Girault - Manuel de l'étranger à Dijon, 1824 - Historique

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PRÉCIS

de

L’HISTOIRE DE BOURGOGNE,

et particulièrement

DE LA VILLE DE DIJON.


Les Éduens tenoient le premier rang parmi les peuples de la Gaule celtique, ils étoient voisins des Lingons ; c’est sur le territoire de ces derniers, et presqu’à leur point de contact avec les Éduens, qu’existoit l’ancien Divion.

Les savans qui se sont occupés de rechercher l’étymologie de ce nom, sont demeurés d’accord qu’il prend son origine dans deux mots celtiques, div, deux, ion, eau, rivière, lesquels indiquent la position de cette ville entre deux cours d’eau, la rivière de l’Ouche et le torrent de Suzon.

Dijon existoit donc sous les Celtes, puisqu’ils lui donnèrent sa dénomination. L’urne de ce chef de Druides, sur laquelle le médecin Guenebaud a si longuement disserté ; le monument triomphal recomposé par l’ingénieur Antoine aîné, d’après les fragmens de sculpture trouvés en fouillant le sol de Dijon ; le temple de la Fortune et celui de Mithra, les débris de colonnes, de statues, de bas-reliefs, d’urnes, de tombeaux, découverts en creusant à certaine profondeur, viennent se réunir pour attester l’ancienne splendeur de cette ville.

Lors de la conquête des Gaules par les Romains, Jules-César qui d’abord s’étoit posté sur le plateau du Mont-Afrique pour dominer le pays, en fit descendre ses légions pendant l’hiver, et les établit à Dijon, sous le commandement de Caius-Fabius ; un camp fut tracé, qui dès-lors prit le nom de Castrum-Divionense, et les vainqueurs s’établirent dans le pays qu’ils venoient de subjuguer.

Mais le supplice d’Accon, et la mort de Dumnorix, n’étoient point effacés de la mémoire des Gaulois ; ils profitèrent du temps où César étoit dans la Gaule cisalpine, pour reconquérir leur liberté ; Vercingétorix fut élu leur chef, les Gaulois, sous sa conduite, poursuivirent les Romains jusques sur l’Armançon, non loin de Tonnerre, et d’abord eurent l’avantage ; César lui-même faillit à être pris, dans la mêlée il perdit son épée que les Arvernes suspendirent comme un trophée dans leur temple ; mais enfin l’arrivée des Germains ayant renforcé la cavalerie romaine, lui procura la victoire.

Vercingétorix se réfugia dans Alise : vous ne manquerez pas de reconnoître sur votre passage cette ville ancienne, sous les murs de laquelle vint expirer la liberté des Gaulois, et vous donnerez des larmes au sort de leur chef infortuné réservé pendant six ans pour servir de triomphe au vainqueur, et qui fut ensuite égorgé dans sa prison pour satisfaire à la vengeance de Rome.

La douceur du gouvernement d’Auguste, maintint ces peuples dans l’obéissance des Romains : Lyon fut créé capitale des Gaules d’abord divisées en Belgique, Aquitanique et Celtique, et cette dernière en cinq lyonnoises, de la première desquelles le pays des Éduens et celui des Lingons firent partie.

Les exactions autorisées sous le règne de Tibère, disposèrent les esprits à la révolte : Florus à Trêves, Sacrovir à Autun, arborèrent l’étendard de l’insurrection, mais les légions romaines les eurent bientôt soumis. Sous le règne de Néron, Vindex souleva pour la troisième fois la Gaule, sans plus de fruit ; Virginius le défit dans les environs de Besançon. Maricus excita une sédition chez les Éduens, la jeunesse d’Autun suffit pour la dissiper. Sabinus fut placé par les Lingons à leur tête, les Séquanois unis aux Éduens, marchèrent contre lui, et le firent descendre du trône sur lequel il avoit eu la prétention de se placer.

Je vous rappellerai, Monsieur, ce trait de vertu conjugale qui fourniroit peut-être encore le plus beau sujet d’une tragédie nationale, car Epponine est notre compatriote ; Epponine a bien autant de droit pour nous intéresser, que la veuve d’Hector ou la fiancée d’Achille, et la fille de Virginius.

