Histoire amoureuse des Gaules/Tome1/Livre troisième

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LIVRE TROISIÈME.

SUITE DE L’HISTOIRE DE MADAME D’OLONNE.

Dans ce temps-là, madame d’Olonne étoit allée, comme j’ai dit, prier la comtesse de Fiesque de remercier de sa part l’abbé Foucquet de quelque prétendue obligation qui proprement n’étoit rien ; mais elle vouloit faire faire des réflexions à l’abbé Foucquet sur ce compliment, et lui faire comprendre que, quand on remercioit les gens de si peu de chose, on leur vouloit avoir de plus grandes obligations. Le même jour que madame d’Olonne vit la comtesse, elle trouva l’abbé chez madame de Bonnelle, et là elle lui fit elle-même son compliment. L’abbé, qui étoit bien aise de se faire une affaire avec madame d’Olonne pour essayer de se guérir de la passion qui lui restoit encore pour la duchesse de Châtillon, répondit à ses civilités le plus obligeamment qu’il put, et le lendemain, la comtesse l’ayant envoyé quérir et lui disant ce que madame d’Olonne l’avoit prié de lui dire : « J’en sçais plus que vous, Madame, lui dit-il, et je reçus hier au soir d’elle-même des marques de sa reconnoissance ; mais je voudrois bien sçavoir de vous une chose, ajouta-t-il : si le comte de Guiche n’est point amoureux de madame d’Olonne ; car, cela étant, je veux éviter l’occasion de le devenir. Il a eu tant d’égards pour moi en tout rencontre que je serois ridicule d’en user mal avec lui.—Non, lui dit la comtesse ; au moins madame d’Olonne et lui m’ont dit, chacun en particulier, qu’ils ne songeoient point l’un à l’autre.—Cela étant, répliqua l’abbé, je vous supplie, Madame, de mander à madame d’Olonne que vous m’avez vu, et que, sur ce que vous m’avez dit de sa part, je vous ai paru si transporté de joie de voir comme elle recevoit ce que je faisois pour elle, que vous ne doutez pas que je ne devienne furieusement amoureux ; et là-dessus, Madame, demandez-lui, je vous prie, ce qu’elle feroit si cela étoit. » La comtesse lui ayant promis, l’abbé sortit, et le lendemain madame d’Olonne, ayant reçu le billet de la comtesse, y fit cette réponse :

BILLET.

Vous me mandez ce que je ferois si l’abbé Foucquet étoit fort amoureux de moi. Je n’ai garde de vous le dire, mais il me plaît toujours autant qu’il me plut avant-hier. Adieu, la Castillanne !

Le chevalier de Grammont, étant arrivé chez la comtesse un moment après qu’elle eut reçu ce billet, la trouva au lit ; et, voyant un papier qui n’étoit qu’à moitié sur son chevet, il le prit. La comtesse lui ayant redemandé ce papier, le chevalier lui en rendit un autre à peu près de la même grandeur. Les gens qui étoient alors chez la comtesse l’occupoient si fort qu’elle ne s’aperçut pas de la tromperie du chevalier, lequel sortit presque aussitôt qu’il l’eut faite. Comme il vit ce que c’étoit, il ne faut pas demander s’il eut de la joie d’avoir en main quelque chose qui pût nuire à madame d’Olonne et faire enrager le comte de Guiche. Il se souvenoit d’avoir été sacrifié à Marsillac et des inquiétudes que son neveu lui avoit données sur le sujet de la comtesse, et il étoit bien aise que l’abbé le tourmentât à son tour. Le bruit qu’il fit de cette lettre eut tout l’effet qu’il pouvoit souhaiter. Le comte de Guiche eut l’alarme et consulta Vineuil ; ils résolurent : ensemble, qu’il en parleroit lui-même à l’abbé, et cependant il écrivit cette lettre à madame d’Olonne :

LETTRE.

Vous me désespérez, Madame ; mais je vous aime trop pour m’emporter contre vous. Peut-être que cette manière vous touchera plus le cœur que les reproches. Cependant il faut que mon ressentiment retombe sur quelqu’un, et je ne vois personne qui se le soit mieux attiré que la comtesse. C’est elle assurément qui a embarqué l’abbé Foucquet à songer à vous ; elle est au désespoir que je l’aie quittée. Pour me faire retourner à elle, ou pour se venger de mon changement, elle me veut donner un rival qui me chasse ou qui me dégoûte de vous aimer. Je ne pense pas qu’elle réussisse à l’un ni à l’autre, Madame. Je ne laisse pas de lui sçavoir le même gré que si l’un et l’autre étoit arrivé. Aussi se doit-elle attendre que je n’aurai plus d’égards pour elle, et qu’il n’y a rien au monde que je ne fasse pour me venger.

Madame d’Olonne, qui n’étoit pas si assurée du comte de Guiche qu’elle n’appréhendât que la comtesse le pût reprendre, les voulut brouiller au point qu’il ne pût pas y avoir apparemment de réconciliation entre eux. Pour cet effet, elle n’eut pas plutôt reçu cette lettre qu’elle l’envoya à la comtesse. Celle-ci, enragée contre le comte de Guiche, manda à Vineuil de la venir trouver. « Je vous ai envoyé quérir pour vous dire que votre ami est un fou et un impertinent avec qui je ne veux plus avoir de commerce. Voyez la lettre qu’il vient d’écrire à madame d’Olonne ! Il se plaint que je pousse l’abbé Foucquet à s’embarquer avec sa maîtresse, et ne se souvient pas qu’il m’a dit qu’il ne songeoit plus à elle.—Je vous demande pardon pour lui, répondit Vineuil ; excusez un pauvre amant qui, parcequ’on lui veut ôter sa maîtresse, ne sçait plus ce qu’il fait ni à qui s’en prendre. Sitôt que je l’aurai fait revenir à lui, il viendra se jeter à vos pieds. » Après quelques autres discours, Vineuil sortit, et une heure après rentra avec le comte de Guiche, qui dit tant de choses à la comtesse qu’elle lui promit de ne se souvenir plus de sa brutalité. Le lendemain le comte, qui avoit résolu de parler à l’abbé, l’alla trouver, et, l’ayant tiré à part : « Si nous avions tous deux commencé en même temps, lui dit-il, d’être amoureux de madame d’Olonne, il seroit ridicule de trouver étrange que vous me la disputassiez. Aussi ne le ferois-je pas, et je la laisserois décider elle-même par ses faveurs de la bonne fortune de l’un ou de l’autre. Mais que vous me veniez troubler dans une affaire où je suis engagé long-temps avant vous, vous voulez bien que je vous dise que cela n’est pas honnête, et que je vous prie de me laisser en repos auprès de ma maîtresse, sans me donner d’autres chagrins que ceux qui me viennent de ses rigueurs.—Je suis ami de madame d’Olonne, répondit l’abbé, et rien autre chose. Ainsi vous n’avez pas sujet de vous plaindre de moi. Si je croyois pourtant que le discours que vous me venez de lire eût été conseillé par des gens qui me voulussent faire des affaires, je vous déclare que je deviendrois votre rival dès aujourd’hui. Je sais bien pourquoi je vous parle ainsi, et vous me pouvez bien entendre. » L’abbé prétendoit parler de Vardes[1], son ennemi mortel et ami du comte. « Non, répondit le comte, et je ne vous entends point ; mais ce que j’ai à vous dire, c’est que la jalousie m’a conseillé de vous venir prier de ne m’en donner plus. » L’abbé lui ayant promis, ils se séparèrent les meilleurs amis du monde. Quelque temps après, celui-ci trouvant madame d’Olonne en visite, elle le tira en particulier pour lui faire des confidences de bagatelles. L’abbé aussi, ne sçachant que lui dire, lui conta l’éclaircissement du comte et de lui. « Je suis bien aise, lui dit-elle, de voir que vous autres messieurs disposez de moi comme de votre bien. Me voilà donc maintenant au comte de Guiche, puisque vous lui avez fait votre déclaration que vous ne prétendiez rien à moi ? —Ah ! Madame, répondit l’abbé, je ne vous donne à personne. Si j’étois en pouvoir de le faire, comme je m’aime mieux que qui que ce soit, je vous garderois pour moi ; mais, sur le soupçon qu’a le comte de Guiche que j’ai de l’amour pour vous, je lui déclare que je n’y songe pas, et cela, entre vous et moi, Madame, parceque je me défie de ma bonne fortune, car…—Non, non, interrompit madame d’Olonne, n’achevez pas, Monsieur l’abbé, de me parler contre votre pensée ; vous sçavez bien que vous n’êtes pas si malheureux que vous dites. » L’abbé, se trouvant si pressé, ne put s’empêcher de lui répondre qu’elle le sçavoit mieux que lui ; que, pouvant faire la fortune des rois même, il croyoit la sienne faite si elle l’en assuroit, et qu’au reste les paroles qu’il avoit données au comte ne l’empêcheroient pas de l’aimer quand il verroit quelque apparence d’être aimé. Cette conversation finit par tant de douceurs de la part de madame d’Olonne que l’abbé oublia qu’il aimoit encore madame de Châtillon, de sorte qu’il se résolut de s’embarquer sans inclination avec madame d’Olonne. Il crut qu’en intéressant le corps par les plaisirs, il pourroit détacher l’esprit, dont les intérêts sont si mêlés. En effet, madame d’Olonne, à qui le temps étoit fort cher, ne laissa pas languir l’abbé ; mais, comme leur intelligence ne put pas durer long-temps sans que le comte s’en aperçût, celui-ci alla chez elle pour lui en faire des plaintes. Comme il fut à la porte de sa chambre, il ouït qu’on faisoit quelque bruit. Cela l’obligea d’écouter ce que c’étoit. Il entendit madame d’Olonne qui disoit mille douceurs à quelqu’un. Sa curiosité redoublant, il regarda par le trou de la serrure et vit sa maîtresse faisant des caresses à son mari[2], aussi tendres qu’à un amant. Cela ne lui en donna pas moins de mépris pour elle. Il s’en retourna brusquement à son logis, où, ayant pris de l’encre et du papier, il écrivit ceci à Vineuil :

LETTRE.

Vous ne sçavez pas un nouvel amant de madame d’Olonne que j’ai découvert ? Mais quel nouvel amant, bon Dieu ! un amant bien traité, un rival domestique ! Il n’y a plus moyen de souffrir. C’est d’Olonne que je viens de surprendre sur les genoux de sa femme, qui recevait mille caresses de cette infidèle.

Je penserois n’être pas malheureux
Si la beauté dont je suis amoureux
Pouvoit enfin se tenir satisfaite
De mille amans avec un favory ;
Mais j’enrage que la coquette
Aime encor jusqu’à son mari.

