Hamilton - En Corée (traduit par Bazalgette), 1904/Chapitre XII

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Traduction par Léon Bazalgette.
Félix Juven (p. 195-220).


CHAPITRE XII


INTÉRÊTS ANGLAIS, AMÉRICAINS, JAPONAIS, FRANÇAIS, ALLEMANDS ET BELGES.
CHEMINS DE FER FICTIFS ET MINES. — CONTREFAÇONS IMPORTÉES.


À l’exception de la Grande-Bretagne, l’exemple des Japonais en Corée a suscité une activité correspondante de la part des nations occidentales. Tout visage nouveau provoque à Séoul des bruits et des commentaires. Tant que le nouvel arrivant n’a pas prouvé qu’il n’était qu’un inoffensif correspondant, il règne un véritable émoi dans le colombier ministériel. Les conjectures vont leur train, quant aux chances qu’il a d’obtenir la concession particulière pour laquelle on sait, naturellement, qu’il vient d’Europe, d’Asie, d’Afrique ou d Amérique. La première place parmi les concessionnaires est très également partagée entre le Japon et l’Amérique. En mettant à part les intérêts du Japon, ceux de l’Amérique sont certainement les premiers. L’Allemagne et la Russie s’emploient activement à créer des moyens de développer leurs relations avec les industries du pays ; l’Italie et la Belgique se sont assuré une place ; seule la Grande-Bretagne considère avec indifférence les marchés de la Corée.

Je me propose, en ce chapitre, de décrire brièvement la situation exacte qu’occupent en Corée les intérêts manufacturiers et industriels des pays étrangers ; j’ajoute un tableau qui, j’espère, attirera l’attention des fabricants anglais sur les moyens qu’emploient les maisons japonaises pour réussir à satisfaire aux demandes du marché coréen. Les Japonais ont un avantage dans la proximité de leurs centres de production ; un autre facteur de leur suprématie est l’entente qui règne parmi tous les établissements japonais pour boycotter les produits étrangers.

VUE GÉNÉRALE DE SÉOUL ET DU QUARTIER JAPONAIS

Un fait procurera peut-être une légère consolation aux fabricants anglais, c’est qu’il reste beaucoup d’articles qui défient les facultés d’imitation des Japonais. Ce sont surtout les produits de Manchester qui se démontrent supérieurs à tout ce qu’on peut leur opposer. On a vu, par exemple, qu’il était impossible d’imiter les tissus teints de Manchester, et la concurrence japonaise ne peut diminuer le succès de ce produit particulier. Les glass-cloth chinois ont néanmoins fait beaucoup tomber les linons anglais. Le fabricant chinois, qui n’est gêné par aucune élévation du coût de la production et du transport, peut offrir un produit supérieur et d’un meilleur usage, à un prix moins élevé. En outre, malgré la prétendue supériorité des locomotives américaines sur les locomotives anglaises, le matériel roulant, de fabrication anglaise, sur les chemins de fer japonais en Corée, a conservé sa situation. Il est agréable d’apprendre qu’une certaine partie du matériel de l’ancienne ligne de Chemulpo à Séoul, et du nouveau prolongement sur Fusan, a été acheté en Angleterre. M. Bennett, directeur de la maison Holme Ringer et Cie, la seule maison anglaise existant en Corée, à qui fut confiée la commande de la compagnie japonaise, m’a dit que les rails d’acier et les éclisses importés viennent de Cammel et Cie, les roues et les essieux, de Vickers, et qu’une forte commande de hangars à marchandises en tôle tuyautée a été adressée a Wolverhampton. Les locomotives viennent de Sheffield. La compagnie japonaise a stipulé expressément que les matériaux seraient de fabrication anglaise ; ce fut uniquement par suite de l’extrême retard mis par certaines maisons anglaises à envoyer leurs catalogues et leurs devis qu’une commande, comprenant un fort envoi de fil de fer, de clous et de fil télégraphique en acier galvanisé fut adressée en Amérique. Cette lenteur a un effet désastreux sur les industries anglaises. L’empereur de Corée chargea M. Bennett de commander quarante téléphones, des tableaux pour les changements, de lignes, des claviers et des instruments, enfin le matériel complet. La maison Ericson, de Stockholm, envoya, en triple, des prix de câble, et expédia par colis express des catalogues, des photographies et des caisses contenant des modèles de leurs différents genres, ainsi que des échantillons de câbles marins et terrestres. L’une des deux maisons anglaises, à qui la commande avait été soumise, ne répondit pas. L’autre, après deux mois, se décida à écrire une lettre pour s’enquérir des propriétés chimiques du sol et des influences climatériques auxquelles les fils, les tableaux et les instruments seraient soumis !