Sabinus n’ayant échappé à la mort que par la fuite, mit le feu à l’une de ses maisons de campagne, pour laisser croire qu’il s’y étoit brûlé lui-même, et se réfugia dans une caverne où il vécut pendant neuf années : Epponine son épouse se rendoit fréquemment dans cette retraite, elle y devint mère de deux enfans jumeaux et les y allaita ; cependant cet asyle ayant été découvert, Sabinus en fut arraché, et conduit à Rome avec son épouse et ses fils. Epponine courut se jeter avec ses enfans aux pieds de l’Empereur, et lui dit : J’ai nourri moi-même ces enfans dans la caverne, comme une lionne ses petits, afin que nous fussions plusieurs pour vous demander grâce. Vespasien touché de cette scène attendrissante jusqu’à répandre des larmes, y fit néanmoins céder les intérêts de la politique, condamna Epponine à la mort avec son mari, et ne fit grâce qu’aux enfans. Plutarque dit que ce trait fut le plus odieux et le plus tragique du règne de cet Empereur.

Un siècle se passa sans que l’histoire signalât aucun événement marquant dans cette contrée de l’empire des Gaules. L’an 173, la religion chrétienne y fut apportée par Benigne, Symphorien, Andoche et Thyrse, qui scellèrent de leur sang les vérités qu’ils étoient venus annoncer aux peuples de la Bourgogne.

À l’époque où trente tyrans se disputoient l’empire des Césars, Crocus et ses Vandales ravagèrent la Gaule, y mirent tout à feu et à sang ; Langres fut emporté d’assaut, ses habitans furent passés au fil de l’épée, Saint Didier, Évêque du diocèse, eut la tête tranchée par les ordres du vainqueur qui poursuivit le cours de ses dévastations jusqu’à Arles, où Marius arrêta ses fureurs, le fit prisonnier, et après l’avoir fait promener en spectacle dans toutes les villes qu’il avoit saccagées, le fit périr dans les supplices.

Posthume mérita d’être appelé le restaurateur des Gaules ; Claude second les laissa envahir par Tetricus qu’Aurélien défit dans les plaines Catalauniques, et qu’il conduisit à Rome pour orner son triomphe, ainsi que la malheureuse Zénobie. Ce fut sous le règne d’Aurélien que furent élevées, vers l’an 274, les premières fortifications de Dijon pour protéger cette ville et la défendre contre les incursions des barbares.

Ces barbares étoient les Bourguignons et les Francs : Probus les repoussa, et les villes des Gaules lui décernèrent des couronnes d’or, comme à leur libérateur ; il permit aux Gaulois de replanter leurs vignes que Domitien avoit fait arracher.

Le vertueux Constance-Chlore eut le gouvernement des Gaules ; il remporta sur les Germains plusieurs victoires, dont la plus remarquable est celle de Langres : il dispersa les vaincus, et plaça les Attoariens, colonie de Francs, sur la Tille et la Vingeanne, où ils formèrent le Pagus Attoariorum, ayant Antua pour capitale.

Constantin, son fils, vint en Bourgogne, et releva la ville d’Autun de ses ruines ; il traversa cette province l’année suivante pour aller combattre Maxence, et ce fut pendant qu’il côtoyoit avec son armée, les bords de la Saône, qu’il aperçut le signe lumineux qui lui présageoit la victoire ; vision remarquable d’après laquelle la croix des Chrétiens fut placée sur la couronne des Empereurs.

Julien fit les délices de la Gaule, et contint les peuples du nord ; mais à sa mort ils se répandirent comme des torrens, inondèrent les Gaules et les remplirent de carnage et de sang : les Bourguignons, l’une des tribus des Vandales, passèrent le Rhin l’an 400, se rendirent maîtres des pays situés entre le Rhin, le Rhône et la Saône, s’y maintinrent, et formèrent le premier royaume de Bourgogne qui dura un peu plus d’un siècle, et dont Gondicaire fut le premier Roi.

