Henry Dunbar/25

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Traduction par Charles Bernard-Derosne.
Hachette (tome Ip. 251-272).

CHAPITRE XXV

Après le mariage.

Le banquier et l’homme qu’on appelait le Major causèrent assez sérieusement entre eux durant le court trajet du cimetière de Lisford à Maudesley Abbey ; mais ils se parlèrent à voix basse et d’un air de confidence, et leur conversation était entremêlée de toute sorte d’étranges phrases ; leurs mots bizarres, inconnus au pays, étaient sans doute de l’hindostani, et il n’était pas du tout facile de les comprendre.

Au moment où la voiture arriva à la grande porte d’entrée du château, l’étranger regarda par la portière souillée de boue.

— Une jolie habitation ! — s’écria-t-il, — une jolie habitation !

— Quel nom dois-je vous donner ici ? — murmura Dunbar en descendant de voiture.

— Appelez-moi comme vous voudrez, pourvu que ce ne soit pas quand la soupe sera froide. J’ai un petit logement dans les environs de Saint-Martin’s Lane où je suis connu sous le nom de Vavassor. Mais je n’ai rien de semblable à une ombre. Trouvez-moi un nom qui commence par un V. Il vaut tout autant s’en tenir à son initiale à cause de la marque du linge.

À en juger par le peu de linge visible dans la toilette du Major, une personne méchante aurait pu s’imaginer que l’article chemise était un luxe inconnu à la garde-robe de ce gentleman.

— Appelez-moi Vernon, — dit-il. — Vernon est un beau nom. Vous pouvez dire Major Vernon. Mes amis du coin, pas celui de Piccadilly, mais celui du champ qui se trouve derrière Field Lane, m’ont fait l’honneur de m’élever au rang de Major. Je ne vois pas pourquoi je ne garderais pas ce titre. Mes goûts sont complètement aristocratiques. Je n’ai aucun talent d’assimilation avec la canaille. Ceci est le genre de vie qui me va. Ici je suis dans mon élément.

Dunbar avait conduit sa connaissance en habits râpés dans le salon à plafond bas tapissé où d’habitude il passait son temps. Le Major se frotta les mains avec un geste de béatitude en regardant les preuves de richesse éparpillées à profusion dans l’appartement. Il poussa un long soupir de satisfaction en se laissant tomber brusquement sur un fauteuil à ressort placé au coin du feu.

— Maintenant, écoutez-moi, — dit Dunbar, — je n’ai pas le temps de vous parler ce matin, j’ai d’autres devoirs à remplir. Quand je les aurai terminés, je reviendrai vers vous. En attendant, vous pouvez rester ici tant que vous voudrez et demander ce qu’il vous plaira de manger ou de boire.

— Bien !… Je ne refuse pas une aile de poulet et une bouteille de bourgogne. Il y a longtemps que je n’ai goûté de bourgogne. Du chambertin ou du clos Vougeot à douze shillings la bouteille, voilà ce qui me convient… qu’en dites-vous ?

Dunbar se redressa avec un léger frisson, comme s’il était repoussé et dégoûté par la vulgarité de cet homme.

— Que voulez-vous de moi ? — demanda-t-il. — Souvenez-vous qu’on m’attend. Je suis tout prêt à vous servir… au nom et pour l’amour du bon vieux temps.

— Oui, — répondit le Major avec un ricanement, — c’est chose si agréable de se souvenir du bon vieux temps !

— Eh bien ! — dit Dunbar avec impatience, — que désirez-vous ?

— Une bouteille de bourgogne… la meilleure que vous ayez dans votre cave… quelque chose à manger et… ce qu’un pauvre homme demande généralement à ses amis riches… à ses amis fortunés… de l’argent !

— Vous verrez que je serai très-généreux envers vous. Je vais revenir tout à l’heure et je vous donnerai un chèque.

— Vous tâcherez qu’il en vaille la peine.

— Je le ferai aussi fort que vous voudrez.

— Cela me va. Il y a toujours eu en vous quelque chose de princier et de magnifique, Dunbar.

— Vous n’aurez aucun motif de vous plaindre, — répondit très-froidement le banquier.

— Vous allez m’envoyer à déjeuner ?

— Oui. Je suppose que vous retiendrez votre langue ! Vous ne causerez pas avec le valet qui vous servira ?

— Votre ami a-t-il oui ou non les manières d’un gentleman ? N’a-t-il pas eu l’éminent avantage d’une éducation de collège ? Je puis même dire qu’il a fait des études suivies. Mais, écoutez, puisque vous craignez tant de me voir faire quelque balourdise, que diriez-vous si je retournais à Lisford ? Je puis revenir ce soir à la nuit. Notre affaire se réglera alors. C’est le devoir du pauvre obligé de se conformer aux heures de loisir de son protecteur ! — s’écria le Major Vernon avec le ton étudié d’un traître de mélodrame.

