Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/VII/1

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Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (1856)
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (IIp. 321-351).
VII


DU MOUVEMENT DES MUSCLES[1].


LIVRE PREMIER.


Chapitre premier. — Multiplicité des muscles. — Difficulté de les dénombrer avec exactitude. — Diversité des lieux où ils s’implantent. — Expériences qui prouvent que les muscles sont les organes du mouvement. — Définition et origine du tendon, du ligament et du nerf. — Théorie mécanique de l’action des nerfs. — Distribution des artères, des veines et des nerfs dans les muscles.


Les muscles sont les organes du mouvement volontaire, et leur nombre est si considérable qu’il n’est pas même facile de les compter : en effet, quelques muscles s’unissent entre eux de façon qu’ils semblent n’en former plus qu’un seul ; ou bien un muscle unique se termine en plusieurs tendons et semble par conséquent constituer, non plus un seul muscle, mais autant de muscles qu’il y a de tendons. Pour cette raison donc, et aussi parce qu’ils présentent des formes très-variées et s’implantent sur des parties dissemblables (c’est-à-dire sur la peau, les os, ou sur une substance intermédiaire), les muscles ont un mode de mouvement très-difficile à saisir. Une circonstance également importante, c’est qu’ils s’implantent sur les parties mues en des lieux différents et souvent opposés. En effet, les uns s’implantent en haut, les autres en bas ; les autres en avant ou en arrière, d’un côté ou d’un autre. Mais de plus, si on fait à un muscle quelconque une incision transversale qui ne soit ni trop petite ni trop superficielle, l’un des mouvements de la partie sur laquelle ce muscle s’implante sera nécessairement compromis, et comme ces lésions sont d’une nature très-variée, cette circonstance contribue aussi à rendre le mode de mouvement des muscles difficile à saisir. Par exemple l’incision des divers muscles du membre inférieur rendra impossible soit la flexion, soit l’extension, soit le soulèvement, soit l’abaissement, soit la rotation de ce membre. L’inflammation, le squirrhe, la pourriture, la contusion de ces muscles ou l’induration de leurs cicatrices auront encore les mêmes conséquences pour les jambes et également pour les bras. Aussi quand les muscles des bras sont lésés, certaines personnes ne peuvent plus lever le membre, l’étendre, le fléchir ou le baisser ; d’autres ne peuvent plus le ramener d’un coté ni de l’autre, ou le tourner en arrière. Le même effet sera également produit par les lésions des tendons, organes que les médecins modernes appellent muscles transformés en nerfs, parce qu’ils voient, je pense, les muscles se terminer par ces tendons ; leur nature, en effet, est en quelque sorte mixte et tient le milieu entre celle du ligament et du nerf.

Le ligament, dans son acception propre [et anatomique], et non dans celle de lien qui est son acception vulgaire, est un corps nerveux issu dans tous les cas d’un os et qui va s’insérer sur un os ou s’insinuer dans un muscle. Son nom évidemment lui vient de son utilité. Le nerf (νεῦρον), ou tenseur (τόνος, ancien nom du nerf) naît de l’encéphale ou de la moelle. Organe unique, il a été désigné sous deux dénominations à cause de ses fonctions mêmes, étant destiné à fléchir[2] et à tendre. Pour se faire une idée de la substance du nerf, on peut se figurer l’encéphale foulé, condensé et par cela même devenu plus dur. Le corps de la moelle ressemble aussi à l’encéphale foulé et par cela même devenu dur. En effet, la partie postérieure de l’encéphale lui-même faisant suite à la moelle est plus dure que la partie antérieure ; et parmi les nerfs, les plus mous vous paraîtront ne différer aucunement de la moelle. La moelle des autres os n’est pas la même, elle est humide et presque coulante. On pourrait parfaitement la comparer à de la graisse pour la mollesse (cf. Util. des parties, XI, xviii) ; aussi vous ne trouverez aucun nerf, ni mou, ni dur, issu de cette moelle. De plus elle n’est pas recouverte par les téguments de l’encéphale et de la moelle ; ni artères ni veines n’y forment de plexus ; elle ne ressemble donc en rien à l’encéphale et à la moelle ; elle n’a aucune relation avec les muscles.

Tous les muscles ont des relations assez importantes avec le cerveau et la moelle épinière, car ils ont besoin de recevoir du cerveau ou de la moelle épinière un nerf qui est petit à la vue, mais dont la force est loin d’être petite. Vous reconnaîtrez ce fait aux lésions de ce nerf. En effet, l’incision, la compression, la contusion, la ligature, le squirrhe ou la pourriture du nerf enlève au muscle tout mouvement et tout sentiment. En outre, chez un assez grand nombre de malades, l’inflammation d’un nerf a amené des convulsions ou le délire ; quelques-unes des personnes qui se trouvaient dans cet état, ayant été assez heureuses pour rencontrer un médecin bien avisé qui coupât le nerf, furent immédiatement délivrées des convulsions et du délire ; mais à compter de ce moment, le muscle auquel ce nerf s’insérait fut chez eux insensible et incapable de servir aux mouvements. Il existe donc dans les nerfs une force considérable qui découle d’en haut, du grand principe, car cette puissance n’est pas innée en eux et ne leur vient pas d’eux-mêmes. Vous le reconnaîtrez surtout au fait suivant : si vous coupez tel de ces nerfs qu’il vous plaira, ou bien la moelle épinière, toute la partie située au-dessus de l’incision et qui reste en rapport avec le cerveau conservera encore les forces qui viennent de ce principe, tandis que toute la partie qui est au-dessous ne pourra plus communiquer ni sentiment ni mouvement à aucun organe.

Les nerfs, qui jouent par conséquent le rôle de conduits, apportent aux muscles les forces qu’ils tirent du cerveau comme d’une source ; dès l’instant qu’ils entrent en contact avec eux, ils se divisent d’une manière très-variée à l’aide de plusieurs bifurcations successives, et s’étant résolus à la fin entièrement en fibres membraneuses et ténues, ces bifurcations forment un réseau pour le corps du muscle. Les ligaments, au contraire, qui servent à relier et à unir les muscles aux os, donnent naissance aux membranes qui les environnent, et font pénétrer certaines cloisons intérieures dans la chair même des muscles, chair que vous devez vous représenter comme un lieu arrosé par plusieurs canaux, d’abord par celui dont nous venons de parler, c’est-à-dire par le nerf, ensuite par deux autres, dont l’un amène du sang chaud, ténu et vaporeux, et l’autre du sang plus froid et plus épais ; le premier de ces canaux s’appelle artère et le second veine. Les canaux donc qui tirent leur origine du cœur et du foie, arrosent le corps du muscle, et, pour cette raison, il n’est plus simplement un lieu (χώρα), mais il devient, pour ainsi dire, une plante ; grâce au troisième canal qui provient du grand principe, il n’est plus une plante, mais déjà quelque chose de meilleur qu’une plante, puisqu’il gagne le sentiment et le mouvement volontaire, propriétés qui distinguent l’animal de ce qui n’est pas animal. Par l’effet de ces forces, le muscle est donc devenu un organe psychique, comme il était organe physique au moyen de l’artère et de la veine. En effet, les mouvements de l’artère et de la veine sont des mouvements physiques et sans spontanéité, tandis que ceux des muscles sont volontaires, et du ressort de l’âme[3]. Dites que les mouvements des muscles sont effectués avec préméditation, intentionnellement ou volontairement, peu importe. Dans toutes ces questions, il ne faut viser qu’à un but, c’est à distinguer le mouvement des muscles de celui des artères et des veines. Ainsi quand même vous ne pourriez pas indiquer la différence par les dénominations, vous montrerez suffisamment ce que vous voulez.

Pourquoi donc n’appelons-nous pas le muscle organe du sentiment, mais uniquement organe du mouvement, quoiqu’il participe également aux deux fonctions ? Parce que les animaux n’auraient aucun mouvement volontaire sans les muscles, de sorte que le muscle est l’organe propre de ce mouvement, tandis que toutes les parties sensibles sont douées de sentiment sans l’intervention des muscles, car toute partie pourvue de nerfs est nécessairement douée de sentiment. Le muscle est donc, nous l’avons dit clairement, l’organe du mouvement volontaire. Nous avons dit aussi quel est le principe du mouvement du muscle, quels organes le lui transmettent, savoir : l’encéphale et les nerfs. Nous avons dit encore comment, dans ce muscle, se distribuent et les nerfs et les ligaments.

Chapitre ii. — Structure et mode d’implantation du tendon qui participe, suivant Galien, de la nature du nerf et du ligament.