Car enfin, mon cher, il n’est pas mari : il a toutes les douceurs des amants, il reçoit d’autres caresses que celles que fait faire le devoir, et il les reçoit de jour, qui n’a jamais été que le temps des amans.

Le lendemain, le comte de Guiche, étant retourné chez madame d’Olonne, laissa pour une autre fois les reproches qu’il avoit à faire sur son mari, et ne voulut pour ce coup parler que de l’abbé Foucquet. Madame d’Olonne, qui étoit remplie de considération quand il falloit perdre un amant, non pas tant pour la crainte de son dépit que parcequ’elle en ôtoit le nombre, dit au comte de Guiche qu’il étoit le maître de sa conduite, qu’il pouvoit lui prescrire telle manière de vie qu’il lui plairoit ; que, si l’abbé lui donnoit de l’ombrage, non seulement elle ne le verroit plus, mais qu’il seroit témoin, s’il vouloit, de quel air elle lui parleroit. Le comte, qui n’eût jamais osé lui demander un si grand sacrifice, accepta les offres qu’elle lui en fit. Le rendez-vous se prit chez Craf pour le lendemain, où madame d’Olonne, seule avec le comte et l’abbé, parla ainsi à ce dernier, après avoir tout concerté la veille. « Je vous ai prié, Monsieur l’abbé, de vous trouver ici pour vous dire, en présence de monsieur le comte de Guiche, que je n’aime et que je ne puis jamais aimer personne que lui. Nous avons tous deux été bien aises que vous le sçussiez, afin que vous n’en prétendiez cause d’ignorance. Ce n’est pas, je l’avoue, que vous ayez pris jusqu’ici d’autre parti avec moi que celui d’ami, mais comme vous n’y entendez pas finesse, peut-être que vous n’avez pas pris garde que vos visites étoient un peu trop fréquentes, et vous sçavez que cela ne plaît pas d’ordinaire à un homme aussi amoureux que l’est monsieur le comte, quelque confiance qu’il ait en sa maîtresse. Pour moi, je ne veux songer toute ma vie qu’à lui plaire. Je vous ai voulu faire cette déclaration afin que, sans y penser, vous ne vous fissiez point de méchantes affaires. Soyez mon ami, j’en serai ravie ; mais le moins que nous pourrons avoir de commerce ensemble ce sera le meilleur.—Oui, Madame, je vous le promets, lui dit l’abbé ; j’entre fort dans les sentimens de monsieur le comte de Guiche, et j’ai passé par tous les degrés de la jalousie. Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous avons traité ce chapitre, lui et moi ; je sçais bien ce que je lui ai promis, et je l’assure que je n’y ai pas contrevenu.—Il est vrai, interrompit le comte, que je ne sçaurois me plaindre de vous ; mais Madame a fort bien dit, que, comme vous n’aviez aucun dessein, peut-être vous n’avez cru rien faire contre ce que vous m’avez promis, et les apparences seulement ont été contre vous.—Eh bien ! lui répliqua l’abbé, à cela ne tienne que vous soyez heureux ; je vous donne parole de ne voir Madame de dessein qu’une fois le mois, car pour les rencontres je n’en puis répondre ; mais c’est à vous à prendre vos sûretés pour cela. » Après mille civilités de part et d’autre, ils se séparèrent.

On s’étonnera peut-être que l’abbé souffrît si impatiemment les rivaux auprès de la duchesse de Châtillon et fût si traitable avec madame d’Olonne ; mais la raison est qu’avec la première il y avoit de l’amour, et avec l’autre rien que de la débauche, et que le corps peut souffrir des associés, mais jamais le cœur.

Quelque temps après, d’Olonne, averti de la mauvaise conduite de sa femme, résolut de l’envoyer à la campagne, tant pour l’empêcher de faire de nouvelles sottises que pour faire cesser les bruits que sa présence renouveloit tous les jours. En effet, sitôt qu’elle fut partie, on ne se souvint plus d’elle, et mille autres copies de madame d’Olonne, dont Paris est tout plein, firent en peu de temps oublier ce grand original.

Il arriva même une affaire qui, sans être de la nature de celles de madame d’Olonne, ne laissa pas de les étouffer pour un temps[3].

Le comte de Vivonne, premier gentilhomme de la chambre du roi, et pour qui naturellement Sa Majesté avoit de l’inclination, s’étant retiré à une maison qu’il avoit près de Paris pour passer les fêtes de Pâques avec deux de ses amis, l’abbé Le Camus[4] et Manchiny, celui-ci neveu du cardinal, et l’autre un des aumôniers du roi, et y ayant passé trois ou quatre jours, sinon dans une grande dévotion, au moins dans des plaisirs fort innocens, le comte de Guiche et Manicamp, qui s’ennuyoient à Paris, l’allèrent trouver. Sitôt que l’abbé Le Camus les vit, les connoissant fort emportés, il persuada Manchiny de retourner à Paris, et que dès le lendemain l’on diroit dans le monde qu’il s’étoit passé entre eux d’étranges choses ; et comme Manchiny[5], dès le soir même, témoigna ce dessein, Manicamp et le comte de Guiche proposèrent à Vivonne de prier Bussy de venir passer deux ou trois jours avec eux, lui disant que celui-là pourroit bien remplacer les deux autres. Vivonne, en étant demeuré d’accord, écrivit à Bussy au nom de tous, qu’il étoit prié de quitter pour quelque temps le tracas du monde pour venir avec eux vaquer avec moins de distraction aux pensées de l’éternité. Avant que de passer outre, il est à propos de faire voir ce que c’étoit que Vivonne et Bussy.

Le portrait de M. le comte de Vivonne.

Le premier avoit de gros yeux bleus à fleur de tête, dont les prunelles, qui étoient souvent à demi cachées sous les paupières, lui faisoient des regards languissants contre son intention ; il avoit le nez bien fait, la bouche petite et relevée, le teint beau, les cheveux blonds dorés et en quantité ; véritablement il avoit un peu trop d’embonpoint. Il avoit l’esprit vif et imaginoit bien, mais il songeoit trop à être plaisant ; il aimoit à dire des équivoques et des mots de double sens, et, pour se faire plus admirer, il les faisoit souvent au logis, et les débitoit comme des impromptus dans les compagnies où il alloit[6]. Il s’attachoit fort vite d’amitié aux gens sans aucun discernement ;

mais, qu’il leur trouvât du mérite ou non, il s’en lassoit encore plus vite. Ce qui faisoit un peu plus durer son inclination, c’étoit la flatterie ; mais qui ne l’eût point admiré eût eu beau être admirable, il n’en eût pas fait grand estime. Comme il croyoit qu’une marque de bon esprit étoit la délicatesse pour tous les ouvrages, il ne trouvoit rien à son gré de tout ce qu’il voyoit, et d’ordinaire il en jugeoit sans connoissance et sans fondement. Enfin il étoit tellement aveugle de son propre mérite qu’il n’en voyoit point en autrui ; et, pour parler en Turlupin comme lui, il avoit beaucoup de suffisance et beaucoup d’insuffisance à la fois. Il étoit hardi à la guerre et timide en amour ; cependant, qui l’eût voulu croire, il avoit mis à mal toutes les femmes qu’il avoit entreprises ; et la vérité est qu’il avoit échoué auprès de certaines dames qui jusque là n’avoient refusé personne.

Portrait de M. de Bussy Rabutin.

Roger de Rabutin, comte de Bussy, mestre de camp de la cavalerie légère, avoit les yeux grands et doux, la bouche bien faite, le nez grand, tirant sur l’aquilin, le front avancé, le visage ouvert et la physionomie heureuse, les cheveux blonds déliés et clairs. Il avoit dans l’esprit de la délicatesse et de la force, de la gaîté et de l’enjoûment ; il parloit bien, il écrivoit juste et agréablement. Il étoit né doux ; mais les envieux que lui avoit faits son mérite l’avoient aigri, en sorte qu’il se réjouissoit volontiers avec des gens qu’il n’aimoit pas. Il étoit bon ami et régulier ; il étoit brave sans ostentation ; il aimoit les plaisirs plus que la fortune, mais il aimoit la gloire plus que les plaisirs ; il étoit galant avec toutes les dames et fort civil, et la familiarité qu’il avoit avec ses meilleurs amis ne lui faisoit jamais manquer au respect qu’il leur devoit. Cette manière d’agir faisoit juger qu’il avoit de l’amour pour elles, et il est certain qu’il en entroit toujours un peu dans toutes les grandes amitiés qu’il avoit. Il avoit bien servi à la guerre, et fort long-temps ; mais comme, de son siècle, ce n’étoit pas assez pour parvenir à de grands honneurs que d’avoir de la naissance, de l’esprit, des services et du courage, avec toutes ces qualités il étoit demeuré à moitié chemin de sa fortune. Il n’avoit pas eu la bassesse de flatter les gens en qui le Mazarin, souverain dispensateur des grâces, avoit créance, ou il n’avoit pas été en état de les lui arracher en lui faisant peur, comme avoient fait la plupart des maréchaux de son temps.

Bussy donc, ayant reçu ce billet de Vivonne, monta à cheval aussitôt et l’alla trouver. Il rencontra ses amis fort disposés à se réjouir, et lui, qui d’ordinaire ne troubloit point les fêtes, fit que la joie fut tout à fait complète ; et, les abordant : « Je suis bien aise, mes amis, dit-il, de vous trouver détachés du monde comme vous êtes. Il faut des grâces particulières de Dieu pour faire son salut. Dans les embarras des cours, l’ambition, l’envie, la médisance, l’amour et mille autres passions y portent ordinairement les gens les mieux nés à des crimes dont ils sont incapables dans des retraites comme celle-ci. Sauvons-nous donc ensemble, mes amis ; et, comme pour être agréables à Dieu il n’est pas nécessaire de pleurer ni de mourir de faim, rions, mes chers, et faisons bonne chère. » Ce sentiment-là étant généralement approuvé, on se prépara pour la chasse l’après-dînée, et l’on mit ordre d’avoir des concerts d’instrumens pour le lendemain. Après avoir couru quatre ou cinq heures, le lendemain, ces messieurs vinrent affamés faire le plus grand repas du monde. Le souper étant fini, qui avoit duré trois heures, pendant lesquelles la compagnie avoit été dans cette gaîté qui accompagne toujours la bonne conscience, on fit amener des chevaux pour se promener dans le parc. Ce fut là que ces quatre amis, se trouvant en liberté, pour s’encourager à mépriser davantage le monde, proposèrent de médire de tout le genre humain ; mais, un moment après, la réflexion fit dire à Bussy qu’il falloit excepter leurs bons amis de cette proposition générale. Cet avis ayant été approuvé, chacun demanda au reste de l’assemblée quartier pour ce qu’il aimoit. Cela étant fait et le signal donné pour le mépris des choses d’ici-bas, ces bonnes âmes commencèrent le cantique qui ensuit :

CANTIQUE[7].