Dunbar laissa échapper un soupir de soulagement.

— Oui, cela vaudrait mieux, — dit-il ; — je pourrai vous parler plus à l’aise après le dîner.

— Eh bien ! c’est dit, mon vieux camarade. Au réservoir, comme nous disons dans les classiques.

Le Major Vernon tendit une main brunie d’une propreté douteuse. Le millionnaire la toucha du bout de ses doigts gantés.

— Au revoir, — dit-il ; — je vous attendrai à neuf heures. Trouverez-vous votre chemin ?

Il ouvrit la porte en parlant et montra du doigt la direction du vestibule à travers une enfilade de deux ou trois appartements. L’indication laissait un peu à désirer. Le Major releva le collet en poil de chien de son habit par-dessus ses oreilles, et sortit en n’exposant que son nez à l’influence atmosphérique.

Dunbar ferma la porte et s’approcha de l’une des fenêtres. Il appuya son front contre la vitre et suivit de l’œil la silhouette du Major qui s’effaçait rapidement le long de l’allée carrossable bordant la pelouse.

Le banquier attendit que sa connaissance mal vêtue eût complètement disparu. Alors il revint auprès du feu, se laissa tomber lourdement sur son fauteuil, et poussa un long gémissement. Ce n’était pas un soupir, c’était un gémissement, un gémissement qui semblait sortir du fond d’un cœur torturé par l’angoisse d’un désespoir complet.

— Ceci décide tout ! — murmura-t-il ; — oui, ceci décide tout. Il y a longtemps que je m’attendais à une crise, mais ceci termine tout.

Il se leva, passa sa main sur son front et sur ses yeux comme un homme qui s’éveille d’un long sommeil, puis il alla jouer son rôle dans la grande affaire de la journée.

Il y a une très-grande différence entre les sentiments d’un pauvre aventurier qui, par quelque heureux hasard, peut s’abattre sur un riche ami, et les sentiments de la victime riche sur laquelle il fond. Rien ne pouvait offrir un contraste plus frappant que celui qui existait entre la situation actuelle de Dunbar, le banquier, et celle du gentleman qui désirait qu’on l’appelât Major Vernon. Tandis que Dunbar semblait plongé dans les profondeurs du désespoir, par l’apparition soudaine de son ancienne connaissance, le digne Major manifestait une joie qui était presque bruyante.

Ce ne fut que lorsqu’il se trouva dans un endroit très-écarté du parc, où il n’y avait d’autres témoins que les daims timides rôdant à l’abri des ormes dépouillés de leurs feuilles, — ce ne fut que lorsque le Major Vernon se sentit tout à fait seul qu’il lâcha les rênes à l’exubérance de sa gaieté.

— C’est une mine d’or ! — s’écria-t-il en se frottant les mains, — c’est une vraie Californie !

Il exécuta une gambade de satisfaction, et les daims épouvantés s’enfuirent de son voisinage ; peut-être le prirent-ils pour quelque gnome moderne se livrant à des danses fantastiques dans le bois humide. Il rit tout haut d’un rire creux et diabolique, puis il battit des mains avec tant de force, que le bruit en retentit dans la solitude rustique.

— Henry Dunbar, — se dit-il à lui-même, — Henry Dunbar ! ce sera une vache à lait… rien qu’une vache à lait ? Si…

Il s’arrêta tout à coup, et le sourire de triomphe qui faisait grimacer sa physionomie fit place à une expression sérieuse.

— S’il ne se sauve pas, — dit-il, s’arrêtant immobile et se frottant le menton avec la paume de la main. — S’il allait me glisser entre les doigts ! Il n’y aurait rien d’impossible.

Mais au bout d’un instant, il recommença à rire tout haut et continua rapidement son chemin.

— Non, il ne se sauvera pas, — dit-il, — cela ne ferait pas son affaire de me faire voir le tour.

Pendant que le Major Vernon retournait à Lisford, Dunbar prenait place à la table du déjeuner, à côté de la nouvelle lady Jocelyn.

Il n’y eut guère plus de gaieté au déjeuner nuptial qu’il n’y en avait eu a la cérémonie. Tout y était très-élégant, très-calme et très-aristocratique. Des valets de pied silencieux circulaient sans bruit derrière les chaises des convives. Le champagne, le moselle, le bourgogne, pétillaient dans de grands verres qui rappelaient par leur forme la feuille du nénufar. Des bergères en porcelaine de Dresde, placées au centre de la table ovale, portaient dans leurs tabliers des fraises de serre chaude qui avaient coûté une demi-couronne la pièce. Des bergers folâtres supportaient des corbeilles en filigrane chargées de petites pommes d’Algérie, de mandarines et de grosses grappes de raisin doré.

Les jeunes époux étaient très-heureux, mais leur joie était de celles qui ne sont pas communicatives. Le déjeuner avait été silencieux, car le visage de l’amphitryon était aussi sombre que le ciel, et de temps en temps, quand la conversation tombait, on entendait le crépitement incessant de la pluie sur les vitres.