Il nous reste encore à parler de la nature des tendons, afin qu’il ne subsiste aucune obscurité dans ce que nous allons dire maintenant. Nous avons avancé précédemment (chap. i) que la nature des tendons est comme un mélange des ligaments et des nerfs ; voilà ce que nous avions dit ; nous allons donner maintenant l’explication que nous avions négligée. Le tendon dépasse autant en dureté le nerf qu’il dépasse le ligament en mollesse, mais le volume du corps du tendon est aussi tel qu’il serait à peu près, si le tendon avait été formé des deux organes en question. De plus, tout ligament est insensible tandis que tout nerf est sensible ; mais le tendon n’est ni insensible, parce qu’il tient du nerf, ni aussi sensible qu’un nerf pur, parce qu’il n’est pas uniquement un nerf. Aussi, en tant qu’il participe de la nature du ligament, la précision de sa sensibilité est émoussée. Mais la circonstance que le tendon provient de l’extrémité du muscle, tandis que le nerf et les ligaments s’implantent sur sa tête et se distribuent ensuite dans tout le muscle, rend vraisemblable la conjecture que le tendon se forme des deux organes en question. La dissection rendra cette notion plus nette ; car vous verrez clairement que l’origine du muscle, dite tête du muscle, est plus nerveuse, que le centre est plus charnu, le centre où se trouve ce qu’on appelle le ventre des muscles. À partir de là, il devient encore de plus en plus nerveux, dans la même proportion qu’il l’est dans la première partie. Enfin l’extrémité inférieure paraît d’autant plus nerveuse que la tête l’est davantage. En effet, le nerf qui arrive au muscle se divise, dès l’instant de son implantation, en rameaux peu nombreux, et si ces rameaux se divisent de nouveau en d’autres, si les parties qui proviennent de cette seconde division se séparent encore une fois en d’autres, si cette bifurcation continue jusqu’au point de faire terminer les nerfs en fibres multipliées et extrêmement ténues, si enfin ces parties si ténues se réunissent de nouveau entre elles pour former des nerfs, il en résulte à l’extrémité du muscle des nerfs moins nombreux, mais d’un volume plus considérable que ceux qui les précèdent ; ces nerfs sont égaux en nombre et en volume à ceux qui se trouvent à la première origine du muscle. Comme, au contraire, le tendon dès son origine est beaucoup plus grand que le nerf qui arrive au muscle, il est clair qu’il ne s’est pas formé uniquement du nerf, mais qu’il s’est approprié aussi une partie et même une partie assez considérable de la substance des ligaments : en effet, dans plusieurs endroits on voit que l’épaisseur du tendon est le sextuple et souvent même le décuple de celle du nerf. C’est d’ailleurs fort à propos que les tendons sont ainsi faits et qu’ils ont ce volume-là, puisqu’ils devaient rendre les services que rend aussi bien un ligament qu’un nerf : car ils relient les muscles sous-jacents aux os sur lesquels ils s’implantent ; sous ce rapport, ils ne diffèrent en rien d’un ligament ; d’un autre côté ils sentent et se meuvent, et en cela ils tiennent de nouveau du nerf (cf. Util. des parties, XII, iii, p. 7-8).

Le tendon est devenu plus grand qu’un nerf parce qu’il devait lui-même mettre en mouvement un os, car le plus souvent tout tendon s’implante sur une extrémité d’os revêtue de cartilage ; cependant cette implantation ne se fait pas sur la première extrémité d’os venue, ni dans un état quelconque du tendon ; le tendon s’élargit lui-même et ensuite il s’enroule sur l’extrémité supérieure de l’os appelée tête (en effet, de cette manière le tendon devait, au moment où il est attiré lui-même par le muscle, attirer à son tour l’os qui vient après et auquel il est réuni), puisque le muscle avait besoin d’un lien sûr pour le rattacher à l’os qu’il devait mettre en mouvement, et qu’il n’existait rien de plus approprié à cet usage qu’un ligament.

Le nerf qui nous vient du cerveau est une route pour la force motrice ; il a pour but de communiquer cette force ; aussi est-il étendu à côté du ligament et entremêlé avec lui ; de cette manière le tendon s’est formé de ces deux organes.


Chapitre iii. — Tout tendon s’implante ordinairement sur un os, mais tout muscle ne se termine pas par un tendon. — Exemples à l’appui de ces deux propositions. — Conséquences qui résultent de ces faits pour les mouvements des muscles.


Tout tendon s’implante donc ordinairement sur un os, mais tout muscle ne se termine pas en un tendon ; aussi aucun tendon ne naît des muscles de la langue, attendu que la langue n’avait besoin de mettre en mouvement aucun os, étant destinée à articuler les sons, à distinguer les saveurs et à concourir à la mastication et à la déglutition. Si quelqu’un s’imagine que le cœur est dans le même cas, c’est qu’il n’a pas examiné attentivement la substance des tissus musculaires, autrement il aurait parfaitement reconnu que le cœur diffère grandement d’un muscle par l’épaisseur, par la conformation, par la texture et par la dureté. Il n’y ressemble en rien non plus par les fonctions (cf. Util. des parties, VI, viii). En effet, le double mouvement du cœur, mouvement rhythmique composé et perpétuel de diastole et de systole, n’a aucun besoin, pour exister, de l’impulsion de l’animal. Dans les muscles les mouvements ne sont pas du même genre et n’auraient pas lieu sans une telle impulsion. Il existe en effet dans la cavité du cœur des liens (tendons des colonnes charnues du cœur) exactement semblables aux tendons et sur l’utilité desquels nous parlerons ailleurs ; mais comprenez maintenant le mot lien dans sa signification vulgaire. Les lèvres, produites par un mélange exact de peau et de muscle, se meuvent sans os. De même, les yeux se meuvent volontairement, eux aussi, au moyen de muscles, mais aucun os ne se meut avec eux. La peau du front, des sourcils, de la plupart des parties de la face, se meut aussi volontairement, sans mouvement des os. Il y a cependant cette différence entre la peau de la face, entre les yeux et les lèvres, que pour la première, il existe, au lieu de muscle, une mince couche musculaire sous-jacente (peaucier), tandis que ce sont plutôt les muscles qui meuvent les yeux, et que la substance des lèvres se compose d’un mélange de peau et de muscle. Si le canal de l’estomac, nommé par les anciens œsophage, est un muscle lui aussi, et remplit chez les animaux les fonctions de muscle, c’est encore un muscle qui ne se termine pas en tendon, et qui ne meut pas un os. Quant au col de la vessie qui reçoit l’urine, il ressemble exactement à un muscle, eu égard à sa substance et à la fonction qu’il exerce. Il en est de même du muscle du fondement, soit qu’il faille le regarder comme un seul muscle ou comme plusieurs muscles réunis. Aucun os n’est mû par ces muscles non plus que par ceux qui descendent aux testicules et à la verge.

Pour résumer donc ce qui regarde tous les muscles, il faut dire, puisque ce sont les organes du mouvement volontaire, que parfois en se contractant, ils ne mettent en mouvement qu’eux-mêmes, comme le font les muscles du fondement et de la vessie, que d’autres fois, en se rétractant vers leur propre origine, ils attirent avec eux la peau, comme les muscles des lèvres, du front et de toute la face. Aucun de ces muscles ne donne naissance à un tendon, mais tous les autres muscles qui mettent en mouvement des os, se terminent en général par des tendons d’un volume plus ou moins considérable ; quant aux muscles qui mettent en mouvement autre chose que des os, quelques-uns ont des tendons et d’autres n’en ont pas. Or, les muscles qui mettent en mouvement quelque autre partie et non un os, sont ceux des yeux, ceux de la langue, ceux des testicules et du membre viril, ceux du pharynx et surtout ceux du larynx : on donne ce nom à la partie supérieure de la trachée-artère, partie qu’on appelle aussi tête des bronches ou du pharynx[4]. Les muscles des yeux parviennent, en se transformant en nerfs membraneux, mais robustes, jusqu’à la tunique dure et nerveuse qui entoure l’uvée (sclérotique) ; ceux du membre viril et des testicules ne donnent lieu à aucune transformation en nerf et s’implantent sur leurs propres parties charnues. Enfin, parmi les muscles du pharynx et du larynx, les uns présentent des transformations en nerfs (aponévroses) peu apparentes, et les autres n’en présentent pas du tout.

