Guide du bon sens/Les femmes, la mode et l’amour

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Les Éditions des Portiques (p. 19-34).

II

LES FEMMES, LA MODE ET L’AMOUR


Les femmes ont-elles du bon sens ?

Il est vrai que l’on félicite certaines, et qu’on les admire, d’être des femmes de tête ; est-ce à dire que tête et cerveau, bon sens par conséquent, soient chez elles qualités d’exception, et par quoi les femmes de tête, de bon sens, se distinguent de toutes les autres ?

Nous avons indiqué comment Ève, la première, avait manqué de bon sens en écoutant le serpent, et en prêtant attention à sa misérable histoire de pomme. Mais nous avons indiqué aussi comment la faute d’Adam n’avait pas été moins lourde, dans cette même circonstance déplorable : plus lourde, peut-être, car, lui, ce n’est pas en écoutant le serpent qu’il s’est décidé, mais en écoutant sa femme, non plus déjà avec l’excuse de la surprise, mais ayant eu déjà le temps de la réflexion.

Quand nous accusons les femmes de manquer de bon sens, c’est beaucoup par représailles, et parce que nous avons constaté tout penauds que, neuf fois sur dix, c’est pour elles, à cause d’elles, sinon à leur instigation, que le bon sens nous quitte, nous les hommes.

Le bon sens est un trésor de famille à l’égard duquel l’homme et la femme ont une responsabilité égale et dont tous deux connaissent également le prix. Or ils semblent, devant ce trésor, précisément revenus devant la pomme du Paradis : la femme met son orgueil à le dilapider, pour entraîner l’homme dans sa ruine ; et la sottise de l’homme est de se laisser entraîner complaisamment, sans résistance.

Nous ne nous lasserons pas de répéter, en effet, que le bon sens n’a d’autres ennemis, de pires ennemis, que l’orgueil et que la sottise, et que, sans la tyrannique intervention de celle-ci et de celui-là, nous userions tous de notre bon sens de la façon la plus naturelle, sans même qu’il soit besoin ni question de le remarquer.

Oui, la femme a du bon sens, ni plus ni moins que l’homme, mais tout autant ; la femme a du bon sens mais plus d’orgueil que de bon sens, et un orgueil qui, pour la majeure partie, s’accroît de la sottise de l’homme.

C’est pourquoi le cas du ménage Barbe-Bleue est extrêmement rare, où c’est la femme qui se montre une sotte, une pauvre sotte, de vouloir, en dépit qu’elle en ait, ouvrir cette porte, ― ce qui n’avait pas de bon sens…

Mais est-ce avoir du bon sens, sinon de tuer toutes ses épouses successives, du moins de garder leurs cadavres derrière la fragile protection d’une serrure, au lieu de les faire soigneusement disparaître, par exemple, en les brûlant, ou de les expédier au loin dans une malle ?…

S’il ne s’agissait pas d’un conte de fées, mais d’une aventure réelle, trop réelle, on verrait la femme de Barbe-Bleue obtenir que son mari lui ouvrît lui-même la porte du cabinet tragique, après lui avoir juré ses grands dieux qu’elle ne l’en aimerait que davantage, et lui avoir, bien entendu, promis de ne point trahir son atroce et redoutable secret — quitte à envoyer une lettre anonyme aussitôt après et à livrer ce dangereux mari à la maréchaussée…

Tuer sa femme, ouvrir la porte défendue, la question est toujours et d’abord de savoir si le jeu en vaut la chandelle ; et c’est au bon sens de trancher la question. C’est le bon sens qui apprécie l’attrait du jeu, et la valeur de la chandelle.

Mais la chandelle se pèse, et elle a son prix courant ; tandis que l’attrait du jeu varie suivant le tempérament des joueurs, de ceux qui jouent et de ceux avec qui l’on joue ; il y entre des éléments qui ne sauraient être fixés une fois pour toutes et qui ne se déterminent pas au poids.

