Geffroy - La Bretagne, 1902-1904/22
LA BRETAGNE DU SUD[1]
III. — Le Pays d’Auray.
utour de la petite ville d’Auray, la campagne est pauvre et monotone, mais
une certaine grâce l’embellit. Les ajoncs dorés, la bruyère rose ou rouille
couvrent, de leur délicate et riche ornementation, la terre rocheuse. Quelques
arbres se dressent, vus de loin, au-dessus de ces étendues de fleurs, et leur
silhouette isolée prend une importance sous le grand ciel gris, incessamment
mouvementé par le vent de la mer. De loin, Auray dresse son clocher ; de grandes
maisons qui sont des couvents, de petites maisons couvertes d’ardoises.
Si l’on pénètre dans la ville, par de beaux chemins plantés d’arbres, on découvre,
après les constructions modernes qui rejoignent la gare, un vieil Auray qui ne
manque pas de gaieté, même de cocasserie. Ce vieil Auray est séparé de l’autre,
moins vieux, par la rivière du Loc, assez large. À droite, c’est Saint-Gildas, à
gauche, c’est Saint-Goustan. Un ancien pont réunit les deux quartiers fort dissemblables
d’apparence. La gaieté de cette ville d’autrefois est la gaieté de
l’enfance, toutes ses maisons sont petites comme des maisons de nains ou de
poupées. On croirait volontiers qu’elles ont été apportées par une fée géante
qui les a disposées comme des jouets, avec leur petite porte, leurs petites
fenêtres, leurs toits tombants. C’est un théâtre avec sa toile de fond, ses portants, ses coulisses, ses décors
de carrefours et de rues, ses montées, ses descentes. Les gens qui vivent là, hommes et femmes, sont trop grands, à faire croire qu’ils remplissent leurs maisons, du rez-de-chaussée au toit. Les petits garçons et les
petites filles paraissent les seuls habitants logiques, les petits garçons coiffés de chapeaux de paille à larges
et longs rubans de velours noir, vêtus de courtes vestes et de longs pantalons, les petites filles en coiffes,
en robes longues placardées d’un tablier à poches, avec bavette sur la poitrine. On songe sans cesse, à voir
ces petits bonshommes et ces petites bonnes femmes, à la famille du Petit Poucet et à la maison de l’Ogre,
qui doit être là-bas, quelque part, au fond de quelque sombre bois de sapins où l’on voit briller une lumière.
L’histoire réelle d’Auray comporte d’autres aspects : en 1341, un siège par Jean de Montfort ; en 1342, un autre siège, par Charles de Blois ; en 1364, un retour offensif de Jean de Montfort, et, comme conclusion, la bataille d’Auray, où les troupes de Montfort, commandées par Chandos et Clisson, vainquirent l’armée de Charles de Blois, commandée par Du Guesclin. Charles de Blois fut tué, Du Guesclin fut fait prisonnier, et Jean de Montfort fut duc de Bretagne. Auray fut aussi un enjeu des guerres de la Ligue, et enfin, sous la Révolution, on y garda et jugea les prisonniers faits à Quiberon.
Il y a peu de monuments à Auray : dans le vieux quartier, l’église Saint-Goustan, ancienne, mais réparée, ; dans le quartier moins vieux, l’église Saint-Gildas, mieux conservée, et datée de la Renaissance ; et d’autres églises, et des chapelles. La célébrité d’Auray, c’est son pardon qui a lieu tous les ans, le 26 juillet.
Ce pardon d’Auray n’a pas lieu précisément à Auray, mais à trois kilomètres au sud de la ville, au lieu dit de Sainte-Anne-d’Auray. C’est là qu’a été bâtie la chapelle Sainte-Anne, née d’une légende du xviie siècle. Son auteur est un paysan, Yves Nicolazic, qui vivait au petit village de Kerenna. On nous présente ce Nicolazic comme un homme pieux et sage, faisant l’aumône, souvent pris comme juge des différends. Un soir, ou plutôt une nuit, qu’il revenait d’Auray à Kerenna, il eut une hallucination, il vit la lumière d’un cierge qui accompagnait sa marche, et une main de femme qui sortait d’un nuage et qui tenait ce cierge. Il en fut ainsi les nuits suivantes, hors de chez lui, puis dans son logis. Une nuit, enfin, qu’il menait ses bœufs à la fontaine, il vit, dans une nuée lumineuse, la belle dame de tous les miracles, et il reconnut sainte Anne. Le lendemain, Nicolazic fit part de sa vision à son curé, dom Sylvestre Rodüez, qui voulut le dissuader, lui affirmant que les saints ne se révélaient pas à des ignorants comme lui. Le visionnaire revit encore sainte Anne dans son champ de Bocenno, et cette fois il n’y eut pas hallucination visuelle, il y eut hallucination auditive : sainte Anne révéla à Nicolazic qu’une chapelle bâtie en son honneur s’élevait autrefois, il y avait dix siècles, sur la terre de Bocenno, et qu’il fallait rebâtir cette chapelle. Une étoile parut alors, qui descendit sur le champ, pénétra dans la terre, et ce fut à cet endroit précis que Nicolazic fit des fouilles et trouva une vieille statue de sainte Anne. Il lui donna comme demeure une cabane de branches, qui, les offrandes venues, devint une chapelle à laquelle on adjoignit un couvent de carmes.
