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Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/V/12

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Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (1856)
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (IIp. 1-47).




ŒUVRES


MÉDICALES ET PHILOSOPHIQUES


DE GALIEN.


__________________________________________________________


LIVRE DOUZIÈME[1].


du cou et du reste de l’épine.


Chapitre premier. — Après avoir traité des parties propres à la tête, Galien se propose de parler de celles qui sont communes à la tête et au cou, c’est-à-dire des articulations, des ligaments et des muscles.


Puisque nous avons traité de toutes les parties propres à la tête, il convient de parler aussi maintenant des parties qui lui sont communes avec le cou. Or, les parties communes au cou et à la tête sont celles au moyen desquelles nous fléchissons et nous relevons la tête et la tournons latéralement ; en effet, aucun de ces mouvements ne pourrait s’effectuer sans articulations, sans ligaments ni sans muscles. Mais une articulation est un assemblage d’os créé en vue d’un mouvement volontaire, et il est évident que le nombre des os unis ensemble ne saurait absolument pas être inférieur à deux, et que chacun des ligaments, comme aussi chacun des muscles, se porte de l’un ou l’autre des os sur l’autre ; d’où il résulte manifestement que toute articulation, tout ligament et tout muscle est ordonné en vue de l’union des articles entre eux, et qu’on a raison de les mettre au nombre des parties communes.


Chapitre ii. — Le muscle est l’organe principal du mouvement ; mais le ligament, dont l’utilité est secondaire, assure la régularité de ce mouvement. — Les ligaments sont assez résistants pour maintenir solidement les os, et assez souples pour permettre de fortes extensions ; la dissection prouve ce fait, connu déjà d’Hippocrate. — La nature a pris pour les articulations des dispositions si habiles qu’on n’y pourrait changer la moindre chose sans détruire en même temps tout l’ensemble. — Comparaison des œuvres de la nature avec celles des artistes. — Le ligament, le nerf et le cartilage ont des caractères distincts, et jamais la nature ne les substitue l’un à l’autre.


Il n’est donc pas possible, nous l’avons déjà souvent démontré (voy. partie. Mouv. des muscles, I, ix), qu’aucun mouvement des os ait lieu si ces os ne sont articulés et, en même temps, attachés ensemble par des muscles, puisqu’il faut absolument qu’il y ait la partie motrice et la partie mue : et que de ces parties, l’une est constituée par le muscle, et l’autre par l’assemblage des os. Le ligament n’est pas non plus sans utilité, et s’il n’est pas nécessaire pour la production même du mouvement, il sert du moins à ce que ce mouvement soit exécuté régulièrement ; c’est une question dont nous nous sommes occupés précédemment (I, xv, t. 1, p. 139), mais nous rappellerons ici le point principal de cette question, savoir, que si les os qui s’articulent n’étaient pas maintenus fortement par les ligaments, rien ne les empêcherait, à chaque mouvement, de s’écarter de leur siège en se portant de côté ou d’autre. Pour que rien de semblable n’ait lieu, la nature a entouré circulairement toute articulation osseuse de ligaments forts, il est vrai, mais qui jouissent en même temps, à un degré considérable, de la faculté de s’étendre. Sans doute on admirera cette œuvre première de la nature qui a su trouver une substance qu’elle approprie à des utilités fort différentes.

En effet, d’un côté, pour que les parties articulées fussent à la fois solidement attachées et maintenues en contact, et pour qu’elles ne pussent pas se détacher aisément les unes des autres dans les mouvements violents, il fallait que le ligament fût aussi dur et aussi résistant qu’il est possible ; d’un autre côté, pour obéir sans peine aux os tirés par les muscles, le ligament devait être mou et par conséquent faible. Or le fort est contraire au faible et le dur au mou. Quel art la nature a-t-elle donc déployé à ce sujet en imaginant un corps qui réunit suffisamment l’un et l’autre avantage et qui de plus est à l’abri des lésions ? Vous l’apprendrez par la dissection même. Vous verrez que tout ligament est, d’une part, assez dur pour attacher avec solidité et en même temps pour ne pas gêner le mouvement réciproque des os, et, d’une autre, assez souple pour n’être ni froissé ni rompu aisément. C’est une observation que vous pouvez entendre aussi de la bouche même d’Hippocrate[2] : « Tous ceux, dit-il, chez lesquels une humeur surabondante alimente les enveloppes articulaires sont exposés à voir les extrémités de leurs membres se déboîter. » Quant à ceux, au contraire, qui sont courbés par la rigidité des articulations, vous n’ignorez pas, je pense, car vous en voyez tous les jours, combien ils sont gênés dans leurs mouvements ; mais, dans l’état normal, les corps qui constituent les articulations, et particulièrement les tendons et les ligaments, ont entre eux une proportion parfaite qui donne de l’agilité au mouvement et les garantit eux-mêmes de toute lésion.

Personne ne méconnaît qu’il faille admirer sans réserve l’art dans les œuvres où la proportion est si exactement observée que la moindre addition ou le moindre retranchement suffit à bouleverser l’œuvre tout entière (cf. VIII, xix, t. I, p. 567, et XI, xiii, ib., p. 683). Des artisans vulgaires peuvent se hasarder à entreprendre une œuvre qui présente une certaine surface, mais l’œuvre d’une dimension tout à fait resserrée et sans largeur[3] exige plus qu’une habileté ordinaire ou qu’un court apprentissage. Aussi, après avoir dit que « l’art médical[4] est long à acquérir » Hippocrate (Aph., I, 1) ajoute : « l’occasion est fugitive, » car si l’occasion n’échappait pas rapidement et si elle laissait une certaine latitude, on ne dirait pas que l’art est long[5]. De même aussi, pour tout art mécanique, la juste proportion réalisée dans des limites très-étroites prouve la perfection. Et cette perfection, on peut la constater chez les animaux, non pas seulement dans les ligaments, mais aussi dans toutes les autres parties.

De ces trois corps simples que nous devons faire intervenir dans le raisonnement actuel, ligament, cartilage et nerf, le cartilage est plus dur, le nerf plus mou, le ligament tient le milieu par la consistance ; la nature se sert admirablement de chacun d’eux dans toutes les parties du corps ; jamais il ne lui arrive d’employer un nerf ou un ligament à la place d’un cartilage, ni un cartilage ou un nerf à la place d’un ligament, ni un ligament ou un cartilage à la place d’un nerf. En effet, nous avons démontré précédemment (VIII, vi ; t. I, p. 541 suiv.) que le dur n’est pas propre à la sensation, ni le mou au mouvement.

Chapitre iii. — La nature n’a pu se servir, pour mettre les articulations en mouvement, ni des cartilages, ni des nerfs, ni des ligaments seuls, attendu que ni les uns ni les autres ne réunissent les conditions réclamées pour accomplir un mouvement volontaire des membres. — Expédients dont elle s’est servie pour procurer aux membres tantôt l’attache seule, tantôt la sensation seule, tantôt le mouvement volontaire. — Comment, dans ce dernier cas, elle est parvenue à créer une substance qui participe à la fois du nerf et du ligament. — De la chair interposée entre les fibres des nerfs et des ligaments. — Comment se forment le tendon et le muscle. — Utilité de la chair musculaire. — Méthode suivie par Galien dans son exposition.


Ainsi donc, chez les animaux[6], une partie n’est pas mue seulement par des nerfs, ni par des cartilages, ni par des ligaments. En effet, le cartilage fournit aux articulations une matière grasse utile (cf. XI, xviii ; t. I, p. 700, et XVI, ii)[7] ; mais attaché seul aux organes du mouvement, il deviendrait pour eux un poids inutile, y étant suspendu comme une pierre. Le nerf est sensible en proportion de sa mollesse (cf. IX, xiv ; t. I, p. 597 suiv. et la Dissert. sur l’anat.), mais il est trop faible pour mouvoir ou transporter un membre tout entier. Le ligament qui tient le milieu entre ceux-ci est capable d’attacher solidement et de ne pas empêcher le mouvement des membres, mais il ne pouvait être lui-même organe de mouvement puisqu’il tire son origine, non pas, comme les nerfs, du principe moteur de l’animal, mais des os[8]. En effet, nous avons démontré (VIII, v et vi ; t. I, p. 538 suiv.) que rien de complétement dur ne pouvait être engendré par le mou, ni rien de complétement mou par le dur. Donc, pour ces motifs absolus, la nature n’a pu se servir des ligaments seuls pour les mouvements volontaires, attendu que les ligaments ne participent ni à la sensation ni au mouvement, puisqu’ils ne sont pas rattachés à la partie qui renferme l’âme dirigeante ; elle ne pouvait non plus se servir des nerfs seuls, car leur mollesse les rend incapables de transporter des poids aussi considérables.

En conséquence c’est avec raison que là où le membre a seulement besoin d’attache, il se trouve un ligament seul, et que là où il a seulement besoin de sensation, il se trouve un nerf seul ; mais dans les membres, au contraire, pour lesquels il est utile de jouir du mouvement volontaire, on voit les deux à la fois : le nerf qui transmet l’ordre donné par le centre pensant et fournit le principe du mouvement ; le ligament qui prête au nerf sa force pour porter les membres mis en mouvement. Il fallait donc, par leur assemblage, créer un organe de mouvement qui devait être absolument plus dur qu’un nerf et plus mou qu’un ligament, qui devait participer en conséquence à la sensation, moins que le nerf et plus que le ligament, qui enfin devait offrir une moyenne de force et de faiblesse et des autres qualités contraires qui se trouvent dans le ligament et le nerf, puisqu’il participe de la substance de l’un et de l’autre de ces corps qui le constituent sans contenir exactement ni l’une ni l’autre substance seule et sans mélange, mais qu’il est, au contraire, formé par leur combinaison[9]. Or, aucune substance ne peut s’unir intimement à une autre, si d’abord elle n’est divisée en petits fragments[10] ; aussi était-il nécessaire de découper l’une et l’autre en fibres minces, puis de les rattacher les unes aux autres pour engendrer l’organe du mouvement dont la substance tient le milieu entre les deux autres.

Mais si la nature eût fait cela seulement sans remplir les intervalles d’une substance molle, comme est par exemple le duvet du poterium épineux (espèce de bourre ; voy. VII, ii, note 1 de la p. 457), pour leur servir de base solide, il n’eût pas été possible de préserver un instant ces fibres des lésions et des ruptures. La nature, qui est toute sagesse , loin de créer cette espèce de bourre sans lui donner aucune utilité, s’en sert comme d’un abri contre le froid et la chaleur et comme d’une enveloppe très-semblable aux tissus foulés (voy. I, xiii ; t. I, p. 134) ; elle en a enveloppé circulairement les fibres mêmes, et, de plus, elle en a pourvu les artères et les veines comme d’un coussin ou d’un tapis, objet de notre admiration.

Nous vous avons dit à ce sujet, dans le premier livre de tout notre ouvrage (chap. xiii, t. I, p. 134), qu’on nomme chair (σάρξ) cette substance qui procure aux animaux les avantages susdits, et qu’elle protège à la fois contre le froid et le chaud, bien que ces deux qualités soient contraires l’une à l’autre. Nous avions déjà dit auparavant, dans le traité Sur le mouvement des muscles (I, ii), comment nerfs et ligaments se partagent en fibres, comment la simple chair se mêle à ces fibres, comment les fibres se rencontrant et s’unissant de nouveau, le tendon se trouve en conséquence constitué par celles-ci, tandis que le muscle est le résultat de l’union des fibres et de la chair.

Ainsi nous venons présentement de signaler l’utilité de la production du tendon et du muscle. Le tendon est en effet, par lui-même, le premier organe du mouvement ; de son côté, le muscle a été créé en vue de la production du tendon, et il fournit à l’animal les utilités de la chair combinée (voy. p. 6, note 1). Que l’animal tombe ou soit étendu par une autre cause, la chair musculaire devient pour lui un moelleux coussin ; contre les coups, c’est une enveloppe protectrice très-semblable aux tissus foulés ; contre les blessures, c’est un rempart ; elle réchauffe quand il fait froid, et contre la chaleur elle procure une sorte d’ombrage. En effet, quelle autre substance que cette substance charnue est dressée en avant de toutes les parties principales pour les protéger contre toute lésion ? C’est ainsi que de toutes choses la nature tire à la fois, pour l’animal, une utilité, un ornement et une protection.

Ces observations générales sur l’utilité des ligaments, des tendons et des nerfs, nous les avons données par avance dans le cours de l’ouvrage, quand nous avons précédemment exposé en détail la nature et à la fois l’utilité et le principe des nerfs (cf. particul., VIII, v, vi ; IX, xi, xiv).

Notre discours actuel a pour sujet les plus importantes de toutes les articulations (c’est-à-dire celle de la tête avec les vertèbres). C’est pourquoi personne ne nous accusera si, à ce propos, nous présentons des remarques générales. Souvent, en effet, nous avons déjà dit que nous ne traitons qu’une fois chacune des questions générales et que nous nous bornons à les rappeler dans les cas particuliers, de façon à donner à notre ouvrage le plus de brièveté possible. C’est donc ainsi que précédemment (cf. XI, v, t. I, p. 660, et Mouvement des muscles, I, ii et iii) nous avons suffisamment expliqué que certains muscles se terminent en un grand tendon, que certains autres aboutissent par leurs parties charnues aux membres qu’ils meuvent au moyen de nombreuses et petites languettes tendineuses. C’était là un enseignement sur ce qu’il y a de commun et de général ; enseignement auquel nous avons ajouté l’exposition de quelques-uns des cas particuliers.


Chapitre iv. — De l’importance de l’articulation de la tête avec le cou ; gravité des lésions de cette partie à cause du voisinage de la racine des nerfs. Ce voisinage même est la cause de la solidité de cette articulation. — Conditions de cette solidité : assemblage des os, des ligaments et des muscles. — Moyens employés par la nature pour procurer à la tête des mouvements directs d’avant en arrière et des mouvements obliques de circumduction. — Nécessité de deux articulations et de deux genres de mouvement, subdivisés chacun en deux espèces.


Revenant à l’articulation de la tête avec le cou, laquelle est le sujet de nos explications, examinons l’art que la nature a déployé à son égard. Car il convient, je pense, que, comme toutes les autres, celle-ci ait été disposée eu égard à son importance et à son mérite. Or cette articulation est si importante pour les animaux que, seule entre toutes, elle ne pourrait supporter, même pendant un très-court instant, je ne dis pas une luxation considérable, mais une inflexion quelconque (voy., plus loin, chap. x, p. 28-30). Aussitôt, en effet, l’animal perd la respiration ; il devient aphone, immobile et insensible (voy. ch. v, p. 13), attendu que la racine même des nerfs est atteinte ; car l’encéphale est le principe des nerfs, et l’âme pensante y sème comme dans un champ[11].