Le mode de mouvement diffère selon les lieux. À la langue, il n’est pas de mouvement que vous ne puissiez constater. En effet, on la voit se porter en haut, en bas, en avant, en arrière, à droite, à gauche, se replier ou se déployer, et se diriger circulairement dans tous les sens. Il existe aux yeux quatre mouvements droits, en haut, en bas, à droite, à gauche, et deux autres circulaires. Les muscles temporaux ont deux mouvements. Ils sont tendus et convexes quand les deux rangées de dents se touchent ; quand elles sont séparées, ils sont détendus et allongés. Le mouvement du grand muscle du bras (biceps) est assez évident : dans la flexion du coude, il se courbe et se ramasse sur lui-même ; dans les extensions, il se relâche et s’allonge. Le grand muscle de l’avant-bras (fléchisseur superf.) possède évidemment des mouvements de la même espèce et qui sont très-visibles à la face interne de l’avant-bras ; il est courbé et contracté dans la flexion des doigts et dans leur extension il est lui-même étendu, relâché et allongé. De même, presque tous les autres muscles des membres paraîtront avoir des mouvements doubles si vous les dépouillez de la peau ; mais on distingue ceux dont nous venons de parler, même sans les dépouiller, à cause de leur grandeur. Dans les corps maigres et musculeux, la plupart des muscles manifestent leurs mouvements avant qu’on les dépouille de leur peau. Le muscle de l’anus, parce qu’il a une forme différente (il ressemble à une bourse qu’on ferme avec un cordon), possède aussi un mouvement propre. Le diaphragme encore ressemble à une bourse de cette espèce, à cette seule exception qu’il n’est pas percé. Vous en verrez clairement le mouvement, si vous divisez le péritoine et que vous écartiez les viscères sous-jacents. Pour les autres muscles du thorax et de tout l’épigastre, il suffit seulement d’enlever la peau. Il arrive aux muscles de l’épigastre le contraire de ce qui a lieu dans les muscles des membres et du visage. En effet, ceux-ci se courbent lorsqu’ils sont tendus et rétractés vers leur origine, ceux-là (muscles de l’abdomen) lorsqu’ils sont tendus, se dressent ; ils se courbent lorsqu’ils sont relâchés.


Chapitre iv. — Il n’existe qu’un seul mouvement actif pour chaque muscle (le mouvement de contraction ; celui d’extension du muscle étant une obéissance passive au mouvement actif du muscle antagoniste — cf. Util. des parties, VI, viii et XII, viii ; t. I, p. 402 et t. II, p. 21) et non pas six mouvements comme on le croyait généralement. — Démonstration de cette proposition par le raisonnement et par les expériences.


Existe-t-il (c’est le but primitif de notre examen) autant de modes de mouvement dans les muscles qu’il en apparaît soit après les vivisections, soit avant qu’on dépouille les parties ? Ou bien ces modes sont-ils beaucoup moins nombreux qu’ils ne le paraissent ? Il semble absurde, outre les autres raisons, qu’il n’y ait pas un mouvement d’une seule espèce (voy. plus loin, chap. v et vi) pour tous les muscles, comme il semblerait absurde de dire que les artères ont chacune un mouvement différent. En effet, toujours la nature paraît agir de même avec les mêmes organes. Qu’il existe six mouvements dans tous les muscles, ce que déjà plusieurs ont avancé, cela est manifestement controuvé. En effet, aucun des muscles des bras et des jambes n’a un troisième mouvement différent de l’extension et de la contraction. Il en est de même des muscles temporaux. Chez chacun de ceux-ci il existe deux mouvements. Si les muscles transportent le membre tout entier en six lieux, cela ne suffit pas pour douter du fait que chaque muscle n’a pas un mouvement double dans chacun d’eux. En effet, si un seul muscle devait mouvoir le membre tout entier, il serait nécessaire qu’il y eût autant de mouvements du muscle qu’il existe de mouvements dans le membre. Or, comme il existe dans chacun des membres non pas six muscles seulement, mais un bien plus grand nombre de muscles, il n’y a rien d’étonnant que les divers mouvements soient exécutés par les divers muscles pour le membre. Je pense que la langue a induit en erreur ceux qui ont émis de pareilles opinions, puisqu’ils pensaient qu’elle ne consistait qu’en un muscle unique. Si elle n’était réellement qu’un seul muscle, il serait démontré clairement qu’un seul muscle présente beaucoup de mouvements. Dans la réalité, la langue n’étant pas un seul muscle, mais étant mue par beaucoup de muscles, je pense au contraire qu’on doit en conclure que chaque muscle n’offre pas beaucoup de mouvements. Autrement il serait inutile qu’il existât une foule de muscles, si un seul pouvait exécuter tous les mouvements. Mais, dit-on, chacun des yeux exécute quatre mouvements droits. Cela est vrai, amis. Il existe, en effet, quatre muscles droits. Or il n’y en aurait qu’un pour chaque œil, s’il était propre à exécuter tous les mouvements. De même donc que s’il était seul, on conclurait qu’il a quatre mouvements, de même puisque les muscles sont aussi nombreux que les mouvements, on conclura qu’un seul mouvement est accompli par chacun d’eux, de même qu’un seul mouvement est exécuté par chacun des deux muscles qui meuvent l’œil circulairement.

Mais vous-mêmes, disent-ils encore, vous avouez que deux mouvements, sinon plus, sont exécutés par chacun des muscles. Comment donc la raison veut-elle qu’il n’y en ait qu’un ? Il n’y a rien d’absurde à cela. Chaque muscle n’a qu’un seul mouvemeut qui soit actif ; il ne possède le mouvement opposé qu’accidentellement. Or, un muscle agit quand il attire vers lui la partie qui est en mouvement, mais il n’agit pas quand il est ramené au côté opposé par un autre muscle, et pour cette raison aucune des parties douées de mouvement ne possède qu’un seul muscle ; au contraire, si un muscle s’implante en haut, un autre de son côté s’implante nécessairement en bas, et si un muscle s’implante à droite, un autre s’implante nécessairement à gauche ; car chaque partie mise en mouvement par des muscles comme par des rênes, étant obligée de partager son activité des deux côtés, présente tour à tour l’un des deux muscles tendu et l’autre relâché. Le muscle contracté attire donc vers soi, tandis que le muscle relâché est attiré conjointement avec la partie ; pour cette raison les deux muscles se meuvent pendant l’accomplissement de chacun des deux mouvements, [mais ils n’agissent pas tous les deux ], car l’activité consiste dans la tension de la partie qui se meut, et non pas dans l’action d’obéir ; or, un muscle obéit quand il est transporté inactif, comme le serait toute autre partie du membre.

Oserons-nous donc maintenant déclarer qu’il n’existe qu’un mouvement inné dans tous les muscles, ou bien ne l’oserons-nous pas encore avant d’avoir reconnu que toutes les particularités qui se voient dans les muscles sont d’accord avec cette opinion. Ce dernier parti me paraît être de beaucoup préférable. Énonçons donc immédiatement les particularités qu’on y observe sans rien omettre : il y en a une, la première dont nous avons déjà parlé dans le principe (chap. i), c’est que si les muscles tout entiers eux-mêmes sont coupés transversalement, le mouvement est complètement aboli dans les parties inférieures, tandis qu’il est seulement lésé si les muscles sont incisés partiellement. La gravité de la lésion suit celle de l’incision. Le mouvement est aboli davantage dans les sections plus considérables, et moins dans les sections moindres. Supposez que toutes ces mêmes observations se rapportent aussi aux tendons : en effet, si vous coupez ces tendons entièrement, vous abolissez le mouvement des parties ; si vous les incisez, la lésion est dans la proportion de l’incision. Si donc un seul muscle étant coupé, tout mouvement de la partie était aboli, on conclurait, je pense, que ce seul muscle était le principe de tous les mouvements. Si, d’un autre côté, un seul muscle étant coupé, un seul mouvement était aboli, on conclurait, je pense, que le muscle coupé était le principe de ce seul mouvement.

Comme il arrive que ce n’est pas un seul mouvement, ni tous les mouvements qui sont abolis, mais toujours deux mouvements, il semblerait résulter de là que deux mouvements sont exécutés par un seul muscle. Toutefois, puisque l’incision du muscle ou du tendon situé aux parties opposées détruit les deux mêmes mouvements, nous dirons aussi d’après un raisonnement identique que ce muscle et ce tendon sont peut-être le principe des deux mêmes mouvements, qu’ils régissent ou compromettent également ; de sorte que la perte d’un muscle quelconque entraîne [secondairement] l’abolition du mouvement [actif] des muscles antagonistes, et qu’ils ne sont pas également de nature à produire [chacun d’une manière active les deux mouvements opposés] ; chacun d’eux ne doit exécuter qu’un des deux. Une de ces propositions[5] est nécessairement vraie ; nous chercherons à démontrer laquelle des deux, après avoir expliqué d’abord plus clairement, que, dans les mouvements successifs, quand l’un est aboli, l’autre nécessairement doit périr aussi. Supposons aboli le mouvement destiné à tendre la partie : cette partie sera fléchie une première fois, mais elle demeurera constamment dans cette position, ne pouvant plus être étendue parce qu’elle est privée du mouvement d’extension ; ne pouvant plus être étendue, elle ne peut, par conséquent, pas non plus être fléchie ; car pour qu’une partie soit fléchie, il faut d’abord qu’elle ait été étendue. De même, si le mouvement destiné à fléchir la partie vient à être aboli, cette partie sera étendue une première fois, mais elle restera désormais sans mouvement, ne pouvant plus revenir à la flexion qui précède l’extension. Il paraît donc incontestablement vrai que les mouvements antagonistes successifs sont abolis simultanément, et par suite il est raisonnable de rechercher si les deux mouvements sont produits par les deux muscles, ou si un seul mouvement étant produit par chacun d’eux, le second est consécutivement aboli en même temps que le premier.