Ce prince contribua puissamment avec le patrice Aëtius à triompher de cet Attila, nouveau Crocus, qui, suivi de 500,000 barbares, marquoit aussi ses pas par la ruine des villes, les massacres, les dévastations, le feu et le sang : Besançon, Langres, Auxerre furent renversés ; Orléans seul put arrêter ce conquérant féroce qui rebroussant chemin, fut atteint par Aëtius et l’armée des confédérés, dans ces mêmes plaines de Champagne, en juin 451, où 300,000 hommes restèrent sur le champ de bataille.

Gondioc, qui régna après Gondicaire, réunit à ses états le pays des Éduens et celui des Lingons ; il eut pour successeur Gondebaud qui, après avoir eu long-temps à lutter contre ses frères, et vainqueur de Chilpéric à Vienne, n’épargna de ses neveux et nièces que cette jeune Clotilde qui porta la loi chrétienne sur le trône des Francs ; Clovis vengea la famille de son épouse et gagna sur Gondebaud la bataille dite de Fleurey sur-Ouche, mais qu’un savant moderne a démontré avoir été donnée dans les environs de Dijon ; le Roi des Bourguignons fut vaincu par la trahison de son frère Godégésile qui ne s’étoit joint à lui que pour mieux le trahir ; en effet, s’étant réuni à Clovis pendant le combat, les Bourguignons pris en flanc, furent défaits par les Français : mais peu après Gondebaud ayant repris ses avantages, força Godégésile dans Vienne, et le fit massacrer dans l’église même où il s’étoit réfugié.

Gondebaud employa les loisirs de la paix à rédiger ces fameuses lois appelées de son nom gombettes, que l’immortel Montesquieu réputoit les plus sages des peuples de ces temps-là ; Sigismond lui succéda, et fut placé au rang des Saints : après lui Gondomar régna en Bourgogne et fut vaincu par Clotaire qui réunit ce royaume à celui des Francs, en 534.

La révolte de Chramne, fils aîné de Clotaire, est marquante dans l’histoire de Dijon ; ce fut dans cette ville que ce fils rebelle vint, à la tête d’une armée nombreuse, consulter les sorts des Saints : Saint Tétrice, Évêque de Langres, le reçut dans la basilique de Saint-Jean, et lui annonça sa fin tragique à l’ouverture des livres saints : vous savez le cruel châtiment que Clotaire infligea à cet autre Absalon ; il le fit enfermer dans une cabane avec sa femme et ses enfans, et y fit mettre le feu.

La mort de Clotaire donna lieu au partage de ses états entre ses fils : Gontran fut roi d’Orléans et de Bourgogne, et tint sa cour à Châlon-sur-Saône : Childebert lui succéda, et à celui-ci Thierry, sous la tutèle de Brunehaut, que Clotaire second fit périr d’un supplice si cruel dans son camp sur la Vingeanne, événement qui donna lieu à une seconde réunion de la Bourgogne à la France.

Après la mort de Dagobert, qui vint tenir ses assises à Dijon et à Laône, Clovis second fut roi de Bourgogne et de Neustrie ; il convoqua à Châlon-sur-Saône un concile, en 644, et les états-généraux de ses royaumes en 650. Clotaire second lui succéda, et à celui-ci Thierry, sur lequel Childéric III réunit, pour la troisième fois, la Bourgogne à la monarchie française.

Le règne de Charlemagne est trop connu pour vous en entretenir ; mais celui de ses fils se rattache particulièrement à l’histoire de Bourgogne : Lothaire, insurgé contre son père, pour se venger de Guérin de Vergy, vint assiéger Châlon en 834, et réduisit cette ville en cendres ; après la mort de Louis-le-Débonnaire, ses fils se disputèrent ses états ; Charles-le-Chauve gagna sur eux la bataille de Fontenai en Auxerrois, où 100,000 hommes s’entre-tuèrent pour des querelles et des prétentions qui furent réglées plus paisiblement dans la conférence que ces princes eurent dans une île formée par la Saône, non loin de Mâcon : ce traité est le premier monument que nous ayons de la langue romance, devenue celle que nous parlons aujourd’hui ; la Saône devint limite commune à l’Empire et à la France, d’où l’usage des bateliers de cette rivière d’appeler le bord oriental Empire et la rive opposée Riaume ; cette conférence a fourni le sujet de la vignette en tête du 3.e livre de l’histoire générale de Bourgogne.

