Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/VII/2

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Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (1856)
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (IIp. 352-375).
LIVRE DEUXIÈME.


Chapitre premier. — Différences entre la position moyenne absolue et les positions moyennes relatives. — Conditions physiologiques de ces positions. — Le bras est pris pour exemple.


Après avoir démontré les premières notions et comme les éléments du mouvement des muscles, nous allons maintenant ajouter les détails qui font défaut, de sorte que rien ne manquera plus désormais, et que celui qui aura lu attentivement toutes ces observations sera capable de résoudre aisément toute question proposée sur les muscles. Commençons donc par la position des parties, c’est là que s’est arrêté le livre premier. Et d’abord, traitant de la position moyenne, disons que dans cette position il existe nécessairement un double état pour les muscles, l’un dont nous avons parlé plus haut (I, x) et dans lequel aucun des muscles antagonistes n’entre en activité ; une autre position est celle dont nous allons parler maintenant et dans laquelle les deux séries de muscles sont également en activité. Le premier de ces mouvements a lieu chez ceux qui sont dans l’état de repos (ἐλιννύουσιν), comme disait Hippocrate (Des fractures, § 2), et l’autre quand nous ne permettons à personne d’étendre ou de fléchir notre membre quels que soient les efforts qu’on fasse pour obtenir ce résultat. Or un tel mouvement (position moyenne active) a lieu quand les muscles antagonistes emploient l’activité qu’on appelle tonique. De même quand vous aurez donné au membre une position qui ne fait que s’écarter dans l’un des deux sens de la position moyenne, vous pouvez mettre également en activité les deux espèces de muscles à la fois ; mais quand vous lui faites prendre une des positions extrêmes, l’une des deux séries de muscles antagonistes suffit pour un tel mode d’activité. Il est également clair que, dans chacune des positions susdites, les muscles emploient tantôt plus tantôt moins l’activité tonique, et qu’avec un tel mode d’activité la position moyenne ne le cède à aucune des deux positions extrêmes. Ne disons donc pas simplement que c’est la position moyenne qui est exempte d’efforts pénibles, mais la position moyenne propre au repos. Car la position moyenne accompagnée de la tension de chacun des muscles est aussi pénible que les positions extrêmes. Mais comme la position moyenne propre au repos est tantôt une position moyenne absolue et tantôt une position moyenne non absolue, que la moyenne absolue est celle qui tient le milieu entre toutes les positions extrêmes du membre, tandis que la moyenne non absolue n’est moyenne que pour l’un des deux systèmes de muscles opposés, la position moyenne absolue sera seule exempte de fatigue, comme Hippocrate le disait ; aucune autre n’en sera complètement exempte.

Nous pourrons démontrer avec évidence ce que nous avançons en établissant d’abord une distinction entre la position moyenne absolue et celles qui ne le sont pas ; pour être clair, nous prendrons le membre supérieur comme exemple dans notre démonstration. En effet, puisqu’il existe pour ce membre quatre positions extrêmes, la pronation, la supination, l’extension et la flexion extrêmes, la position moyenne absolue sera celle qui tient le milieu entre toutes les positions énumérées, et la position moyenne non absolue, celle qui présente les mêmes rapports eu égard à celui des deux systèmes de mouvements opposés qu’on voudra, car il existe une position qui tient le milieu entre l’extension et la flexion extrêmes et une autre qui est dans le même cas pour la supination et la pronation. Or la supination de [l’avant-]bras a lieu quand sa partie creuse est en dessus et sa partie bombée en dessous ; la pronation est le contraire de la supination ; la position moyenne entre les deux existe quand la surface creuse est du côté intérieur, et la surface convexe du côté extérieur, et que le petit doigt est placé au-dessous des autres et le cubitus au-dessous du radius. Cette position moyenne peut donc se combiner tout aussi bien avec l’extension complète qu’avec la flexion du bras, de même que la position moyenne par rapport à l’autre système de mouvements opposés peut se combiner également avec la supination et avec la pronation du membre : ce qui limite cette position[1], c’est l’angle droit que l’avant-bras fait avec le bras ; pour cette raison on l’appelle position angulaire. Par conséquent, la position moyenne absolue provient de la combinaison des deux catégories de positions moyennes dont nous venons de parler, tandis que les autres positions moyennes sont en tout au nombre de quatre ; seulement aucune de ces positions ne sera une moyenne absolue pour tout le membre, mais uniquement eu égard à l’un des deux systèmes de mouvements opposés : en effet, elle sera la moyenne ou entre l’extension et la contraction, ou entre la pronation et la supination. Mais comme par la combinaison alternative de ces deux positions avec les positions extrêmes appartenant à l’autre système de mouvements opposés, chacune de ces positions devient double, il en résulte nécessairement en tout quatre. Dans chacune d’elles, il y a quelque chose de commun à toutes, et quelque chose de particulier à chacune. Ce qu’il y a de commun, c’est qu’une seule espèce de muscles agit essentiellement et que les trois autres espèces sont étendues accidentellement, mais n’entrent pas en activité. Ce qu’il y a de particulier à chacune, c’est que dans la position angulaire combinée avec la pronation, il y a activité des muscles qui tournent en dedans le radius, tandis que tous les autres sont étendus et à l’état de repos ; que dans la position angulaire combinée avec la supination, l’activité existe pour les muscles qui exécutent le mouvement de circumduction externe, tandis que tous les autres sont étendus et à l’état de repos[2] ; de même dans la position moyenne entre la pronation et la supination avec extension excessive, les muscles extenseurs seuls, et dans cette même position avec flexion extrême les muscles fléchisseurs seuls sont en activité, tandis que tous les autres sont en repos et étendus.


Chapitre ii. — Du squelette du bras. — Admirables dispositions prises par la nature pour assurer la variété et la précision des mouvements dans l’articulation du coude.