De l’encéphale surgit la moelle rachidienne comme un tronc qui se dresse en un grand arbre[12] ; de ce tronc, prolongé dans toute l’épine, se séparent un grand nombre de nerfs qui, semblables à des rameaux, se subdivisent en des milliers de ramuscules. C’est ainsi que tout le corps, grâce à eux, participe d’abord et principalement au mouvement, puis à la sensation (voy., plus loin, chap. x) ; mais un des livres suivants (XVI, ii et suiv.) exposera quelle est la distribution du mouvement et du sentiment.

L’articulation de la tête, comme renfermant en elle la racine de tous les nerfs qui meuvent les parties inférieures de l’animal est, avec raison[13], de toutes les articulations celle qui possède la structure la plus résistante. Cette solidité résulte et de l’épaisseur des ligaments, et du nombre des muscles, et de la précision même de l’assemblage des os. En effet, trois ligaments très-forts rattachent les os ; l’un, le plus grand, large, embrasse circulairement l’articulation (lig. capsulaire occipito-atloïdien[14]) ; des deux autres médiocrement arrondis comme des nerfs, l’un (ligaments occipito-odontoïdiens et part. le moyen ; voy. p. 16) rattache [en avant et intérieurement] l’extrémité de l’apophyse allongée (odontoïde) de la seconde vertèbre (axis) à l’os de la tête (occipital) ; l’autre (ligam. transverse ou semi-lunaire) transverse et faisant en quelque sorte [avec le précédent] un [double] angle droit, passe de la partie droite de la première vertèbre à la partie gauche. Des parties postérieures seulement, huit muscles (voy. chap. viii) se portent sur l’articulation qu’ils protégent et meuvent en même temps.

La forme des os mêmes et la précision de leur emboîtement est admirable pour qui se borne à les voir. Si, non content de les voir, vous réfléchissez à l’utilité de chacune de leurs parties, vous n’admirerez pas seulement l’art de notre Créateur, mais vous chanterez un hymne en l’honneur de sa prévoyance. En effet, comme il fallait qu’il existât deux mouvements généraux de toute la tête, l’un pour la baisser et la porter en haut et en arrière, l’autre pour lui imprimer des mouvements de circumduction latérale, il était nécessaire ou de faire l’articulation double ou de créer un mouvement droit composé de deux mouvements obliques, comme nous l’avons démontré à propos de la main, du carpe et de maintes autres parties (cf. II, vi, viii, xv, xvii ; III, viii ; XV, viii). Relativement à ces parties nous avons exposé précédemment que cette dernière disposition était la meilleure ; mais, pour ce qui regarde la tête, nous montrerons dans le présent livre que ce procédé n’était pas préférable, en rappelant à ce sujet les mouvements de certaines parties où il n’était pas opportun de produire le mouvement droit avec des mouvements obliques. Car il convient surtout parmi les œuvres de la nature, d’exposer celles où elle s’est évidemment souvenue de la similitude des utilités. En effet, comme loin de construire différemment les parties qui ont besoin d’un mouvement semblable, elle les a toujours construites d’après le même plan, il est évident qu’elle a scrupuleusement observé l’analogie et l’équité.

Quand donc est-il mieux de créer un mouvement droit composé de deux mouvements obliques ? C’est quand les mouvements obliques s’écartent peu du droit. Quand cela n’est-il pas mieux ? C’est quand il faut que le mouvement de la partie soit considérable vers chacun des côtés ; alors, en effet, il est préférable que le mouvement droit soit fort. En toute circonstance, si cela eût été possible, la nature aurait, en combinant les mouvements obliques, créé les mouvements droits, puisqu’elle veut, avec le moindre nombre d’organes, ménager à l’animal le plus grand nombre de fonctions. Mais il n’est pas possible que deux mouvements obliques, en s’écartant [fortement] du mouvement droit, rendent ce dernier fort. En conséquence, il n’était pas mieux pour la tête de tirer les mouvements droits de la combinaison avec les mouvements obliques, mais il était plus convenable d’attribuer séparément des muscles et des articulations à chacune des deux espèces (cf. Des os, chap. viii, et Man. des Dissect., IV, viii). Aussi existe-t-il une double articulation, deux genres de muscles pour les mouvements, et deux espèces dans chaque genre. Je dis qu’il y a deux genres de mouvements, les droits et les obliques, qu’il y a deux espèces dans chaque genre, l’extension et la flexion pour les droits, la circumduction à droite et la circumduction à gauche pour les obliques ; de telle sorte qu’il devait y avoir aussi quatre espèces de muscles moteurs de la tête : les uns la lèvent, les autres la baissent ; ceux-ci la tournent à droite, et ceux-là du côté opposé[15].


Chapitre v. — Exacte correspondance des apophyses de l’atlas et des condyles de l’occipital. — L’articulation occipito-atloïdienne est destinée aux mouvements latéraux. — Démonstration de la nécessité d’une double articulation pour les mouvements directs et obliques de la tête sur le tronc. — Comparaison des articulations du coude, de l’épaule et de la hanche avec celle de la tête.


Disons maintenant comment la nature a disposé admirablement toutes ces parties, en commençant par les articulations. Elle a établi sur la première vertèbre (atlas) deux cavités (apophyses articul. supér. concaves) exactement proportionnées aux éminences de la tête (condyles de l’occipital) qui existent en cette région. L’une d’elles est située à droite, l’autre à gauche, comme les apophyses de la tête elle-même (c. à d. de l’occipital). Il est donc parfaitement évident que ces cavités et ces éminences ont été disposées par la nature en vue des mouvements latéraux ; car si la nature les eût faites en vue des mouvements directs [d’avant en arrière], elle eût placé nécessairement l’une des apophyses à la partie antérieure, l’autre à la partie postérieure. Restait encore une espèce d’articulation et de mouvement (mouvements directs ; voy. chap. vi, p. 13 et vii, p. 16) que l’on ne pouvait attribuer à la première vertèbre à laquelle étaient déjà confiés les mouvements obliques de latéralité. En effet, de même que nous avons démontré (II, xv ; t. I, p. 200 suiv. ; cf. aussi II, xvii, p. 212 suiv.), à propos du cubitus et du radius, qu’il existait au coude une double articulation en vue d’une double espèce de mouvement, attendu qu’il était préférable en cet endroit que le mouvement oblique fût isolé le plus possible du mouvement droit, de même aussi les choses se présentent ici dans des conditions identiques.

En prêtant à mon discours une plus grande attention, vous comprendrez complétement ces dispositions.

Puisqu’il est mieux que les mouvements obliques soient isolés le plus possible des mouvements droits, il est nécessaire, de deux choses l’une, ou qu’il existe deux articulations, ou qu’il y en ait une suffisamment lâche et arrondie de tous les côtés. En effet, pour que l’articulation se porte facilement en tous sens, il faut que toutes les parties soient semblables de forme. Car si l’une d’elles l’emporte par la dimension exagérée des éminences ou des cavités, elle gênera ou compromettra quelqu’un des mouvements de l’un ou l’autre genre. C’est ainsi que l’articulation de l’humérus et de l’ischion a été créée exactement ronde en même temps que lâche ; et c’est pour cela que le bras et la cuisse peuvent être dirigés en tous sens par les muscles qui embrassent les articulations ; et plus encore le bras que la cuisse. En effet, le premier de ces membres est terminé par la main, le second par le pied ; celui-là est un organe de préhension, celui-ci un organe de marche, en sorte que l’un est doué particulièrement de la variété de mouvement, et l’autre de la fermeté dans la marche. En conséquence donc, non-seulement l’articulation de l’épaule a été créée plus lâche que celle de la hanche, attendu qu’elle est maintenue par des muscles plus faibles et par des ligaments plus minces ; mais encore la cavité de la première est superficielle, tandis que la cavité de l’autre est profonde. C’est pour la même raison qu’à l’articulation de l’ischion la nature a créé le ligament arrondi (ligam. rond ou inter-articul.) très-fort, lequel va s’attacher de la tête du fémur au centre de la cavité ; mais elle n’a rien fait de semblable à l’égard de l’articulation de l’épaule qu’elle disposait pour être apte à exécuter des mouvements très-variés. C’est pourquoi, de toutes les articulations, celle de l’épaule est la plus fréquemment exposée aux luxations (voy. II, xvii ; t. I, p. 210 suiv.) ; ce n’est pas que la nature ait ignoré cette conséquence, mais, et c’est une observation déjà mille fois répétée, comme la solidité de la structure est en lutte avec la variété du mouvement, elle a choisi pour chacune des articulations ce qu’il y avait de plus utile. Ainsi donc l’épaule possède la structure la plus avantageuse pour la facilité des mouvements. Mais l’articulation de la tête ne souffre pas une luxation, parce qu’elle est aussi importante que possible, et, qu’en cas de désordre, une mort instantanée atteint l’animal (cf. ch. iv, p. 9) ; autrement la nature ne l’eût pas privée de la variété de mouvement. En effet la condition n’eût pas été pire si la tête se fût portée de tous les côtés à un degré tel qu’on pût voir non-seulement à droite et à gauche, mais encore par derrière. Mais il n’était pas possible de donner au mouvement cette facilité sans une articulation lâche. La nature a donc préféré attribuer à la tête un mouvement borné, mais sûr, plutôt qu’un mouvement varié, mais sans solidité. Aussi a-t-elle créé l’articulation de la tête non pas simple ni lâche, mais à la fois double et résistante.


Chapitre vi. — La nature pouvait-elle choisir de meilleures dispositions que celles qu’elle a prises pour l’articulation de la tête avec le cou ? — Violentes attaques contre ceux qui accusent sans cesse la nature sans pouvoir imaginer rien de mieux que ce qu’elle a fait.


Vous pouvez maintenant, puisque les choses sont ainsi, et que nous avons démontré que l’articulation de la tête doit être double, examiner et rechercher s’il valait mieux pour elle avoir à la première vertèbre les mouvements obliques, comme cela est actuellement, et à la seconde les mouvements droits, ou si au contraire il était préférable que les choses fussent disposées de façon inverse, et que l’articulation de la première vertèbre fût chargée d’étendre et de fléchir la tête, et celle de la seconde vertèbre de la mouvoir obliquement.

Ici donc je voudrais qu’un de ces terribles accusateurs de la nature entrât en discussion. Interrogés fréquemment, à propos de chaque partie, s’ils peuvent imaginer quelque structure préférable, le plus souvent ils n’ont pas même la ressource de trouver quelque petite proposition acceptable ; parfois, s’ils hasardent certaines objections, ils deviennent ridicules au dernier point ; ici encore je voudrais les interroger afin qu’ils répondissent de la même façon, je le pense, au sujet du problème en question[16]. Quant à nous, en effet, nous pourrions peut-être, à cause de notre amour pour la nature, passer pour avoir négligé [la recherche d’une autre structure meilleure. Ce n’est donc pas à nous qu’il convient de s’adresser pour cette épreuve, mais à ceux qui ont déclaré à la nature une guerre implacable. Toutefois, comme nous ne saurions donner notre réponse dans cet ouvrage, chacun de nos lecteurs peut, après avoir déposé notre livre, leur demander ce qu’ils ont à dire, et apprendre d’eux à laquelle des vertèbres il valait mieux confier l’articulation de la tête et ses mouvements latéraux obliques. Pour moi, je démontrerai que la première est préférable ; et, au moyen d’arguments non pas spécieux comme ceux qu’emploient les détracteurs de la nature, mais scientifiques et pour ainsi dire mathématiques, je finirai par forcer même ceux qui lui refusent leur éloge de revenir à de meilleurs sentiments, s’ils ont non pas seulement le corps[17], mais l’âme d’un homme, et s’ils possèdent la plus petite dose d’intelligence. En effet, aucun de mes auditeurs n’est aussi insupportable pour moi que celui qui ne comprend pas mes paroles, car de ceux qui m’ont compris, je n’en connais pas un qui, éloigné de moi, accuse la nature d’inhabileté. De même donc que pour les discours qu’on tient dans les mystères, les prêtres ordonnent aux profanes de fermer les portes sur leurs oreilles[18] ; de même aussi, moi, qui initie mes semblables non pas à des rites tracés par la main de l’homme, mais aux mystères les plus vrais, j’ordonne aux personnes qui ne sont pas initiées à la méthode démonstrative de fermer les portes sur leurs oreilles ; car des ânes apprendraient plutôt à jouer de la lyre que ces hommes à comprendre la vérité de ce que j’enseigne ici. Et bien que je sache que très-peu de personnes seront attentives à mes paroles, je n’ai pas hésité, par égard pour ce petit nombre, à faire entendre même à des profanes des paroles mystérieuses. En effet mon livre ne jugera pas, ne discernera pas celui qui ne comprend pas ; il ne fuira pas l’homme indigne de le lire et ne se portera pas de soi-même dans les mains des hommes instruits[19]. Lui aussi, notre Créateur, qui connaît parfaitement [d’avance] l’ingratitude[20] de semblables hommes, ne cesse cependant pas de créer. Le soleil achève le cours des saisons et mûrit les fruits sans s’inquiéter, je pense, ni de Diagoras, ni d’Anaxagoras, ni d’Epicure, ni des autres qui blasphèment contre lui[21] (car un être bienfaisant n’a aucune espèce d’envie) ; mais il est naturellement prêt, au contraire, à protéger et à embellir toutes choses : de même nous, tout en n’ignorant pas que ce livre sera livré aux mille calomnies, aux mille insultes de gens sans intelligence et sans instruction, comme un enfant orphelin tombé aux mains d’hommes ivres, nous nous efforçons néanmoins d’écrire en vue de ces personnes si peu nombreuses, qui sont capables d’écouter avec fruit et de juger nos paroles. C’est pour elles assurément que nous parlons maintenant en reprenant la suite de notre discours.


Chapitre vii. — Galien, donnant quelque trêve aux détracteurs de la nature, revient aux articulations de la tête avec les vertèbres et aux mouvements qui en résultent. — De la seconde vertèbre, et particulièrement de l’apophyse odontoïde ; de son articulation avec l’atlas et avec l’occipital. — Admirable prévoyance de la nature dans la disposition de ces articulations, et plus spécialement de l’apophyse odontoïde.


Comme chacune des vertèbres entoure circulairement la moelle épinière qui possède cette puissance si étendue et si considérable dont nous avons souvent parlé (voy. particul. livres VIII et IX) ; il n’était pas possible de créer lâche ni l’articulation de la tête avec les premières vertèbres, ni l’articulation des vertèbres entre elles. On ne devait donc chercher là ni cavités grandes et exactement rondes, ni têtes sphériques, ni ligaments minces, ni muscles faibles, ni une seule articulation. Mais s’il faut que l’articulation soit double (or, c’est là qu’a commencé notre digression), c’est avec raison, avons-nous dit, que la nature a créé d’abord sur la première vertèbre (atlas) deux cavités (cavités des apophyses articulaires supérieures), une de chaque côté, qui embrassent les deux proéminences de la tête (condyles de l’occipital), puis sur la seconde une apophyse montante, allongée, et qui est attachée à la tête par un ligament très-robuste (ligaments odontoïdiens. — Voy. p. 9)[22]. C’est, en effet, au moyen de cette articulation que la tête devait se baisser et se lever ; c’est au contraire par son articulation avec la première vertèbre qu’elle devait se mouvoir latéralement (voy. chap. v et vi).

