Histoire anonyme de la première croisade/Histoire des Francs et des autres pèlerins à Jérusalem

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Traduction par Louis Bréhier.
Texte établi par Louis BréhierHonoré Champion (p. 3-219).

HISTOIRE DES FRANCS
ET DES AUTRES PÈLERINS À JÉRUSALEM[1]


[PREMIER RÉCIT]
[Des origines à la bataille du Vardar
(fin 1095-février 1097)
]

[1.] Comme approchait déjà ce terme que le Seigneur Jésus annonce chaque jour à ses fidèles, spécialement dans l’Évangile, où il dit : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même et qu’il prenne sa croix et me suive[2], il se fit un grand mouvement par toutes les régions des Gaules[3], afin que quiconque, d’un cœur et d’un esprit purs, désirait suivre le Seigneur avec zèle et voulait porter fidèlement la croix après lui, ne tardât pas à prendre en toute hâte la route du Saint Sépulcre.

En effet, le chef apostolique du siège de Rome, Urbain II[4], gagna au plus vite les pays d’outre-mont[5] avec ses archevêques, évêques, abbés et prêtres[6] et commença à prononcer des discours et des sermons subtils, disant que quiconque voulait sauver son âme ne devait pas hésiter à prendre humblement la voie du Seigneur et que, si les deniers lui faisaient défaut, la miséricorde divine y pourvoirait. Et le Seigneur Apostolique ajoutait : « Frères, il vous faut souffrir beaucoup au nom du Christ ; misère, pauvreté, nudité, persécutions, dénûment, infirmités, faim, soif et autres maux de ce genre, comme le Seigneur a dit à ses disciples : Il vous faut souffrir beaucoup en mon nom[7] et : Ne rougissez pas de parler à la face des hommes ; je vous donnerai la voix et l’éloquence[8], et encore : Vous recevrez une large rétribution[9].

Ce discours s’étant répandu peu à peu dans toutes les régions et provinces des Gaules[10], les Francs, entendant ces paroles, commencèrent promptement à coudre des croix sur leur épaule droite[11], disant qu’ils voulaient unanimement suivre les traces du Christ, par lesquelles ils avaient été rachetés de la puissance du Tartare.

[2.] Bientôt les Gaules entières abandonnèrent leurs demeures et les Gaulois formèrent trois divisions[12]. Une partie des Francs entra en Hongrie : Pierre l’Ermite[13], le duc Godefroi[14], Baudouin, son frère[15] ; Baudouin, comte de Mons[16]. Ces puissants chevaliers et beaucoup d’autres que j’ignore suivirent la route qu’autrefois Charlemagne, le magnifique roi de France, fit établir jusqu’à Constantinople[17].

Pierre, déjà mentionné, vint le premier à Constantinople, le trois des calendes d’août[18] et avec lui la plus grande partie des Allemands. Il y trouva réunis des « Longobards » et beaucoup d’autres[19]. L’empereur[20] avait ordonné de les ravitailler autant que la ville le pourrait et il leur dit : « Ne traversez pas le Bras[21] avant l’arrivée du gros de l’armée chrétienne, car vous n’êtes pas assez nombreux pour pouvoir combattre les Turcs. » Et les chrétiens se conduisaient bien mal, car ils détruisaient et incendiaient les palais de la ville, enlevaient le plomb dont les églises étaient couvertes et le vendaient aux Grecs, si bien que l’empereur irrité donna l’ordre de leur faire traverser le Bras[22].

Après qu’ils eurent passé, ils ne cessaient de commettre toute espèce de méfaits, brûlant et dévastant les maisons et les églises[23]. Enfin ils parvinrent à Nicomédie où les Longobards et les Allemands se séparèrent des Francs, parce que les Francs étaient gonflés d’orgueil[24]. Les Longobards élurent pour les commander un seigneur nommé Rainald. Les Allemands firent de même[25] et ils entrèrent en Romanie[26] et pendant quatre jours ils marchèrent au delà de Nicée[27] et trouvèrent un château appelé Exerogorgo[28], vide de toute garnison. Ils s’en emparèrent et y trouvèrent des provisions de froment, de vin, de viande et toute sorte de biens en abondance.

Les Turcs, apprenant que les chrétiens occupaient ce château, vinrent l’assiéger[29]. Devant la porte du château était un puits et, au pied du château, une source d’eau vive, près de laquelle Rainald se posta pour tendre une embuscade aux Turcs. Ceux-ci arrivèrent le jour de la fête de saint Michel[30], trouvèrent Rainald ainsi que ses compagnons et en massacrèrent un grand nombre, tandis que les autres se réfugiaient au château. Les Turcs l’assiégèrent aussitôt et le privèrent d’eau. Et les nôtres souffrirent tellement de la soif qu’ils ouvraient les veines de leurs chevaux et de leurs ânes pour en boire le sang ; d’autres lançaient des ceintures et des chiffons dans les latrines et en exprimaient le liquide dans leurs bouches ; quelques-uns urinaient dans la main d’un compagnon et buvaient ensuite ; d’autres creusaient le sol humide, se couchaient et répandaient de la terre sur leur poitrine, tant était grande l’ardeur de leur soif[31]. Les évêques et les prêtres réconfortaient les nôtres et les exhortaient à tenir ferme.

Cette tribulation dura huit jours, puis le chef des Allemands conclut un accord avec les Turcs pour leur livrer ses compagnons : feignant de sortir pour combattre, il s’enfuit auprès d’eux et beaucoup le suivirent. Tous ceux qui refusèrent de renier le Seigneur furent condamnés à mort ; d’autres pris vivants furent partagés comme des brebis ; d’autres servirent de cible aux Turcs qui lançaient des flèches sur eux ; d’autres étaient vendus ou donnés comme des animaux. Les uns conduisaient leur prise dans leur demeure, d’autres dans le Khorassan[32], à Antioche, à Alep, partout où ils habitaient. Tels furent ceux qui reçurent les premiers un heureux martyre au nom du Seigneur Jésus.

