaux, le cœur a moins besoin du secours qu’elles procurent. En effet, ils ne se tiennent pas, comme l’homme, debout sur deux pieds, tous marchant la tête baissée comme les reptiles. Nous avons démontré cette particularité dans nos explications sur les jambes (cf. III, ii ; voy. aussi XII, x). Il résulte de là que chez eux toutes les parties du rachis sont exposées aux lésions du dehors, tandis que les parties opposées du sternum et du ventre en sont garanties.

Quand les mamelles existent sur le sternum, elles se trouvent aussi chez les mâles ; si elles sont placées sur le ventre seulement, on ne les voit plus dans le mâle, à moins que le petit ne ressemble à sa mère plutôt qu’à son père, comme Aristote (Hist. anim., II, i ; cf. VII, i ; voy. p. 519, note 1) l’a observé sur des chevaux.

Pourquoi les mamelles ne sont-elles pas aussi saillantes chez l’homme que chez la femme, c’est une question du ressort des problèmes physiques[70] (questions naturelles), et ce n’est pas le lieu maintenant de la résoudre. Que cette disposition soit, comme toutes les autres, l’œuvre d’une nature prévoyante, nous pouvons le déclarer dans le présent livre. Nous reviendrons sur tous ces points quand nous traiterons des parties génitales (livres XIV et XV). Comme ce livre roulait sur tous les organes de la respiration, lesquels comprennent le thorax et le cœur, nous avons pour ce motif mentionné les mamelles, attendu qu’elles sont placées sur le thorax et protégent le cœur. Il sera nécessaire d’en parler de nouveau en même temps que des parties nommées parties de la femme.



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  1. Χαταπέρ στοίβη. — « Simili locutione utitur, Exercit. anat., VI, xi, cum ait carnem epatis vasis ipsius interponi δίκην στοίβης. Vertendum autem, non, quemadmodum Andernacus ibi et Vesalius, stipationis modo, sed ut Calaber haec, instar stoches. Est enim στοίβη herba quae φλεώς etiam dicitur Theophrasto. Plant. Hist. [VI, i, 3éd. Schneider]. » Hoffm., l. l., p. 131. — Il est vrai que στοίβη
  2. Ce passage prouve encore une fois (cf. VI, xi, p. 416, et note 2 de cette page, ainsi que la note 1 de la p. 417) que Galien, tout en faisant venir les matières du poumon dans le cœur par la veine pulmonaire, Considère néanmoins souvent ce vaisseau comme ayant son origine au cœur. — Voy. aussi plus loin, p. 477.
  3. Voy. la Dissertation sur les termes anatomiques, et Hoffmann, l. l., p. 131. — Cf. plus loin, chap. vii, fine.
  4. « Dans les mammifères la longueur de la trachée-artère est toujours égale à l’intervalle qui sépare le larynx des poumons ; elle est conséquemment en rapport avec celle du cou. On ne connaît qu’une seule exception à cette règle ; c’est celle que nous offre le paresseux aï chez lequel elle forme deux coudes dans la poitrine. » Cuvier, Anat. comp., 2e édit., t. VII, p. 47. — Cette règle est loin d’être aussi générale pour les oiseaux et les reptiles. — Voy. Cuvier, l. l., p. 60 suiv., et 86 suiv.
  5. Le texte vulgaire porte : ὁμοιοτάτοις τοῗς τῶν κοράκων ὀστράκοις. Plusieurs éditeurs de Galien, entre autres Jul. Alexandrinus et C. Hoffmann, avaient reconnu que ce passage était altéré, et qu’il ne pouvait pas être question ici de corbeaux. Ces éditeurs ont proposé καράβων au lieu de κοράκων, et je trouve cette correction confirmée par notre excellent manuscrit, no 2154.
  6. On voit que Galien n’a pas nominativement distingué de la membrane muqueuse, le cylindre fibreux (tissu jaune élastique) sous-jacent, mais sa description montre bien qu’il avait reconnu les caractères anatomiques de ce cylindre fibreux, et qu’il a seulement confondu en une seule deux membranes composées d’éléments différents. Voy. la note suivante.
  7. Οὐδὲ παραλάττει κατά τε τῶν ἀποβλαστημάτων αὐτῆς οὐδὲν, ἀλλὰ ὁμοίως ἅπαντα χόνδροι πολλοὶ σιγμοειδεῖς… μέχρι τῶν ἐσχάτων λοβῶν… διαφυλάττονται. - « La structure des bronches est chez les quadrumanes identiquement la même que celle de la trachée-artère. Quand les anneaux de la trachée sont incomplets, ceux des bronches le sont également. Il n’y a de différence que du plus au moins ; et quand ils sont complets, comme chez les makis, ceux des bronches le sont aussi. » Voy. Cuvier, Anat. comp., 2e édit., VII, p. 49-51. — Chez l’homme, les ramifications bronchiques offrent cette particularité, que les cerceaux cartilagineux sont représentés par de petites plaques également cartilagineuses et disséminées en spirale dans l’épaisseur de la muqueuse ; d’où il résulte que le segment membraneux devient relativement plus considérable dès les premières ramifications des bronches, et que même à l’extrémité de ces ramifications, les plaques cartilagineuses disparaissent à leur tour complètement. — La membrane fibreuse n’est pas seulement une enveloppe de la trachée, comme le dit Galien ; c’est en définitive la trame essentielle, le tube primitif de la trachée. Les cartilages sont, pour ainsi dire, des accidents. Ils varient de forme, de nombre et de consistance, suivant les animaux. — Hoffmann (l. l., p. 133) a reproché à tort à Galien d’avoir cru que les cerceaux cartilagineux des ramifications bronchiques sont incomplets ; du reste sa réfutation montre jusqu’à quel point les considérations théoriques sur la cause finale avaient encore d’empire de son temps, et combien elles dominaient l’observation des faits. Voici ses paroles : « Hoc et allatæ rationi repugnat et sensui : rationi : si enim non amplius premunt œsophagum, non est etiam opus ilia naturæ sollicitudine, ut compleat circulum interposita membrana ; quin totus debet esse in pulmonibus circulus, ut semper pateat aeri via ; sensui : toti enim sunt circuli in pulmonibus. Idem sensus nos docet, in pulmonibus non tantum circulares esse, sed et quadratas aliquando, aliquando aliæ figuræ. Joh. Alexandrinus vult exculpare Galenum (ut video) τῷ πολλοί quasi voluerit multos, non omnes annulos esse σιγμοειδεῖς. » — Ce qui peut-être a trompé Hoffman, c’est que sur les bronches les plaques sont disséminées à la périphérie, tandis que les cerceaux de la trachée ne sont situés qu’à la partie antérieure. — Si l’on se contente d’examiner la trachée chez l’homme et chez certains autres animaux, où les cerceaux sont incomplets, on sera tenté de croire avec Galien que la présence d’un segment membraneux tient essentiellement aux rapports de la trachée avec l’œsophage ; mais si on pousse plus loin les investigations, on constate bien vite que chez quelques singes, chez beaucoup de carnassiers, de pachydermes, chez les oiseaux, ces anneaux sont ou complets ou presque complets, et cela indépendamment du mode de station des animaux. Il faut donc bien admettre que, si la présence d’un segment membraneux peut faciliter la déglutition quand elle existe, ces segments ne sont pas indispensables sous ce rapport, et que leur existence se rattache à une série de dispositions anatomiques ou d’actes physiologiques encore inconnus.
  8. Voy. la Dissertation sur la pathologie de Galien, et Cf. Méthode thérap., V, ii.
  9. Dans le chap. viii du fragment que nous possédons en latin seulement, sous le titre De vocalium instrum. anatomia, il est bien question de l’action de la trachée-artère pour la production de la voix ; mais évidemment c’est dans le traité perdu Sur la voix que se trouve le passage auquel Galien fait allusion. (Voy, p. 380, note 2.)