Que Déodatus[8] est heureux
De baiser ce bec amoureux
Qui d’une oreille à l’autre va !
Alleluia !
Si le roi venoit à mourir,
Monsieur ne se pourroit tenir
De dire, en chantant Libera :
Alleluia !
La reine veut un autre v..,
Mais on n’en a pas à crédit,
Et la pauvrette maille n’a.
Alleluia !
Le Mazarin est bien lassé
De f….. un c.. si bas percé,

Qui sent si fort le faguena[9].
Alleluia !
La d’Orléans[10] et la Vandis[11]
Se servent de godemichis ;
De v.. pour elles il n’y a.
Alleluia !
La Mothe[12] disoit l’autre jour
À Richelieu : Faisons l’amour,

Embrassons-nous, et cetera.
Alleluia !

Chimerault[13] lui disoit : Fripon,
Prenez-moi la m…. du c..,
Et laissez l’autre Motte là.
Alleluia !

Si vous voulez savoir pourquoi
On f… la Bonneuil[14] malgré soi,
De c.. de son calibre il n’y a.
Alleluia !

A Clérambault[15] disait Gourdon[16] :
Mettez-moi le v.. dans le c.
Pour voir comme cela fera.
Alléluia !

Je ne sais comme quoi Fouilloux [17]
Peut avoir f… tant de coups
Sans avoir une fois mis bas.
Alléluia !

Quand d’Alluy[18] ne la f… pas bien,
Elle lui dit : F… vilain,
Lav a passé par là.
Alléluia !

De Méneville[19] et de Brion[20]
S’il sort jamais un embryon,
Fils de son père il ne sera.
Alléluia !

Quand Marsillac au monde vint,
Pour défaire les Philistins
Mâchoire d’âne il apporta.
Alléluia !

On peut juger qu’ayant débuté par là, tout fut compris dans le cantique, à la réserve des amis de ces quatre messieurs ; mais, comme le nombre en étoit petit, le cantique fut grand, et tel que, pour ne rien oublier, il faudroit pour lui seul faire un volume. Une partie de la nuit s’étant passée en ces plaisirs champêtres, on résolut de s’aller reposer. Chacun donc se quitta fort satisfait de voir le progrès que l’on commençoit de faire dans la dévotion. Le lendemain, Vivonne et Bussy, s’étant levés plus matin que les autres, allèrent dans la chambre de Manicamp ; mais, ne l’ayant pas trouvé et le croyant dans le parc à la promenade, ils allèrent dans la chambre du comte de Guiche, avec lequel ils le trouvèrent couché. « Vous voyez, mes amis, leur dit Manicamp, que je tâche de profiter des choses que vous dîtes hier touchant le mépris du monde. J’ai déjà gagné sur moi d’en mépriser la moitié, et j’espère que dans peu de temps, hors mes amis particuliers, que je ne ferai pas grand cas de l’autre. — Souvent on arrive à même fm par différentes voies, lui répondit Bussy. Pour moi je ne condamne point vos manières : chacun se sauve à sa guise ; mais je n’irai point à la béatitude par le chemin que vous tenez. — Je m’étonne, dit Manicamp que vous parliez comme vous faites, et que madame de Sévigny ne vous ait pas rebuté d’aimer les femmes.—Mais, à propos de madame de Sévigny, dit Vivonne, je vous prie de nous dire pourquoi vous rompîtes avec elle, car on en parle différemment. Les uns disent que vous étiez jaloux du comte du Lude, et les autres que vous la sacrifiâtes à madame de Monglas, et personne n’a cru, comme vous l’avez dit tous deux, que ce fût une raison d’intérêt[21].—Quand je vous aurai fait voir, répliqua Bussy, qu’il y a six ans que j’aime madame de Monglas, vous croirez bien qu’il n’entroit point d’amour dans la rupture qui se fit l’année passée entre madame de Sévigny et moi.—Ah ! mon cher, interrompit Vivonne, que nous vous serions obligés si vous vouliez prendre la peine de nous conter une histoire amoureuse ! Mais auparavant, dites-nous, s’il vous plaît, ce que c’est que madame de Sévigny, car je n’ai jamais vu deux personnes s’accorder sur son sujet.—C’est la définir en peu de mots que ce que vous dites là, répondit Bussy : on ne s’accorde point sur son sujet parcequ’elle est inégale, et qu’une seule personne n’est pas assez long-temps bien avec elle pour remarquer le changement de son humeur ; mais moi, qui l’ai toujours vue dès son enfance, je vous en veux faire un fidèle rapport. »

  1. Quand Vardes meurt (en août 1688), madame de Sévigné écrit (3 septembre 1688) : « Il n’y a plus d’homme à la cour bâti sur ce modèle-là. » Vardes avoit été le type du gentilhomme de palais royal.

    Son père, en 1617, avoit épousé madame de Moret, ancienne maîtresse de Henri IV (Jacqueline de Bueil, née vers 1580, mère, en 1607, d’Antoine de Bourbon, comte de Moret, mariée en 1610 à Philippe de Harlay, comte de Césy).

    Vardes s’appeloit René François du Bec Crespin (en Normandie). Je ne l’aime pas beaucoup, pour ma part : il fut égoïste. Ses amours avec madame de Roquelaure (Conrart, p. 250), et, plus tard, dans son exil, avec mademoiselle de Thoiras, qu’il laissa dans l’embarras, ne parlent pas en sa faveur. Madame de Sévigné (28 juin 1671 et 30 mars 1672) a parlé de cette dernière liaison : « J’ai horreur de l’inconstance de M. de Vardes ; il a trouvé cette conduite dans le feu de sa passion, sans aucun sujet que de n’avoir plus d’amour. Cela désespère, mais j’aimerois encore mieux cette douleur que d’être quittée pour une autre. Voilà notre vieille querelle. Il y a bien d’autres sujets sur quoi je n’approuve pas M. de Vardes. »

    Vardes avoit épousé Catherine Nicolaï. « Le bruit courut partout qu’il étoit impuissant, ce qui passoit pour une vérité parmi ceux qui ne le connoissoient pas particulièrement ; mais ceux qui le connoissoient assuroient qu’il ne l’étoit pas, mais qu’il n’étoit pas fort vigoureux, et que c’est ce qui avoit donné lieu à ce bruit. Sa femme soutenoit à sa mère et à tous ses parents que tant s’en falloit que cela fût, que même il étoit fort vert galant. » (Conrart, p. 252.)

    Le mariage eut lieu (V. Loret) le 19 septembre 1656. Mademoiselle de Nicolaï, fille du premier président de la chambre des comptes et de Marie Amelot, mourut en 1661.

    La fille de Vardes, Marie-Elisabeth du Bec, fut mariée en 1678 à Louis de Rohan-Chabot.

    C’est pour son mariage avec mademoiselle de Nicolaï que Vardes fut si vigoureusement aidé contre la famille par l’abbé Fouquet et Candale (Montp., t. 3, p. 76).

    Jarzay l’avoit soutenu dans l’intrigue qu’il eut avec madame de La Roche-Guyon. Veuf, il eut deux fois à refuser mademoiselle de La Vallière : on la lui offrit avant l’exaltation ; on la lui offrit encore après la chute. Il avoit eu Ninon. Madame de Vardes, morte jeune, avoit brillé à l’hôtel de Rambouillet (Walck., t. 1, p. 39).

    En 1650, Vardes est épris de madame de Lesdiguières (Retz, p. 206) ; en 1652, il combat dans le parti de la cour et a le poignet cassé à Etampes (Conrart, p. 74). Tallemant (ch. 355) dit qu’il touchoit une pension de 6,000 livres pour son beau dévoûment.

    De 1655 à 1678 (Daniel, t. 2, p. 312) il fut capitaine de la compagnie des Cent-Suisses. Ce gentilhomme, si poli au Palais-Royal et au Louvre, avoit quelque cruauté. Il fait couper le nez à Montandré, auteur d’un libelle écrit contre madame de Guébriant, sa sœur (Retz, p. 258) ; il se bat avec le duc de Saint-Simon pour un procès, et il est vaincu (Saint-Simon, 1, p. 50).

    La Gazette de France le montre, au mariage du roi, « lestement vestu, à la teste des Cent-Suisses, aussi en habits neufs passementez d’or, avec la toque de velours ondoyée de belles plumes, marchant, tambours battant, sous leur enseigne, semée de fleurs de lys d’or. »

    Sa faveur étoit grande alors. Il étoit beau (de la tête au moins) ; il se crut autorisé à courtiser madame de Conti. Conti l’y prend (Choisy, p. 627) et l’en dégoûte. Il étoit joueur et ami de Gourville (Mém. de Gourville, p. 529), à qui il raconta l’histoire de la lettre espagnole. Madame ne l’aimoit pas (Conrart, p. 279) ; il poussa le chevalier de Lorraine à l’aimer. Puis vint en effet cette malheureuse lettre espagnole, imaginée avec Guiche et madame la comtesse de Soissons, qui les perdit (Montp., t. 4, p. 43).

    « Le roi a fait mettre dans la Bastille M. de Vardes ; on ne sçait point le sujet : on dit que c’est à cause de M. Fouquet ; mais apparemment c’est le prétexte de quelque autre chose. » (Guy Patin, 16 décembre 1664.)

    « M. de Vardes a été amené d’Aigues-Mortes dans la citadelle de Montpellier, par ordre du roi, d’où l’on dit qu’il sera conduit à Paris (31 mars 1665).

    (Même lettre.) « Le comte de Guiche a reçu commandement du roi de se retirer à La Haye (en Hollande), et la comtesse de Soissons n’est pas bien dans l’esprit du roi à cause de la lettre qui est venue d’Espagne. »

    Vardes alla d’abord à la Bastille, où on courut le voir en procession. Il n’en étoit pas moins perdu, et l’amitié du roi lui étoit ravie. Il « avoit une ambition déréglée (Mottev., t. 5, p. 227) et naturellement étoit artificieux et vain. » On l’envoya dans la citadelle de Montpellier (La Fare), puis on lui permit de se promener un peu ; mais il resta en exil. Madame de Grignan l’y retrouve, toujours capitaine en titre des Cents-Suisses (Sévigné, édit. Didot, t. 3, p. 39), s’occupant de chimie et poursuivant surtout la découverte de l’or potable (1er juillet 1676). En 1683 il reparut à la cour (Sévigné, 26 mai) vieilli, cassé, mais élégant, roide, poli, reste glacé des grâces de la Régence, et, plutôt qu’un modèle, un souvenir. Louis XIV fut clément et doux.

