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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Mai (LOI DU 31), mesure législative et inconstitutionnelle qui consacra, en 1850, la mutilation du suffrage universel

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 3p. 939-940).

Mai (loi du 31), mesure législative et inconstitutionnelle qui consacra, en 1850, la mutilation du suffrage universel.

À cette époque, l’élection de Cnrnot, de Vidal et de de Flotte, puis d’Eugène Sue à Paris, d’autres élections partielles dans les départements, le mouvement de l’opinion annonçaient assez que la démocratie socialiste allait rapidement devenir maîtresse du scrutin. Le gouvernement et la majorité cherchèrent un remède contre les tendances radicales du suffrage universel, et il crurent l’avoir trouvé dans l’élimination d’un certain nombre d’électeurs appartenant aux classes ouvrières et rurales. Ce qu’il est important de constater, c’est que le gouvernement du président de la République et la majorité réactionnaire de l’Assemblée, divisés sur tant d’autres

fioints, étaient parfaitement d’accord sur ceui-ci et marchèrent de concert. Une coinmission de dix-sept membres fut nommée à cet effet ; elle était composée de la fleur de la réaction, de tous les vieux politiques de l’orléanisme et du légitimîsme, les Beugnot, les Thiers, les Benoit d’Azy, les Vatimesnil, les Saint-Priest, les Piscatory, les de Sèze, les de Broglie, les Mole, les Montalembert, les Léon Faucher, les Berryer, etc. Le public les avait plaisamment surnommés les Burgraves. Ces patriarches, la plupart blanchis dans les intrigues politiques et parlementaires, forgèrent précisément l’arme qui devait servir à les frapper. Ils déposèrent leur projet le 8 mai 1850. C’était presque un retour au système électoral de la monarchie de Juillet, du moins autant qu’on le pouvait dans les circonstances. Ce projet exigeait de tout électeur trois années de domicile constatées par l’inscription au rôle de la taxe personnelle. Le pauvre était laissé à la merci des maîtres qui, pour l’ouvrier ou lo domestique, étaient les seuls aptes à constater les trois années exigées. De nombreuses exceptions du même genre ajoutaient encore à ia rigueur de ces restrictions.

C’était une loi de guerre civile, une provocation flagrante à 1 insurrection ; Michel (de Bourges) et d’autres orateurs delà Montagne la stigmatisèrent avec une énergique indignation. Les débats furent très-orageux. Le rapporteur était l’acrimonieux Léon Faucher ; le ministre Baroche, par ordre du président, soutint la loi. C’est pendant cette discussion que M. Thiers, au milieu d’un flux de paroles haineuses, qualifia la partie la plus pauvre du peuple de vile multitude. Ces paroles imprudentes soulevèrent une véritable tempête.

Environ 3 millions d’électeurs furent ainsi éliminés. Au dehors, l’agitation fut extrême jusqu’au vote de la loi, qui eut lieu le 31, au milieu d’un grand déploiement de troupes. On redoutait et les réacteurs espéraient une émeute ; mais la démocratie, divisée sur la question d’une prise d’armes, contenue par la plupart de ses chefs, se borna k protester contre cette nouvelle violation de la constitution.

Le 4 novembre, dans son message k l’Assemblée, le président de la République proposa l’abrogation de la loi du 31 mai, à la confection de laquelle son gouvernement avait coopéré d’une manière si active. L’Assemblée rejeta la proposition. Elle aurait pu prévoir, dès lors, avec quelle arme on la frapperait au 2 décembre.

Ce fut, en effet, en associant le rétablissement du suffrage universel à la dissolution de l’Assemblée que le président accomplit son coup d’État.

Les Burgraves avaient été joués deux fois.