  10. Il eût été plus régulier de dire que c’est l’air qui frappe le corps vibratile.
  11. Voy. la Dissertation sur la physiologie de Galien où j’ai résumé la note d’Hoffmann (l. l. p. 134) sur ce passage.
  12. « L’importance que Galien accorde dans ce chapitre et dans les deux suivants à la trachée-artère pour la production des phénomènes vocaux, et l’explication qu’il essaye d’en donner, sont très-dignes de fixer l’attention des physiologistes modernes. Ce qui frappe le plus Galien, dans la trachée-artère, c’est une structure en vertu de laquelle le tuyau de l’air, qui dans la phonation peut être considéré comme un porte-voix, est susceptible de subir des modifications en longueur et en largeur. Les expériences tentées jusqu’à ce jour n’ont pu mettre en lumière la véritable relation qu’il y a entre les divers états de la trachée-artère et la production des différents sons, mais à coup sûr on peut avancer qu’il y en a une très-étroite. Il suffit d’observer l’influence que les divers modes de respiration ont sur la production des sons pour soutenir une telle hypothèse. Dans le chant les grandes inspirations se font surtout de deux manières ; ou bien l’ampliation du poumon suit le développement général du thorax, ou bien, le thorax étant aussi immobile que possible, le diaphragme seul détermine cette ampliation ; or, dans ces deux cas, l’état de la trachée ne saurait être le même ; dans ces deux cas aussi la facilité à produire les sons élevés du registre de poitrine est différente. En effet après l’inspiration diaphragmatique, l’expiration achève d’opérer au moyen des muscles de l’abdomen ; on constate que la facilité à produire les sons élevés de la voix de poitrine est beaucoup plus grande que dans l’autre condition. Mais d’ailleurs les dernières expériences faites sur les tuyaux à anche ont démontré que de très-légères modifications apportées dans un tuyau suffisent pour paralyser les vibrations de l’anche. On ne saurait donc mettre en doute la très-haute importance que la trachée-artère a sur les phénomènes vocaux ; aussi est-il important d’appeler l’attention sur une remarque de Galien qui est aujourd’hui pleine d’actualité ; car tandis que les questions relatives à la glotte et au tuyau vocal ont fait de nouveaux progrès, il reste au contraire beaucoup de problèmes à résoudre sur le porte-voix lui-même. » (Note communiquée par M. le docteur Segond.)
  13. « La différence ou la limite du plus grand allongement et la limite du plus grand raccourcissement de la trachée peut être [chez l’homme et chez les singes], de moitié, c’est-à-dire de 54 à 67 millimètres (2 pouces à 2 pouces et demi). La limite du raccourcissement est établie par le contact des bords des cerceaux cartilagineux. L’allongement et le raccourcissement de la trachée ont des limites bien plus restreintes dans l’homme que dans les oiseaux, chez lesquels, mus à l’aide de muscles longitudinaux, les cerceaux de la trachée se reçoivent réciproquement : chez les oiseaux, dans le plus grand raccourcissement possible, trois cerceaux rapprochés s’imbriquent au point de ne présenter que la hauteur d’un seul cerceau : il en résulte que la trachée de l’oiseau peut diminuer des deux tiers. Cette différence de disposition est en rapport avec la différence d’usages, la trachée de l’homme et des mammifères étant seulement un porte-vent, tandis que la trachée des oiseaux est un porte-voix. » Cruveilhier, Anat. descriptive, 3e éd. t. III, p. 485-6. On devra consulter aussi sur ce sujet le beau travail de M. Sappey intitulé : Recherches sur l’appareil respiratoire des oiseaux ; Paris, 1847, in-4, avec planches. — On voit que Galien n’a étudié que des trachées de mammifères, ou du moins qu’il n’a pas signalé la disposition si remarquable de celle des oiseaux. Peut-être son traité Sur l’anatomie de tous les animaux, qui est perdu, ou qui n’a jamais été achevé, eût levé bien des difficultés et comblé bien des lacunes.
  14. Il eût été plus exact de dire presque entièrement ; car il entre beaucoup de tissu simplement fibreux élastique dans la composition du larynx ; mais Galien considère ici cet organe en masse.
  15. Il ne faudrait pas conclure de ce passage, que Galien a regardé le cartilage comme l’organe fondamental de la voix ; on verra plus loin (chap. xiii, init.) que c’est à la glotte qu’il attribue d’être essentiellement cet organe. On doit donc entendre ici que le cartilage est un des éléments essentiels de la phonation par ses propriétés physiques. Galien dit aussi que le larynx (considéré dans son ensemble) est le premier et le principal organe de la voix ; mais évidemment ce n’est ni de tout le larynx, ni seulement du larynx qu’il a voulu parler puisqu’il attribue aussi un rôle capital à la trachée (voy. chap. iv et la note de la p. 463), et que dans le larynx c’est la glotte qui, selon lui, est plus spécialement chargée de la production des sons.
  16. « Jam dixi in Variis meis [Variæ lectiones, I, xix], vocem hanc [ἠχεῖον] habere apud Vitruvium, I, i, geminam significationem, Galenum autem accipere in ea significatione, in qua ille [Vitruvius] lib. V, cap. v, pro loco (inquam) illo theatri, in quo collocata fuerant vasa quædam ærea ad procurandam, non ἠχώ quandam, ut Victorius vult lib. XX, Variar. etc., cap. vii, sed sonorum quandam differentiam, uti (verba sunt Architecti) vox scenici sonitus tactum cum offenderit, aucta cum incremento, clarior et suavior ad spectatorum perveniat aures. » Hoffmann, l. l., p. 135. — Voy. aussi Trésor grec, voce ἠχεῖον.
  17. Γαργαρεὼν οἷον πλῆκτρον. — Le plectrum était proprement une petite verge d’ivoire avec laquelle on touchait les cordes de la lyre. Ici Galien prend ce mot dans son sens le plus général d’instrument qui sert à frapper l’air pour en atténuer la force. La langue a été aussi comparée au plectrum, parce qu’elle frappe le palais dans l’émission des sons. Voyez du reste XI, xi, ce que Galien et les modernes pensent des usages de la luette.
  18. Ἐκφύσησις est l’émission violente et précipitée (ἀθρόα) du souffle, comme dit Galien dans son traité Du mouvement des muscles, II, ix, et qui s’accomplit quand les muscles intercostaux entrent directement en action. L’exsufflation est la condition essentielle de la voix, tandis que ἐκπνοή (expiration) est une émission lente et faible du souffle, qui je produit par le mouvement de retour des muscles thoraciques dilatés par l’inspiration. Ainsi l’exsufflation est plutôt active, et l’expiration plutôt passive. Voy. VIII, vii ; Hoffman, l, l., p. 145 et 189, et ma Dissertation sur la physiologie de Galien.
  19. Cela revient à dire que les conditions d’organisation propres d’une part à l’émission de la voix, et de l’autre à l’acte de la respiration sont si opposées que, si la nature n’eût pris en considération que l’une ou l’autre catégorie de ces conditions, l’une ou l’autre de ces fonctions eût été abolie ; car ni un organe de la voix ne paraît être susceptible d’une dilatation et d’un resserrement tels qu’il pût servir en même temps à la respiration, ni un organe de la respiration ne parait être assez rigide pour servir à l’émission des sons.
  20. Cette proposition est trop générale, de quelque façon qu’on la considère. Il est certain que l’absence d’un appareil membraneux dans la trachée et le larynx nuirait singulièrement à la phonation, et qu’une trachée purement membraneuse remplirait très-mal, vu sa flaccidité, la fonction respiratoire.