Après la mort de Louis-le-Bègue, l’on vit se former plusieurs nouveaux royaumes de Bourgogne : celui de Provence ou Bourgogne cis-jurane, dont Bozon fut élu Roi au concile de Mantail ; celui de Bourgogne transjurane, où régna Rodolphe, couronné à Saint-Maurice en Valais, cérémonie qui fait le sujet de la vignette du 4.e livre de l’histoire générale de Bourgogne ; enfin celui d’Arles ou de Bourgogne, réunion des deux premiers sur la tête de Conrad-le-Pacifique. Quant au duché de Bourgogne, il fut gouverné, depuis 880, par des ducs bénéficiaires dont le premier fut Richard-le-Justicier, qui triompha des Normands.

Raoul, qui lui succéda, mit sur sa tête la couronne de France pendant la prison de Charles-le-Simple à Peronne, et donna le duché de Bourgogne à son beau-frère Gilbert de Vergy ; après lequel régna Hugues-le-Grand, père de Hugues Capet, qui monta sur le trône des Français, et de Henri qui fut son successeur au duché de Bourgogne, dont la possession lui fut confirmée.

Le roi Robert reprit la Bourgogne à Othe-Guillaume pour la donner à son fils Henri, lequel devenu roi de France, la céda en 1032 à son frère Robert, tige des premiers ducs héréditaires de race royale qui tenoient leur cour à Dijon.

Sous les douze ducs qui en composent la série, l’histoire de Bourgogne ne présente aucuns traits marquans : leur race finit avec Philippe de Rouvres, qui, étant mort sans postérité, donna lieu à la réversion de la Bourgogne à la France : le roi Jean s’en saisit à ce titre, et donna cette province à l’un de ses fils qui fut le chef de la seconde race royale des ducs de Bourgogne régnans à Dijon.

Philippe-le-Hardi, le premier de ces ducs, avoit été choisi par les états-généraux pour gouverner le royaume pendant la démence de Charles VI, cette préférence ne put être supportée par la maison d’Orléans ; de là ces haines implacables qui causèrent tant de troubles en France. Jean-sans-peur, duc de Bourgogne, fit assassiner, en 1407, le duc d’Orléans, et les partisans des princes d’Orléans firent assommer le duc Jean sur le pont de Montereau, le 10 septembre 1419. Philippe-le-Bon cherchant à venger le meurtre de son père, se ligua avec les Anglais, et avec eux il conclut ce traité véritablement déplorable qui plaçoit un roi d’Angleterre sur le trône des Français. Seize années d’une guerre à toute outrance, satisfirent enfin les mânes du duc Jean, et son fils acquiesçant au traité d’Arras, se montra ennemi aussi généreux qu’il avoit été redoutable, il racheta le duc d’Orléans prisonnier en Angleterre depuis la bataille d’Azincourt, et paya 400,000 fr. pour sa rançon.

Charles-le-Hardi, né à Dijon le 10 novembre 1433, succéda à Philippe-le-Bon : ce prince aima la guerre, et y fut constamment malheureux ; il attaqua les Suisses, et perdit contre eux la bataille de Grantson ; il revint à la charge, et les Suisses éternisèrent sa défaite à Morat, en y élevant, sur le champ même du combat, une chapelle formée des ossemens des Bourguignons qui y périrent, au-dessus de laquelle ils placèrent cette inscription :

Exercitus Caroli Ducis hoc sui
monumentum reliquit
. An. 1476.

Ce trophée injurieux à la Bourgogne fut renversé par l’un des bataillons de la Côte-d’Or, lorsqu’il pénétra en Suisse avec les armées françaises en l’an 6.

Charles voulut recouvrer Nancy, dont les Suisses avoient remis le duc de Lorraine en possession, il fut tué sous les murs de cette place, le 6 janvier 1477 ; il ne laissa qu’une fille née à Bruxelles le 12 février 1457, unique héritière de ses vastes états, et qui mourut le 27 mars 1482.

On cite de ce prince un acte de justice, qui fournirait aux Crébillons modernes le sujet d’une tragédie intéressante.