Le rôle que joue la Grande-Bretagne en Corée est dépourvu de toute grande signification commerciale ou politique. Une incompréhensible inaction caractérise la politique anglaise, là comme ailleurs. Je me plais cependant à citer une entreprise, de formation anglo-chinoise : la Compagnie anonyme de cigarettes et de tabac d’Orient. Le capital de la Compagnie est déposé à Hong-Kong. Depuis le mois de mai 1902, la compagnie s’est occupée, à Chemulpo, de la manufacture de cigarettes de trois sortes, en tabac de Richmond et de Corée. Actuellement elle possède des machines capables de débiter chaque jour un million de cigarettes. Dans ses débuts, la compagnie était réduite à une existence assez précaire, les premières semaines n’amenant aucun profit. Maintenant l’aube de temps meilleurs a lui, et un brillant avenir n’est pas impossible. Les transactions au comptant, pour la vente des cigarettes fabriquées par la compagnie, ont commencé en juillet 1902, produisant à la fin de février 1903 une somme de 1.515 livres sterling ; il faut ajouter à cela la vente à crédit s’élevant à 896 livres sterling ; ce qui fait un total de 2.411 livres sterling pour ses premiers mois d’existence. Un nombreux personnel d’ouvriers indigènes y est constamment occupé.

L’« ASTREA » DE LA MARINE ANGLAISE

En dehors de cette compagnie et de la société minière, l’activité industrielle anglaise se réduit presque exclusivement à l’agence que M. Bennett dirige si habilement à Chemulpo et dont une succursale est établie dans la capitale, et à l’Hôtel de la Gare que M. Emberley dirige à Séoul. M. Jordan, le ministre anglais en Corée, a demandé, en juin 1903, la concession d’une mine d’or de cinq milles carrés dans la province de Hwang-haï. À part cela, l’apathie des négociants anglais ne peut être considérée comme étrange, lorsque des maisons de Londres envoient des catalogues, destinés à Chemulpo, avec cette adresse : Le Vice-Consul anglais, : Corée, Afrique. La Corée, soit dit en passant, ne fait pas non plus partie de la Chine.

M. Emberley a établi dans la capitale un hôtel confortable et très prospère et, à Chemulpo, M. Bennett a frayé la voie à tout ce qui existe de commerce anglais en Corée. Les intérêts anglais sont admirablement sauvegardés entre ses mains, et si les négociants voulaient coopérer à son effort, on pourrait créer d’excellentes affaires, en dépit de la concurrence et de la contrefaçon japonaises. À cet égard, il serait déraisonnable d’attendre des commerçants anglais qu’ils se conforment à la coutume, qui règne parmi les marchands chinois, d’accorder un crédit à long terme aux maisons coréennes. Les banques étrangères en Extrême-Orient prennent 7 ou 8 % par an et les banques du pays de 10 à 14 %, taux beaucoup plus élevées que ceux de la métropole. Dans l’opinion de M. Bennett qui est, sans nul doute, l’un des hommes d’affaires les plus fins en Extrême-Orient, il y aurait un grand relèvement du chiffre des douanes se rapportant aux importations anglaises, si les commerçants de la métropole envoyaient les marchandises en dépôt aux maisons de commerce coréennes dont la situation et les garanties à la banque sont au-dessus de tout soupçon, et ne leur faisaient payer les intérêts qu’aux taux ordinaires de la métropole. Une compagnie américaine, qui fait de grosses affaires avec la Corée, ne fait jamais traite avec ses envois, et retire de là de grands avantages sur ses concurrents.

LA LÉGATION D’ANGLETERRE

J’attire l’attention des expéditeurs anglais sur cette méthode, spécialement parce que le commerce en Corée dépend étroitement de la récolte de riz. À la suite d’une mauvaise récolte, une baisse des prix se produit. Alors les importateurs, qui ont fait leurs commandes à l’avance, se trouvent dans un terrible embarras. Les marchandises leur restent entre les mains — quelquefois pendant un an ou même plus — et ils sont acculés à la nécessité de faire face aux taux excessifs d’intérêts communs en Extrême-Orient. Si le fabricant pouvait satisfaire le marchand en ne lui faisant payer que l’intérêt conforme au taux de la métropole, l’importateur de produits anglais serait plus porté à faire des affaires et à aller de l’avant. Actuellement le marchand doit courir le risque de faire sa commande au printemps pour qu’elle lui parvienne en automne, et vice versa ; d’autre part, la Chine et le Japon n’étant qu’à quelques jours de distance de la Corée, l’importateur préfère attendre l’achèvement de la récolte du riz, et alors, comme l’occasion se présente, il câble à Shanghaï, à Osaka ou ailleurs, pour commander ce dont il a besoin.