  21. La trachée-artère représente, du moins chez l’homme et chez la plupart des singes, un cylindre dont on aurait enlevé le quart ou le tiers postérieur.
  22. Voy., sur les flux qui de la tête se portent au pharynx, Oribase, t. II, p. 812, note sur les apophlegmatismes.
  23. Cf. Hippocrate, Aph. VI, 19 ; VII, 28 ; Coaq. 495, où cet auteur est d’avis qu’un cartilage coupé ni ne repousse, ni ne se réunit ; — Galien, De semine, I, xi, professe une doctrine semblable. — Cf. aussi Aristote, Hist. anim., III, viii, où l’on trouve la même proposition, presque dans les mêmes termes que ceux dont s’est servi Hippocrate.
  24. Voy. pour l’indication des passages d’Hippocrate où se trouve le mot κλαγγώδης le Glossaire d’Érotien, p. 196, et la note correspondante, ainsi que l’OEconomie de Foës, voce.
  25. Διά τι δὲ φλεβῶν ἀποβλαστήματα μικρὰ ταῖς μὲν τραχείαις ἐμφύεται, ταῖς δὲ λείαις οὐκ ἐμφύεται (ἐκφύεται Bâle) vulg. et ms. 2154. — Hoffman, (l. l., p. 141), croyant se conformer à la doctrine de Galien, suppose qu’il y a ici une transposition de mots et qu’il faut écrire… ἀποβλ. μ. ταῖς μὲν λείαις ἐμφ., ταῖς δὲ τραχείαις οὐκ ἐμφ.. Mais si on lit avec attention la suite du paragraphe, et si de plus on se reporte à la page 476, à la phrase qui commence ainsi : Nous rappellerons maintenant, etc., on sera convaincu que le texte vulgaire est excellent, et qu’il n’y faut rien changer.
  26. Χαρωνείοις βαράθροις (antres de Charon). Voy. dans Oribase, t. II, p. 842, et dans Hoffman (l. l., p. 142) la liste des auteurs qui ont traité de ces antres. — On les appelait ainsi parce qu’on supposait qu’ils servaient d’entrées aux enfers. Les plus célèbres étaient en Sicile, près d’Héraclée du Pont, et près d’Hiérapolis. — Cf. aussi Connor, Dissertationes medico-physicæ De antris letiferis, etc. ; Oxon., 1695, in-8.
  27. Vov. pour cette question Hoffmann, l. l., p. 143 et la Dissertation sur la philosophie de Galien. Cf. aussi dans ce volume le traité Que les mœurs de l’esprit suivent les tempéraments du corps, chap. iii, p. 52 suiv.
  28. C’est cette idée qu’a sans doute voulu exprimer l’auteur du traité De vocalium instrum. anat. dont nous ne possédons que des fragments en latin, lorsqu’il dit chap. vi, t. IV, p. 221 d, éd. de Chartier : « Jure igitur merito etiam bronchus (larynx) ex pluribus conflatus est cartilaginibus, quo, non ut meatus solum, sed ut instrumentum etiam voluntarium inserviat. »
  29. Je reproduis ici, mais en y introduisant quelques modifications, la note que j’ai publiée dans mon édition du traité de Rufus Sur le pouls, Paris, 1847, in-8., p. 36 suiv. : « L’auteur du traité De l’anatomie (éd. de Triller, dans Opuscula, t. II, p. 259 et 262) connaissait la division du poumon en cinq lobes, trois à droite et deux à gauche (mais sans doute dans le même sens que Galien), tandis que l’auteur des Coaques (sent. 400e) croit que les deux poumons sont divisés chacun en trois lobes, un supérieur, un médian, un inférieur. On lit dans Aristote (Hist. anim., I, xvi, 6) : « Le poumon est toujours, chez les vivipares, divisé en deux (lobe supérieur et lobe inférieur) ; cette division n’est pas également manifeste ; elle l’est très-peu chez l’homme. Le poumon de l’homme n’est pas subdivisé comme celui de certains vivipares. » Rufus (De appel. part. corp. hum., ed. Clinch., p. 57) dit simplement qu’il y a cinq lobes au poumon. Galien, comme on l’a vu, admet également cette division en cinq lobes, deux à gauche et trois à droite : il s’est particulièrement occupé du cinquième qu’il décrit minutieusement. Comme tous les auteurs ne sont pas d’accord sur ce qu’il entendait par ce cinquième lobe, il importe de le déterminer positivement. Il nous suffira de renvoyer ici aux passages qui regardent le cinquième lobe et qui se lisent dans le chap. iv du livre VI de notre traité, en ajoutant que les diverses particularités qu’on y remarque sont toutes confirmées par l’abréviateur de Galien, Théophile (De fabrica corp. humani, III, v et xi, p. 94 et 102, éd. Greenhill, Oxford, 1842, in-8). Galien a aussi parlé de ce cinquième lobe dans le Manuel des dissect., VII, xi, t. II, p. 625 : « Au premier abord, dit-il, et pour les anatomistes peu exercés, le poumon droit ne semble composé que de deux lobes comme le poumon gauche ; mais un examen plus attentif fait bientôt reconnaître le cinquième lobe qui est petit, et qui semble une production des deux autres : on le découvre facilement en dirigeant son attention sur la veine cave qu’il soutient ; l’excavation qu’il présente pour la recevoir est surtout visible sur l’animal vivant. » Il importe aussi de rappeler ces paroles remarquables du traité De l’utilité des parties (VI, iv, p. 391) : « Vous ne trouverez pas d’animal chez lequel le nombre des lobes de la partie droite ne dépasse d’au moins un celui de la partie gauche — (observation confirmée par les recherches modernes). — Tous les animaux n’ont pas de chaque côté deux lobes comme l’homme, mais tous en ont un particulier placé sous la veine cave. » Si l’on s’en tenait à la lettre de ce texte on serait tenté d’admettre que Galien a décrit les poumons humains et que son cinquième lobe est notre lobe médian, ainsi que quelques auteurs paraissent l’avoir cru (voy. en particulier Hoffmann, l. l., p. 100-101) ; mais il n’en est rien : pour le médecin de Pergame le singe et l’homme sont identiques, du moins au point de vue anatomique : ainsi, quand il parle de l’homme, c’est le singe qu’il faut entendre ; la description des parties le prouve surabondamment. Nous allons le voir spécialement pour le poumon : d’ailleurs Galien montre bien lui-même qu’il a étudié cet organe sur un singe et non sur un homme, puisqu’en parlant du sillon que présente le cinquième lobe il ajoute : « Ce sillon s’observe surtout quand l’animal est vivant. » Il suffira de rapprocher de celle de Galien la description du lobe accessoire de Cuvier (lobule sous-cardiaque de Blainville), pour démontrer clairement qu’il y a identité parfaite entre ce lobule et notre cinquième lobe. — Le lobule sous-cardiaque ne s’aperçoit pas au premier abord, car il est entièrement recouvert par les autres lobes et par le cœur ; ce n’est qu’après avoir écarté ces parties qu’on l’aperçoit dans toute son étendue. Situé dans la cavité droite de la poitrine, petit, triangulaire, il présente un bord inférieur qui repose sur le diaphragme à sa partie moyenne par une surface assez large et également triangulaire ; deux bords supérieurs, l’un externe, mince, libre, l’autre interne excavé pour embrasser l’artère pulmonaire, et se prolongeant derrière le cœur. Son sommet est à la racine des autres lobes, dont il semble en effet une production, comme le dit Galien ; le lobule s’étend ainsi de sa base à son sommet, depuis le diaphragme jusqu’à l’oreillette. Il est en contact avec le lobe inférieur, par sa face externe convexe, et en grande partie avec le cœur par sa face interne concave : sur cette face, au niveau de la veine cave, il présente un sillon très-distinct et semble en effet supporter cette veine pendant le trajet qu’elle parcourt à travers la poitrine avant d’entrer dans le péricarde, et lorsqu’elle y a pénétré ; cette dépression si marquée et la position de tout le lobule, ont donc pu induire Galien en erreur sur ses usages (il ne peut en effet supporter la veine cave chez les animaux qui marchent à quatre pattes), et nous expliquent sa recommandation de le chercher en dirigeant son attention sur la veine cave. Ainsi tout concorde dans cette comparaison, et le doute n’est plus possible, Galien n’a pas décrit le lobe médian, mais le lobule sous-cardiaque, qui se retrouve chez tous les mammifères au dire de Cuvier (Leçons d’anatom. comp., 2e éd., publiée par M. Duvernoy, t. VIII, p. 24 ). — Il reste une difficulté dans la description de Galien ; cet auteur n’admet que deux lobes pour le poumon droit tandis que chez les singes il y en a toujours trois, comme chez l’homme, et même souvent quatre, indépendamment du lobule. Il est difficile d’admettre qu’il avait précisément décrit le poumon sur un exemplaire qui faisait exception à la règle générale. Comme cette opinion sur le nombre des lobes du poumon droit, qui se retrouve dans toute l’antiquité, est commune à beaucoup d’anatomistes de la renaissance, à Vesale, par exemple, il faut bien admettre une raison plus générale : le lobe médian, sur l’homme, mais surtout sur le singe, est coupé obliquement, en biseau et en quelque sorte aux dépens du lobe supérieur qui repose sur lui par imbrication et le recouvre presque tout entier ; des adhérences assez prononcées sur l’animal récemment mis à mort unissent ces deux lobes ; le lobe médian n’est pas toujours, du reste, isolé dans toute son étendue, tandis que la séparation des deux lobes inférieurs et supérieurs, en rattachant le lobe médian à ce dernier, est transversale, profonde, parfaitement nette, et s’aperçoit au premier coup d’œil. C’est sans doute à ces différences si tranchées qu’est due l’erreur de certains anatomistes qui n’ont reconnu que deux lobes dans le poumon droit, même chez l’homme.