Les Turcs, apprenant ensuite que Pierre l’Ermite et Gautier sans Avoir[33] se trouvaient à Civitot[34], située au delà de Nicée, s’y dirigèrent, pleins d’allégresse, afin de les massacrer ainsi que leurs compagnons. Pendant leur marche ils se heurtèrent à Gautier avec les siens, qu’ils eurent bientôt massacrés. Quant à Pierre l’Ermite, il venait de retourner à Constantinople, incapable de discipliner cette troupe disparate, qui ne voulait entendre ni lui ni ses paroles[35]. Les Turcs, se précipitant sur eux, en tuèrent un grand nombre. Ils trouvèrent les uns en train de dormir, les autres tout nus et les massacrèrent tous. Un prêtre qui célébrait la messe reçut d’eux le martyre sur l’autel[36]. Ceux qui purent s’échapper s’enfuirent à Civitot. Quelques-uns se précipitaient dans la mer, d’autres se cachaient dans les forêts et dans les montagnes. Mais les Turcs les poursuivirent dans la place et entassèrent du bois pour les brûler avec la ville.

Mais les chrétiens qui occupaient la ville mirent le feu au tas de bois ; la flamme se diriges vers les Turcs et en brûla un certain nombre, tandis que Dieu préserva les nôtres de cet incendie. À la fin les Turcs les prirent vivants, les partagèrent, comme ils avaient fait des premiers, et les dispersèrent dans toutes les régions, les uns en Khorassan, les autres en Perse. Tous ces événements eurent lieu au mois d’octobre.

À la nouvelle que les Turcs avaient ainsi dispersé les nôtres, l’empereur témoigna une grande joie[37] et donna des ordres pour leur faire traverser le Bras[38]. Le passage terminé, il rassembla toutes leurs armes.

[3.] La deuxième division pénétra en Esclavonie[39] avec le comte de Saint-Gilles, Raimond et l’évêque du Puy[40].

La troisième division suivit l’antique route de Rome[41]. En firent partie : Bohémond[42] et Richard du Principat[43], Robert, comte de Flandre[44], Robert de Normandie[45], Hugue le Mainsné[46], Évrard du Puiset[47], Achard de Montmerle[48], Isoard de Mouzon[49] et beaucoup d’autres. Ils parvinrent ensuite soit au port de Brindisi, soit à Bari, soit à Otrante[50].

Hugue le Mainsné et Guillaume, fils du marquis[51], prirent la mer à Bari et abordèrent à Durazzo, mais le gouverneur du pays[52], apprenant le débarquement de ces deux prud’hommes, conçut dans son cœur un mauvais dessein. Il les fit arrêter et conduire avec précaution à Constantinople devant l’empereur, afin qu’ils lui jurassent fidélité[53].

Enfin, le duc Godefroi, le premier de tous les seigneurs, arriva à Constantinople avec une grande armée, deux jours avant la Nativité de Notre-Seigneur[54], et campa hors de la ville jusqu’à ce que l’inique empereur eût donné l’ordre de le loger dans un faubourg de la ville[55]. Ayant pris ainsi ses quartiers, le duc envoyait chaque jour ses guerriers en toute sécurité, afin qu’ils apportassent de la paille et tout ce qui était nécessaire aux chevaux. Et ils croyaient qu’ils pourraient aller en toute confiance où ils voudraient, mais l’inique empereur Alexis ordonna aux Turcoples et aux Petchénègues[56] de les attaquer et de les tuer[57]. À cette nouvelle, Baudouin, le frère du duc, se mit en embuscade, les surprit en train de massacrer son peuple, les attaqua courageusement et, avec l’aide de Dieu, en vint à bout. Il en captura soixante, en tua une partie et présenta le reste au duc, son frère[58].

L’empereur, instruit de ces faits, manifesta une grande irritation. Le duc, voyant l’empereur irrité, sortit du faubourg avec les siens et prit ses quartiers hors de la ville[59]. Le soir venu, le misérable empereur ordonna à ses troupes d’attaquer le duc et le peuple chrétien. Le duc les poursuivit victorieusement à la tête des soldats du Christ ; il en tua sept et poursuivit les autres jusqu’à la porte de la cité[60]. Revenu dans son camp, il y resta cinq jours[61], puis conclut un accord avec l’empereur[62] qui l’engagea à traverser le Bras de saint Georges[63] et l’autorisa à se ravitailler autant que les ressources de Constantinople le permettraient, ainsi qu’à recevoir une aumône qui assurât la subsistance des pauvres[64].

[4.] De son côté, Bohémond le Victorieux, qui se trouvait au siège d’Amalfi du Pont-Scaphard[65], apprenant la venue d’un peuple chrétien innombrable, composé de Francs, résolu à se rendre au sépulcre du Seigneur et, prêt à livrer bataille à la gent païenne[66], fit rechercher exactement de quelles armes ce peuple se servait au combat, quel emblème du Christ il portait en chemin, quel cri de ralliement il poussait dans les batailles. Il lui fut répondu dans le même ordre : « Ils ont des armes convenables à la guerre ; sur l’épaule ou entre les deux épaules ils portent la croix du Christ ; leur cri : Dieu le veut ! Dieu le veut ! est poussé par tous d’une seule voix. » Aussitôt, incité par l’Esprit-Saint, Bohémond ordonna de découper un précieux manteau qu’il portait et en fit distribuer les morceaux découpés en croix[67].

Alors la plus grande partie des chevaliers qui assiégeait la ville courut à lui impétueusement, si bien que le comte Roger resta presque seul. Revenu en Sicile, il se plaignait et s’affligeait d’avoir perdu toute son armée[68].

De retour dans sa terre[69], le seigneur Bohémond se prépara avec zèle à prendre le chemin du Saint Sépulcre. Enfin, il traversa la mer avec son armée. Avec lui se trouvaient Tancrède, fils du marquis[70] ; le prince Richard et Renoul, son frère[71] ; Robert d’Ansa, Hermann de Cannes, Robert de Sourdeval ; Robert, fils de Tostain ; Onfroi, fils de Raoul ; Richard, fils du comte Renoul ; le comte de Russignolo et ses frères, Boel de Chartres, Aubré de Cagnano, Onfroi de Monte-Scabioso[72]. Tous firent la traversée aux frais de Bohémond[73] et abordèrent en Bulgarie[74], où ils trouvèrent en abondance le blé, le vin et tous les aliments utiles.

