Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Homme blasé (L’), comédie-vaudeville en deux actes, de Duvert et Lauzanne

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 365-366).

Homme blasé (L’), comédie-vaudeville en deux actes, de Duvert et Lauzanne (théâtre du Vaudeville, 18 novembre 1843). « Pierre-Ponce Nantouillet, dit Th. Gautier, à qui nous empruntons l’analyse de cette pièce, a 150,000 livres de rente, qu’il dépense consciencieusement ; aussi est-il complètement blasé. Que faire ? à quoi employer ces vingt-quatre interminables heures dont se compose la journée ? » « Mes 150,000 livres de rente pour une sensation ! s’écrie Nantouillet. - Mariez — vous, lui disent ses amis ; vous en éprouverez une que vous ne connaissez pas encore, celle d’être… — Oh ! quelle idée ! répond Nantouillet ; mais je n’ai personne en vue. Bah ! tant mieux, j’épouserai la première femme que je rencontrerai. » La première qu’il rencontre est une demoiselle des Canaries, une modiste, sa voisine ; elle vient faire une quête pour les personnes grêlées. Nantouillet lui offre son cœur et sa fortune. La jeune tille se hâte d’accepter le tout ; mais voici qu’un rival se présente : c’est un ancien maître serrurier retombé à l’état de simple compagnon par suite de ses folles dépenses pour cette même demoiselle des Canaries, qu’il accuse Nantouillet d’avoir détournée du chantier de la sagesse ; car, venu chez l’homme blasé pour poser un balcon à une fenêtre qui donne sur la rivière, il y a rencontré l’ancienne idole de son cœur. La colère du Vulcain s’allume à cette vue, et il provoque Nantouillet à un de ces duels où ne sont employées que les armes fournies par la nature, c’est-à-dire à un combat de savate. « Une émotion ! dit Nantouillet ; si je pouvais attraper un coup de poing ! » Après des coups portés et reçus, les deux champions se prennent à bras le corps et finissent, en se poussant, par tomber de la fenêtre, où le balcon n’est pas encore posé, au beau milieu de la rivière. « Tant mieux ! ça les séparera peut-être, » dit l’impassible Mlle  des Canaries. Ils se séparent en effet, après avoir bu quelques bouillons, et regagnent la rive, chacun pensant avoir noyé son rival, et fort inquiet sur les suites de cette algarade. Nantouillet va cacher sa frayeur et ses remords dans une ferme où il a une filleule des plus gentilles. Persuadé qu’on va le poursuivre à cause de la mort du serrurier, il se cache sous les habits d’un berger ; il mange du pain bis et de la soupe aux choux, arrosée de piquette, lui, le Sardanapale, le blasé. Effet du contraste : Nantouillet ne se sent pas trop malheureux dans sa nouvelle condition ; il digère mieux, il dort paisiblement ; les remords le tourmentent bien un peu, mais il se distrait de ces pensées funèbres en regardant les beaux yeux de sa filleule Louise. Un homme qui a 150,000 livres de rente ne disparaît pas sans qu’on voie aussitôt se présenter une foule d’héritiers. Ceux-ci accourent donc à la ferme, accompagnés d’un juge de paix, et s’expriment sur le compte de Nantouillet de la façon la plus irrévérencieuse ; l’homme blasé les entend et profite d’un moment où il est seul pour ajouter au testament un codicille par lequel il institue Louise son unique héritière. Grande surprise des héritiers, qui se mettent à courtiser la petite paysanne, devenue tout à coup un excellent parti. Nantouillet, indigné, se montre. Le juge de paix l’arrête comme assassin du serrurier, et le met dans une chambre qu’il fait garder par des sentinelles. Un souterrain est le seul moyen de fuite laissé à Nantouillet. Il s’y engage. Mais, grand Dieu ! quels sont ces gémissements ? Nantouillet, qui ne se plaint plus de manquer d’émotions, a vu dans la cave l’ombre de sa victime, et bientôt il ressort avec des cheveux blancs ! Tout s’explique : le serrurier, croyant aussi avoir un meurtre sur la conscience, est venu chercher un refuge dans la ferme, où il a des amis, et il s’est rencontré dans le souterrain avec son adversaire. Au dénoûment, Nantouillet, guéri de son spleen, épouse Louise. Il y a plus d’originalité dans ce sujet qu’on n’en trouve dans certaines comédies prétentieuses. L’esprit et la gaieté des situations et du dialogue valurent à l’ouvrage un très-brillant succès.