Enfin le déjeuner fut terminé. Un couteau avait été délicatement enfoncé dans la paroi d’un superbe gâteau, et un morceau des appétissantes sucreries qu’il contenait avait été mangé par l’une des demoiselles d’honneur.

Laura quitta la table suivie des trois jeunes personnes.

Élisabeth attendait dans le cabinet de toilette. Sur une chaise longue était préparé un costume de voyage complet. La bonne femme embrassa sa jeune maîtresse et pleura un peu avant d’avoir recouvré son calme. Puis les demoiselles d’honneur rompirent le silence, et il y eut un agréable assaut de compliments qui occupa le temps consacré au changement de la toilette nuptiale contre une magnifique robe de soie mauve, un manteau de velours écarlate bordé de fourrure et un merveilleux assemblage de gaze, de fleurs et de dentelles que la modiste parisienne appelait plaisamment un chapeau.

Laura descendit dans ce superbe costume pareille à une impératrice, dans tout l’éclat de sa jeunesse et de sa beauté.

La voiture de voyage attendait à la porte. Arthur et Dunbar étaient dans le vestibule avec les deux pasteurs. Laura s’avança vers son père pour lui dire adieu.

— Nous ne nous reverrons pas de longtemps, cher papa, — dit-elle d’un ton à peine assez élevé pour que Dunbar l’entendît. — Dites-moi Dieu vous bénisse encore une fois avant que je parte !

Sa tête était appuyée sur la poitrine de son père, et elle la releva pour le regarder en parlant ainsi.

Le banquier regarda droit devant lui, et sur sa figure parut un sourire qui n’était guère autre chose qu’une contraction nerveuse des muscles autour des lèvres.

— Je vous donnerai quelque chose de mieux que ma bénédiction, Laura, — dit-il tout haut ; — je ne vous ai pas fait de cadeau de noce, mais je ne vous ai pas oubliée. Celui que je vous destine demande du temps pour être préparé. Je vous donnerai le plus beau collier de diamants qui ait jamais été fait en Angleterre. J’achèterai les diamants moi-même, et je les ferai monter à ma guise.

Les demoiselles d’honneur firent entendre un murmure de satisfaction.

Laura serra la main froide de son père.

— Je ne veux pas de diamants, papa, — dit-elle ; — je ne veux que votre amour.

Dunbar ne répondit pas à cette douce prière. Le temps manquait peut-être, car les nouveaux époux devaient prendre un certain train à la station de Shorncliffe qui devait les emmener à Londres, d’où ils partiraient pour leur excursion sur le continent. Peut-être dans tout le bruit et le fracas de ce départ précipité le banquier ne put-il rien dire de plus à sa fille. Mais il resta sous la porte gothique, suivant des yeux la voiture qui s’éloignait, avec une expression de tendresse mélancolique sur le visage.

— Puisse-t-elle être heureuse ! murmura-t-il en se parlant à lui-même en retournant chez lui ; — Dieu sait que je le désire de tout mon cœur.

Il ne s’arrêta pas pour faire des adieux cérémonieux à ses invités, mais il se dirigea immédiatement vers ses propres appartements. On était accoutumé à ses manières bizarres et on avait de l’indulgence pour ses faiblesses.

Arthur et les trois demoiselles d’honneur restèrent quelque temps dans le salon bleu. Les demoiselles Melville devaient retourner chez leur père dans l’après-midi, et Dora les accompagnait. Elle devait passer quelques semaines avec elles, puis rejoindre sa tante en Écosse.

— Mais je viendrai voir ma bonne Laura à Jocelyn’s Rock, — dit-elle, lorsque Arthur s’enquit de ses projets. — C’est une chose convenue.

Les jeunes personnes et l’avoué prirent le thé dans l’après-midi avant de quitter Maudesley, et passèrent ensemble quelques moments agréables, à défaut de gaieté folle. Ce jour-là, pour la première fois de sa vie, Arthur remarqua que Dora avait de très-beaux yeux noirs, des cheveux magnifiques, et le plus charmant sourire du monde, après celui qui éclairait un visage adoré dont la splendeur faisait pâlir les autres beautés.

On annonça enfin la voiture, et Lovell eut fort à faire à surveiller les apprêts du départ des trois jeunes personnes, et l’installation des boîtes à chapeau, des châles, des sacs de voyage, des nécessaires, des livres multicolores, des parapluies, des ombrelles, et des albums à dessin qui sont les attributs particuliers des voyageurs féminins. Puis quand tout fut terminé, et qu’il eut salué pour la dernière fois pour remercier des petites mines et des sourires qu’on lui prodiguait, la voiture s’éloigna, disparut, et Arthur retourna lentement chez lui, pensant à l’événement du jour.