Ma dissertation, pour être claire, exige qu’on sache d’abord par quels muscles sont exécutés les quatre mouvements du membre supérieur, de quelle façon ils se comportent et quelle articulation ils meuvent. Le bras proprement dit est la partie la plus considérable de l’ensemble du membre supérieur. Il est borné en bas par l’articulation du coude. Nous appelons coude, dit Hippocrate (Des fractures, § 3 ; t. III, p. 426), la partie sur laquelle nous nous appuyons. En haut le bras se termine à l’épaule. Une autre partie du membre supérieur, la plus considérable après le bras, est celle qu’on appelle avant-bras. Elle est bornée du côté où elle fait suite au bras par l’articulation du coude, et du côté du carpe par le carpe même. Dans le bras proprement dit, il existe un os grand et arrondi nommé humérus[3] ; il en existe deux dans l’avant-bras, l’un ayant le nom de cubitus (πῆχυς), l’autre celui de radius (κερκίς). Ils s’articulent tous deux à l’extrémité inférieure de l’humérus, le cubitus au point central des condyles de l’humérus (trochlée) ; le radius se terminant en une cavité glénoïde, embrasse le condyle externe de l’humérus lui-même. Tournant autour de lui comme autour d’un axe, il régit les mouvements de circumduction du bras. Quand il tourne en dedans, il en résulte la pronation, et quand il tourne en dehors, la supination. Tendre et fléchir le coude est l’œuvre de l’articulation du cubitus avec l’humérus. Je ne sais s’il existe une agrégation d’os aussi exacte dans quelqu’une des autres articulations. L’extrémité inférieure de l’humérus en s’élargissant se termine par des condyles ; de son côté, le cubitus présentant deux apophyses flexueuses (apop. olécrâne et coronoïde) opposées l’une à l’autre et laissant entre elles une cavité semblable à la lettre sigma (grande cavité sigmoïde — cf. Util des part., II, xiv et xv), embrasse avec cette cavité la région centrale des condyles de l’humérus, exactement semblable à la roue des machines appelées poulies. Quand la cavité du cubitus tourne autour de la convexité de l’humérus, il arrive que tout le membre s’étend ou se fléchit. Les bords de la cavité centrale, en serrant les apophyses du cubitus, sont disposés pour que l’articulation ne s’écarte ni d’un côté ni de l’autre, et pour qu’elle reste toujours stable. Lors donc que c’est l’apophyse antérieure qui dirige le mouvement, le membre est fléchi ; il est tendu quand c’est l’apophyse postérieure. La flexion s’arrête quand l’apophyse antérieure s’appuie sur l’humérus, et l’extension quand c’est l’apophyse postérieure. Mais l’humérus étant convexe et les deux apophyses du cubitus étant allongées, comme il était à craindre en conséquence que les os en se rencontrant plus vite qu’il ne fallait, ne missent obstacle au mouvement du membre, la nature a creusé des deux côtés L’humérus, et les apophyses du cubitus pénètrent assez dans ses cavités pour rendre possibles au coude l’extension et la flexion extrêmes. Mais comme l’apophyse postérieure (olécrâne) du cubitus était plus considérable, la nature a fait en cet endroit la cavité de l’humérus beaucoup plus profonde, en sorte que cette profondeur rend très-mince toute la partie de l’humérus comprise entre les cavités [antérieures et postérieures, — cavités olêcrânienne et coronoïdienne]. Cependant la nature n’a pas percé l’os, tout mince qu’il est, afin que l’articulation ne soit pas complétement lâche et privée d’appui et que les mouvements des muscles ne soient pas excessifs. Si l’os eût été percé, on aurait pu fléchir le bras en arrière, mais toutes les actions que nous accomplissons le bras tendu avec tant d’assurance, auraient été exécutées dans une condition bien plus mauvaise, et les tensions des deux séries de muscles antagonistes auraient été très-pénibles, les muscles postérieurs étant tendus par la faculté psychique, de manière à être tirés plus qu’ils ne sont destinés à se contracter, et les muscles antérieurs étant si fortement tendus qu’ils eussent couru risque de se déchirer. Tel est l’art avec lequel la nature a assuré la précision de l’articulation.


Chapitre iii. — De l’état où se trouvent les muscles du bras et de l’avant-bras dans les positions moyennes absolues et moyennes relatives. — De la supination et de la pronation combinées avec la flexion angulaire, ou positions moyennes relatives.


Quelle est la position des muscles qui meuvent cette articulation et en vue desquels nous en avons fait mention ? C’est ce que je vais dire immédiatement. Il en existe deux dans les parties antérieures de l’humérus et deux dans les parties postérieures, lesquels s’insèrent par de fortes aponévroses sur le cubitus. Les plus grands de ces muscles partent de la tête de l’humérus, les plus petits beaucoup plus bas, et tous les quatre se portent directement sur le cubitus et s’y insèrent principalement à cet endroit où commencent à saillir les apophyses (cf. Util. des parties, II, xvi). La partie postérieure est le coude même que les Athéniens nomment olécrâne et les Doriens cubitus (coude — cf. Util, des parties, II, xiv et xv). La partie antérieure, comme il a été dit (chap. ii), est celle sur laquelle naît l’apophyse coronoïde. Ces muscles, situés en arrière et en avant du bras, en tirant l’avant-bras exécutent donc l’extension et la flexion. Quatre autres muscles ont leurs principes sur le bras et l’avant-bras, de chaque côté de la convexité du coude, deux en dehors, deux en dedans. Tous ces muscles étant obliques s’insèrent sur le radius, les grands à son extrémité, là où il s’articule avec le carpe, les petits au milieu. Ces muscles tendus tirent le radius vers leurs principes et par le radius les muscles internes amènent l’avant-bras tout entier à la pronation et les muscles externes l’amènent à la supination.

Telle étant donc la nature des muscles qui meuvent les articulations du coude, démontrons maintenant le sujet en question : c’est que dans les quatre variétés des positions qui ne sont pas simplement moyennes, toujours une espèce de muscles est en activité, tandis que toute autre espèce est à l’état de repos mais étendue. Commençons d’abord par celle que nous avons citée la première et que nous appelions angulaire et pronatoire : dans cette position, les muscles qui meuvent le radius n’ont pas besoin d’autre explication que celle-ci, à savoir que les muscles internes sont en activité, tandis que les muscles externes sont étendus et en repos ; ceux qui meuvent l’avant-bras exigent plus de détails. À première vue ils paraissent avoir une situation exactement moyenne, parce que la position angulaire est une position moyenne, mais dans la réalité il n’en est pas ainsi. En effet, si tout le bras prenait la position moyenne entre la supination et la pronation, comme il prend la position angulaire, alors effectivement un état moyen existerait pour ces muscles. Comme il n’en est pas ainsi, il est nécessaire que ces muscles et tous les autres se contournent à proportion que tout le bras s’écarte de la position moyenne. Or plus les muscles se contournent, plus, je pense, rompus pour ainsi dire et fléchis, ils s’étendent et éprouvent de la fatigue autour des convexités des os. En effet la position simplement moyenne, outre qu’elle n’a aucun muscle agissant ou mû violemment, ne cause de distorsion dans aucune des parties du membre. Aussi cette position est-elle signalée par Hippocrate (Des fractures, § 2) comme possédant au suprême degré l’avantage que nous venons de signaler. Toutes les autres positions, les unes plus, les autres moins, impriment une contorsion à tous les muscles ainsi qu’aux tendons et aux nerfs qui y président, et de plus encore aux veines et aux artères. Ces parties se trouvent, les unes en dehors des membres, les autres en dedans. La position moyenne entre la supination et la pronation maintient ces parties dans leur condition naturelle, tandis que la pronation et la supination les contournent toutes considérablement. En effet, la pronation, dont notre projet est de parler d’abord, amène une telle distorsion des muscles extérieurs de l’avant-bras, muscles qui en agissant produisent la supination, que les têtes des muscles se trouvent en dehors du membre, leurs ventres en haut, et leurs insertions en dedans. Si vous contournez le bras plus fortement encore, vous verrez le plus grand des muscles qui s’implante à l’extrémité du radius (biceps brachial) tellement enroulé autour du membre que de ses parties les unes apparaissent en dehors, les autres en dedans, les autres en haut, les autres en bas, que sa tête est en dehors, que son ventre est en haut, la partie qui y fait suite en dedans et l’insertion en bas, tant il a été violemment rompu et fléchi. Les autres muscles du bras au moyen desquels nous pouvons tendre et fléchir tout le membre, sont beaucoup moins susceptibles dans ce cas de distorsion que ces muscles et que les autres muscles de l’avant-bras, mais ils y participent à un certain degré. Les mêmes circonstances se produisent dans les positions que présente la supination. Dans ces positions les muscles de l’avant-bras sont dans un état violent, ceux du bras partagent cet état. Lorsque, prenant la position moyenne entre la supination et la pronation, nous étendons complètement ou fléchissons le bras, alors les muscles du bras sont dans un état assez violent, et ceux de l’avant-bras participent à cet état.