  30. Les anatomistes modernes varient sur le nombre des cartilages du larynx. Ainsi M. Cruveilhier (Anatomie descriptive, 3e édit., t. III, p. 508) n’admet que cinq cartilages : thyréoide (voy. p. 424, note 2), cricoïde, épiglotte, deux aryténoïdes ; les cartilages corniculés ou de Santorini ne sont pour lui qu’un appendice du dernier. M. Cruveilhier nie aussi, avec M. Malgaigne, Arch. de méd., 1831, t. XXV, p. 201 et 214), l’existence, chez l’homme, des cartilages cunéiformes ou de Wrisberg. M. Huschke (Splanchn., trad. franc., p. 211 suiv.) soutient au contraire que les cartilages de Wrisberg existent chez l’homme, mais qu’il faut les chercher sur des sujets robustes. Il admet aussi les cartilages de Santorini, au même titre que les autres ; mais il distingue deux espèces de cartilages, les vrais (cricoïde, thyréoide, aryténoides) les faux ou fibro-cartilages (cartilages de Santorini et de Wrisberg, épiglotte. — On verra plus loin, chap. xvi, que Galien ne regarde pas non plus cette partie comme constituant un des cartilages du larynx). Il ne décrit donc que trois cartilages dans le larynx, et considère les cartilages aryténoïdes comme ne formant qu’une seule pièce. (Voy. plus loin p. 485, note 2.) Il n’est pas étonnant qu’il n’ait distingué ni les cartilages de Santorini, ni ceux de Wrisberg, puisque en réalité les premiers, aussi bien chez les singes que chez l’homme, sont à peine isolés des aryténoides, et que les seconds sont tout à fait cachés dans un repli de la membrane. Dans le traité qui nous occupe, Galien ne donne de nom propre qu’à deux cartilages, le thyréoïde et les aryténoïdes qu’il considère comme un seul cartilage, le troisième reste innominé (ἀκατόνομαστος) dans le traité De l’utilité des parties. Dans les fragments De vocal. instrum anatom., chap. iv, t. IV, p. 220,édit. de Chartier, il est dit de ce cartilage : « Alia autem hasim κρικοειδῆ, id est annuli figuram imitantem efficiens, postremæ ipsius asperæ arteriæ cartaligini C literam imitanti incumbit… Sed quoniam haud facile alicui eorum, quæ in hoc mundo nomen sortita sunt, hæc cartilago assimilari potuit, atque ita denominari ; nominis defectu (ἀκατόνομαστος-ἀνώνυμος, Suidas voce φάρυγξ) vocata est. » Théophile (De corporis hum. fabrica, p. 111, ed. Greenhill) dit à peu près dans les mêmes termes : Ὁ δὲ δεύτερος… ἀνόμοιος δὲ τοῖς φαινομένοις πᾶσιν, ὡς καὶ μηδενὶ ἐοικὼς ἀκατόνομαστος ὡνομάσθη. ― Ainsi les anciens ont bien comparé la base de ce cartilage à un anneau ; mais ce n’est que plus tard qu’on lui a imposé le nom propre de cricoïde.
  31. Comme Galien varie sur le nombre des muscles intrinsèques et extrinsèques du larynx (voy. De vocal. instrum. anat., cap. v. Dissect. muscul., cap. xii-xiv dans l’édit. de Dietz, et le livre inédit du Manuel des dissections sur les organes de la voix) ; j’étudierai ce point difficile dans la Dissertation sur l’anatomie ; ici je me contenterai de mettre entre parenthèses les noms modernes.
  32. Les anatomistes de nos jours écrivent toujours thyroide, comme si ce mot venait de θύρα (porte) et nom de θυρεός (espèce de bouclier). J’ai cru devoir suivre l’orthographe étymologique. En pareil cas il est contraire à toutes les règles de s’en écarter. — Dans les fragments Sur l’anatomie des organes vocaux (chap. iv, t. IV, p. 220, édit. de Chartier) on lit : « Hanc ipsam cartilaginem cuidam armorum protegentium generi non convexo, sed concavo, quod θυρεός, id est scutum appellatur, assimilare possis, a quo sane anatomici θυρεοειδῆ ipsam appellarunt. » Théophile (l. l., p. 111) dit de ce cartilage : Ὅστις καὶ φαίνεται καὶ καλεῖται τετράπλευρος (on l’appelle quadrilatéral), θυρεῷ παραπλήσιος τῷ σχήματι, ἐξ οὗ καὶ τὴν προσωνυμίαν ἐτήσατο.
  33. La circonférence inférieure du cartilage cricoïde est circulaire, légèrement sinueuse et unie au premier cerceau de la trachée par une membrane ; souvent elle est en partie continue à ce premier cerceau, dont elle ne se distingue que par son épaisseur (Cruveilhier, l. l., p. 508-9. Voy. aussi Huschke, l. l., p. 214). — On la divise en arc (partie antérieure et latérale) très-étroit, et en lame (partie postérieure) d’une hauteur qui varie suivant les animaux, et qui, ainsi que le dit Galien, complète en arrière le cercle commencé en avant et sur les côtés par le cartilage thyréoïde.
  34. Ἔστι δὲ καὶ στενότερος ὁ χόνδρος ταύτης τῆς κάτω βάσεως ὁ δεύτερος. Ce texte de vulg. parait irrégulier ; celui du ms 2154 n’est pas meilleur. Le voici : Ἔστι δὲ στενοτέρα αὕτη τῆς κάτω βάσεως ὁ δεύτερος χόνδρος. Mais il me semble que les explications données par Galien en déterminent assez positivement le sens.