Laura était perdue pour lui à tout jamais. Ce terrible chagrin suspendu si longtemps au-dessus de sa tête était enfin tombé sur lui, et la souffrance n’avait pas été aussi cruelle qu’il l’avait imaginé.

— Je n’ai jamais eu d’espoir, — pensait-il en arpentant la route humide qui va des portes de Maudesley à la ville, — je n’ai jamais espéré véritablement que Laura serait ma femme.

La maison de John Lovell était une des meilleures de la ville de Shorncliffe. C’était une vieille maison bizarre avec un toit en dos d’âne, et des pignons en chêne massif ornés çà et là de curieux dessins sculptés par une main habile. Elle était grande, mais irrégulière et sans prétentions à l’extérieur. La lueur éclatante d’un bon feu brillait dans une chambre boisée, moitié salon, moitié cabinet. Les rideaux rouges n’avaient pas encore été tirés devant la fenêtre à petits carreaux. Arthur Lovell regarda dans la chambre en passant, et il y vit son père assis au coin du feu avec un journal à ses pieds.

Il n’était pas nécessaire de barricader les portes contre les voleurs et les vagabonds dans une ville paisible comme Shorncliffe. Arthur tourna le bouton de la porte de la rue, et entra. La porte de la chambre de son père était entr’ouverte, et l’avoué entendit le pas de son fils dans le vestibule.

— Est-ce toi, Arthur ? — demanda-t-il.

— Oui, père, — répondit le jeune homme en pénétrant dans la chambre.

— J’ai à te parler très-particulièrement. Je suppose que ce mariage de Maudesley Abbey a chassé de ton esprit toute pensée sur des affaires sérieuses.

— Quelles affaires sérieuses, père ?

— As-tu oublié l’offre de lord Herriston ?

— L’offre d’un emploi dans l’Inde ? Oh ! non, père, je ne l’ai pas oublié ; seulement…

— Seulement quoi ?

— Je n’ai pu me décider encore.

En parlant, Arthur songeait à Laura. Non, elle était maintenant Laura Jocelyn. C’était pénible pour le jeune homme de lui donner ce nouveau nom. Ne valait-il pas mieux qu’il partît, qu’il mît une incommensurable distance entre lui et la femme qu’il aimait ? Ne vaudrait-il pas mieux, ne serait-il pas plus sage de partir ? Et cependant, si, en agissant ainsi, il refusait une autre chance de bonheur ? Si une nouvelle étoile, moins brillante que celle qui venait de s’éteindre, se levait à l’horizon brumeux ?

— Il n’y a pas lieu de me décider précipitamment, — dit le jeune homme ; — lord Herriston vous disait que j’avais un an devant moi pour réfléchir.

— C’est vrai, — répondit John Lovell, — mais la moitié de l’année s’est écoulée, et j’ai reçu cette après-midi une seconde lettre de lord Herriston. Il veut que tu te décides immédiatement, car un de ses parents s’est adressé à lui pour obtenir ce même emploi. Il est fidèle à sa promesse, et il te donnera la préférence, mais il ne faut pas hésiter plus longtemps.

— Désirez-vous que j’aille dans l’Inde, père ?

— Si je désire que tu ailles dans l’Inde ? mais pas du tout, mon cher enfant, à moins que ton ambition ne t’y pousse. Souviens-toi que tu es fils unique. Rien ne te force à quitter Shorncliffe. Tu hériteras d’une bonne clientèle et d’une belle fortune. Je croyais que tu étais ambitieux et que cette petite ville était un cercle trop étroit pour ton ambition, sans cela je n’aurais jamais songé à cet emploi dans l’Inde.

— Et vous ne seriez pas fâché de me voir rester en Angleterre ?…

— Fâché ! oh ! non, j’en serais bien aise. Penses-tu qu’un homme qui n’a qu’un fils, beau, intelligent, à l’esprit élevé, dont la présence égaye sa vieille et triste maison… penses-tu qu’un pareil père désire se débarrasser de son enfant ? Si tu crois cela, tu n’as qu’une bien faible idée de l’affection paternelle.

— Alors je refuserai l’emploi, père.

— Que Dieu te bénisse, mon enfant ! — s’écria l’avoué.

La lettre à lord Herriston fut écrite dans la soirée, et Arthur se résigna à rester perpétuellement dans cette paisible petite ville, à un mille de laquelle les tours de Jocelyn’s Rock surplombaient la haute falaise contre la base de laquelle venaient battre les eaux tumultueuses de l’Avon.

Dunbar avait donné tous les ordres nécessaires pour la réception de son ami à tenue râpée.

Le Major fut aussitôt conduit vers le salon tapissé où le banquier était encore assis à la table du dîner. Il s’était fait servir sur une table ronde auprès du feu et la pièce était un vrai modèle de confortable et de luxe au moment où le Major Vernon y pénétra, sortant de la nuit opaque et brumeuse et de l’avenue dépouillée de feuilles où les troncs des ormes dénudés semblaient de gigantesques fantômes qui le guettaient dans l’obscurité.