De toutes les positions la position simplement moyenne, où rien d’excessif n’a lieu dans aucun des systèmes d’antagonisme, est donc la seule qui soit exactement exempte de douleur. Les quatre autres positions, les unes plus, les autres moins, sont toutes accompagnées d’un état pénible. Dans chacune d’elles, plus, vous éloignant de la situation extrême, vous amenez le membre à la position moyenne, plus vous rendez la position supportable ; mais aucune d’elles n’est entièrement exempte de douleur, avant d’être arrivée exactement à la position moyenne. Ainsi il est évident déjà, par ce que nous avons dit, que la position moyenne absolue est la seule des positions où tous les muscles sont à l’état de repos ; que toutes les autres, les unes plus, les autres moins, ont une espèce de muscles en activité.


Chapitre iv. — État des muscles pendant le sommeil. Possibilité de marcher tout en dormant ; car l’âme ne se repose pas complétement pendant le sommeil ; exemples à l’appui.


Généralement on n’a pas, même en dormant, tous les muscles complètement en repos : les personnes qui, par ivresse, par fatigue, par épuisement, ont toutes les parties du corps dans un état de relâchement absolu, ayant permis à leurs muscles de placer les membres dans la position moyenne, celles-là seules ont leurs muscles dans un état de repos complet. Personne non plus, en dormant, ne peut avoir une partie du corps dans une des positions extrêmes. En effet, pour de semblables positions, nous avons besoin d’une activité des muscles fortement énergique et vigoureuse. Quant aux positions intermédiaires entre les positions extrêmes et la moyenne absolue, nous dormons ordinairement en les conservant. Si, établissant le membre dans une de ces positions, vous permettez à l’action tonique des muscles qui se déploient autour du membre de maintenir cette position, ils la maintiennent de telle sorte que, plus d’une fois, des personnes ont dormi assises et quelques-unes en se promenant. Quand j’entendais raconter cela naguère, je n’y ajoutais pas foi ; mais, obligé moi-même de marcher pendant une nuit entière, et ayant reconnu le fait par expérience, je me suis trouvé contraint d’y croire. En effet, je marchai presque la distance d’un stade, endormi et distrait par un songe, et ne me réveillai qu’en heurtant contre une pierre. Assurément, ce qui ne permet pas aux voyageurs d’aller bien loin en dormant, c’est qu’ils ne peuvent trouver une route suffisamment unie. Ce phénomène n’est croyable que pour ceux qui l’ont éprouvé. Tout le monde est témoin journellement des autres phénomènes qui se passent chez les individus qui dorment assis. Parmi les personnes couchées, il en est excessivement peu qui aient la position exactement moyenne pour tous les membres. Celles qui tiennent quelque chose à la main offrent surtout un exemple de l’activité tonique. En effet, leurs doigts demeurent exactement fléchis, souvent autour d’un petit objet, or, pierre ou pièce de monnaie. Ce qui se produit à la mâchoire inférieure n’est-il pas aussi un exemple manifeste de ce que nous avançons ? Elle ne s’écarte de la mâchoire supérieure que si l’on s’est endormi dans un état d’ivresse, ou d’apathie extrême, ou de fatigue excessive. C’est dans de telles circonstances que se produit le ronflement par le relâchement de la mâchoire inférieure, quand la personne est couchée sur le dos. Cette position même est un signe d’énervement. Aussi Hippocrate (Pronostic, § 3) tire-t-il un mauvais pronostic chez ceux qui sont couchés sur le dos et qui dorment la bouche entr’ouverte. Il approuve, au contraire, qu’on soit couché sur l’un ou l’autre côté. Vous saurez parfaitement quelle activité existe dans le décubitus latéral, si vous couchez un cadavre de cette façon. Il ne restera pas dans cette position un seul instant, il retombera immédiatement sur le dos ou sur le ventre, selon que son poids l’entraînera. Aussi le décubitus sur le dos et la bouche béante, décubitus toujours accompagné du ronflement, est un signe d’énervement, d’ivresse ou d’apathie. C’est pourquoi Hippocrate, dans un autre traité, recommande d’opérer sur les parties désarticulées et broyées, quand elles se trouvent dans les positions exemptes de douleur : c’est, dit-il, pour la mâchoire inférieure, quand la bouche est médiocrement ouverte (Articul., § 30, t. IV, p. 144). En effet, la bouche médiocrement ouverte est pour la mâchoire inférieure, ce que la position angulaire est pour le bras. C’est la position moyenne entre les extrêmes. Les positions extrêmes de la mâchoire inférieure sont le bâillement excessif et la pression des rangées de dents l’une contre l’autre. La première de ces positions est opérée par les muscles du menton et du cou tirant en bas, l’autre par les muscles internes de la mâchoire, lesquels prennent leur origine au palais, et par les muscles dits temporaux ; peut-être aussi les muscles dits masséters, placés aux côtés de la mâchoire inférieure, contribuent-ils à cet acte. C’est un point que nous discuterons ailleurs. La bouche médiocrement ouverte présente la position moyenne, tous les muscles énumérés étant à l’état de repos. C’est ainsi que, chez les mourants, la mâchoire pend d’elle-même, et cela est rationnel ; chez les mourants, en effet, tous les muscles sont privés de leur activité. Il est donc évident que, quand on dort sans ouvrir la bouche, l’activité des muscles releveurs de la mâchoire est maintenue. Bien des gens dorment les bras et les jambes exactement étendus ou fléchis, conservant en eux l’activité tonique.