Charles avoit donné le commandement de la Gueldre à un officier allemand, nommé Rhinsault, qui l’avoit bien servi dans ses guerres : ce gouverneur avoit remarqué dans la ville de sa résidence une jeune femme, d’une rare beauté, nommée Saphira, mariée à un riche marchand nommé Dauvelt ; il mit tout en usage pour s’introduire chez cette dame et la séduire ; mais convaincu qu’il n’y réussiroit pas, il fit emprisonner son mari, sous prétexte d’intrigues avec les ennemis du prince ; son procès lui fut fait, et, d’après les ordres de Rhinsault, Dauvelt fut condamné à la mort.

La veille du supplice, Saphira court se jeter aux genoux du Gouverneur, implore sa générosité, sa clémence ; Rhinsault est sourd tant qu’on n’accédera pas à ses désirs, mais ses propositions sont rejetées avec indignation ; Saphira accablée de douleur, retourne à la prison de son mari, l’informe des honteuses conditions mises à sa délivrance ; Dauvelt rougissant d’avouer ce que la crainte de la mort lui suggérait, laisse échapper quelques mots, qui donnent à entendre à son épouse qu’il ne la croirait pas déshonorée par une action dans laquelle il étoit persuadé que son intention avoit moins de part que son tendre attachement à son époux.

Déterminée par le consentement de son mari, Saphira court le lendemain chez le Gouverneur, et se met à sa discrétion. Celui-ci se flattant que le premier pas fait, il continueroit avec Saphira le même commerce, lui dit d’aller tirer son époux de prison ; mais, ajouta-t-il, vous ne serez pas surprise si j’ai pris des mesures, afin qu’il ne soit pas à l’avenir un obstacle à nos rendez-vous. Saphira court délivrer son époux, le cruel Rhinsault avoit donné l’ordre de presser son exécution ; elle arrive, elle le trouve égorgé.

Pénétrée de douleur, outrée d’indignation, Saphira va trouver le duc de Bourgogne, et lui remet un placet, contenant les détails de cette scène barbare ; le Duc la retient à sa cour, et y mande Rhinsault.

Ce Gouverneur est mis en présence de la veuve du malheureux Dauvelt : Connoissez-vous cette femme, dit le duc à Rhinsault, oui, Monseigneur, répond celui-ci, et je suis prêt à l’épouser, si votre altesse veut bien regarder cette démarche comme une réparation. Charles parut satisfait, et fit d’abord en sa présence célébrer le mariage ; puis il dit au Gouverneur : Vous en êtes venu là, forcé par mon autorité, mais je ne croirai jamais que vous soyez de bonne foi avec votre femme, à moins que vous ne lui fassiez donation de tous vos biens pour en jouir après votre mort. Cet acte fut de suite expédié, le Duc le remit à Saphira, et lui dit : Il ne me reste plus qu’à vous mettre en possession des biens que votre nouvel époux vient de vous donner ; aussitôt il ordonna que Rhinsault fût sur-le-champ mis à mort.

Louis XI qui convoitoit la riche succession du duc Charles, annonça le dessein de marier la Princesse au Dauphin, et sous ce prétexte se fit donner la garde de ses duchés ; mais une fois qu’il s’en vit en possession, il cessa de feindre, et publia qu’il ne s’étoit emparé des états du duc Charles, qu’à titre de réversibilité à la couronne ; alors les comtés de Bourgogne et de Flandres secouèrent son joug et se rangèrent du parti de la jeune héritière de Bourgogne, peu après, mariée à l’Empereur Maximilien, à qui elle apporta en dot toutes les possessions des derniers ducs de Bourgogne ; Louis XI n’en conserva que le duché, qui fut dès-lors irrévocablement réuni à la couronne de France, et suivit le sort de cette monarchie.

Par ce traité, le duché de Bourgogne devenu province frontière d’un grand état, étoit exposé à se voir le théâtre des hostilités au moindre signal de guerre ; une des suites de la bataille de Novarre gagnée sur les Français, fut le siège de Dijon ; le Pape et l’Empereur voulant poursuivre leurs avantages, déterminèrent les Suisses à pénétrer en Bourgogne ; ils s’y rendirent en 1513, au nombre de plus de 30,000 hommes, sous le commandement de Jacques de Vatteville, et se portèrent de prime-abord sous les murs de Dijon ; la Tremouille qui y commandoit, les voyant près d’entrer par la brèche, parvint à conclure avec eux un traité qui sauva Dijon, la Bourgogne et la France.