    « M. de Vardes est ici plus délicieux que jamais, et joignant les perfections humaines et la sagesse de l’honnête homme à celle d’un bon chrétien. » (Lettre de Corbinelli, 1er juin 1684.)

    Dangeau (21 janvier 1688) montre que de Vardes reconquit presque sa place perdue dans la faveur. Il meurt le 3 septembre 1688, laissant 40,000 livres de rente à son gendre. Saint-Simon, parlant de son exil et de son retour, dit : « Il en revint si rouillé qu’il en surprit tout le monde et conserva toujours du provincial. Le roi ne revint jamais qu’à l’extérieur, et encore fort médiocre, quoiqu’il lui rendît enfin un logement et ses entrées. »

  2. Dans les Amours de madame de Brancas, M. d’Olonne, Jeannin, Paget, reparoîtront. On y verra que, si madame d’Olonne jouoit des tours à son mari, celui-ci ne se gênoit nullement pour courir la pretentaine. Il paya sa belle-sœur, madame la maréchale de La Ferté ; il enleva madame de Brancas à Jeannin ; il eut une autre de ses belles-sœurs, la femme de son frère Royan. Ce gros homme, ce « tonneau », n’étoit donc pas adonné uniquement aux voluptés culinaires.
  3. « Dans ce temps-là je fus d’une partie de plaisir à la campagne qui fit bien du bruit. Je l’écrivis et la montray un an après à Mme ****, pour lors de mes amies. Elle en fit une histoire à sa mode, qu’elle fit courir dans le monde quand nous nous brouillâmes ; mais voicy naturellement comme elle se passa :

    « Vivonne, premier gentilhomme de la chambre du roy, voulant aller passer les festes de Pasques à Roissy, qui est une terre à quatre lieues de Paris, qui luy venoit du coté de sa femme, proposa à Mancini, neveu du cardinal Mazarin, et à l’abbé le Camus, aumônier du roy, d’être de la partie, lesquels ne s’en firent pas presser. Deux jours après qu’ils y furent, le comte de Guiche et Manicamp, l’ayant appris, les allèrent trouver, et menèrent avec eux le jeune Cavoye, lieutenant au régiment des gardes. Aussi-tôt qu’ils y furent arrivez, Mancini et l’abbé s’enfermèrent dans leurs chambres, se défiant des emportemens du comte de Guiche et de Manicamp ; et le lendemain, jour du vendredy saint, ils en partirent de grand matin et revinrent à Paris. Quand Vivonne et les autres l’eurent appris, ils proposèrent de m’envoyer prier de les aller voir. Vivonne m’en écrivit un billet, et moy, n’ayant alors rien à faire à Paris, je montay à cheval et je les allay trouver. Je les rencontray qu’ils venoient d’entendre le service. Un moment après nous envoyâmes à Paris quérir quatre des petits violons du roy et nous nous mîmes à table. Après dîner nous allâmes courre un lièvre avec les chiens du Tilloy. Pour moy, qui n’aime point la chasse, je m’en revins bientôt au logis, où, ayant trouvé les violons, je me divertis à les entendre. Je n’eus pas pris ce plaisir une heure durant que je vois entrer dans la cour le comte de Guiche au galop, qui menoit un homme par la bride de son cheval comme un prisonnier de guerre, et Manicamp derrière avec un fouet de postillon pour le presser. Je courus pour sçavoir ce que c’étoit. Je trouvay un homme vêtu de noir, assez agé, qui avoit la mine d’un honnête homme. Il me fit pitié, et, ayant témoigné au comte de Guiche que je condamnois son procédé, le bon homme prit la parole et me dit qu’il entendoit raillerie. Je le menay dans la salle, où il me conta que, s’en retournant à Paris de sa maison de campagne, il avoit rencontré ces messieurs ; que le comte de Guiche, qui l’avoit abordé le premier, luy ayant demandé qui il étoit, il luy avoit répondu qu’il étoit le procureur de M. le cardinal, nommé Chantereau ; que le comte de Guiche luy avoit dit : « Ah ! monsieur Chantereau, je suis fort aise de vous avoir rencontré, il y a long-temps que je vous cherchois. J’ay ouy faire bon récit de votre capacité, et, pour moy, j’ay toûjours fort aimé la chicanne » ; que sur cela il avoit bien veû que c’étoit de la jeunesse qui vouloit rire, et qu’il avoit pris son parti de ne se point fâcher. Il me fit cette relation avec la même exactitude qu’il auroit fait une information. Je luy dis qu’il avoit fait en galant homme, et je luy fis apporter du vin pendant qu’on faisoit manger de l’avoine à son cheval. Après cela, il nous quitta fort content de la compagnie, et particulièrement de moy. Les violons recommencèrent à jouer jusqu’au souper, que nous passâmes gayement, mais sans débauche. Au sortir de table, nous les menâmes au parc, où nous fûmes jusqu’à minuit. Le samedy nous nous levâmes fort tard, et nous passâmes le reste de la journée à nous promener dans des calèches. Comme nous avions impatience de manger de la viande, nous voulûmes faire médianoche. Ce repas-là ne fut pas si sobre que les autres : nous bûmes fort, et sur les trois heures après minuit nous nous allâmes coucher. Nous étant levez à onze heures du matin le jour de Pâques, nous oüîmes la messe dans la chapelle du château ; nous dînâmes et nous nous en retournâmes à Paris, où, à l’entrée de la ville, chacun s’en alla de son côté.

    « Nos ennemis et ceux qui, sans haïr, ne laissent pas de couper la gorge, se souvinrent de nous à la cour. Ils sçavoient qu’un des plus grands plaisirs qu’ils pouvoient faire au cardinal étoit de luy fournir des prétextes de ne pas faire du bien à ceux à qui il en devoit et de se venger de ses ennemis. Ils luy dirent donc la partie de Roissy, et qu’on y avoit fait mille choses contre le respect qu’on doit à Dieu et au roy.

    « Il avoit des raisons particulières de haïr, de craindre ou de se défier de tous ces messieurs ; pour moy, il eût été bien aise de me faire une querelle pour me faire perdre, ou du moins pour différer les récompenses qu’il me devoit. Tout cela fit résoudre le cardinal de se servir de cet avis aux occasions ; et, pour cacher le mal qu’il nous préparoit sous des apparences d’une justice fort exacte, il commença par exiler à Brisac Manciny, son neveu, et l’abbé le Camus à Meaux, et fit courir le bruit qu’il s’étoit fait à Roissy mille impietez, dont les dévots, disoit-il, avoient fait des plaintes à la reine.

    « Le peuple, qui grossit tout et qui fait bien plus de cas du merveilleux que du véritable, décida bientôt de ce qui s’étoit fait à Roissy. Il dit d’abord qu’on y avoit baptisé des grenouilles, et puis il revint à un cochon de lait ; d’autres, qui vouloient rafiner sur l’invention, disoient qu’on y avoit tué un homme et mangé de sa cuisse. Enfin, il n’y eut guère d’extravagance à imaginer qui ne fût dite. » (Mémoires de Bussy.)

    Pour contrôler Bussy, lisez madame de Motteville (t. 5, p. 6) : « La semaine sainte ensuivant, une troupe de jeunes gens de la cour allèrent à Roissy pour les jours saints, dont étoient le comte de Vivonne, gendre de madame de Mesmes, à qui appartenoit la maison ; Mancini, neveu du ministre ; Manicamp et quelques autres. Ils furent accusés d’avoir choisi ce temps-là par dérèglement d’esprit, pour faire quelques débauches, dont les moindres étoient d’avoir mangé de la viande le vendredi saint : car on les accusa d’avoir commis de certaines impiétés indignes non seulement de chrétiens, mais même d’hommes raisonnables. La reine, qui en fut avertie, en témoigna un grand ressentiment. Elle exila l’abbé le Camus pour avoir eu commerce seulement avec des gens si déréglés, quoiqu’il ne fût pas avec eux les jours que ces choses se passèrent. Le cardinal Mazarin, pour montrer qu’il ne vouloit pas protéger le crime, voulut punir tous les complices en la personne de son neveu, qu’il chassa de la cour et de sa présence ; et, après avoir châtié celui-là, il pardonna à tous les autres, qui en furent quittes pour de sévères réprimandes que le roi leur fit. »

  4. Saint-Simon (t. 6, p. 121) lui a consacré trois pages que nous voudrions lui emprunter. Il ne faut pas le confondre avec Pierre Camus de Pont-Carré, que madame de Sévigné comptoit au nombre de ses bons amis. Il étoit frère du premier président de la cour des Aides et du lieutenant civil du Châtelet, et tous les trois descendoient d’une famille marchande (V. La Bruyère, t. 2, p. 201), dont ils firent tout simplement passer l’enseigne (Au Pélican) dans leurs armes.

    L’abbé Le Camus fut d’abord très léger. Il s’en repentit, vécut dans la pratique des devoirs les plus difficiles, et imagina de ne vivre que de légumes. Innocent XI le prit pour cela en amitié et lui envoya le chapeau proprio motu, sans sollicitation aucune, sans avis, sans enquête. Le Camus étoit évêque de Grenoble, sur le passage de la barrette. Contre l’usage, il la prit sans l’aller recevoir à Versailles : aussi fut-il disgracié à la cour (1689).

    « Pendant que le cardinal Le Camus n’étoit qu’aumônier du roi, il n’étoit pas si grave qu’il l’a été depuis, et se mettoit sur le pied de faire rire S. M. quand il en trouvoit l’occasion. » (Senecé, édit. elzev., t. 1, p. 317.)

    « Etant simple abbé, il argumenta un jour à la Sorbonne avec beaucoup de chaleur contre cette définition de l’Église : Congregatio fidelium sub uno capite ; car, disoit-il, à chaque vacance du Saint-Siége, il n’y auroit plus d’Église.

    « Le cardinal Le Camus et le dernier archevêque de Vienne, du nom de Villars, dînant un jour ensemble dans un lieu du diocèse de Grenoble où ils s’étoient rencontrés, l’archevêque dit au cardinal : Eh ! Monseigneur, mangerez-vous toujours de ces méchantes racines ? Et le cardinal répondit : Monsieur, vous les trouveriez bonnes si elles vous avoient aidé à devenir cardinal. » (Amelot de la Houssaye, t. 2, p. 30.)