Parmi la colonie anglaise en Corée, qui comprend cent quarante et un individus, il y a le contingent habituel d’ecclésiastiques et de sœurs infirmières, sous là direction de l’évêque Corfe, chef de la mission anglaise à Séoul. Mlle Cooke, une doctoresse distinguée, très aimée dans la colonie anglaise, est établie à Séoul. Un grand nombre d’Anglais sont employés aux Douanes coréennes. Par les services qu’ils rendent, ils collaborent à la magnifique entreprise qu’a créée M. McLeavy Brown, et ils sont au-dessus de toute critique. M. McLeavy Brown est le premier à reconnaître combien le dévouement de son personnel a contribué au succès qu’il obtient.

CABINET DE CONSULTATION DE LA DOCTORESSE ANGLAISE MISS COOKE, MÉDECIN DE LA MAISON IMPÉRIALE

L’importance du commerce américain en Corée est indéniable. Il est de caractère complexe, étudié de près et à fond, protégé par le ministre, soutenu énergiquement par les missionnaires américains, et dirigé par deux maisons de commerce, qui connaissent toujours les besoins de la Corée, avant que les Coréens eux-mêmes s’en soient rendu compte. C’est là, je pense, justement ce qu’il faut. Les témoignages de l’activité américaine, rien que dans la capitale, sont de toutes parts évidents. À Séoul, la compagnie des Tramways électriques, la compagnie d’Éclairage électrique et la compagnie des Eaux de source ont été créées par l’activité américaine, soutenue par la vivacité et l’acuité d’intelligence des deux concessionnaires dont je viens de parler, et renforcée des petits moyens diplomatiques mis en œuvre par le ministre américain. La concession du Chemin de fer Séoul-Chemulpo a également été obtenue par un Américain, M. Morse, l’agent de la Compagnie Commerciale américaine, et cédée par la suite à la Compagnie japonaise qui la possède aujourd’hui. Le privilège de la Banque nationale de Corée a de même été accordé aux Américains, et elle est à présent envoie de formation. La seule mine, en Corée, qui offre un rendement, est aux mains d’un syndicat américain ; et il faut dire en passant que le Dr  Allen, le ministre américain, possède une suffisante connaissance de la langue coréenne.

Il y a une forte colonie américaine en Corée, s’élevant au chiffre de deux cent quarante individus. Une centaine vivent à Séoul ; soixante-cinq sont employés à la mine américaine de Un-San ; trente-quatre habitent Pyong-yang ; cinq sont au service du gouvernement coréen ; dix travaillent au chemin de fer ; deux dont j’ai parlé, sont dans les affaires, et le reste comprend le personnel de la Légation, celui du Consulat et une variété de missionnaires. Le commerce américain avec la Corée comprend : la cérosine, la farine, les machines pour les mines, les fournitures pour les chemins de fer et les mines, les produits de ménage et les instruments agricoles, les vêtements et les comestibles, les coutils, les toiles à draps, les cotons, et le fil de coton. La mine américaine de Un-San occupe dix-sept Japonais, cent trente-trois Chinois, cent Européens, dont trente-cinq sont des Américains, et quatre mille indigènes, dont les salaires sont de 80 centimes à 1 fr. 45 par jour. La société qui a acquis cette concession possède cinq autres mines qui fonctionnent avec un très grand succès ; quatre usines, deux de quarante bocards, et deux de vingt-deux, sont de vieille date. Une usine supplémentaire de quatre-vingts bocards est de construction plus récente.

En 1901, la Compagnie a exporté de l’or pour la somme de 150.000 livres sterling, et, l’année suivante, cette somme a été très fortement dépassée. La concession a une étendue de huit cent milles carrés.

