Guy Mannering/46

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Guy Mannering, ou l’astrologue
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 6p. 334-342).


CHAPITRE XLVI.

L’ÉGYPTIENNE.


Dites-moi de qui tous tenez cet étrange avis ? à quoi bon nous arrêter sur ces ruines pour nous saluer d’un jargon prophétique : Parlez, je vous l’ordonne.
Shakspeare. Macbeth.


Le soir du jour où l’interrogatoire de Bertram avait eu lieu, le colonel Mannering arriva d’Édimbourg à Woodbourne. Il y trouva sa famille comme il l’avait laissée, ce qui probablement n’aurait pas été, du moins en ce qui concernait Julia, si elle eût appris l’arrestation de Bertram. Mais comme, pendant l’absence du colonel, les deux jeunes demoiselles vivaient fort retirées, le bruit de cet événement n’était pas venu jusqu’au château. Une lettre avait déjà instruit miss Bertram que les espérances conçues au sujet de la succession de sa parente étaient évanouies. Si cette nouvelle détruisit en elle un secret espoir, elle n’en fut pas moins empressée de se joindre à son amie pour faire au colonel le plus cordial accueil, voulant lui prouver ainsi combien elle était sensible à ses bontés paternelles ; elle lui témoigna aussi son regret qu’il eût, dans une telle saison, et pour elle seule, entrepris un voyage tout-à-fait inutile.

« Inutile pour vous, ma chère, dit le colonel, et j’en suis vivement affligé, mais non pour moi ; j’ai fait à Édimbourg la connaissance de plusieurs personnes du plus grand mérite, et le temps s’y est écoulé pour moi d’une manière si agréable, que je n’ai rien à regretter. Notre ami Dominie lui-même en revient trois fois plus savant, car il a aiguisé son esprit dans les controverses avec les génies de la capitale du Nord. — Il est vrai, dit Dominie avec une complaisance marquée, j’ai combattu sans me laisser vaincre, quoique mon adversaire fût vraiment redoutable. — Je présume, monsieur Sampson, dit miss Mannering, que cette lutte vous a un peu fatigué ? — Oui, beaucoup, ma jeune demoiselle… Mais j’avais ceint mes reins, et j’ai résisté bravement. — Je puis assurer, dit le colonel, que je n’ai jamais vu d’affaire plus chaude. Semblable à la cavalerie maratte, l’ennemi attaquait de tous les côtés et ne donnait pas prise à l’artillerie. Mais M. Sampson tenait ferme à ses canons, et tirait toujours, tantôt sur l’ennemi, tantôt sur la poussière qu’il avait élevée. Mais nous n’avons pas le temps de vous conter nos batailles ce soir… Demain nous en parlerons à déjeuner. »

Mais le lendemain Dominie ne parut point au déjeuner. Il était, dit un domestique, sorti de très bonne heure dans la matinée. Il lui arrivait si souvent d’oublier l’heure des repas, que jamais son absence n’inquiétait personne. La femme de charge, vieille dame fort honnête et presbytérienne dans l’âme, qui, par cela même, avait la plus haute idée de la science théologique de Sampson, avait soin en pareil cas que ses distractions ne lui portassent aucun préjudice, et de lui rappeler, à son retour, ses besoins terrestres ; elle pourvoyait à ce qu’il pût les satisfaire. Mais rarement s’absentait-il pendant deux repas de suite, comme il arriva en cette occasion. Nous devons expliquer la cause de cet événement extraordinaire.

