Henri III et sa cour/Acte II

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Henri III et sa cour
Œuvres d’Alexandre DumasMeline, Cans et cievol. 2 (p. 36-44).
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ACTE DEUXIÈME.


HENRI III.




PERSONNAGES

HENRI III.

CATHERINE DE MÉDICIS.

LE DUC DE GUISE.

SAINT-MÉGRIN.

D’ÉPERNON.

JOYEUSE.

SAINT-LUC.

BUSSY D’AMBOISE.

DU HALDE.




Une salle du Louvre. — À gauche, deux fauteuils et quelques tabourets préparés pour le roi, la reine-mère et les courtisans. Joyeuse est couché dans l’un de ces fauteuils, et Saint-Mégrin debout, appuyé sur le dossier de l’autre. Du côté opposé, d’Épernon est assis à une table sur laquelle est posé un échiquier. Au fond, Saint-Luc fait des armes avec Du Halde. Chacun d’eux a un page à ses couleurs près de lui.




Scène PREMIÈRE.


SAINT-MÉGRIN, JOYEUSE, D’ÉPERNON, SAINT-LUC, DU HALDE.
D’ÉPERNON.

Messieurs, qui de vous fait ma partie d’échecs, en attendant le retour du roi ? Saint-Mégrin, ta revanche ?

SAINT-MÉGRIN.

Non, je suis trop distrait aujourd’hui.

JOYEUSE.

Oh ! décidément, c’est la prédiction de l’astrologue… Vrai Dieu ! c’est un véritable sorcier. Sais-tu bien qu’il avait prédit à Dugast qu’il n’avait plus que quelques jours à vivre, quand la reine Marguerite l’a fait assassiner ? Je parie que c’est un horoscope du même genre qui occupe Saint-Mégrin, et que quelque grande dame dont il est amoureux ?…

SAINT-MÉGRIN, l’interrompant vivement.

Mais, toi-même, Joyeuse, que ne fais-tu la partie de d’Épernon ?

JOYEUSE.

Non, merci.

D’ÉPERNON.

Est-ce que tu veux réfléchir aussi, toi ?

JOYEUSE.

C’est, au contraire, pour ne pas être obligé de réfléchir.

SAINT-LUC.
Eh bien ! Veux-tu faire des armes avec moi, vicomte ?
JOYEUSE.

C’est trop fatigant, et puis tu n’es pas de ma force : fais une œuvre charitable, tire d’Épernon d’embarras…

SAINT-LUC.

Soit.

JOYEUSE, tirant un bilboquet de son escarcelle.

Vive Dieu !… messieurs.. voilà un jeu… Celui-là ne fatigue ni le corps ni l’esprit… Sais-tu bien que cette nouvelle invention a eu hier un succès prodigieux chez la présidente ? À propos, tu n’y étais pas, Saint-Luc ; qu’es-tu donc devenu ?…

SAINT-LUC.

J’ai été voir les Gélosi ; tu sais, ces comédiens italiens qui ont obtenu du roi la permission de représenter des mystères à l’hôtel de Bourbon ?

JOYEUSE.

Ah ! oui… moyennant quatre sous par personne.

SAINT-LUC.

Et puis, en passant… Un instant, d’Épernon, je n’ai pas joué…

JOYEUSE.

Et puis, en passant ?…

SAINT-LUC.

Où ?

JOYEUSE.

En passant, disais-tu ?…

SAINT-LUC.

Oui… je me suis arrêté en face de Nesle, pour y voir poser la première pierre d’un pont qu’on appellera le Pont-Neuf.

D’ÉPERNON.

C’est un architecte nommé Ducerceau qui l’a entrepris… On dit que le roi va lui accorder des titres de noblesse…

JOYEUSE.

Et justice sera faite… Sais-tu qu’il m’épargnera au moins six cents pas toutes les fois que je voudrai aller à l’École Saint-Germain. (Il laisse tomber son bilboquet, et appelle son page qui est à l’autre bout de la salle.) Bertrand ! mon bilboquet…

SAINT-LUC.

Messieurs… grande nouvelle ! hier, madame de Sauve m’a dit en confidence que le roi avait abandonné les fraises goudronnées pour prendre les collets renversés à l’italienne.

D’ÉPERNON.

Eh ! que ne nous disais-tu cela… nous serons en retard d’un jour… Tiens ! Saint-Mégrin le savait, lui… — (À son page.) Que je trouve demain un collet renversé au lieu de cette fraise…

SAINT-LUC, riant.

Ah ! ah !… tu te souviens que le roi t’a exilé quinze jours, parce qu’il manquait un bouton à ton pourpoint…

JOYEUSE.

Eh bien ! moi, je vais te rendre nouvelle pour nouvelle. Entraguet rentre aujourd’hui en grâce.

SAINT-LUC.

Vrai ?…

JOYEUSE.

Oui, il est décidément Guisard… C’est le Balafré qui a exigé du roi qu’il lui rendit son commandement : depuis quelque temps il fait tout ce qu’il veut…

D’ÉPERNON.