La fontaine est toujours visible, mais elle est encadrée de pierres de taille, se répand dans trois bassins auxquels on accède par des escaliers. La statue de sainte Anne se dresse sur un piédestal, au centre de l’un de ces bassins. Une autre statue énorme surmonte la tour de l’église, refaite en 1866, vaste édifice aux murs couverts d’ex-voto. Derrière la basilique, un cloître, un calvaire où quelque fillette vient planter des épingles pour se marier dans l’année. Sainte-Anne-d’Auray montre aussi le monument du comte de Chambord, revêtu du costume royal qu’il n’a jamais porté, le piédestal flanqué des statues de Du Guesclin, Bayard, sainte Geneviève et Jeanne d’Arc ; enfin, la Scala sancta, sorte d’église en plein air, espace clos de mur, autel placé sous une coupole pour la messe que vient entendre la foule. Tel est le décor, mais il faut dire le spectacle.
J’ai d’abord vu un raccourci du pèlerinage, dans un wagon de troisième classe rempli de pèlerins, entassés pêle-mêle, qui portaient le costume de Quimper.
Ils ont tous, hommes et femmes, le livre de prières à la main, et les femmes ont, épinglé à la ceinture, le « Sacré-Cœur de Jésus, » rouge sur fond blanc. De la place où je suis, j’en aperçois quatre, deux femmes, deux hommes. L’une des femmes est souriante, les yeux doux, curieux et étonnés. L’autre garde les paupières baissées, n’a pas sur les joues le rose épanoui de sa compagne, mais la cire jaune des cierges. Toutes deux sont minces et souples sous le noir de leurs vêtements, toutes deux ont autour de leur personne et sur leur visage cette grâce attendrie, cette fine mélancolie de Bretagne, introuvable ailleurs, et qui n’a pas encore été exprimée par l’art de nos jours. C’est loin de la Bretagne de romances qui séduit habituellement le public, mais ce n’est pas non plus la Bretagne de l’art attardé aux reproductions des frustes sculptures des calvaires, des peintures barbares, des devants d’autels de certains hameaux perdus dans les collines rocheuses, isolés aux bords des flots. Il est inutile de refaire ce qui a été fait, et le peintre symboliste, se donnant l’illusion de posséder l’âme d’un primitif de village, est vaincu, lui aussi, par la nature, diverse et belle, que voient les yeux d’un homme d’aujourd’hui. La Bretagne pour imagerie religieuse est nulle et agaçante, mais la Bretagne de la peinture en façon de vitrail est sommaire et anachronique, et d’une humanité lourde, à ras de terre, mouillée de purin, malgré les programmes mystiques.
Il est une autre Bretagne, et l’artiste qui viendra en ce pays avec le seul souci de la vérité saura la deviner à travers la contrée blanche et noire du Nord, Tréguier et Léon, la contrée colorée du Sud, vers Quimperlé et Quimper, et sur les visages tendres comme les visages de ces femmes qui vont à Auray.
Les deux hommes ne sont pas moins expressifs. Un cinquantenaire, nerveux, sec, hâlé, le front étroit, les cheveux ras, le profil coupant, le nez long, la bouche petite et serrée, le menton relevé en pointe de sabot. On aperçoit, bizarrement, du Montesquieu et du Voltaire dans cette ligne de profil du paysan pèlerin, et l’on peut gager qu’il y a, chez cet homme, un caractère qui n’est pas exempt de sérieux raisonneur et de malice enjouée. Le second, un gars de dix-huit ans, est un pur chouan, le cou et le visage sanguins, l’apparence d’un boucher solide. Tout ce monde, à peine installé, ouvre les gros livres, cherche une page et commence à chanter les cantiques bretons en l’honneur de sainte Anne.
Ils chantent, tranquillement d’abord, et les deux femmes gardent leur voix égale et claire, mais les deux hommes, assez rapidement, perdent le ton, s’exaltent, se congestionnent, veulent couvrir le bruit trépidant du train. Au refrain surtout, sur lequel ils n’hésitent pas comme aux paroles des couplets, l’invocation à « Santes Anna, padronez… » devient véritablement forcenée. Le cantique fini, ils le recommencent. Ils prennent, de temps à autre, une minute de répit pendant laquelle ils parlent avec calme des choses de tous les jours qui les intéressent, moitié en breton, moitié en français, le cinquantenaire, finement et jovialement, le jeune, d’une voix plus rude, les femmes avec une simplicité charmante et touchante.