Chapitre v. — Expériences sur l’animal mort ou vivant à l’aide desquelles Galien démontre que les mouvements opposés s’opèrent par les muscles antagonistes, et que la contraction est le seul mouvement actif et véritablement élémentaire des muscles, qu’il s’agisse soit de l’extension soit de la flexion d’une partie par l’intermédiaire des muscles, attendu que tout muscle agit en tirant vers son principe.


Comment distinguerons-nous les deux cas ? Par les symptômes différents. En effet, de même que les caractères communs, considérés en eux-mêmes, indiquaient une faculté commune, et que par cette raison la faculté propre de chacun d’eux devenait difficile à saisir, de même les caractères différents donneront l’indication propre de la fonction de chacun des deux muscles (c’est-à-dire des muscles antagonistes) et rendront la vérité évidente. Voici les caractères propres de chacun des deux muscles. Le muscle interne étant coupé, la partie étendue demeure désormais dans cette position ; si c’est le muscle externe qui est coupé, la partie coupée se fléchit, et n’est plus susceptible d’être étendue. Si, la prenant avec vos mains, vous fléchissez la partie étendue, ou si vous étendez la partie fléchie, il vous sera aisé de faire l’une et l’autre chose ; mais en laissant aller la partie, elle reviendra immédiatement à sa position primitive. Que prouve cela ? c’est que la flexion est exécutée par les muscles internes et l’extension par les muscles externes. En conséquence, si le muscle externe, étant blessé, perd son action, et que le muscle interne demeure encore actif, la partie est fléchie, puisque le muscle destiné à la fléchir est sans lésion. Si c’est le muscle interne qui est coupé, le contraire a lieu : le membre est étendu, mais il ne peut plus être fléchi.

Pourquoi dans l’une et l’autre position la partie demeure-t-elle privée de mouvement ? Est-ce parce qu’il arrive que les mouvements successifs sont abolis ? En effet, le muscle destiné à fléchir étant sain, fléchit bien une première fois, mais ne peut plus fléchir une seconde ni une troisième, puisque le membre ne lui revient plus étendu de nouveau. Or il n’est de flexion que pour une partie étendue. Par la même raison, le muscle destiné à étendre étend bien une première fois, mais il ne pourra plus étendre une seconde ni une troisième fois, ne retrouvant plus la partie fléchie de nouveau ; car il n’est d’extension que pour une partie fléchie. Si dans cet état, reproduisant l’action perdue du muscle blessé, vous étendez avec vos mains la partie fléchie, vous verrez que le mouvement destiné à la fléchir est intact. Car, sans aucune aide de votre part, elle sera fléchie spontanément, étant tirée par l’action du muscle situé dans les parties internes ; mais désormais elle ne sera plus étendue par aucun muscle ; elle aura toujours besoin pour cela de votre aide. De même, si vous blessez le muscle interne, la partie sera toujours étendue sans vous, mais elle ne sera plus fléchie par aucun muscle, elle aura besoin pour cela d’être mue par vous. Il ressort de ce que nous venons de dire que [pour le bras] la flexion est la fonction des muscles du coté intérieur, et l’extension celle de ceux du côté extérieur ; il est évident aussi que l’activité naturelle des muscles consiste à se contracter et à se retirer sur eux-mêmes (tonicité des modernes), et que l’allongement et le relâchement ont lieu quand les muscles antagonistes se tendent et attirent vers eux. C’est un fait dont vous instruiront divers phénomènes importants tels que vous en connaissez, et celui-ci avant tous.

Prenez des pattes d’oiseau détachées du corps de l’animal, cherchez avec vos doigts à en tendre les tendons, d’abord les tendons internes, puis les tendons externes. Vous verrez que par les uns le membre est étendu et qu’il est fléchi par les autres. Si vous aimez mieux, prenant la patte encore attachée au corps de l’animal, tendez les tendons ou les muscles ; de cette façon encore vous verrez alternativement le membre fléchi par ceux du dedans et étendu par ceux du dehors. Si vous voulez encore couper transversalement tout un muscle, que l’animal soit déjà mort ou qu’il soit encore en vie, vous verrez clairement que l’une des parties de ce muscle se rétracte en haut et l’autre en bas, chaque partie étant attirée vers sa propre extrémité ; vous reconnaîtrez manifestement que ce phénomène a lieu, quel que soit le point où vous aurez coupé transversalement tout le muscle ; d’où il ressort que toute partie d’un muscle a pour mouvement inné la contraction sur elle-même ; en effet, si vous coupez de nouveau le bout supérieur du muscle tout seul, ce muscle se portera vers son extrémité, et, si vous coupez le bout inférieur, il sera rétracté vers sa tête ; enfin, si vous le détachez des deux côtés, vous verrez qu’il se ramasse et se forme pour ainsi dire en boule vers le milieu, en partant des deux bouts. Je crois ma proposition suffisamment démontrée par chacune de ces explications.


Chapitre iv. — Dans le chapitre précédent Galien avait établi : 1o que la section d’un muscle interne n’empêchait pas que le muscle externe entrât au moins une fois en action pour étendre le membre et vice versa ; 2o qu’une ou plusieurs flexions exécutées artificiellement avec les mains permettaient une nouvelle extension ou une nouvelle flexion actives volontaires. — Dans ce chapitre il montre, au contraire, qu’une tumeur développée sur un muscle de la région interne, par exemple, fléchit le membre, sans laisser la possibilité d’une extension active, attendu que la tumeur fait ici office de la volonté sur le muscle interne. — Nouvelles preuves que les muscles n’ont qu’un mouvement actif, la contraction.


Néanmoins, en vue des médecins et des philosophes qui font effort pour mettre en doute toute découverte d’une fonction, je ne me contenterai pas de ces observations, j’y ajouterai encore toutes celles qu’on va lire. Si un muscle ou un tendon quelconque est affecté de squirrhe parmi les muscles ou les tendons situés au coté interne du membre, ce membre une fois fléchi ne s’étend plus, et s’il s’agit de ceux qui existent au coté externe, le membre une fois étendu ne se fléchit plus, contrairement à ce qui avait lieu à l’occasion des plaies. Avec celles-ci, en effet, la partie était tirée en sens inverse de la partie blessée ; dans le cas en question, elle est tirée vers la partie affectée elle-même. Évidemment ce fait non-seulement n’est pas en contradiction avec ce qui précède, mais il fournit même une preuve très-forte en sa faveur, car tout membre affecté de squirrhe est tendu par la tumeur contre nature. On voit donc que le même phénomène, qui dans le membre sain était une conséquence de la volonté, est maintenant le produit de la maladie, à cette exception près, que la volonté donnait lieu à un mouvement spontané, tandis que la maladie produit un mouvement sans spontanéité. Aussi aucune des parties ainsi affectées ne peut être attirée par vos mains vers les parties opposées, comme cela avait lieu dans les cas de blessures. En effet, le squirrhe, devenu comme un ligament pour le muscle, fait résistance. Si nos mains pouvaient ramener la partie au lieu opposé, rien n’empêcherait qu’elle ne fût ramenée par les muscles antagonistes capables eux aussi d’exécuter un mouvement naturel.

Pour l’inflammation, on voit la même chose avoir lieu que pour le squirrhe ; car il est souvent arrivé que des muscles ou des tendons enflammés ont rendu un membre immobile en l’attirant vers eux ; l’induration des cicatrices a, tout aussi bien que les maladies que nous venons de nommer, souvent rendu un membre immobile. Tous ces faits concourent donc à prouver la même chose, aussi bien que ceux que nous allons rapporter maintenant, outre qu’ils résoudront beaucoup d’autres difficultés.

