Grammaire de l’hébreu biblique/Écriture/Paragraphe 7

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Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 27-30).
7. Des consonnes (matres lectionis)
indiquant le timbre ou la quantité des voyelles.

a Quelques consonnes indiquent, bien qu’imparfaitement, certaines voyelles. Ces consonnes sont ו, י, ה et plus rarement א. Elles sont appelées matres lectionis אִמּוֹת הַקְרִיאָה ; elles sont appelées aussi quiescentes c’est-à-dire non prononcées (par opposition à mobiles c.-à-d. prononcées).

b Les matres lectionis en tant qu’indiquant des timbres. Les raisons pour lesquelles telle voyelle est indiquée par telle consonne sont d’ordre phonétique, d’ordre étymologique ou d’ordre pratique, selon les cas.

Les voyelles u, i (en général comme longues) sont indiquées naturellement par les consonnes vocaliques correspondantes ו, י, p. ex. קום = קוּם, דּין = דִּין.

Les voyelles , , (en général comme longues) sont indiquées également par ו, י ; d’abord dans le cas de contraction (au̯ > ọ̄ ; ai̯ > ẹ̄, ē̦, p. ex. יום = יוֹם (de i̯au̯m), בּית = בֵּית (état construit de בַּ֫יִת), puis dans d’autres cas.

La voyelle finale est parfois indiquée par ה. Cette graphie est née dans des cas où provient de ahu ; ainsi כלה = כֻּלֹּה (aussi fréquent que כֻּלּוֹ ; cf. § 94 h).

La voyelle finale å est indiquée par ה. Cette graphie a dû naître à l’état absolu des noms en at, dont la forme pausale ancienne était probablement ah (avec h prononcé, comme en arabe), p. ex. מלכּה = מַלְכָּה[1].

La voyelle finale e (, ) est indiquée par ה. Cette graphie a pu être suggérée par les formes du futur avec suffixe de la 3e p., telles que יִגְלֵ֫הוּ, יִגְלֶ֫הָ, et les formes nominales telles que שָׂדֵ֫הוּ, שָׂדֶ֫הָ. Exemples יִגְלֶה, גְּלֵה ; שָׂדֶה, שְׂדֵה.

En résumé ו peut indiquer les voyelles וּ, וֹ[2] ;

En résumé י peut indiquer les voyelles ◌ִי, ◌ֵי, ◌ֶי ;

En résumé ה final peut indiquer les voyelles ◌ָֽ, ◌ֵ, ◌ֶ ; assez rarement ◌ֹ.

L’א peut être quiescent avec toutes les voyelles ; mais en réalité il est ordinairement étymologique, p. ex. רֹאשׁ « tête » (cf. arabe رَأْس raʾs avec alef prononcé). Dans certains cas l’א ne semble pas étymologique, p. ex. dans לֹא (= arabe لَا ). Cet א provient peut-être d’une époque où la voyelle longue primitive ā était encore conservée (c’est ainsi que l’alef indique l’ā long en arabe). De même probablement dans זֹאת « celle-ci » (§ 36 a), נֹאד « outre ».

On trouve, rarement, א non étymologique dans des formes avec la voyelle ◌ָֽ, p. ex. קָאם (Os 10, 14 pour קָם, § 80 k), שֵׁנָא « sommeil » (Ps 127, 2, graphie araméenne pour שֵׁנָה).

La particule נָא (§ 105 c) s’écrit avec א, peut-être pour mieux distinguer de la finale נָה du pluriel fém. au futur et à l’impératif.

c Les matres lectionis en tant qu’indiquant la quantité des voyelles. De même que les matres lectionis indiquent, imparfaitement, certains timbres, elles indiquent aussi, imparfaitement, la quantité. L’écriture hébraïque n’est pas arrivée à indiquer toutes les longues et seulement les longues par une lettre quiescente, comme le fait l’écriture arabe. Très souvent de vraies longues n’ont pas de mater lectionis (scriptio defectiva), et inversement, quelquefois des voyelles moyennes ou brèves ont une mater lectionis (la scriptio plena est alors indue). On emploie ו pour indiquer les voyelles longues וּ, וֹ ; on emploie י pour indiquer les voyelles longues ◌ִי, ◌ֵי, ◌ֶי. L’absence d’une mater lectionis pour la voyelle å s’explique probablement par le fait que å est rarement long (p. ex. dans כְּתָב de *kitāb § 96 D d), car l’ā primitif est ordinairement devenu ọ̄ en hébreu.

Certaines formes fréquentes sont souvent écrites defective ; ainsi on écrit généralement שָׁלשׁ šålọ̄š « trois », malgré la longueur certaine du  ; de même le participe actif qal, p. ex. קֹטֵל qōṭẹl (de *qāṭil). Souvent, par tendance à l’économie, on omet la mater lectionis quand, dans le même mot, on a ו ou י. Ainsi on écrit presque toujours גּוֹיִם « peuples » pour גּוֹיִים, מִצְוֺת miṣu̯ọ̄ṯ « commandements » pour מִצְווֹת. On écrit toujours אֱלוֹהַּ, ʾlọ̄h « Dieu », mais toujours אֳלֹהִים ʾlọ̄hīm (pluriel). On trouve toujours מַחְסוֹר « manque » écrit plene, sauf dans deux cas où il y a un ו dans la forme : מַחְסֹרוֹ Dt 15, 8, וּמַחְסֹֽרְךָ Pr 6, 11.

Par contre, certaines voyelles moyennes ont quelquefois la mater lectionis ; ainsi le futur du type יַקְטֹל où l’ est moyen (provenant d’un u) est assez souvent écrit avec וֹ (cf. Bauer 1, p. 302) ; de même, mais rarement, la forme קְטֹל (impératif et infinitif construit).

La scriptio plena tend à devenir plus fréquente dans les livres postérieurs. Elle est très développée dans les écrits postbibliques et supplée ainsi à l’absence des signes vocaliques.

d Remarque. Quand le ו et le י ne sont pas employés comme mater lectionis, ils se prononcent. C’est le cas dans les groupes suivants où la voyelle qui précède est hétérogène : ◌ַו, ◌ָו, ◌ֵו, ◌ִו ; ◌ַי, ◌ָי, וֹי, וּי. Dans ces groupes le ו et le י ont probablement[3] une valeur consonantique, p. ex. ◌ַי = a̦i̯ (non a̦i), ◌ָו = au̯ (non åu). — Dans le groupe ◌ָיו (suffixe 3e p. sg. m. du nom pl.) le י est quiescent, p. ex. סוּסָיו « les chevaux de lui » se prononce sūsau̯.

  1. La voyelle finale å est parfois sans ה. Ainsi on a 5 fois le ketīb אַתָּ pour אַתָּה toi. On a souvent ןָ pour נָה, finale pl. fém. du futur, p. ex. תּקְטֹ֫לְןָ (§ 44 d). Au parfait la finale 2e p. sg. m. est régulièrement תָּ, p. ex. קָטַ֫לְתָּ (cependant dans le verbe נָתַן donner on écrit plutôt נָתַ֫תָּה § 42 f).
  2. Dans quelques cas très rares le ו semble être mater lectionis du son o : אֶשְׁקֳוטָה Is 18, 4 ; לִשְׁאָול־לוֹ 1 Ch 18, 10. Dans la Mishna et dans le Talmud on a parfois le ו pour indiquer ◌ָ (soit , soit å, ce qui suppose le son unique ). Cf. S. Krauss, Zeitschr. der deutschen morg. Gesellschaft, 67, p. 738, l. 30.
  3. En faveur de cette vue, voir § 19 d.