La conversation que M. Pleydell avait eue avec Mannering, au sujet de la disparition d’Henri Bertram, avait réveillé toutes les émotions pénibles dont ce malheur avait frappé Sampson. Le cœur aimant du pauvre Dominie lui avait toujours reproché que sa négligence, en confiant l’enfant à Frank Kennedy, avait été la cause première du meurtre de cet officier, de la perte d’Henri, de la mort de mistress Bertram, et de la ruine de la famille de son patron. C’était un sujet sur lequel il ne conversait jamais… si sa manière de parler pouvait s’appeler conversation… mais qui était toujours présent à son esprit. L’espèce de conviction, si clairement exprimée dans le testament de mistress Bertram, avait excité dans le cœur de Sampson une douce espérance ; mais quand il vit Pleydell ne pas la partager, à cette espérance déçue succéda une inquiétude qui allait presque au délire. « Assurément, pensait Sampson, M. Pleydell est un homme érudit, très versé dans les graves matières de la jurisprudence ; mais c’est aussi un homme d’un caractère léger, qui parle sans réflexion. Pourquoi d’ailleurs s’avise-t-il de prononcer comme ex cathedra sur l’espoir manifesté par la digne mistress Marguerite Bertram de Singleside ?… » Tout cela, comme je l’ai dit, Sampson le pensait ; car s’il eût seulement prononcé la moitié de cette phrase, la fatigue extraordinaire d’un si long exercice aurait rendu ses mâchoires malades pour un mois.

Ces réflexions le conduisirent à désirer de revoir les lieux témoins du crime, la pointe de Warroch où il n’était pas allé depuis long-temps, c’est-à-dire depuis cet accident fatal. La promenade était longue, car la pointe de Warroch était à l’extrémité des domaines d’Ellangowan, situés entre ce lieu et le château de Woodbourne. De plus, Dominie s’égara plus d’une fois en faisant des détours nécessités par les ruisseaux que la fonte des neiges avait changés en torrents, et qu’il croyait n’être, comme en été, que de simples filets d’eau.

Enfin il atteignit les bois qui faisaient le but de son excursion, et les visita avec soin, faisant de vains efforts et mettant son esprit à la torture pour se rappeler chaque circonstance de la catastrophe. Ou croira facilement que la vue même des lieux, avec toutes les idées qui s’y associaient, ne put lui faire adopter des conclusions différentes de celles qu’il avait prises au moment même de l’événement. Ce fut donc en poussant plus d’un profond soupir et plus d’un gémissement que le pauvre Dominie termina son pèlerinage infructueux et reprit le chemin de Woodbourne, pendant que son estomac déchiré par le besoin le ramenait souvent à se demander s’il avait ou non déjeuné le matin… Ainsi, tantôt songeant à la perte de l’enfant, tantôt forcément distrait par son appétit qui lui offrait pour sujet de méditation des tranches de bœuf, du pain et du beurre, il prit une route différente de celle qu’il avait suivie le matin, et passa en vue d’une petite tour en ruine, ou plutôt des restes d’une tour appelée par les gens du pays la tour de Derncleugh.

Le lecteur peut se rappeler la description que nous avons faite de ces ruines dans un des précédents chapitres ; car c’est là que le jeune Bertram, sous la protection de Meg Merrilies, fut témoin de la mort du lieutenant d’Hatteraick. La tradition populaire ajoutait des terreurs imaginaires à l’épouvante naturelle qu’inspirait la solitude du lieu, et ces absurdités avaient probablement été inventées ou du moins accréditées par les Égyptiens qui avaient long-temps demeuré dans le voisinage, afin de les exploiter à leur profit. On disait que du temps de l’indépendance galwégienne, un certain Hanlon Mac-Dingawaie, frère du prince régnant, Knarth Mac-Dingawaie, avait assassiné son frère et son souverain pour enlever le trône à son neveu encore enfant ; poursuivi par la vengeance des fidèles alliés et des serviteurs de la famille royale qui avaient épousé la cause de l’héritier légitime, Hanlon avait été contraint, avec quelques complices de son crime, à se réfugier dans cette tour imprenable, et il s’y défendit jusqu’à ce qu’il fût réduit par la famine ; alors, mettant le feu à la place, lui et les compagnons qui lui restaient s’entre-tuèrent de désespoir, plutôt que de tomber entre les mains de leurs implacables ennemis. Dans le récit de cet événement, qui remontait à une époque de barbarie, il pouvait bien y avoir quelque vérité ; on mêla à cette histoire des contes de diables et de sorciers, de sorte que la plupart des paysans du voisinage aimaient mieux faire un long détour que de passer de nuit auprès de ce lieu formidable. Quant aux lumières qu’on voyait souvent briller dans ces ruines lorsqu’elles servaient de rendez-vous à des vagabonds ou à des brigands, ces contes absurdes servaient à les expliquer d’une manière favorable à leurs projets et satisfaisante pour le public.