Il paraissait étonnant et presque impossible, tous les muscles ayant un seul mode de mouvement, qu’un seul membre, le bras, pût tantôt être tendu, tantôt être fléchi, tantôt recevoir un mouvement de circumduction d’un côté et de l’autre, tantôt être relevé, tantôt être abaissé, et tantôt être tourné en arrière vers le rachis. Mais aucun de ces mouvements ne paraît étonnant, quand nous savons que l’élévation et l’abaissement du bras constituent la fonction de l’articulation de l’épaule et des muscles qui la meuvent, que l’extension et la flexion constituent celle du coude, que le mouvement de pronation et de supination constitue celle de l’humérus (lisez cubitus) avec le radius. Eu égard à la faculté que le bras a de toucher le rachis, le mouvement du membre dans un acte semblable, est opéré par les quatre articulations mues simultanément : à cet effet le bras s’abaisse, l’avant-bras se fléchit, le radius fait un mouvement de pronation et le carpe se retourne. Tous ces mouvements s’exécutent par l’action des muscles, et ce n’est pas maintenant le lieu de dire par quel muscle chacun d’eux est accompli. En effet, dans nos traités Sur la dissection des muscles,Sur l’utilité des parties, et aussi dans le Manuel des dissections, nous énumérerons les muscles et les mouvements opérés par chacun d’eux dans les parties. Nous ne mentionnons ici que le fait applicable à notre proposition, c’est qu’il n’y a pas lieu de s’étonner comment une seule espèce de mouvement existant dans les muscles, imprime aux membres des positions si variées. En effet, chacun d’eux attirant à soi la partie sur laquelle il s’implante, l’un pourra lui imprimer un mouvement de droite à gauche, l’autre de gauche à droite. De même, celui-là fléchit, celui-ci étend.

Quand beaucoup de muscles agissent en même temps sur beaucoup d’articulations, qu’y a-t-il d’étonnant qu’il en résulte dans les membres une grande variété de figures ? Les uns, qui s’implantent sur la tête du bras, l’élèvent ; ceux de l’avant-bras, qui à la partie externe se terminent au coude même, étendent l’avant-bras ;les muscles de la partie interne de l’avant-bras impriment un mouvement de rotation oblique au radius, pour l’amener à la pronation ; le carpe est tendu par les muscles du cubitus, qui se terminent à sa partie externe ; chacun des doigts est fléchi par les tendons internes ; et si chacun des doigts est fléchi, la main devient semblable pour la figure au bras étendu des athlètes dans le pancrace. Si le bras est relevé modérément et si l’avant-bras est exactement étendu, si les muscles situés à la partie externe du cubitus remettent le radius dans la supination, et si le carpe est étendu en même temps que les doigts, le bras dans son ensemble prend la figure d’un bras étendu pour recevoir quelque chose. Dans cet état, si vous conservez les autres positions et que vous changiez seulement la pronation, en prenant exactement la position intermédiaire entre la supination et la pronation, vous obtenez une figure générale du bras telle qu’elle existe essentiellement chez les archers quand ils lancent la flèche, comme dit Hippocrate (Des fractures, § 2). De même encore, dans chacune des autres figures du bras entier, il n’est pas difficile de trouver la position de chacune des articulations, en vous rappelant seulement ce point, c’est que chaque muscle tendu tire à soi la partie sur laquelle il s’insère. Vous trouverez ainsi que tous les actes du bras, chez les lutteurs, les archers, les charpentiers, ou chez ceux qui font toute autre œuvre quelconque, sont exécutés par les muscles du bras. Ceci me paraît clair maintenant et n’avoir pas besoin de plus d’explications.


Chapitre vii. — Galien démontre dans ce chapitre qu’il y a des mouvements du membre sans qu’aucun muscle entre en activité, et qu’il y a au contraire immobilité du membre quand tous les muscles sont en action, bien que cette action n’apparaisse pas à l’extérieur. — Galien distingue toujours le mouvement du membre qui est un résultat du mouvement du muscle qui est un acte.


Il faut expliquer maintenant ce dont je n’ai pas encore parlé, et qui pour cette raison est obscur, c’est-à-dire comment tout mouvement du bras, par exemple, n’est pas causé par l’activité des muscles, ni toute immobilité de ce membre par leur repos. En effet, il est possible de découvrir un mouvement pendant lequel tous les muscles du membre sont inactifs, et un repos pendant lequel un très-grand nombre sont en activité ; parlons donc en premier lieu du mouvement [pendant lequel les muscles sont en repos].

Pour éclaircir le discours, mentionnons d’abord les deux mouvements suivants de tout le corps qui ont beaucoup de rapports entre eux, mais qui ne se font pas de la même manière. On appelle l’un d’eux se coucher et l’autre tomber. Il est évident que le coucher a lieu volontairement, et la chute, au contraire, involontairement. Le coucher donc se fait grâce à l’activité des muscles, et, pour cette raison, c’est un acte volontaire de l’animal, tandis que la chute n’est pas un acte, mais un état passif involontaire et ne réclame l’activité d’aucun muscle ; car, tout ce qu’il faut, c’est qu’on relâche tous les muscles tendus et qu’on permette au poids du corps de se porter du côté vers lequel il penche. Voilà en quoi la chute diffère du coucher ; la même différence existe entre le fait de laisser tomber le bras et celui de l’abaisser ; en effet, quand ce membre tombe entraîné par la pesanteur naturelle aux corps, tous ses muscles sont dans l’inactivité ; quand on l’abaisse, au contraire, les muscles situés à l’aisselle attirent le bras à eux. On a donc découvert ce troisième mouvement outre les deux cités plus haut. De ceux-ci, l’un, dans lequel ils agissent, était une contraction des muscles sur eux-mêmes, l’autre, dans lequel ils sont inactifs pendant qu’ils sont étendus par les muscles antagonistes, était pour eux un mouvement non pas inné, mais accidentel. Le mouvement actuellement en question (tomber ou laisser tomber) ne ressemble en rien à ceux-ci. Aucun muscle, en effet, dans ce mouvement n’est contracté ni étendu ; par conséquent aucun ne fera de mouvement [quand on laisse tomber le bras] ; mais je répondrai : il est impossible, quand tout le membre se porte en bas, qu’un muscle qui fait partie du membre reste en repos ; seulement, dans ce cas, il se meut sans s’étendre ou se contracter.

Quel est donc le mode de son mouvement ? Le même évidemment que celui des os, car ces organes ne suivent pas non plus le mouvement des membres, en s’étendant et en se contractant, mais exactement comme si on leur avait attaché quelque corps inanimé.

Puis donc que, parmi les divers mouvements, la tension est un acte du muscle agissant comme organe de l’âme ; que l’extension est aussi un mouvement du muscle jouant le rôle d’organe, quoique ce ne soit pas un acte, mais tout simplement un mouvement ; que le troisième mouvement, qui forme le sujet actuel de notre discours, n’est pas un attribut des muscles comme êtres vivants, mais comme corps inanimés et incapables de se mouvoir par eux-mêmes, il nous faudra passer maintenant au quatrième mouvement, dont il nous reste à parler, et examiner quelle est sa nature.

Ce mouvement semble en quelque sorte être l’opposé du troisième, car nous avons montré que dans le troisième mode de mouvement les muscles restent inactifs, quoiqu’ils se meuvent, et nous allons montrer maintenant que dans le quatrième ils agissent quoiqu’on n’aperçoive pas le moindre mouvement en eux. Figurons-nous, en effet, que le bras soit étendu et qu’après cela on le maintienne dans cette position, alors nous nous demanderons quelle est la cause qui l’empêche de se porter en bas du côté où il penche en vertu de sa pesanteur, et nous répondrons que c’est parce que la contraction des muscles qui le soulèvent persiste. Avant donc que cette contraction soit complétement relâchée, il est impossible qu’on fasse changer le bras de place ; mais dès que nous cessons de contracter, il descendra du côté où là pesanteur l’entraîne, pourvu cependant qu’aucun autre muscle ne se contracte, mais que tous restent inactifs. Si au contraire un autre muscle se contracte, le bras fera un mouvement dans le sens où celui-ci l’entraîne. Il est donc clair que lorsqu’on maintient le bras dans l’état d’extension, la contraction des muscles qui le mettent dans cet état, persiste. Devons-nous donc dire qu’ils sont actifs et se tendent, mais qu’ils ne se meuvent pas ? Certes, si nous hésitons à dire qu’ils se meuvent, il ne faut pas dire non plus qu’ils sont actifs. En effet, il serait absurde d’affirmer qu’ils agissent en vertu de leur activité innée et particulière et de ne pas affirmer aussi qu’ils se meuvent[6]. Et pourtant ils ne paraissent pas se mouvoir. Pourquoi, en effet, ne pas mettre en avant les arguments opposés, quand il en devrait résulter une controverse pénible et où la conciliation est difficile. Si, aimant les questions douteuses, nous arguions du pour et du contre, nous agirions mal ; mais comme nous ne sommes pas de ces gens qui, pour empêcher les découvertes, lancent des doutes en avant, mais de ceux qui, pour vérifier l’exactitude d’une découverte, font des recherches en tous sens, nous devons, sans rien craindre, mettre hardiment en évidence tout argument contradictoire.