Devenez donc maintenant physicien et anatomiste, et, après avoir contemplé les articulations dont j’ai parlé, considérez en vous-même s’il était possible que, sans se toucher, les éminences de la tête (de l’occipital) et les cavités situées au-dessous d’elles imprimassent à la tête tout entière des mouvements de circumduction latérale. Mais si cela est impossible, et s’il fallait absolument que dans de semblables articulations l’os de la tête fût en contact avec les parties sous-jacentes, il en résulte nécessairement que c’est avec la première vertèbre que devait avoir lieu cet assemblage. Comment donc la seconde articulation, celle qui préside aux mouvements droits, sera-t-elle construite avec une solidité égale à celle que possède la première ? Comment, si ce n’est avec les dispositions actuelles, où la seconde vertèbre présente une apophyse allongée et dressée vers la tête (occipital), à laquelle elle se rattache par un ligament robuste (ligaments odontoïdiens ; voy. p. 9) avant que le contact ait lieu.

Cette apophyse est appelée pyrénoïde par les médecins modernes ; les anciens la nommaient odontoïde, et c’est ainsi qu’Hippocrate (Épid. II, ii, 24, t. V, p. 96) la désigne[23]. Son extrémité supérieure s’appuie sur la partie antérieure de la première vertèbre (c’est-à-dire sur la facette articul. de l’arc antér. de l’atlas). Mais comme elle devait en cet endroit toucher la moelle, et qu’elle l’aurait comprimée et blessée, surtout dans ses mouvements, la nature, pour éviter toute espèce de lésion, a imaginé un moyen préservateur : après avoir creusé la première vertèbre là où elle s’unit avec la seconde, elle y a fixé la dent et l’a revêtue extérieurement (c’est-à-dire, en passant derrière l’apophyse odont.) d’un fort ligament transversal (ligam. semi-lunaire) qui sert à la fois à séparer cette apophyse de la moelle et à la maintenir dans la cavité de la première vertèbre. Supprimez ce ligament par la pensée, vous ne pourrez imaginer une autre protection préférable pour la moelle. En effet, la cavité seule de la première vertèbre ne suffirait pas dans tous les mouvements à maintenir contre elle la dent sans le ligament qui l’enveloppe ; et même en admettant la réalité d’une telle supposition, on ne préserve la moelle ni de la compression, ni des contusions. Dans la réalité, le ligament intermédiaire amortit le choc de l’apophyse pyrénoïde et devient un rempart pour la moelle. Dans l’autre cas rien n’empêcherait que la moelle fût complétement écrasée si elle se heurtait incessamment à un os nu et mobile. Mais cette disposition de la dent qui naît des parties antérieures de la seconde vertèbre, et qui va s’appuyer intérieurement à la partie antérieure de la première, comment ne pas la trouver juste et la louer ? Cette région, en effet, est plus sûre que la postérieure et de cette façon[24] la moelle devait être moins incommodée. Il est donc évident par là que non-seulement il fallait que la première vertèbre fût articulée avec l’os de la tête, mais encore que la seconde le fût avec la première ; car si ces vertèbres avaient été réunies, elles se seraient gênées réciproquement dans leurs mouvements, l’une au repos, tirant toujours et arrêtant l’autre dans son action ; mais actuellement l’une et l’autre peuvent alternativement accomplir leur mouvement, tandis que l’autre demeure immobile.

Si donc il était préférable que les premières vertèbres s’articulassent l’une séparément de l’autre, la nature leur a donné assurément la forme d’articulation la plus convenable. Quelle est la forme la plus convenable ? Un fou même ne saurait, selon moi, en indiquer une autre que la forme actuelle : inférieurement, à l’opposite des cavités supérieures de la première vertèbre qui reçoivent les saillies de la tête (de l’occipital), s’en trouvent d’autres semblables (apophyses articul. infér. de l’atlas), lesquelles enveloppent les saillies de la seconde vertèbre (apophyses articul. supér. de l’axis). Grâce à ces cavités, ni l’union de la seconde vertèbre avec l’occipital [par le ligament semi-lunaire], union qui procure à la tète le mouvement d’élévation et d’abaissement, n’est gênée par la première vertèbre, bien que cette vertèbre soit placée entre la seconde et l’occipital, ni les autres mouvements de circumduction latérale exécutés par l’articulation de la première vertèbre ne rencontrent d’obstacle dans la seconde.

Peut-être ne trouve-t-on pas admirable ni qu’il existe quatre cavités [articulaires] à la première vertèbre, ni qu’elles soient ainsi réparties : deux en haut et deux en bas ? Peut-être n’admirera-t-on pas non plus qu’elles soient situées de chaque côté, les unes à droite les autres à gauche, bien que toutes ces dispositions soient utiles. Peut-être aussi dira-t-on que cette exacte proportion entre les cavités et les saillies n’est pas une œuvre d’art, et qu’elle résulte du hasard et non de la prévoyance du Créateur ; cependant si elles étaient plus grandes, elles auraient rendu l’articulation lâche et flottante, et si elles étaient moindres, ses mouvements auraient été gênés par l’étroitesse du lieu. Que l’écartement plus grand des cavités supérieures, moins grand des cavités inférieures, écartement dans les unes et les autres exactement proportionné aux saillies qu’elles reçoivent, soit aussi, si vous voulez, l’œuvre du hasard ; mais que les bords externes des cavités soient plus élevés, et à la fois tournés en dedans, tandis que les bords internes sont abaissés et présentent comme une voie d’écoulement vers la région interne, pour moi je ne puis accorder qu’une disposition si admirable soit le résultat du hasard. Il est évident que la nature, disposant avec un soin prévoyant la conformation des parties, a inventé pour les cavités une telle figure, afin que dans les mouvements un peu violents les saillies qui y pénètrent, si elles subissent une légère flexion, du moins ne s’échappent pas des cavités, et afin de consolider l’ensemble de l’articulation. Quant à l’apophyse odontoïde et à la première vertèbre qui la reçoit, comment supposer qu’elle soit l’œuvre du hasard ? Supposons-le néanmoins ; mais pour le ligament qui rattache à la tête l’extrémité de cette apophyse ascendante (ligam. odontoïdiens ; voy. p. 9), et pour celui qui à la fois fixe la dent et protége la moelle (ligam. semi-lunaire), je pense que pas une personne de bon sens ne s’imaginera que ce soit l’œuvre du hasard et non d’un artiste. Que parmi les vingt-quatre vertèbres du rachis tout entier, il n’y en ait pas une autre qui présente de semblables ligaments, et que dans celle-ci les ligaments ne se trouvent pas dans une partie autre que celle qui les réclamait, personne, je pense, ne prétendra non plus que ce soit le fait du hasard. Que dirai-je des apophyses et des trous de toutes les vertèbres ? Pour moi, ces apophyses et ces trous me paraissent être l’œuvre, non pas seulement de l’art, mais d’une prévoyance admirable ; toutefois il n’est pas temps encore d’en parler, car mon but n’est pas simplement de traiter de l’épine et des vertèbres ; je me propose de donner l’explication des mouvements de la tête. Nous avons dit qu’ils étaient effectués par les articulations de la première et de la seconde vertèbre. Ce sont donc ces mouvements seuls que je veux faire connaître, et si nous trouvons actuellement quelque preuve d’une plus grande sagesse dans la structure générale de ces vertèbres ou de toute l’épine, nous en parlerons au prochain livre.


Chapitre viii. — Galien se propose de démontrer que toutes les dispositions prises par la nature pour ce qui regarde la structure, la forme, la situation, le nombre, la force des muscles qui meuvent la tête sont les meilleures possibles. — Énumération et description succincte des muscles postérieurs qui meuvent la tête seule, ou le col en même temps que la tête. — Division de ces muscles en deux séries : petits et grands, ou intrinsèques et extrinsèques. — Énumération et brève description des muscles antérieurs. — Que la connaissance des attaches des muscles entraîne celle de leur position et de leur action, laquelle est en rapport avec la direction des fibres.


Revenons donc à notre sujet, en rappelant d’abord que les mouvements de la tête s’exécutent d’une manière si admirable par la puissance des ligaments, l’exact assemblage des articulations, la force et le nombre des muscles moteurs, qu’on ne peut imaginer quelque chose de préférable ni de plus solide, et en rappelant en outre que deux de nos propositions sont démontrées[25]. Après avoir traité des ligaments et des articulations de la tête, nous passons maintenant à la troisième et dernière, et nous indiquerons si l’art de la nature se manifeste aussi dans les muscles qui la meuvent. N’omettons rien ici de ce qui concerne leur structure : que notre discours expose la situation, la grandeur, la force de chacun d’eux, et leur nombre total ; qu’il démontre qu’ici encore on ne voit rien d’inutile, rien d’incomplet, ni qui étant absolument différent, puisse être mieux qu’actuellement. Il serait préférable de faire, en présence des phénomènes[26], la description et l’énumération, car il n’est pas de mot qui puisse représenter un phénomène aussi exactement que le toucher et la vue. Mais, puisque les objets à décrire nous manquent, bien que la difficulté de notre tâche en augmente, nous devons nous efforcer autant que possible de ne rien laisser d’obscur en commençant par un point quelconque.

Les muscles moteurs de la tête, dont le nombre est de vingt[27], et même davantage, et qui sont placés autour d’elle comme un chœur, exécutent chacun l’action qui leur est confiée. Il en existe huit aux parties antérieures, quatorze aux parties postérieures, en antagonisme direct les uns avec les autres ; deux muscles placés en outre de chaque côté, ceux-ci à droite, ceux-là à gauche, antagonistes aussi les uns des autres, tirent d’abord en avant tout le cou à eux, et avec le cou la tête tout entière. Nous avons, en effet, déjà démontré mille fois (cf. I, xix ; III, xvi ; XI, iv ; t. I, p. 155, 275 et 658 ; Mouv. des muscles, I, iv suiv.) que la nature, qui dispose équitablement toutes choses, a établi, en face de tout muscle qui exécute un mouvement, le muscle destiné à exécuter le mouvement inverse, car sans cette précaution le mouvement serait incomplet ou même entièrement aboli, attendu que chaque muscle a une action unique, c’est d’amener à lui (cf. XV, viii).

Des muscles releveurs et abaisseurs de la tête, huit petits sont disposés en arrière autour de l’articulation elle-même ; d’autres, plus grands que ceux-ci, sont étendus dans toute la longueur du cou ; par leurs premières fibres ils président aux mouvements de la tête seule, qu’ils exécutent à la première et à la seconde vertèbre ; par les suivantes ils meuvent les cinq autres vertèbres du cou. Parmi les huit petits muscles, quatre, deux de chaque côté, président au mouvement direct ; ils naissent de l’occiput un peu au-dessus de l’articulation et s’insèrent, les uns (grands droits postérieurs ou axoïdo-occipitaux), sur l’apophyse postérieure (apoph. épineuse) de la seconde vertèbre, et les autres (petits droits postérieurs, ou atloïdo-occipitaux), sur la partie avoisinante de la première[28]. Des quatre autres, deux naissent comme le précédent de l’occiput, s’écartent obliquement en dehors et s’insèrent sur les apophyses obliques (apoph. transverses) de la première vertèbre (petits obliques ou obliques supér., ou atloïdo-sous-mastoïdiens), et opèrent le mouvement oblique de toute la tête. Les deux autres, qui rattachent la première vertèbre à la seconde (grands obliques ou obliques infér., ou axoïdo-atloïdiens, qui vont de l’apophyse épineuse de l’axis à l’apoph. transv. de l’atlas), ont une situation oblique opposée à celle des deux muscles précédents (c’est-à-dire qu’ils marchent de dehors en dedans), et exécutent le mouvement inverse. En effet, ceux-là fléchissent la tête de côté en même temps qu’ils ramènent la seconde vertèbre vers la première ; ceux-ci remettent la tête inclinée dans sa position naturelle, c’est-à-dire dans la position droite. Leur situation est telle que les deux paires de muscles dont nous venons de parler (petits et grands obliques) inscrivent un triangle de chaque côté.

Quant aux trois paires de grands muscles, qu’on peut compter aussi pour quatre paires ou pour deux, à cause de l’intrication de ces muscles, intrication que j’ai indiquée dans le Manuel des dissections[29] (IV, vi), ils exécutent le même mouvement que les muscles qu’on appelle rachidiens et dont je parlerai un peu plus loin (chap. xii). Par leurs fibres premières, qui s’insèrent sur la première et la seconde vertèbre, ils meuvent la tête seule, et par les autres ils meuvent les cinq autres vertèbres du cou et avec elle la tête. Tous les muscles énumérés portent donc la tête en arrière, et parmi eux les muscles obliques exécutent insensiblement les mouvements obliques.

Parmi les muscles antérieurs, ceux qui sont situés sous l’œsophage (petits droits antér., grands droits antér. ou petits et grands trachélo-sous-occipitaux ; longs du cou ou prédorso-atloïdiens réunis ici. Voy. Dissert. précitée) ne font qu’abaisser la tête par leurs premières fibres, lesquelles s’insèrent sur la première et la deuxième vertèbre, tandis qu’ils la portent obliquement par leurs fibres obliques qui présentent la délimitation propre aux petits muscles (voy. De la dissection des muscles, éd. de Dietz, p. 24, et la Dissert. précitée). Au moyen des autres, ils fléchissent le cou et forcent en même temps la tête tout entière à se baisser.

Pour les six autres muscles, ce n’est pas comme ceux-ci la flexion droite mais l’oblique qu’ils exécutent insensiblement, en même temps qu’ils portent la tête en avant. En effet, nés derrière les oreilles (apophyses mastoïdes), ces muscles se portent en avant au sternum et à la clavicule (sterno-cléido-mastoïdiens, voy. Dissert. sur l’anat.), unis les uns aux autres, en sorte qu’on ne se tromperait pas en désignant comme triple[30] chacun de ces muscles uniques. Nous avons disserté sur tous les muscles, non-seulement dans le Manuel des dissections (liv. IV et V ; voy. particulièrement pour les muscles du cou, IV, vi et suiv.), mais encore dans un autre ouvrage (Dissection des muscles. voy., pour les muscles dont il s’agit, chap. xi, p. 18-19, édit. de Dietz). Or, ces traités, comme nous l’avons dit dans le principe[31], doivent être d’abord familiers à celui qui veut écouter avec fruit ce que nous disons ici[32].