  35. Galien, ayant sans doute étudié le larynx entouré de ses membranes (ainsi que le fait remarquer M. Cruveilhier, l. l., note de la p. 51l), a cru que les deux cartilages aryténoïdes n’en formaient qu’un, et cette erreur a subsisté longtemps dans la science. — C’est, comme on voit, à la forme du sommet fortement déjeté en dehors (disposition qui est surtout manifeste chez les cochons, animaux sur lesquels Galien a étudié le larynx, en même temps que sur le magot), comme est le goulot des aiguières, que le cartilage aryténoïde doit son nom. D’après le passage qui nous occupe, c’est seulement le sommet qui aurait reçu le nom d’aryténoïde, mais il paraît d’après les fragments Sur l’anatomie des organes de la voix (chap. iv), qu’on donnait aussi ce nom à tout l’ensemble du cartilage : « Reliqua ab his cartilago, quæ tum positione, tum magnitudine tertia est, in suprema innominatæ cartilaginis (cricoïde) parte est sita, gutturniis infundibulisve, quas et arythænas appellant, haud absimilis : unde hanc quoque cartilaginem arytænoeidem nominant. » Du reste plus bas Galien appelle aryténoide tout le cartilage. Théophile (l. l., p. 110 et 112, éd. Greenhill) appelle aussi tout le cartilage ἀρυταινοειδής. — Voici, sur l’anatomie du larynx chez les singes et chez le cochon, quelques détails tirés de l’Anatomie comparée de Cuvier, 2e édit., et du Traité de l’anat. des animaux domestiques, par Rigaut et Lavocat : « Chez les singes, le larynx diffère peu de celui de l’homme ; les cornes antérieures du thyréoïde et l’épiglotte sont seulement plus courtes à proportion, surtout ces cornes qui sont moindres que les antérieures (sic) ; les ventricules de la glotte s’enfoncent aussi un peu davantage en dessus, les cartilages arythénoïdes sont un peu plus petits. On sent aussi que, dans les espèces qui ont un sac membraneux, une grande partie de l’air doit être absorbée en sortant d’entre les rubans vocaux ; en effet, chaque fois que les singes crient, on voit leur sac se gonfler, et c’est probablement pourquoi tous ces animaux ont une voix plus faible que leur grandeur et leur vivacité ne semblaient l’annoncer. » Cuvier, t. VIII, p. 785. — « Dans le cochon, le ruban vocal (corde vocale du ligam. thyréo-aryténoidien) descend en arrière, c’est-à-dire que son attache thyréoïdienne y est, non-seulement plus basse que l’aryténoïdienne, mais plus en arrière. Les aryténoïdes sont élevés et droits ; leur extrémité supérieure se recourbe en arrière en une branche pointue et fourchue ; c’est par en bas que le ruban vocal y tient ; il est libre et tranchant. Le ligament supérieur qui tient aux aryténoïdes est gros, et son bord arrondi ; le ventricule, peu profond, donne de sa partie postérieure un sinus oblong qui monte entre la membrane interne et le thyréoïde de la grandeur de l’extrémité du petit doigt. Cet enfoncement n’est guère plus considérable que celui du ventricule de l’homme. Le thyréoïde ne fait point d’angle en avant ; il y est arrondi, tronqué à son bord supérieur, et sans corne de ce côté. — L’épiglotte est arrondie, la glotte a en arrière une partie ronde entre les arythénoides. » Ibid., p. 791-2. — « Chez le porc la configuration extérieure du larynx est à peu près la même que dans les didactyles. Les aryténoides sont plus élevés, et leur bec postérieur, recourbé en bas, porte une légère fissure. L’intérieur du larynx est rétréci par le rapprochement des cordes vocales, très-oblique en avant et en bas ; ce qui explique la voix aiguë de cet animal. Le sinus sous-épiglottique est large et se prolonge sous la base de l’épiglotte, autre gage de phonation bruyante. En arrière, entre les aryténoïdes, la glotte est arrondie. Il y a des ventricules latéraux larges, peu profonds, et fournissant en arrière un petit sinus oblong qui remonte entre la muqueuse et le thyroïde. Ces ventricules ne sont pas entourés par le thyro-aryténoidien, qui est indivis et peu développé ; ils sont bordés en haut et en dehors, par un gros cordon, sorte de corde vocale supérieure, considérée par Dugès comme servant avec les ventricules à modifier le grognement sourd. L’épiglotte, qui offre un grand développement et beaucoup de mobilité, n’est que peu renversée en avant, ce qui contribue à augmenter la profondeur du sinus antérieur, et permet au cartilage épiglottique de remplir le rôle de soupape molle au-dessus de l’orifice du larynx, et de modifier le son, suivant que le pharynx est occlus à moitié, aux trois quarts, etc. C’est surtout dans ce but que doit agir le muscle hyo-épiglottique. » — Rigaut et Lavocat, 6e liv., p. 266-7. — Dans la Dissertation sur l’anatomie, et à propos des livres inédits du Manuel des dissections, je reviens sur toutes ces particularités et je donne la représentation de celles qui sont les plus importantes.
  36. Αὐλός, qu’on traduit ordinairement par flûte, ne désigne pas un instrument analogue à celui que nous appelons flûte, mais un instrument à double tuyau et à anche. La théorie de la flûte antique n’est pas encore bien connue malgré les nombreuses recherches des archéologues et des érudits sur ce sujet. Voy. Fabricius, Bibliographia antiquaria, 3e éd. ; Smith, Dictionnaire des antiq. grecq. et rom. (en anglais), voc. αὐλός et tibia ; Pauly, Real Encyclop., etc., voc. tibia. — « Il y a des agents producteurs des sons qui consistent en une simple languette vibrante, mise en mouvement par un courant d’air comprimé, comme la lame métallique de la guimbarde et les lamelles de l’harmonica à bouche. L’expérience enseigne que les corps élastiques par cohésion, comme les métaux et les bois, ne sont pas les seuls qui puissent former des anches. On peut y substituer des plaques ou des membranes rendues élastiques par tension. Quand ces anches membraneuses sont mises en mouvement par un courant d’air comprimé, elles donnent des sons très-purs sans le secours d’un corps de tuyau. En ajoutant un tuyau au-devant des anches, on obtient un instrument plus compliqué dans lequel l’air du tuyau contribue à modifier les vibrations de l’anche. » — « L’étude de ces sortes d’anches membraneuses ou élastiques par tension a été négligée jusqu’ici, et l’on doit d’autant plus le regretter qu’elle renferme la clef de la théorie de la voix de l’homme. » Mueller, Manuel de physiol., 2e éd., t. II, p. 136 et 142. — Mueller s’étend longuement sur la théorie de ces anches, et rapporte une série d’expériences qu’il a entreprises pour éclairer cette théorie ; puis il ajoute, p. 169 : « Dans l’organe de la voix de l’homme, les ligaments inférieurs de la glotte sont des anches à deux lèvres ; le corps du tuyau est l’espace qui s’étend depuis les cordes vocales jusqu’aux ouvertures buccale et nasale ; la trachée-artère et les bronches sont le porte-vent. Les lèvres de l’homme peuvent aussi agir comme anches, lorsque la contraction des muscles les met à l’état de tension ; dépourvues d’élasticité par elles-mêmes, elles en obtiennent un équivalent par la contraction de leur sphincter… La cavité buccale et les organes respiratoires font alors office de porte-vent. L’instrument est un instrument à anches sans corps de tuyau. Adapte-t-on aux lèvres un tuyau en carton ou en métal, non-seulement le son devient plus plein, mais encore il peut être modifié par le tuyau. La même chose arrive à l’anus. Le sphincter tend la peau de l’anus et la fait agir comme une languette avec porte-vent (les gaz intestinaux) sans corps de tuyau. » — « Au point de vue de l’organe de la voix humaine, les corps qui nous intéressent le plus sont ceux qui donnent par des vibrations le nombre nécessaire de chocs rapidement répétés. Il n’y a que ces corps élastiques qui soient susceptibles de produire ainsi les sons. Une impulsion communiquée à l’une de leurs parties se propage au tout, il fait exécuter au corps des oscillations semblables à celles d’un pendule. » Mueller, Manuel de physiol., 2e éd. franc., t. II, p. 129.
