Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Langues et principes physiques de l’étymologie (FORMATION MÉCANIQUE DES), par le président Debrosses

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 160).

Langues et principes physiques de l’étymologie (formation mécanique des), par le président Debrosses (1765, 2 vol. in-12). Cet ouvrage traite de la matière et de la forme du langage et de la philosophie du discours. L’exactitude des idées dépendant, selon l’auteur, de l’exactitude des expressions, l’étymologie tient de très-près à la logique. L’auteur remonte jusqu’aux principes élémentaires de la formation des mots, afin, dit-il, d’en déduire « les rapports et le degré de force que ceux-ci doivent avoir lorsqu’ils sont rassemblés en troupes nombreuses ; car on ne parvient à connaître la force du discours, résultant de l’assemblage des termes, qu’autant qu’on a commencé par bien connaître la force des termes mêmes, leur valeur réelle et primitive, leur acception conventionnelle et dérivée, qui ne s’est établie, bien ou mal à propos, que sur le véritable et premier sens physique du mot, que sur un rapport réel entre les termes, les choses et les idées. »

L’auteur pose les principes suivants : 1o  les germes de la parole, d’où sont éclos tous les mots du langage, sont des effets physiques et nécessaires, résultant absolument de la construction de l’organe vocal et du mécanisme de l’instrument, indépendamment du pouvoir et du choix de l’intelligence qui le met en jeu ; 2o  les germes étant en très-petit nombre, l’intelligence ne peut faire autre chose que de les répéter, de les assembler, de les combiner de toutes les manières possibles, pour fabriquer les mots tant primitifs que dérivés et tout l’appareil du langage ; 3o  dans le petit nombre de germes ou d’articulations, le choix de celle qu’on veut faire servir à la fabrique d’un mot est physiquement déterminé par la nature et la qualité de l’objet même, de manière à le dépeindre approximativement tel qu’il est ; 4o  le système de la première fabrique du langage humain n’est donc pas arbitraire et conventionnel, comme on a coutume de se le figurer, mais c’est un vrai système de nécessité déterminée par deux causes, dont l’une est la construction des organes vocaux, qui ne peuvent rendre que certains sons analogues à leur structure, l’autre est la nature et la propriété des choses réelles qu’on veut nommer ; 5o  la première fabrique du langage humain n’a donc pu consister qu’en une peinture plus ou moins complète des objets, telle qu’il était possible aux organes vocaux de l’effectuer par un bruit imitatif des objets réels ; 6o  toute la propagation du langage s’est faite sur ce premier plan d’imitation dicté par la nature ; 7o  les choses étant ainsi, il existe une langue primitive, organique, physique et nécessaire, commune à tout le genre humain, qu’aucun peuple du monde ne connaît ni ne pratique dans sa première simplicité, que tous les hommes parlent néanmoins, et qui fait le premier fonds du langage dans tous les pays, fonds que l’appareil immense des accessoires dont il est chargé laisse à peine apercevoir ; 8o  les accessoires, sortis les uns des autres, de branche en branche, d’ordre en sous-ordre, sont tous eux-mêmes sortis des premiers germes organiques et radicaux comme de leur tronc, et ne sont qu’une ample extension de la première fabrique du langage primitif, tout composé de racines ; 9o  le système accessoire de dérivation participe à la nature du système fondamental, et est, le plus souvent, plutôt nécessaire, comme lui, que conventionnel ; 10o  les sensations ont eu plus de part que la volonté dans la première fabrique du langage humain et des noms radicaux, et même dans le mécanisme des dérivations ; 11o  après être remonté aux premiers principes du langage, tirés de l’organisation humaine et de la propriété des choses nommées, il faut redescendre au développement de ces principes, observer les effets de la dérivation ; après avoir étudié ses causes et ses éléments, examiner par quelles voies elle a passé du physique au moral et du matériel à l’intellectuel, démêler, par l’analyse des opérations successives, l’empire de la nature dans le mécanisme de la parole et de la formation des mots d’avec ce que l’homme y a introduit d’arbitraire par son propre choix, par l’usage, par convention ; montrer, enfin, par quelles déterminations, par quelles méthodes et jusqu’à quel point l’arbitraire a travaillé sur le premier fonds physiquement et nécessairement donné par la nature.

Tels sont les principes que l’auteur développe, sans autre guide que la nature suivie pied à pied dans ses opérations. Ses observations et ses préceptes généraux sont soutenus, surtout dans la dernière partie de l’ouvrage, d’exemples bien choisis. Ces exemples adoucissent la sécheresse des raisonnements abstraits dont le livre est rempli, et mènent sans ennui le lecteur jusqu’à la conclusion, qui est celle-ci : « L’art étymologique n’est pas un art inutile et incertain, et la fabrique des mots roule sur quatre éléments dissemblables entre eux : l’être réel, l’idée, le son et la lettre, unis néanmoins intimement par un lien secret, principe nécessaire de la fabrique des mots. »