Puis ils descendirent dans la vallée d’Andronopolis[75] et attendirent que toute leur armée eût accompli le passage. Alors Bohémond tint conseil avec son armée, encourageant les siens, les exhortant à la bonté, à l’humilité et à s’abstenir de ravager cette terre qui appartenait à des chrétiens et à ne rien prendre en dehors de ce qui était nécessaire à leur nourriture[76].

Alors eut lieu le départ, et on alla au milieu d’une grande abondance de domaine en domaine, de cité en cité, de château en château. Nous parvînmes[77] ainsi à Castoria[78] et nous y célébrâmes solennellement la Nativité du Seigneur. Nous y restâmes plusieurs jours et nous cherchâmes à nous ravitailler, mais la population ne voulut pas y consentir, parce qu’elle nous redoutait beaucoup. Elle refusait de voir en nous des pèlerins et croyait que nous voulions dévaster sa terre et la massacrer[79]. Aussi nous nous emparions des bœufs, des chevaux, des ânes et de tout ce que nous trouvions. Ayant quitté Castoria, nous entrâmes en Pélagonie[80], où se trouvait une ville d’hérétiques. Nous l’attaquâmes de tous côtés et elle fut bientôt en notre pouvoir : ayant allumé du feu, nous brûlâmes la ville avec ses habitants[81].

Après quoi nous atteignîmes le fleuve Vardar[82]. Le seigneur Bohémond continua avec sa troupe, mais non tout entière, car le comte de Russignolo resta là avec ses frères. L’armée impériale survint et attaqua le comte ainsi que ses frères et tous ceux qui étaient avec eux.

Tancrède[83], l’ayant appris, revint sur ses pas, se jeta dans le fleuve et parvint en nageant à rejoindre ses compagnons ; deux mille hommes se jetèrent aussi dans le fleuve et suivirent Tancrède. Ils trouvèrent des Turcoples et des Petchénègues qui combattaient contre les nôtres, les attaquèrent soudain avec courage et en vinrent à bout, puis ils en prirent un certain nombre et les amenèrent tout liés en présence du seigneur Bohémond[84], qui leur dit : « Pourquoi, malheureux, massacrez-vous l’armée du Christ, qui est aussi la mienne ? Je n’ai pourtant aucune querelle avec votre empereur. » À quoi ils répondirent : « Nous ne pouvons pas agir autrement : nous nous sommes loués à la solde de l’empereur, et tout ce qu’il nous ordonne il nous faut l’accomplir[85]. » Bohémond leur permit de se retirer impunis.

Cette bataille eut lieu le quatrième jour de la semaine qui marque le début du carême[86]. Que Dieu soit béni en toutes choses ! Ainsi-soit-il !


[DEUXIÈME RÉCIT]
[De la bataille du Vardar à la prise de Nicée
(18 février-19 juin 1097)
]

[5.] Le misérable empereur envoya en même temps que nos ambassadeurs[87] l’un des siens qu’il avait en grande affection et que l’on appelle curopalate[88], afin qu’il nous conduisît en sûreté par toute sa terre jusqu’à notre arrivée à Constantinople. Quand nous passions devant leurs villes, il donnait l’ordre aux habitants de nous apporter des provisions, comme faisaient ceux dont nous avons déjà parlé. D’ailleurs, ils craignaient tellement la courageuse armée du seigneur Bohémond qu’ils ne permettaient à aucun d’entre nous de franchir les murailles de leurs cités. Une fois, les nôtres voulaient assaillir et capturer une place forte, sous prétexte qu’elle renfermait des provisions abondantes, mais le sage Bohémond refusa d’y consentir, tant à cause de la franchise de la terre[89] que de la foi promise à l’empereur. Il en fut très irrité contre Tancrède et tous les autres[90]. Cet incident eut lieu le soir ; le lendemain matin, on vit sortir en procession les habitants de la ville, la croix à la main, et ils vinrent en présence de Bohémond, qui les reçut avec joie et leur permit de se retirer dans l’allégresse.

Puis nous atteignîmes une ville appelée Serrès[91], où nous plantâmes nos tentes, et nous y trouvâmes en quantité suffisante la nourriture convenable à cette saison[92]. Ce fut là que Bohémond fit une convention avec deux curopalates[93] et, par amitié pour eux, ainsi que pour respecter la franchise de la terre, il donna l’ordre de restituer tous les animaux dont les nôtres s’étaient emparés en maraudant. Ensuite nous parvînmes à la ville de Rousa[94] ; le peuple grec en sortait et venait tout joyeux à la rencontre du seigneur Bohémond en nous apportant d’abondantes provisions[95]. Nous y dressâmes nos pavillons le mercredi avant la Cène du Seigneur[96]. , Bohémond laissa toute son armée et poursuivit sa route vers Constantinople afin de s’aboucher avec l’empereur, emmenant avec lui un petit nombre de chevaliers[97]. Tancrède demeura à la tête de la milice du Christ. Voyant les pèlerins acheter des mets, il se promit à part soi d’abandonner la grand’route et de conduire le peuple dans un endroit où il pût vivre largement. Il pénétra dans une vallée pourvue de toute espèce de biens convenables à la nourriture du corps et nous y célébrâmes la Pâque du Seigneur en grande dévotion[98].