    Madame de Sévigné disoit de lui : « C’est l’homme du monde dont j’ai les plus grandes idées (15 mai 1691.) La Fontaine (épître 26) fait également son éloge :

    Je ne me donne point ici pour un oracle ;
    Et, sans chercher si loin, Grenoble en possède un.
    Il sait notre langue à miracle ;
    Son esprit est en tout au dessus du commun.
    C’est votre cardinal que j’entends………

    On trouve dans le recueil de chansons du comte de Maurepas (manuscrits de la Bibliothèque nationale) la chanson suivante au sujet de la nomination de Le Camus au cardinalat ; elle est accompagnée d’un commentaire : « Etienne Le Camus, évesque de Grenoble, très débauché du tems qu’il étoit aumônier du roy Louis XIV, comme on verra par la suite, prit tout d’un coup l’esprit de pénitence dès qu’il fut évesque. Il vescut d’une manière très austère et très singulière, car il ne se contenta pas d’une résidence exacte et d’une application infinie dans le gouvernement de son diocèse ; il preschoit outre cela continuellement. Il ne vivoit que de légumes, il mangeoit avec ses domestiques dans un réfectoire ; ses gens ne le voyoient coucher ny se lever, de manière que plusieurs personnes croyoient qu’il couchoit sur la dure ; enfin l’extérieur de ce prélat ne montroit que la pénitence et l’austérité. Cependant les spéculatifs jugeoient autrement de l’intérieur, et l’on étoit persuadé que l’amour de Dieu et la crainte de son jugement avoient moins de part à cette manière de vivre que la vanité et l’ambition. Ce qui arriva par la suite augmenta ces soupçons, car, le pape Innocent XI l’ayant fait cardinal, au mois de septembre 1686, sans qu’il eût paru être appuyé d’aucune protection à Rome, et étant même brouillé avec la cour de France parcequ’il étoit janséniste, il n’y eut plus lieu de douter qu’il n’eût des intelligences particulières avec Sa Sainteté et ses ministres ; l’on ne doutoit même pas que ce fût aux dépens du roy, qui avoit pour lors de grandes affaires avec la cour de Rome. »

    L’éminentissime Camus
    A si bien dit ses oremus
    Qu’il est au comble de la gloire.
     :::Les Vivonnes et les Bussy
    Sont chargés d’en faire l’histoire
    Et s’informer partout ici,
    Pour lui donner un nom plus noble,
    S’il est cardinal de Grenoble,
    Ou bien cardinal de Roissy.

    L’histoire à laquelle il est fait allusion dans cette chanson se trouve ainsi rapportée dans le même recueil :

    « Le cardinal Le Camus, lors aumônier du roy, fut passer la semaine sainte à Roissy, maison de M. de Vivonne ; avec lui le comte de Bussy, Philippe de Mancini, duc de Nevers, de Longueval, comte de Manicamp, et plusieurs autres débauchés. Ils y mangèrent de la viande, et, avec une impiété horrible, ils y baptisèrent un cochon de lait avec les cérémonies de l’Église et le nommèrent Carpe. On prétend même que l’abbé Le Camus, qui étoit alors ecclésiastique, fit cette belle cérémonie. »

    Baptisez un cochon de lait et soyez honnête homme !

  5. Philippe-Julien Mancini-Mazarini, duc de Nevers et de Donzy, né à Rome le 26 mai 1641, colonel de la vieille marine en 1652, chevalier de l’ordre en 1661, mort le 8 mai 1707.

    Daniel (t. 2, p. 225) l’inscrit dès 1657, date du rétablissement de la première compagnie des mousquetaires, comme capitaine lieutenant de cette compagnie. Il en garda le commandement jusqu’en 1667.

    Exilé à la suite de cette affaire, il fut rappelé bientôt. À la dernière cérémonie du mariage du roi, il porta la queue de Mademoiselle (Montp., t. 5, p. 70). Néanmoins, Mazarin ne lui fit pas tout le bien qu’il lui auroit fait s’il l’eût trouvé de meilleur conseil. « Quoiqu’il le déshéritât, ne le croyant pas digne de porter son nom, ce neveu déshérité ne laisse pas d’avoir la principauté ou duché de Ferreti en Italie, le duché de Nevers en France, avec une partie de la maison et beaucoup d’autres biens. » (Motteville, t. 5, p. 52.)

    Ce qu’en dit Saint-Simon (t. 5, p. 390) paroît juste : « C’étoit un Italien, très italien, de beaucoup d’esprit, facile, extrêmement orné, qui faisoit les plus jolis vers du monde qui ne lui coûtoient rien, et sur-le-champ, qui en a donné aussi des pièces entières ; un homme de la meilleure compagnie du monde, qui ne se soucioit de quoi que ce fût, paresseux, voluptueux, avare à l’excès, qui alloit très souvent acheter lui-même à la halle et ailleurs ce qu’il vouloit manger, et qui faisoit d’ordinaire son garde-manger de sa chambre. Il voyoit bonne compagnie, dont il étoit recherché ; il en voyoit aussi de mauvaise et d’obscure, avec laquelle il se plaisoit, et il étoit en tout extrêmement singulier. C’étoit un grand homme sec, mais bien fait, et dont la physionomie disoit tout ce qu’il étoit.

    « Son oncle le laissa fort riche et grandement apparenté. » Il négligea la faveur attachée à son nom, et peu à peu se retira dans la vie libre. Sa femme, fille aînée de madame de Thianges, étoit, lors de son mariage (1670), la plus belle personne de la cour. Il en fut jaloux. Fort souvent il l’emmena à Rome de grand matin, sans préparatifs ; ils y firent de longs séjours. M. de Nevers mourut à soixante-six ans. « Il s’étoit fort adonné à Sceaux, et sa femme encore davantage. » Son fils n’eut pas grand crédit.

    Assurément, ce n’est pas pour refaire le curieux ouvrage de M. Amédée Renée (les Nièces de Mazarin) que j’ajoute à tant de notes une note supplémentaire. Plusieurs fois nous avons rencontré la duchesse de Mercœur, la comtesse de Soissons, la connétable Colonna, le duc de Nevers, etc. Le lecteur, qui n’est pas forcé de connoître à fond la généalogie des parents de Mazarin, a pu y trouver quelque embarras.

    « Le cardinal Mazarin avoit deux sœurs : —madame Martinozzi, qui n’eut que deux filles, l’une mariée au duc de Modène, et mère de la reine d’Angleterre, épouse du roi Jacques II ; l’autre à M. le prince de Conti, bisaïeul de M. le prince de Conti d’aujourd’hui ; —madame Mancini, qui eut cinq filles et trois fils. Les filles furent : la duchesse de Vendôme, mère du dernier duc de Vendôme et du grand prieur, dont le père fut cardinal après la mort de sa femme ; la comtesse de Soissons, mère du dernier comte de Soissons et du fameux prince Eugène ; la connétable Colonne, grand’mère du connétable Colonne d’aujourd’hui, qui, tous deux, ont fait tant de bruit dans le monde ; la duchesse Mazarin, qui, avec le nom et les armes de Mazzarini-Mancini, porta vingt-six millions en mariage au fils du maréchal de La Meilleraye, et qui est morte en Angleterre après y avoir demeuré longues années ; et la duchesse de Bouillon, grand’-mère du duc de Bouillon d’aujourd’hui. Des trois fils, l’aîné fut tué tout jeune au combat du faubourg Saint-Antoine, en 1652 ; il promettoit tout ; le cardinal Mazarin l’aimoit tellement qu’il lui confioit, à cet âge, beaucoup de choses importantes et secrètes pour le former aux affaires, où il avoit dessein de le pousser. Le troisième, étant au collége des Jésuites, fort envié des écoliers pour toutes les distinctions qu’il y recevoit, se laissa aller à se mettre à son tour dans une couverture et à se laisser berner ; ils le bernèrent si bien qu’il se cassa la tête, à quatorze ans qu’il avoit ; le roi, qui étoit à Paris, le vint voir au collége ; cela fit grand bruit, mais n’empêcha pas le petit Mancini de mourir. Resta seul, le second, qui est M. de Nevers, dont il s’agit ici. » (Saint-Simon, t. 5, 389.)

    Faisons un tableau : ( 1. La princesse de Conti (Anne-Marie), ( née à Rome en 1637, mariée le 22 février Mme Martinozzi. < 1654, morte le 4 février 1672. ( ( 2. Madame de Modène, belle-mère de ( Jacques II. ( 1. Mancini, tué en 1652, à 16 ans. ( ( 2. Mancini (Alphonse), mort aux Jésuites ( en 1658, à 12 ans. ( ( 3. Mancini (duc de Nevers). ( ( 4. Laure Mancini (madame de Mercœur), (née en 1636, mariée le 4 février 1651, ( morte le 8 février 1657 (mère du duc et ( du grand-prieur de Vendôme). ( Mme Mancini. < 5. Olympe (comtesse de Soissons). ( ( 6. Marie, aimée de Louis XIV, femme du ( connétable Colonna (Laurent-Onuphre ( Colonne de Gioëni), prince de Palliano ( et de Castiglione, grand d’Espagne, chevalier ( de la Toison-d’Or, mort en 1689. ( [La connétable mourut en 1715.] ( ( 7. Hortense, femme du fils du maréchal ( de la Meilleraye. ( ( 8. Marie-Anne (duchesse de Bouillon).

  6. Ce « gros crevé », dit madame de Sévigné (28 juin 1671) ; et Saint-Simon : « C’étoit l’homme le plus naturellement plaisant et avec le plus d’esprit et de sel, et le plus continuellement. »

    Il étoit prodigue. Louis XIV le regarde comme « un occasionnaire », un aventurier (lettre du 22 juin 1663 à Beaufort) ; mais il l’aime long-temps (Mottev., t. 5, p. 20) et lui permet toute sorte de langages. On connoît assez sa sœur, madame de Montespan. Il avoit épousé mademoiselle de Mesmes. C’est sa belle-mère qui avertit la reine-mère de tout ce que faisoit Vivonne pour fortifier le roi dans l’amour qu’il avoit juré à mademoiselle Mancini. On n’arriva que bien juste à temps pour le combattre. Vivonne fut exilé.

    Il rendit sur mer quelques grands services et eut du bonheur à la guerre ; mais ce ne fut jamais un très honnête homme.

