Henri Cornélis Agrippa/Lettre XLIX

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XLIX
Agrippa à Guillaume Furbity.

Anvers, 4 octobre 1529.

Je vous ai déjà envoyé trois lettres, très-respectable parent, pour vous faire connaître l’irréparable malheur qui m’a frappé, la déplorable mort de ma femme bien-aimée, celle d’Hercule et de Marie[1], la dangereuse maladie qui affecta mon serviteur et ma servante tout à la fois. Mes enfants et moi nous sommes seuls encore sains et saufs.

L’épidémie redoutable a subitement envahi la ville ; les morts sont très nombreux ; peu en échappent. Maintenant, je demeure hors de l’auberge, chez Augustin Fornari. J’ai sauvé déjà beaucoup de monde de ce fléau inconnu. Pierre Billard vous apprendra de quel remède je me sers. J’ai la plus grande confiance en lui, dans le cas où (puisse cela ne pas arriver !) vous ou quelqu’un des vôtres viendriez à être atteint du fléau, usez-en, car je ne doute pas que le mal ne pénètre dans toute la France. D’ailleurs, je ne sais pas trop ce qui m’attend.

Je suis appelé auprès du Roi d’Angleterre à de bonnes conditions, mais cela ne me convient guère. Le chancelier de Sa Majesté l’empereur me promet, si je veux aller à la cour impériale, de me pousser à tous les honneurs. Déjà Augustin[2] a reçu des lettres d’un certain Marquis[3], qui m’a connu autrefois, et qui, avec force prières et promesses, m’appelle en Italie ainsi que toute ma famille. Ici, à la cour de la princesse Marguerite, une position honorable m’est offerte, mais elle me paraît trop peu rétribuée. Je ne sais à quel choix me décider et ne puis du moins encore rien résoudre. J’aimerais mieux vivre en liberté que de me mettre au service de quelqu’un. Ce ne sont pas mes goûts, mais les intérêts de mes enfants et ce qui peut leur être utile que je dois consulter. Dites-moi votre avis à ce sujet. Que ne puis-je vous entretenir non pas seulement par lettres, mais de vive voix : j’aurais beaucoup de choses à vous dire que ne peut contenir une lettre.

Adieu, très-cher. Je vous recommande de supplier Dieu dans vos saintes prières pour le salut de ma femme bien-aimée, votre parente. S’il arrive quelque chose, vous en serez instruit par le porteur des présentes, Pierre Billard. Je vous prie de m’écrire bientôt, et donnez-moi des nouvelles sur tous les points. Encore une fois adieu que Dieu vous conserve la santé et le bonheur.

  1. Deux serviteurs d’Agrippa, morts de la peste d’Anvers.
  2. Augustin Fornari, de Gênes, qui avait de hautes relations et avait des comptoirs à Anvers.
  3. Le marquis de Montferrat.