C’est ainsi, pour eux, que se résout le voyage à Sainte-Anne-d’Auray. Qu’ils croient au miracle du xviie siècle et à l’apparition affirmée par Yves Nicolazic, qu’ils soient même au courant des circonstances de l’affaire, je n’en sais rien. Ils obéissent à une loi atavique, à une force d’habitude, en accomplissant ce pèlerinage annuel. Ils vivent selon la règle qui leur a été enseignée, et jusqu’à ce qu’ils aient compris et accepté une autre règle, ils vivront ainsi. Il y aura sans doute une période intermédiaire difficile à passer, et la Bretagne pourra fort bien causer des surprises à l’observateur de phénomènes sociologiques. Il y a ici un instinct de liberté provinciale et de républicanisme individuel, malgré la religiosité. On aperçoit distinctement que le pays s’est toujours désintéressé de la monarchie unitaire, et que sa sympathie ira plutôt, et va déjà, au régime qui admet la voix de tous par des représentants locaux. Pour le reste, c’est affaire de temps, longueur d’évolution. Les religions s’affaiblissent et meurent lentement. La morale de l’humanité évolue insensiblement, comme la configuration du sol. Il faut des siècles pour qu’une côte change d’aspect, que des rochers s’usent, pour que les envasements et les ensablements se transforment en terres productives. Une montagne s’écroule parce qu’une pierre a mis cinq cents ans à s’effriter et à se déplacer. Les cataclysmes sont amenés par l’usure journalière, par un travail continué de toutes les minutes.
Mais il faut dire le spectacle du pèlerinage. La veille, c’est l’envahissement de tout le terrain autour de l’église, de la Scala sancta, de la fontaine, par les marchands de médailles bénites, de scapulaires, d’images, de statuettes, de crucifix, d’objets de piété de toutes sortes. Le jour de la fête, c’est la procession et c’est le rassemblement sur le champ de l’Épine, autour de la Scala sancta. J’ai vu deux fois ce déploiement du pèlerinage, et la première fois, en 1890, la cérémonie avait un caractère spécial. L’évêque de Beauvais apportait au sanctuaire une portion du crâne de sainte Anne. Comment la relique était-elle en sa possession ? Voici l’histoire, que je vous donne pour ce qu’elle vaut. Les restes de sainte Anne vinrent de Palestine en Turquie et furent distribués aux Croisés, et aussi aux Hongrois et aux Bulgares, ennemis de l’Islam. Plus tard, en 1396, le sultan Bajazet vainquit Sigismond, roi de Hongrie, défendu par un certain nombre de seigneurs français. Parmi ceux-ci, Jean de Roye, grand chambellan de France, qui fut tué, et dont le cadavre fut réclamé par son fils, Mathieu de Roye. Sigismond remit à Mathieu un morceau du crâne de sainte Anne, qui fut conservé dans la famille de Roye jusqu’en 1489, puis à l’abbaye d’Ourscamp. Cachée pendant la Révolution, la relique fut placée, en 1807, à l’église de Chilly, entre Noyon et Compiègne. L’évêque de Beauvais l’obtint du curé de Chilly et la remit à l’évêque de Vannes. Il y eut donc une procession, de l’église d’Auray à la basilique de Sainte-Anne, une procession semblable à celle qui se fit en 1639, lorsqu’une première relique, offerte par Louis XIII, fut portée par le duc de Montbazon à la chapelle de Kerenna. Ce sont des bannières, des oriflammes, des étendards brodés d’hermine, de Vierges, des noms des paroisses représentées. Ce sont des prêtres, des moines, des enfants de chœur, des jeunes filles vêtues de blanc portant des fleurs, des hommes qui escortent la grande bannière, des petites filles qui entourent la bannière de la Vierge. On passe en revue les groupements des environs et de contrées lointaines de la Bretagne. On dit que nombre de pèlerins sont venus à pied à travers la lande, raccourcissant la distance par leurs chants, accomplissant des vœux par cette marche forcée, espérant la guérison de quelque impotent laissé au logis. Les Arzonnais, à la ceinture rouge, escortent leur croix d’argent et portent un modèle de vaisseau : ils sont les descendants des marins vainqueurs de Ruyter, ils chantent les souvenirs des batailles navales, les coups de canons et d’arquebuses, la chute des mâts et des voiles. Ce sont des cantiques, des airs de clairons, des roulements de tambours. Voici quelques paroles des cantiques alors recueillis :
Vive sainte Anne en notre cœur !
Pauvre France, dans ton malheur
Invoque sainte Anne et Marie !
On chante aussi en breton : « Itrone santes Anna… Madame sainte Anne… » La foule occupe le champ de l’Épine, autour de la basilique et de la fontaine. La statue de la sainte se dresse, gigantesque, toute reluisante d’or, et l’effet est singulier de ce temple luxueux, dressé dans ce pauvre pays de landes. Il y a peut-être dix mille pèlerins réunis, égrenant leur chapelet, s’agenouillant, pendant que les évêques violets, mitrés d’or, se dressent, font étinceler l’ostensoir, bénissent les pauvres gens. Après, ce sont les réjouissances, le manger et le boire, autour des tables installées en plein air, l’animation d’une foire ou d’une kermesse, avec des détails tout aussi réalistes que sur les toiles des artistes flamands. Tout le monde boit, rit, crie, chante à la fois. Tous les costumes bretons sont rassemblés. Toutes les coiffes, en forme de clocher, de bonnets, les bouffantes, les aplaties, celles qui s’accompagnent de larges cols, celles qui sont rondes et plates comme des hosties. Les chapeaux aux larges bords, et les petits chapeaux tout ronds, à bords étroits, les larges braies, la veste courte, les gilets de couleur à petits boutons, les lourds bâtons. Ils chantent encore : Me gous a santès Anna, trihart léane doh Alré — Santellan plass zou à braih, à tout en ur Hontré. (L’histoire de Madame sainte Anne, à trois quarts de lieues d’Auray ; — Une terre plus sainte n’est pas dans toute la Bretagne.)