Maintenant il faut avouer que notre ami Sampson, quoique bon littérateur et savant mathématicien, n’était pas encore assez philosophe pour mettre en doute la réalité des sortilèges et des apparitions. Né dans un temps où douter de l’existence des sorcières était s’exposer au soupçon de participer à leurs pratiques infernales, Dominie avait adopté ces contes ridicules comme un article de foi fondamental ; et peut-être eût-il été aussi difficile d’ébranler sa croyance sur le premier point que sur le second. Imbu de pareils préjugés, et remarquant que le jour inclinait vers sa fin, Dominie ne put se trouver si près de la tour de Derncleugh sans ressentir une secrète horreur.

Quelle fut donc sa surprise, lorsqu’en passant devant la porte cette porte que l’on supposait avoir été placée par un des derniers lairds d’Ellangovvan pour empêcher d’audacieux étrangers de s’exposer aux périls qu’on pouvait courir sous ces voûtes habitées par des esprits.. cette porte qu’on croyait toujours fermée, et dont la clef était, dit-on, déposée au presbytère cette porte enfin s’ouvrit tout-à-coup, et offrit à ses yeux épouvantés la figure de Meg Merrilies : il la reconnut à l’instant même, quoiqu’il ne l’eût pas vue depuis bon nombre d’années. Elle se plaça droit devant lui au milieu du chemin, lui barrant si bien le passage qu’il ne pouvait l’éviter qu’en retournant sur ses pas, lâcheté à laquelle son courage ne lui permit pas de songer.

« Je savais que vous viendriez ici, » dit-elle avec sa voix rude et forte ; « je sais ce que vous cherchez ; mais il faut que vous m’obéissiez.

— Arrière ! dit Dominie effrayé ; arrière ! Conjuro te, scelestissima…. nequissima… spurcissima… iniquissima… atque miserrima conjuro te !!! »

Meg tint ferme contre cette effrayante volée de superlatifs que Sampson tirait du fond de sa poitrine et lui lançait d’une voix de tonnerre.

« Est-il fou, dit-elle, avec ses clameurs ? — Conjuro, poursuivit Dominie, adjuro, contestor, atque viriliter impero tibi ! — Mais, au nom du diable, de quoi avez-vous donc peur ? que voulez-vous dire avec tout votre baragouin français à rendre un chien malade ? Écoutez, grande perche, ce que je vais vous dire, ou vous vous en repentirez tant qu’un de vos membres tiendra à votre corps !… Dites au colonel Mannering que je sais qu’il me cherche ; il sait, et je le sais aussi, que le sang coulera, que l’enfant perdu sera retrouvé,

Et de Bertram le droit et la puissance
D’Ellangowan atteindront l’éminence.


Tenez, voici une lettre pour lui ; j’allais l’envoyer d’une autre manière… Je ne sais pas écrire ; mais j’ai des gens qui écrivent pour moi, qui lisent pour moi, qui courent et qui voyagent pour moi… Dites-lui que le temps approche, que le sort s’accomplit, que la roue tourne. Dites-lui, enfin, de consulter les astres comme il les a consultés autrefois… Vous rappellerez-vous bien de tout cela ?

