Grammaire des arts du dessin/XIII archi
Toute architecture a pour supports verticaux des murs, des piliers ou des colonnes ; mais il y a différentes manières de fermer la partie supérieure de l’édifice, c’est-à-dire de couvrir l’espace qui sépare les colonnes ou les murs. Le mode le plus simple, celui qui s’est offert le premier à l’esprit des hommes, consiste à poser sur les supports verticaux des pierres horizontales assez grandes pour réunir deux points d’appui. Quand les supports se touchent et forment un mur, un seul rang de pierres suffit à couvrir l’édifice. Telle est la construction des monuments druidiques de l’ancienne Gaule, notamment ceux de la Roche-aux-Fées, en Bretagne. Quand les supports sont des piliers ou des colonnes, il faut superposer l’un à l’autre deux rangs de pierres. Les pierres du premier rang portent immédiatement sur les points d’appui et par conséquent laissent entre elles des vides (à moins d’être colossales et de toucher à la fois, par une dimension tout à fait exceptionnelle, à quatre piliers) ; les pierres du second rang portent sur les premières et sont juxtaposées de façon à
plate-bande égyptienne.
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couvrir ces vides, qui sont l’intervalle existant entre deux rangées de
colonnes, ou bien entre une rangée de colonnes et un mur. Le bâtiment
monument druidique de la roche-aux-fées.
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étant alors couvert en terrasse, le second rang de pierres fait saillie sur
le premier afin d’écarter la chute des eaux pluviales et d’en préserver le pied des colonnes ou le pied du mur. Comme nous l’avons dit, c’est la
forme la plus ancienne de construction en pierre dans l’antique Orient, en
Égypte, en Perse, dans l’Inde et au Mexique. Mais les Grecs, vivant sous
un climat plus variable que celui de l’Afrique ou de l’Asie, eurent besoin
de toitures, et ils durent surajoutera la terrasse orientale une couverture
à deux pentes qui termina l’édifice sur deux façades par l’élévation triangulaire
que l’on appelle fronton. Toutefois, la stabilité de cette construction
nouvelle reposa toujours sur des supports horizontaux. Leur architecture
ne différa donc point de celle des Égyptiens ; elle eut le même
principe, celui des pierres posées à plat sur les murs ou les colonnes.
Ce fut une architecture en plate-bande : on nomme ainsi le système que
nous venons de décrire.
Cependant la plate-bande exigeait des pierres d’une grande portée et d’une épaisseur correspondante ; or tous les pays n’en produisent point de pareilles. L’architecte se trouvait donc dans la dépendance des matériaux, puisque c’est la grandeur des pierres qui déterminait l’écartement des points d’appui. Que si on voulait se passer de pierres et employer le bois de charpente, on tombait dans l’inconvénient d’une construction moins solide, peu monumentale et plus sujette à périr par la pourriture et par le feu.
Il n’y avait qu’un moyen pour l’architecte d’échapper à une telle servitude. Il pouvait sans doute, comme les Romains l’ont fait souvent, par
exemple au théâtre d’Orange, suppléer aux grandes pierres par ces pierres
plus petites appelées claveaux, qu’on taille en forme de coin, et qui
se soutiennent par leur coupe et au moyen d’armatures en fer cachées
aux regards. Mais cette méthode, dont la pratique devient aujourd’hui
si générale, est essentiellement vicieuse, parce qu’elle n’offre ni la solidité
réelle ni la solidité apparente. L’œil aperçoit avec inquiétude ces
plates-bandes factices qui menacent de glisser et semblent tenir par
miracle, tandis que l’esprit en prévoit la ruine avec frayeur.
Il fallut donc inventer un moyen pour couvrir de grands vides avec de petits matériaux, et pour espacer les supports, non plus selon la grandeur des pierres, mais selon les convenances de l’architecte et la destination du monument. Ce progrès immense fut accompli lorsqu’on eut trouvé l’art de construire une voûte. La plate-bande put être alors remplacée
par un arc. Au lieu de réunir deux points d’appui avec une pierre
d’un seul morceau, on franchit l’intervalle qui les séparait en appareillant
des pierres plus petites suivant une courbe. Nous verrons dans la
suite de cet ouvrage combien cette courbe a varié. Les Étrusques et les
Romains l’ont dessinée en plein cintre, ce qui veut dire en demi-cercle ;
quelquefois ils l’ont surbaissée, c’est-à-dire formée par un demi-ovale,
ou, comme s’exprime le langage populaire, en anse de panier.
Les Arabes ont préféré l’arc outre-passé, autrement dit en fer à cheval.
Les chrétiens du moyen âge l’ont exhaussé en ogive. Mais, quelle que
soit l’importance historique du style ogival et du style arabe, ces deux
architectures n’en sont pas moins réductibles au système de l’arc, parce
que la solidité des parties soutenues résulte de l’appui mutuel que se
prêtent deux pesanteurs inclinées, deux arcs de cercle. Il est donc vrai
de dire que toutes les variétés de l’architecture se peuvent réduire à
deux principes générateurs : la plate-bande et l’arc.