[6.] L’empereur, informé que le très honorable Bohémond était venu à lui, donna l’ordre de le recevoir avec honneur et de le loger avec égards hors de la ville[99]. Après son installation, il lui fit demander de venir conférer avec lui en secret. À cet entretien prirent part aussi le duc Godefroi et son frère[100], puis le comte de Saint-Gilles approcha de la cité[101]. L’empereur, anxieux et bouillant de colère, se demandait comment il pourrait, par ruse et par fraude, venir à bout de ces soldats du Christ[102] ; mais, par la grâce divine, ni lui ni les siens ne trouvèrent moyen de leur nuire. En dernier lieu, tous les hommes de haute naissance qui se trouvaient à Constantinople furent assemblés[103]. Dans la crainte d’être privés de leur patrie, après avoir tenu conseil et dressé des plans ingénieux, ils imaginèrent que les chefs de notre armée, les comtes et tous les grands, devraient prêter à l’empereur un serment de fidélité. Mais ceux-ci refusèrent en disant : « Ceci n’est pas digne de nous, et il nous semble juste de ne lui prêter serment en aucune manière. »

Peut-être arrivera-t-il encore que nous soyons déçus par nos chefs[104]. Que feront-ils en fin de compte ? Ils diront que, poussés par la nécessité, il leur a fallu, bon gré, mal gré, s’humilier devant la volonté de l’empereur[105] !

Au très courageux Bohémond, qu’il redoutait beaucoup, car jadis il avait dû plus d’une fois décamper devant lui avec son armée[106], l’empereur promit que, s’il prêtait serment sans se faire prier, il recevrait de lui, au delà d’Antioche, une terre de quinze journées de marche en longueur et de huit journées en largeur ; il lui jura que, s’il tenait fidèlement son serment, lui-même n’oublierait jamais le sien[107]. — Comment des chevaliers si braves et si rudes ont-ils agi ainsi ? Sans doute étaient-ils contraints par une dure nécessité.

L’empereur, de son côté, promit à tous les nôtres foi et sécurité et jura même « qu’il nous accompagnerait avec son armée par terre et par mer, qu’il assurerait avec fidélité notre ravitaillement sur terre et sur mer, qu’il réparerait exactement toutes nos pertes et qu’en outre il ne voulait ni ne permettait que nul de nos pèlerins fût molesté ou contrarié sur la route du saint Sépulcre[108] ».

D’autre part, le comte de Saint-Gilles avait son quartier hors de la cité, dans un faubourg[109], et son armée était restée en arrière[110]. L’empereur manda au comte qu’il lui fît hommage et fidélité, comme avaient fait les autres[111]. Mais, au moment où l’empereur envoyait ce message, le comte réfléchissait à la vengeance qu’il pourrait tirer de l’armée impériale[112]. Le duc Godefroi, Robert, comte de Flandre[113], et les autres princes lui représentèrent qu’il serait injuste de combattre contre des chrétiens. Le sage Bohémond ajouta que, s’il commettait quelque injustice envers l’empereur et s’opposait à ce qu’on lui promît fidélité, lui-même prendrait le parti de l’empereur[114]. Aussi le comte, après avoir pris conseil des siens, jura de respecter la vie et l’honneur d’Alexis et de ne consentir jamais à ce que, soit de son fait, soit par l’un des siens, il y fût porté atteinte ; mais, quand il fut cité pour l’hommage[115], il répondit qu’il n’en ferait rien, même si sa tête était en péril[116]. Ce fut à ce moment que l’armée de Bohémond approcha de Constantinople[117].

[7.] Pour esquiver le serment impérial, Tancrède et Richard du Principat traversèrent secrètement le Bras[118] et, avec eux, presque toute la troupe de Bohémond. Bientôt l’armée du comte de Saint-Gilles atteignit Constantinople et le comte y demeura avec les siens[119]. Bohémond resta aussi auprès de l’empereur, afin de tenir conseil avec lui sur les moyens de ravitailler les troupes qui se trouvaient au delà de Nicée[120]. Le duc Godefroi vint d’abord à Nicomédie avec Tancrède[121] et tous les autres et ils y restèrent trois jours.

Le duc, s’apercevant qu’il n’existait aucune route par laquelle il pût conduire ces troupes jusqu’à Nicée, car la voie que les premiers croisés[122] avaient d’abord suivie se trouvait insuffisante pour un peuple aussi nombreux, envoya en avant-garde trois mille hommes armés de haches et d’épées qu’il chargea d’élaguer et d’élargir cette voie, afin qu’elle fût praticable à nos pèlerins jusqu’à Nicée. Ils ouvrirent un chemin à travers les défilés d’une montagne immense[123] et, sur leur passage, ils fabriquaient des croix de fer et de bois qu’ils plaçaient sur des socles, afin qu’elles servissent d’indication à nos pèlerins[124]. Nous parvînmes ainsi près de Nicée, qui est la capitale de toute la Romanie[125], le quatrième jour avant les nones de mai et nous y établîmes un camp[126].

Avant l’arrivée du seigneur Bohémond, il y eut une telle disette de pain parmi nous qu’un seul pain se vendait jusqu’à 20 ou 30 deniers[127]. Mais, après que le sage Bohémond fut arrivé, il fit venir par mer un abondant ravitaillement. Il en venait des deux côtés à la fois, par terre et par mer, et une grande prospérité régna dans l’armée du Christ.

[8.] Le jour de l’Ascension du Seigneur[128], nous commençâmes à attaquer la ville de tous côtés et à construire des machines de bois et des tours de bois, afin de pouvoir renverser les tours de l’enceinte[129]. Pendant deux jours, nous abordâmes la ville avec tant de courage et d’ardeur que nous sapions ses murailles. Les Turcs qui étaient dans la ville envoyèrent un message à ceux qui arrivaient au secours de la cité. Il était ainsi conçu : « Approchez-vous hardiment et en toute sécurité. Entrez par la porte du midi, car, de ce côté, vous ne trouverez personne devant vous pour vous molester[130]. »

Le jour même, le samedi après l’Ascension du Seigneur[131], cette porte fut occupée par le comte de Saint-Gilles et l’évêque du Puy[132]. Ce comte, venant d’un autre côté, protégé par la vertu divine et tout resplendissant dans son armure terrestre, à la tête de sa courageuse armée, se heurta aux Turcs, qui s’avançaient contre nous. Armé de tous côtés du signe de la croix[133], il les chargea vigoureusement et les vainquit, et ils prirent la fuite en abandonnant beaucoup de morts[134]. Mais de nouveaux Turcs vinrent au secours des premiers, pleins d’allégresse et tout joyeux d’une victoire certaine, traînant avec eux des cordes pour nous amener garrottés dans le Khorassan. Remplis de joie, ils commencèrent à descendre progressivement du faîte d’une hauteur, mais, à mesure qu’ils descendaient, ils restaient sur place, la tête coupée par la main des nôtres. Et, à l’aide d’une fronde, les nôtres lançaient dans la ville les têtes des tués, afin de jeter l’effroi parmi les Turcs[135].