Quatre autres muscles forts et grands, disposés deux de chaque côté à droite et à gauche, meuvent le cou obliquement par une légère flexion. En effet, la paire antérieure incline un peu en avant et l’autre paire en arrière. La paire antérieure naît de l’apophyse trouée (transverse) de la seconde vertèbre[33], et l’autre de l’apophyse latérale (transverse) de la première.

Maintenant le nombre des muscles vous apparaît clairement ainsi que leur grandeur, leur position et le mode de leur mouvement. Personne n’est assez ignorant en calcul pour ne pas savoir qu’il existe vingt muscles et davantage ; nous avons dit ailleurs (c’est-à-dire, un peu plus haut) que parmi eux les uns sont plus grands, les autres moins grands ; or il ne faut que posséder un peu d’intelligence pour comprendre que c’est une conséquence nécessaire de ce qui a été exposé ; car il n’est pas possible que le muscle qui, [partant de la tête], va s’insérer sur la clavicule et sur le sternum soit petit, comme il ne l’est pas non plus que les muscles attachés en arrière sur l’articulation même [de l’occipital avec les vertèbres] soient grands. C’est ainsi que la connaissance de l’origine et de la terminaison de ces muscles éclaire complétement sur leur position aussi bien que sur leur action, attendu que cette action dépend de la direction des fibres, comme nous l’avons dit mille fois (voy. Dissert. sur la physiol.). Nous avons dit aussi (VI, viii ; t. I, p. 400 suiv. ; cf. aussi p. 401, note 2) que tous les muscles en général ont leurs fibres tendues dans le sens de leur longueur, et qu’il est rare de trouver des fibres transversales ou obliques si l’on considère les fibres tendues dans la longueur du muscle entier. Si donc, en parlant de la disposition du muscle, nous ne disons rien de celle des fibres, il faut penser qu’elles sont disposées comme le sont habituellement toutes les autres. Par conséquent il ne nous reste plus rien à ajouter sur la structure des muscles ; nous avons développé suffisamment tout ce qui concerne leur nombre, leur position, leur grandeur et leur mouvement.

Chapitre ix. — Que la nature, pour concilier la solidité de l’articulation de la tête et des premières vertèbres avec la variété des mouvements, a recours aux meilleurs expédients. — Raisons de la différence de grandeur des muscles qui mettent la tête en mouvement. — Fidèle à ses principes, la nature a multiplié ici les organes en vue d’une seule action, à cause de l’importance de cette action, de la force des mouvements et de la grandeur de la partie ; car chacun des os de la tête, et à plus forte raison la tête tout entière, surpasse de beaucoup le volume de chaque vertèbre prise à part. — Conséquences qui en résultent pour la répartition des muscles eu égard aux deux premières vertèbres.


Montrons maintenant, et c’est pour cela que nous avons donné toutes ces explications précédentes, que l’on ne saurait imaginer une autre structure meilleure des muscles moteurs de la tête. En effet, s’il fallait que l’articulation fût très-solide, et si, en même temps, il était désirable qu’elle eût des mouvements aussi étendus que possible et dirigés en tous sens, comme ces deux conditions, nous l’avons démontré, sont incompatibles, la solidité ne permettant que des mouvements peu nombreux et bornés, tandis que la facilité et la variété des mouvements exigent une articulation lâche, nous devons d’abord louer la nature qui a choisi ce qu’il y a de plus nécessaire ; et en outre, comme loin de négliger complètement l’autre avantage, elle a trouvé une compensation dans une multitude d’expédients, c’est notre admiration qui est due à cette œuvre, et non pas simplement notre éloge. La solidité résulte donc pour les articulations de la tête des dispositions que nous avons signalées. Quant à l’inconvénient qui pour les mouvements dérive nécessairement de l’état des choses, elle l’a corrigé par le nombre, la dimension et la variété de la disposition des muscles. Que ces muscles soient nombreux et grands, cela est évident pour tous, et que leur disposition soit variée, cela ressort clairement de ce qu’ils forment une espèce de couronne qui embrasse toute la [base de la] tête. Aussi, aucun mouvement ne fait défaut à la tête ; car de quelque côté que vous vouliez la tourner, vous le pouvez aisément quand le muscle correspondant à ces parties entre en action. J’arrive enfin à démontrer que c’est avec raison que la tête possède des muscles de grandeur très-différente.

Les muscles postérieurs (grands et petits droits), chargés de relever la tête sont les plus petits de tous, comme étant les seuls qui embrassent exactement l’articulation ; car l’avantage que les autres muscles environnants tirent de leur grandeur, résulte pour ceux-ci de leur position favorable. Une seule autre paire de muscles a une position également favorable, et opère en même temps le mouvement d’antagonisme : c’est la première partie (droits antérieurs) des muscles situés sous l’œsophage. De même en effet que les muscles postérieurs qui embrassent l’articulation relèvent seulement la tête, de même la première portion de ces muscles est destinée à la baisser. Pour la dernière partie de ces muscles (longs du cou), elle descend jusqu’à la cinquième vertèbre du thorax, imprimant une flexion directe à toutes les vertèbres sur lesquelles elle se déroule et avec celles-ci à la tête tout entière. Comme parmi les huit petits muscles postérieurs (droits et obliques), ceux qui inclinent la tête obliquement exécutent la flexion droite quand ils agissent par paires, et la flexion oblique quand l’un d’eux agit seul, qu’il en est de même des muscles plus grands qui se déroulent et s’étendent [en arrière] le long du cou, et qu’il était, en conséquence, nécessaire de disposer en antagonisme avec ceux-ci certains muscles antérieurs pour exécuter la flexion oblique, il a été créé six muscles (sterno-cléido-mastoidiens. Voy. chap. viii, p. 23), lesquels aboutissent à la clavicule et au sternum, et sont capables à la fois de fléchir la tête et de la porter en avant par un mouvement de circumduction. Il en est de même des quatre muscles (scalènes et angulaires. Voy. chap. viii, p. 24, l. 4 et note 1), qui fléchissent le cou de côté ; si un seul agit, le cou incline tout entier vers lui ; mais si la paire antérieure agit d’ensemble, le cou penche un peu en avant, sans incliner aucunement de côté, de même que par l’action de la paire postérieure le cou se relève un peu sans incliner de côté ni d’autre, tandis que, par l’action simultanée des quatre muscles, il demeure constamment dans un équilibre parfait.

Il paraît bien ici encore que la nature ne s’est pas départie de ce principe déjà mille fois démontré, et qui consiste à disposer un grand nombre d’organes en vue d’une seule action, soit à cause de la violence du mouvement, soit parce que cette action est pour l’animal d’une utilité considérable. Or, est-il nécessaire de le dire ? le mouvement de la tête est des plus importants pour les animaux. Que la grandeur de la partie réclame l’action de muscles robustes, cela n’est pas non plus moins évident. Cette disposition est particulière à la tête et n’existe, à vrai dire, pour aucun autre des os articulés ; nulle part, en effet, on ne saurait voir un os en surpasser un autre [avec lequel il est en connexion] autant que celui de la tête surpasse les premières vertèbres.

Ainsi vous ne direz pas qu’il a le double, le triple de grandeur, ni même qu’il est quatre ou cinq fois plus volumineux ; et pourtant, au cas où il en serait ainsi, il les surpasserait déjà, je pense, de beaucoup. Mais telle n’est pas la réalité : chacun des os de la tête est bien plus considérable que l’une ou l’autre vertèbre ; cependant ces os sont au nombre de seize[34], non compris la mâchoire inférieure ; de sorte qu’en l’y comprenant (or, il est juste de le faire, puisque c’est une partie de la tête entière), on ne saurait calculer combien de fois l’ensemble des os de la tête surpasse le volume de l’une ou l’autre des premières vertèbres. Il n’était donc pas possible que le plus grand os articulé avec les plus petits eût tous ses muscles insérés à l’une et à l’autre de ces vertèbres ; il fallait, au contraire, de toute nécessité, que tous étant attachés à la tête, tous ne s’insérassent pas sur les premières vertèbres[35], mais ceux-là seuls qui le pouvaient. Or cela était possible, je pense, aux muscles qui impriment à la tête des mouvements exactement droits, ou quelqu’un des mouvements légèrement obliques. C’est donc avec raison que tous les muscles moteurs de la tête ne s’insèrent pas sur les premières vertèbres, et que les petits muscles seuls s’insèrent en arrière, tandis que la nature a fixé en avant, [le long du cou], la première portion des muscles situés sous l’œsophage (droits antérieurs), et sur les côtés les petits muscles (petits droits et petits obliques) qui rattachent la première vertèbre à la tête (c’est-à-dire, à l’occipital).

Chapitre x. — Les vertèbres ne pouvaient pas être plus volumineuses qu’elles ne sont. — Disposition particulière des muscles rachidiens. — La nature a fait servir le rachis à plusieurs fins. — Raisons de la multiplicité des vertèbres. — Que le degré de résistance aux lésions détermine le nombre des os pour chaque partie.


Je me persuade donc qu’aucun de ceux qui se rappellent combien de parties devaient nécessairement être situées au cou ne soutiendra que les premières vertèbres dussent être créées plus grandes qu’elles ne sont actuellement. En effet, elles auraient à elles seules envahi tout l’espace, en sorte qu’elles n’auraient laissé de place ni à l’œsophage, ni au larynx, ni à la trachée-artère. Toutes nombreuses qu’elles sont, et je les ai toutes énumérées précédemment (à propos des organes de l’alimentation, de la respirat. et de la voix), ces parties occupent la place qui convient nécessairement à chacune et qui ne saurait être transportée ailleurs. Il était impossible, non-seulement pour cette raison, mais encore pour d’autres motifs importants et nombreux, de créer plus grandes les premières vertèbres. Je vais vous exposer chacun de ces motifs. Quand nous les aurons expliqués tous, et que nous aurons fait connaître la nature et l’utilité de toute l’épine, qui seule a encore besoin d’explication, on verra très-clairement que cette partie a été elle aussi admirablement disposée par la nature. Il faut encore remarquer que les muscles de l’épine ont leurs fibres obliques, bien qu’ils soient étendus directement en ligne droite et sans déviation dans sa longueur, disposition rarement prise par la nature et seulement en vue d’une utilité toute spéciale. Ordinairement, en effet, dans chacun des muscles les fibres sont très-longues, et dans chacun d’eux les fibres sont disposées suivant la longueur. Nous devons en conséquence reprendre notre raisonnement à partir de ce point.

La nature créant chez les animaux l’épine comme une carène du corps (cf. p. 32) nécessaire à la vie (c’est par elle, en effet, que nous, hommes, pouvons marcher debout, et que chacun des autres animaux marche de la manière la plus convenable pour lui, ainsi que nous l’avons démontré dans le IIIe livre, — chap. ii ; t. I, p. 223-4, cf. aussi VII, xxii, p. 522, et Hoffm., p. 283), la nature, dis-je, n’a pas voulu que l’épine fût utile à cela seulement ; {{ancre|renvp29b}mais, selon sa coutume constante de travailler en artiste habile et de faire servir à d’autres utilités la structure d’une seule partie, elle a ici encore commencé par creuser intérieurement toutes les vertèbres afin de ménager un canal convenable à la portion de l’encéphale (moelle) qui devait descendre par cette voie ; de plus, elle n’a pas fait de toutes les vertèbres un seul os, simple, et non composé de diverses pièces assemblées. Cela pourtant était préférable pour la solidité de son assiette ; car le rachis ne pouvait alors subir ni luxation, ni torsion, ni autre affection semblable, sans la variété actuelle de ses articulations. Si la nature n’avait en vue que la résistance aux lésions, et si, dans la construction de chacun des organes, elle ne recherchait d’abord un autre avantage plus précieux, elle se fût bornée à faire l’épine simple et absolument d’une seule pièce ; car pour faire un animal en pierre ou en bois on ne s’y prendrait pas autrement. Dans ce cas, en effet, un seul os, soutien solide, étendu dans toute la longueur de l’épine, eût été préférable à cette foule de petits os divisés en articulations. Il est bien mieux aussi, je pense, que les membres soient ainsi faits chez les animaux taillés dans le bois ou dans la pierre. Le corps tout entier de semblables statues, s’il est taillé dans une seule pierre, est bien plus à l’abri des lésions que s’il eût été composé de plusieurs pièces. Quant à l’animal destiné à se servir de ses membres, à marcher avec ses pieds, à saisir avec ses mains, à baisser ou à relever le dos, il n’était pas préférable qu’il n’eût qu’un os aux pieds, aux mains, ni à l’épine tout entière ; mais comme il devait exécuter des mouvements nombreux et variés, mieux valait qu’il fût construit comme il l’est, qu’inhabile à se mouvoir. Une partie quelconque vient-elle à être privée de mouvement, elle paraît ne différer en rien de la pierre, et de cette façon l’animal n’est plus animal. En conséquence, si le mouvement est inhérent à la substance de l’animal, et si ce mouvement ne pouvait avoir lieu sans articulation, il était mieux que le squelette fût composé de parties nombreuses.

Considérez maintenant la limite assignée au nombre de ces os ; si la jambe a besoin de parties nombreuses, elle n’en a pas besoin pour cela d’un millier ; mais la nature a un second but qui sert à déterminer pour chaque partie le nombre d’os qui convient à cette partie. Ce but est la résistance de tout l’organe aux lésions. Pour vous, si vous examinez tour à tour et isolément chacun des buts, quand vous réfléchirez que toutes les parties de l’animal doivent se mouvoir en divers sens, vous accuserez la nature qui a donné un si grand os à la cuisse et un si grand os au bras ; d’un autre côté, quand vous aurez en vue seulement la solidité, vous penserez que l’épine ne devait avoir qu’un seul os et non pas, comme elle en a en réalité, plus de vingt. Mais la nature ne considère pas les deux buts séparément ; toujours elle les a tous deux présents : pour le degré d’estime [que mérite la partie], la fonction est la première, la solidité est la seconde ; pour la persistance de l’état de santé, la solidité est au premier rang ; au second est la fonction. Si vous voulez regarder les choses en vous plaçant à ce point de vue, j’espère démontrer actuellement, à propos des vertèbres de l’épine, comme je l’ai précédemment démontré au sujet des mains et des jambes (II, viii suiv., xvii ; XII, vi), qu’on ne saurait imaginer une combinaison plus exacte et plus équitable à la fois des exigences de la fonction et de la résistance aux lésions.


Chapitre xi. — Nécessité de l’existence de la moelle : elle ne pouvait occuper une autre place que celle qui lui a été assignée. — En conséquence, l’épine a quatre utilités premières et une utilité conséquente. — Particularités anatomiques que ces utilités ont entraînées.