Les yeux du Major furent presque éblouis par l’éclat de ce charmant salon. Cet homme était un réprouvé, mais il avait commencé la vie en gentleman. Il se souvenait d’avoir habité un salon pareil à celui-ci, il y avait longtemps, avant d’avoir franchi le sombre gouffre creusé par quarante années mal employées. La vue de cette pièce lui remit en mémoire un joli salon doucement éclairé, un vieillard assis dans un fauteuil à grand dossier, une joyeuse mère de famille courbée sur son ouvrage, deux jolies jeunes filles, un gros chien fidèle étendu devant le foyer, et enfin un jeune homme en vacances, bâillant sur un journal de sport, ennuyé à mourir des joies innocentes du foyer, fatigué de la société de deux sœurs aimables, de l’amour de sa mère, et désirant retourner vers les bruyantes réunions d’autrefois, les orgies de l’ivresse, le jeu, les courses, l’extravagance et la débauche.

Le Major soupira profondément en parcourant la chambre du regard. Mais l’ombre mélancolique répandue sur sa figure se changea en un sourire grimaçant, lorsqu’en détournant ses regards des murs à tentures, de la fenêtre à rideaux, et du grand vase de Chine qui se dressait sur une table sculptée, plein de fleurs de serre répandant dans la chambre un parfum de jasmin et de fleurs d’amandier, il les fixa sur Dunbar.

— C’est confortable, — dit le Major Vernon, — oui, pour ne pas dire plus, c’est très-confortable. Et avec un compte courant d’un demi-million ou à peu près chez son banquier, ou dans une banque à soi… ce qui vaut mieux peut-être… on n’est pas déjà si malheureux, n’est-ce pas, monsieur Dunbar ?

— Asseyez-vous et mangez un de ces oiseaux, dit le banquier ; — nous causerons tout à l’heure.

Le Major obéit à son ami ; il déroula trois ou quatre mètres d’étoffe de laine sale qui enveloppaient son cou barbu, renversa le collet de son habit, approcha une chaise de la table, écarta les coudes, et se mit à l’œuvre. Il eut bientôt dépêché deux perdrix et une bouteille de moselle mousseux.

Quand la table eut été desservie et que les deux hommes furent seuls, le Major Vernon étendit ses longues jambes sur le tapis du foyer, plongea ses mains dans les poches de son pantalon, et poussa un soupir de satisfaction.

— Et maintenant, — dit Dunbar remplissant son verre au carafon de cristal plein de bordeaux, — qu’est-ce que vous avez à me dire. Stephen Vallance, ou M. Vernon, en un mot, quel que soit le nom ridicule que vous ayez pris… qu’avez-vous à me dire ?

— Je vais résumer cela en peu de mots, répondit le Major tranquillement. — Je veux vous parler de l’homme qui a été assassiné à Winchester il y a quelques mois.

La main du banquier devint tremblante, le goulot du carafon vint battre contre le bord fragile du verre, et le brisa en cinq ou six morceaux.

— Vous allez répandre votre vin, — dit le Major Vernon. — Je vous plains si vos nerfs ne sont pas meilleurs que cela.

Lorsque le Major Vernon quitta son ami ce soir-là, il emportait avec lui une demi-douzaine de chèques de valeur différente, s’élevant à la somme de deux mille livres sterling, à payer sur le compte particulier que Dunbar avait à son crédit dans la maison Dunbar, Dunbar et Balderby.

Il était plus de minuit quand le banquier ouvrit la porte du vestibule et déboucha avec le Major sur les larges dalles du porche gothique. Il ne pleuvait plus, mais la nuit était noire, et le vent du nord soufflait à travers les branches sans feuilles des chênes et des ormes gigantesques.

— Présenterez-vous ces chèques vous-même ? — demanda Dunbar au moment où les deux hommes allaient se séparer.

— Oui, je le crois.

— Habillez-vous convenablement alors avant de vous rendre à la banque, dit le banquier. On se demanderait de quelle nature peuvent être nos relations si vous alliez vous montrer dans Saint-Gundolph Lane en pareil costume.

— Mon ami est fier, — s’écria le Major avec un accent tragique et moqueur ; — il est fier et il méprise son humble connaissance.

— Bonne nuit, — dit Dunbar un peu brusquement, — il est minuit passé et je suis fatigué.

— Sans doute. Vous êtes fatigué, et votre… votre sommeil… est-il calme ? — demanda le Major Vernon à voix basse.

Il n’y avait maintenant dans son ton rien de solennel ni de moqueur.

Le banquier s’éloigna de lui en murmurant un juron. La lueur de la lampe suspendue au plafond en biseau éclairait la figure des deux hommes. Celle de Dunbar était renfrognée et pas du tout agréable à voir, mais la physionomie grimaçante du Major, dont les lèvres minces se plissaient en un sourire méchant et dont les yeux noirs brillaient d’un éclat sinistre, ressemblait à la figure de Méphistophélès.