Les mendiants recommencent mille fois leur supplique traînante. Les estropiés exhibent les moignons de leurs jambes ou de leurs bras, les malades exhibent leurs plaies, leurs tumeurs, leurs cancers, leurs gangrènes. Ceux-là n’ont pas encore été guéris par sainte Anne, mais ils reviendront l’année prochaine. En attendant, ils récoltent des pièces de monnaie, et ils boivent comme les bien portants. Ce soir, ils rouleront dans les fossés, pendant que les prières et les processions recommenceront, tous cierges allumés, en route pour le cloître. Les lampions, les lanternes, achèvent d’éclairer cette nuit déjà claire de juillet. Les étoiles brillent au ciel bleu. La lune vogue par les plaines sans fin de l’éther. La misère humaine chante parmi ces lumières. Mais voici la grande distraction : un feu d’artifice, avec fusées, bombes, fontaines lumineuses, une croix de feu, et ces mots qui tout à coup resplendissent et me font songer à l’affichage céleste prévu par Villiers de l’Isle Adam : Sancta Anna, ora pro nobis.
Il est impossible de quitter Auray sans avoir été visiter la Chartreuse, la chapelle sépulcrale, la chapelle expiatoire, le champ des Martyrs. Ce n’est pas que les monuments à voir aient un grand caractère, mais le souvenir historique de la défaite des royalistes à Quiberon plane sur ces lieux paisibles, et, précisément, ce désaccord entre la tragédie de 1795 et l’aspect actuel, si ordonné, si administratif, suffit à motiver la curiosité du voyageur. J’ai eu un peu la même sensation, ici, que dans l’enclos de la rue Haxo, où l’on montre, moyennant rétribution, les traces de la fusillade des otages. Après la traversée d’un bois de chênes, et le surgissement d’un gardien, on commence la visite par le champ des Martyrs, où s’élève la chapelle sépulcrale, qui conserve la mémoire des royalistes jugés et fusillés à quelques mètres de là, sur les bords du Loc, du 1er au 25 août 1795. L’inauguration de cette chapelle sépulcrale eut lieu en 1829. Il faut entrer pour voir le mausolée en marbre blanc qui porte ces inscriptions : QUIBERON XXI JULII MDCCXCXV — PRO DEO, PRO REGE NEFARIE TRUCIDATI. Sur trois côtés du soubassement, on lit les noms de 952 victimes. Les sculptures abondent : bustes de personnages royalistes, représentations de divers épisodes du débarquement, tenté de connivence avec les Anglais, des bas-reliefs où le duc d’Angoulême prie sur les ossements des victimes, où la duchesse d’Angoulême pose la première pierre du mausolée. Non loin de là, est une seconde chapelle, la chapelle expiatoire, également fondée par le duc et la duchesse d’Angoulême, également inaugurée en 1829. Elle est construite au-dessus de la vallée où retentirent les coups de feu des exécutions. C’est un petit édicule en forme de tombeau, surélevé de nombreuses marches et entouré d’un bois de pins. Tout cela est assez froid d’architecture, et assez ordinaire de sculpture, mais, malgré tout, le funèbre souvenir hante ces pierres banales, et l’on ne peut se défendre d’une émotion en évoquant les terribles journées où fonctionna à Auray la Commission militaire. Je remonte ici à rebours les événements de l’histoire, puisque je visite Auray avant Quiberon. C’est à Quiberon qu’eut lieu l’action principale. Ici, ce fut l’épilogue, affreux et sanglant, épilogue sur lequel la discussion entre historiens royalistes et républicains dure encore. Ce n’est pas précisément, toutefois, la politique terroriste de la Révolution qui est ici en jeu, c’est son régime militaire et l’application de la loi martiale à des insurgés, pris les armes à la main, au moment où ils essayaient une intervention avec l’aide de l’étranger. La loi était barbare, et ces fusillades sont épouvantables, mais l’acte des émigrés, alliés aux Anglais, était un crime caractérisé contre la patrie. On ne peut répondre pour les émigrés que d’une façon, c’est qu’ils n’avaient pas en eux l’idée de patrie telle qu’elle existe aujourd’hui, telle précisément que les hommes de la Révolution ont contribué à la créer. Ils croyaient attaquer la Révolution et non la patrie, mais c’était tout de même celle-ci qui recevait leurs coups et les leur rendait.
