Gargantua et Pantagruel (Texte transcrit et annoté par Clouzot)\G1
ET PANTAGRUEL
COMMENT GARGANTUA FUT ONZE MOIS PORTÉ ON[1] VENTRE DE SA MÈRE.
rangousier était bon raillard[2] en son temps, aimant à boire net autant qu’homme qui pour lors fût
au monde, et mangeait volontiers salé. À cette fin,
avait ordinairement bonne munition de jambons de Mayence
et de Bayonne, force langues de bœuf fumées, abondance d’andouilles en la saison et bœuf salé à la moutarde, renfort de
boutargues[3], provision de saucisses, non de Bologne, car il craignait li boucon[4] de Lombard, mais de Bigorre, de Longaunay,
de la Brenne et de Rouergue. En son âge virile, épousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillos, belle gouge[5] et de bonne
trogne, et faisaient eux deux souvent ensemble la bête à deux
dos, joyeusement se frottants leur lard, tant qu’elle engrossa
d’un beau fils, et le porta jusques à l’onzième mois.
Car autant, voire davantage, peuvent les femmes ventre porter, mêmement quand c’est quelque chef-d’œuvre et personnage que doive en son temps faire grandes prouesses, comme dit Homère que l’enfant duquel Neptune engrossa la nymphe, naquit l’an après révolu : ce fut le douzième mois. Car (comme dit A. Gelle, lib. III) ce long temps convenait à la majesté de Neptune, afin qu’en icelui l’enfant fût formé à perfection. À pareille raison, Jupiter fit durer xlviii heures la nuit qu’il coucha avec Alcmène, car en moins de temps n’eût-il pu forger Hercules, qui nettoya le monde de monstres et tyrans.
Messieurs les anciens Pantagruélistes ont conformé[6] ce que je dis, et ont déclaré non seulement possible, mais aussi légitime, l’enfant né de femme l’onzième mois après la mort de son mari.
Hippocrates, lib. de Alimento, Pline, lib. VII, cap. v, Plaute, in Cistellaria, Marcus Varro en la satire inscrite le Testament, alléguant l’autorité d’Aristotèles à ce propos, Censorinus, lib. de Die natali, Aristotèles, lib. VII, cap. iii et iv de Nat. animalium, Gellius, lib. III, cap. xvi, Servius, in Egl. exposant ce mètre[7] de Virgile : « Matri longa decem, etc. », et mille autres fols, le nombre desquels a été par les légistes accru : ff. de suis et legit. l. intestato § fi., et in Autent. de Restitut. et ea quæ parit in xi mense. D’abondant[8] en ont chaffouré[9] leur robidilardiques[10] loi Gallus, ff. de lib. et posthu., et l. septimo ff. de Stat. homi. et quelques autres que pour le présent dire n’ose. Moyennant lesquelles lois, les femmes veuves peuvent franchement jouer du serre-croupière à tous envis et toutes restes[11], deux mois après le trépas de leurs maris.
Je vous prie par grâce, vous autres mes bons averlans[12], si d’icelles en trouvez que vaillent le débraguetter, montez dessus et me les amenez. Car si au troisième mois elles engrossent, leur fruit sera héritier du défunt, et la grosse[13] connue poussent hardiment outre, et vogue la galée[14] puisque la panse est pleine ! Comme Julie, fille de l’empereur Octavian, ne s’abandonnait à ses taboureurs[15] sinon quand elle se sentait grosse, à la forme que la navire ne reçoit son pilote que premièrement ne soit calfatée et chargée.
Et si personne les blâme de soi faire rataconniculer[16] ainsi sur leur grosse, vu que les bêtes sur leurs ventrées n’endurent jamais le mâle masculant, elles répondront que ce sont bêtes, mais elles sont femmes, bien entendantes les beaux et joyeux menus droits de superfétation, comme jadis répondit Populie, selon le rapport de Macrobe, lib. II, Saturnal.
Si le diavol[17] ne veut qu’elles engrossent, il faudra tordre, le douzil[18], et bouche close.
- ↑ Au.
- ↑ Plaisant compère.
- ↑ Œufs de mulet séchés.
- ↑ Le poison.
- ↑ Fille.
- ↑ Parlé conformément à.
- ↑ Vers.
- ↑ Au surplus.
- ↑ Barbouillé.
- ↑ (Adjectif forgé par Rabelais avec le nom du rat Rodilardus : Ronge-lard).
- ↑ À tous défis et en risquant tout (termes de jeu).
- ↑ Garnements.
- ↑ Grossesse.
- ↑ Galère.
- ↑ Tambourineurs.
- ↑ Rapetasser.
- ↑ Diable.
- ↑ Fausset.