  37. « En étudiant la voix de l’homme, on est frappé de l’art infini avec lequel est construit l’organe qui la produit. Nul instrument de musique n’est exactement comparable à celui-là ; car les orgues et les pianos, malgré toutes leurs ressources sont imparfaits à d’autres égards… L’orgue a deux registres, celui des tuyaux à bouche et celui des tuyaux à anche ; à ce point de vue, il ressemble à la voix humaine, avec ses registres de poitrine et de fausset. Mais aucun de ces instruments ne réunit tous les avantages comme la voix de l’homme. On pourrait jusqu’à un certain point imiter cet organe en adaptant à un tuyau à bouche un appareil qui ne fût pas trop difficile à faire jouer, et qui permît de varier à volonté la tension des rubans élastiques ; mais les sons d’un pareil instrument, pour lequel, si l’on voulait le rendre durable, il faudrait n’employer que des rubans élastiques secs, n’imiteraient pas les sons roulants et éclatants du tissu animal élastique mou, et seraient toujours très-difficiles à manœuvrer. » Mueller, l. l., p. 205. — « Comme organe de phonation, nécessairement susceptible d’ampliation et de resserrement, le larynx devait présenter des parois flexibles, élastiques et jouant les unes sur les autres, sous l’influence de la volonté. Pour satisfaire à cette double exigence de solidité et de mobilité, le larynx est constitué par une charpente cartilagineuse, divisée en pièces distinctes, articulées, et mises en mouvement par des muscles de la vie animale, qui déterminent dans la disposition de tout l’appareil les modifications nécessaires à la production des sons variés. Puis l’intérieur du canal est tapissé par une membrane muqueuse ; et tout l’appareil reçoit des vaisseaux et des nerfs pour ses manifestations d’activité. » Rigaut et Lavocat, Traité de l’anatomie des animaux domestiques, 6e liv., p. 244.
  38. Galien divise le crico-thyréoïdien en deux, ainsi qu’on le voit dans le traité De la dissection des muscles, chap. xiii (ἄλλοι δὲ δύο διφυεῖς, κ. τ. λ.). Ce muscle est en effet, surtout chez les gros animaux, partagé par une ligne graisseuse en deux faisceaux distincts dont l’un est en avant et dont l’autre se porte sur les côtés et un peu en arrière ; c’est pourquoi j’ai donné à ces deux portions l’épithète d’antérieur et de postérieur. Peut-être aussi cette division tient-elle à ce que Galien a considéré comme un muscle à part la portion qui s’insère à la petite corne du thyréoïde. Assez ordinairement cette portion, comme le remarque Theile (Myologie dans Encyclop. anatom., t. III, p. 87), est séparée du reste du muscle. — Voy. la Dissertation sur l’anatomie de Galien.
  39. Galien divise en deux le constricteur inférieur du pharynx, que les modernes considèrent comme un muscle impair. Cette manière de voir de Galien tient peut-être à ce qu’il a regardé comme un muscle distinct la portion qui naît de la corne inférieure du cartilage thyréoïde, et qui souvent en effet semble séparée du reste du muscle (voy. Theile, l. l., p. 68.). Mais il est encore plus probable qu’il a regardé comme un muscle, distinct chacune des moitiés du constricteur lesquelles se réunissent par un raphé sur la ligne médiane.
  40. Daleschamps remarque que Galien indique ici huit muscles extrinsèques du larynx et qu’il ne paraît en décrire que six. Le ms. 2154 a aussi ὀκτώ, mais il paraît bien évident, d’après la description et aussi d’après les chapitres xii et xiii du traité De la dissection des muscles qu’il faut lire ἕξ, à moins qu’on ne suppose que Galien ait placé au nombre de ces muscles les sterno-hyoïdiens dont il dit qu’ils meuvent le larynx en même temps que l’os hyoïde (Dissection des muscles, chap. xii) ; mais cela paraît peu probable, puisqu’il fait partir les trois groupes de muscles qu’il décrit du cartilage thyréoïde, et qu’il n’assigne pas, et avec raison, une telle insertion au sterno-hyoïdien.
  41. Voy. pour tout ce qui regarde les mouvements du larynx et de ses diverses parties, les Dissertations sur l’anatomie et sur la physiologie.
  42. Dans la pensée de Galien, cette parenthèse est destinée à prévenir l’objection de ceux qui pourraient croire qu’il a regardé certaines parties comme inutiles ; mais on sait combien il est loin de professer une pareille hérésie ! Il y a pour lui des parties immédiatement ou directement utiles, et d’autres qui n’ont qu’une utilité secondaire, conséquente ou accidentelle, et qui aident à l’utilité des premières. — Voy. V, iii, p. 341.
  43. « S’il est dans la théorie de la voix humaine une question à laquelle on puisse répondre sur-le-champ, c’est celle de savoir dans quelle partie des voies aériennes la voix se forme. Les observations recueillies sur l’homme vivant et les expériences faites sur le larynx humain démontrent qu’elle se produit dans la glotte même, ni au-dessus ni au-dessous. Lorsqu’il existe une ouverture accidentelle à la trachée-artère d’un homme ou qu’on en pratique une à celle de l’animal, la voix cesse et reparaît dès qu’on bouche l’ouverture… Au contraire une ouverture pratiquée à la partie supérieure des voies aériennes au-dessus de la glotte ne supprime pas la voix » Mueller, l. l., p. 167-8. — On voit du reste que Galien appelle glotte non-seulement la fente, comme le font ordinairement les modernes, mais cette fente, les cordes vocales inférieures et supérieures et les ventricules.
  44. « Hinc illa Aristotelis verba, ἡ τέχνη μιμεῖται τὴν φύσιν, ars imitatur naturam. Physic. auscult., II, ii, [p. 194, l. 21, éd. Bekker] ; Meteor., IV, iii [p. 381, l. 6, éd. B.]. Imitatur autem non ut simia, sed ut defectum naturæ suppleat (ἀλλ᾽ ὡς τὸ προσλεῖπον τῆς φύσεως ἀναπληρῷ.) Hinc Antiphon dixit apud eundem, in principio Quæst. mechanicar. [p. 847, l. 20, éd. B.] :

    Τέχνῃ (γὰρ) κρατοῦμεν ὧν φύσει νικώμεθα.
    Arte enim superamus ea a quibus vincimur.

    Arte enim superamus ea a quibusvincimur. Hinc illud vulgatum philosophorum axioma, Scientias peperit admiratio, artes indigentia seu paupertas. » Hoffmann, l. l., p. 145.

  45. Εἰ δὲ ἀθρόως τε καὶ σφοδρῶς τὸ καλούμενον στενάζειν γινόμενον. Vulg. et ms. 2154. « Locus misere habitus, » dit Hoffmann dans l’Appendix variarum lectiorum, liv. VII, t. 60. Voy. aussi son Comment. p. 145-6. — Les traducteurs latins varient sur ce passage. Les uns, au lieu de suspirium qui est la traduction de στενάζειν, ont vocem, les autres cantum, les autres enfin ont une lacune. S’autorisant de ces dissidences, et de ce fait que Galien (voy. VIII, vii) appelle ἐκφύσησις, l’émission de l’air par un mouvement brusque et fort, Hoffmann veut lire εἰ δὲ… τὴν καλουμένην ἐκφύσησιν γίνεται. Mais rien n’autorise un pareil changement. Le texte grec est formel dans les éditions et dans le manuscrit 2154 ; d’un autre côté un soupir est produit comme l’exsufflation par l’émission brusque et forte de l’air.