Puis le comte de Saint-Gilles et l’évêque du Puy tinrent conseil sur les moyens de miner une tour qui se trouvait devant leurs tentes. Des hommes furent désignés pour la miner, avec des arbalétriers[136] et des archers pour les protéger. Ils creusèrent jusqu’aux fondements de la muraille et entassèrent des poutres et du bois, puis y mirent le feu. Le soir venu, la tour s’écroula, alors qu’il faisait déjà nuit, et, à cause de l’obscurité, on ne put engager le combat. Au cours de la nuit, les Turcs se levèrent en hâte et restaurèrent le mur si solidement que, le jour venu, il fut impossible de leur causer le moindre dommage de ce côté[137].

Bientôt arrivèrent Robert, comte de Normandie, le comte Étienne[138] et beaucoup d’autres, puis Roger de Barneville[139]. Bohémond assiégea la ville sur le premier front ; à côté de lui était Tancrède, puis venaient le duc Godefroi, le comte de Flandre, appuyé par Robert de Normandie, puis le comte de Saint-Gilles et, auprès de lui, l’évêque du Puy. Le blocus par terre fut tel que nul n’osait sortir de la ville ou y entrer ; et, en cette occasion, tous ne formaient qu’un seul corps[140]. Qui pouvait dénombrer cette formidable armée du Christ ? Nul, je pense, n’a jamais vu et ne pourra jamais voir un pareil nombre de chevaliers[141] aussi accomplis.

Mais il y avait d’un côté de la ville un lac immense[142] sur lequel les Turcs lançaient leurs barques, et ils pouvaient ainsi sortir et rentrer en amenant du fourrage, du bois et autres denrées. Nos chefs, après avoir tenu un conseil, envoyèrent à Constantinople des messagers chargés d’inviter l’empereur à faire conduire des barques à Civitot, où se trouve un port, et à donner l’ordre de réunir des bœufs pour les traîner à travers les montagnes et les forêts jusqu’à proximité du lac. Ainsi fut fait immédiatement, et l’empereur envoya en même temps ses Turcoples[143]. Le jour où les barques furent ainsi convoyées, on ne voulut pas les mettre tout de suite à l’eau ; mais, la nuit étant survenue, on les lança dans le lac, montées par des Turcoples bien armés. Au petit jour on vit la flottille voguer en bon ordre au milieu du lac et se diriger contre la ville. À cette vue, les Turcs furent saisis d’étonnement, ignorant s’ils avaient affaire à leurs gens ou à ceux de l’empereur. Quand ils reconnurent que c’était bien une troupe impériale, pris d’un effroi mortel, ils se répandirent en pleurs et en gémissements, tandis que les Francs exultaient et glorifiaient Dieu[144].

Voyant enfin qu’ils ne pourraient recevoir aucun secours de leurs armées, les Turcs envoyèrent une ambassade à l’empereur, offrant de rendre spontanément la ville s’il leur était permis de se retirer avec leurs femmes, leurs enfants et tous leurs biens[145]. L’empereur, plein de vanité et de malveillance, ordonna qu’ils s’en iraient impunis et sans rien craindre et qu’ils seraient amenés devant lui en toute loyauté à Constantinople. Il les ménageait soigneusement, afin de les avoir tout prêts pour dresser des embûches et des obstacles aux Francs[146].

Ce siège dura sept semaines et trois jours[147]. Beaucoup des nôtres y reçurent le martyre et, dans la joie et l’allégresse, rendirent à Dieu leurs âmes bienheureuses. Parmi les pauvres, beaucoup moururent de faim pour le nom du Christ. Montés triomphalement au ciel, ils revêtirent la robe du martyre[148] en disant d’une seule voix : « Venge, Seigneur, notre sang répandu pour toi, qui es béni et digne de louanges dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il[149] ! »


[TROISIÈME RÉCIT]
[La bataille des croisés en Asie mineure
(juin-juillet 1097)
]

[9.] Sur ces entrefaites, la ville ayant capitulé, les Turcs furent conduits à Constantinople, où l’empereur, de plus en plus charmé que cette ville eût été restituée à sa puissance, fit distribuer d’abondantes aumônes à nos pauvres[150].

Le premier jour de notre départ de la ville[151] nous atteignîmes un pont et nous y restâmes deux jours. Le troisième jour, les nôtres se levèrent avant l’aurore et, comme il faisait encore nuit, ils n’y virent pas assez pour tenir le même chemin et se partagèrent en deux corps, qui furent séparés par deux jours de distance[152]. Du premier corps firent partie Bohémond, Robert de Normandie, le sage Tancrède et beaucoup d’autres ; dans le second corps étaient le comte de Saint-Gilles, le duc Godefroi, l’évêque du Puy, Hugue le Mainsné, le comte de Flandre et beaucoup d’autres[153].