Parce que les muscles sont actifs, nous disons qu’ils se meuvent ; parce qu’ils ne meuvent pas tout le membre dont ils sont une partie, et qu’ils ne paraissent pas se mouvoir eux-mêmes en particulier, nous n’osons pas affirmer qu’ils se meuvent. Quelle solution trouvera-t-on de la difficulté ? Choisirons-nous celle qui suppose des mouvements appelés tenseurs (τονικαὶ κινήσεις) ou quelque autre préférable, ou bien éviterons-nous de nous décider témérairement sur ce sujet avant d’avoir examiné attentivement les diverses assertions ? Ce parti me semble de beaucoup préférable.


Chapitre viii. — Jusqu’à quel point le mouvement des muscles dépend de leur propre contractilité, et jusqu’à quel point de la volonté. Exemples et expériences à l’appui.


Agissons donc de cette façon et d’abord suivons la marche du discours qui nous est indiquée par ceux qui admettent des mouvements tenseurs. Supposons un corps inanimé, par exemple un morceau de bois ou une pierre tirée par une force, et supposons d’autre part ce même corps tiré en sens inverse par une autre force ; imaginons cependant que la première tire plus vigoureusement et que le corps conséquemment suit cette direction, mais beaucoup moins que si rien ne le tirait dans le sens opposé. Établissons ce corps dans une troisième situation où il est tendu en sens inverse avec une force égale. Ainsi, dans le premier état, il était mû par un seul mouvement égal en puissance à la force du moteur, et il était forcé d’avancer d’une distance égale à l’impulsion que pouvait lui communiquer le moteur. Le second état indique que l’espace actuellement parcouru est moindre que l’espace parcouru dans le premier cas, suivant la proportion d’après laquelle le second moteur a tiré en sens inverse l’objet mis en mouvement. Dans le troisième état, comme autant l’un des mouvements tirait le corps en avant, autant l’autre le tirait en arrière, le corps est contraint de demeurer au même lieu, non pas qu’il soit absolument immobile ; en effet il demeure toujours dans le même lieu, mais non pas de la même manière que le corps immobile. L’un y reste parce qu’il n’est mû en aucune façon, l’autre parce qu’il est mû dans deux directions [par deux forces égales], comme celui qui nage contre le courant d’un fleuve. Dans ce cas le nageur, s’il a une force égale à l’impétuosité du courant, demeure toujours au même endroit, non pas qu’il ne soit mû en aucune façon, mais parce qu’il se porte en avant par son mouvement propre, autant qu’il est porté en arrière par le mouvement étranger.

Il n’est pas mal d’expliquer par plusieurs exemples une chose aussi obscure. Supposez en l’air un oiseau qui paraît demeurer au même lieu. Faut-il dire que cet oiseau est immobile, comme s’il était suspendu dans l’air, ou qu’il est mû par un mouvement vers les régions supérieures, autant que le poids du corps le pousse en bas. Cette dernière opinion me semble la plus vraie. Car, supposez l’oiseau privé de la vie ou de la tension des muscles, vous le voyez descendre rapidement à terre. On constate par là que le penchant à tomber, naturel au corps pesant, était précisément contre-balancé par l’effort vigoureux de la tension psychique pour s’élancer dans l’air. Faut-il croire que dans tous les états semblables, le corps subissant tour à tour des influences contraires, est porté tantôt en bas, tantôt en haut, mais que les changements étant rapides et instantanés, et les mouvements ayant lieu à des espaces très-limités, le corps paraît demeurer au même lieu, ou bien qu’en réalité, il occupe constamment un seul lieu ? Ce n’est pas ici le moment d’examiner cette question[7]. Il est plus convenable de discuter un semblable sujet dans les dissertations physiques sur le mouvement. Il nous suffit, pour le moment, d’avoir découvert ce fait : c’est qu’une espèce d’activité de cette nature a lieu, peu importe qu’on l’appelle tonique ou de tel autre nom qu’il vous plaira. Il vaut mieux savoir en quoi elle consiste, pour ne pas croire que les muscles sont inactifs quand le bras est tendu. Il existe donc en tout quatre espèces de mouvement des muscles. En effet, ou ils se contractent ou ils s’allongent, ou bien ils sont entraînés à une autre place, ou ils restent tendus ; mais la quatrième espèce appartient au même genre que la première, puisque toutes les deux sont une activité des muscles.

Coupez transversalement dans son entier le muscle mort qui ne participe plus à la tension psychique, vous le voyez se rétracter vers ses extrémités, acte qui paraîtrait non sans raison résulter de sa constitution même ; cependant puisque le corps du muscle a la faculté de se contracter sur lui-même, quel besoin a-t-il encore de la faculté psychique pour qu’il y ait mouvement, si la faculté dérivée de l’âme ne sert pas à ce que les muscles cèdent mutuellement l’un à l’autre dans leurs mouvements ? En effet, si l’un et l’autre muscle faisaient constamment [et simultanément] ce qu’ils sont destinés à faire, rien ne garantirait de l’affection dite tétanos. Qu’est-ce en effet que le tétanos, sinon ce fait que les parties sont tirées involontairement en sens inverse par les muscles antagonistes ? Si cela n’arrive pas, quelqu’un peut-être l’attribuera à la faculté psychique et prétendra qu’elle commande aux muscles de rester en repos, lorsque les muscles antagonistes doivent se mouvoir. Accepter cette hypothèse, c’est d’abord émettre une proposition contradictoire avec la précédente ; car dans cette hypothèse, la vigueur psychique sert non plus à mouvoir les muscles, mais à ne pas les mouvoir ; nous trouvons alors des contradictions dans beaucoup des phénomènes que nous observons, une d’abord, et la plus grave : c’est que si le nerf qui aboutit au muscle de la partie interne est coupé, à l’instant on voit ce muscle étendu[8], et il persiste constamment dans cet état. Or, si la contraction est naturelle au corps du muscle, et si l’extension résultait du commandement de l’âme, l’extension doit être abolie plutôt que la contraction, lorsque, le nerf étant coupé, la communication entre le principe et le nerf est interrompue. Mais le contraire a lieu : car il y a contraction du muscle dont le nerf n’est pas coupé, et extension du muscle antagoniste. Dans l’hypothèse, il faudrait non-seulement que le muscle dont le nerf est coupé perdît son extension, mais encore que l’extension et la contraction fussent toutes deux conservées chez celui dont le nerf n’est pas coupé, si les muscles tiennent du nerf l’extension et d’eux-mêmes la contraction.

Quelle solution trouverons-nous à cette difficulté ? Il faut chercher dans la différence des faits la distinction entre le mouvement du corps des muscles et la faculté qui les met en exercice. Quelle est cette différence ? Le muscle ou le tendon externes étant coupés, la partie est fléchie immédiatement, quand bien même nous ne voudrions pas la fléchir. Par quoi est-elle fléchie, car c’est un point qu’il ne faut pas omettre ? Par le corps même des muscles internes ramenés naturellement sur eux-mêmes. Que si la flexion de la partie ne dépendait pas de notre volonté, comment dirait-on qu’elle est opérée par la faculté psychique ? Pour savoir donc quel est le mouvement propre de la faculté, commandez à quelqu’un de chercher à fléchir davantage la partie mutilée. Vous verrez manifestement qu’elle est fléchie. Commandez-lui alors de renoncer à la volonté de fléchir ; vous verrez, en sens inverse, la partie s’étendre jusqu’à ce qu’elle reprenne la première flexion à laquelle elle était arrivée sans le concours de la volonté. Ces phénomènes montrent clairement que jamais le corps du muscle n’arriverait de lui-même à une flexion exacte et complète sans le secours de la faculté psychique.

C’est donc inutilement, dira peut-être quelqu’un, que le corps des muscles a été créé avec la faculté de se contracter, puisque l’âme accomplit cette opération plus complétement et mieux. Celui qui prétend cela est du nombre de ces amateurs du doute et de l’indétermination, comme ils s’appellent eux-mêmes. Je demanderais volontiers à un tel homme s’il regarde la partie qui a naturellement la faculté de s’étendre comme l’organe le plus convenable de la faculté qui a l’office de contracter, ou s’il a l’opinion contraire. Pour moi je ne puis imaginer comment on aurait pu créer un organe plus impropre au mouvement que si on l’eût fait incliner de soi-même au rebours de la volonté du moteur. Si un tel organe est impropre, celui au contraire qui s’incline spontanément dans le sens même que veut le moteur, est parfaitement approprié. La faculté psychique s’empressant donc de tirer le muscle vers son propre principe, le muscle a été doué d’une structure appropriée à cet effet. Tel est l’état des choses sur ce point-là.

Chapitre iv. — Le muscle tend toujours, s’il est abandonné à lui-même, vers l’extrême contraction. — Expériences et raisonnements qui prouvent cette proposition fondamentale dans la discussion sur les mouvements des muscles. — Incidemment Galien traite du mode d’implantation des muscles, de la forme des os articulés, du volume des muscles eu égard à celui des os à mettre en mouvement.