— Bonne nuit, — répéta le banquier en tournant le dos à son ami et en se disposant à rentrer dans la maison.

Le Major Vernon mit sa main osseuse sur l’épaule de Dunbar, et l’arrêta avant qu’il eût franchi le seuil.

— Vous m’avez donné deux mille livres, — dit-il, — c’est assez bien pour un commencement ; mais je suis un vieillard, la vie de vagabond me fatigue, et je veux mener l’existence d’un gentleman… non pas comme vous, ceci est tout à fait hors de question, tout le monde n’a pas la chance d’être millionnaire comme Henry Dunbar, mais il me faut une bouteille de bordeaux à mon dîner, un bon vêtement sur le dos et un billet de banque de cinq livres toujours à ma disposition. Vous ferez bien cela pour moi, n’est-ce pas, cher ami ?

— Je ne m’y refuse pas, — dit Dunbar avec impatience ; — je crois que ce que vous avez dans votre poche est déjà joli pour commencer.

— Mon cher ami, c’est extraordinairement joli, — s’écria le Major Vernon, — c’est un commencement princier. Mais ces deux mille livres, ce n’est pas pour me jeter de la poudre aux yeux que vous me les avez données, hein ? Elles ne seront pas à la fois le commencement, le milieu et la fin ? Vous n’avez pas l’intention de lever doucement le pied… eh ?

— Que voulez-vous dire ?

— Vous n’allez pas vous enfuir ? Vous n’allez pas renoncer aux pompes et aux vanités de ce monde pervers, et faire une expédition précipitée à travers la mare aux harengs… eh ? cher ami de mon cœur.

— Pourquoi m’enfuirais-je ? — demanda sèchement Dunbar.

— C’est précisément ce que je me suis dit, cher ami. Pourquoi vous enfuiriez-vous ? Un homme sage ne quitte pas de beaux domaines, de belles maisons, et un demi-million d’argent. Mais quand vous avez brisé ce verre à bordeaux après dîner, il m’a semblé que vous étiez… risquerai-je le mot… légèrement nerveux. Les gens nerveux font toutes sortes de folies. Donnez-moi votre parole que vous ne vous sauverez pas, et je suis satisfait.

— Je vous dis que je n’ai aucune idée de ce genre, — répondit Dunbar avec une impatience de plus en plus grande ; — cela vous suffit-il ?

— Cela me suffit, cher ami. Votre main pour ratifier votre parole. Comme elle est froide, votre main ! Prenez soin de vous, et, une fois encore, bonne nuit.

— Vous allez à Londres ?

— Oui, encaisser les chèques et m’occuper de quelques arrangements d’affaires.

Dunbar verrouilla la grande porte pendant que les pas de son ami cessaient de se faire entendre sur l’allée sablée que le vent froid avait promptement séchée. Le banquier avait renvoyé ses domestiques à dix heures du soir, de sorte qu’il ne restait personne pour le servir ou l’épier quand il revint dans son salon.

Il s’assit auprès du feu consumé, pendant quelque temps, la figure assombrie, songeant et buvant. Ensuite il se coucha, et la lueur de la veilleuse éclairant sa tête pendant qu’il dormait laissa voir sa figure décomposée par d’étranges ombres qui n’étaient pas celles des rideaux qui enveloppaient son lit.

Le Major Vernon chemina d’un pas allègre le long de l’avenue qui conduisait à la porte grillée.

— Deux mille livres ! c’est confortable, — se disait-il tout bas, — c’est très-satisfaisant pour une première fouille dans la mine d’or, mais j’espère que ma Californie me produira un peu plus avant que je ferme mon puits et que je me retire pour vivre des profits de ma spéculation. Je crois que mon ami est un homme sûr, je ne pense pas qu’il se sauve, mais j’aurai l’œil sur lui tout de même. L’œil humain est une grande institution, et je m’en servirai pour épier mon ami.

Malgré le désir naturel de transformer ces bouts de papier oblongs, les chèques signés du nom célèbre de Henry Dunbar, en un autre papier soyeux plus commode encore, ayant cours, et que délivre la Vieille Douairière de Theadneedle Street[1], ou bien en la monnaie jaune du royaume, le Major Vernon n’eut pas l’air d’être bien pressé de quitter Lisford.

Un grand nombre de Lisfordiens avaient vu l’étranger râpé prendre place dans la voiture de Dunbar, côte à côte avec le grand banquier. Ce fait fut universellement connu dans la paroisse de Lisford et dans deux autres paroisses voisines avant que les ombres du soir fussent descendues sur terre le jour du mariage de Laura, et le Major fut respecté en conséquence.