UN CAVALIER JAPONAIS

L’avenir seul prouvera si la Corée doit être absorbée par les Japonais. Pour le moment, la population japonaise dépasse vingt mille âmes ; l’estimation réelle est de moins de vingt-cinq mille âmes. Les Japonais ont la direction du chemin de fer de Chemulpo à Séoul, de même que l’importante grande ligne de Fusan, dont les travaux sont actuellement en cours, et qui est sous la surveillance immédiate du gouvernement japonais. Le capital de la compagnie est de 25 millions de yens (2.500.000 liv. st.), et doit être prélevé au moyen de versements annuels de 5 millions de yens, à compter du moment où un dixième du premier versement de cinq millions de yens a été fourni. On a donné les premiers coups de pioche à Fusan, le 21 septembre, et à Yong-ton-po, le 20 août, de l’année 1901. Depuis lors, le gouvernement japonais s’est déclaré responsable du paiement des obligations, et a garanti 6 % sur le capital souscrit de la compagnie, pour une période de quinze ans[1], L’action vaut 5 livres sterling, le paiement est exigible sur demande, et chaque versement est de dix shillings par action. Les 400.000 actions qui formaient la première répartition, furent immédiatement souscrites ; seuls les Japonais et les Coréens avaient le droit d’être actionnaires. Le coût de là ligne est de 9.000 livres sterling par mille, Le travail est achevé jusqu’à Syu-won, sur une distance de vingt-six milles, que parcourent déjà les trains. La construction est, naturellement, poussée avec une grande rapidité, et les équipes d’ouvriers sont distribuées sur un grand nombre de points le long de la ligne.

La longueur de la voie ferrée Séoul-Fusan, sera de 287 milles. On espère bien que le travail sera achevé en six ans. Il y aura une quarantaine de stations, en comprenant les deux terminus et on compte, peut-être avec un peu d’optimisme, qu’on accomplira en douze heures le voyage de Fusan à Séoul, ce qui fait une moyenne de vingt-quatre milles à l’heure, y compris les arrêts, la vitesse réelle étant d’une trentaine de milles à l’heure environ. Comme actuellement on met un peu moins de deux heures pour aller de Séoul à Chemulpo, distants l’un de l’autre de vingt-cinq milles, on voit qu’il faudra faire un progrès considérable pour franchir en douze heures la distance de Séoul à Fusan.

MARCHANDS AMBULANTS AU BORD DE LA VOIE FERRÉE

Pendant les premiers kilomètres, la ligne empruntera celle de Séoul à Chemulpo. On partira de la gare qui est auprès de la porte sud de la capitale ; le premier arrêt aura lieu à Yong-san, et le troisième à No-dol. À partir de la station suivante, Yong-tong-po, le chemin de fer abandonne la ligne Séoul-Chemulpo pour se diriger droit vers le sud jusqu’à Si-heung, après quoi il s’incline légèrement vers l’est jusqu’à An-yang et Syu-won, qui est à environ trente-six milles de Séoul. À cet endroit, le chemin de fer se dirige à nouveau vers le sud, traverse Tai-hoang-kyo, O-san-tong et Chin-eui, où il franchit la limite qui sépare la province de Kyöng-keui de celle de Chyung-chyöng, et atteint la ville de Pyöng-tak. La voie suit alors la côte, se dirigeant droit au sud vers Tun-po, où elle touche la mer, et, continuant vers le sud, atteint On-yang, qui est à soixante-neuf milles de Séoul. Elle s’incline ensuite vers le sud-est jusqu’à Chyön-eui et, reprenant aussitôt la direction sud, traverse la Keum, une rivière fameuse, et atteint la ville importante de Kong-chyu. De Kong-chyu, qui est à quatre-vingt-seize milles de Séoul et qui, par les facilités qu’il offre au transport par eau, est destiné à devenir le centre d’un transit important, la ligne suit la direction sud vers Sin-gyo, où on construira, vers le sud-ouest, un important embranchement pour relier Kang-kyöng, le principal centre commercial de la province, à la grande ligne. Il est également probable qu’on prolongera la ligne partant de Sin-gyo vers le sud-ouest, afin d’établir des communications avec Mok-po, le port de la côte par lequel passe le commerce de grains des provinces de Chyöl-la et de Kyöng-syang.