On rechercherait avec plus de raison et on aurait de la peine à s’expliquer pourquoi nous disions que l’extrême contraction est un mouvement propre au corps du muscle, puisqu’il se contracte après la complète extension, et qu’après la complète contraction il s’étend. En effet, ou il faut dire que ni l’un ni l’autre mouvement n’est propre au muscle, mais qu’ils ont lieu accidentellement ; ou il faut les regarder tous deux comme également propres. Ou bien faut-il regarder [en général] la contraction comme le mouvement le plus propre au muscle, parce qu’[abandonné à lui-même par suite de la section ou de la paralysie du muscle antagoniste] il s’éloigne extrêmement de l’extension complète et peu de la contraction complète ? En effet, les muscles présentent, on peut dire, deux positions extrêmes, une excessive extension et une complète contraction ; si la contraction n’était pas plus essentielle au corps du muscle que l’extension, le muscle prendrait une position exactement intermédiaire entre les deux, et dans l’état de relâchement il y retournerait toujours. En réalité cela n’a pas lieu, car il se rapproche plus de la flexion (lisez contraction) parfaite que de l’extension. Mais quand ce point serait dit et accordé, comme il est juste de le dire et de l’accorder, car la chose est réellement ainsi, il me semble qu’on doit encore rechercher pourquoi, l’extrême flexion du membre ayant lieu volontairement, le muscle paraît un peu s’écarter et légèrement s’étendre, lorsque nous rendons cette flexion moins prononcée. Cela ne devait absolument pas avoir lieu, si la nature du corps du muscle incline vers la contraction.

Nous allons donc proposer aux amis de la vérité les arguments que nous pouvons faire valoir à l’appui de cette opinion, afin que si ces arguments paraissent concluants et absolument exempts d’erreur, nous disions que nous avons déjà résolu toute la question proposée, et qu’à défaut du tout, si nous avons résolu la plupart des difficultés et exposé les doutes d’une manière convenable, d’autres investigateurs découvrent successivement le reste.

Pour élucider mon raisonnement, j’ai besoin d’une comparaison qu’il vous est possible non-seulement de supposer, mais encore de reproduire si vous le voulez. Prenez deux os d’un animal quelconque unis par une articulation, et après avoir entrelacé deux chaînes composées de plusieurs nerfs, collez-les soigneusement ou attachez-les aux parties des os que je vais vous indiquer. Il faut les coller ou les attacher à l’endroit où les muscles s’inséraient sur les os. Le mode d’implantation de tous les muscles étant double, il n’est pas hors de propos d’imiter cette disposition par les os et les chaînes de nerfs que je prends pour objet de ma comparaison. Il faut tâcher maintenant d’expliquer clairement ces deux modes d’implantation. On ne saurait en effet les reproduire convenablement sans avoir appris à les connaître. Ce sera le début le plus naturel de notre discours. L’un des os qui se réunissent pour former une articulation est mû, tandis que l’autre est placé en guise de soutien contre lui, arrangement qu’on voit se reproduire pour les gonds des portes : il est donc indispensable que l’os qui reste en repos soit muni de la surface creuse et celui qui est mû de la surface convexe[9] ; or on appelle la surface creuse cotyle ou évasement (γλήνη) et la surface convexe tête ou condyle. Le condyle dépasse autant l’évasement en profondeur que la tête dépasse le condyle en saillie ; mais la nature a dans les deux cas construit l’une des deux surfaces pour fournir un emplacement convenable à l’autre, comme cela a lieu pour les charnières. Quoique les organes qui devaient être mis en mouvement soient déjà dans de si bonnes conditions, la nature a cependant employé un soin et un art beaucoup plus exquis pour y rattacher ceux qui devaient les mouvoir : car elle a fait partir les muscles qui sont les organes du mouvement des os pourvus de cotyles et situés en dessus, tandis qu’elle les a implantés sur les têtes des os sous-jacents qui devaient être mis en mouvement par eux. Lors donc que par la contraction des muscles, ces têtes sont tirées en haut, tout le membre est entraîné avec eux ; mais comme certains muscles devaient mouvoir un os plus grand et d’autres un os plus petit, la nature a construit les muscles qui devaient les mouvoir d’un volume proportionnel à la masse des os qu’ils devaient mettre en mouvement. Il est donc conforme à la raison qu’une partie des muscles prenne son point de départ aux têtes ou aux condyles mêmes des os placés en dessus, et qu’une autre partie ait son origine un peu plus bas que les premiers ; mais aucun muscle à peu près ne provient d’un point voisin du cotyle ou de l’évasement, car un tel muscle serait tout à fait petit et incapable d’ébranler l’os sous-jacent. Voilà quelle est la nature des os réunis pour former une articulation et des muscles qui les mettent en mouvement. Vous l’imiterez parfaitement, si, après avoir attaché la chaîne à l’un des os à l’endroit où le muscle prenait son origine, vous en attachez l’autre extrémité à la tête de l’autre os, à l’endroit où le muscle s’insérait ; mais il faut prendre deux précautions : l’une que la chaîne soit assez épaisse pour être capable de mouvoir et de porter l’os sous-jacent ; l’autre que dans les positions extrêmes la chaîne ne soit pas du tout tendue, mais qu’elle soit placée comme si elle était jetée à terre sans être attachée à rien. Supposons donc deux chaînes occupant la place des muscles antagonistes destinés à étendre et à fléchir le membre, alors l’une des deux chaînes sera entièrement affranchie de tension, quand le membre présente une position extrême, la chaîne extérieure, lorsqu’il est exactement étendu, et la chaîne intérieure lorsqu’il est [complètement] fléchi[10].

Les choses ainsi préparées, il est évident que l’une ou l’autre chaîne tirées par nos mains amènent les os articulés à l’extension ou à la flexion extrêmes, que laissées à elles-mêmes elles font prendre la position moyenne à l’arrangement des os, et désormais restent dans le repos. Il faut porter une attention scrupuleuse sur la position même, car celle-ci offre exactement la moyenne entre l’extension et la contraction extrêmes. Si vous coupez l’une des chaînes en un point sans la couper tout entière, vous faites dépasser à l’arrangement des os la position moyenne, mais très-faiblement. Vous le faites davantage si vous la coupez tout entière, sans qu’elle arrive cependant à la position extrême[11]. En effet les positions extrêmes ne paraissent pas se produire autrement que si on tire avec les mains les chaînes vers le principe propre. Les mêmes faits se voient clairement sur les muscles, le muscle étant l’analogue de la chaîne et l’âme l’analogue de la main qui meut cette chaîne. En effet, sans la main, ni l’une ni l’autre des chaînes ne peut amener l’arrangement des os à une position extrême, et sans l’impulsion qui vient de l’âme, aucun des deux muscles ne saurait produire une flexion ou une extension extrêmes ; car si vous enlevez aux muscles cette impulsion, et aux chaînes la main, vous verrez les os et le membre prendre la position moyenne ; si vous coupez le muscle du côté extérieur, vous verrez qu’il se fléchit au delà de la moyenne, comme si vous aviez coupé la chaîne du côté extérieur ; de même si vous coupez le muscle intérieur, vous vous apercevrez également que l’extension du membre dépasse la moyenne.

Quelles sont les causes de ces affections et de toutes les autres que l’on remarque dans les muscles ? Pour toutes il existe un seul principe, c’est que les muscles ont une contraction complète dans les positions extrêmes, comme cela se voyait pour les chaînes. Toutes les autres affections dérivent de celle-ci.

De ce principe nous tirerons notre démonstration. En effet, nous devons la tirer non pas d’une hypothèse obscure pour nous, mais d’un fait évident qui se produit dans tous les muscles. Quel est ce fait ? Celui que nous signalions naguère, c’est que, quand le tendon est retranché de la tête de l’os, le muscle se contracte autant que lorsque, mû par l’impulsion de la volonté, il amène le membre à l’extrême flexion. Ce fait prouve clairement que le muscle est destiné à venir à l’extrême contraction, eu égard à sa structure ; car lorsqu’il perd sa relation de continuité avec l’os qui tire en sens inverse, alors, comme privé de ligament et devenu entièrement libre, il révèle sa nature propre. Tant que la partie était tirée par le muscle situé à l’opposite, ayant lui aussi la même nature qui le portait à l’extrême contraction, les deux muscles étaient également privés l’un par l’autre de revenir sur eux-mêmes, et il arrivait ainsi que les deux muscles antagonistes des membres perdaient la moitié de leur contraction. En effet, s’il est dans la nature de tous deux de tendre toujours à l’extrême contraction, comme ils sont attachés à la tête d’un os aux parties opposées, il fallait nécessairement que le membre tiré par des mouvements égaux en force n’obéît ni à l’un ni à l’autre. Or, n’obéir ni à l’un ni à l’autre équivaut à avoir une position moyenne entre les extrêmes. Ces deux positions extrêmes se produisent quand l’une d’elles prédomine : l’extension, quand c’est le mouvement externe qui est supérieur ; la flexion, quand c’est le mouvement interne. Le mouvement du corps des muscles mêmes devient égal en force lorsque ni l’un ni l’autre n’a pour auxiliaire la tension psychique. Il est inégal, lorsque l’un des deux seul domine. Aussi la contraction d’un muscle quelconque, aidée par la faculté psychique, l’emporte-t-elle nécessairement sur la contraction de ce muscle.

