Hiéron (Trad. Talbot)/10

La bibliothèque libre.
Hiéron (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
HiéronHachetteTome 1 (p. 318-319).



CHAPITRE X.


À quoi peuvent être employés les mercenaires, et comment les citoyens sont amenés à contribuer à leur entretien.


Alors Hiéron : « Tout ce que tu dis, Simonide, me paraît excellent ; mais pour les mercenaires, m’apprendras-tu à ne point encourir de haine à cause d’eux ? ou bien crois-tu qu’un prince qui a su se faire aimer n’a plus besoin de doryphores ? — Certes, répondit Simonide, il en aura besoin ; car je sais qu’il en est de certains hommes comme des chevaux ; plus ils ont en abondance ce qui leur est nécessaire, plus ils sont rétifs ; rien ne tient mieux en respect ces sortes de gens que la crainte des doryphores. Quant aux bons citoyens, tu ne peux, ce me semble, les obliger plus utilement qu’au moyen des mercenaires. Tu entretiens des soldats, afin qu’ils veillent à la sûreté de ta personne ; mais, comme beaucoup de maîtres ont été tués par leurs esclaves, si tu commences par enjoindre à tes gardes, en leur qualité de doryphores de l’État, de venir en aide à tous les citoyens, dès qu’ils s’apercevront de quelque chose ; et, comme il y a toujours des malfaiteurs dans les villes, si tu enjoins d’avoir l’œil sur eux, on verra bientôt que tes troupes ne sont pas inutiles. Et en outre tes soldats pourront procurer sûreté et tranquillité aux cultivateurs et aux troupeaux, à ceux qui font valoir ton bien ou qui travaillent pour leur compte. Ils peuvent encore donner aux citoyens le loisir de vaquer à leurs affaires, en occupant des postes avantageux. D’ailleurs, qui peut mieux pressentir et arrêter les irruptions soudaines et secrètes des ennemis, que des gens toujours en armes, toujours rangés ? D’autre part qu’y a-t-il, en temps de guerre, de plus avantageux pour les citoyens que des troupes mercenaires ? Il est tout naturel, en effet, qu’elles soient toujours les mieux disposées à supporter la fatigue, à braver le danger, à faire bonne garde ? Enfin les villes voisines ne souhaiteraient-elles pas, de toute nécessité, de vivre en paix avec des gens toujours en armes ? Car c’est surtout avec un corps de troupes réglées qu’on peut défendre le bien de ses amis, et ruiner ses ennemis. Or, si les citoyens sont convaincus que ces troupes ne font aucun mal à quiconque ne fait aucun tort, qu’elles s’opposent, au contraire, aux actes des malfaiteurs, défendent les opprimés, prévoient et bravent le danger pour les citoyens, comment ne seraient-ils pas tout disposés à s’imposer volontairement pour elles ? Ils entretiennent, en effet, des gardes pour des objets moins importants. »