Mais j’entre peut-être dans trop de détails, puisque je pouvais citer des exemples plus à portée. Niera-t-on qu’il ne dépend pas de nous de veiller au moyen des muscles sur les écoulements des superfluités. En effet, aux extrémités de leurs conduits sont préposés, comme des gardiens aux portes, certains muscles vigoureux qui ne laissent rien sortir avant que la volonté l’ait enjoint. Et ces muscles, nous les voyons même dans le sommeil remplir leur fonction d’une manière irréprochable. Le flux involontaire des superfluités résulte ou d’une paralysie de ces muscles, ou d’un vice de la raison comme dans la folie aiguë, ou de l’appesantissement de la raison et des muscles comme dans l’ivresse ; car il faut que la raison n’exerce pas son empire ou que les muscles ne puissent agir, ou que les deux soient lésés à la fois. Il y a donc de la témérité à prétendre que, dans le sommeil, l’âme repose, à moins que, par repos, on n’entende non pas une tranquillité complète, mais une cessation de la tension. Si c’est là ce qu’on veut dire, on a raison et nous approuvons l’explication. En effet, les gens endormis ne sont pas entièrement privés de sensation, mais ils sentent difficilement. Autrement, pourquoi entendent-ils la voix qui les appelle, se lèvent-ils quand on apporte de la lumière et sentent-ils quand on les touche ? Si vous me citez l’ivrogne qui ignore en quel lieu il peut être, l’apathique dormant plus profondément qu’Épiménide[4], je vous répondrai : Ces gens même, avant de s’endormir, touchaient à l’insensibilité, et vous feriez mieux de confier la surveillance d’un objet quelconque à un homme actif, fût-il endormi, qu’à de pareils individus éveillés. Et cependant ceux-ci même conservent un grand nombre des actes psychiques.

Chapitre v. — Que les mouvements qui s’accomplissent pendant le sommeil naturel ou morbide sont sous la dépendance de la volonté. — Distinction entre les mouvements volontaires et les mouvements involontaires. — Attaque contre ceux qui suivaient une méthode vicieuse dans la détermination de ces deux espèces de mouvements.


Elle est donc peu fondée l’opinion suivant laquelle, chez les gens endormis et plongés dans un sommeil léthargique, tous les actes sont physiques. Une pareille assertion n’est pas vraie d’une manière absolue. En effet, pourquoi transportent-ils et meuvent-ils leurs membres de toutes les façons ? Pourquoi parlent-ils endormis ? Soutiendra-t-on que ce sont aussi des actes physiques ? Mais peut-être quelqu’un dira que ces actes ne sont pas accomplis avec conscience ! En effet, ni dans le mouvement continuel des paupières, ni dans un discours, ni dans une déclamation ou une conversation, vous n’appliquez votre réflexion aux mouvements de toutes les parties, ni quand vous allez à pied du Pirée à Athènes, à tous les mouvements particuliers de vos jambes. On voit des gens plongés dans leurs réflexions arriver sans s’en douter au terme de leur route ou dépasser l’endroit où ils avaient l’intention de s’arrêter. La marche n’est-elle donc pas un acte de l’âme et ne s’accomplit-elle pas volontairement ? Il semble en effet que nous agissons sans conscience dans la marche dont il est question, et, dans le sommeil, pour les mouvements des parties qui se meuvent et pour l’activité tonique de celles qui ne se meuvent pas. Ainsi, la cause par laquelle vous expliquez que souvent les gens éveillés ne font pas attention à leurs mouvements particuliers, vous n’avez qu’à l’attribuer aux gens endormis ou plongés dans le carus, alors vous ne vous étonnerez plus comment beaucoup des actes volontaires ont lieu même chez ces gens. Mais que, dans l’ignorance de la cause, on s’empresse de déclarer qu’aucun des actes semblables n’a lieu volontairement, ne serait-ce pas téméraire ?


Si vous n’avez aucune preuve plus sûre pour juger si ce sont des actes de la volonté ou de la nature, que conclure de là, sinon qu’il ne faut rien affirmer à leur égard ? Il est juste, pour de telles questions, de rester dans l’indécision plutôt que de hasarder une opinion téméraire. Si nous avons un critérium très-éclatant des actes volontaires, comme nous le possédons, déclarons que non-seulement chacun des actes signalés, mais encore que la respiration elle-même a lieu volontairement, en tant qu’elle paraît rentrer dans la catégorie de ce critérium. Quel est donc ce critérium par lequel nous jugeons les actes volontaires ? Je veux vous donner non pas un signe, mais beaucoup de signes concordant tous les uns avec les autres. En effet, si vous pouvez à votre gré arrêter l’exécution des actes commencés et exécuter ceux qui ne sont pas commencés, c’est par l’effet de la volonté. Si, de plus, vous avez la faculté de les faire plus vite ou plus lentement, plus fréquemment ou plus rarement, est-ce qu’il n’est pas évident de toutes les façons que l’acte est subordonné à la volonté ? La volonté ne peut ni arrêter le mouvement de l’artère ou du cœur, ni l’exciter, ni le rendre plus fréquent ou plus rare, ni l’accélérer [ni le ralentir]. Aussi ne dit-on pas que de tels actes soient des actes de l’âme, mais de la nature. La raison dirige le mouvement des jambes sous tous ces rapports. En effet, elle peut arrêter le mouvement commencé, puis le reprendre quand il est interrompu, et le rendre plus vif et plus lent, plus rare et plus fréquent. Ces mêmes faits ont lieu dans le mouvement de la respiration, qui est une activité du diaphragme et des muscles du thorax, comme nous l’avons démontré dans notre livre Sur les causes de la respiration (ouvrage en grande partie perdu), laquelle vient de l’âme et non de la nature, puisque le mouvement des muscles est un acte de l’âme. Il n’est pas juste, dans les cas où les causes nous échappent, de nous écarter des faits manifestement connus. Ainsi les preuves des actes volontaires sont manifestement connues, mais nous sommes embarrassés pour expliquer la cause par laquelle nous accomplissons sans conscience les mouvements en particulier.

C’est manquer de bon sens que de ne pas ajouter foi aux choses évidentes ; c’est être téméraire que de se prononcer sans hésiter sur des choses douteuses ; pour suspecter les choses claires à cause de l’obscurité des choses douteuses, il faut être du nombre des partisans de l’indécision ; non-seulement suspecter, mais vouloir renverser la croyance aux choses évidentes à cause de l’obscurité des choses douteuses, c’est le comble de la folie. N’allons donc pas, de gaieté de cœur, tomber dans ce défaut de sens, ni dans cet amour de l’indécision, ni dans cette sottise, ni dans aucun autre travers semblable, mais, c’est le parti raisonnable et qui convient à des gens sensés, accueillons volontiers l’évidence et examinons à loisir les choses douteuses. Ainsi il est évident que la volonté gouverne la respiration ; mais il est difficile d’expliquer par quel motif nous ne suivons pas par la réflexion beaucoup des actions volontaires. Après avoir donc établi ce qui est évident, passons à la recherche de la cause, n’affirmant plus rien d’une manière absolue et ne prétendant pas avoir découvert la vraie cause, quand bien même elle serait beaucoup plus vraisemblable que ce qu’en disent ceux que je réfute. Du reste, personne, dans mon opinion, n’a trouvé la cause. Ayant seulement indiqué la méthode qu’il fallait suivre pour résoudre la difficulté, méthode que je viens d’exposer, on s’imagine avoir découvert la cause. Il faut donc accueillir ces gens, qu’ils aient trouvé la vérité ou seulement qu’ils l’aient cherchée avec zèle ; en ce qui nous concerne, il ne faut pas se décourager dans la recherche des vérités qui restent à découvrir.