C’est qu’il a besoin de lui… Il parait que le Béarnais est en campagne, le harnois sur le dos…

JOYEUSE.

Vous verrez que ce damné d’hérétique nous fera battre pendant l’été… Mettez-vous donc en campagne de cette chaleur-là, avec cent cinquante livres de fer sur le corps… pour revenir halé comme un Andalous…

SAINT-LUC.

Ce serait un mauvais tour à te faire, Joyeuse…

JOYEUSE.

Je l’avoue, j’ai plus peur d’un coup de soleil que d’un coup d’épée, et, si je le pouvais, je me battrais toujours, comme Bussy d’Amboise l’a fait dans son dernier duel, au clair de la lune…

SAINT-LUC.

Quelqu’un a-t-il de ses nouvelles ?

D’ÉPERNON.

Il est toujours dans l’Anjou, près de Monsieur… C’est encore un ennemi de moins pour le Guisard.

JOYEUSE.

À propos du Guisard, Saint-Mégrin ! sais-tu ce qu’en dit la maréchale de Retz ? Elle dit qu’auprès du duc de Guise, tous les autres princes paraissent peuple.

SAINT-MÉGRIN.

Guise… toujours Guise… Vive Dieu !… que l’occasion s’en présente, — (Tirant son poignard et coupant son gant par morceaux) et, de par saint Paul de Bordeaux ! je veux hacher tous ces petits princes lorrains comme ce gant.

JOYEUSE.

Bravo ! Saint-Mégrin… Vrai Dieu ! je le hais autant que toi.

SAINT-MÉGRIN.

Autant que moi ? Malédiction ! si cela est possible ; je donnerais mon titre de comte pour sentir, cinq minutes seulement, son épée contre la mienne… Cela viendra peut-être…

DU HALDE.

Messieurs, messieurs… voilà Bussy…

SAINT-MÉGRIN.

Comment, Bussy d’Amboise…


Scène II.


Les précédents ; BUSSY D’AMBOISE.
BUSSY D’AMBOISE.

Eh ! oui, messieurs, lui-même, en personne… Aux amis, salut.. Bonjour, Saint-Mégrin…

JOYEUSE.

Ah ! ah ! vous êtes donc raccommodés… il voulait te tuer avec Quelus… il n’y a pas de sa faute, si le coup n’a pas réussi…

BUSSY D’AMBOISE.

Oui… pour la dame de Sauve… mais depuis, nous avons mesuré nos épées ; et elles se sont trouvées de la même longueur…

SAINT-LUC.

À propos de la dame de Sauve, on dit que, pour qu’elle soit plus sûre de ta fidélité, tu lui écris avec ton sang, comme Henri III écrivait de Pologne à la belle René de Châteauneuf… Sans doute elle était prévenue de ton arrivée, elle.

BUSSY D’AMBOISE.

Non. Nous voyageons incognito… Mais je n’ai pas voulu passer si près de vous sans venir vous demander s’il n’y avait pas quelqu’un de vous qui eût besoin d’un second…

SAINT-MÉGRIN.

Cela se pourra faire, si tu ne nous quittes pas trop tôt…

BUSSY D’AMBOISE.

Tête Dieu !… le cas échéant, je suis homme à retarder mon départ… ainsi ne te gêne pas, il y a si longtemps que cela ne m’est arrivé ! c’est tout au plus si en province on trouve à avoir querelle une fois par semaine… Heureusement que j’avais là, sous la main, mon ami Saint-Phal ; nous nous sommes battus trois fois, parce qu’il soutenait avoir vu des X sur les boutons d’un habit, où je crois qu’il y avait des Y

SAINT-MÉGRIN.

Bah ! pas possible…

BUSSY D’AMBOISE.

Sur Dieu !… Crillon était mon second…

JOYEUSE.

Et qui avait raison ?

BUSSY D’AMBOISE.

Nous n’en savons rien encore : la quatrième rencontre en décidera… Mais que vois-je donc là-bas ? les pages d’Entraguet !… Je croyais que depuis la mort de Quelus…

SAINT-LUC.

Le duc de Guise a sollicité sa grâce.

BUSSY D’AMBOISE.

Ah ! oui, sollicité… j’entends… Il est donc toujours insolent, notre beau cousin de Guise ?…

SAINT-MÉGRIN.

Pas encore assez…

D’ÉPERNON.

Vrai Dieu ! tu es difficile… je suis sûr qu’au fond du cœur, le roi n’est pas de ton avis ?

SAINT-MÉGRIN.

Qu’il dise donc un mot.

D’ÉPERNON.

Ah ! vois-tu… c’est qu’il est trop occupé dans ce moment… il apprend le latin.

SAINT-MÉGRIN.

Tête Dieu !… qu’a-t-il besoin de latin pour parler à des Français ; qu’il dise seulement : à moi, ma brave noblesse ! et un millier d’épées qui coupent bien, sortiront des fourreaux, où elles se rouillent. N’a-t-il plus dans la poitrine le même cœur qui battait à Jarnac et à Moncontour, ou ses gants parfumés ont-ils amolli ses mains, au point qu’elles ne puissent plus serrer la garde d’une épée ?…

D’ÉPERNON.