    Madame de Sévigné écrit à Bussy le 22 septembre 1688 : « Vous savez la mort de votre ancien ami Vivonne. Il est mort en un moment, dans un profond sommeil, la tête embarrassée, et, entre nous, aussi pourri de l’âme que du corps. »

    Bussy, qui attribue cette mort aux ravages d’un mal gagné dans des débauches anciennes, répond (28 septembre) : « Après une étroite amitié entre lui et moi, mes disgraces me l’avoient fait perdre, et je l’avois assez méprisé pour ne lui en avoir fait aucun reproche ; mais je le regardois comme un homme d’esprit et de courage qui avoit un fort vilain cœur. »

  7. Ce cantique n’est pas de Bussy ; c’est une intercalation. Voir ce qui en est dit dans la Préface.
  8. En 1659 ce n’étoit pas La Vallière que le roi aimoit. La Vallière, née le 6 août 1644, n’avoit encore que quinze ans. C’est en juin et en juillet 1661, trois ans après, que commencèrent à se former (ancien style) les nœuds de leur amour (Mottev., t. 5, p. 134). Roquelaure, le bouffon, le sceptique Roquelaure, y fut bien pour quelque chose.

    Dans ce premier couplet il s’agit de Marie Mancini et de sa grande bouche à dents blanches (Mottev., t. 4, p. 395).

  9. Faguenas. S. M. Odeur fade et mauvaise sortant d’un corps malpropre ou malsain. Cela sent le faguenas. Il est familier et il vieillit. (Dictionnaire de l’Académie françoise, dernière édition.)
  10. C’est Mademoiselle, et non la seconde femme de Gaston, Marguerite de Lorraine (fille de François II), née en 1613, mariée à Nancy le 31 janvier 1632, morte le 3 avril 1672 ; « dévote, négligente, froide », qui, à en croire madame de Motteville (t. 2, p. 231), « avoit de l’esprit et raisonnoit fortement sur toutes les matières dont il lui plaisoit de parler. Elle paroissoit, par ses discours, avoir du cœur et de l’ambition. Elle aimoit Monsieur ardemment, et haïssoit de même tout ce qui pouvoit lui nuire auprès de lui. Elle étoit belle par les traits de son visage, mais elle n’étoit point agréable. » Mademoiselle (t. 2, p. 297) cite d’elle un mot désagréable. Elle venoit de perdre un fils, le petit Valois (en 1652). Mademoiselle la trouve mangeant un potage, qui lui dit : « Je suis obligée de me conserver, je suis grosse ! »
  11. Mademoiselle de Vandy. « Elle a de l’esprit » (Montp., t. 4, p. 79, 1664). La Mesnardière (p. 49) l’appelle « gente Vandy » et « beauté cruelle ». C’étoit l’amie intime de Mademoiselle (t. 3, p. 39), qui parle de sa « mine prude » (t. 3, p. 106), qui dit qu’elle « est bonne et prudente ». C’est la princesse de Paphlagonie de mademoiselle de Scudéry (Montp., t. 3, p. 429). Bussy l’a toujours eue pour amie. De même il paroît avoir aimé Mademoiselle toute sa vie. Ces couplets ne peuvent lui appartenir.
  12. On a confondu presque partout mademoiselle de La Mothe-Argencourt et mademoiselle de La Mothe-Houdancourt. L’une et l’autre furent aimées du roi, mademoiselle de La Mothe-Argencourt la première.

    Les Mémoires de Mademoiselle (t. 3, p. 272) font commencer les choses en 1658. Peut-être faut-il remonter jusqu’en 1657. Madame de La Mothe-Argencourt, la mère, habitoit Montpellier, elle y reçut toute la cour en 1660 (Montp., t. 3, p. 441).

    La fille « n’avoit ni une éclatante beauté, ni un esprit fort extraordinaire ; mais toute sa personne étoit fort aimable. Sa peau n’étoit ni fort délicate, ni fort blanche ; mais ses yeux bleus et ses cheveux blonds, avec la noirceur de ses sourcils et le brun de son teint, faisoient un mélange de douceur et de vivacité si agréable qu’il étoit difficile de se défendre de ses charmes. Comme, à considérer les traits de son visage, on pouvoit dire qu’ils étoient parfaits, qu’elle avoit un très bon air et une fort belle taille ; qu’elle avoit une manière de parler qui plaisoit et qu’elle dansoit admirablement bien, sitôt qu’elle fut admise à un petit jeu où le roi se divertissoit quelquefois les soirs, il sentit une si violente passion pour elle que le ministre en fut inquiet. » (Motteville, t. 4, p. 401.) Elle étoit aimée alors de Chamarante et du marquis de Richelieu. Mazarin et Anne d’Autriche, effrayés de cette subite passion, et poussés vivement par la marquise de Richelieu, qui étoit jalouse, s’arrangent pour écarter la favorite. Mais la mère de la belle la veut jeter au cou du roi, même comme simple maîtresse, et cherche à négocier cela comme une affaire avec le ministre, qui apprend d’elle l’amour de Chamarante et celui du marquis de Richelieu, part de là, découvre au roi ses rivaux, et le retire, par ces artifices, d’une passion où il s’engageoit avec ardeur. Louis XIV trompé se montra dédaigneux. Peu après quelqu’un trouve un billet perdu : « Fouilloux dit que c’étoit de La Motte au marquis de Richelieu, qui en faisoit le galant depuis que le roi ne l’étoit plus. Cette pauvre fille pleura et cria les hauts cris, et désavoua le billet. » (1658, Montp., t. 3, p. 337.)

    La pauvre fille, qui n’avoit point failli, et qui avoit résisté même au roi, sentit sa vie troublée ; elle prit goût à la vie religieuse dans la maison des Filles-Sainte-Marie de Chaillot, et s’y consacra. (Voyez, entre autres écrivains de ce genre, Dreux du Radier, 1782, t. 6, p. 363.) Mademoiselle de La Vallière devoit un jour la retrouver dans ces retraites.

    L’Alleluia en veut à mademoiselle de La Mothe-Argencourt, et non à la maréchale de La Motte-Houdancourt. Celle-ci (Louise de Prie, demoiselle de Toussy), née en 1624, aimée en 1646 de Condé (Voy. Lenet et un couplet méchant de Blot), étoit très belle, mais d’une beauté sévère, et elle étoit grande. Elle avoit épousé, le 21 novembre 1650, La Mothe-Houdancourt, né en 1605, mort en 1657 ; elle mourut le 6 janvier 1709, à quatre-vingt-cinq ans.

    « La maréchale de La Motte, honnête femme et de bonne maison, fut mise gouvernante de monseigneur le Dauphin. Ce ne fut nullement pour ses éminentes qualités : car, à dire le vrai, elles étoient médiocres en toutes choses. Elle étoit petite-fille de madame de Lansac, qui l’avoit été du roi. C’étoit un grand titre ; mais il n’auroit pas été suffisant pour l’appeler à cette dignité si elle n’avoit été dans l’alliance de M. Le Tellier, comme proche parente de l’héritière de Souvré, qu’il avoit, depuis peu, fait épouser à son fils, le marquis de Louvois. » (Mottev., t. 5, p. 201.)

    C’est la nièce du maréchal, mademoiselle Anne-Lucie de La Mothe, ou de La Motte-Houdancourt, qui, en 1662, faillit, soutenue par la cabale de la comtesse de Soissons, l’emporter sur La Vallière, encore hésitante (Montp., t. 4 p. 33).

    « Dans ce même temps (commencement de 1662) le roi parut s’attacher d’inclination à mademoiselle de La Motte-Houdancourt, fille de la reine. Je ne sais si elle étoit dans son cœur subalterne à mademoiselle de La Vallière, mais je sais qu’elle causa beaucoup de changement dans la cour, plutôt par la force de l’intrigue que par la grandeur de sa beauté, quoiqu’en effet elle en eût assez pour pouvoir faire naître de grandes passions. » (Mott., t. 5, p. 168.)

    Le roi, à Saint-Germain, ne pouvoit entrer chez les filles d’honneur : il alloit causer avec mademoiselle de La Motte en passant par les cheminées ; madame de Navailles, leur gouvernante, fit griller ces singuliers passages, et encourut pour toujours l’inimitié violente ou muette de Louis XIV.

    « On a dit que ce qui contribua beaucoup à fixer la destinée de mademoiselle de La Vallière fut que mademoiselle de La Motte balança quelque temps en faveur de la vertu, et qu’elle, au contraire, ayant alors cessé de se défendre, ce fut par sa foiblesse qu’elle vainquit. » (Mottev., t. 5, p. 174.)

    Le comte de Grammont aima La Motte quand il la vit si distinguée.

    « Il ne se rebuta point pour ses mauvais traitemens ni pour ses menaces ; mais, s’étant témérairement obstiné dans ses manières, elle s’en plaignit. Il fut banni de la cour. » (Mém. de Grammont, ch. 5.)

    Plus tard, par l’entremise de La Feuillade, mademoiselle de La Motte épousa le marquis de la Vieuville, chevalier d’honneur de la reine. (Voy. le Journal du marquis de Sourches, t. 1, . 233.)

    Mademoiselle de La Motte-Houdancourt, fille du maréchal, devint en février ou en mars 1671 (Voy. Sévigné) la femme du vilain duc de Ventadour. Elle étoit extrêmement belle (voilà bien des La Motte favorisées !), et ne fit pas un heureux ménage.

    Madame en parle dans ses lettres : « Madame de Ventadour (Charlotte-Eléonore-Madeleine de La M. H.) est devenue ma dame d’honneur il y a au moins seize ans, et elle m’a quittée deux ans après la mort de Monsieur. C’étoit un tour que me jouoit la vieille guenipe pour me faire enrager, parce qu’elle savoit que j’aimois cette dame ; elle est bonne et agréable, mais ce n’est pas la femme la plus adroite du monde. »

    Madame de Ventadour fut la gouvernante de Louis XV, héréditairement. Bazinière, financier de basse naissance (Voy. les Variétés hist., t. 5, p. 90), qui lui permit de faire ce qu’elle voudroit. Elle voulut vendre quelque chose au surintendant d’Esmery. En 1651, je crois, une de ses demoiselles lui vole ses lettres : il y en avoit de d’Esmery, de Beaufort, de l’évêque de Metz (Henri, légitimé de France, fils de Gabrielle d’Estrées), de tout le monde enfin.

    Quand Cinq-Mars l’eut à sa discrétion, elle étoit au couvent (Tallem. des R., t. 2, p. 253). C’est le 23 novembre 1659 qu’elle dut se retirer, par ordre, au couvent du Chasse-Midy (Cherche-Midi). Une lettre de Henri Arnauld, écrite au président Barillon, fixe cette date, qui n’a rien d’intéressant, mais qui n’est pas celle que donne Tallemant (t. 2, p. 201).