Chapitre vi. — Comment on explique que certains mouvements qui s’accomplissent dans le sommeil sont des mouvements volontaires. — Théorie de la mémoire et de l’oubli. — Observation d’un homme qui extravaguait dans le délire, et qui une fois guéri perdit le souvenir de tout ce qu’il avait dit ou fait. — Si la respiration ne nous paraît pas un acte volontaire, c’est que nous ne prenons pas garde à tous les détails de cet acte. — Fait qui le prouve. — De ce qu’on ne peut pas toujours régler ou retenir ou suspendre un mouvement, il ne s’ensuit pas qu’il ne soit pas volontaire.


Pour découvrir ces vérités, nous partirons de ce principe, que bien des gens font souvent maintes choses qu’ils ont oubliées entièrement un instant après, comme sont ceux qui, par peur, par ivresse ou par quelque cause semblable, n’ont plus le moindre souvenir de ce qu’ils ont fait dans ces états. La cause de cet oubli est, selon moi, qu’ils n’ont pas appliqué toute l’attention de leur esprit à ces actions. En effet, la partie imaginative de l’âme, quelle qu’elle soit, est celle qui paraît douée de la mémoire. Si cette partie de l’âme recueille dans ses perceptions les impressions claires des objets, elle les conserve perpétuellement, et cela constitue la mémoire. Si, au contraire, elle les accueille d’une façon obscure et tout à fait superficielle, elle ne les conserve pas et cela constitue l’oubli. Aussi dans la colère, la méditation profonde, l’ivresse, la folie, la peur, et généralement dans les fortes affections de l’âme, on ne se rappelle plus tard rien de ce qu’on a fait quand on était dans ces états. Qu’y a-t-il donc d’étonnant si, dans le sommeil, l’âme agissant d’une façon obscure, les perceptions aussi sont obscures et par conséquent ne persistent pas ? Qu’y a-t-il d’étonnant, si dans l’état de veille même où l’esprit est occupé d’une méditation et tout entier, peu s’en faut, absorbé dans ses réflexions, une partie excessivement petite de cet esprit, s’occupant de la marche, reçoit une impression obscure de l’action, et en conséquence l’oubliant immédiatement, ne se souvient même plus si l’acte a été fait volontairement. En effet, de même que si nous ne gardions absolument aucun souvenir, nous ne serions capables de réfléchir sur aucun des faits passés, de même pour les actes dont nous ne gardons pas mémoire, nous ignorons quelle en était la nature ; car il faut les conserver d’abord dans sa mémoire, afin de réfléchir ensuite sur leur nature. Il ne me paraît donc aucunement étonnant que la volonté agissant sur la respiration pendant le sommeil, nous ne puissions dire, une fois éveillés, si nous respirons volontairement. Cela ressemble à ce qui a lieu chez celui qui remue les pieds et les bras et prononce des paroles dans son sommeil, et qui, l’ayant ensuite oublié, prétend que le mouvement des membres et la voix se produisent sans la volonté. Ceux qui délirent parlent aussi, marchent et exécutent tous les mouvements volontaires ; mais, quand leur accès est passé, ils ne se souviennent plus de ce qu’ils ont fait.

J’ai connu quelqu’un qui, pendant huit jours, extravagua de la façon suivante : il s’imaginait être non pas à Rome, mais à Athènes ; il appelait continuellement son esclave ordinaire et lui ordonnait d’apporter tout ce qu’il faut pour le gymnase, puis au bout d’un instant : — « Holà ! disait-il, il faut me conduire au Ptoléméum (cf. Pausanias, I, xvii, 2), je veux m’y baigner longtemps. » — Parfois même, entre deux questions, il s’élançait, et, couvert de ses vêtements, il se dirigeait droit vers la porte du vestibule. Les esclaves le retenant à l’intérieur et l’empêchant de sortir : — « Pourquoi m’arrêtez-vous, » leur demandait-il ? — Ceux-ci (car il n’y avait rien d’autre à dire que la vérité même) lui répliquaient qu’il avait eu la fièvre et qu’il l’avait encore. À ces observations, notre homme répondait avec beaucoup de convenance : — « Je sais bien, disait-il, que j’ai un reste de fièvre, mais c’est très-peu de chose, et l’on ne peut craindre qu’un bain me fasse du mal. Car toute cette fièvre vient de mon voyage. » — Se tournant alors vers son esclave : — « Ne te rappelles-tu pas quel mal nous avons eu hier en venant de Mégare à Athènes. » — Ainsi parlant et ainsi agissant, une hémorrhagie abondante du nez lui survint, puis une sueur, et il guérit très-rapidement, mais ne se souvint d’aucun de ces faits.

Que conclure de là ? Serait-ce, tel est l’objet que dès le principe nous nous proposons de démontrer, que les actions de se lever, de parler, d’aller à la selle, d’uriner (toutes ces actions, notre homme les faisait tous les jours), ne font pas partie des actes volontaires ? Ou si cette supposition est absurde (car si ces actes ne sont pas volontaires, il n’en est pas un autre dans ce cas), ne serait-ce pas qu’il avait oublié ces actions par la même raison que les gens à jeun ne se souviennent plus de ce qu’ils ont fait dans l’ivresse.

Qu’y a-t-il d’étonnant que les choses se passent ainsi à l’égard de la respiration, qu’elle ait lieu volontairement, mais que comme nous prêtons une attention tantôt plus soutenue, tantôt plus paresseuse et plus molle, il arrive en conséquence que nous nous souvenons quand notre esprit était attentif, et que nous oublions ce qui s’est passé quand il en était autrement. Et puisque pour un fait entièrement oublié, nous ne croyons même pas qu’il ait été accompli, il en résulte que nous ne nous souvenons même pas s’il a été accompli volontairement. Que tout l’acte de la respiration soit accompli par l’âme volontairement, c’est ce que prouve le fait d’un esclave étranger qui, dans un accès de colère, résolut de se donner la mort. Il se jeta par terre et retenant sa respiration, il demeura longtemps immobile, puis se roulant un peu, il expira de la sorte. — Quand bien même il ne serait pas possible de retenir toujours sa respiration, personne ne pourrait nier pour cela qu’elle n’a pas lieu volontairement. En effet, des actes volontaires, les uns paraissent complétement libres, les autres sont subordonnés aux affections du corps. Les premiers sont toujours exécutés par nous sans obstacle, les seconds non pas toujours, mais dans certains moments et avec mesure. En effet, marcher vers quelqu’un, parler, prendre quelque chose et le recevoir, sont des actes entièrement libres ; mais aller à la selle et uriner sont des actes qui apportent un soulagement aux affections du corps. C’est ainsi que des gens ont gardé le silence un an entier ou davantage par l’effet de leur volonté, mais personne ne peut retenir ses excréments ou son urine, je ne dis pas pendant des années, mais même pendant des mois ou pendant un petit nombre de jours. Souvent, en effet, les excréments pressent et tourmentent tellement, soit qu’ils alourdissent par leur poids ou irritent par leur âcreté, que certaines personnes n’ont pas le temps de se rendre à l’endroit accoutumé. L’acte de la respiration est de la même espèce, mais beaucoup plus pressant et d’une nécessité plus urgente ; car il y a danger de mort si l’on ne respire pas, et la mort par suffocation est extrêmement douloureuse. Il n’y a donc rien d’étonnant qu’il soit très-difficile de retenir sa respiration. En effet, tout le monde n’est pas disposé à mourir, fût-on même accablé par mille maux, et si l’on se décide à aller à la mort, on ne veut pas y aller par un chemin pénible. Ainsi donc de ce que nous pouvons à notre gré garder perpétuellement le silence, et de ce qu’il nous est impossible de retenir notre respiration, qu’on n’aille pas croire que la voix est un acte volontaire et la respiration un acte involontaire et naturel. Je pense avoir démontré cela bien clairement.