Il est donc inutile de démontrer plus longuement que si toute l’épine se composait d’un os unique, l’animal serait, quant à cette partie, privé de mouvement, étant comme traversé par une broche ou percé d’outre en outre par un pieu. Cela même ne nous eût pas échappé, je pense, si nous eussions été à la place de Prométhée {cf. X, iii ; t. I, p. 616). Mais ce que ni vous, ni moi, ni tout autre encore nous n’eussions pas deviné, ce que Prométhée pourtant a bien compris, je vais vous le dire tout à l’heure (chap. xii) en expliquant pourquoi les vertèbres de l’épine, loin de n’être que deux, trois, quatre ou en nombre très-restreint, sont aussi nombreuses et articulées d’une façon aussi variée qu’on les voit effectivement. Je montrerai en effet que leur nombre présente la mesure la plus parfaite, que toutes les apophyses, que l’assemblage des articulations, que les symphyses, les ligaments et les trous ont été admirablement disposés en vue de la fonction et en même temps de la résistance aux lésions, et que si vous y faites le moindre changement, soit en retranchant quelque chose par la pensée, soit en supposant quelque addition étrangère, vous verrez aussitôt ou la fonction s’altérer ou la partie devenir faible. Mais je dois commencer l’explication par la partie la plus importante de toutes les parties de l’épine, par celle que nous nommons moelle épinière.

On ne saurait prétendre, en effet, que la moelle ne devrait pas exister, ni qu’il serait préférable qu’elle fût placée ailleurs que dans l’épine, ni qu’étant placée dans l’épine elle fût plus à l’abri des lésions qu’elle ne l’est actuellement ; car si la moelle n’existait absolument pas, il en résulterait de deux choses l’une : ou toutes les parties de l’animal placées au-dessous de la tête seraient complétement privées de mouvement, ou bien il faudrait absolument que de l’encéphale un nerf descendît à chacune d’elles en particulier[36]. Mais, si elles eussent été dénuées de mouvement, on verrait se réaliser ce que nous disions tout à l’heure (chap. x, p. 29, l. 14) ; l’animal ne serait plus un animal, ce serait, pour ainsi dire, une œuvre de pierre ou de boue. D’un autre côté, amener de l’encéphale à chacune des parties un nerf excessivement grêle, serait le fait d’un créateur peu soucieux de leur sécurité. Il y aurait danger à faire venir de loin, je ne dis pas un nerf mince, susceptible d’être rompu et brisé, mais même tout autre organe volumineux, ligament, artère ou veine. Il en est de ces organes comme de la moelle : du principe qui est propre à chacun, il naît comme un grand tronc qui s’échappe de la terre[37] ; à mesure qu’il avance et s’approche des divers membres, ce tronc engendre des ramifications qui desservent toutes les parties et qui dérivent du principe même; aussi était-il préférable que la moelle sortant du cerveau, semblable à un fleuve qui s’échappe de sa source, envoyât toujours à chacune des parties qu’elle rencontre sur son passage un nerf, canal par où arrivent à la fois la sensation et le mouvement. Or c’est ainsi que les choses se passent manifestement ; car toujours, sur chacune des parties voisines, vient s’insérer le nerf issu de la portion adjacente de la moelle. Nous avons traité précédemment ce sujet ; et personne, je pense, n’est assez dénué de sens pour ne pas comprendre que le mouvement arrive avec bien plus de sécurité en partant du principe raisonnable pour se distribuer à toutes les parties inférieures par le canal de la moelle, que s’il venait directement de l’encéphale à chacune des parties par un nerf mince.

Examinons maintenant une conséquence de ce fait : puisque la moelle épinière est pour les parties inférieures de la tête comme un second encéphale (cf. p. 41) et qu’elle devait être protégée, comme l’encéphale, par une enveloppe dure et résistante ; puisqu’il fallait créer cette enveloppe et l’établir en quelque endroit, ne valait-il pas mieux tailler et creuser de part en part entièrement cette espèce de carène située en arrière du corps de l’animal et composée tout entière d’os, de manière à ce qu’elle fût pour la moelle un canal et une protection sure ? Or, voici les quatre utilités de l’épine : la première est de servir comme de siège et de fondement aux organes nécessaires à la vie ; la seconde, d’être comme le chemin de la moelle ; la troisième de la garantir efficacement ; la quatrième, de procurer aux animaux le mouvement du dos. Une cinquième utilité s’ajoute en surplus à celles-ci, c’est la protection des viscères situés en avant sur l’épine ; mais cette utilité devait être une conséquence nécessaire des quatre autres. Quant aux buts en vue desquels la nature a construit l’ensemble de l’épine, ce sont les quatre que nous venons d’indiquer ; elle a même attribué à chacun d’eux un caractère propre. En effet, comme carène et siège de tout l’animal (cf. pp. 28 et 59), elle a été composée d’os, et d’os durs ; comme canal de la moelle, elle a été creusée ; comme rempart de cette moelle, elle a été munie de nombreux ouvrages de défense disposés circulairement et dont je parlerai un peu plus loin (chap. xv, p. 41) ; comme organe de mouvement, car je me hâte de revenir à mon sujet, elle a été composée de plusieurs os unis par des articulations.

Chapitre xii. — Pourquoi la colonne vertébrale est-elle composée d’un grand nombre d’os, et non pas seulement de deux ou trois, et pourquoi ces os doivent-ils être petits ? Ces dispositions sont exigées d’abord pour la sûreté de la moelle qui devait résider dans l’épine ; à leur tour elles entraînent une structure particulière des muscles du rachis, structure qui permet à la fois les mouvements partiels et les mouvements généraux, les mouvements obliques et les droits.


Pourquoi, au lieu d’être formée de deux ou trois os longs comme l’humérus et le cubitus au bras, comme le tibia et le fémur à la jambe, l’épine a-t-elle chez l’homme vingt-quatre os (voy. Dissert. sur l’anat.), sans compter l’os large placé à son extrémité (sacrum) et un plus grand nombre chez les autres animaux ? C’est ce que je vais indiquer, et je montrerai ici encore l’habileté de la nature en ramenant sous trois chefs tout le raisonnement : le premier, qui m’est, à ce point de mon exposition, particulièrement nécessaire, c’est que les vertèbres devaient absolument être nombreuses et petites ; le second, c’est que l’épine comprend quatre parties considérables : le cou, le dos, les lombes et l’os appelé os sacré par les uns, os large par les autres ; le troisième, c’est que dans le cou il devait y avoir sept vertèbres, dans le dos douze, dans les lombes cinq, et que l’os sacré devait préférablement être composé de quatre os.

Quant au premier chef, dont j’ai surtout besoin actuellement, savoir, que l’épine doit être composée d’os nombreux et très-petits, nous l’avons clairement démontré quand nous avons signalé (chap. iv, p. 8) la nature de la moelle et les accidents qui surviennent chez l’animal quand des vertèbres sont sorties de leur place. En effet, la nature de la moelle est analogue à celle de l’encéphale, et les symptômes que présente l’animal atteint de lésions de la moelle sont semblables à ceux qu’on voit dans les affections de l’encéphale : c’est-à-dire qu’il y a lésion du mouvement et de la sensibilité dans toutes les parties placées sous la vertèbre affectée. Personne n’ignore ces faits-là ; mais la remarque suivante d’Hippocrate[38] : « Si plusieurs vertèbres à la suite les unes des autres éprouvent une torsion, le cas est moins grave , mais il est mortel si une vertèbre s’écarte seule de l’arrangement symétrique général[39]. » Cette remarque, dis-je, n’est certes pas également connue de tous, et c’est précisément celle-là même dont nous avons le plus besoin pour l’objet que nous nous proposons actuellement. Ainsi donc Hippocrate lui-même (Articul., § 47, p. 202), voulant nous renseigner sur la cause de l’accident, professe que si plusieurs vertèbres sont déviées à la fois, chacune n’ayant subi qu’un léger déplacement, alors la torsion de la moelle s’opère suivant une courbe et non angulairement ; mais si, ajoute-t-il (§ 46, p. 196), une vertèbre s’écarte isolément des vertèbres voisines, la moelle souffrira, ayant subi une inflexion à courbe très-limitée ; et la vertèbre déplacée la comprimerait si même elle ne la rompait. » Si donc l’état des choses est tel, si la moelle ne peut éprouver une flexion considérable et brusque, il n’était pas possible que l’épine fût mise sans danger en mouvement par des articulations à la fois grandes, lâches et ayant un écartement considérable ; mais il était mieux que le tout se composât d’os nombreux et petits, chacun d’eux n’ayant qu’une action bornée. De cette façon, en effet, la flexion ayant lieu non pas angulairement, mais avec une courbe à grand diamètre, la moelle échappe au danger d’être comprimée, écrasée, rompue.

Nous avons démontré clairement qu’il était mieux que l’épine se composât d’os nombreux ayant des mouvements petits, et c’est là, disions-nous (cf. p. 33) le chef que nous avons le plus besoin d’établir actuellement. Mais ajournons la démonstration des deux autres chefs, car j’ai hâte d’arriver à l’exposition des muscles de l’épine, exposition qui nécessitait tous ces raisonnements utiles en eux-mêmes et servant de plus à expliquer la structure de ces muscles. En effet, s’il a été démontré que les vertèbres de l’épine devaient être nombreuses, il est raisonnable que chacune d’elles ait un mouvement propre. Mais si deux muscles (m. spinaux postér.) prolongés de la tête jusqu’à l’os large (sacrum) avaient de longues fibres étendues dans la longueur, il ne serait pas possible que chacune des vertèbres eût un mouvement propre, car toutes seraient tirées également (Cf chap. x, p. 28, l. 17 et XIII, ii). Dans la réalité, comme il existe des fibres obliques à chacune des vertèbres, il est possible qu’une partie de l’épine, tantôt celle-ci, tantôt celle-là, se fléchisse obliquement, s’abaisse et se relève. Dans notre faculté de la mouvoir partiellement réside aussi [secondairement] celle de la mouvoir tout entière, ou de mettre en jeu toutes les fibres à la fois ; mais de la structure qui permettrait [primitivement] le mouvement de l’épine tout entière, ne résulterait pas la faculté de la mouvoir partiellement. En effet, par la tension des fibres musculaires suivant la longueur de l’épine, nous n’aurions pas de peine à la mouvoir tout entière, mais nous ne pourrions mouvoir en particulier chacune des vertèbres. La structure capable d’effectuer les deux mouvements était donc préférable à celle qui n’en pouvait effectuer qu’un seul. Si deux autres mouvements viennent encore s’ajouter par surcroît, en raison d’une semblable structure, comment ne serait-elle pas de beaucoup supérieure à l’autre ? Or ils s’y ajoutent effectivement ; car nous jouissons des flexions latérales des vertèbres de côté et d’autre en vertu de l’action partielle de chacune des fibres, tandis qu’[avec une disposition contraire] nous aurions seulement la faculté de les baisser et de les relever. Nous avons donc eu raison de dire précédemment (chap. viii, p. 22) que ces muscles communs à toute l’épine, au moyen de leurs parties supérieures qui s’attachent à la tête, mettent en jeu les articulations des premières vertèbres de l’épine. Il n’était pas possible, en effet, de réunir immédiatement des fibres droites sur les premières vertèbres seules, puisqu’elles doivent jusqu’à la fin conserver le même rang dans leur position ; il ne devait, au contraire, rien résulter de mauvais de la disposition actuelle, la tête devant tenir de ces fibres le mouvement droit et de plus deux autres mouvements latéraux. Telle est la cause de la disposition des fibres dans les muscles de l’épine.


Chapitre xiii. — Que les vertèbres devaient prendre un volume de plus en plus grand au fur et à mesure qu’elles s’éloignent de la tête.


Arrivons aux autres détails qui concernent les vertèbres en exposant dans l’ordre convenable chacun des points dont nous avons toujours différé l’explication (p. 33). Le premier, si je ne me trompe, avait trait à la petitesse des vertèbres articulées avec la tête. Nous avons enseigné précédemment (chap. x, p. 28) que la nécessité d’établir en cette région des organes très-nombreux ne permettait pas de créer grandes les premières vertèbres. Relativement au système de toutes les autres vertèbres sous-jacentes, il était mieux que les vertèbres supérieures fussent toujours de dimension moindre ; cela, je pense, est évident si le corps porté doit être plus petit que le corps qui porte. C’est pourquoi de tous les os de l’épine la nature a créé le plus grand, celui qui est placé à son extrémité (sacrum), et l’a établi comme base sous toutes les vertèbres. Le second pour la grandeur est la vertèbre qui s’emboîte avec lui, laquelle est la vingt-quatrième en comptant de la première, et la cinquième dans l’ordre des vertèbres lombaires. A leur tour, celles-ci, placées aussi sous les autres, sont naturellement les plus grandes, et parmi elles la plus volumineuse est la cinquième, comme nous venons de le dire. Chacune des autres est d’autant plus petite que la cinquième qu’elle en est plus éloignée par sa position ; et des cinq vertèbres lombaires la plus petite est la première ; plus petite que celle-ci est la dernière des vertèbres dorsales, qui s’emboîte avec elle ; celle qui la précède est plus petite encore, et cette décroissance continue toujours jusqu’à la tête même, si ce n’est que parfois il s’en rencontre par intervalles une plus grande que les vertèbres voisines, et cela non sans une grande utilité, comme nous le démontrerons en avançant dans notre exposition (Cf chap. xv et XIII, ii). Telle est la cause de la petitesse des premières vertèbres.


Chapitre xiv. — Des différences que présente le trou vertébral dans la série des vertèbres ; ces différences tiennent aux différences mêmes du volume de la moelle aux divers points de sa hauteur.


Pourquoi ces vertèbres n’ont-elles pas les autres apophyses que possèdent les suivantes ? Pourquoi, de toutes les vertèbres, ont-elles le corps le plus mince et le canal intérieur le plus large (trous vertébraux dont la succession constitue le canal rachidien) ? Ce sont des dispositions dont nous allons indiquer l’utilité. La nature ne fait jamais rien en vain ; si l’on n’est pas encore convaincu de la vérité de cette proposition, tout ce que j’ai dit jusqu’à présent est inutile[40] ; mais, bien que je ne pense pas que personne soit encore dans le doute à cet égard, je suppose néanmoins qu’on n’est pas un physicien consommé et qu’on ignore encore quelques-unes des œuvres de la nature. Que celui donc qui se trouve dans ces conditions se hâte d’aborder les questions non encore résolues.

