Germinie Lacerteux/XLII
XLII.
Bientôt mademoiselle s’étonna d’un entier changement dans la manière d’être, les habitudes de sa bonne. Germinie n’eut plus ses maussaderies, ses humeurs farouches, ses rébellions, ces mâchonnements de mots où grognait son mécontentement. Elle sortit tout à coup de sa paresse, reprit le zèle de son ouvrage. Elle ne resta plus des heures à faire son marché ; elle semblait fuir la rue. Le soir, elle ne sortait plus ; à peine si elle bougeait d’auprès de mademoiselle, l’entourant, la gardant de son lever à son coucher, prenant d’elle un soin continu, incessant, presque irritant, ne la laissant pas se lever, pas même allonger la main pour prendre quelque chose, la servant, la veillant comme un enfant. Par moments, fatiguée d’elle, lasse de cette éternelle occupation de sa personne, mademoiselle ouvrait la bouche pour lui dire : Ah çà ! vas-tu bientôt décampiller d’ici ? Mais Germinie levait sur elle son sourire, un sourire si triste et si doux, qu’il arrêtait l’impatience sur les lèvres de la vieille fille. Et elle continuait à demeurer près d’elle, avec une espèce d’air charmé et divinement hébété, dans l’immobilité d’une adoration profonde, l’enfoncement d’une contemplation presque idiote.
C’est qu’en ce moment toute l’affection de la pauvre fille se retournait vers mademoiselle. Sa voix, ses gestes, ses yeux, son silence, sa pensée, allaient à la personne de sa maîtresse avec l’ardeur d’une expiation, la contrition d’une prière, l’élancement d’un culte. Elle l’aimait avec toutes les tendres violences de sa nature. Elle l’aimait avec toutes les déceptions de sa passion. Elle voulait lui rendre tout ce qu’elle ne lui avait pas donné, tout ce que d’autres lui avaient pris. Chaque jour son amour embrassait plus étroitement, plus religieusement la vieille demoiselle qui se sentait pressée, enveloppée, mollement réchauffée par la chaleur de ces deux bras jetés autour de sa vieillesse.