Chapitre vii. — La position moyenne varie suivant les membres dans les articulations, et suivant la nature des organes pour les muscles indépendants des articulations. — De l’influence de la nature et de l’habitude pour la position moyenne. — Comment on reconnaît qu’une position est exactement moyenne.


Il est convenable d’ajouter maintenant ce qui manque à tout notre discours sur les positions moyennes. Comme la position appelée angulaire et qui tient exactement le milieu entre l’extension et la flexion extrêmes, est pour les bras la plus exempte de douleur, la même chose semblerait devoir se rencontrer pour les jambes ; cependant il n’en est pas ainsi : pour ces membres, la position qui tient le milieu entre la position moyenne et l’extension extrême, est la seule à l’abri de la douleur. La cause de ce fait est l’habitude : car nous employons le plus souvent nos jambes dans l’état d’extension, puisqu’en effet elles ont été créées dans ce but, c’est-à-dire pour porter tout le corps quand nous sommes debout ou que nous marchons. Étendues dans des langes, ces jambes se sont façonnées chez les enfants avant qu’elles servissent pour l’action. Ainsi dans le sommeil et dans les différents modes de coucher, elles sont étendues plutôt que fléchies. Nous fatiguons beaucoup plus dans les flexions extrêmes que dans les extensions. La plupart des gens ne peuvent amener entièrement la jambe à l’extrême flexion sans l’aide des mains. Ce membre est, faute d’habitude, comme incapable d’accomplir une telle action. Il n’y a, pour la fléchir aisément, que les danseurs et les lutteurs, car eux seuls sont habitués à une flexion entière. Par conséquent, pour la jambe, la position entièrement exempte de douleur se rapproche autant de l’extension, en partant de la position moyenne, qu’elle y a été contrainte par la longue habitude de l’usage naturel des membres. Si donc vous considérez ces deux points dans toutes les articulations, la nature et l’habitude, vous trouverez ainsi la position moyenne et exempte de douleur.

Il semble que partout l’habitude arrive au même résultat que la nature, aussi a-t-on dit avec raison que c’était une seconde nature, et que la position moyenne et la position exempte de douleur ne font qu’une. En effet, dans les jambes la position moyenne est la même que la position sans douleur. Si vous établissez la position moyenne entre les mouvements qui existent dans les membres, et non pas la moyenne entre l’extension et la flexion parfaites, vous trouverez qu’autant nous nous écartons de l’extrême flexion, autant la position exempte de douleur se rapproche de l’extension. En général donc, pour toutes les articulations, vous trouverez la position moyenne et sans douleur en faisant attention aux mouvements extrêmes. De même, en effet, que pour l’articulation du coude, la position moyenne était la position dite angulaire, et pour celle du genou la position voisine de l’extension ; de même, la position moyenne pour le rachis est la position approchant de la flexion, et pour l’articulation du carpe, la position exactement droite. En effet, nous pouvons plus aisément rendre le rachis convexe que concave[5]. Pour l’articulation du carpe, nous la redressons et nous la fléchissons également dans les deux sens de la ligne droite. Eu égard à cette partie du membre, la position exactement droite, qui est une moyenne parfaite entre les mouvements extrêmes, est donc naturellement la plus exempte de douleur. Pour le rachis, ce n’est plus la position droite qui est la moyenne, mais la position un peu fléchie, car le mouvement inclinait naturellement en ce sens. C’est à cause de cela que debout nous fatiguons plus dans les parties du rachis que quand nous sommes assis ou couchés. En effet, quand nous sommes debout, nécessairement le rachis est étendu ; couchés ou assis, rien ne l’empêche d’être fléchi. En faisant ces remarques sur toutes les articulations, vous trouverez le système conséquent avec lui-même[6].

Quant aux muscles indépendants des articulations, chez ceux-ci même, c’est la condition moyenne qui est exempte de douleur, comme au siège, à la vessie, à la langue. En effet, le resserrement extrême de l’anus et sa dilatation excessive sont douloureux, comme aussi la tension et la flexion exagérée de la langue ou tout autre mouvement de circumduction démesurée. Pour ces muscles encore, il est donc très-facile de découvrir la moyenne entre les deux extrêmes, laquelle est également la condition exempte de douleur ; tous les individus, quand ils se reposent de leurs occupations, tiennent tous leurs membres dans la position moyenne et exempte de douleur ; la juste nature, dit Hippocrate (Cf. Util. des parties, I, xxii, t. I, p. 163 et note 1), les pousse à agir ainsi. Dans la langue, tous les muscles sont disposés par paires, en haut et en bas, à gauche et à droite, aussi n’y a-t-il rien d’étonnant que les muscles antagonistes impriment à cet organe des mouvements en sens contraire. Pour le muscle du siége, pour celui de la vessie et pour le diaphragme, chacun de ces muscles étant mince et circulaire, dépourvu de tout antagoniste (voy. Util. des parties, IV, xix), il n’est pas également facile, ni bien aisé d’expliquer d’où leur viennent des mouvements en sens contraire ; mais écoutez l’observation suivante.

Chapitre viii. — La fonction des muscles qui sont placés aux orifices par où s’échappent les excréments consiste, non à expulser, mais à retenir. De l’action du diaphragme, des muscles du thorax et de ceux de l’épigastre (muscles abdominaux, — pour Galien épigastre a un sens beaucoup plus étendu que pour les modernes) dans la défécation et l’action d’uriner. — De l’antagonisme de ces deux séries de muscles.