Le troisième jour, les Turcs attaquèrent violemment Bohémond et ses compagnons[154]. Aussitôt les Turcs commencèrent à grincer des dents, à pousser des huées et des cris retentissants, répétant je ne sais quel mot diabolique dans leur langue[155]. Le sage Bohémond, voyant ces innombrables Turcs poussant au loin des clameurs et criant d’une voix démoniaque, fit aussitôt descendre les chevaliers de leurs montures[156] et dresser rapidement les tentes. Avant que les tentes fussent dressées, il répéta à tous les chevaliers : « Sires et vaillants chevaliers du Christ, voici que de tous côtés nous attend une bataille difficile. Que tous les chevaliers aillent donc droit devant eux avec courage et que les piétons dressent prudemment et rapidement les tentes[157]. »

Quand tout ceci fut accompli, les Turcs nous entouraient déjà de tous côtés, combattant, lançant des javelots et tirant des flèches à une distance merveilleuse. Et nous, bien qu’incapables de leur résister et de soutenir le poids d’un si grand nombre d’ennemis, nous nous portâmes cependant à leur rencontre d’un cœur unanime. Jusqu’à nos femmes qui, ce jour-là, nous furent d’un grand secours en apportant de l’eau à boire à nos combattants et peut-être aussi en ne cessant de les encourager au combat et à la défense[158]. Le sage Bohémond ne tarda pas à mander aux autres, c’est-à-dire au comte de Saint-Gilles, au duc Godefroi, à Hugue le Mainsné, à l’évêque du Puy et à tous les autres chevaliers du Christ, de se hâter et de marcher rapidement au combat, leur faisant dire : « Si aujourd’hui ils veulent prendre part à la lutte, qu’ils viennent vaillamment[159]. » Et le duc Godefroi, connu pour son audace et son courage, puis Hugue le Mainsné arrivèrent d’abord ensemble avec leurs troupes, puis l’évêque du Puy les suivit bientôt avec sa troupe et, après lui, le comte de Saint-Gilles avec une armée nombreuse[160].

Les nôtres se demandaient avec étonnement d’où avait pu sortir une pareille multitude de Turcs, d’Arabes, de Sarrasins et autres, impossibles à énumérer, car toutes les hauteurs et les collines et les vallées et toutes les plaines, à l’intérieur et à l’extérieur, étaient entièrement couvertes de cette race excommuniée. Il y eut entre nous un entretien intime, dans lequel, après avoir loué Dieu et pris conseil, nous disions : « Soyez de toute manière unanimes dans la foi du Christ et dans la victoire de la sainte croix, car aujourd’hui, s’il plaît à Dieu, vous deviendrez tous riches. »

Sur-le-champ nos batailles furent ordonnées. À l’aile gauche étaient le sage Bohémond, Robert de Normandie, le prudent Tancrède, Robert d’Ansa et Richard du Principat ; l’évêque du Puy dut s’avancer par une autre hauteur, afin de cerner les Turcs incrédules[161]. À l’aile gauche aussi chevauchait le très vaillant chevalier Raimond, comte de Saint-Gilles. À l’aile droite étaient le duc Godefroi, puis le vaillant chevalier qu’était le comte de Flandre et Hugue le Mainsné et plusieurs autres dont j’ignore les noms.

À l’approche de nos chevaliers, les Turcs, les Arabes, les Sarrasins, les Angulans[162] et tous les peuples barbares s’enfuirent aussitôt rapidement à travers les défilés des montagnes et les plaines. Le nombre des Turcs, des Persans, des Pauliciens[163], des Sarrasins, des Angulans et autres païens s’élevait à 360 000, sans compter les Arabes, dont nul, si ce n’est Dieu, ne connaît le nombre[164]. Ils s’enfuirent avec une vitesse extraordinaire jusqu’à leurs tentes, mais ils ne purent y demeurer longtemps. Ils reprirent leur fuite et nous les poursuivîmes en les tuant pendant tout un jour ; et nous fîmes un butin considérable, de l’or, de l’argent, des chevaux, des ânes, des chameaux, des brebis, des bœufs et beaucoup d’autres choses que nous ignorons. Si le Seigneur n’eût été avec nous dans cette bataille, s’il ne nous avait pas envoyé rapidement l’autre armée[165], aucun des nôtres n’eût échappé, car, de la troisième à la neuvième heure, le combat fût ininterrompu. Mais Dieu tout-puissant, pitoyable et miséricordieux, ne permit pas que ses chevaliers périssent ou tombassent entre les mains de leurs ennemis, et il nous envoya ce secours en toute hâte. Deux chevaliers des nôtres, pleins d’honneur, Godefroi de Monte-Scabioso[166] et Guillaume, fils du Marquis, frère de Tancrède, et d’autres chevaliers et piétons dont j’ignore les noms trouvèrent ici la mort.

Qui sera assez sage, assez savant pour oser décrire la sagacité, les dons guerriers et la vaillance des Turcs ? Ils croyaient effrayer la nation des Francs par la menace de leurs flèches, comme ils ont effrayé les Arabes, les Sarrasins, les Arméniens, les Syriens, les Grecs. Mais, s’il plaît à Dieu, ils ne vaudront jamais les nôtres[167]. À la vérité, ils se disent de la race des Francs et prétendent que nul, à part les Francs et eux, n’a le droit de se dire chevalier[168]. Je dirai la vérité, et nul ne la contestera : certainement, s’ils avaient toujours gardé fermement la foi du Christ et de la sainte Chrétienté, s’ils avaient voulu confesser un seul Seigneur en trois personnes, un fils de Dieu né d’une Vierge, qui a souffert, est ressuscité d’entre les morts, est monté au ciel à la vue de ses disciples, a envoyé la consolation parfaite de l’Esprit-Saint, s’ils avaient voulu croire, avec une foi et un jugement droit, qu’il règne au ciel et sur la terre, on ne trouverait personne qui puisse leur être égalé en puissance, en courage, en science de la guerre[169] ; et pourtant, par la grâce de Dieu, ils furent vaincus par les nôtres. Cette bataille eut lieu le premier jour de juillet.


[QUATRIÈME RÉCIT]
[La marche des croisés sur Antioche
(juillet-20 octobre 1097)
]

[10.] Après que les Turcs, ennemis de Dieu et de la sainte Chrétienté, eurent été entièrement vaincus et se furent enfuis pendant quatre jours et quatre nuits, il arriva que Soliman, leur chef[170], fils de Soliman l’Ancien, s’étant enfui de Nicée, rencontra dix mille Arabes, qui lui dirent : « O infortuné et plus infortuné que tous les peuples ! Pourquoi fuis-tu épouvanté ? » Soliman leur répondit : « Parce que naguère, ayant vaincu tous les Francs, je les croyais déjà enchaînés en captivité, et, pendant que je voulais les lier tour à tour les uns aux autres, regardant en arrière, je vis qu’ils formaient un peuple tellement innombrable que, si vous ou tout autre eussiez été présent, il vous eût semblé voir toutes les montagnes, les collines, les vallées, les plaines couvertes de leur multitude[171]. Et nous, à leur vue, nous poursuivîmes subitement notre chemin, poussés par une telle frayeur que ce fut à peine que nous parvînmes à nous tirer de leurs mains ; et, si vous voulez croire mes paroles, vous vous tirerez de là, car, s’ils pouvaient seulement connaître votre présence, pas un de vous n’échapperait vivant. » À ces mots, ils tournèrent bride et se répandirent par toute la Romanie[172].