Ainsi nous avons trouvé les causes de trois phénomènes en nous appuyant sur un seul principe, que nous avons tiré, non pas d’une hypothèse, mais d’un fait évident. En effet, comme les muscles adoptent manifestement l’extrême contraction, lorsqu’ils sont affranchis du lien qui les unit aux têtes des membres, il était clair qu’ils étaient destinés, sous le rapport de la structure, à se contracter entièrement, mais qu’ils y trouvaient quelque obstacle. En cherchant quel était cet obstacle, nous avons immédiatement trouvé le ligament ; car, ce ligament étant coupé, les muscles se contractaient au plus haut point ; nous avons donc établi que le ligament était la première cause de leur non-contraction. Nous avons trouvé que si le ligament empêche les muscles de se contracter, ce n’est pas simplement en sa qualité de ligament, mais parce qu’il s’insère sur la tête de l’os qui est tirée vers les parties opposées. Cela nous a expliqué la cause d’un second fait, c’est que les membres prennent la position moyenne quand ni l’un ni l’autre muscle n’est mis en mouvement par la faculté psychique. Outre ces faits, il en existait un troisième, c’est que le membre se fléchit, se contracte ou s’étend, alors que la volonté meut un seul des deux muscles. En effet, l’autre muscle, dans ce moment, est vaincu et forcément contraint de s’étendre avec tout le membre.

Continuons à énoncer les causes de tous les autres phénomènes, afin que, s’ils concordent les uns avec les autres, ils nous inspirent confiance dans les raisonnements faits à leur égard, et que, s’ils offrent une contradiction en un point quelconque, le soupçon tombe également sur tous. Parlons d’abord du phénomène suivant après ceux que nous avons signalés : Le muscle externe étant coupé, le membre est fléchi au delà de la moyenne, mais non pas cependant jusqu’à l’extrême. Peut-être il paraîtrait naturel, aucun muscle ne tirant plus le muscle interne dans le sens opposé, que ce muscle parvînt à la contraction extrême. Juger ainsi, ce serait méconnaître la pesanteur du membre qui résiste à la contraction complète du muscle. Le fait paraît se produire de la même manière dans la comparaison des chaînes. En effet, si de ces chaînes l’extérieure était coupée, l’autre ne pouvait parvenir à la contraction extrême avant que l’os mû par elle fût détaché. Tant que la continuité subsistait, il tirait la chaîne à lui. Si donc le muscle interne est coupé tout entier, le membre demeure dans la position intermédiaire entre la moyenne et l’extension extrême ; car le muscle externe est incapable de le tendre entièrement sans l’impulsion de la volonté. Ainsi, ces faits concordent avec les faits précédemment énoncés ; ils concordent aussi les uns avec les autres.


Chapitre x. — Des sensations qu’on éprouve quand les muscles sont dans une position extrême ou dans une position moyenne. — Galien conclut que les muscles tendent toujours par eux-mêmes à l’extrême contraction, et que les muscles antagonistes sont avec les os le seul obstacle qui les empêche d’y arriver.


Les remarques faites jadis par Hippocrate, sur toutes les positions des parties, se trouvent encore parfaitement justes. Est-ce que les propositions suivantes ne concordent pas aussi admirablement [avec ce qui précède] ? La première, que si nous fléchissons entièrement ou étendons à l’extrême une partie quelconque, nous éprouvons de la douleur ; la seconde, que la position intermédiaire entre celles-ci est la plus exempte de douleur. La troisième, que dans les positions extrêmes nous souhaitons un prompt changement. La quatrième, que nous conservons fort longtemps la position moyenne sans désirer aucun changement. La cinquième, que parfois même nous désirons changer cette position moyenne. La sixième, que toute position est pénible aux personnes extrêmement faibles. En effet, les positions extrêmes sont naturellement douloureuses, l’un des muscles agissant, tandis que l’autre est étendu contrairement à sa nature. La position intermédiaire entre celles-ci, qui les repose tous deux de l’activité et de la tension excessive, est à juste titre très-agréable. Aussi, pour les positions douloureuses, nous désirons un changement prompt ; nous ne le désirons pas aussi promptement pour la position exempte de douleur. Pourquoi avons-nous besoin de changer de position, même quand elle est exempte de douleur ? Parce que, même dans celle-ci, les muscles supportent une certaine tension, moins forte il est vrai que dans toutes les autres positions ; nous disons donc d’elle qu’elle est exempte de douleur, non pas qu’elle n’y participe en aucune façon, mais parce que cette douleur est très-légère et presque insensible, à cause de son peu d’intensité ; nous désirons changer de position, alors que, accumulée peu à peu, la douleur devient sensible.

Que les muscles éprouvent une certaine tension, même dans cette position, c’est ce qu’il est inutile de démontrer, si l’on se souvient des explications antérieures. En effet, nous disions qu’ils sont étendus par les membres sur lesquels ils s’insèrent, et que, par conséquent, affranchis de cette tension quand le tendon est coupé, ils reprennent promptement leur contraction naturelle. Ainsi, jamais aucun muscle ne reste étranger à la tension, même dans les positions moyennes ; mais, dédaignant celles-ci comme légères et ne supportant pas les autres tensions comme violentes et pénibles, nous adoptons cette position et nous évitons les autres. Si nous devenons excessivement faibles, comme dans les défaillances de l’orifice de l’estomac et du cœur, alors, ne pouvant tolérer même une tension légère, nous ne supportons pas même la position moyenne, et en conséquence, bien que sans force pour les mouvements, néanmoins nous projetons les parties tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; nous désirons trouver une position exempte de douleur, quoique nous n’en puissions découvrir une qui soit tout à fait dans ce cas. De même donc que, si l’un de nous était obligé de porter, suspendue à son cou, une pierre d’une grosseur moyenne, il la porterait sans peine s’il était vigoureux, mais désirerait la rejeter immédiatement comme un fardeau, s’il était faible ; de même, chacun des muscles qui porte comme une pierre l’os attaché, n’en prend pas souci aussi longtemps qu’il est vigoureux, et souvent il n’en sent pas même légèrement le poids ; mais, s’il est faible, alors il le sent et le porte avec peine et il désire le secouer comme un fardeau ; il recherche tantôt une position, tantôt une autre. Ainsi, tous les phénomènes présentés par les muscles paraissent concorder entre eux et dépendre tous d’un commun principe, qui les montre tendant toujours par eux-mêmes à l’extrême contraction, mais ne pouvant y arriver parce qu’ils ont contre eux des muscles antagonistes tirant en sens inverse, et le poids des os qu’ils supportent.







  1. Pour ce traité je dois à l’obligeance de mon ami, M. le docteur Bussemaker, la collation d’un très-bon manuscrit de l’Escurial (t. III, 7), dont les variantes n’avaient jamais été relevées. En plus d’un passage ces variantes m’ont fourni un texte de beaucoup préférable à celui des éditions et à celui que représente la traduction latine. J’ai eu recours aussi, dans tous les passages difficiles, à notre manuscrit 1849, du commencement du xive siècle et qui offre un certain nombre d’excellentes leçons. — Voy. du reste la Dissert. sur la physiol. pour toutes les questions de doctrine que soulève cet important traité.
  2. Νεύειν. Galien, imitant les étymologistes grecs qui se contentent des rapports les plus grossiers entre les mots, fait venir νεῦρον de νεύω.
  3. Voy. pour la distinction des plantes et des animaux la Dissert. sur la physiologie.
  4. En grec ce mot est souvent synonyme de larynx. Voy. Dissert. sur les termes anatomiques.
  5. L’alternative se réduit à ceci : ou bien chaque muscle préside à deux mouvements actifs, ou bien, il n’en exécute qu’un activement (la contraction), et produit secondairement l’extension du muscle antagoniste.
  6. Attendu que leur activité spéciale consiste dans le mouvement.
  7. Tout ceci revient à la théorie du parallélogramme des forces.
  8. C’est-à-dire relâché, paralysé.
  9. Cela est vrai pour l’épaule et la hanche par exemple ; mais non pas absolument pour le genou ou le coude par exemple.
  10. Il est évident que Galien considère ici le résultat et non pas l’acte, c’est-à-dire la position produite et non pas se produisant.
  11. Il faut supposer que les chaînes ont une certaine élasticité correspondant à la contractilité des muscles.