La Chartreuse d’Auray est douce et reposante après ces monuments commémoratifs. La première construction est ancienne, puisqu’elle fut entreprise par Montfort après qu’il eut vaincu Charles de Blois en 1364 et qu’il fonda une collégiale pour remercier Dieu de sa victoire. Mais les chartreux, qui vinrent s’établir là en 1480, modifièrent et rebâtirent, du xve au xviie siècle, de sorte qu’il restait peu de chose des pierres primitives. Au xviiie siècle, on remit encore une fois tout en état, et c’est cette Chartreuse, tant de fois refaite, qui est offerte à notre examen et à notre méditation. J’avoue aimer beaucoup les cloîtres, et ici il y en a deux, le grand et le petit. On n’a pas encore trouvé mieux que cette construction romaine, imitée par les monastères francs, et qui représente, si bien et tout à la fois, l’idéal de la vie cachée et de la vie commune, par ce jardin clos, ces arceaux sous lesquels la promenade est à l’abri du soleil et de la pluie, ces chambres qui entourent le jardin, tout l’ensemble de cette maison qui peut avoir ses ouvertures sur le dehors comme sur le dedans. C’est donc là ma meilleure impression d’Auray, parmi les allées, les plates-bandes bordées de buis, les fleurs semées à profusion, toutes ces grâces de la nature qui ornent si bien les anciens vestiges de monuments périmés.
Il me faut gagner Pluvigner, puis la forêt de Camors, aux arbres magnifiques, chênes, hêtres, châtaigniers, qui rassurent par leur aspect de forte vieillesse après la traversée des landes. Baud est à l’abri dans ce pays de collines et d’ombrages, et l’on rencontre par les rues du bourg des femmes au fin visage, portant la large coiffe avec col pointu, à trois pointes dentelées. Mais c’est une femme de pierre que je suis venu voir ici, la Vénus de Quinipily. Elle loge dans la cour de ferme de l’ancien château de Quinipily, dont il ne reste guère que les murs avec une partie du bâtiment, de seigneurial devenu paysan. Elle est debout sur une sorte de piédestal, au-dessus d’une fontaine, et elle apparaît tout de suite d’une autre tournure et d’un autre art que les figurines sans proportions des calvaires, avec l’allongement de sa stature, l’exactitude de rapports des jambes et du torse, sa grâce allongée. Elle semble de l’époque grecque où les sculptures grecques ressemblaient aux sculptures égyptiennes. Naturellement, elle passe pour barbare et informe, mais elle est, tout usée, toute rongée par le temps, une apparition de beauté, un fantôme de pierre, dont la rencontre est étonnante parmi ces ruines d’un manoir breton. Elle n’a pas toujours été là, elle était autrefois dans un hameau voisin où elle passait pour sorcière, et elle avait en effet ensorcelé les paysans de la contrée qui la priaient comme une sainte, malgré sa nudité.
En montant plus haut dans le pays, jusqu’à Saint-Nicolas-des-Eaux, je me retrouve près de Pontivy, en pleine Bretagne du centre, mais c’est le commencement d’août, époque du pardon de saint Nicodème, et je vais voir la procession des vaches. Le paysage de pierres et d’arbres, ordonné comme un décor, avec ses praticables, est l’un des plus beaux en ce genre et l’un des plus bretons par la couleur et le caractère. La chapelle est un joli monument de la Renaissance, au clocher élancé. La fontaine offre l’un des exemples où le gothique flamboyant mêle à ravir ses ornements fleuris aux lignes de la Renaissance : l’art de la Renaissance fut, d’ailleurs, une continuation sans secousses de l’art gothique, avec le souci de l’équilibre, de la grâce concentrée et fine. Ici, les niches abritent de vieilles statues qui renseignent tout de suite sur les vertus de la fontaine. On a devant soi les saints protecteurs des animaux, préservateurs des épidémies : saint Nicodème avec un bœuf, saint Gamaliel avec un porc, saint Abibon avec un cheval. Mais il est bien d’autres animaux sculptés dans la pierre : des caméléons, des animaux fantastiques utilisés comme gargouilles. Et voici les animaux vivants, les vaches, les porcs, les chevaux menés lentement autour de la chapelle par des bonnes femmes en coiffes, des paysans coiffés de chapeaux à rubans de velours noir. L’anxiété se traduit par une aubade au seuil de la chapelle, où des paysans jouent du tambour et de la flûte. La reconnaissance anticipée se lit sur le visage de la paysanne qui emporte son cochon et lui sourit. Je m’en reviens au long du Blavet, sur lequel je vois se lever la lune éclairant les collines rocheuses et la rivière.
Il est, non loin de Saint-Nicolas-des-Eaux, un monument qui vaut d’être contemplé : c’est le calvaire de Melrand.