La fonction du muscle du siège et de celui de la vessie ne consiste pas à expulser les résidus de la nutrition, mais à les retenir. Bien des gens se sont trompés tout d’abord à cet égard, croyant que ces muscles ont été créés en vue de l’expulsion dès résidus (cf. Util. des parties, XV, v, p. 145), et ne remarquant pas que, dans leur paralysie, les résidus sont excrétés, mais involontairement. Souvent même, par suite d’une opération mal faite, il arrive que le muscle du siége étant coupé outre mesure, les excréments s’écoulent involontairement par cette issue, comme si les organes destinés à prévenir cet écoulement ne pouvaient plus l’empêcher[7]. Ce muscle n’est donc pas simplement ni primitivement un organe d’excrétion ; mais, pour que l’incommodité qui survient par l’incision ou la paralysie de ce muscle ne soit pas constante chez l’animal, la nature l’a établi comme surveillant contre la sortie intempestive des résidus ; aussi, non-seulement il n’agit nullement pour pousser à l’excrétion, mais il contre-balance l’action même des organes chargés de cette fonction.

Quels sont donc les organes de cette fonction ? Il y en a plusieurs de particuliers et qui sont de deux espèces ; car les uns sont des organes de l’âme et les autres des organes de là nature, et en conséquence les organes de l’âme agissent toujours par impulsion et les organes de la nature sans impulsion. Le diaphragme et tous les muscles abdominaux sont les organes sous la dépendance de l’âme, et toute la série des intestins, conjointement avec l’estomac, sont des organes sous la dépendance de la nature. Mais nous avons parlé ailleurs de la fonction de ces derniers organes (cf. les livres IV et V, de l’Util. des parties), maintenant nous parlerons des muscles, puisque le présent discours est consacré à l’exposition de leur mouvement. Quand tous les muscles abdominaux agissent en se contractant, ils poussent en dedans les organes de la nutrition[8] ; si le diaphragme cède, ces organes remontent dans l’endroit qu’il occupait, et épuisent ainsi l’activité des muscles ; si, au contraire, le diaphragme résiste, tout ce qui est contenu dans les cavités de ces organes est expulsé par suite de la compression qu’exercent sur eux, comme si c’étaient deux mains, à l’extérieur les muscles et à l’intérieur le diaphragme (cf. Util. des parties, V, xiv et xv ; I, p. 371-6). Ce qui aide puissamment à produire cet effet, c’est l’obliquité du diaphragme dont l’une des extrémités est adjacente en avant au cartilage du sternum, tandis que l’autre est placée en arrière vers l’origine des lombes. L’expression du résidu des intestins est opérée par l’action des muscles situés de part et d’autre, en dehors ceux de l’épigastre, en dedans le diaphragme. L’obliquité du diaphragme occasionne la descente de la matière comprimée. Pendant ce temps, le muscle du siége est oisif. Quoique les muscles abdominaux soient assez nombreux et qu’ils se contractent tous, ceux des hypochondres se contractent cependant plus fortement que ceux de la région inférieure pendant la défécation, contrairement à ce qui a lieu pendant l’émission de l’urine ; car, dans ce dernier cas, les muscles inférieurs agissent plus fortement que ceux des hypochondres. Conjointement avec ces deux ordres de muscles, les muscles intercostaux se contractent aussi, non que ce soient des organes de l’émission de l’urine ou de la défécation ; il serait de la dernière absurdité de prétendre cela ; mais ces muscles se contractent aussi, parce que la tension du diaphragme devait être égale à celle des muscles abdominaux, et qu’il était impossible que le diaphragme, qui n’est qu’un seul muscle, luttât contre des muscles grands et nombreux ; autrement il y avait danger que le diaphragme ne succombât et ne se renversât dans la cavité de la poitrine. C’est pourquoi les muscles intercostaux se contractent simultanément en le pressant de tous côtés. En effet, le thorax étant lâche, cède aisément à la pression du diaphragme, comme on peut le reconnaître en tendant les muscles épigastriques, surtout les muscles inférieurs, et en relâchant de leur tension tous ceux du thorax. Avec une disposition telle, l’estomac, à peu près tout entier, est poussé avec le diaphragme lui-même dans la cavité du thorax. Pour que cela n’ait pas lieu, et pour ne pas gêner l’acte de la défécation, tout le thorax est vigoureusement pressé de toutes parts.

Il est évident, d’après ce que nous avons dit déjà, que les muscles, placés là où doit s’accomplir l’écoulement des superfluités, sont destinés à les retenir, qu’en cela consiste leur fonction propre, et qu’ils ne peuvent les expulser, si ce n’est accidentellement, quand ils cessent d’agir. Ici, comme dans toutes les autres parties, des muscles antagonistes prendront aussi les mouvements opposés. La rétention des superfluités constitue l’action de ces muscles, et leur expulsion constitue celle des muscles de l’épigastre et du diaphragme.

Ces muscles sont analogues aux muscles antagonistes des autres parties. Pour le diaphragme, on ne saurait dire simplement quels muscles sont [directement] ses antagonistes ; car, en qualité d’organe d’expulsion des superfluités, il a, comme antagonistes, ceux d’abord qui les retiennent, et surtout, dans un autre mode d’antagonisme, ceux de l’épigastre. En qualité d’organe de la respiration, il en a dans un sens et pas du tout dans un autre. En effet, aucun muscle absolument ne préside à l’expiration ; cet acte, ou plutôt cet état passif du thorax, ressemble à l’action de tomber dont nous avons parlé plus haut (I, vii).


Chapitre ix. — Quels sont les muscles antagonistes du diaphragme. — Rôle des muscles intercostaux du diaphragme, du thorax et des muscles abdominaux dans l’insufflation et dans les autres actes de la respiration, particulièrement dans la rétention du souffle et dans l’émission de la voix. Voy. Utilit. des parties, VII, v et les notes. — États différents du diaphragme dans les mouvements par rapport à la tension et au relâchement. — Influence des corps sous-jacents sur la forme des muscles dans la tension et le relâchement.


L’exsufflation est la sortie précipitée du souffle, résultant de l’action des muscles intercostaux. Tous les muscles intérieurs des côtes président à l’exsufflation. D’une autre part, l’action du thorax ressemble à ce qui a été appelé précédemment (I, vii) décubitus pour tout le corps, et déposition[9] pour chacune des parties. L’inspiration étant le contraire de l’expiration, et l’inspiration violente (elle n’a pas de nom particulier), le contraire de l’exsufflation, le diaphragme seul produit le premier antagonisme, l’autre est produit par les muscles intercostaux et par ceux qui, des épaules et du cou, aboutissent au thorax. Le besoin de cet antagonisme est senti surtout par les joueurs de flûte ou de trompette, par les hérauts quand ils doivent prononcer [l’espèce d’édit qu’on appelle] pied (voy. le Trésor grec, voce πούς) ; et aussi par ceux qui gonflent des outres ou un autre instrument semblable, et, pour dire, en un mot, par ceux qui veulent déplacer considérablement le thorax en le dilatant ou en le contractant. Aussi soutiendrait-on, avec plus de justesse, que les muscles externes du thorax ont été disposés en antagonisme avec les muscles intercostaux internes et non avec le diaphragme, puisque la plus grande inspiration est produite par les muscles externes, et la plus grande expiration par les muscles intercostaux internes. Nous avons démontré ces questions et les suivantes relatives aux muscles du thorax, soit dans notre traité Sur les causes de la respiration, soit dans celui Sur la voix (ouvrages en grande partie perdus), soit dans celui Sur l’utilité de la respiration (voy. Dissert. sur la physiol.). Mais actuellement il faut achever ce que nous avons commencé.