C’est ici que le bon sens risquerait d’être pris en défaut, si on lui attribuait un rôle au-dessus ou au-dessous de ses moyens ; le rôle du bon sens est d’une sorte de contrôleur des poids et mesures ; mais semblable contrôle ne s’exerce que sur ce qui se pèse ou sur ce qui se mesure. Il n’y a pas une balance automatique, une toise officielle et réglementaire du bon sens, auxquelles il suffirait de soumettre, pour les éprouver, nos désirs et nos actes, nos pensées et nos sentiments.

Nous savons qu’il y a une heure, une minute précise où le soleil se lève, une heure, une minute précise où il se couche : le jour commence aux premières, et la nuit aux secondes ; mais la lumière les attendra-t-elle, où l’obscurité — lumière et obscurité dépendront-elles strictement d’elles seules ?

Il y a le lever et le coucher du soleil, mais il y a aussi l’aube et le crépuscule, il y a ces nuances incertaines du ciel qui ne sont plus le jour et pas encore la nuit, qui sont comme des franges d’obscurité ou de lumière…

La raison a ses franges, et la déraison. Et les limites du bon sens et de l’extravagance ne s’arrêtent pas à un poteau frontière ; elles comportent une zone neutre, comme, à certaines heures, le soleil a son halo.

C’est ce halo autour de tels ou tels actes, de tels ou tels sentiments, dont il faudra bien qu’avant de prononcer le bon sens lui-même tienne compte, pour les comprendre, pour les juger.

Nous demandions si les femmes ont du bon sens ; ne devrons-nous pas commencer par demander au bon sens s’il est susceptible, à cette occasion, de discerner suffisamment, pour s’y adapter avec exactitude, le halo féminin, ce qui rayonne autour de la femme, modifie ou conditionne tant de choses sur son passage, dans le champ de son rayonnement ?

On s’accorde généralement à citer les caprices des modes, qui régentent les ajustements et les parures, comme les manifestations les plus caractéristiques organisées contre le bon sens.

Parfois, en effet, dans la rue, dans une assemblée, dans un lieu public, à regarder froidement les gens qui nous entourent, et la façon dont ils se présentent à nous, comment n’être point frappés d’une brusque stupeur ? Ces combinaisons d’étoffes multicolores, cette utilisation de cailloux brillants, de plumes, de fleurs artificielles, — voire des fleurs naturelles des parterres ou des champs, que la femme placera à sa ceinture et l’homme à sa boutonnière, à défaut d’un ruban rouge ou d’un ruban vert ou violet, également insensés à le bien prendre — à quoi cela correspond-il, où sommes-nous, ne sont-ce point là divertissements de sauvages, déraisonnables et enfantins ?

Qui voudra soutenir que le bon sens règle le flux et le reflux des grands et des petits chapeaux, et singulièrement décide que la taille des femmes sera, ou plus haut ou plus bas, mais jamais à la taille ? Et quand on se moque des médecins de Molière qui changent, d’autorité, l’emplacement du cœur, du foie et de la rate, que sont leurs décisions arbitraires auprès de l’arbitraire du grand couturier ?

Cependant si tu t’étonnes de ces illogiques, injustes et incompréhensibles décrets qui bouleversent ainsi le libre jeu de la poitrine ou des hanches de la femme, crois-tu donc que l’on respecte le libre jeu de ton cerveau, et ne protestes-tu pas au nom du bon sens quand on comprime le cerveau plus durement qu’avec tous les buscs et les liens de toutes les ceintures et de tous les corsets ?

La mode déforme et déplace la taille des femmes ? Et la mode de certaines études fait-elle autre chose que nous tourner la tête et nous déformer le cerveau ?

Le bon sens, qui proteste contre l’emploi de la fourrure pour une robe d’été, et par le froid hiver contre l’usage des robes légères et décolletées à l’excès, trouvera-t-il plus naturel, trouvera-t-il plus raisonnable, que notre cerveau s’acharne aux spéculations de la métaphysique, ou du calcul intégral ? Notre cerveau n’est pas plus destiné par nature à ces spéculations que le corps féminin à ces robes et à ces tortures.

Mais autour de l’étude, il y a le halo de la curiosité scientifique comme autour de la mode, celui de l’élégance et de la séduction.

