Gargantua et Pantagruel (Texte transcrit et annoté par Clouzot)\CL31

La bibliothèque libre.
Texte établi par Henri ClouzotLarousse (Tome IIITexte sur une seule pagep. 138-140).

COMMENT EN L’EMBLÉMATURE ÉTAIT FIGURÉ LE HOURT[1] ET L’ASSAUT QUE DONNAIT LE BON BACCHUS CONTRE LES INDIENS.

Conséquemment était figuré le hourt et l’assaut que donnait le bon Bacchus contre les Indiens. Là considérais que Silénus, le chef de l’avant-garde, suait à grosses gouttes et son âne aigrement tourmentait ; l’âne de même ouvrait la gueule horriblement, s’émouchait, démarchait[2], s’escarmouchait en façon épouvantable, comme s’il eût eu frelon au cul.

Les Satyres, capitaines, sergents de bandes, caps[3] d’escadre, corporals[4], avec cornaboux[5] sonnant les orthies[6], furieusement tournaient autour de l’armée à sauts de chèvres, à bonds, à pets, à ruades et pénades[7], donnants courage aux compagnons de vertueusement combattre. Tout le monde en figure criait Évohé. Les Ménades premières faisaient incursion sur les Indiens avec cris horribles et sons épouvantables de leurs tymbons[8] et boucliers. Tout le ciel en retentissait, comme désignait l’emblémature[9], afin que plus tant n’admiriez l’art d’Apelles, Aristides Thébain, et autres qui ont peint les tonnerres, éclairs, foudres, vents, paroles, mœurs et les esprits.

Conséquemment était l’ost[10] des Indiens comme averti que Bacchus mettait leur pays en vastation[11]. En front étaient les éléphants chargés de tours, avec gens de guerre en nombre infini ; mais toute l’armée était en route[12], et contre eux et sur eux se tournaient et marchaient leurs éléphants, par le tumulte horrible des Bacchides et la terreur panique qui leur avait le sens tollu[13]. Là eussiez vu Silénus son âne aigrement talonner et s’escrimer de son bâton à la vieille escrime, son âne voltiger après les éléphants la gueule bée, comme s’il braillait, et braillant martialement (en pareille braveté que jadis éveilla la nymphe Lotis en pleins Bacchanales, quand Priapus, plein de priapisme, la voulait dormant priapiser sans la prier) sonnât l’assaut.

Là eussiez vu Pan sauteler avec ses jambes tortes[14] autour des Ménades, avec sa flûte rustique les exciter à vertueusement combattre. Là eussiez aussi vu en après un jeune Satyre mener prisonniers dix-sept rois, une Bacchide tirer avec ses serpents quarante et deux capitaines, un petit Faune porter douze enseignes prises sur les ennemis, et le bonhomme Bacchus sur son char se pourmener[15] en sûreté parmi le camp, se gaudissant[16] et buvant d’autant[17] à un chacun. Enfin était représente en figure emblématique le trophée de la victoire et le triomphe du bon Bacchus.

Son char triomphant était tout couvert de lierre, pris et cueilli en la montagne Méros, et ce pour la rarité, laquelle hausse le prix de toutes choses, en Indie expressément, d’icelles herbes. En ce depuis l’imita Alexandre le Grand en son triomphe indique, et était le char tiré par éléphants joints ensemble. En ce depuis l’imita Pompée le Grand à Rome, en son triomphe africain. Dessus était le noble Bacchus buvant en un canthare. En ce depuis l’imita Caïus Marius, après la victoire des Cimbres, qu’il obtint près Aix en Provence. Toute son armée était couronnée de lierre : leurs thyrses, boucliers et tymbons[18] en étaient couverts. Il n’était l’âne de Silénus qui n’en fût caparaçonné.

Ès côtés du char étaient les rois indiens, pris et liés à grosses chaînes d’or. Toute la brigade[19] marchait avec pompes divines, en joie et liesse indicibles, portant infinis trophées, fercules[20] et dépouilles des ennemis, en joyeux épinicies[21] et petites chansons villatiques[22] et dithyrambes résonnants. Au bout était décrit le pays d’Égypte, avec le Nil et ses crocodiles, cercopithèques, ibides[23], singes, trochiles[24], ichneumones, hippopotames, et autres bêtes à lui domestiques, et Bacchus marchait en icelles contrées à la conduite de deux bœufs, sur l’un desquels était en lettres d’or : Apis, sur l’autre : Osiris, pour ce qu’en Égypte, avant la venue de Bacchus, n’avait été vu bœuf ni vache.


  1. Choc.
  2. Reculait.
  3. Têtes.
  4. Caporaux.
  5. Cornets à bouquin.
  6. (Chants de mort).
  7. Sauts de moutons.
  8. Tambourins.
  9. La mosaïque.
  10. L’armée.
  11. Dévastation.
  12. Déroute.
  13. Ravi.
  14. Tordues.
  15. Promener.
  16. Se réjouissant.
  17. En se faisant raison.
  18. Tambourins.
  19. Troupe.
  20. Brancards.
  21. Chants de victoire.
  22. Rustiques.
  23. Ibis.
  24. Roitelets.