Silence ! Saint-Mégrin… le voilà…

UN PAGE, entrant.

Le roi…

BUSSY D’AMBOISE.

Je vais me tenir un peu à l’écart… Je ne me montrerai que s’il est de bonne humeur…

UN SECOND PAGE.

Le roi.

(Tout le monde se lève et se groupe.)
UN TROISIÈME PAGE.

Le roi.


Scène III.


Les précédents ; HENRI.
HENRI.

Salut, messieurs, salut… Villequier, qu’on prévienne madame ma mère de mon retour, et qu’on s’informe si l’on a apporté mon nouvel habit d’amazone… Ah ! dites à la reine que je passerai chez elle, afin de fixer le jour de notre départ pour Chartres ; car vous savez, messieurs, que la reine et moi faisons un pèlerinage en cette ville, afin d’obtenir du ciel ce qu’il nous a refusé jusqu’à présent, un héritier de notre couronne. Ceux qui voudront nous suivre seront les bienvenus.

SAINT-MÉGRIN.

Sire… si au lieu d’un pèlerinage à Notre-Dame de Chartres, vous ordonniez une campagne dans l’Anjou… si vos gentilshommes étaient revêtus de cuirasses au lieu de cilices, et portaient des épées en guise de cierges, Votre Majesté ne manquerait pas de pénitents, et vous me verriez au premier rang, sire, dussé-je faire la moitié de la route pieds nus, sur des charbons ardents…

HENRI.

Chaque chose aura son tour, mon enfant. Nous ne resterons pas en arrière, dès qu’il le faudra ; mais en ce moment, grâce à Dieu, notre beau royaume de France est en paix, et le temps ne nous manque pas pour nous occuper de nos dévotions. Mais, que vois-je ? vous à ma cour, seigneur de Bussy. — (À Catherine de Médicis, qui entre.) Venez, ma mère, venez : vous allez avoir des nouvelles de votre fils bien-aimé, qui, s’il eût été frère soumis et sujet respectueux, n’aurait jamais dû quitter notre cour.

CATHERINE.

Il y revient peut-être, mon fils…

HENRI, s’asseyant.

C’est ce que nous allons savoir. Asseyez-vous, ma mère… Approchez, seigneur de Bussy. Où avez-vous quitté notre frère ?…

BUSSY D’AMBOISE.

À Paris, sire…

HENRI.

À Paris !… Serait-il dans notre bonne ville de Paris ?

BUSSY D’AMBOISE.

Non ; mais il y est passé cette nuit…

HENRI.

Et il se rend…

BUSSY D’AMBOISE.

Dans la Flandre…

HENRI.

Vous l’entendez, ma mère ; … nous allons sans doute avoir dans notre famille un duc de Brabant. Et pourquoi a-t-il passé si près de nous sans venir nous présenter son hommage de fidélité, comme à son aîné et à son roi ?…

BUSSY D’AMBOISE.

Sire… il connaît la grande amitié que lui porte Votre Majesté, et il a craint qu’une fois rentré au Louvre, vous ne l’en laissiez plus sortir.

HENRI.

Et il a eu raison, monsieur ; mais, en ce moment, l’absence de son bon serviteur et de sa fidèle épée doit lui faire faute ; car, peut-être bientôt, compte-t-il se servir contre nous de l’un et de l’autre. Arrangez-vous donc, seigneur de Bussy, pour le rejoindre au plus vite, et pour nous quitter au plus tôt. — (Un page entre.) Eh bien ! qu’y a-t-il ?

CATHERINE.

Mon fils, c’est sans doute Entraguet qui profite de la permission que vous lui avez volontairement accordée de reparaître en votre royale présence…

HENRI.

Oui, oui, volontairement !… Le meurtrier !.. Ma mère, mon cousin de Guise m’impose un grand sacrifice ; mais, pour mes péchés, Dieu veut qu’il soit complet. — (Au page.) Parlez.

LE PAGE.

Charles Balzac d’Entragues, baron de Dunes, comte de Graville, ex-lieutenant général au gouvernement d’Orléans, demande à déposer aux pieds de Votre Majesté l’hommage de sa fidélité et de son respect.

HENRI.

Oui, oui,… tout à l’heure nous recevrons notre sujet fidèle et respectueux ; mais auparavant, je veux me séparer de tout ce qui pourrait me rappeler cet affreux duel… Tiens, Joyeuse, tiens — (Il tire de sa poitrine une espèce de sachet), voilà les pendants d’oreilles de Quelus ; porte-les en mémoire de notre ami commun… D’Épernon, voici la chaîne d’or de Maugiron… Saint-Mégrin, je te donnerai l’épée de Schomberg ; elle était bien pesante pour un bras de dix-huit ans !… qu’elle te défende mieux que lui, en pareille circonstance. Et maintenant, messieurs, faites comme moi, ne les oubliez pas dans vos prières.