Et d’abord qu’on apprenne le but commun du canal qui se trouve dans toutes les vertèbres ; puis, que de cette loi commune on déduise, même sans explication de notre part, la règle particulière aux vertèbres du cou. Car celui qui aura appris que la nature emploie la cavité de l’épine à contenir le volume de la moelle n’aura pas de peine à se rendre compte de la différence de chacune des vertèbres. En effet, la nature, comme nous l’avons dit précédemment (chap. x et xi), n’ayant pas eu un autre but en excavant ainsi les vertèbres que de ménager une voie sûre à la moelle, il faut certainement que le diamètre intérieur du trou vertébral ait une dimension égale au volume de la moelle. Or ce volume n’est pas le même dans chacune des vertèbres ; il est plus considérable dans les premières ; c’est donc avec raison que la capacité de ces vertèbres est plus grande que celle des autres. Si donc il était juste que ces vertèbres fussent créées larges à cause de l’épaisseur de la moelle en cette région, et légères parce qu’elles pèsent sur toutes les autres, il était, par cela même, évidemment nécessaire qu’elles fussent minces. Comment, en effet, se trouveraient-elles légères si elles avaient été faites à la fois larges et épaisses ? C’est donc en vue de cette utilité que les premières vertèbres ont à la fois une cavité large et un corps peu volumineux.


Chapitre xv. — Pourquoi le volume de la moelle est inégal aux divers points de sa hauteur, et pourquoi elle est plus grosse à certaines parties, et surtout à sa partie supérieure, qu’à l’inférieure. — De la protection que la moelle trouve dans la structure du rachis et en particulier des apophyses épineuses, ainsi que du ligament surépineux qui les unit. — Des avantages de l’incurvation de l’épine en forme de voûte, et de l’inégalité de longueur des apophyses épineuses.


Pourquoi la nature a-t-elle attribué à la moelle cette inégalité même de volume, et pourquoi va-t-elle s’amincissant de plus en plus dans les parties inférieures ? car ici encore, ayant en vue une mesure équitable, elle a donné à la moelle, dans chacune des vertèbres, la dimension exigée. Ce sont là des questions que l’on peut, sans notre aide, résoudre à l’instant.

Ajoutons-y cependant notre opinion, après avoir rappelé l’utilité de la moelle. En considérant le but pour lequel elle a été créée, il était mieux qu’elle eût dans chacune des vertèbres la dimension qu’elle a effectivement. Nous avons dit (chap. xi, p. 31) qu’elle avait été créée pour distribuer les nerfs destinés, chez l’animal, à mouvoir toutes les parties situées au-dessous de la tête.

Aussi devons-nous admirer la nature de ce qu’elle a tiré de l’encéphale une moelle assez abondante pour suffire à toutes les parties inférieures. Or, on la voit se partager tout entière en ramifications de nerfs, comme un tronc d’arbre en nombreux rameaux (cf. chap. iv). Si l’animal n’eût pas été conformé avec art, et si la nature n’eût pas eu le but que nous indiquons, en attribuant à la moelle son épaisseur, on aurait dû trouver, ou que la moelle ne se prolongeait pas dans toute la longueur de l’épine, ou qu’elle présentait quelque chose de superflu après s’être distribuée dans toutes les parties. En effet, si elle fût sortie de l’encéphale moindre que ne l’exigeait l’utilité des parties, on trouverait alors l’extrémité du rachis vide de moelle ; et, conséquemment aussi, les parties inférieures seraient complétement privées de mouvement et de sensibilité. Si elle eût été créée trop forte, il y aurait, à l’extrémité de l’épine, une portion oisive et inutile, comme une eau stagnante[41]. Si donc ni l’un ni l’autre de ces défauts ne se rencontre dans aucune espèce d’animaux, et si toujours la moelle finit avec l’épine, comme elle a commencé avec elle, comment ne serait-on pas persuadé de la vérité de mes paroles, et comment, en même temps, n’admirerait-on pas la nature ? Pour moi, quand je vois cette moelle, destinée chez l’homme à se partager en cinquante-huit nerfs[42], sortir de l’encéphale assez forte pour suffire exactement à cette distribution, et n’ayant rien de défectueux ni de superflu, je ne puis égaler mon admiration a son mérite. Si vous considérez l’endroit où chacun des nerfs se détache d’abord de la moelle, la grandeur de ce nerf, la partie vers laquelle il se dirige, vous louerez, non pas seulement l’art, mais l’équité de la nature. En effet, les endroits d’où les nerfs dérivent sont tellement protégés, que le tronc ne peut être ni écrasé, ni comprimé, ni rompu, ni même lésé par les mouvements si nombreux et si considérables de l’épine ; de plus le volume de chacun d’eux est tel que l’exige la partie même qui le reçoit. Toute la route que suif le nerf, entre son point d’émergence et sa terminaison ultime, est admirablement disposée pour sa sûreté. Mais nous traiterons de toutes ces questions dans le livre suivant. Je veux seulement exposer ce qui reste à dire de l’épine, qui est le sujet du présent livre, en reprenant au point dont m’a éloigné une digression.

La moelle devant être un second encéphale (cf. chap. xi, p. 32, l. 13) pour toutes les parties qui sont placées au-dessous de la tête, et le rachis ayant été disposé pour elle à la fois comme une voie convenable et comme une protection sûre, la nature a, dans ce but, imaginé, pour les vertèbres, un grand nombre d’autres dispositions admirables, et, de plus, elle a engendré, du centre des parties postérieures, ce qu’on nomme l’épine (série des apoph. épineuses), projetant de tout le rachis cette épine, véritable rempart (cf. p. 32), qui doit d’abord subir les compressions, les contusions, les lésions de toutes sortes, avant que le mal atteigne quelqu’une des vertèbres (cf. XII, ii, iv et viii). Jusqu’aux extrémités postérieures (extrémité libre), chaque apophyse épineuse est un os : là elle se recouvre d’une couche épaisse, cartilagineuse. En effet, nous avons démontré précédemment (VII, xxi et XI, xii ; t. I, p. 515, 680) que la substance cartilagineuse est très-propre à recouvrir et à défendre les organes sous-jacents, attendu qu’elle ne peut être ni brisée, ni rompue comme les corps durs, ni coupée et écrasée comme le sont les corps mous et charnus.

D’un autre côté, elle a inséré sur ce cartilage des ligaments nerveux, larges, forts et épais (ligam. surépineux et ligam. cervical), pour protéger et relier toute l’épine, d’où il résulte que toutes les apophyses, bien qu’assez éloignées les unes des autres, constituent, pour ainsi dire, un seul corps. Ce ligament, qui fait en quelque sorte un seul corps de toutes les apophyses épineuses, permet en même temps aux vertèbres des mouvements variés. En effet, le ligament est assez résistant pour être aisément tendu par la flexion du rachis, et assez extensible pour n’être pas rompu, ni même lésé par sa tension. Mais supposez-le un peu plus dur qu’il n’est, il s’opposera aux mouvements, il retiendra les vertèbres dans leur siége primitif, étant incapable de les suivre dans leur écartement ; supposez-le trop mou, s’il ne gêne pas leurs mouvements, il ne contribuera pas à conserver aux vertèbres la sécurité qu’elles trouvent dans leur assemblage. Dans l’état actuel, la mesure de la consistance de ce ligament s’accorde parfaitement avec les deux utilités. De même encore le ligament qui rattache les parties antérieures des vertèbres est doué de la juste consistance qui convient à ces parties. Je reviendrai un peu plus loin sur ces questions (voy. chap. xvi, p. 46, et la note 2 de cette page).

L’épine du rachis, outre les attributs qui lui ont été donnés, disions-nous, pour sa sécurité, présente encore, pour chacune des apophyses épineuses, une configuration en parfaite harmonie avec ces dispositions, puisque ces apophyses se dirigent, les supérieures de haut en bas, les inférieures de bas en haut[43] ; de sorte que l’épine ressemble, pour la forme, à ces constructions nommées voûtes. Nous avons dit souvent (cf. III, viii ; IV, vii ; VIII, xi ; t. I, p. 242, 259-60, 288, 560) que c’est, de toutes les figures, celle qui est le moins exposée aux lésions. Il ne faut donc plus s’étonner si, dans une seule vertèbre (la dixième vert. dorsalecf. XIII, ii, p. 49, et la Dissert. sur l’anat.), placée au centre du rachis [comme une clef de voûte], l’apophyse postérieure, qui forme l’épine, n’incline en aucun sens, ni vers le cou, ni vers les lombes, mais, dans sa projection en arrière, reste parfaitement droite. Cette disposition est le fait de la même prévoyance. Comment, en effet, pouvait-elle créer tout le rachis semblable à une voûte, à moins, c’est là mon avis, d’abord, de diriger en haut toutes les apophyses [épineuses] des parties inférieures, et en bas, les apophyses des parties supérieures, et ensuite, de les rattacher à une espèce de borne commune sans inclinaison, droite, et qui devait être comme le couronnement de la voûte.

De plus, la grandeur de chacune des apophyses qui, disions-nous, constituent l’épine, est inégale dans toutes les vertèbres, et cela, par une admirable prévoyance de la nature (cf. XIII, ii). En effet, ni, dans les régions où quelque autre partie importante se trouvait en rapport de situation avec la moelle, il n’était raisonnable de ne pas tenir compte de la grandeur de ces apophyses, ni, dans celles où la moelle était seule, il n’était juste de les créer allongées : aussi de petites vertèbres il ne fallait pas engendrer une longue épine, ni de grandes vertèbres en engendrer une courte. La nature a donc eu raison, dans les parties du thorax où se développe le cœur et où la grande artère (aorte) est située sur le rachis, de créer très-longues les apophyses qui forment l’épine, et de les créer très-courtes dans toutes les autres parties[44] : or les autres parties du rachis sont les lombes, l’os sacré et le cou. Les lombes et le cou se trouvent aux deux extrémités des vertèbres thoraciques ; l’os sacré est le plus grand et le plus inférieur : la nature, disions-nous (chap. xiii) l’a établi comme une base sous la série des vertèbres. Aux lombes, le volume des vertèbres est remarquable ; la veine cave et la grande artère (aorte) reposent intérieurement sur elles. Dans l’os sacré, le volume du corps est plus considérable, mais il ne supporte aucun organe important[45]. C’est donc avec raison qu’après les apophyses des vertèbres thoraciques, ce sont les apophyses postérieures des vertèbres lombaires qui ont été créées les plus grandes. Les vertèbres du cou, étant les plus minces, n’auraient pu avoir d’apophyses à la fois longues[46] et solides : en effet, vu leur ténuité, elles se seraient aisément brisées. Nous étions donc en droit de dire, tout à l’heure, que c’était en raison du volume des vertèbres et de la différence des organes situés dans la région du rachis, que la nature avait créé inégales les apophyses épineuses.


Chapitre xvi. — Des diverses régions du rachis, et du nombre des vertèbres à chacune de ces régions. — Utilité des apophyses transverses. — Pourquoi ces apophyses varient-elles de volume et de forme aux diverses régions du rachis. — Mode de connexion des vertèbres ; conséquences qui en résultent eu égard à l’étendue et à la variété des mouvements du rachis.


Nous ne serons donc plus embarrassé d’expliquer pourquoi les douze vertèbres dorsales n’ont pas toutes leurs apophyses égales. Car, bien que toutes ces vertèbres appartiennent essentiellement au thorax , celles de la partie inférieure, et qui avoisinent le diaphragme, ne sont pas proches du cœur, mais en sont assez éloignées, comme les vertèbres lombaires. Nous ne laisserons pas ignorer non plus pourquoi nous avons dit (chap. xii, p. 33) qu’il existait quatre grandes régions dans le rachis entier. Le thorax, en effet, étant situé au centre, et ayant à ses deux extrémités, en haut le col, en bas les lombes, et toutes ces parties ayant l’os large pour commun support (cf. chap. xiii), il en résulte nécessairement que le rachis tout entier est constitué par quatre grandes parties.

Pourquoi l’une est-elle composée de sept vertèbres, l’autre de douze, celle-ci de cinq, celle-là de quatre ? Car je me suis encore engagé (p. 33) à expliquer l’utilité de ces choses. Vous le saurez plus tard (XIV, vi et vii), quand d’abord j’aurai achevé tout le raisonnement actuel. Pourquoi existe-t-il, en tout, neuf apophyses dans les vertèbres lombaires, onze dans les vertèbres cervicales, cinq dans les plus basses, sept dans les deux premières, comme aussi sept dans toutes les vertèbres du thorax[47] ? Cette explication doit faire suite à ce que nous avons dit. De même donc que, pour chacune des vertèbres, l’apophyse postérieure qui forme l’épine, présente, nous l’avons démontré (chap. xv, p. 41), l’utilité d’un rempart, de même aussi il existe sur ces mêmes vertèbres deux autres apophyses obliques (apoph. transversescf. XIII, ii, p. 50, l. 5-6), qui offrent aux parties latérales de ces vertèbres une protection analogue, en même temps qu’elles sont établies comme un siége pour les muscles internes et externes du rachis ; car ils s’appuient sur toutes ces apophyses avec les artères, les nerfs et les veines portés sur eux et par eux. Elles présentent une troisième utilité dans les vertèbres thoraciques, pour l’articulation des côtes, utilité très-nécessaire à l’acte de la respiration, mais nous avons traité à part[48] et en détail de cette utilité. Les extrémités des susdites apophyses sont tournées, comme celles de toute l’épine, vers le centre du rachis[49], toutes les vertèbres ayant, je pense, leur inclinaison vers cette région, pour le motif que nous signalions plus haut (chap. xv, p. 42).

Pourquoi les apophyses latérales (transverses) sont-elles épaisses au thorax, minces aux vertèbres lombaires et à l’os sacré, épaisses et bifides[50] dans celles du cou ? Cela ne tient-il pas à cette circonstance, que les côtes, non-seulement s’articulent sur les apophyses [transverses] du thorax, mais encore s’y appuient entièrement, de sorte qu’il était raisonnable que ces apophyses fussent créées fermes et solides, tandis que les apophyses des lombes et de l’os sacré, ne supportant que des vaisseaux et des muscles, n’avaient aucun besoin d’une force superflue ? Pour les apophyses du cou, elles sont avec raison bifides et épaisses ; et de leurs extrémités, l’une, la plus grande, est tournée en bas, dans le même sens que les autres, l’autre, la plus petite, est tournée en haut[51]. Ce sont les seules vertèbres qui présentent cette disposition additionnelle, parce qu’elles ont l’apophyse postérieure la plus petite de toutes, comme nous l’avons dit plus haut (chap. xv, p. 43), bien que cette partie de la moelle ait la plus grande puissance. En effet, nous avons démontré (chap. iv et x, p. 8-9 et 29) que ses premières parties sont plus importantes que les autres. La nature a donc créé les apophyses transversales de ces vertèbres à la fois épaisses et bifides, afin que le défaut de sécurité résultant, pour les vertèbres de cette région, de la brièveté de l’épine, fût compensé par les apophyses transverses. Jusqu’ici, l’équité apparaît avec évidence dans la structure de toutes les parties du rachis.