Sa base est un autel très simple, auquel on accède par deux marches. Au milieu de la tablette s’élève une pyramide singulière portant le crucifié, et de chaque côté, aux deux extrémités de la tablette, deux statues, la Vierge et l’apôtre Jean (probablement), deux représentations du type breton en costume du xvie siècle, bien que ces deux statues ne soient peut-être pas de la même époque que le reste du calvaire, — Jean, une sorte de diacre, ou de moinillon, en robe et long manteau, les cheveux divisés sur une drôle de petite tête ronde, ingénue et souffreteuse, un bras pendant avec une main ouverte, l’autre main étalée sur la poitrine, — la Vierge, non moins expressive, vêtue à peu près du même costume, sauf un voile sur la tête, mais sa physionomie, sœur de celle de Jean et tout aussi humble, est néanmoins d’une qualité plus fine, plus subtile, plus rusée, si l’on veut. La pyramide a pour base un bloc où est sculpté le Portement de la croix, un petit Christ à grosse tête et à grande barbe, traîné et poussé par des hommes d’armes. Au-dessus, l’Ensevelissement, le même Christ disproportionné, mort, raidi, étendu sur le flanc, entouré des saintes femmes qui ont toute l’apparence de petites filles en bonnets. C’est gauche et enfantin, et ce sont là un peu les scènes d’un Guignol gothique. Aussi le résultat est-il bizarre, comme dans nombre d’œuvres du même temps : l’intention est funèbre et dramatique, tandis que l’exécution est caricaturale et comique. Il y a tout de même dans ces figurines un désir d’observation et de vérité fort touchant, et même il y a un sérieux et une science dans les têtes échelonnées au long de la colonne, et qui font songer, par une bizarre rencontre, aux sculptures de l’archaïsme avancé de la Grèce, à certaines figures de soldats du temple d’Égine. Ces têtes sont au nombre de dix : avec deux autres figures, placées de chaque côté de l’Ensevelissement, cela ferait douze, et il s’agirait peut-être alors d’une représentation des douze apôtres. Au-dessus de ces têtes, c’est la croix, un assemblage rectangulaire de bois auquel est accroché un Christ nain, et que domine un Dieu le Père, barbu, jeune, placide, tenant en chaque main une tête d’ange, et portant sur le ventre le Saint-Esprit sous forme de colombe.
De retour à Auray, il me reste à voir, dans la région, la presqu’île de Quiberon. Je vais à Locmariaquer, puis j’irai à Carnac et à Quiberon.
Locmariaquer, à l’embouchure de la rivière d’Auray, à l’entrée de la mer du Morbihan, a remplacé, croit-on, l’ancienne ville romaine de Dariorigum. On est, tout au moins, sur un terrain qui servit de base d’opérations ou de lieu de concentration aux légions de César, lorsqu’elles vinrent attaquer les Vénètes. Comme preuves, on indique la vieille jetée de pierre (romaine ou celte), les débris sur lesquels est bâtie la chapelle Saint-Michel. Locmariaquer est célèbre par des monuments plus authentiques, les monuments mégalithiques dont on ne trouve nulle part, sauf à Gavr’inis, de plus beaux échantillons. Il y en a davantage à Carnac, où l’ensemble est saisissant, mais ceux d’ici sont parmi les plus grands, les plus caractéristiques. C’est le Mané-Lud, ou montagne de la Cendre, dolmen enfoncé dans la terre, et sous lequel on pénètre par une porte. C’est le Dol-er-Groh, ou Table brisée. C’est le Men-er-H’roeck, ou Pierre de la Fée, menhir de 23 mètres, brisé en quatre morceaux par la foudre. Il avait été question de l’apporter à Paris et de le faire figurer à l’Exposition de 1900. On n’a pas mis ce beau projet inutile à exécution. Mieux vaudrait remettre debout cette énorme pierre, dont le raccommodage ne doit pas être une entreprise impossible pour les hommes d’aujourd’hui, malgré les 200 000 kilogrammes de poids de cette pierre monstrueuse. C’est le Dol-ar-Marc’hadourien, ou Table des Marchands, sous lequel est placée une pierre en forme d’autel. C’est le Mané-er-H’roeck, ou montagne de la Fée, tumulus qui contient un dolmen, auquel on parvient par un sentier de menhirs. Certains de ces monuments, la Table des Marchands, la montagne de la Cendre, la montagne de la Fée et aussi le dolmen de Kervress, présentent des ornementations et des signes dont on n’a pu jusqu’à présent établir le sens, et qui resteront probablement indéchiffrables. On croit avoir vu, sur une dalle du Mané-Lud, une sculpture, aujourd’hui presque effacée, de la hache symbolique, symbole de la vie brisée. Il en est de même avec le dolmen des Marchands. Des objets ont été trouvés dans les tumulus et sont exposés au musée de Vannes.
Il reste un autre point d’interrogation. Ces monuments sont-ils celtiques et druidiques, ou datent-ils d’époques antérieures ? Dans le doute, on leur a donné le nom de mégalithiques, ou grandes pierres. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils s’accordent avec la nature environnante, qu’ils font partie de cette âpre contrée, de ces landes sur lesquelles court le vent de la mer, de ces côtes d’où l’on domine la mer semée d’îles. Ces menhirs, ces dolmens, ce sont des rochers de plus dans le paysage, des rochers singuliers où l’on voit une intention humaine.