Que Dieu reçoive en son giron
Quelus, Schomberg et Maugiron !


xxxxRestez autour de moi, mes amis, et asseyez-vous… Faites entrer… — (À la vue d’Entraguet, il prend dans sa bourse un flacon qu’il respire.) Approchez ici, baron, et fléchissez le genou… Charles Balzac d’Entragues, nous vous avons accordé la faveur de notre présence royale au milieu de notre cour, pour vous rendre, là, où nous vous les avions ôtés, vos dignités et vos titres…. Relevez-vous, baron de Dunes, comte de Graville, gouverneur de notre province d’Orléans, et reprenez près de notre personne royale les fonctions que vous y remplissiez autrefois… Relevez-vous.

D’ENTRAGUES.

Non, sire… je ne me relèverai pas que Votre Majesté n’ait reconnu publiquement que ma conduite, dans ce funeste duel, a été celle d’un loyal et honorable chevalier.

HENRI.

Oui… nous le reconnaissons, car c’est la vérité ; … mais vous avez porté des coups bien malheureux ! …

D’ENTRAGUES.

Et maintenant, sire… votre main à baiser, comme gage de pardon et d’oubli.

HENRI.

Non, non, monsieur, ne l’espérez pas.

CATHERINE.
Mon fils, que faites-vous ?
HENRI.

Non, madame, non… j’ai pu lui pardonner, comme chrétien, le mal qu’il m’a fait… mais je ne l’oublierai de ma vie…

D’ENTRAGUES.

Sire… j’appelle le temps à mon secours ; peut-être ma fidélité et ma soumission finiront-elles par fléchir le courroux de Votre Majesté.

HENRI.

C’est possible. Mais, votre gouvernement doit avoir besoin de votre présence ; il en est privé depuis longtemps, baron de Dunes, et le bien de nos fidèles sujets pourrait en souffrir… Qui fait ce bruit ?

D’ÉPERNON.

Ce sont ceux de Guise…

HENRI.

Notre beau cousin de Lorraine ne profite pas du privilège qu’ont les princes souverains de paraître devant nous sans être annoncés… Ses pages ont toujours soin de faire assez de bruit pour que son arrivée ne soit pas un mystère…

SAINT-MÉGRIN.

Il traite avec Votre Majesté de puissance à puissance… Il a ses sujets, comme vous avez les vôtres, et sans doute qu’il vient, armé de pied en cap, présenter en leur nom une humble requête à Votre Majesté.


Scène IV.


Les précédents ; LE DUC DE GUISE.

(Il est couvert d’une armure complète, précédé de deux pages,
xxxxxxxxxet suivi par quatre, dont l’un porte son casque.)

HENRI.

Venez, monsieur le duc, venez… Quelqu’un qui s’est retourné au bruit que faisaient vos pages, et qui vous a aperçu de loin, offrait de parier que vous veniez encore nous supplier de réformer quelque abus, de supprimer quelque impôt… Mon peuple est un peuple bien heureux, mon beau cousin, d’avoir en vous un représentant si infatigable, et en moi un roi si patient !

LE DUC DE GUISE.

Il est vrai que Votre Majesté m’a accordé bien des grâces ; … et je suis fier d’avoir si souvent servi d’intermédiaire entre elle et ses sujets.

SAINT-MÉGRIN.

Oui, comme le faucon entre le chasseur et le gibier…

LE DUC DE GUISE.

Mais, aujourd’hui, sire, un motif plus puissant m’amène encore devant Votre Majesté, puisque c’est à la fois des intérêts de son peuple et des siens que j’ai à l’entretenir…

HENRI.

Si l’affaire est si sérieuse, monsieur le duc, ne pourriez-vous pas attendre à nos prochains états de Blois ?… Les trois ordres de la nation ont là des représentants qui, du moins, ont reçu de moi mission de me parler au nom de leurs mandataires.

LE DUC DE GUISE.

Votre Majesté voudra-t-elle bien songer que les états de Blois viennent de se dissoudre et ne se rassembleront qu’au mois de novembre… Lorsque le danger est pressant, il me semble qu’un conseil privé…

HENRI.

Lorsque le danger est pressant… Mais vous nous effrayez, monsieur de Guise… Eh bien ! toutes les personnes qui composent notre conseil privé sont ici… Parlez, monsieur le duc, parlez.

LE DUC DE GUISE.

Sire, la démarche que je fais près de vous est hardie, peut-être trop hardie… Mais hésiter plus longtemps ne serait pas d’un bon et loyal sujet…

HENRI.

Au fait, monsieur le duc, au fait…

LE DUC DE GUISE.