  46. On trouvera dans la Dissertation sur l’anatomie, la liste de toutes les découvertes anatomiques que s’attribue Galien.
  47. « Magendie ne comprend pas dans la glotte l’espace intercepté entre les cartilages aryténoïdes, qui, d’après les observations faites par lui sur des animaux, sont appliqués immédiatement l’un contre l’autre pendant la sortie des sons. Malgaigne dit aussi que la partie postérieure de la glotte [glotte inter-aryténoïdienne] est fermée quand des sons se produisent. Il est possible que ce soit là, en effet, la règle ; car si, le larynx humain séparé du corps, les sons ont de la peine à sortir quand la partie postérieure de la glotte n’est pas fermée, cependant j’ai reconnu que cette occlusion n’est pas d’une nécessité absolue, et bien que je tinsse la glotte ouverte dans toute sa longueur, je n’en ai pas moins, quelquefois, obtenu des sons, en ayant soin de tendre un peu les ligaments et de rétrécir l’ouverture. » Mueller, l. l., p. 171-2.
  48. Hoffmann (l. l., p. 146, explique très-bien cette espèce de mouvement : « Η` κίν. μεταλ., motus permutativus seu translativus, opponitur τῆ εὐθυπόρῳ, recto. Motus simplex est vel sursum, vel deorsum, vel ad dextrum, vel ad sinistrum, vel antrorsum, vel retrorsum : motus transumptivus duplex est, primum quidem deorsum, deinde autem sursum. Hoc non potest melius explicari quam per tractionem illam, quam molimur ope trochlearum. Per has enim trajectus funis, alteri quidem suo extremo habent appensam molem trahendam, altero in manu est operarii trahentis. Qui dum trahit deorsum, moles repit sursum, itaque permutatur motus in alterum. Nimirum τὸ μεταληπτικόν non potest commodius explicari, quam per τὸ permutativus. »
  49. D’après Vitruve, I, iii, l’architecture était divisée en trois parties ; ædificatio, gnomices (connaissance des cadrans solaires), machinatio. — Ces trois parties étaient-elles exercées par trois personnes différentes, ou bien, par ex., appelait-on particulièrement μηχανικοί ceux qui excellaient dans l’art de fabriquer les machines propres à l’architecture ? C’est ce que je ne saurais dire. — La mécanique est, comme dit Aristote après Antiphon (voy. note de la p. 494), cet art qui nous fait triompher de la nature même. — Pour les médecins-organiciens, voy. dans le tome IIIe d’Oribase, les notes sur le livre XLIXe.
  50. Δίαυλον δέ τινα καμπτούσης. — Le diaule consistait à parcourir deux fois la longueur du stade, en revenant sur ses pas après avoir fait le tour de la borne. Voy. Mercuriali, De re gymn., chap. x, éd. de 1672, p. 159.
  51. C’est-à-dire les muscles crico et thyréo-aryténoïdiens. Voy. chap. xi, xii, et chap. xiv, init. — L’opinion de Galien sur la distribution des nerfs laryngés inférieurs ou récurrents paraît confirmée par les recherches des anatomistes modernes. Voy. Cruveilhier, l. l., t. III, p. 536, et Sappey, t. II, p. 292.
  52. Voyez, pour de plus amples détails sur l’origine et la distribution du pneumo-gastrique et ses rapports avec le grand sympathique, le livre XVI, chap. iii-vii ; Dissert. sur l’anat., et les livres inédits du Manuel des dissections.
  53. Voy. pour cette proposition les Dissertations sur l’anatomie et sur la physiologie de Galien.
  54. Il me semble que Galien veut parler des branches thoraciques du pneumo-gastrique et de leurs rapports avec le plexus cardiaque du grand sympathique. — Ne seraient-ce pas les nerfs cardiaques supérieurs (ou peut-être la branche anastomotiquevoy. plus loin, p. 508) que Galien désigne quand il dit, quelques lignes plus bas, que le pneumo-gastrique tend comme une main au nerf laryngé récurrent.
  55. C’est là une erreur, par théorie, comme Galien en commet si souvent. Il ne compte pour rien les filets cardiaques, œsophagiens, trachéens, pharyngiens. Voy., du reste, sur ce point, la Dissertation sur l’anatomie.
  56. Νεῦρον στερεόν vulg. ; νεῦρον ἕτερον, ms. 2154. La première leçon me paraît d’une part répondre parfaitement à la théorie de Galien, comme on le verra dans la Dissertation précitée, et d’une autre part, le changement de στερεόν en ἕτερον est peut-être plus naturel que le changement opposé.
  57. Le texte imprimé, et les traducteurs latins ont suivi ce texte, porte ἐπιγλωττίδος ; mais c’est là une faute évidente que le manuscrit 2154 n’a pas et que Daleschamps avait évitée dans sa traduction française.
  58. « Cartilago quæ a radice linguae exoritur, quam etiam epiglottida, quasi superlingulam dixeris appellant, ipsius bronchi non est propria. Est vero aliquid linguæ subjectum quod et facile flecti potest. » Vocal, instrum. anatom., cap. iv, fine.
  59. Voy p. 440, note 2.
  60. Cf. Hoff., l. l., p. 153 et la Dissertation sur les termes anatomiques.
  61. C’est là un mouvement qui ne peut être que fort indirect et que ne signalent pas les modernes. — Voy., du reste, Hoff., l. l.., p. 153 et la Dissertation sur la physiologie.
  62. Ce traité est perdu ; nous ne possédons qu’un fragment sous le même titre ; mais on doute de son authenticité.
  63. Voy. pour toutes ces questions la Dissertation sur la physiologie.
  64. Dans la Dissertation sur l’anatomie, j’ai exposé et discuté les opinions de Galien sur la direction des fibres des muscles intercostaux, principalement d’après le traité De la dissection des muscles, chap. xxv, éd. de Dietz, et d’après le Manuel des dissections (Voy. part. V, iii, iv et les neuf premiers chapitres du livre viii).
  65. Dans la Dissertation sur la physiologie, ou dans l’Appendice je réunis tout ce que Galien nous a laissé touchant les conditions anatomiques ou autres qui président à l’acte de la respiration, et particulièrement touchant l’action du diaphragme. — Dans la Dissertation sur l’anatomie, on trouvera tout ce qui regarde les attaches et la structure de ce muscle.
  66. Sur cet autre problème : Pourquoi les côtes de l’homme sont plus recourbées que chez les animaux, Cf. Comment. III, in lib. De articulis, § 38, t. XVIII, p. 536. Du reste je reprends toutes ces questions d’anatomie descriptive et de doctrine dans les Dissertations sur l’anatomie et la physiologie de Galien.