Le grand rendez-vous de toutes ces pierres est à Carnac. Le bourg est très plaisant, avec son église au joli campanile, aux sculptures en lacets aboutissant à une couronne surmontée d’une croix, ses peintures reproduisant des épisodes de la vie de saint Cornély, patron des bœufs. Mais il faut tout laisser pour les alignements célèbres. Il y en a trois sur un espace de 8 kilomètres : Kerlescan, Kermario et le Ménec. Les alignements de Kerlescan sont au nombre de treize, et se composent de deux cent soixante-deux menhirs, dont quelques-uns de haute taille. À Kermario, dix alignements et huit cent cinquante-cinq menhirs, en comprenant les pierres de clôture. Enfin, les onze alignements du Menec se composent de huit cent soixante-quatorze menhirs, soit près de deux mille pierres. Il est certain, à voir la carte ou le pays à vol d’oiseau, que ces trois séries d’alignements n’en formaient qu’une et qu’il y a des solutions de continuité. Tout le pays est plein de débris : les pierres, sacrées ou non, ont été employées pour marquer la clôture des champs, pour empierrer les routes. Un témoignage du xvie siècle indique de douze à quinze mille menhirs. Cette étendue rase, où se voit çà et là une tache blanche de maisons, où les arbres sont rares et minuscules, doit être vue du haut du tumulus sur lequel est bâtie la chapelle Saint-Michel. Au sud, c’est la mer, la baie de Quiberon, le roc de la Teignouse, les îles d’Houat et d’Hædik, Belle-Île-en-Mer. Au nord, c’est le paysage de terre avec les alignements, qui représentent ici un double labeur, puisque à l’érection des pierres vint s’ajouter la préoccupation d’un ensemble. Toutes ces allées ont-elles été couvertes, ou devaient-elles l’être ? Nos ancêtres voulaient-ils bâtir ici une ville faite de couloirs ? Est-ce là un temple, un cimetière ? Cherchez, rêvez, puis partez sans avoir trouvé la solution. Les pierres continuent à processionner. Le soir, on croirait voir des files de moines s’en allant vers un but mystérieux. Les uns sont droits et grands, d’autres voûtés, bossus, nains. Les uns semblent courir, d’autres se traîner à peine. Et voici ma solution : ces pierres sont là pour créer un paysage d’imagination. Voyez-le aux heures grises de l’hiver, sous un ciel bas tout en larmes, vous en emporterez une impression ineffaçable.
À Plouharnel, tout près de Carnac, l’hôtelier d’un très bon hôtel a installé un musée fort bien organisé et fort bien tenu, et l’on peut y passer une heure à se croire, si ce n’étaient les vitrines, dans l’intérieur d’un tumulus. Le difficile, c’est de rattacher ces objets aux monuments mégalithiques : on peut se trouver, ici, devant plusieurs périodes superposées.
Mais me voici engagé sur la chaussée de Quiberon, et les vagues, qui la battent de chaque côté, me font oublier les pierres. Il y en a encore à voir, de ces pierres druidiques ou mégalithiques : je les verrai au retour de Belle-Île, — peut-être ! De temps en temps, j’aperçois un menhir qui pointe entre les groupes de maisons, mais j’en ai tant vu au Ménec, à Kermario, et à Kerlescan, que je ne vais pas voir si celui-ci ressemble aux autres. Des champs, des dunes, du sable où croissent des pavots bleuâtres, puis la chaussée si resserrée qu’elle semble envahie par la mer : il y a juste place pour la route que coupe le chemin de fer. Ici est bâti le fort Penthièvre, sur un roc surplombant la mer. Il n’y a tout de même pas à craindre l’inondation et la rupture. Quiberon fut une île, et c’est la mer qui a construit patiemment la chaussée, par grains de sable apportés chaque jour. Cette chaussée s’élargira encore sans doute, surtout si l’homme s’en mêle, par des digues, des plantations, ce qui n’est peut-être pas très utile, car l’aspect est fort beau tel qu’il est.
Le pays de Quiberon est triste à première vue, mais on ne tarde pas à lui découvrir un charme. L’absence d’arbres est pour beaucoup dans sa tristesse, et son charme lui vient de la grande simplicité des lignes, des mille jeux de la lumière, de la couleur dorée du sable. J’ai passé assez de temps à Quiberon pour pénétrer et goûter cette beauté d’une terre qui semble abandonnée aux caprices des flots, et qui prend, de ce voisinage souvent hostile, un caractère particulier, très vif et très allègre. On peut, dans ces maisons légères, bâties parmi les sables, sur cette langue de terre balayée d’un seul coup de vent, se croire presque en danger d’être emporté vers l’eau qui trace son immense cercle sous le ciel : Quiberon est un des endroits où l’on a le mieux le voisinage de la mer. Pour cette raison sans doute, il y a beaucoup d’amateurs, et l’été, on ne peut connaître la solitude dans les rues tortueuses de la bourgade, encombrées de promeneurs, d’enfants qui s’en vont au trot des ânes, sous un soleil qui donne l’illusion d’un pays méridional. L’affluence est grande aussi à Port-Haliguen, l’endroit le mieux abrité des vents d’est et des vents du sud, et à Port-Maria qui fait tout à fait face à la mer. On peut toutefois connaître des espaces plus libres, en s’en allant vers la côte sauvage. Les falaises rocheuses se déploient en grandes lignes souples, leur base sans cesse assaillie par les lames qui arrivent du large. Il y a des chaos et des tumultes, et il y a aussi des creux abrités du vent et de l’écume, des oasis d’herbe fine, toutes parfumées d’œillets sauvages. Un des plus beaux points est Port-Blanc, avec la pointe derrière laquelle se groupent les îles qui sont en avant du fort Penthièvre.