La voie ferrée touche la ville de Sin-gyo, à cent vingt-cinq milles de Séoul ; à partir de là, elle se dirige brusquement vers l’est, passe à Ryon-san, traverse un contrefort occidental de la grande chaîne de montagnes de la péninsule et atteint Rhin-san. Le chemin de fer suit la direction est jusqu’à Keum-san, traverse le bras sud de la rivière Yang dans son cours supérieur, et, après avoir suivi pendant quelque temps la rivière dans la direction du nord-est, utilise une brèche dans les montagnes, par où passe la rivière Yang, traverse le cours d’eau et se dirige en droite ligne vers l’est, par Yang-san, jusqu’à Yong-dong, à cent quarante et un milles de Séoul. De Yong-dong, il se dirige au nord-est vers Whan-gan, qui est à cent cinquante-trois milles de Séoul, endroit situé tout près de la chaîne de montagnes à quelques milles de la passe de Ghyu-pung — qui exigera beaucoup d’habileté de la part des ingénieurs, pour pouvoir être franchie. À la sortie de la passe, s’inclinant un peu vers le sud-est, il se dirige vers la rivière Nag-tong, en passant par Keum-san, franchit la rivière à Wai-koan, à quelques milles au nord-est de Tai-ku, une ville d’importance historique à environ deux cents milles de Séoul. Il suit alors la vallée de Nak-tong, à l’est de la rivière, passe par Hyon-pung, Chyang-pyong, Ryong-san, Syok-kyo-chyon, Ryang-san, Mun-chyon, Tong-lai, où il rejoint le Nak-tong. Depuis Tai-ku, la voie suit la direction sud-est jusqu’à Fusan, d’où elle côtoie la rivière. À Kwipo, elle la franchit pour gagner la ville indigène du Vieux Fusan, et de là contourne la baie jusqu’au terminus sur le port.

Ce chemin de fer, pour lequel sont exécutés de vastes travaux d’amendement dans le port de Fusan, est déjà à l’heure actuelle un facteur économique de très grande importance. Cela est plus particulièrement évident si on se souvient que la contrée qu’il traverse est comme le grenier de la. Corée. Des développements importants suivront l’achèvement de l’entreprise, et la position du Japon en Corée sera plus solidement affermie par cette œuvre que par tout ce qu’il a pu faire auparavant pour établir sa domination sur le pays. Elle provoquera le développement rapide des ressources agricoles et minières de la Corée méridionale, et ces pays devenant accessibles par chemin de fer, on ne voit pas trop comment un afflux d’immigrants et de colons japonais dans le sud du royaume pourra être évité. La situation présente déjà un côté sérieux pour le gouvernement, car la plupart des ouvriers qui travaillent à la construction du chemin de fer Séoul-Fusan ont manifesté l’intention de s’établir définitivement dans le pays. La compagnie, qui possède une bande de terre de chaque côté de la ligne, a accordé à chacun de ces nouveaux colons un terrain pour qu’il s’y établisse. Pendant que l’homme travaille à la ligne, sa famille bâtit la maison et commence à retourner la terre. Que la compagnie ait été fondée ou non à prendre cette mesure dans de telles proportions, il n’en résulte pas moins qu’une ligné continue de colons japonais s’étend à travers le cœur même de la Corée méridionale, de Séoul à Fusan.

DÉTACHEMENT DE POLICE ENTRETENUE À FUSAN PAR LE GOUVERNEMENT JAPONAIS

De temps à autre, le gouvernement japonais s’est lui-même efforcé de refouler le torrent de l’émigration japonaise en Corée. Mais le succès des colonies qui y sont déjà établies rend cette tâche difficile, et dans l’avenir le gouvernement devra probablement y renoncer. Une fois le chemin de fer achevé, le grand élan qu’il communiquera à l’agriculture dans la partie sud de l’Empire, provoquera la venue de milliers de nouveaux colons. Quelque opposition que le gouvernement coréen tente contre cette invasion, il est absolument certain que, le cœur même de la région agricole s’offrant à découvert, la Corée doit s’attendre à voir une augmentation rapide de sa population japonaise déjà nombreuse. L’influence du Japon est déjà prépondérante en Corée. Elle prédomine au palais, et elle est soutenue par des colonies sur tous les points du royaume. Dans la capitale même, il y a une florissante colonie composée de quatre mille adultes. Le Japon a établi sa propre police, a créé son propre service des postes, ses téléphones, son réseau de télégraphes avec et sans fil. Il a ouvert des mines — la principale est à Chik-san — et introduit de nombreuses réformes sociales et politiques, tout en étant d’ailleurs le plus grand facteur économique dans le commerce de l’empire.