Quelques années après, la guerre ayant été de nouveau déclarée entre Charles-Quint et François I.er, les troupes impériales désolèrent la frontière, et y commirent de tels ravages, qu’il fallut convoquer le ban et l’arrière-ban pour les en déloger. Marguerite d’Autriche, qui avoit pour apanage le comté de Bourgogne et la Bresse, à laquelle cet état de guerre étoit le plus dommageable, ayant tenté de reconcilier l’Empereur et le Roi, sans avoir pu y réussir, chercha à éloigner de ses possessions le théâtre de la guerre, et parvint à faire accepter, par l’entremise des Suisses, un traité de neutralité entre les deux Bourgognes, qui fut signé à St.-Jean-de-Laône, le 8 juillet 1522, et il est remarquable que ce fut sous les murs de cette même ville que vinrent échouer un siècle après, les efforts des premiers infracteurs de ce traité.

Vaincu par Charles-Quint, et devenu son prisonnier, François I.er se vit forcé de consentir à céder le duché de Bourgogne pour rançon ; mais les états de cette province s’y opposèrent formellement, et renouvelèrent énergiquement leur refus dans l’assemblée de Cognac ; alors Charles-Quint chargea le comte de Launoy de s’emparer de cette province par la force des armes ; Auxonne fut la première ville devant laquelle il se présenta, il fut bientôt obligé d’en lever le siège.

La Bourgogne fut peut-être l’une des provinces qui se ressentit le plus des troubles de la ligue, et cela n’est pas étonnant, le duc de Mayenne y commandoit ; aussi fut-elle la dernière à se soumettre, il fallut venir y combattre la ligue, et la bataille de Fontaine-Française, gagnée par Henri IV en personne, mit fin à ces discordes civiles, dont la religion n’étoit que le prétexte ; Seurre, dominée par le capitaine Lafortune, fut la dernière ville qui se rendit en l’obéissance d’Henri IV.

Les infractions au traité de neutralité, desquelles la France avoit à se plaindre, déterminèrent Louis XIII à en obtenir le redressement par la force des armes : le prince de Condé fut chargé d’aller investir Dole en 1636, mais il fut obligé d’en lever le siège : Galas, général de l’empire, vint par représailles assiéger Saint-Jean-de-Laône, que la belle défense de ses habitans le força d’abandonner le 3 novembre de la même année.

Les troubles de la fronde eussent été inconnus en Bourgogne, si Mazarin n’eût pas fait arrêter le prince de Condé qui en étoit gouverneur : le vainqueur de Rocroi y avoit un parti puissant ; le procureur-général Lenet, le premier président Bouchu, l’intendant Machaut, le comte de Tavannes, élu de la noblesse, tenoient le parti du prince ; mais le maire Millotet et le marquis de Tavannes, lieutenant-général, restèrent fidèles au Roi, et déjouèrent toutes les manœuvres des partisans de Condé, qui ne purent avoir à leur disposition que la seule place de Seurre, jadis Bellegarde, défendue par le comte de Tavannes, avec une garnison de vieux corps, instruits à vaincre sous le Grand Condé : le siège de cette place étant résolu, Louis XIV se rendit en Bourgogne ; les salves d’artillerie, les cris de joie qui annoncèrent son arrivée au camp, rappelèrent dans l’âme de ces vieux soldats ce qu’ils devoient à leur patrie, à leur roi ; eux-mêmes demandèrent à capituler, Bellegarde fut rendue le 21 avril 1650, et Condé fut mis en liberté l’année suivante.

Le gouvernement de Bourgogne n’ayant pas été rendu à ce prince, le commandant du château de Dijon fit refus de le remettre au nouveau gouverneur, le duc d’Épernon, qui se vit forcé de l’obtenir par la force des armes ; la Planchette qui défendoit cette citadelle, fit tirer pendant plusieurs jours le canon des tours sur la ville, y jeta un grand nombre de bombes et de grenades ; mais une mine que le duc d’Épernon fit jouer sous l’une des tours, détermina la capitulation de cette forteresse.