Ce qu’il ne faut pas, ce qui dresse contre lui, avec des arguments, somme toute, assez plausibles, les ennemis et les contempteurs du bon sens, c’est qu’il prétende faire passer sous sa toise, et sur sa balance, ce qui ne se pèse pas, justement, ce qui ne se mesure pas, le charme du savoir et le charme de la femme, le charme, en un mot, le charme tout court, dont on ne saurait dire s’il est raisonnable ou déraisonnable, puisqu’il échappe à la raison.

Car la raison est une et tout d’une pièce, tandis que le charme est multiple, divers, particulier à chaque individu, pour chaque individu, et qui peut varier avec chacun d’eux.

Il n’est pas impossible que le charme et le bon sens se mettent d’accord. Une mode charmante n’est pas nécessairement absurde.

Quand l’impératrice Eugénie, pour excursionner au milieu des rochers de Biarritz, avait décidé de renoncer à la crinoline et aux longues traînes, qui protestait alors contre les dames de la cour, qui, à l’exemple de leur impériale maîtresse, se promenaient, murmurait-on, « vêtues comme des danseuses », qui protestait ? Ce n’était pas, ce ne pouvait être le bon sens.

Et pourtant le bon sens s’oppose à ce qu’une impératrice s’accommode comme une danseuse, qui semblerait une manière de provocation aux bonnes mœurs ; mais le bon sens s’oppose aussi à ce qu’une femme, ou danseuse ou impératrice, risque de s’embarrasser les jambes et de se tourner le pied, ainsi habillée et chaussée pour escalader les rochers de Biarritz comme pour traverser les salons des Tuileries…

Les convenances non plus, et par delà les convenances, la pudeur elle-même, ne crois pas qu’elles s’accordent, une fois pour toutes, avec le bon sens.

Simplement lorsque sont admises certaines règles de convenance, lorsque la pudeur a décidé de s’affirmer par telles ou telles autorisations et telles ou telles interdictions, ces interdictions, ces autorisations, toutes ces règles, le bon sens cesse de les juger. Il n’apprécie pas s’il les eût ainsi établies ; quelles qu’elles soient, elles ne sauraient être contraires au bon sens, puisque le bon sens n’intervient pas pour discuter leur origine, mais seulement pour surveiller leur application.

J’ai noté que le bon sens n’était pas la conscience, ni la raison ; la conscience et la raison des hommes cheminent pareilles à elles-mêmes à travers les âges et sous toutes les latitudes. Elles ne tiennent compte d’aucune contingence, elles sont toujours la conscience, toujours la raison.

Le bon sens, au contraire, évolue manifestement sous l’empire des circonstances de temps et de lieu. Et puisque nous parlons des femmes, cette évolution n’apparaîtra-t-elle pas le plus sensible dans une matière délicate entre toutes : la pudeur ?

Les notions de pudeur étaient-elles les mêmes chez nos grand’mères et pour nos petites-filles ? Le bon sens de nos grand’mères n’eût-il pas protesté contre les audaces de toilette ou d’éducation que nos petites-filles ont précisément réclamées au nom du bon sens ?

Et les nègres ? Pourquoi refuserions-nous tout bon sens aux nègres ? Le bon sens d’un chef de tribu n’a-t-il pas éclaté souvent dans les palabres, pour l’émerveillement de nos explorateurs ? Mais ce chef de la tribu et tous ceux de la tribu plaçaient de toute évidence leur pudeur autrement que nous, ce qui ne signifiait nullement qu’ils fussent dépourvus de pudeur plus que de bon sens.

Pour nous-mêmes, qui ne sommes pas des nègres, pour tel de nos concitoyens, par exemple, qui n’a rien d’un chef de tribu, et n’est qu’un simple chef de bureau de ministère, pour sa femme et pour ses enfants, n’est-il pas constant que leur pudeur aussi se déplace, non d’après la latitude, mais de façon saisonnière : ne suffit-il pas que soient venus les mois de vacances et l’annuel séjour au bord de la mer, pour que lui, sa femme et ses enfants, témoignent d’une complète impudicité au regard de ce qu’est cette femme quand elle fait des visites ou se précipite aux soldes des grands magasins, cet homme quand il va à son bureau, ces jeunes garçons et ces jeunes filles quand ils se rendent à leur cours ou à la matinée classique du Théâtre-Français ?