Les concessions obtenues par les Français en Corée se sont peu développées. Une concession de chemin de fer a été délaissée il y a quelques années ; et un privilège, comprenant certains droits miniers, est presque expiré. M. Colin de Plancy, l’aimable et énergique ministre français en Corée, à réussi toutefois à régler à nouveau les conditions de la concession abandonnée. De plus, il a demandé une nouvelle concession de mine d’or dans la province de Chyung-Chyong. La concession, qui a été renouvelée, avait été accordée en 1896 ; mais le terme convenu était expiré depuis longtemps et elle n’avait été retirée que récemment. Par l’ancienne convention, un syndicat français, la compagnie de Fives-Lille, reçut un privilège pour construire une ligne de chemin de fer entre Séoul et Wi-ju, l’important port frontière à l’embouchure du Yalu. La construction de cette ligne, qui formera, avec le chemin de fer Séoul-Fusan, la principale grande ligne du royaume, ne sera plus désormais l’entreprise particulière d’un syndicat français, car le gouvernement impérial a résolu de construire cette voie lui-même. Il y a deux ans, le ministre français a réussi à intéresser à nouveau le gouvernement coréen au projet ; il a stipulé qu’on n’emploierait que des ingénieurs français, et que le matériel de l’œuvre nouvelle serait fourni par des maisons françaises. À la suite de ce succès diplomatique, M. Colin de Plancy provoqua, un peu plus tard, la création du bureau du chemin de fer du Nord-Ouest, dont le premier secrétaire de la Légation française, M. G. Lefèvre, a été nommé directeur, avec Yi Yong-ik comme président. M. de Lapeyrière fut nommé ingénieur en chef du chemin de fer ; M. Bourdaret et une petite armée d’ingénieurs français, de chefs d’ateliers, de contremaîtres et d’habiles ouvriers furent inscrits sur les contrôles de la compagnie.

Le gouvernement coréen garantit un versement annuel de cent mille yens (10.000 liv. st.) pour le chemin de fer, et les travaux commencèrent au printemps de l’année 1902. Ils furent toutefois interrompus pendant la saison des pluies. Le travail fut repris en automne et, après une courte période d’activité, s’arrêta de nouveau. Le manque de fonds fut probablement la raison de cette interruption ; cependant le gouvernement refusa une offre, venant d’un financier russe, qui sollicitait le droit de construire la ligne. La première portion de la ligne traverse des districts renommés pour leurs richesses minérales et agricoles, et réunit la capitale d’aujourd’hui, Séoul, à deux villes qui furent autrefois le siège du gouvernement, et qui sont encore, à l’heure actuelle, riches et populeuses, Song-do et Pyong-Yang. On se propose d’achever tout de suite la ligne jusqu’à Song-do et de la pousser vers Wi-ju, dans l’espoir de rejoindre le réseau du Transsibérien, quand le gouvernement pourra fournir les fonds. La distance de Séoul à Song-do, par la voie ferrée, est de quatre-vingts kilomètres. En chiffres ronds, le coût de la construction s’élève à environ 260.000 livres sterling ; les recettes sont évaluées à 12.000 livres sterling, dont 10.000 produites par les voyageurs. Les frais annuels de l’entreprise s’élèvent à 8.000 livres sterling, et on ce espère » que le chemin de fer Séoul à Song-do pourra être inauguré dans deux ans. Ces chiffres auraient peut-être besoin d’être vérifiés.

L’examen du terrain de la ligne entre Séoul et Song-do montre, jusqu’à un certain point, quel travail attend les ingénieurs français. Les pentes sont d’environ 6 m. 13 par mille ; les remblais et le terrassement donnent environ 13.000 mètres cubes par kilomètre ; vingt-six pour cent de la ligne sera en courbe, le rayon de la courbe la plus accentuée étant d’environ 200 mètres ; vingt-cinq ponts de dimension moyenne et cent cinquante petits ponts et ponceaux figurent dans la construction.

On traversera, dans les premiers temps, la rivière Im-chin, au moyen d’un bac ; plus tard, toutefois, un pont d’une longueur de 150 mètres joindra les deux rives. La largeur de la voie sera de 1 m. 43 ; les traverses auront 2 m. 50 de long, 30 centimètres de large, et 125 millimètres d’épaisseur. Il y aura 1.700 mètres de voie de garage, et une ligne détachée, de 1.300 mètres, ira rejoindre Han-chu, sur la rivière Han. Entre Séoul et Song-do, il y aura six stations et quatre postes de signaux ; le matériel roulant se composera de cinq locomotives du type Mallet, cinq voitures comprenant des premières et des deuxièmes classes, huit voitures de troisième classe, cinq fourgons à bagages, et vingt-cinq wagons de marchandises. Telles sont les conditions générales de la nouvelle ligne, que l’intelligent et actif ministre français a su créer, en tirant parti d’une concession abandonnée.