C’est là que se joua le drame de 1795, dont l’épilogue eut lieu à Auray. Ce fut la tentative de débarquement des émigrés en une armée formée en Angleterre et montée sur des bâtiments britanniques. Cette armée était commandée par le comte de Puisaye, muni d’instructions du comte d’Artois, d’une lettre de service délivrée par le cabinet de Saint-James ; les soldats, émigrés et déserteurs, étaient revêtus de l’uniforme anglais. Cette flotte parut dans la baie le 25 juin, mais par suite de dissentiments dans le commandement, le débarquement n’eut lieu que le 27, sur la plage de Carnac, aux cris de « Vive le Roi ! » Les chouans de Tinteniac et de Cadoudal occupaient le pays. L’effectif de l’armée fut, après jonction, de quatorze mille hommes. Le comte d’Artois, d’ailleurs absent, fut proclamé roi de France sous le nom de Louis XVIII, prenant ainsi la place de son frère, le comte de Provence. Pendant ce temps, les navires anglais ouvraient le feu sur le fort Penthièvre, défendu seulement par un détachement sous les ordres du commandant Delise, bientôt obligé de capituler ; le drapeau blanc et le drapeau anglais furent hissés sur les remparts.
Ce fut alors que Hoche, qui commandait l’armée des Côtes-du-Nord, s’avança, renforcé de la division Lemoine venue de Nantes. Les républicains prenaient l’offensive le 3 juillet, s’emparaient de Sainte-Barbe, à l’entrée de la presqu’île, d’où ils délogeaient Cadoudal, et refoulaient vers la chaussée de Quiberon les chouans, qui se précipitaient au fort Penthièvre. Hoche était logé au hameau de Lenneiz, en avant de Sainte-Barbe. Là, il arrêta les émigrés et se lança sur le fort Penthièvre, que le comte de Sombreuil tenta vainement de protéger. Le fort pris, Anglais et émigrés essayèrent, sous la mitraille des républicains, de rejoindre les navires sur les chaloupes. Ceux qui échappaient aux balles se noyaient. Puisaye, désertant son poste, avait pu rejoindre le navire du commodore Waren, chef de l’expédition, pour mettre, a-t-il dit, sa correspondance à l’abri. Ce fut, dit-on, à ce moment de massacre et de panique que quelques soldats de Hoche crièrent aux émigrés : « Rendez-vous, on ne vous fera rien. » Et cette assertion a suffi pour que Hoche fût accusé par les historiens royalistes d’avoir promis la vie sauve à ceux qui capituleraient. Un autre historien, qui ne peut être suspect, Thiers, a écrit à ce sujet : « Hoche ne pouvait offrir une capitulation ; il connaissait trop bien les lois contre les émigrés pour oser s’engager, et il était incapable de promettre ce qu’il ne pouvait tenir. » Il se hâta, le 3 août, de démentir le fait. Sombreuil, du reste, rendit son épée sans invoquer aucune clause de ce genre. D’autres se percèrent de leurs armes, d’autres se jetèrent à l’eau pour atteindre les barques, déjà trop chargées, et dont les occupants, craignant de chavirer, leur coupaient les mains à coups de sabre (Thiers). La capitulation eut lieu le 21 juillet 1795. L’armée royale avait perdu 192 officiers et 1 200 hommes ; 1 800 émigrés et chouans rejoignirent la flotte. Pour l’exécution des prisonniers, Hoche n’y pouvait rien. Il n’était qu’un soldat soumis à la loi de ce temps terrible. Il avait fait son devoir de chef, et le reproche ne pèse pas sur sa mémoire. Il est donc de toute justice que sa statue ait été dressée à Quiberon, sur la petite place de la ville, le 20 juillet 1902. Son sculpteur fut Dalou. Le général est représenté debout, les deux mains appuyées sur la poignée de son sabre. Il est vêtu de l’habit des généraux de la première République. Le visage a la douceur, l’énergie, la gravité. Ce n’est pas là un fanatique de guerre civile, c’est un soldat serviteur de la France contre les étrangers envahisseurs, serviteur de la République contre les émigrés alliés des Anglais.
(À suivre.) | Gustave Geffroy. |
- ↑ Suite. Voyez pages 409 et 421. — Les photographies qui ont servi aux illustrations sont de M. Paul Gruyer.