Il était râpé certainement, ses talons de botte commençaient à s’éculer, et son collet d’habit en poil de chien se dépouillait de sa fourrure. Son chapeau luisait un peu plus que ne l’exigeait l’intérêt de la manufacture de chapellerie. Ses mains osseuses étaient rouges et nues, et un simulacre ridicule de gant se balançait entre son pouce et son index pendant qu’il parcourait la rue du village.

Mais il avait été vu dans la voiture de Dunbar, et, à partir de ce moment, sa personne était devenue l’objet d’un intérêt romanesque. C’était un gentleman ruiné qui avait vu de meilleurs jours, ou bien c’était un avare, peut-être un personnage excentrique qui portait des bottes éculées et des chapeaux luisants pour son plaisir.

On témoigna donc du respect à l’étranger à la Rose et la Couronne, en le saluant quand il entra et sortit, et les Lisfordiens furent charmés de répondre aux questions qu’il voulut bien leur adresser en flânant dans le village.

Il parvint ainsi à obtenir pas mal de renseignements sur les choses en général et sur les habitudes de Dunbar en particulier. Le banquier avait donné à sa connaissance mal vêtue, en même temps que les chèques, une poignée de souverains pour les besoins du moment, et le Major avait les moyens de vivre aussi bien qu’il était possible à la Rose et la Couronne et de payer largement ce qu’il prenait.

— Je trouve l’air du comté extraordinairement sain pour moi, — dit-il à l’aubergiste en s’asseyant à la table du déjeuner dans le petit salon, deux jours après son entrevue avec Dunbar. — Si vous connaissiez dans le voisinage quelque jolie petite maisonnette qui pût convenir à un vieux garçon solitaire ayant un beau revenu et personne pour l’aider à le dépenser, je crois que je me déciderais réellement à la meubler.

L’aubergiste se gratta la tête et réfléchit quelques moments. Puis il frappa sur sa cuisse avec force, et d’un air de triomphe :

— Je connais justement ce qu’il vous faut, monsieur Vernon, — dit-il (le Major avait pris le nom de Vernon, ainsi qu’il avait été convenu entre le banquier et lui) ; — c’est justement votre affaire, — répéta l’aubergiste, — on dirait que cela a été fait pour vous. Il y aura une vente jeudi prochain. M. Grogson, le commissaire-priseur de Shorncliffe, vendra, à onze heures précises, l’ameublement et le bail de la plus jolie petite maison qu’on puisse trouver par ici ; elle se nomme Woodbine Cottage ; c’est une jolie petite habitation qui appartenait au vieil amiral Manders. L’amiral est mort dans la maison, et comme il était célibataire et que sa fortune revient à des parents éloignés, l’ameublement et le bail du cottage seront mis aux enchères. Mais je présume, — ajouta l’aubergiste gravement en jetant un regard de doute sur son hôte, — je présume que le bail, l’ameublement, les tableaux et l’argenterie monteront à huit cents ou à mille livres, et peut-être ne vous souciez-vous pas d’y mettre tant que cela.

L’aubergiste ne put s’empêcher de jeter un regard oblique sur le drap luisant et blanchi qui couvrait les genoux pointus de son commensal assis en face de lui.

— Vous pourriez ne pas vous soucier d’y mettre tant que cela, — répéta-t-il en attirant à lui un morceau de jambon froid pesant trois quarts de livre.

Le Major releva vivement les sourcils et cligna les yeux d’un air de dédain.

— Si le cottage me convient, — dit-il, — je ne regarderai pas à mille livres. C’est aujourd’hui samedi ; j’irai demain ou lundi à Londres pour y régler une petite affaire que j’y ai en ce moment, et je reviendrai assez à temps pour assister à la vente.

— Ma femme et moi nous avions idée d’y aller aussi, monsieur, — reprit l’aubergiste d’un ton de respect inaccoutumé, — et, si cela vous était agréable, nous vous y conduirions dans notre char à bancs. Woodbine Cottage est à un mille et demi d’ici et à guère plus d’un mille de Maudesley Abbey. Il y a, parmi les ustensiles de l’amiral, une boîte à charbon en cuivre dont ma femme a envie. Mais peut-être, si vous faisiez une offre avant la vente, on pourrait vous céder le tout par un contrat particulier.

— Je verrai cela, — répondit Vernon ; — j’ai précisément une affaire à Shorncliffe ce matin et je rendrai visite à M. Grogson… C’est M. Grogson, avez-vous dit, je crois, que se nomme le commissaire-priseur ?

— Oui, monsieur, Peter Grogson, et il ne manque pas de visiteurs ; il a la réputation d’un honnête homme. Son bureau est dans la grande rue de Shorncliffe, monsieur, à deux portes seulement de l’étude de Lovell, l’avoué, et à quelques mètres de l’église de Saint-Gwendoline.