— Femme, j’en doute, car tes paroles me troublent, et ma chair tremble en t’écoutant ! — Mes paroles ne vous feront point de mal, mais peuvent vous faire beaucoup de bien… — Arrière ! je ne veux pas d’un bien qui vient par des voies illicites. — Imbécile ! » dit Meg en s’avançant vers lui avec une indignation dédaigneuse qui faisait briller ses yeux noirs comme deux étoiles sous leurs épais sourcils ; « imbécile ! si je voulais vous faire du mal, ne pourrais-je vous jeter du haut de ce roc ? et en saurait-on plus sur votre mort que sur celle de Frank Kennedy ? M’entendez-vous, grand lâche ? — Au nom de ce qu’il y a de plus sacré ! » s’écria Dominie en reculant et en dirigeant sa longue canne à pomme d’étain, comme une javeline, contre la prétendue sorcière ; « au nom de ce qu’il y a de plus sacré, retire-toi, ne me touche pas… Femme, retire-toi, il y va de ta vie !… cesse, te dis-je… je suis vigoureux, et je saurai résister !… » Il ne put continuer ; Meg, avec une force surnaturelle, comme Dominie l’assura depuis, se jeta sur sa canne, para un coup qu’il voulait lui donner, et l’emporta sous la voûte « aussi facilement, dit-il, que je porterais un atlas de Kitchen. — Asseyez-vous, » lui dit-elle en le plaçant avec force, et à demi suffoqué, sur une chaise cassée ; « asseyez-vous, reprenez haleine, remettez-vous, noir pourceau d’église que vous êtes… Avez-vous le ventre plein, ou vide ? — Vide de tout, sinon du péché, » répondit Dominie qui, recouvrant la voix et trouvant que ses exorcismes ne servaient qu’à irriter l’intraitable sorcière, pensa qu’il valait mieux affecter de la bonne volonté et de la soumission : cependant il répétait tout bas la kyrielle de conjurations qu’il n’osait plus proférer tout haut. Absolument incapable de suivre en même temps le fil de deux idées différentes, Dominie entremêlait son discours et ses formules d’exorcisme, ce qui produisait un effet assez burlesque, surtout quand, s’apercevant de ces distractions, le pauvre homme essayait de les réparer pour se soustraire aux effets qu’elles pourraient produire sur l’esprit irritable de la sorcière. Cependant Meg s’était approchée d’un grand chaudron noir qui bouillait sur un feu allumé au milieu de la chambre. Quand elle ôta le couvercle, l’odeur qui en sortit, si on pouvait se fier à l’odeur qui sort d’un chaudron d’une sorcière, promettait quelque chose de mieux que les ragoûts infernaux dont on le croyait ordinairement rempli. Au fait, c’était le fumet d’une excellente fricassée de poules, de lièvres, de perdrix et de bécasses, de pommes de terre, d’oignons et de poireaux, et qui, d’après la grandeur de la marmite, paraissait préparée pour une demi-douzaine de convives au moins.

« Ainsi vous n’avez rien mangé d’aujourd’hui ? » dit Meg en mettant une bonne portion de cette fricassée sur un plat brun, et le saupoudrant avec beaucoup de sel et de poivre.

« Rien ! répondit Dominie ; rien ! scelestissima ! … c’est-à-dire bonne femme. — Eh bien ! alors, dit-elle en plaçant le plat devant lui, voilà qui va vous remettre le cœur. — Je n’ai pas faim… malefica… c’est-à-dire, mistress Merrilies ! L’odeur est appétissante, se disait-il en lui-même ; mais ce mets est préparé par une Canidie ou une Érichthoé. — Si vous ne mangez pas sur-le-champ, si vous tardez à vous remplir le ventre, je m’en vais vous bourrer le gosier avec cette cuiller à pot encore toute brûlante, et cela de gré ou de force : ouvre la bouche, pécheur, et avale ! »

Sampson, effrayé des yeux de lézard, des orteils de grenouille, des chaudrons[1] de tigre, etc., était bien résolu d’abord à ne pas s’y frotter. Mais le fumet de ce ragoût triomphait peu à peu de sa répugnance en lui faisant venir l’eau à la bouche ; les menaces de la sorcière finirent par le décider. La faim et la crainte sont d’excellents casuistes.

« Saül, disait la faim, mangea avec la sorcière d’Endor…, et, ajoutait la crainte, le sel qu’elle a répandu sur ce ragoût montre clairement que ce n’est pas un mets de sorciers, qui n’emploient jamais cet assaisonnement ;… et de plus, dit la faim après la première bouchée, la viande est bonne et succulente. »

« Eh bien ! est-ce bon ? » demanda l’hôtesse. — Oui, répondit Dominie, et je te remercie… scelestissima ! … ce qui signifie mistress Merrilies. — Alors, mangez tout votre soûl. Si vous saviez d’où vient ce gibier, vous n’en mangeriez peut-être pas avec tant d’appétit. »