Ce déplacement de leur pudeur correspond-il à une perte momentanée, mais totale et régulière, de tout leur bon sens ?

Il y a un mot, dont on usa d’abord avec discrétion, dans l’acception distinguée que lui prêtaient les seuls lettrés et qui, peu à peu, a été mis à toutes les sauces, même à la sauce politique, et finira par tomber dans le jargon parlementaire, c’est le mot « climat ». Entendez par là cette atmosphère indispensable au développement d’un sentiment exceptionnel et choisi : on s’aperçoit qu’il existe un « climat » pour la pudeur, tandis qu’il n’en existe pas et n’en saurait exister pour le bon sens.

Parce qu’il n’y a pas, pour le bon sens, de climat favorable, nécessaire, le bon sens ne doit pas cependant négliger les conditions climatériques que tel sentiment exige, ni, pour s’ajuster à ce sentiment, négliger de s’en préoccuper.

En d’autres termes, le bon sens, s’il prétend trancher les questions qui y touchent, ne doit pas envisager la pudeur en soi, mais il est bien obligé de tenir compte du « climat » de la pudeur ; et plus encore, il y a un « climat » de l’amour que le bon sens ne peut pas ne pas définir, chaque fois qu’il lui arrivera de s’aventurer sur le terrain de l’amour.

C’est sur ce terrain, sans doute, que le bon sens éprouvera le plus grand nombre de mécomptes, se sentira le moins à l’aise, exposé à plus de périls et d’embûches.

Périls, embûches, malaises, mécomptes, comme il serait facile cependant de dissiper tout cela, s’il n’y avait, à l’origine, entre le bon sens et l’amour, le pire et le plus absurde des malentendus !

Dans un des tomes de ce « Théâtre de Second Ordre », dont le titre n’est modeste qu’en apparence, car le fatras qu’il renferme, est, pour la plupart, de tout dernier ordre, du troisième, du quatrième, plus encore que du second, dans un de ces innombrables tomes qui ont accoutumé de garnir tout un rayon de bibliothèque des maisons de campagne, sinon la malle d’un grenier, car c’est là que, le plus souvent, on trouve ce « Théâtre de Second Ordre », je me rappelle avoir découvert, jadis, l’argument d’une pièce, qui mettait en scène une certaine Princesse de Franconie d’une éblouissante beauté : plus dangereuse encore qu’éblouissante, car il suffisait d’apercevoir la Princesse pour devenir fou à l’instant même, et entendons-nous bien, fou sans métaphore, non pas fou d’amour, mais fou tout simplement, fou à enfermer…

En sorte que, pour éviter que toute la population de Franconie, du moins la population mâle, dût être enfermée dans les asiles d’aliénés franconiens contraints déjà de refuser du monde, le bon roi, père de la princesse, obligeait sa fille, lorsqu’elle sortait, à ne circuler qu’en litière, une litière aux épais rideaux soigneusement tirés, et même, par surcroît de précaution, la litière était précédée de timbaliers, qui, par le bruit de leurs instruments, prévenaient les habitants d’avoir à rentrer hâtivement dans leurs maisons, — comme sur le passage des lépreux…

Et voici qu’un jour, un jeune seigneur étranger, informé de ces particularités extraordinaires de la Franconie et de sa princesse, loin de s’enfuir prudemment, lui aussi, s’en vient tout exprès en Franconie, pour voir la Princesse de Franconie, la voit, en effet, et naturellement devient fou.

— Voilà un jeune seigneur qui manquait étonnamment de bon sens, direz-vous, et ce manque étonnant de bon sens fut puni avec justice : il ne l’avait pas volé !

Mais attendez la suite…

La Princesse de Franconie se souciait assez peu de ses victimes ; elles étaient trop ! Pourtant la flatteuse et téméraire insistance du jeune seigneur étranger a ému la princesse ; et puis il faut bien une péripétie à la pièce, même une pièce de théâtre de second ordre ; la péripétie donc, la voici :

Dans le château qui sert d’asile au pauvre fou, à son tour la Princesse s’est introduite, à son tour c’est elle qui regarde le jeune seigneur qui, lui, désormais, ne risque plus rien, puisqu’il est déjà fou.