    J’écris ces notes sur l’emplacement même de ce couvent du Chasse-Midy ; il me semble voir ces ombres disparues, et malgré moi, malgré leurs erreurs, je me prends à demander pardon pour mademoiselle de Chemerault et ses émules. Somaize (t. 1, p. 43) a du courage : « illustre en beauté, dit-il de Basinaris, elle a beaucoup de vertu ! » De vertu ! Elle étoit riche et maigre. Le 27 février 1658 elle eut l’honneur de recevoir chez elle la reine de Suède.

    Elle avoit un frère, Geoffroy de Barbezière, sieur de la Roche-Chemerault (en Poitou). C’est le père de la seconde Chemerault, que Mademoiselle cite dès 1657 (t. 3, p. 200) parmi les filles de la reine-mère, et qui est la nôtre.

    Gourville (p. 521) dit qu’en 1656 le comte de Chemerault est mis à la Bastille. Il y a là de l’obscurité.

    N’importe, mademoiselle de Chemerault fut belle et courtisée. En 1661 elle danse les ballets connus de l’Impatience et des Saisons (Voy. Walck. t. 2, p. 490, et la Lettre de Mathieu Montreuil [t. 8 des Archives curieuses, 2e série, p. 314]). Quincy (t. 1, p., 385) met un comte de Chemerault parmi les morts de Sénef.

  13.   Cette demoiselle Chemeraut, Chemerault ou Chimeraut, étoit la nièce de madame de la Bazinière, qui avoit porté le même nom et avoit été aussi fille d’honneur. On confond presque partout la nièce et la tante.

    La tante, Françoise de Barbezière, « la belle gueuse », fut espionne de Richelieu, puis maîtresse de Cinq-Mars. Benserade ménagea son mariage avec Macé Bertrand, sieur de la

  14.   Les Bonnœil (Bonœil, Bonneuil) ont été de père en fils introducteurs des ambassadeurs (Tall., t. 3, p. 414 ; Gazette de France, à la date du mariage de Louis XIV ; Sévigné, 26 avril 1680 ; Saint-Simon, t. 1, p. 410). Mademoiselle de Montpensier (t. 3, p. 264) parle de mademoiselle de Bonneuil comme fille d’honneur en 1658 ; ailleurs (t. 3, p. 200, 1657) elle cite Gourdon, Fouilloux, « Boismenil », Chemeraut et Meneville. Il y a probablement une erreur ici : Boismenil a été mal lu il faut restituer Bonneuil.

    Aux ballets de l’Impatience et des Saisons voici les noms des danseuses principales ; mademoiselle de Bonneuil y figure : mademoiselle de Pons, mademoiselle de La Mothe, mademoiselle de Villeroi, mademoiselle de Montbazon, mesdames et mesdemoiselles Châtillon, Noailles, Brancas, Arpajon, de La Fayette, de Guiche, Fouilloux, Meneville, Chemerault, Bonneuil, et, « petite violette cachée sous l’herbe », La Vallière.

  15.   Est-ce du maréchal Clérambault qu’il s’agit ? Bussy en a longuement parlé dans ses mémoires lorsqu’il s’appeloit Palluau.

    C’étoit un cavalier pourvu de toutes les qualités nécessaires au courtisan et à l’homme à la mode. Il étoit joueur (Gourville, p. 529) ; il avoit eu Ninon ; il avoit aimé ardemment la comtesse de Chalais (Lenet, p. 238) ; il avoit de l’esprit salé. Mademoiselle l’aimoit. (Montp., t. 2, p. 111).

    Il resta fidèle au cardinal Mazarin et le servit heureusement, quoiqu’en dise ce couplet de Blot sous forme de santé :

    À ce grand mareschal de France,
    Favory de Son Eminence,
    Qui a si bien battu Persan,
    Palluau, ce grand capitaine,
    Qui prend un chasteau dans un an
    Et perd trois places par semaine.

    Le cardinal n’oublia pas ses services, et le voulut compter parmi ses conseillers intimes (La Fare).

    Il épousa Louise Françoise Bouthilier de Chavigny, qui, en 1669, « fut mise auprès de Mademoiselle (nièce de Louis XIV) pour être sa gouvernante, à la place de madame de Saint-Chaumont ; elle étoit fille et femme de deux hommes qui avoient bien de l’esprit et savoient bien la cour. Pour elle, on disoit qu’elle étoit savante comme M. de Chavigny, son père. » (Montp., t. 4, p. 134)

    Elle étoit peut-être galante.

    Maréchale de Clérambault,
    Vous tranchez bien de la divine…
    Vous coquettez à tous venants,
    Malgré la laideur et les ans.

    Saint-Simon (dans ses Notes à Dangeau et dans ses Mémoires) revient plusieurs fois sur le portrait de la maréchale. Rien de plus singulier que cette femme. Les Lettres de Madame, qui l’aimoit, s’en occupent aussi. Elle ne mourut qu’à la fin de 1722.

    Saint-Simon, nomme un autre Clérambault (et c’est peut-être ici le vrai), René Gillier de Puygarrou, marquis de Clérambault (t. 1, p. 302), premier écuyer de madame la duchesse d’Orléans, qui avoit été épousé par amour de Marie-Louise de Bellenave, comtesse du Plessis.

    Catinat vit un Clérambault servir long-temps sous ses ordres (Mémoires de Catinat. t. 1, p. 68 ; t. 2, p. 25 ; t. 3, p. 146), et le poussa en avant.

    Dangeau (t. 5, p. 366) parle d’une demoiselle de Clérambault, fille du Clérambault « dont la naissance étoit légère » et que la comtesse du Plessis avoit épousé par amour. Elle se maria, en février 1696, avec le duc de Luxembourg, fils du maréchal. Les Palluau étoient d’une famille de robe.

  16.   Voiture, le 4 décembre 1633, écrit à M. de Gourdon, en Angleterre. C’est sans doute Georges Gourdon, marquis de Huntley, qui, en 1625 étoit commandant de la compagnie des Ecossois (Daniel, t. 2, p. 256). Depuis long-temps les Gordon jouoient un grand rôle en Ecosse ; ce que prouve ce passage de la Marie Stuart de M. Mignet (édit. in-18, t. 1, p. 120) : « Les Gordon exerçoient dans les districts du nord autant d’autorité que les Hamilton dans ceux de l’ouest. Huntly avoit comploté la mort du comte de Mar et du secrétaire Lethington, et il avoit songé à marier son deuxième fils, John Gordon, avec la reine. »

    Forbin, en 1675, cite un chevalier de Gourdon, son camarade, joueur et pauvre. Les Gourdon partagèrent la fortune des Stuarts. En 1685, un Gourdon est à la poursuite d’Argyle. Le 5 mai 1689, Dangeau met dans son journal : « Le duc de Gourdon continue à se défendre dans le château d’Edimbourg, où il est assiégé. »

    Mademoiselle de Gourdon (Guordon, Gordon) fut d’abord fille d’honneur de la reine-mère, puis dame d’atours de Henriette d’Angleterre, de la seconde Madame (Sourches, t. 1, p. 206).

    Elle est fille d’honneur dès la Fronde. En 1652, le peuple pille ses bagages (Loret, mois de mai). En 1658, Mademoiselle, qui dit (t. 3, p. 285) qu’elle est assez considérée, en parle de cette manière : « Je l’avois vue auprès de madame la princesse, où la reine l’avoit mise parcequ’elle ne vouloit pas être religieuse. C’est une fille d’une maison de qualité d’Ecosse, et, lorsque M. le Prince fut arrêté, elle ne voulut pas suivre madame la princesse ; la reine la prit. »

    Peu après elle ajoute (t. 3, p. 300) que Monsieur « ne s’amuse qu’à faire des habits à mademoiselle de Gourdon ».

    Ce que confirment les Portraits de la Cour (V. la Collection Cimber et Danjou) : « Il a eu avant son mariage beaucoup d’amitié pour madame de Gourdon, et la reine, pour découvrir ses sentimens, luy dit un jour qu’il sembloit qu’il fust amoureux de cette dame, à cause qu’il luy avoit envoyé des pendans d’oreilles de quatre mille écus en estreine au premier jour de l’an. Il respondit que, pour beaucoup d’amitié et de compassion, il en avoit véritablement pour une pauvre estrangère hors de son pays et sans biens. »

    Mademoiselle de Gourdon ne plaisoit pas à tout le monde :

    Je me connois en ange :
    Gourdon ne l’est pas,

    dit un refrain (Nouveau Siècle de Louis XIV, p. 80) de 1662.

    Madame de Lafayette, introduisant dans une lettre (décembre 1672) la seconde Madame : « Elle se mit, dit-elle, sur le ridicule de M. de Meckelbourg d’être à Paris présentement, et je vous assure que l’on ne peut mieux dire. C’est une personne très opiniâtre et très résolue, et assurément de bon goût, car elle hait madame de Gourdon à ne la pouvoir souffrir. »

    Madame, en effet, l’accuse dans ses lettres d’être rêveuse, bizarre (18 février 1716), l’appelle méchante et dit qu’elle calomnia la première Madame auprès de Monsieur (13 juillet 1716).

    Beuvron passe pour avoir joui de cette belle anglaise.

  17.   D’abord on chante (Rec. de Maurepas, t. 4, p. 271) :
    Fouilloux, sans songer à plaire,
    Plaît pourtant infiniment
    Par un air libre et charmant.

    En 1692 on parle, toujours dans les chansons, de « sa rouge trogne » ; on dit :

    Aussi rouge qu’une écrevisse,

    ou bien : « C’est Baron qui l’enivre ». « Elle étoit grande et fort éclatante (Sourches, t. 1 ; p. 39) mais plus belle de loin que de près. Elle eut ensuite la petite vérole, qui la rendit extrêmement laide, et elle n’eut pas d’enfants. » Ainsi passe la beauté des dames.

    Bénigne de Meaux du Fouilloux (V. la notice de M. de la Morinerie) avoit un frère que les Mémoires de M. de *** (p. 531) nomment « le Fouilloux », que la table du premier volume de Quincy nomme « Fouilleuse », que le texte (t. 1, p. 158) nomme « M. de Fouilleux », qui étoit enseigne des gardes de la reine, rustique, mais spirituel et gaillard (Tallem., t. 1, p. 355). Après avoir fait rougir les filles de la reine par ses mots vigoureux, il fut tué de la propre main de Condé, paroît-il, au combat du faubourg Saint-Antoine (V. Mottev., t. 4, p. 338). « C’estoit une espèce de favori que le cardinal poussoit auprès du roi » (Montp., t. 2, p. 274).