  67. Voy., sur les intervalles que les anciens laissaient entre leurs repas, Hoffmann, l. l., p. 156.
  68. Voy. p. 513, note 1.
  69. Voici ce qu’Aristote (Part. anim. IV, x, p. 291, l. 37, éd. Bussemaker) dit de la position et des usages des mamelles. On verra par ce passage que, sur plusieurs faits assez importants, Aristote et Galien diffèrent d’opinion, et aussi qu’Aristote complète Galien : « Entre les bras chez l’homme, entre les jambes de devant chez les animaux, se trouve ce qu’on appelle la poitrine, laquelle est large chez l’homme, non sans raison (car les bras, étant situés de côté, n’empêchent pas que cette région soit large) ; mais chez les quadrupèdes, cette région est étroite parce que leurs membres doivent s’étendre en avant lorsqu’ils marchent et changent de place. Pour ce motif les quadrupèdes n’ont pas de mamelles en cet endroit-là ; au contraire dans l’espèce humaine la poitrine étant charnue à cause de sa dimension, et la région du cœur devant être recouverte, les mamelles qui sont aussi charnues y ont été établies : chez l’homme par la cause que nous venons d’exposer ; chez la femme pour que la nature puisse les employer subsidiairement à une autre fonction, comme d’ailleurs elle le fait souvent ; elle y dépose, en effet, la nourriture pour les nouveau-nés. — Les mamelles sont au nombre de deux, puisqu’il y a deux côtés, le gauche et le droit ; elles sont assez résistantes et assez distinctes ; distinctes attendu que les côtes se trouvent dans cet endroit ; résistantes afin de n’être pas trop exposées aux souffrances. Chez les autres animaux il était impossible ou difficile que les mamelles fussent sur la poitrine entre les jambes [de devant], car elles eussent été un obstacle pour la marche. Elles se trouvent donc placées de diverses manières : les animaux, solipèdes ou didactyles, qui mettent bas un petit nombre de petits à la fois, les ont aux aines au nombre de deux ; les animaux, ou qui mettent bas plusieurs petits, ou qui ont les pieds fendus, les portent les uns sur les côtés [de l’abdomen] et les ont très-multipliées, comme la truie et la chienne ; les autres n’en ont que deux, mais au milieu du ventre, comme la lionne. La cause en est pour la lionne non pas que sa progéniture est peu nombreuse, puisque quelquefois elle met bas plus de deux petits, mais qu’elle a peu de lait. En effet elle consume par elle-même la nourriture qu’elle prend, et elle en prend rarement en sa qualité de carnivore. La femelle de l’éléphant n’a que deux mamelles, et elle les a sous les aisselles ; la cause pour laquelle elle en a deux, c’est qu’elle ne met bas qu’un petit à la fois, et la cause pour laquelle ces mamelles ne sont pas situées aux aines, c’est que l’éléphant a les pieds fendus ; car aucun animal aux pieds fendus n’a de mamelles aux aines ; enfin elle les a aux aisselles parce que c’est là que se trouvent les premières mamelles et celles qui attirent le plus le lait chez les animaux qui en ont plusieurs. La preuve en est ce qui arrive chez les truies, car ces animaux donnent à leur premier-né les premières mamelles. Puisque l’éléphant n’a qu’un petit à la fois, il n’a qu’une mamelle [de chaque côté], lesquelles sont placées sous l’aisselle ; voilà pourquoi l’éléphant n’a que deux mamelles, et les a dans cet endroit. Les animaux à progéniture nombreuse les ont sous le ventre ; la raison en est que des animaux qui devaient nourrir beaucoup de petits devaient posséder plusieurs mamelles. Donc, puisqu’il n’était pas possible d’avoir plus de deux mamelles sur la largeur, attendu qu’il n’y a que deux côtés, le gauche et le droit, il était nécessaire qu’elles fussent dans ce cas placées en longueur ; or la région intermédiaire, entre les jambes de devant et celles de derrière, était la seule qui eût de la longueur. Les animaux qui n’ont pas les pieds fendus en plusieurs doigts, mais qui ont une progéniture peu nombreuse, ou qui portent des cornes, ont leurs mamelles aux aines, comme la jument, l’ânesse, la femelle du chameau ; car ces animaux ne font qu’un petit ; les deux premiers sont solipèdes et le dernier est didactyle. La biche, la vache, la chèvre, et tous les animaux analogues rentrent dans la même catégorie. La raison en est que chez ces animaux la croissance se fait vers la partie supérieure du corps. La nature a donc placé les mamelles là ou il y avait affluence et surabondance de résidus et de sang ; or cet endroit était la partie inférieure du corps, aux environs des canaux d’écoulement. Là, en effet, où il y a mouvement de l’aliment, les mamelles pouvaient en prendre. Dans l’espèce humaine donc, l’homme aussi bien que la femme a des mamelles ; tandis que chez les animaux quelques mâles n’en ont pas ; par exemple chez les chevaux quelques-uns n’en ont pas, et d’autres en ont, notamment ceux qui ressemblent à leur mère » — « Il semble, dit Cuvier (Anatomie comparée, 2e éd., t. VIII, p. 605, suiv.), que la situation des mamelles et leur nombre changent d’autant plus facilement, dans les différentes espèces qu’il y en a davantage. Ces nombres varient même quelquefois, quoique très-rarement, dans les individus d’une même espèce. Il est d’ailleurs ordinairement en rapport avec le nombre des petits que ces femelles peuvent mettre bas. Pour l’apprécier d’une manière comparable, nous l’avons calculé d’après celui des mamelles, et non des masses glanduleuses qui se confondent souvent. En général les mamelles peuvent être situées à l’extérieur du thorax, le plus généralement au bas et sur les côtés ; elles remontent quelquefois plus ou moins sur les côtés ou elles sont absolument supérieures et à peu de distance de l’épine. Les mamelles sont encore très-souvent abdominales ou inguinales, ou placées de chaque côté de la vulve. Il peut même s’en trouver sous la queue. Leur nombre varie de deux à quatorze. Il est généralement plus grand chez les petits animaux dont les petits sont nombreux, que chez les grands mammifères qui ne mettent bas qu’un ou deux petits. »
  70. L’explication que Galien ne donne pas ici se trouve dans Aristote (Hist. des anim., I, xii). « La mamelle des femelles fournit du lait ; celle des mâles en fournit aussi un peu ; mais la chair des mâles est dense, tandis que celle des femelles est spongieuse (σομφή) et remplie de pores. » Donc pour Aristote si la sécrétion laiteuse est beaucoup moins forte chez le mâle que chez la femelle, cela tient à la nature de la chair, et il en résulte tout naturellement que le plus ou moins de volume de la mamelle dépend du plus ou moins d’abondance du lait, et que ces deux faits tiennent en dernière analyse à la même particularité de structure. — À propos du pénis (Utilité des parties, XV, ii), Galien dit que rechercher pourquoi il y a un pénis et non pas deux, pourquoi il est revêtu de peau et possède des vaisseaux, comment il se fait qu’il entre en érection même sans le concours de notre volonté, constitue un problème naturel, et ne rentre pas dans l’étude de l’utilité des parties. Ailleurs (Méth. méd., III, v), il dit que s’enquérir pourquoi la chair et la graisse se régénèrent, tandis que la peau ne repousse pas, c’est aussi du domaine des problèmes naturels. Cf. aussi Plutarque Symp., VIII, 3, 1, où on lit : Ἐπεὶ δι᾽ ἀνάγκης φύσει περαινόμενα τῶναἰτίων ἀνευρίσκειν, καὶ τοῦτο τοῦφυσικοῦ ἴδιόν ἐστι, ἡ πρὸς τὰς ὑλικὰς καὶ ὀργανικὰς ἀρχὰς πραγματεία. — On voit d’après ces exemples, que les problèmes naturels comprennent les questions d’organisation, de structure et l’explication des actes physiologiques, mais non pas ce qui touche à l’utilité des parties. Aussi Galien, dans le traité De l’utilité des parties, ne s’occupe ni de l’anatomie, ni de la physiologie proprement dites ; il ne cherche pas comment une chose est et comment un acte s’opère, mais pourquoi une disposition a lieu, et en quoi cette disposition peut concourir efficacement à l’action (voy. p. 111, note 1).