Et c’est le tour, alors, de la Princesse de devenir, à la vue du jeune seigneur, non pas folle, mais amoureuse…

Quant au jeune seigneur, il guérit instantanément : du moment où il est aimé, il n’est plus fou, mais du même coup, il s’aperçoit qu’il n’est pas, qu’il n’a jamais été amoureux de la princesse ; et c’est la princesse qui deviendra folle devant l’indifférence du jeune seigneur étranger qui ne songe plus qu’à repartir dès qu’il a retrouvé toute sa raison…

Ainsi le conflit entre l’amour et la raison se présente ici, en Franconie, sous toutes ses faces, puisque l’on y voit des amoureux prêts à perdre la raison, comme il est de règle, et aussi comment la raison qui s’enfuit dès que l’amour paraît, c’est elle, quand elle revient, qui met l’amour en fuite — bref comment la raison est incompatible avec l’amour.

Mais qui donc a inventé cette incompatibilité, car il faut bien qu’on l’ait inventée de toutes pièces ?

Est-ce que l’amour et le bon sens ne sont pas frères, enfants tous deux de la nature humaine, puisqu’il n’est rien de plus naturel que d’aimer, et que le bon sens est, par excellence, le sens naturel ?

Mais on est allé raconter à l’amour que le bon sens ne pouvait pas le voir en peinture, tandis que l’on racontait au bon sens que celui-là seul aimait vraiment qui aimait à en perdre la raison.

Voilà comment le bon sens et l’amour sont devenus des frères ennemis.

Et qui leur faisait ces contes détestables, étaient-ce des gens qui aimaient ? C’étaient des gens qui parlaient de l’amour, ce qui n’est pas du tout la même chose, car celui qui aime n’éprouve pas le besoin d’en faire des discours et des contes.

La réputation de l’amour, dont le bon sens s’est ému et a pris ombrage, a été comme la plupart des réputations fausses, établie après coup, par ricochet, par intermédiaire, et par le récit de ses excès.

Un amour raisonnable, qui s’y intéresse ? Aussi bien, lui-même ne demande qu’à n’intéresser personne, c’est-à-dire personne d’autre que le couple directement intéressé.

Et parce qu’il n’est rien de plus raisonnable que d’aimer, et qu’un homme et une femme n’ont sans doute, raisonnablement, rien de mieux à faire, pour dresser contre l’amour le bon sens et la raison, il a donc fallu que l’on créât de toutes pièces, en effet, une image déraisonnable, une image insensée de l’amour.

L’amour, comme il est toute raison, est toute joie, toute allégresse. Or, il n’a plus été question que de ses peines, que de ses chaînes, que de ses tourments, de ses tortures et de ses maux.

Lorsque le bon sens dit : « Aimez qui vous aime ! » en quoi se montre-t-il l’ennemi de l’amour ? L’ennemi des peines d’amour, ce qui est bien différent.

Oui, le bon sens ne veut pas que l’on souffre d’amour, et ce faisant, ne défend-il pas ce qui est, ce qui devrait être l’essence même, le caractère essentiel de l’amour ? Car l’amour n’a pas reçu mission de faire souffrir les hommes par les femmes, ni les femmes par les hommes. Nous avons bien, les uns et les autres, et chacun de notre côté, assez de sujets de souffrance comme ça, de souffrance ou d’embêtement, sans que, par surcroît, l’amour s’en mêle !…

Il ne faudrait pas confondre l’amour avec ses malades et il est exact que le bon sens ne peut rien que pour des gens sains.

40° n’est pas une température normale, c’est une température de fièvre, de forte fièvre ; dira-t-on que l’amour ne commence qu’à la température de 40° ?

Et si tu te plains que le bon sens ne puisse rien, par exemple, pour guérir la jalousie, que l’on considérera justement comme une forme exaspérée, passionnée, la plus passionnée peut-être, de l’amour, je te répondrai que l’on n’a jamais prétendu non plus, avec le seul secours du bon sens, guérir la coqueluche ou la scarlatine.