Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Révolution française (MÉMOIRES SUR LA), par Mme Elliott

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1119).

Révolution française (MÉMOIRES SUR LA), par Mme  Elliott (1861). Écossaise et jacobite, douée d’une beauté enchanteresse, Mme  Elliott avait été successivement, à Londres, la maîtresse du prince régent, à Paris la maîtresse du duc d’Orléans. En France, comme en Angleterre, elle joua le rôle, non d’une Pompadour, mais d’une Agnès Sorel ; et, après avoir partagé les grandeurs royales, elle épousa loyalement les infortunes méritées des princes et des victimes du mouvement révolutionnaire. C’est ce qui l’absout, c’est ce qu’il faut se rappeler pour avoir la claire intelligence de son récit. Ce récit commence deux jours avant la prise de la Bastille et s’arrête presque à la veille du 9 thermidor. Cette narration n’est pas un froid discours, mais un récit vif et animé. Il reproduit tour à tour les émotions, les indignations, les colères d’une femme courageuse, humaine, dévouée, qui sent plutôt qu’elle ne réfléchit. En premier lieu, Mme  Elliott nous représente le duc d’Orléans et son entourage indécis, surpris par la Révolution, placés entre la cour et l’insurrection de Paris. Attachée au prince par une amitié qui survivait à un premier sentiment, elle apparaît pour le rappeler aux devoirs du sang, à la fidélité monarchique ; mais les familiers du duc et la maîtresse régnante, Mme  de Buffon, ont une politique différente de la sienne. Cependant, elle obtient par ses supplications qu’il se rendra immédiatement à Versailles. Le duc arrive, en effet, au lever du roi, qui lui dit rudement : « Je n’ai rien à vous dire, retournez d’où vous êtes venu. » Ulcéré de cet affront, Philippe d’Orléans fut dès cet instant irréconciliable. Le premier entourage du prince, que la narratrice qualifie de détestable, se compose de Talleyrand, Mirabeau, le duc de Biron (Lauzun), le vicomte de Noailles, le comte de La Marck et autres moins connus. Ce sont eux, en attendant les intrigants émérites venus à la suite, tels que Laclos, l’auteur des Liaisons dangereuses, qui, les premiers, entraînèrent le duc d’Orléans dans le mouvement révolutionnaire. En faisant la part de sa vivacité de femme et de royaliste, on doit reconnaître que Mme  Elliott esquisse correctement la physionomie et le rôle de chacun. Elle donne la véritable explication du caractère du duc d’Orléans, prince aimable, mais faible, amolli et dissolu, âme sans consistance et sans ressort moral, conduit par des ambitieux en sous-ordre. Telle est sa faiblesse d’esprit, qu’au lendemain du 10 août, quand le roi est arrêté et mis en jugement, il se figure qu’il va continuer de vivre à Paris dans les plaisirs, en riche patricien. L’illusion tombe bientôt ; au péril de sa propre vie, Mme  Elliott sauve les jours du marquis de Champcenetz, l’ancien gouverneur des Tuileries, pendant une visite domiciliaire prolongée, en le faisant se cacher dans son alcôve, entre les matelas de son lit. Le duc vote la mort du roi, malgré les remontrances de son ancienne maîtresse. Le roi mort, elle va trouver le prince et elle l’accable de toute l’ironie dont son cœur était plein. Dès ce moment, le prince sait bien que l’échafaud attend sa tête ; mais il croit ajourner le coup fatal en détournant les yeux du danger. Emprisonnée à son tour, Mme  Elliott est transférée de Versailles à Paris. Elle est fort surprise de voir arriver aux Carmes le général Hoche, qu’on y écroue en même temps qu’elle. Dès les premiers instants, on devient les meilleurs amis du monde. Hoche fait sur son esprit et peut-être sur son cœur la plus vive impression. Santerre est jeté, à son heure, dans la même prison ; de près, il dément sa lugubre célébrité ; quelques prisonnières agréent ses attentions ; mais Mme  Elliott résiste aux cajoleries de Santerre, qui, à peine sorti de prison, lui envoie du sucre et du thé vert. Aristocrates et plébéiens, on fraternise en vue d’une mort commune et prochaine.

Entre les diverses relations laissées par les femmes sur la Révolution, le récit de Mme  Elliott a un caractère propre. Cette Écossaise royaliste a écrit ses souvenirs et ses impressions avec le cœur ; elle a même senti en français, et l’élégante et vive traduction donnée en 1861 (par M. de Baillon) semble reproduire le texte original de ces mémoires.