La ligne partira de la porte ouest de Séoul, où la gare sera à 48 m. 50 au-dessus du niveau de la mer, et se dirigera sur Yang-wha-chin, en franchissant la passe de A-o-ya, à une hauteur de 59 m. 50. Elle descendra ensuite vers la vallée de la rivière Han, à 17 mètres au-dessus du niveau de la mer, traversera le district de Han-ju et l’ouest du district de Ko-yang, quittant la vallée du Han à 31 kilomètres de Séoul. Elle coupera ensuite la vallée de Kyo-wha à une altitude de 15 mètres, et, à 42 kilomètres de Séoul, franchira un affluent de la rivière Im-chin, à Mun-san-po. À 51 kilomètres de Séoul, le chemin de fer rejoint le bac de la rivière Im-chin ; là, provisoirement, les voyageurs et les marchandises seront transportés sur l’autre Lord, où un deuxième train les attendra. La ligne traverse alors le district de Chang-dan et, après avoir suivi la voilée de Song-do, atteint la gare terminus de Song-do, à une altitude de 40 mètres. La distance par la voie ferrée est plus courte que par la route et on a rencontré peu d’obstacles dans le cours des travaux. On a levé un plan sommaire de la ligne au delà de Song-do, d’où le chemin de fer se dirige droit vers l’ouest jusqu’à Hari-chu, ensuite en droite ligne vers le nord jusqu’à Pyong-yang, en passant par Sin-Chyon et-An-ak. Au delà de ce point jusqu’à Wi-ju, aucun plan n’a été levé.

Il est douteux que la ligne française donne d’aussi bons résultats que ceux qu’on peut attendre du chemin de fer du midi. Quand les deux lignes seront achevées et que Fusan sera en relation directe avec le Transsibérien, on peut prévoir un développement de la région septentrionale du royaume, et le chemin de fer pourra faire concurrence aux jonques du fleuve Yalu. Mais, en dehors du commerce riverain, il y a peu d’industries sur lesquelles on puisse compter pour alimenter le trafic de la ligne ; il n’est pas non plus probable que les mines, dont les concessions sont en quelque sorte contiguës à la ligne du chemin de fer, s’en servent comme moyen de transport, tant qu’elles pourront avoir recours à la voie fluviale existante, qu’utilisent les mines américaines et anglaises. Il est naturellement impossible de prévoir le développement minier et agricole auquel peut parvenir le nord de la Corée. On sait que cette région renferme de l’or et du charbon, du cuivre et du fer. Il se peut que le développement de cette richesse minérale entraîne l’expansion du pays, et que la présence des mines favorise la production locale, par la demande de certains produits alimentaires. Mais ces sources de revenus sont grandement problématiques. Dans l’absence de toute assurance quant à l’avenir du chemin de fer français, si on compare les deux entreprises, on voit que celles des Japonais est de beaucoup supérieure. L’importance, aussi bien stratégique que commerciale, de la grande ligne du midi, convaincra forcément les Coréens de sa valeur très réelle.

Il y a environ quatre-vingts Français en Corée, dont quarante prêtres et un évêque. Trois dépendent du bureau du chemin de fer du Nord-Ouest ; deux sont aux Douanes coréennes ; deux ont des emplois aux mines impériales, et un est devenu conseiller juridique du gouvernement impérial. Un autre est attaché à l’École française ; un troisième dirige, admirablement et avec succès, les Postes coréennes impériales. Deux autres travaillent à l’Arsenal coréen, et la direction de l’Hôtel du Palais en occupe trois. La colonie française s’est récemment accrue d’un certain nombre d’ingénieurs, qui se sont adressés au gouvernement coréen dans l’espoir de trouver un emploi dans les bureaux du chemin de fer. Je n’ai pas compris ces visiteurs de passage dans mes chiffres.

La colonie allemande est peu nombreuse et insignifiante. Les Allemands ont toutefois obtenu la concession d’un chemin de fer de Séoul à Won-san. Une mine, concédée à un syndicat allemand, et située à Tong-ko-kai, a été abandonnée, avec une perte de milliers de livres sterling dépensées en machines et en outillage de mine. Les Allemands n’ont pas d’autre concession. Ils possèdent à Chemulpo une maison de commerce importante, qui a établi une succursale à Séoul. Ce qui distingue cette entreprise, c’est qu’il y a des Allemands, dans les deux maisons de Séoul et de Chemulpo, qui connaissent à fond la langue coréenne. Ceci, à mesure que le pays se développe, est un avantage ; et ce fait semble résumer admirablement la méthode sur laquelle le commerce allemand en Extrême-Orient est basé. L’orchestre de la cour est sous la direction d’un maître allemand. L’effet obtenu a été très grand, et cela explique sans doute l’introduction récente d’un médecin allemand à la cour. Miss Cooke, dont la position se trouve ainsi menacée, l’a conquise par son caractère particulièrement sympathique et sa très grande habileté professionnelle. La doctoresse anglaise est depuis nombre d’années, médecin en titre de la maison impériale, et possède l’entière confiance de la cour. Miss Gooke est, de tous les étrangers, la seule personne qui soit parvenue à vaincre entièrement les préjugés et la défiance des gens du pays.