    Le roi eut toujours de l’amitié pour mademoiselle du Fouilloux. Son nom étoit fameux en province. En 1662, à Uzès, Racine le vante (Lettre à La Fontaine). Louis XIV l’accabla de prévenances (V. Lettre à Talbot en mai 1664, t. 5 des Œuvres, p. 184) ; le 16 mars 1661, il lui donne 50,000 écus sur un pot de vin des gabelles (V. le Journal des bienfaits du Roi, et Choisy, p. 592). Devenue marquise d’Alluye (1697), elle fut l’intime amie de la comtesse de Soissons (Choisy, p. 610), avec qui elle fut compromise un moment et s’exila lors de l’affaire des poisons (Sévigné, lettre du 26 janvier 1680).

  18.   D’Alluye (Somaize, t. 1, p. 94) a inventé l’expression : « Je suis pénétré de vos sentiments ; je suis pénétré de votre douleur ». il étoit de la Société de l’hôtel de Rambouillet.
    Estre d’une grande naissance,

    lui écrivoit Beauchâteau en 1657,

    Avoir du bel esprit le pur raffinement,
    Faire dans les combats esclater sa vaillance,
    Vivre à la cour et sans empressement,
    Marquis, croyez asseurement
    Que c’est de vous ce que l’on pense.

    La maison d’Escoubleau (ce nom vient d’un château de Châtillon-sur-Sèvre) s’étoit divisée en deux branches : celle de Sourdis, et, au XVe siècle, celle d’Alluye, qui se réunirent.

    Paul d’Escoubleau, marquis d’Alluye, étoit le deuxième fils de Charles d’Escoubleau de Sourdis, marquis d’Alluye, gouverneur d’Orléans, dont nous avons parlé. Son frère aîné, le marquis d’Alluye, étoit mort en campagne au mois d’août 1638 (Montglat, p. 68). Il devint, par cette mort, marquis d’Alluye. « Ne pouvant avoir la survivance du gouvernement d’Orléans », il se fait frondeur en 1649 (Montglat, p. 206). C’est chez lui que se rassemblent les nobles qui protestent alors contre les tabourets de certaines personnes titrées. « Mardi matin, 5 octobre, encore assemblée de la noblesse opposante, que l’on appelle anti-tabouretiers, chez le marquis de Sourdis, lui absent, et son fils, le marquis d’Alluye, présent.

    « Jeudi 7, la noblesse opposante aux tabourets s’assemble encore chez le marquis d’Alluye, en l’hôtel de Sourdis. » (Mém. manusc. de Daubuisson-Aubenay, ms. Bibl. Maz. H. 1719, in-fol.)

    Il avoit lui-même, avant d’entrer dans la Fronde, nettement indiqué ses prétentions (Mottev., t. 3, p. 259). « M. le marquis d’Alluye demande qu’on retire, par récompense, de M. de Tréville, le gouvernement du comté de Foix, qu’il a perdu par la mort du comte de Cramail, son grand-père, qui l’avoit acheté, et qu’on lui donne la survivance de celui du marquis de Sourdis, son père. »

    Le refus de la cour le fait entrer dans la cabale du duc d’Orléans (Aubery, liv. 5, p. 423).

    Quand les troubles s’apaisent, d’Alluye est de toutes les fêtes (V. Loret et les Ballets de Benserade). Il se jeta très courageusement dans la galanterie. Il n’aimoit pas la guerre, quoi qu’en dise Beauchâteau, et ne l’avoit apprise qu’à contre-cœur en 1644. Il aima d’abord madame de Boussu, que Guise épousa et délaissa. « Ce M. le marquis, dit Tallemant, se vante de sçavoir un secret pour entrer partout. » Il s’en servit pour entrer le premier chez madame de Saint-Germain Beaupré. (Agnès de Bailleul), belle-sœur du maréchal Foucault. Les logements de la cour (1659) placent M. de Saint-Germain Beaupré et M. d’Alluye au château de Saint-Germain, « l’un sur le devant, l’autre sur le derrière. »

    D’Alluye étoit lié avec madame Cornuel (Tallem. t. 9, p. 51) ; c’est bien le moins, puisqu’elle étoit si liée avec son bon homme de père. On est autorisé à le croire un peu philosophe lorsqu’on lit dans Tallemant (t. 8, p. 89) : « La veille de Pâques fleurie, madame de Saint-Loup, M. de Candale, la comtesse de Fiesque, le marquis de la Vieuville, mademoiselle d’Outrelaise, parente de Fiesque, et le marquis d’Alluye, furent manger du jambon, un matin, aux Tuileries. »

    On est autorisé à ne pas le croire très belliqueux (et nous ne l’en blâmerons pas), lorsqu’on rencontre ce couplet :

    D’Alluy s’en va dans Orléans
    Au moindre petit bruit de guerre :
    C’est un fort bon gouvernement,
    Qui n’est point dessus la frontière ;
    Si par hasard il y étoit,
    Au diable si l’on l’y voyoit !

    Il est fâcheux que viennent après cela ces trois vers :

    Gloire au brave marquis d’Alluy
    Et au triste Montluc, son frère :
    Ce sont deux grands donneurs d’ennui.

    L’amitié que d’Alluye avoit pour mademoiselle de Fouilloux étoit comme le secret de Polichinelle ; tout le monde en connoissoit les détails. Le marquis de Sourdis n’approuva pas leur mariage.

    Après la mort de son père, d’Alluye garda son nom, sous lequel il étoit depuis si long-temps connu. Il fut, comme sa femme, l’ami de la comtesse de Soissons et l’ennemi de La Vallière (Mottev., t. 5, p. 174).

    En 1680, il est exilé à Amboise, dit madame de Sévigné (16 février 1680). Elle se rétracte (le 21 février) et dit qu’il est à Hambourg. « Il parloit trop. »

  19.   Un Méneville, lieutenant de la mestre de camp (aux gardes) est tué à Castelnaudary en 1632 (Daniel, t. 2, p. 282) ; mademoiselle de Meneville est peut-être sa fille.

    En 1654 commence l’amour de Brion.

    En 1656 mademoiselle de Meneville a la rougeole. Loret dit :

    Agréable sujet d’amour,
    Des plus beaux qui soient à la cour.

    Et un vaudeville ajoute :

    Cachez-vous, filles de la Reine,
    Petites,
    Car Méneville est de retour,
    M’amour,

    vaudeville que commente, en 1657, mademoiselle de Montpensier (t. 3, p. 200).

    « Les filles de la Reine sont toutes bien faites et assez jolies. Méneville est fort belle. La reine me fit l’honneur de me parler de ses amours avec le duc de Damville, dont j’avois entendu parler (il y avoit déjà trois ou quatre ans que cela duroit), et que de trois en trois mois Damville disoit qu’il la vouloit épouser. Madame la duchesse de Ventadour, sa mère, ne le vouloit pas. Jamais homme ne s’est trouvé à cinquante ans n’être pas maître de ses volontés et ne se pouvoir marier à sa fantaisie. La reine me conta que Meneville n’osoit sortir la plupart du temps ; que, quand il alloit à quelque voyage, il lui laissoit son aumônier pour lui dire la messe et pour la garder. Jamais galanterie n’a été menée comme celle-là. »

    Madame de Motteville (t. 5, p. 76), à la date de 1661, entre dans des détails qui suffisent :

    « Le duc de Damville, le Brion de jadis, mourut aussi dans ce même temps. Par sa mort il échappa des chaînes qu’il s’étoit imposées lui-même, en s’attachant d’une liaison trop grande à mademoiselle de Méneville, fort belle personne, fille d’honneur de la reine-mère. Il lui avoit fait une promesse de mariage, et ne la vouloit point épouser. Le roi et la reine-mère le pressant de le faire, il reculoit toujours, et, quand il mourut, sa passion étoit tellement amortie qu’il avoit fait supplier la reine-mère de leur défendre à tous deux de se voir. Il offroit de satisfaire à ses obligations par de l’argent ; mais elle, qui espéroit d’en avoir par une autre voie, vouloit qu’il l’épousât pour devenir duchesse. La fortune et la mort s’opposèrent à ses désirs, et la détrompèrent de ses chimères. Son prétendu mari s’étoit aperçu qu’elle avoit eu quelque commerce avec le surintendant Fouquet, et qu’elle avoit cinquante mille écus de lui en promesses. Elle ne les reçut pas, et perdit honteusement en huit jours tous ses biens, tant ceux qu’elle estimoit solides que ceux où elle aspiroit par sa beauté, par ses soins et par ses engagemens. Ils paroissoient honnêtes à l’égard du duc de Damville, et n’étoient pas non plus tout à fait criminels à l’égard du surintendant. On le connut clairement, car il arriva pour son bonheur que l’on trouva de ses lettres dans les cassettes du prisonnier qui justifièrent sa vertu. Pour l’ordinaire, les dames trompent les hommes par de beaux semblants, et, ne les considérant point en effet, leur font le moins de libéralités qu’elles peuvent ; mais toutes ces choses sont toujours mauvaises devant Dieu et honteuses devant les hommes. »

  20.  
    Seigneur franc et bien sincère,

    dit Loret ; « fort bon garçon », dit Mademoiselle (t. 2, p. 432). De son nom François-Christophe de Lévis, comte de Brion, parent de la Vierge comme tous les Lévis, ce que tous les Lévis affirment et ce que Scarron garantit.

    Il fut créé duc de Damville (Dampville, écrivoit Gaston) après la mort de son oncle maternel, Henri II de Montmorency. La duché-pairie de Damville fut achetée le 27 novembre 1694, et réérigée pour le comte de Toulouse (Saint-Simon, t 1, p. 142).

    Brion avoit été toute sa vie à Monsieur, dont il étoit premier écuyer (Montp., t. 3, p. 457). Il joua un certain rôle dans la Fronde (Retz, p. 331), « avec fort peu d’esprit (Retz, p. 32) et beaucoup de routine ». Il a voulu « de jour en jour » (il faisoit tout de jour en jour) épouser madame de Chalais, sœur de Jeannin. Il avoit été capucin. Il voulut aussi épouser mademoiselle d’Elbeuf, et ne put se résoudre ni à la quitter ni à l’épouser. Quand on le pressoit, il se déclaroit malade. Lorsqu’il aima Meneville, ce furent les mêmes pratiques. Tout cela n’indique pas un héros. Il dansoit agréablement et se déguisoit au besoin (Mottev., t. 2, p. 327 ; Loret, février 1657).

    Il avoit fait bâtir dans l’enclos du Palais-Royal un petit palais fort commode, dont Louis XIV se servit quelquefois pour ses aventures particulières.

  21. Voir les lettres de madame de Sévigné et de Bussy.