À ces mots, Sampson laissa retomber sa fourchette, qu’il allait porter à sa bouche. « Il a fallu passer plus d’une nuit au clair de la lune pour ramasser tout cela, continua Meg, et les gens qui doivent manger ce dîner s’inquiètent fort peu de vos lois sur la chasse. — N’est-ce que cela ? » se dit Sampson en reprenant sa fourchette et se bourrant avec intrépidité, « ce n’est pas cette raison qui m’empêchera de manger. — À présent, voulez-vous boire un coup ? — Je le veux bien, répondit Sampson, conjuro te… c’est-à-dire, je vous remercie cordialement ;… car, pensait-il, je n’y perds rien, pas un sou, pas une livre ; » et, sans se faire prier, il but à la santé de la sorcière une grande tasse d’eau-de-vie. Quand il eut arrosé de ce liquide le bon dîner de Meg, il se sentit, dit-il, « admirablement encouragé, et ne craignit plus aucun maléfice. »

« Maintenant vous rappellerez-vous ma commission ? lui demanda Meg Merrilies ; je vois à vos yeux que vous êtes un autre homme qu’en venant ici. — Je m’en souviendrai, mistress Merrilies, répondit Sampson sans hésiter ; je lui remettrai cette lettre cachetée, et j’ajouterai de vive voix tout ce qu’il vous plaira. — Alors ce ne sera pas long : dites-lui qu’il ait soin de consulter les étoiles cette nuit, et de faire tout ce que je lui marque dans cette lettre, s’il désire

Que de Bertram le droit et la puissance
D’Ellangowan atteigne l’éminence.


Je l’ai vu deux fois sans qu’il me vît. Je sais quand il est venu en ce pays pour la première fois… Je sais aussi quel motif l’y ramène. Allons ! sortez ! Vous êtes resté assez long-temps ; suivez-moi. »

Sampson se leva donc, et suivit la sibylle qui le conduisit un quart de mille environ à travers les bois par un chemin plus court et qu’il ne connaissait pas. Ils arrivèrent bientôt dans la plaine. Meg Merrilies continua de marcher à grands pas devant lui, jusqu’à ce qu’elle fût arrivée au haut d’une petite éminence qui dominait la route.

« Là, dit-elle, arrêtez-vous là. Regardez comme le soleil couchant perce ce nuage qui l’a caché tout le reste du jour ; voyez le lieu sur lequel tombent ses rayons… c’est la tour de Donagild… la plus vieille tour du château d’Ellangowan… ce n’est pas pour rien !… Voyez comme il fait noir vers la mer, là, derrière cette chaloupe qui est dans la baie… ce n’est pas non plus pour rien… C’est ici même, » dit-elle en se redressant de manière à ne point perdre l’épaisseur d’un cheveu de sa taille extraordinaire, et en étendant son long bras nerveux et sa main desséchée ; « c’est ici que j’ai prédit au dernier laird d’Ellangowan ce qui devait arriver à sa maison. Mes paroles sont-elles tombées à terre ?… non… elles se sont accomplies à la lettre, et mieux encore !… C’est ici que j’ai rompu la baguette de paix avec lui… Je m’y arrête aujourd’hui pour demander à Dieu de bénir et de protéger l’héritier légitime d’Ellangowan qui va rentrer dans tous ses biens ; et il sera le meilleur laird qu’Ellangowan ait eu depuis trois cents ans… Je ne vivrai point assez pour le voir, peut-être ; mais assez d’yeux le verront quand les miens seront fermés. Et maintenant, Abel Sampson, si vous avez jamais aimé la famille d’Ellangowan, portez mon message au colonel anglais, comme si la vie et la mort dépendaient de votre diligence. »

À ces mots, elle tourna tout-à-coup le dos à Dominie, et regagna à grands pas, mais avec un air de dignité et par le plus court chemin, les bois d’où ils venaient de sortir. Sampson, stupéfait, la suivit un moment des yeux, puis se dirigea avec une vitesse extraordinaire vers le château de Woodbourne, pour remplir la commission de Meg, en s’écriant par trois fois : « Pro-di-gi-eux ! Pro-di-gi-eux ! Pro-di-gi-eux ! »

  1. Tigers, chaudrons.