Maintenant il faut prêter une attention plus soutenue à ce que nous allons dire sur toutes les autres apophyses, et de plus aussi sur les articulations qu’elles présentent. Comme les vertèbres doivent, pour constituer le rachis, en faire comme un seul corps résistant et ferme (cf. chap. xv, p. 41), et en même temps facile à mouvoir, il est juste d’abord d’admirer la nature qui, par des expédients si ingénieux, a créé le rachis apte aux deux utilités, bien qu’elles réclament des conditions contraires. En effet, toutes les vertèbres, excepté les deux premières, attachées solidement les unes aux autres par leurs parties antérieures et articulées en arrière, tirent de l’assemblage harmonique qu’elles présentent à la région antérieure, la stabilité dans la forme qu’elles prennent en arrière, sans que leurs mouvements rencontrent d’obstacles, attendu qu’elles ne sont pas soudées entre elles, et qu’en arrière elles sont séparées par des articulations considérables. C’est donc ce qui nous permet de nous courber beaucoup en avant, mais point du tout en arrière. En effet, vous briserez, si vous y mettez de la violence, le ligament antérieur qui réunit et rattache[52] si exactement chaque vertèbre aux deux autres, qu’on les croirait naturellement soudées, ligament qui se relâche légèrement dans le retrait du rachis. Il n’était pas possible, en effet, que ce ligament fût à la fois fort et considérablement extensible, bien que la nature, autant qu’il était en elle, lui ait admirablement ménagé cet avantage en le créant muqueux ; telle est l’épithète que lui donne Hippocrate[53]. Mais dans la suite nous parlerons en détail de la substance de ce ligament (cf. p. 71). Quant au rachis, comme il n’était pas bon qu’il se fléchît également en avant et en arrière (car, de cette façon, il eût été complétement privé de solidité et de stabilité), la nature a dû choisir le plus utile des deux mouvements ; or, vous pouvez ici observer que pour toutes les fonctions de la vie, il était mieux que le rachis se fléchît en avant, ce qui, du reste, était beaucoup moins dangereux pour les vaisseaux situés en avant, c’est-à-dire pour la grande artère (aorte) et pour la veine cave. En effet, ces vaisseaux eussent été rompus par la tension et la rétraction considérable qu’eût entraînées pour eux l’entière flexion du rachis en arrière. Comme les vertèbres devaient donc être en avant attachées étroitement les unes aux autres, c’est avec raison que les articulations ont été établies en arrière.

Je termine ici ce livre. Il reste encore beaucoup de questions à traiter pour l’explication du rachis tout entier : comme toutes ne peuvent être embrassées dans ce livre, car il arriverait à une longueur démesurée, et que d’ailleurs ces questions ne se prêtent pas à une division convenable, qui aurait permis d’exposer les unes dans ce livre, et de rejeter les autres au livre suivant, il me paraît préférable de réserver pour le prochain livre tous les problèmes qui n’ont pas été résolus dans celui-ci.


  1. Pour ce livre et pour les suivants j’ai minutieusement collationné notre manuscrit 2154, que je désigne par le sigle B. Ce manuscrit, qui est du xive siècle, sur papier bombycin, provient d’un très-bon original, mais il a été copié par un scribe inhabile ; il offre un assez grand nombre d’excellentes leçons dont j’ai fait profiter ma traduction. Il présente vers la fin des lacunes nombreuses et assez étendues. Pour le XIVe livre j’ai trouvé aussi de précieux secours dans la collation du très-ancien manuscrit 2253 (sigle A), manuscrit qui a fourni à M. Littré et à moi tant de restitutions inespérées pour Hippocrate. Malheureusement il contient seulement les livres X, XIV, et les premières lignes du livre XV. Du reste, dans le premier volume, j’avais déjà mis à contribution ces deux manuscrits, ainsi qu’on peut le voir par mes notes ; mais je n’en avais pas fait une collation intégrale comme pour le présent volume. — Toutes les fois que les leçons de ces deux manuscrits s’écartent notablement de celles du texte imprimé, j’ai soin de l’indiquer dans les notes ; mais pour toutes les divergences qui ne changent pas absolument le sens, j’ai toujours suivi, et sans en avertir à chaque fois, les leçons des manuscrits, lorsqu’elles m’ont paru préférables à celles des éditions. — Les autres manuscrits de la Bibliothèque impériale qui contiennent le traité De l’utilité des parties, ou sont très-récents et très-fautifs, ou ont été copiés sur le manuscrit B, ainsi que je m’en suis assuré ; je n’ai donc pas cru devoir les collationner en détail.
  2. Galien rapporte ici le sens des paroles d’Hippocrate (Articul., 8, t. IV, p. 94, éd. de M. Littré ; p. 661 de mon édit.), mais il ne cite pas textuellement ces paroles. En voici la traduction : « Les ligaments se prêtent aux extensions chez les uns, et y résistent chez les autres… On voit, en effet, un bon nombre d’hommes tellement humides, qu’ils se luxent les articulations à volonté et sans douleur, et qu’ils se les réduisent également sans douleur. » — Voy. aussi Aph, VI, 59.
  3. C’est-à-dire celle où le moindre écart est impossible.
  4. Le texte vulg. porte αὐτὴν ἰατρικὴν μακράν, mais le manuscrit B et la trad. lat. ajoutent τεχνήν après ἰατρ.
  5. Galien (Comm. V, in Epid. vi, § 1, t. XVIIb, p. 226) dit : « Il faut, dans tout ce qui produit la santé, considérer ce qu’on doit mettre au premier, au second, ou au troisième rang… Or, il nous paraît mieux de dire que la nature guérit les maladies ; il est bon d’ajouter que la médecine et le médecin les guérissent aussi ; il est vrai encore que la phlébotomie et que l’écoulement de sang qui en résulte sont les serviteurs du médecin… Parmi les objets fabriqués et dont on se sert en vue de la santé, les uns sont la matière des moyens de secours, les autres des instruments pour ceux qui secourent ; ils deviennent moyens de secours quand le médecin s’en sert en temps opportun et comme il convient. Qui est la cause du secours efficace dans le traitement des maladies ? Évidemment l’homme qui trouve [et saisit] l’occasion d’agir. Or, quelle personne les Grecs appellent-ils trouveur de l’occasion ? Il est manifeste pour tous que c’est le médecin qui est appelé ainsi. »
  6. Τοῖς ζώοις manque dans les textes imprimés ; B, qui donne ces deux mots, omet en même temps, mais à tort, μόνων après νεύρων.
  7. Ce n’est pas du cartilage lui-même, mais de la membrane synoviale et des franges vasculaires qui flottent au pourtour du cartilage, que découle cette humeur grasse dont parle Galien.
  8. Voy. pour cette question la Dissertation sur l’anatomie de Galien.
  9. Je n’ai pas besoin de dire que tout ce raisonnement, si bien suivi, porte à faux, et qu’ici, comme en tant d’autres circonstances, la nature n’a pas droit à notre admiration pour les raisons que Galien imagine : les parties molles des articulations ne sont pas un mélange de nerfs et de ligaments ; la substance fibreuse (ligaments ou tendons) n’est qu’un instrument passif et mécanique ; c’est la fibre musculaire qui est l’instrument actif quand elle est sollicitée à entrer en contraction par l’influx nerveux, lequel constitue la vraie puissance dynamique avec ou sans la participation de la volonté.
  10. Cette idée, reprise sous une autre forme par les modernes, domine la chimie, la physiologie et la thérapeutique.
  11. Le texte vulgaire porte : καὶ τὰ πάθη εἰς αὐτὸν φέρει οἷον εἰς ἄρουράν τινα τῆς λογιστικῆς ψυχῆς. Mais la vraie leçon (et il est facile d’expliquer par la paléographie comment celle que je viens de reproduire s’y est substituée) est donnée par B et confirmée par Théophile (De corpor. hum. fabr., V, iii, p. 189, éd. Greenhill). La voici : κατασπαρείσης εἰς αὑτὸν οἷον εἰς ἄρ., κ. τ. λ. Ce passage avait fort embarrassé Hoffmann. Voy. dans son Appendice les Variantes du XIIe livre.
  12. Ici encore je suis en partie les leçons du manuscrit B.
  13. Εὐλόγως. Ce mot manque dans les éditions.
  14. C’est là une disposition qu’on retrouve spécialement chez les quadrupèdes, et qui est en rapport avec la station horizontale propre à tous ces animaux ; chez l’homme au contraire, qui porte naturellement la tête droite, les ligaments occipito-atloïdiens antérieurs (la couche profonde qui passe derrière l’atlas est à peine distincte), et les latéraux ne forment pas un cylindre continu ; les intervalles sont remplis par du tissu cellulaire et par du tissu adipeux.
  15. Toute cette théorie des mouvements de la tête sur la colonne vertébrale est fondée sur des hypothèses et non sur les faits. D’abord ce sont des mouvements de flexion et d’extension qui se produisent entre la tête et l’atlas, et non des mouvements latéraux ; en second lieu ces mouvements sont très-limités, et ceux qui ont une certaine étendue appartiennent à toute la région cervicale. — En second lieu, ce sont des mouvements de rotation et non des mouvements d’arrière en avant, ou vice versa, qui se passent dans l’articulation de l’atlas avec l’axis. Voy. du reste la note 1 de la p. 22.
  16. Dans les textes imprimés ou manuscrits la construction de cette phrase est fort embarrassée ; j’ai dû pour la traduction, rompre l’enchevêtrement des divers membres de la proposition.
  17. Il y a : le visage humain ; du reste le texte de cette phrase est très-altéré dans ce manuscrit.
  18. Ὣσπερ οὖν τοῖς ὠσὶν ἐπιθέσθαι θύρας τοὺς βεβήλους κελεύουσιν ἐν τοῖς μυστικοῖς λόγοις. — Hoffmann regarde, mais à tort, ce texte comme altéré ; il est en tout conforme au passage suivant d’Orphée que Galien avait certainement dans la mémoire :

    Φθέγξομαι οἷς θέμις ἐστί, θύρας δ᾽ἐπίθεσθε βεβήλοι
    Πάντες ὁμῶς·…

    et à beaucoup d’autres rapportés par Lobeck (Aglaophamus, t. I, p. 438 suiv., et particulièrement p. 450 suiv.). Ajoutez que le passage de Galien vient à son tour confirmer les leçons adoptées par Lobeck pour Orphée, contrairement à l’opinion de Gesner partagée par Hermann dans son édition des Poëmes orphéiques, p. 447 et 448.