Sire, des dépenses immenses, mais nécessaires, puisque Votre Majesté les a faites, ont épuisé le trésor de l’État… Jusqu’à présent, Votre Majesté a trouvé, avec l’aide de ses fidèles sujets, moyen de le remplir… mais cela ne peut durer… L’approbation du saint-père a permis d’aliéner pour 200,000 livres de rentes sur les biens du clergé. Un emprunt a été fait aux membres du parlement sous prétexte de faire sortir tes gens de guerre étrangers… Les diamants de la couronne sont en gage pour la sûreté des 3 millions dus au duc de Casimir… les deniers destinés aux rentes de l’hôtel de ville ont été détournés pour un autre usage, et les états généraux ont eu l’audace de répondre par un refus, lorsque Votre Majesté a proposé d’aliéner les domaines.

HENRI.

Oui, oui, monsieur le duc, je sais que nos finances sont en assez mauvais état… Nous prendrons un autre surintendant.

LE DUC DE GUISE.

Cette mesure pourrait être suffisante en temps de paix, sire… mais Votre Majesté va se voir contrainte à la guerre. Les huguenots, que votre indulgence encourage, font des progrès effrayants. Favas s’est emparé de Réole ; Montferrand, de Périgueux ; Condé, de Dijon. Le Navarrois a été vu sous les murs d’Orléans ; la Saintonge, l’Agénois et la Gascogne sont en armes, et les Espagnols, profitant de nos troubles, ont pillé Anvers, brûlé huit cents maisons, et passé sept mille habitants au fil de l’épée.

HENRI, se levant.

Par la mort-Dieu ! si ce que vous dites là est vrai, il faut châtier les huguenots au dedans et les Espagnols au dehors. Nous ne craignons pas la guerre, mon beau cousin ; et, s’il le fallait, nous irions nous-même sur le tombeau de notre aïeul Louis IX saisir l’oriflamme, et nous marcherions à la tête de notre armée, au cri de guerre de Jarnac et Moncontour.

SAINT-MÉGRIN.

Et si l’argent vous manque, sire, votre brave noblesse est là, pour rendre à Votre Majesté ce qu’elle a reçu d’elle. Nos maisons, nos terres, nos bijoux peuvent se monnayer, monsieur le duc ; et, vive Dieu ! en fondant les seules broderies de nos manteaux et les chiffres de nos dames, nous aurions de quoi envoyer à l’ennemi, pendant toute une campagne, des balles d’or et des boulets d’argent.

HENRI.

Vous l’entendez, monsieur le duc ?

LE DUC DE GUISE.

Oui, sire. Mais avant que cette idée vint à M. le comte de Saint-Mégrin, trente mille de nos braves sujets l’avaient eue ; ils s’étaient engagés par écrit à fournir de l’argent au trésor et des hommes à l’armée ; ce fut le but de la sainte Ligue, sire, et elle le remplira, lorsque le moment en sera venu… Mais je ne puis cacher à Votre Majesté les craintes qu’éprouvent ses fidèles sujets, en ne la voyant pas reconnaître hautement cette grande association,

HENRI.

Et que faudrait-il faire pour cela ?

LE DUC DE GUISE.

Lui nommer un chef, sire, un chef d’une maison souveraine, digne de sa confiance et de son amour, par son courage et sa naissance, et qui surtout ait assez fait ses preuves comme bon catholique pour rassurer les zélés sur la manière dont il agirait dans les circonstances difficiles…

HENRI.

Par la mort-Dieu ! monsieur le duc, je crois que votre zèle pour notre personne royale est tel, que vous seriez tout prêt à lui épargner l’embarras de chercher bien loin ce chef… Nous y penserons à loisir, mon beau cousin, nous y penserons à loisir.

LE DUC DE GUISE.

Mais Votre Majesté devrait peut-être à l’instant…

HENRI.

Monsieur le duc, quand je voudrai entendre un prêche, je me ferai huguenot… Messieurs, c’est assez nous occuper des affaires de l’État, songeons un peu à nos plaisirs. J’espère que vous avez reçu nos invitations pour ce soir, et que madame de Guise, madame de Montpensier, et vous, mon cousin, voudrez bien embellir notre bal masqué.

SAINT-MÉGRIN, montrant la cuirasse du duc.

Votre Majesté ne voit-elle pas que monsieur le duc est déjà en costume de chercheur d’aventures…

LE DUC DE GUISE.

Et de redresseur de torts, monsieur le comte.

HENRI.

En effet, mon beau cousin, cet habit me parait bien chaud pour le temps qui court.

LE DUC DE GUISE.

C’est que, pour le temps qui court, sire… mieux vaut une cuirasse d’acier qu’un justaucorps de satin.

SAINT-MÉGRIN.

Monsieur le duc croit toujours entendre la balle de Poltrot siffler à ses oreilles.

LE DUC DE GUISE.

Quand les balles m’arrivent en face, M. le comte, (Montrant sa blessure à la joue.) voilà qui fait foi que je ne détourne pas la tête pour les éviter.

JOYEUSE, prenant sa sarbacane.

C’est ce que nous allons voir…

SAINT-MÉGRIN, lui arrachant la sarbacane.

Attends !… il ne sera pas dit qu’un autre que moi en aura fait l’expérience. — (Lui envoyant une dragée au milieu de la poitrine.) À vous, M. le duc.

