Gargantua et Pantagruel (Texte transcrit et annoté par Clouzot)\CL32

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COMMENT LE TEMPLE ÉTAIT ÉCLAIRÉ PAR UNE LAMPE ADMIRABLE.

Avant qu’entrer en l’exposition de la Bouteille, je vous décrirai la figure admirable d’une lampe, moyennant laquelle était élargie[1] lumière par tout le temple, tant copieuse qu’encore qu’il fût souterrain on y voyait comme en plein midi nous voyons le soleil clair et serein luisant sur terre. Au milieu de la voûte était un anneau d’or massif attaché, de la grosseur de plein poing, auquel pendaient, de grosseur peu moindre, trois chaînes bien artificiellement faites, lesquelles de deux pieds et demi en l’air comprenaient en figure triangle une lame de fin or, ronde, de telle grandeur que le diamètre excédait deux coudées et demi-palme. En icelle étaient quatre boucles ou pertuis, en chacune desquelles était fixement retenue une boule vide, cavée[2] par le dedans, ouverte du dessus comme une petite lampe, ayant en circonférence environ deux palmes, et étaient toutes de pierres bien précieuses, l’une d’améthyste, l’autre de carboucle[3] lybien, la tierce d’opale, la quarte d’anthracite. Chacune était pleine d’eau ardente, cinq fois distillée par alambic serpentin, inconsomptible[4] comme l’huile que jadis mit Callimachus en la lampe d’or de Pallas en l’Acropblis d’Athènes, avec un ardent lychnion[5] fait, part de lin asbestin[6] comme était jadis au temple de Jupiter en Ammonie, et le vit Cléombrotus, philosophe très studieux, part de lin carpasien, lesquels par feu plutôt sont renouvelés que consommés[7].

Au-dessous d’icelle lampe, environ deux pieds et demi, les trois chaînes en leurs figures premières étaient embouclées en trois anses, lesquelles issaient[8] d’une grande lampe ronde de cristallin[9] très pur, ayant en diamètre une coudée et demie, laquelle au-dessus était ouverte environ deux palmes. Par cette ouverture était au milieu posé un vaisseau de cristallin pareil, en forme de coucourde[10], ou comme à un urinai, et descendait jusques au fond de la grande lampe, avec telle quantité de la susdite eau ardente que la flamme de lin asbestin était droitement au centre de la grande lampe. Par ce moyen semblait donc tout le corps sphérique d’icelle ardre[11] et enflamboyer, parce que le feu était au centre et point moyen.

Et était difficile d’y asseoir ferme et constant regard, comme on ne peut au corps du soleil, étant la matière de si merveilleuse perspicuité[12] et l’ouvrage tant diaphane et subtil, par la réflexion des diverses couleurs (qui sont naturelles ès pierres précieuses) des quatre petites lampes supérieures à la grande inférieure, et d’icelles quatre était la resplendeur en tous points inconstante et vacillante par le temple. Venant davantage[13] icelle vague lumière toucher sur la polissure du marbre, duquel était incrusté tout le dedans du temple, apparaissaient telles couleurs que voyons en l’arc céleste quand le clair soleil touche les nues pluvieuses.

L’invention était admirable, mais encore plus admirable, ce me semblait, que le sculpteur avait, autour de la corpulence[14] d’icelle lampe cristalline, engravé[15] à ouvrage cataglyphe[16], une prompte[17] et gaillarde bataille de petits enfants nus, montés sur des petits chevaux de bois, avec lances de virolets[18], et pavois faits subtilement de grappes de raisins, entrelacées de pampre, avec gestes et efforts puérils tant ingénieusement par art exprimés que nature mieux ne le pourrait. Et ne semblaient engravés dedans la matière, mais en bosse, ou pour le moins en grotesque[19], apparaissaient enlevés[20] totalement, moyennant la diverse et plaisante lumière, laquelle dedans contenue ressortissait par la sculpture.


  1. Épandue.
  2. Creusée.
  3. Escarboucle.
  4. Ne pouvant être consumée.
  5. Lampion.
  6. Que le feu ne consume pas.
  7. Consumés.
  8. Sortaient.
  9. Cristal.
  10. Courge.
  11. Brûler.
  12. Transparence.
  13. En outre.
  14. Du corps.
  15. Gravé.
  16. De ciselure.
  17. Vive.
  18. Moulinets.
  19. Bas-reliefs.
  20. Détachés.