Seurre avoit de nouveau repris les armes en faveur de Condé, et le siège en fut résolu une seconde fois ; Boutteville, qui y commandoit, ne rendit la place qu’après un mois de tranchée ouverte, le 8 juin 1653. Cette fois les fortifications de Seurre furent rasées et la place démantelée. Vous n’omettrez pas de remarquer que ce fut sous les murs de cette petite ville que les factions de la ligue et de la fronde jetèrent leurs derniers soupirs.

Louis XIV se rendit maître de la Franche-Comté en 1668 et 1674 ; le traité de Nimègue assura définitivement la réunion de cette province à la France, et la tranquillité de la Bourgogne, qui cessant d’être province frontière, ne fut plus exposée à être le continuel théâtre des guerres.

En vous traçant ce précis rapide de l’histoire de la Bourgogne, je n’ai voulu que vous en poser les points principaux ; personne ne connoît mieux que vous, Monsieur, son histoire de France, votre mémoire vous fournira les détails qui ne peuvent entrer dans une esquisse que j’ai cherché à tracer avec la plus grande concision possible.

Je dois aussi vous dire un mot de la situation, et des établissemens anciens et modernes de la ville que vous désirez connoître, afin qu’en y arrivant, vous en ayez déjà une idée.

Dijon est situé au 47 deg. 19 m. de latitude, et au 22 deg. 42 m. de longitude, à 34 myriamètres de Paris, 17 de Lyon, 7 de Besançon, au confluent de l’Ouche et de Suzon, au pied du Mont-Afrique, et sur un sol de 235 mètres d’élévation au-dessus du niveau de la mer suivant M. Leschevin. L’étendue de cette ville qui a la forme d’un ovale, est d’environ cent hectares ; on y compte 15 places, 100 rues, 2000 maisons, trois faubourgs et vingt mille individus.

Avant la révolution, cette ville étoit la capitale du duché de Bourgogne, le siège d’un gouvernement militaire, d’un évêché, d’une intendance, d’une administration d’élus généraux, d’un parlement, d’une chambre des comptes, d’un bureau des finances, d’un hôtel des monnoies, d’une maîtrise des eaux et forêts, d’un bailliage-présidial, d’une juridiction consulaire, d’une université de droit, de deux séminaires et d’un collège : on y comptoit quatre collégiales, sept paroisses, trois abbayes, trois hôpitaux, dix monastères d’hommes et dix couvens de femmes.

Aujourd’hui Dijon est le chef-lieu du département de la Côte-d’Or, d’une sénatorerie, d’une cohorte de la légion d’honneur, de l’état-major de la 18.e division militaire, d’une cour impériale, d’un évêché, d’une préfecture, de tribunaux de première instance, de commerce, de police et de paix ; de la 18.e conservation des forêts, de la 21.e légion de gendarmerie impériale, des directions des domaines, des droits réunis, des contributions directes ; de la résidence des receveur et payeur généraux ; d’une académie impériale et de celle des sciences, arts et belles-lettres, d’un lycée, d’une faculté de droit, d’une école spéciale des beaux-arts, et d’un musée. Cette ville renferme trois paroisses et une succursale, un séminaire, trois hôpitaux, etc., etc., etc. C’est l’une des bonnes villes de l’empire.

Vous trouverez chez ses habitans beaucoup de franchise, de politesse, d’usage du monde et d’aménité ; un tact sûr, un goût épuré, la répartie prompte et heureuse, l’instruction généralement répandue. Les Dijonnais sont spirituels, aimables, amis du luxe et des plaisirs, et ils ne le sont pas moins de la bienfaisance et des arts ; ils sont fiers de leur patrie, et tous leurs efforts sont dirigés vers ce qui peut la rendre plus agréable ou plus illustre.

Dijon s’honore à juste titre des grands hommes qu’elle a produits dans tous les genres : prélats, hommes d’état, grands capitaines, magistrats, orateurs et écrivains du premier rang, poêtes et musiciens célèbres, peintres et sculpteurs du premier mérite, historiens érudits, jurisconsultes profonds, médecins habiles, il n’est aucune partie dans laquelle cette ville n’ait fourni des sujets distingués, et j’ose espérer que ces essais biographiques vous en fourniront la preuve.