TOUS.

Bravo, bravo !

LE DUC DE GUISE, portant la main à son poignard.

Malédiction !

(Saint-Paul l’arrête.)
SAINT-PAUL.

Qu’allez-vous faire ? …

HENRI.

Par la mort-Dieu ! mon cousin de Guise, j’aurais cru que cette belle et bonne cuirasse de Milan était à l’épreuve de la balle…

LE DUC DE GUISE.

Et vous aussi, sire !… qu’ils rendent grâce à la présence de Votre Majesté.

HENRI.

Oh ! qu’à cela ne tienne, monsieur le duc, qu’à cela ne tienne, agissez comme si nous n’y étions pas…

LE DUC DE GUISE.

Votre Majesté permet donc que je descende jusqu’à lui ?

HENRI.

Non, monsieur le duc ; mais je puis l’élever jusqu’à vous… Nous trouverons bien dans notre beau royaume de France quelque duché vacant, pour en doter notre fidèle sujet le comte de Saint-Mégrin.

LE DUC DE GUISE.
Vous en êtes le maître, sire… mais d’ici là…
HENRI.

Eh bien ! nous ne vous ferons pas attendre… Comte Paul Estuert ! nous te faisons marquis de Caussade.

LE DUC DE GUISE.

Je suis duc, sire.

HENRI.

Comte Paul Estuert, marquis de Caussade, nous te faisons duc de Saint-Mégrin, et maintenant, M. de Guise, répondez-lui… car il est votre égal.

SAINT-MÉGRIN.

Merci, sire, merci ; je n’ai pas besoin de cette nouvelle faveur ; et puisque Votre Majesté ne s’oppose pas, je veux le défier de manière à ce qu’il s’ensuive combat ou déshonneur… Or, écoutez, messieurs : moi, Paul Estuert, seigneur de Caussade, comte de Saint-Mégrin, à toi Henri de Lorraine, duc de Guise, prenons à témoins tous ceux ici présents, que nous te défions au combat à outrance, toi et tous les princes de ta maison, soit à l’épée seule, soit à la dague et au poignard, tant que le cœur battra au corps, tant que la lame tiendra à la poignée ; renonçant d’avance à ta merci, comme tu dois renoncer à la mienne ; et, sur ce, que Dieu et saint Paul me soient en aide ! — (Jetant son gant.) À toi seul, ou à plusieurs.

D’ÉPERNON.

Bravo ! Saint-Mégrin, bien défié !

LE DUC DE GUISE, montrant le gant.

Saint-Paul…

BUSSY D’AMBOISE.

Un instant, messieurs… un instant : moi, Louis de Clermont, seigneur de Bussy d’Amboise, me déclare ici parrain et second de Paul Estuert de Saint-Mégrin ; offrant le combat à outrance à quiconque se déclarera parrain et second de Henri de Lorraine, duc de Guise, et comme signe de défi et gage du combat, voici mon gant…

JOYEUSE.

Vive Dieu ! Bussy, c’est un véritable vol que tu me fais… tu ne m’as pas donné le temps… mais sois tranquille… si tu es tué…

LE DUC DE GUISE.

Saint-Paul, ramasse ce gant… Entraguet, tu seras mon second… Vous le voyez, messieurs, je vous fais beau jeu… je vous offre un moyen de venger Quelus… Saint-Paul, tu prépareras mon épée de bal ; elle est juste de la même longueur que l’épée de combat de ces messieurs.

SAINT-MÉGRIN.

Vous avez raison, monsieur le duc… cette épée serait bien faible pour entamer une cuirasse aussi prudemment solide que celle-ci… mais nous pouvons en venir aux mains, nus jusqu’à la ceinture, monsieur le duc, et l’on verra celui dont le cœur battra.

HENRI.

Assez, monsieur, assez : nous honorerons le combat de notre présence, et nous le fixons à demain… Maintenant chacun de vous peut réclamer un don, et s’il est en notre puissance royale de vous l’accorder, vous serez satisfaits à l’instant… Que veux-tu, Saint-Mégrin ?

SAINT-MÉGRIN.

Un égal partage du terrain et du soleil : pour le reste, je m’en rapporte à Dieu et à mon épée.

HENRI.

Et vous, monsieur le duc, que demandez-vous ?

LE DUC DE GUISE.

La promesse formelle qu’avant le combat, Votre Majesté reconnaîtra la Ligue, et nommera son chef. J’ai dit.

HENRI.

Quoique nous ne nous attendissions pas à cette demande, nous vous l’octroyons, mon beau cousin… Messieurs, puisque M. de Guise nous y force, au lieu du bal masqué de cette nuit, nous aurons un conseil d’État. Je vous convoque tous, messieurs. Quant aux deux champions, nous les invitons à profiter de cet intervalle pour se mettre en état de grâce… et sur ce, nous prions Dieu qu’il vous ait en sainte et digne garde. Allez, messieurs, allez…

(Tout le monde sort, excepté Henri et Catherine.)



Scène V.