Le Major Vernon, ainsi qu’il se faisait appeler maintenant, partit de Lisford pour se rendre à Shorncliffe. Il était bon marcheur, car il avait eu le temps de prendre l’habitude de la marche, pendant les longues et fatigantes excursions qu’il avait faites d’un champ de courses à l’autre quand la chance lui souriait assez peu pour qu’il n’eût pas de quoi payer sa place au chemin de fer. La gelée avait recommencé, de sorte que les chemins étaient de nouveau secs et durs, et le bruit des sabots, des chevaux et des roues en mouvement, le tintement des clochettes, les aboiements momentanés de quelque chien de berger bruyants, et les voix des robustes paysans qui s’appelaient les uns les autres sur la grande route, retentissaient au loin dans l’air léger et froid.

La ville de Shorncliffe était très-calme ce jour-là, car ce n’était que les jours de marché qu’il y avait de l’animation et du mouvement dans ses vieilles rues bizarres ; Vernon ne rencontra donc aucun obstacle dans l’achèvement de l’affaire pour laquelle il était venu de Lisford.

Il se rendit directement chez Grogson le commissaire-priseur et reçut de celui-ci tous les détails relatifs à la vente de Woodbine Cottage. Le Major offrit de prendre le bail à un prix raisonnable et le mobilier ce qu’il était après évaluation.

— J’ai besoin d’une petite retraite où je puisse me caser sans peine, — dit le Major Vernon avec la désinvolture d’un homme du monde. — J’ai l’habitude de prendre agréablement la vie. Si vous m’affirmez que cette petite maison vaut réellement sept ou huit cents livres, je suis disposé à payer rubis sur l’ongle. Je m’en tiendrai à votre estimation si les propriétaires veulent vendre à ces prix-là et je déposerai cent ou deux cents livres mardi dans l’après-midi pour montrer que ma proposition est faite bonâ fide.

Quelques paroles furent encore échangées et Grogson s’engagea à faire le possible pour satisfaire Vernon sans mécontenter les propriétaires actuels de la maison.

Le commissaire-priseur s’était d’abord montré réservé envers ce long étranger mal vêtu, mais l’offre de déposer cent ou deux cents livres donna un tout autre aspect aux paroles de celui-ci. Le monde est rempli d’originaux et les apparences sont trompeuses. Le Major avait l’assurance d’un homme qui a un compte courant chez un banquier.

Le Major revint à la Rose et la Couronne, mangea un bon petit dîner qu’il avait commandé avant de partir pour Shorncliffe, paya sa note, et prit toutes ses mesures pour être à même de partir pour Londres le lendemain matin par le premier train. Il était près de dix heures quand tout fut fini, mais bien qu’il fût tard, Vernon prit son chapeau, remonta jusqu’à ses oreilles son collet d’habit en poil de chien et s’aventura dans la grande rue de Lisford.

Il y avait à peine un rayon de lumière dans la rue que suivait le Major. Il prit la route qui conduisait à Maudesley Abbey, et marcha d’un pas rapide sans prendre garde à la neige qui tombait à gros flocons.

Il était couvert de neige de la tête aux pieds quand il s’arrêta devant le porche en pierre et tira une sonnette qui fit grand vacarme au milieu du silence de la nuit. Il ressemblait à quelque statue blanche et roide descendue de son piédestal pour se promener çà et là dans les ténèbres.

Le domestique qui ouvrit la porte bâilla sans façon au nez de l’ami de son maître.

— Dites à M. Dunbar que je serais bien aise de causer avec lui quelques minutes, — dit le Major faisant mine de vouloir pénétrer dans le vestibule.

M. Dunbar a quitté le château il y a plus d’une heure, — répondit le valet avec une hauteur suprême, — mais il a laissé un message pour vous dans le cas où vous viendriez. La durée de son absence est incertaine, et si vous voulez vous entretenir avec lui il vous faudra attendre qu’il soit de retour.

Vernon écarta le valet et entra dans le vestibule. Les portes étaient ouvertes, et à travers deux ou trois chambres intermédiaires, le Major aperçut le salon sombre et vide.

Il n’y avait pas à douter que Dunbar lui eût glissé entre les doigts… pour le moment du moins : mais le banquier avait-il de fâcheuses intentions ? y avait-il quelque ruse cachée sous ce départ soudain ?… c’était là la question.

— J’écrirai à votre maître, — dit le Major après une pause ; quelle est son adresse, à Londres ?

M. Dunbar n’a pas laissé d’adresse.

— Hum ! cela ne fait rien. Je lui écrirai à la banque. Bonne nuit.

Le Major Vernon repartit à travers la neige.

Le valet ne répondit pas à sa politesse d’adieu. Il le suivit de l’œil pendant quelques moments, puis il referma violemment la porte.

— Si c’est là un spécimen de nos connaissances de l’Inde, je n’augure pas bien de la société indienne : mais que peut-on attendre d’une nation qui insulte le gentleman qui se tient debout derrière une chaise pour servir à table en l’appelant : mangeur de chats !


  1. La Banque royale d’Angleterre.