Le diaphragme présente une particularité qui n’existe pas dans les autres muscles, et qui résulte de sa position et de sa forme ; quand il cesse d’agir et qu’il devient plus lâche, sa convexité s’incline tantôt vers le rachis, tantôt vers l’estomac, beaucoup plus aisément vers le rachis. Dans toutes les positions que prend l’homme, excepté seulement quand il se couche sur le ventre, le diaphragme se trouve en haut, le rachis en bas, de sorte que naturellement le diaphragme incline vers le rachis, parce qu’il est appesanti par les viscères antérieurs et qu’en arrière se trouve le plus mou et le plus léger de tous les viscères, le poumon. Parfois, cependant, sa convexité incline en avant : cela a lieu dans le décubitus sur le ventre, et quand les muscles des côtes agissent tandis que ceux de l’abdomen sont en repos. Il arrive évidemment alors que l’abdomen s’élève. C’est ce que les athlètes cherchent habituellement à obtenir après les exercices. Si les muscles du ventre agissent ainsi en même temps que les muscles intercostaux, ils produisent ce qu’on appelle la rétention du souffle ; mais il faut que, pendant ce temps, l’extrémité supérieure du larynx soit fermée. Si elle s’ouvre pendant que les susdits muscles agissent, il y a exsufflation. Si, en même temps que ces derniers, les muscles du larynx et du pharynx sont aussi tendus, cette disposition produit non plus l’exsufflation,mais la voix. Ainsi, puisqu’il existe une double tension (contraction et extension) dans tous les muscles, l’une quand ils se rétractent activement sur eux-mêmes, l’autre quand ils sont étendus par les muscles antagonistes, le diaphragme éprouve la première espèce de tension dans les inspirations non violentes ; l’autre, qui se produit de deux façons, comme il a été dit précédemment, soit par l’action des muscles de l’estomac, soit par celle des muscles intercostaux seuls, dans les expirations non violentes que nous appelons expirations par excellence, pour les distinguer des exsufflations, il n’exerce ni l’une ni l’autre[10] ; mais la situation intermédiaire entre les mouvements extrêmes (position moyenne), commune, disions-nous, à tous les autres muscles ; cette situation est prise de deux façons par le diaphragme seul, en s’inclinant vers l’estomac, dans le décubitus sur le ventre, et vers le rachis, dans les autres positions.

Les muscles des côtes et de l’abdomen sont toujours convexes et se moulent sur les organes sous-jacents. Ils sont fortement bombés dans l’état de repos ; quand ils agissent, ils se redressent et deviennent moins convexes, tandis que, pour presque tous les muscles qui meuvent les parties, le contraire a lieu. Droits dans le repos, ils deviennent convexes dans l’action. La cause de cette différence est évidente. En effet, sous ces derniers muscles s’étend la substance dure et résistante des os ; sous les premiers (muscles intercostaux et abdominaux) se trouve une surface qui cède ; il en résulte naturellement que les muscles situés sur les os, en se contractant, gagnent autant en profondeur et en largeur qu’ils perdent en longueur, ce qui fait renfler toute la masse de leur corps. Pour ceux qui reposent sur des parties molles, lesquelles cèdent sous eux quand ils se tendent vers leur principe, la plus grande partie de leur corps s’efface en s’enfonçant dans ces parties. Il n’y a donc rien d’étonnant si, tandis que presque tous les muscles des membres se courbent lorsqu’ils agissent, ceux du thorax et de l’épigastre soient les seuls qui se redressent, attendu que ceux-là seuls reposent sur des corps creux qui cèdent sous leur pression. Sans doute, lorsque l’abdomen est rempli au point d’être tendu avec douleur, les muscles ne sauraient se redresser ; car l’obstacle que les muscles des membres trouvent toujours dans la résistance des corps sous-jacents, résulte, pour ceux de l’abdomen, de la réplétion. Or, la réplétion provient soit de la saturation, de l’hydropisie ou de la grossesse. Pour ceux dont l’abdomen est vide, leurs muscles, avant d’agir, présentent des convexités identiques aux organes sous-jacents, car leur extension est conforme aux courbures de ces organes ; en agissant, ils se dressent, car ils compriment aisément les cavités sous-jacentes. De même les muscles du thorax, situés dans les intervalles des côtes, avant d’agir, ont une figure semblable à celle des côtes, convexes en dehors, concaves en dedans ; quand ils agissent, comprimant d’abord et principalement la membrane sous-jacente, dite plèvre, et par elle le poumon, organe mou et lâche, ils s’enfoncent d’autant plus que la substance des organes sous-jacents cède davantage.

Celui qui connaît ces généralités sur le mouvement des muscles, pourra trouver tous les détails.




  1. Position moyenne eu égard à la flexion et à l’extension.
  2. Voy. dans le chap. iii l’explication de ces propositions dont il n’est pas facile de se rendre compte à première vue.
  3. βραχίων signifie à la fois l’os du bras, et le bras considéré dans son ensemble (voy. t. I, p. 170), comme (πῆχυς) est à la fois le nom de l’avant-bras et celui de l’os appelé maintenant cubitus, ce qu’il est difficile d’exprimer en français.
  4. La légende rapporte qu’Épiménide vécut trois cents ans dans une caverne et qu’il y dormit cinquante ans sans se réveiller.
  5. Pour cette phrase et les suivantes j’ai suivi le manuscrit dont les leçons corrigent notablement le texte imprimé.
  6. Voy. la Dissert. sur la physiologie, pour la théorie des rapports qui existent entre la tonicité musculaire et l’attitude naturelle des membres, ou la physionomie.
  7. Le manuscrit de l’Escurial porte : comme s’il restait des organes très-considérables destinés à opérer l’excrétion.
  8. Le texte imprimé porte : les organes de la nature ; j’ai suivi le manuscrit.
  9. Κατάθεσις. Action d’un membre qui retombe et reste dans une position purement passive.
  10. Le texte de tout ce passage sur le diaphragme est corrompu aussi bien dans mon manuscrit que dans les imprimés. Pour les muscles ordinaires, il y a trois états : la contraction, l’allongement par les muscles antagonistes et la position moyenne ou relâchement ; pour le diaphragme, ces deux derniers états sont doubles, le premier cas d’allongement c’est l’allongement par l’action des muscles abdominaux et le second par celui des muscles intercostaux. — Quant à la position moyenne, le diaphragme peut être couché sur le rachis ou sur l’estomac. — Ce qui manque dans notre texte, c’est l’indication des circonstances dans lesquelles ont lieu les deux espèces d’allongement.