  19. Le manuscrit B et les imprimés donnent un texte tout différent : Οὐ γὰρ διακρινεῖ γε τὸ βιβλίον, οὐδὲ διαγνώσεται τῶν σκαιῶν οὐδεὶς, καὶ εἰ διαδράσεται (etsi percurrerit ! interpr.), ταῖς χερσὶ δὲ ἑαυτὸφέρον ἐνθήσει τῶν πεπαιδευμένων, vulg. Οὐ γὰρ δεῖ κρίνει (δὴ κρινει ?) γε τὸ βιβλίον, οὐδὲ διαγνώσεται τὸν ἀναγνωσόμενον, οὐδὲ τὸν μὲν σκαιὸν διαδρ., ταῖς χερσὶ αὐτὸ (lis. δὲ ἑαυτὸ) ἐνθέσει (sic) τῶν πεπαιδ. B. Si je ne me trompe, l’économie même de la phrase et la suite du raisonnement donnent raison à B. Galien, avec sa modestie habituelle, se compare au Créateur qui crée sans s’occuper s’il y aura des méchants et des bons. Lui aussi, Galien, s’est décidé à écrire son livre, bien qu’il sache que ce livre ne distinguera pas les ignorants des savants ; mais il a certainement l’assurance que l’ouvrage, s’il arrive entre les mains des savants, ne s’en échappera plus, et sera apprécié comme il le mérite.
  20. Ἀχαριστίαν vulg. ; ἀχρηστίαν, inutilité, B. Il est difficile de dire quelle est la vraie leçon.
  21. On sait qu’Épicure niait la Providence, et dans le précédent volume on a pu lire les attaques violentes ou ironiques que Galien ne cesse de faire contre sa doctrine. Diagoras, comme nous l’apprennent Diogène de Laërte (VI, ii, 59), Cicéron (De nat. Deor., I, i, 2 et passim), et plusieurs autres auteurs, se vantait d’être athée. Quant à Anaxagoras, qui reconnaissait un esprit créateur (Diogène de Laërte, II, iii, 1), il y a évidemment ici une faute dans le texte, comme le font remarquer J. Alexandrinus et Hoffmann ('Var. lect. du XIIe livre, § 1186) ; il faut lire sans doute Protagoras, attendu que ce philosophe faisait aussi profession d’athéisme (cf. par ex. Diog. IX, viii, et Cicéron, lib. laud.)
  22. Le texte imprimé a subi ici quelque altération, et les traductions latines, comme l’avait déjà remarqué Daleschamps, ont un contre-sens anatomique : « Secundi autem (vertebri) utrinque unam esse apophysin acclivem ac prælongam. » Une transposition opérée dans ce membre de phrase et l’addition d’un δέ que donne B, mais à une mauvaise place, rendent le texte parfaitement correct et conforme à la nature même des choses. Ces corrections sont d’ailleurs justifiées par Théophile, abréviateur de Galien (V, iv, p. 190, éd. Greenhill). La correction proposée par Costaeus et rapportée par Hoffmann (Variantes du XIIe livre, § 1186), rétablit à peu près le sens, mais non pas l’équilibre de la phrase.
  23. Voy. la Dissertation sur les termes anatomiques.
  24. Οὕτως B. Ce mot manque dans les éditions.
  25. C’est-à-dire la nécessité de deux articulations disposées d’une certaine façon, et de ligaments à la fois résistants et extensibles.
  26. C’est-à-dire en ayant les animaux sous les yeux ; mais comme Galien ne se proposait pas de faire ici une démonstration anatomique, et qu’il écrit pour être lu, pour ainsi dire, dans le cabinet, il ne peut que rappeler des dispositions qu’il suppose connues par la dissection.
  27. Les textes imprimés portent εἴκοσιν ὀκτώ (vingt-huit) ἢ πλείους, mais il paraît évident, par l’énumération qui suit et par les descriptions que renferme tout ce chapitre, qu’on doit seulement compter vingt-six muscles ; d’un autre côté, Galien ne veut donner ni ici ni plus loin (p. 24, lignes 9-10) le nombre juste, mais le nombre approximatif ; aussi ne doit-on pas, ce me semble, lire avec Cornarius εἴκοσι ἕξ, mais εἴκοσι ἢ πλείους avec B.
  28. Cette description est ici peu claire, par défaut de précision ; mais il n’y a presque plus d’hésitation dans la détermination des parties quand on confronte la nature avec le texte du traité De la dissection des muscles, chap. xi, p. 22-23, éd. de Dietz. Les mouvements que Galien attribue à ces quatre paires de muscles sont ou exagérés ou incomplétement décrits. Il est vrai que les grands et petits droits produisent un mouvement d’extension de la tête sur l’atlas et de l’atlas sur l’axis, mais il est vrai aussi que ces muscles doivent être comptés parmi les agents les plus puissants du mouvement de circumduction latérale. — Le petit oblique imprime un mouvement de rotation de la tête sur l’atlas, et le grand oblique est plus particulièrement chargé des mouvements de rotation de l’atlas, et, par conséquent, de toute la tête sur l’axis.
  29. Je crois qu’il faut retrouver ici la masse musculaire formée par les splénius, les complexus et peut-être le transversaire du cou. Cf. la Dissert. sur l’anatomie.
  30. C’est le faisceau sternal que dans le traité De la dissect. des muscles, Galien divise en deux.
  31. Je ne sais ce que Galien entend par ces mots dans le principe, à moins qu’on ne les prenne dans le sens le plus général ; car je ne trouve rien au commencement de notre traité à quoi Galien puisse faire ici allusion.
  32. À ces livres il faut ajouter le traité Des os, comme Galien le recommande lui-même dans le Manuel des dissections (IV, viii ; t. II, p. 460) ; il est, en effet, impossible de rien comprendre à la myologie, et même au reste de l’anatomie, si l’on n’est pas familier avec l’ostéologie.
  33. Ce muscle, propre à certains mammifères, aux singes, entre autres, correspond en partie aux scalènes et surtout au scalène moyen de l’homme. — Le muscle suivant (acromio-trachél.) est, pour ainsi dire, un dédoublement de l’angulaire.
  34. C’est à tort que Hoffm., l. l., p. 283 veut lire dix-sept au lieu de seize ; mais il est évident que Galien, dans son calcul, excepte l’ethmoïde. Voy. XI, xx, le traité Des os et la Dissertation sur l’anatomie.
  35. Le texte vulg. porte : Οὔκουν οἷον τε ἦν μέγιστον ὀστοῠν ἔχειν τοὺς μῠς κ. τ. λ. ; mais B donne la vraie leçon : Οὔκ. οἷον τε ἦν μεγ. ὀστοῠν ἐλαχίστοις ὀστοῖς διαρθρούμενον ἃπαντας ἔχειν τοὺς μῠς. Le traducteur latin avait eu aussi un texte semblable. Μέγιστον ὀστοῠν doit s’entendre ici de toute la tête, que Galien considère souvent, par métaphore, comme un seul os.
  36. « Cum nervus nihil aliud sit, quam cerebrum exporrectum, seu explantatum, non esset autem tanta in cerebri latitudine capacitas, quæ exporrigendis omnibus nervis sufficiat, fecit sibi natura quasi alterum cerebrum, et id quidem late expansum, ut ex illo denique facere tot explantationes, quot necessariæ erant. In cerebro opus erat multa carne, spiritibus contemperandis perquam oportuna : non potuit ideo contrahi ibi in eam angustiam, quæ nervo satis est. (!) » Hoffm., l. l., p. 284.
  37. Dans le texte ordinaire, on lit : Ἐκφυόμενον μέγα καθάπερ τι πρέμνον ἕκτισε τᾢ προιέναι. B porte : Ἐκφ. μέγα καθ. τι πρέμνον ἐκ τῆς γῆς. ἐν τᾢ πρ. Cette leçon, que j’ai adoptée, rend la phrase parfaitement régulière.
  38. Galien ne cite pas ici textuellement, il ne fait que rapporter le sens des paroles d’Hippocrate (Articul. § 46 suiv. ; t. IV, p. 196, éd. Littré). La discussion d’Hippocrate sur la luxation des vertèbres est si intéressante, les aperçus sur le diagnostic différentiel sont si curieux et si exacts, que je veux mettre sous les yeux du lecteur une partie de cette discussion. J’emprunte la traduction de M. Littré. « § 46. Dans les cas où le rachis subit une incurvation quelconque, il n’est pas commun, il est même rare, qu’une ou plusieurs vertèbres, arrachées de leurs articulations, éprouvent un déplacement considérable. De pareilles lésions ne se produisent pas facilement ; en effet, d’une part, la vertèbre ne sera guère chassée en arrière, à moins que le blessé n’ait reçu un coup violent à travers le ventre (et alors il mourra), ou à moins que, dans une chute d’un lieu élevé, le choc n’ait porté sur les ischions ou sur les épaules (et alors il mourra encore, mais il ne mourra pas aussi promptement) ; d’autre part, la vertèbre ne sera guère chassée en avant, à moins de la chute d’un corps très-pesant, car chacun des os proéminents en arrière (apophyses épineuses) est tel, qu’il se fracturera plutôt que de se déplacer beaucoup vers la partie antérieure, en surmontant la résistance des ligaments et des articulations engrenées. De plus, la moelle épinière souffrirait, ayant subi une inflexion à brusque courbure, par l’effet d’un tel déplacement de la vertèbre ; la vertèbre sortie comprimerait la moelle, si même elle ne la rompait ; la moelle comprimée et étranglée, produirait la stupeur de beaucoup de parties grandes et imposantes, de sorte que le médecin n’aurait pas à s’occuper de réduire la vertèbre, en présence de tant d’autres lésions considérables. Évidemment, dans ce cas, la réduction n’est possible, ni par la succussion, ni par tout autre moyen ; il ne resterait qu’à ouvrir le corps du blessé, enfoncer la main dans le ventre et repousser la vertèbre d’avant en arrière : mais cela se peut sur un mort et ne se peut pas sur un vivant. Quelle est donc la raison qui me fait écrire ceci ? C’est que quelques-uns croient avoir eu affaire à des blessés chez qui des vertèbres, sortant complétement hors de leurs articulations, s’étaient luxées en avant ; et même, certains s’imaginent que, de toutes les distorsions du rachis, c’est celle dont on réchappe le plus facilement, qu’il n’est aucunement besoin de réduction, et que cet accident se réduit de lui-même. Beaucoup sont ignorants, et leur ignorance leur profite, car ils en font accroire aux autres ; ce qui les trompe, c’est qu’ils prennent des apophyses épineuses pour les vertèbres mêmes, parce que chacune de ces apophyses, au toucher, paraît arrondie. Ils ignorent que les os qu’ils touchent sont ces apophyses des vertèbres dont il a été parlé un peu auparavant (p. 191) ; les vertèbres elles-mêmes sont situées beaucoup plus en avant, car, de tous les animaux, l’homme est celui qui, pour sa taille, a le ventre le plus aplati, d’avant en arrière, et surtout la poitrine. Quand donc quelqu’une de ces apophyses épineuses, soit une, soit plusieurs, éprouve une fracture considérable, l’endroit lésé se déprime au-dessous du niveau du reste ; c’est ce qui les trompe et leur persuade que les vertèbres se sont enfoncées en avant. Les attitudes du blessé contribuent encore à leur faire illusion ; s’il cherche à se courber en avant, il éprouve de la douleur, parce que la peau se tend là où est la lésion, et que, dans cette position, les fragments de l’os blessent davantage les chairs ; au contraire, s’il se tient dans une attitude cambrée, il est plus à l’aise, parce que la peau devient plus lâche à l’endroit de la lésion, et parce que les fragments osseux lui font moins de mal ; de plus, si on y porte la main, il cède et se cambre, et l’endroit lésé semble, au toucher, vide ou mou. Toutes ces circonstances contribuent à induire les médecins en erreur : quant aux blessés, ils guérissent d’eux-mêmes promptement et sans accident, car le cal se forme rapidement dans tous les os qui sont spongieux. — § 47. Le rachis s’incurve, même chez les gens bien portants, de beaucoup de façons ; ainsi le comportent la conformation et les usages du rachis ; il est encore susceptible de s’incurver par la vieillesse et par les douleurs. Les gibbosités par suite de chutes, se produisent généralement quand le choc a porté sur les ischions ou sur les épaules. Nécessairement, dans la gibbosité une des vertèbres paraîtra plus élevée, tandis que les vertèbres au-dessus et au-dessous le paraîtront moins ; ce n’est pas qu’une vertèbre se soit beaucoup déplacée, mais c’est que, chacune ayant cédé un peu, la somme du déplacement est considérable. Pour cette raison, la moelle épinière supporte sans peine ces sortes de distorsions, dans lesquelles les vertèbres ont subi un déplacement réparti sur la courbure, mais non angulaire. — § 48. Lorsqu’en tombant, ou par l’effet de la chute d’un corps pesant, on éprouve une déviation du rachis en avant, généralement aucune vertèbre ne se déplace beaucoup (un grand déplacement d’une ou de plusieurs cause la mort) ; mais, dans ce cas aussi, le déplacement est réparti sur la courbure, et non angulaire. Chez ces blessés, l’urine et les selles se suppriment plus souvent, les pieds et les membres inférieurs en entier sont plus refroidis, et la mort est plus fréquente que chez ceux qui ont une déviation en arrière ; et s’ils réchappent, ils sont plus exposés à l’incontinence d’urine et ont les membres inférieurs plus frappés d’impuissance et de stupeur. Dans le cas où le siège de la déviation en avant approche davantage des parties supérieures, l’impuissance et la stupeur occupent tout le corps… »
  39. Le texte vulg. porte : Ὓπάρχει δεινόν, mais après avoir lu les passages précités d’Hippocrate, il est évident qu’il faut lire avec B ἧττον ὑπάρχει δεινόν. Ce manuscrit porte aussi οὔτε δὴ γινώσκεται, au lieu de οὔτε γινώσκ. des textes imprimés. Du reste pour une partie de ce chapitre j’ai suivi les leçons du manuscrit de préférence à celles des éditions.
  40. Le texte vulg. porte : Ὅτι μὲν γὰρ οὐδὲν ἡ φύσις ἐργάζεται μάτην καὶ ἐμοὶ γέγραπται. Mais B, dont le texte est aussi représenté par la traduction latine, donne :…ἐργάζεται μάτην εἰ μή τις ἤδη πέπισται, μάτην ἐμοὶ γεγρ.
  41. Évidemment Galien n’a jamais vu la moelle épinière de l’homme, autrement il n’aurait pas dit qu’elle commence et finit avec le canal du rachis ; chez l’homme adulte en effet la moelle n’occupe guère que les trois cinquièmes supérieurs de ce canal, mais chez presque tous les mammifères, à commencer par les singes, elle descend beaucoup plus bas. — Quant au rapport entre le diamètre de la moelle et celui du canal rachidien, la proportion des trois cinquièmes se retrouve encore, d’où l’on voit que Galien considère non la moelle seule, mais la moelle et ses enveloppes. Du reste, Galien n’a vu les choses qu’en gros ; il n’a pas pris de mesures exactes : il constate, par exemple, que la moelle est plus volumineuse au niveau de certaines vertèbres, mais il ne développe, ni ne précise sa pensée, et ne semble pas, par exemple, avoir reconnu l’existence des renflements brachial et crural. — Voy. du reste la Dissert. sur l’anatomie.
  42. Ailleurs Galien admet 30 paires de nerfs, ce qui est beaucoup plus près de la vérité, puisqu’il regarde la dernière paire comme la terminaison même de la moelle. — Voy. Dissert. sur l’anatomie et mon Exposition des connaissances de Galien touchant l’anatomie, etc., p. 44.
  43. Ce passage prouve bien évidemment encore que Galien décrit ici la colonne vertébrale du singe et non celle de l’homme. Chez l’un et chez l’autre, en effet, les courbures sont fort différentes ; c’est là un point qu’il sera plus facile de démontrer avec des figures que par une description ; je réserve donc cette démonstration pour la Dissertation sur l’anatomie. Disons seulement, d’une façon générale, que la portion dorsale du rachis est convexe en arrière chez l’homme et plutôt concave chez le singe, et que cette concavité entraîne précisément la double direction des apophyses épineuses que signale Galien.
  44. La cause de la dimension variable des apophyses épineuses, soit sur un même individu, soit dans la série des vertébrés, n’est pas du tout celle que nous donne Galien ; elle est en rapport avec les lois de la mécanique animale ; par conséquent il y a solidarité entre le volume de ces apophyses, véritables bras de leviers, et les muscles mêmes du rachis. C’est très-secondairement que les organes placés au-devant du rachis peuvent exercer une influence sur ces dispositions.
  45. Galien, aveuglé par la théorie, ne voit rien de ce qui se trouve dans le bassin.
  46. L’anatomie comparée donne un démenti complet à cette proposition.
  47. Le texte est ici évidemment corrompu dans les mss. et dans les éditions. J’ai traduit le texte vulg., celui de B étant encore plus altéré ; mais conformément à l’énumération donnée p. 50, et à un passage à peu près parallèle du chap. viii du traité Des os, je lis : dans les vertèbres cervic., les deux premières exceptées qui en ont 7, comme il y en a 7 aussi, etc. — Voy. Dissert. sur l’anat.
  48. Dans le traité De l’utilité de la respiration, dont il reste seulement quelques fragments. Voy. les Études biographiques et littéraires sur Galien.
  49. C’est-à-dire que les inférieures se dirigent de bas en haut et les supérieures de haut en bas du côté de la dixième dorsale.
  50. Ici et plus bas les éditions portent avec raison δίκροι. B a μικραί (et πλαγίαι au lieu de παχεῖαι, épaisses) ; μικραί est un exemple de la manière dont s’opèrent les altérations de texte pour des mots qui ne sont pas très-souvent employés, surtout quand ces mots représentent des choses que les copistes ne connaissent pas.
  51. Disposition plus marquée chez le singe que chez l’homme ; c’est le contraire pour les apoph. épineuses. — Galien, du reste, se contredit en partie p. 49. l. 9-11.
  52. Συνάγοντα τε καὶ σφίγγοντα B. Ces trois derniers mots manquent dans les éditions et dans la traduction latine.
  53. Si Galien entend ici le ligament vertébral commun antérieur, et cela paraîtrait au premier abord l’interprétation la plus probable, il cite Hippocrate à faux ; en effet, dans le passage auquel il est fait allusion, Hippocrate mentionne évidemment les cartilages intervertébraux. « Du côté qui regarde le ventre, en avant, les vertèbres, dit-il (Articul., § 45, t. IV, p. 190), offrent un assemblage régulier ; elles sont réunies par un lien muqueux et nerveux (c’est-à-dire tendineuxμυξώδει καὶ νευρώδει) qui procède du cartilage dont elles sont revêtues pour de là s’étendre jusqu’à la moelle. » C’est immédiatement après cela qu’il parle d’une façon assez obscure des ligaments prévertébral et surépineux. Mais comme Galien, dans son Commentaire sur le traité Des articulations (III, § 30), donne au texte que je viens de rapporter le sens qui y est réellement contenu, que d’un autre côté dans le passage du traité De l’utilité des parties qui nous occupe, la discussion porte particulièrement sur le mode de connexion des vertèbres à leurs parties antérieures, qu’enfin le langage anatomique de Galien n’est pas toujours très-précis, on peut très-bien admettre que σύνδεσμον est pris ici dans son acception la plus générale et qu’il s’agit du fibro-cartilage intervertébral et non du ligament commun antérieur. Voy. aussi p. 42.