HENRI, CATHERINE.
HENRI.

Eh bien ! ma mère, vous devez être contente ; vos deux grands ennemis vont se détruire eux-mêmes, et vous devez m’en remercier, car j’ai autorisé un combat que j’aurais pu défendre.

CATHERINE.

Auriez-vous agi ainsi, mon fils, si vous eussiez su qu’une des conditions de ce combat serait de nommer un chef à la Ligue ?

HENRI.

Non, sur mon âme, ma mère, je comptais sur une diversion.

CATHERINE.

Et vous avez résolu…

HENRI.

Rien encore… car les chances du combat sont incertaines… Si monsieur de Guise était tué… eh bien ! on enterrerait la Ligue avec son chef ; s’il ne l’était pas… alors je prierais Dieu de m’éclairer… mais, en tout cas, ma résolution une fois prise, je vous en avertis… rien ne m’en fera changer… La vue de mon trône me donne de temps en temps des envies d’être roi, ma mère, et je suis dans un de ces moments-là.

CATHERINE.

Eh ! mon fils, qui plus que moi désire vous voir une volonté ferme et puissante !… Je m’affaiblis, mon cher Henri ; Miron me recommande le repos. Et plus que jamais, je désire n’avoir aucune part au fardeau de l’État.

HENRI.

Si je ne m’abuse, ma mère, j’ai vu aujourd’hui s’étendre vers mon trône un bras bardé de fer, qui avait volonté de m’en débarrasser d’une partie… si ce n’est du tout.

CATHERINE.

Et probablement vous lui accorderez ce qu’il demande ; car ce chef, que la Ligue exige par sa voix…

HENRI.

Oui, oui… j’ai bien vu qu’il plaidait pour lui-même ; et peut-être, ma mère, m’épargnerais-je bien des tourments en m’abandonnant à lui… comme l’a fait mon frère François II, après la conjuration d’Amboise… et cependant, je n’aime pas qu’on vienne me prier armé comme l’était mon cousin de Guise ; les genoux plient mal dans des cuissards d’acier.

CATHERINE.

Et jamais notre cousin de Guise n’a plié le genou devant vous, qu’il n’ait, en se relevant, emporté un morceau de votre manteau royal.

HENRI.

Par la mort-Dieu ! il n’a jamais forcé notre volonté ; cependant,… ce que nous lui avons accordé a toujours été de notre plein gré ;… et cette fois encore, si nous le nommons chef de la Ligue,… ce sera un devoir que nous lui imposerons comme son maître.

CATHERINE.

Tous ces devoirs le rapprochent du trône, mon fils,… et malheur,… malheur à vous ! s’il met jamais le pied sur le velours de la première marche.

HENRI.

Ce que vous dites là, ma mère, l’appuieriez-vous sur quelques raisons ?

CATHERINE.

Cette Ligue, que vous allez autoriser, savez-vous quel est son but ?

HENRI.

De soutenir l’autel et le trône.

CATHERINE.

C’est du moins ce que dit votre cousin de Guise ; mais du moment qu’un sujet se constitue, de sa propre autorité, défenseur de son roi, mon fils !… il n’est pas loin d’être un rebelle.

HENRI.

Monsieur le duc aurait-il de si coupables desseins ?

CATHERINE.

Les circonstances l’accusent, du moins… Hélas ! mon fils, ma santé ne me permet plus de veiller sur vous comme je faisais autrefois ; et cependant peut-être aurai-je encore le bonheur de déjouer un grand complot.

HENRI.

Un complot ! on conspirerait contre moi !… Parlez… dites, ma mère… Quel est ce papier ?

CATHERINE.

Un agent du duc de Guise, l’avocat Jean David, est mort à Lyon ;… son valet était un homme à moi, tous ses papiers m’ont été envoyés, celui-ci faisait partie…

HENRI.

Voyons, ma mère, voyons… Comment, un traité entre don Juan d’Autriche et le duc de Guise… un traité par lequel ils s’engagent à s’aider mutuellement à monter, l’un sur le trône des Pays-Bas, l’autre sur le trône de France… Sur le trône de France ! que comptaient-ils donc faire de moi, ma mère ?…

CATHERINE.

Voyez le dernier article de l’acte d’association des ligueurs, car le voici tel… non pas que vous le connaissez, mon cher Henri, mais tel qu’il a été présenté à la sanction du saint-père, qui a refusé de l’approuver.

HENRI, lisant.

Puis, quand le duc de Guise aura exterminé les huguenots, se sera rendu maître des principales villes du royaume, et que tout pliera sous la puissance de la Ligue, il fera faire le procès à Monsieur, comme à un fauteur manifeste des hérétiques, et, après avoir rasé et confiné le roi dans un couvent…
Dans un couvent !… Ils veulent m’ensevelir dans un cloître ! …

CATHERINE.

Oui, mon fils, ils disent que c’est là que votre dernière couronne vous attend…

HENRI.

Ma mère, est-ce que monsieur le duc l’oserait ?

CATHERINE.

