Henry Dunbar/47

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Traduction par Charles Bernard-Derosne.
Hachette (tome IIp. 261-262).
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ÉPILOGUE

Ajouté sept ans après par Clément.

« Ma femme et moi nous sommes à Maudesley Abbey avec nos deux enfants, en visite chez sir Philip et lady Jocelyn qui se partagent entre le Rock et Maudesley quand ils sont dans le comté de Warwick. Lady Jocelyn s’est prise d’une grande affection pour ma femme dont elle ignore complètement la malheureuse histoire. C’est une charmante femme franche, généreuse, cœur d’or, aimée par tout le monde à vingt milles à la ronde et idolâtrée par son mari. Au moment où j’écris ces lignes je la vois assise sous le plus vieux et le plus majestueux des cèdres, tenant entre ses bras son baby de deux mois.

« Ma femme est assise à côté d’elle, et le jeune Philip Jocelyn, qui a quitté Eton pour les vacances d’été, court à cheval en tous sens sur la pelouse à la grande joie de mon fils et héritier âgé de cinq ans.

« Nous sommes très-heureux. L’œil le plus habile ne pourrait pas lire sur le frais visage de Margaret la triste histoire de ses premières années. Une nouvelle existence a commencé pour elle, comme femme et comme mère. Il lui reste peu de temps pour songer à ce douloureux passé, et aucun des domestiques de Maudesley Abbey qui servent la jeune mère ne se doute qu’il sert la fille du meurtrier de Dunbar, du faux maître du château.

« Nous sommes très-heureux. Le secret de l’histoire de ma femme est caché dans nos cœurs : sombre chapitre du roman de la vie, que personne ne lira sur terre. Le meurtre de Winchester est oublié parmi les autres affreux mystères qu’on ne résout jamais entièrement. Si l’on parle par hasard de Wilmot on dit qu’il est en Amérique : il y a même des gens qui vont plus loin, et qui affirment l’y avoir rencontré.

« Ma mère gouverne notre maison, et depuis cinq ans rien n’est venu troubler notre vie paisible. La jolie villa de Clapham retentit du bruit des voix d’enfants, du chant des oiseaux et des aboiements des terriers. Nous avons fait ajouter une aile à la maison, où sont logés les enfants, et, pour faire pendant, on a construit une serre sur le plan de celle qui orne la demeure de mon associé. Les demoiselles Balderby se sont éprises follement, pour dire comme elles, de ma femme et font souvent invasion en robes bleues ou violettes à volants, dans notre petit salon pour faire ce qu’elles appellent « un peu de musique. » Je me suis aperçu qu’un peu de musique est synonyme, pour les demoiselles Balderby, de beaucoup de bruit.

« Je préfère l’exécution de ma femme, quoiqu’elles soient assez aimables pour exécuter vingt grandes pages de Bach ou de Mendelssohn à mon intention, et je ne suis jamais si heureux que lorsque nous sommes assis en tête-à-tête par une belle soirée d’été, dans notre salon obscur, et que nous causons tous deux pendant que les doigts exercés de Margaret courent doucement sur les touches d’ivoire. »

FIN