Et nous, nous ne cessions de poursuivre ces Turcs très iniques qui fuyaient chaque jour devant nous[173]. Et quand ils parvenaient à une place forte ou à une ville, ils se jouaient des habitants du pays et les trompaient en leur disant : « Nous avons vaincu tous les chrétiens et notre victoire a été telle que nul d’entre eux n’osera jamais plus s’élever devant nous. Laissez-nous seulement entrer. » Une fois entrés, ils dépouillaient les églises, les demeures et tout le reste ; ils emmenaient avec eux chevaux, ânes, mulets, or et argent et tout ce qu’ils pouvaient trouver. Ils enlevaient encore avec eux des fils de chrétiens et incendiaient ou dévastaient tout ce qui pouvait être utile, en fuyant toujours et tremblant devant notre face. Et nous les poursuivions à travers des déserts et une terre dépourvue d’eau et inhabitable, d’où nous eûmes du mal à sortir vivants[174]. La faim et la soif nous pressaient de toute part et nous n’avions presque plus rien à manger, sauf les épines que nous arrachions et frottions dans nos mains[175] : voilà de quels mets nous vivions misérablement. Là mourut la plus grande partie de nos chevaux, si bien que beaucoup de nos chevaliers restèrent à pied : par pénurie de montures, nous nous servions de bœufs en guise de destriers et, dans cette extrême nécessité, des chèvres, des moutons, des chiens étaient employés à porter nos bagages.

Puis nous entrâmes dans une terre excellente, remplie d’aliments corporels, de douceurs et de toute espèce de ressources, et nous approchâmes d’Iconium[176]. Les habitants de ce pays[177] nous persuadaient et nous avertissaient d’emporter avec nous des outres pleines d’eau, car, pendant tout un jour de marche, il y a une grande pénurie d’eau. Nous fîmes ainsi jusqu’à ce que nous eûmes atteint une rivière où nous campâmes deux jours. Nos coureurs commencèrent à aller de l’avant jusqu’à ce qu’ils fussent parvenus à Héraclée[178], où se trouvait une grosse troupe de Turcs, qui attendait et cherchait les moyens de nuire aux soldats du Christ. Les soldats du Dieu tout-puissant trouvèrent ces Turcs et les attaquèrent audacieusement. Ce jour-là, ils l’emportèrent sur nos ennemis qui fuyaient aussi rapidement qu’une flèche, lancée d’un coup sûr, s’enfuit de la corde d’un arc. Les nôtres pénétrèrent donc aussitôt dans la ville et nous y séjournâmes quatre jours[179].

Là, Tancrède, fils du Marquis, se sépara des autres, ainsi que le comte Baudouin, frère du duc Godefroi, et ils pénétrèrent ensemble dans la vallée de Bothrentrot[180]. Tancrède partit aussi de son côté et arriva à Tarse[181] avec ses chevaliers. Les Turcs sortirent de la ville et vinrent à sa rencontre : massés en un seul corps, ils se préparèrent à combattre les chrétiens. Mais les nôtres s’étant avancés en bataillant, les ennemis prirent la fuite et revinrent d’un pas rapide dans la ville, Tancrède, ce chevalier du Christ, y parvint à bride abattue et installa son camp devant la porte de la ville.

D’autre part arriva le comte Baudouin[182] avec son armée, demandant à Tancrède de daigner l’admettre amicalement au partage de la ville. « Je refuse tout partage avec toi », répondit Tancrède. La nuit survint et tous les Turcs épouvantés prirent la fuite. Alors les habitants de la ville[183] sortirent en pleine obscurité, criant à haute voix : « Accourez, Francs invincibles, accourez : les Turcs, troublés par la crainte, se retirent tous en même temps. »

Le jour venu, arrivèrent les notables de la ville et ils rendirent spontanément leur cité en disant à ceux qui se querellaient à ce sujet : « Cessez, sires, cessez, car nous voulons et demandons comme seigneur et comme prince celui qui combattit hier si courageusement contre les Turcs. » Mais Baudouin, le comte admirable, protestait et disputait avec Tancrède en disant : « Entrons ensemble et pillons la ville : que celui qui aura la plus grosse part la garde et que celui qui pourra prendre prenne. » À quoi le très courageux Tancrède répartit : « Loin de moi cette conduite ! Je ne veux pas dépouiller des chrétiens ; les hommes de cette cité m’ont choisi pour seigneur et c’est moi qu’ils veulent avoir. » À la fin, le courageux Tancrède ne voulut pas lutter plus longtemps avec le comte Baudouin, qui avait une forte armée[184]. Bon gré, mal gré, il abandonna la cité et se retira vaillamment avec son armée et on lui livra aussitôt deux excellentes villes, Adana[185] et Manustra[186], ainsi que plusieurs châteaux.

[11.] Cependant, la grande armée, Raimond, comte de Saint-Gilles, le très savant Bohémond, le duc Godefroi et beaucoup d’autres entrèrent dans le pays des Arméniens[187], altérés et avides du sang des Turcs.