La bataille pour les concessions est aussi aiguë en Corée qu’en Chine. La dernière en date des puissances qui se sont intéressées à l’exploitation des gisements de minerais de la Corée est la Belgique, qui, jusque-là, n’avait pas pris part au développement de l’industrie minière de l’Empire. La Belgique s’est mise aujourd’hui sur les rangs, et l’on sait qu’une concession de 900 li[2] carrés de superficie vient d’être accordée à ses nationaux. Les Belges ont prêté 4 millions de yens au gouvernement coréen, en échange de la location à bail des mines pendant vingt-cinq ans. La concession est située dans la montagne de Ta-bak, à l’endroit où se confond la limite des provinces de Chyung-Chyong, Kyong-syang et Kang-won. Il est impossible de connaître pour le moment la valeur de cette nouvelle concession ; mais les Belges sont des gens malins et durs à la détente. Il n’est donc pas probable que leur entreprise échoue aussi malheureusement que la nôtre, ou celle des Allemands.

Pour en revenir au commerce extérieur de la Corée, les marchands étrangers ont un grief très sérieux contre les fabricants japonais qui approvisionnent le marché coréen. Après m’être livré à une enquête très approfondie, je puis bien affirmer que, parmi les articles vendus comme de fabrication étrangère et exposés aux boutiques des quartiers japonais, dans tous les ports ouverts de Corée, il y en a très peu qui ne soient pas des imitations éhontées. Ils sont pour la plupart fabriqués au Japon, et ornés des dessins et des marques de fabrique nécessaires, avec d’imperceptibles différences. L’illégalité de ce commerce est indiscutable. Dans l’absence de toute surveillance de la part des Douanes coréennes ou des représentants des marchands auxquels ces supercheries sont préjudiciables, il est difficile de trouver un remède à cet état de choses. Voici un tableau énumérant les divers articles, imités par les fabricants japonais, que je connais personnellement et qui sont mis en vente sous de fausses désignations. Pour tous ces articles, la contrefaçon est japonaise.


Amérique :
Kerosene, Standard oil Co.
Cigarettes Richmond Gem.
Viandes de conserves Armour.
Conserves de fruits de Californie.
Vins : vin du Rhin, bordeaux de Californie.
Lait de la marque Eagle.
Droguerie.


Grande-Bretagne :
Savon Pears.
Allumettes Bryant et May.
Sauces Lea et Perrin.
Aiguilles et cotons.
Alcalis Brunner, Mond et Cie.
Confitures Crosse et Blackwell
Tissus rouges de John Orr-Ewing et Cie.


France :
Vins : bordeaux et vin du Rhin.
Produits photographiques.


Allemagne :
Quinine de MM. A.-C. Boehringer.
Qunicaillerie.
Aiguilles.
Pianos de Berlin


Suède :
Allumettes.


Hollande :
Beurre.
Liqueurs et spiritueux.


Danemark :
Beurre.


Inde :
Tissus et fils de coton.


Suisse :
Lait suisse Nestlé.


L’huile cérosine japonaise est expédiée en bidons qui reproduisent absolument le modèle de la Standard Oil Company.

Les tissus rouges de John Orr-Ewing et Cie, de 27 pouces de large sur 40 yards de long, grand teint, deviennent de 27 pouces de large sur 37 yards et demi de long, mauvais teint ; le tissu rétrécit et il manque 5 livres sur le poids.

La marque de fabrique de la maison « Marque Perroquet », avec un dessin de l’oiseau, est la plus parfaite imitation qu’on puisse imaginer.

Les contrefaçons du lait Nestlé, des allumettes Bryant et May, de la quinine Boehringer et de bien d’autres articles ont été dénoncées nombre de fois par les fabricants de ces produits.

  1. Le gouvernement japonais a décidé, le 22 décembre 1903, de réunir les capitaux nécessaires à l’achèvement immédiat du chemin de fer. Un million de livres sterling a été réparti dans ce but, et la ligne sera terminée dans l’année 1904.
  2. Un Li vaut 482 mètres.