Pepin a fondé une dynastie, mon fils : et qu’a donné Pepin à Childeric, en échange de son manteau royal ?…

HENRI.

Un cilice, ma mère ; un cilice, je le sais ; mais les temps sont changés ; pour arriver au trône de France, il faut que la naissance y donne des droits.

CATHERINE.
Ne peut-on en supposer ?… Voyez cette généalogie.
HENRI.

La maison de Lorraine remonterait à Charlemagne !… Cela n’est pas, vous savez bien que cela n’est pas.

CATHERINE.

Vous voyez que les mesures sont prises pour qu’on croie que cela est.

HENRI.

Ah ! notre cousin de Guise, vous en voulez terriblement à notre couronne de France…. Ma mère, est-ce qu’on ne pourrait pas lui donner celle des martyrs ?

CATHERINE.

J’y ai souvent pensé, mon fils ; mais « ce n’est pas le tout de couper, il faut recoudre. »

HENRI.

Mais il se bat demain avec Saint-Mégrin… Saint-Mégrin est brave et adroit.

CATHERINE.

Et croyez-vous que le duc de Guise soit moins brave et moins adroit que lui ?

HENRI.

Ma mère, si nous faisions bénir l’épée de Saint-Mégrin ? …

CATHERINE.

Mon fils, si le duc de Guise fait bénir la sienne ?…

HENRI.

Vous avez raison… Mais qui m’empêche de nommer Saint-Mégrin chef de la Ligue ?

CATHERINE.

Eh ! qui voudra le reconnaître ?… A-t-il un parti ?…

HENRI.

Vous avez encore raison… Ô mon Dieu… mon Dieu !… est-ce que vous croyez qu’on est bien malheureux dans un cloître ?…

CATHERINE.

Non, mon fils ; lorsqu’une vocation véritable nous y appelle…

HENRI.

Oui, mais moi, ma mère, je ne me sens pas cette vocation ; elle viendra peut-être un jour ; … mais il faut trouver un moyen pour que ce soit le plus tard possible… Sans doute, il n’attend que le moment où je l’aurai nommé chef de cette infâme Ligue pour se déclarer.

CATHERINE.

Il est probable que c’est son intention.

HENRI.

Eh bien ! que faire ?

CATHERINE.

Est-ce une faible femme comme moi qui peut venir à votre secours, mon fils ? D’ailleurs, quel pouvoir aurai-je de le faire ? c’est vous qui avez puissance et volonté… Du courage, mon fils, régnez par vous-même ; c’est un conseil que vous a souvent donné M. le comte de Saint-Mégrin, et il est de bon conseil.

HENRI.

Oh ! ma mère, ma mère ! ils me rendront fou, et puis ils diront que je suis incapable de régner. M. de Guise… il y est poussé, ma mère, poussé par madame de Montpensier, parce que j’ai blessé son amour-propre. Oui, j’ai des forces, des moyens. Si mon peuple m’aimait… Mais pourquoi donc mon peuple ne m’aime-t-il pas, ma mère ? Je voudrais pourtant bien le rendre heureux ; j’y réussirai plus tard. Un cloître… un cloître… ah ! ne l’ai-je pas dit tout haut, quand, à mon sacre, ils m’ont posé la couronne sur la tête, que cette couronne me blessait… et quand, deux fois, elle a failli tomber pendant la cérémonie, n’ai-je pas dit encore que c’était de mauvais augure. Un cloître !… Les hérétiques !… Ils me tueront plutôt, ma mère ; je mourrai roi. Ne m’ont-ils pas vu combattre à Jarnac et à Moncontour ? Oh ! s’il ne s’agissait que de combattre à la tête de ma brave noblesse ; … mais il faut ici repousser l’intrigue par l’intrigue, et je le sens, ils sont plus forts que moi.

CATHERINE.

Peut-être y aurait-il moyen de tout conjurer, mon fils : mais il faudrait de la résolution.

HENRI, hésitant.

De la résolution ?

CATHERINE.

Oui, soyez roi, et le duc deviendra sujet soumis, sinon respectueux. Je le connais mieux que vous, Henri ; il n’est fort que parce que vous êtes faible ; sous son énergie apparente, il cache un caractère irrésolu… C’est un roseau peint en fer… Appuyez, il pliera.

HENRI.

Oui, oui, il pliera. Mais quel est ce moyen ? Voyons… faut-il les exiler tous les deux ? je suis prêt à signer leur exil.

CATHERINE.

Non ; peut-être en ai-je un autre… mais jurez-moi qu’à l’avenir vous me consulterez avant eux sur tout ce que vous voudrez faire.

HENRI.

N’est-ce que cela, ma mère ? je vous le jure.

CATHERINE.

Mon fils, les serments prononcés devant l’autel sont plus agréables à Dieu.

HENRI.

Et lient mieux les hommes, n’est-ce pas ? Eh bien ! venez, ma mère, je m’abandonne entièrement à vous. Passons dans mon oratoire.

CATHERINE.

Oui, mon fils, passons dans votre oratoire.