À la fin, ils parvinrent devant un château tellement fort qu’ils ne pouvaient rien contre lui. Il y avait là un homme appelé Siméon, qui était né dans le pays et qui demanda cette terre, afin de la défendre contre les entreprises des Turcs ennemis. Ils lui baillèrent la terre et il y demeura avec sa gent[188]. Nous partîmes de là et nous parvînmes heureusement à Césarée de Cappadoce[189]. Sortis de Cappadoce, nous arrivâmes à une cité magnifique et très riche que, peu avant notre venue, les Turcs avaient assiégée pendant trois semaines[190]. Mais ils n’eurent pas le dessus et, à notre arrivée, elle se rendit aussitôt entre nos mains avec une grande joie. Un chevalier, nommé Pierre d’Aups[191], la demanda à tous les seigneurs, afin de la défendre en toute fidélité de Dieu et du saint sépulcre, des seigneurs et de l’empereur. Ils la lui accordèrent de très bonne grâce[192]. La nuit suivante, Bohémond apprit que les Turcs, qui avaient assiégé cette ville, nous précédaient fréquemment. Aussitôt il se prépara avec ses seuls chevaliers à les chasser de partout, mais il ne put les rencontrer.

Nous atteignîmes ensuite une ville appelée Coxon[193], qui possédait les ressources abondantes qui nous étaient nécessaires. Les chrétiens, habitants de cette ville, se rendirent aussitôt[194]. Nous y fûmes pendant trois jours dans de bonnes conditions et les nôtres purent s’y refaire entièrement.

Apprenant que les Turcs qui gardaient Antioche s’étaient retirés[195], le comte Raimond décida avec son conseil d’envoyer quelques-uns de ses chevaliers pour l’occuper rapidement. Il choisit donc ceux qu’il voulait charger de cette mission, à savoir le vicomte Pierre de Castillon[196], Guillaume de Montpellier[197], Pierre de Roaix[198], Pierre-Raimond d’Hautpoul[199], avec 500 chevaliers. Ils parvinrent, dans une vallée des environs d’Antioche, jusqu’à un château de Publicains[200], où ils apprirent que les Turcs occupaient la cité et se préparaient à la défendre avec courage. Pierre de Roaix se sépara des autres et, la nuit suivante, s’étant approché d’Antioche, il entra dans la vallée de Rugia[201], y trouva des Turcs et des Sarrasins, batailla contre eux, en tua un grand nombre et poursuivit les autres vigoureusement. Aussitôt les Arméniens, habitants de cette terre, voyant qu’il avait vaincu les païens courageusement, se rendirent. Pierre s’empara de Rusa[202] et de plusieurs châteaux.

Nous, qui restâmes à Coxon, nous en sortîmes et pénétrâmes dans la montagne diabolique[203], si élevée et si étroite que, dans le sentier situé sur le flanc, nul n’osait précéder les autres ; les chevaux se précipitaient dans les ravins et chaque sommier[204] en entraînait un autre. De tous côtés les chevaliers montraient leur désolation et se frappaient de leurs propres mains, de douleur et de tristesse, se demandant que faire d’eux-mêmes et de leurs armes. Ils vendaient leurs boucliers et leurs bons hauberts avec les heaumes[205] pour une somme de trois à cinq deniers ou pour n’importe quoi. Ceux qui n’avaient pu les vendre les jetaient pour rien loin d’eux et continuaient leur route.

Sortis de cette exécrable montagne, nous parvînmes à une ville appelée Marasch[206]. Les habitants sortirent à notre rencontre tout joyeux, en nous apportant un copieux ravitaillement, et nous y fûmes dans l’abondance en attendant l’arrivée du seigneur Bohémond[207]. Enfin nos chevaliers atteignirent la vallée dans laquelle est située la cité royale d’Antioche[208], qui est la capitale de toute la Syrie et que le Seigneur Jésus-Christ a donnée à Pierre, prince des Apôtres, afin qu’il la rappelât au culte de la sainte foi, lui qui vit et règne avec Dieu le Père dans l’unité du Saint-Esprit, Dieu dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !


[CINQUIÈME RÉCIT]
[Le début du siège d’Antioche
(20 octobre-décembre 1097)
]

[12.] Comme nous commencions à approcher du pont du Far[209], nos coureurs, qui nous précédaient toujours d’habitude, trouvèrent devant eux un fort parti de Turcs qui se hâtaient d’aller au secours d’Antioche ; ils les chargèrent d’un seul cœur et d’une seule âme et vainquirent les Turcs. Ces barbares consternés prirent la fuite et beaucoup d’entre eux périrent dans ce combat[210]. Vainqueurs, les nôtres firent par la grâce de Dieu un énorme butin de chevaux, de chameaux, de mulets, d’ânes chargés de blé et de vin.

Enfin les nôtres arrivèrent et installèrent leur camp sur la rive du fleuve ; immédiatement, le sage Bohémond vint se poster avec 4 000 chevaliers devant une porte de la cité, afin de veiller à ce qu’on n’y entrât ou n’en sortît secrètement pendant la nuit. Le lendemain on parvint jusqu’à Antioche, au milieu du jour de la quatrième férié, qui est le douzième jour avant les calendes de novembre[211], et nous assiégeâmes admirablement trois portes de la cité. De l’autre côté, nous n’avions pas la place nécessaire à conduire un siège, parce que nous étions resserrés par une montagne haute qui ne laissait qu’un passage étroit[212]. Nos ennemis les Turcs, qui se trouvaient dans la ville, avaient de nous une telle frayeur que pendant quinze jours nul d’entre eux n’osa attaquer l’un des nôtres. Bientôt prenant nos quartiers autour d’Antioche, nous trouvâmes en cet endroit une extrême abondance, vignes bien garnies, cachettes remplies de blé, arbres couverts de fruits et toutes espèces de ressources utiles à la nourriture[213].

Les Arméniens et les Syriens[214], qui étaient à l’intérieur de la ville, en sortaient comme pour fuir et se trouvaient chaque jour avec nous, tandis que leurs femmes restaient dans la cité. Ils s’enquéraient habilement de nous et de notre situation et rapportaient tout à ces excommuniés qui étaient enfermés dans la ville. Après que les Turcs furent suffisamment instruits de ce qui nous concernait, ils commencèrent peu à peu à sortir de la ville et à cerner nos pèlerins. Ce n’était pas d’un seul côté, mais partout qu’on les trouvait cachés sur notre passage, vers la mer ou la montagne.

Non loin se trouvait un château appelé Harenc[215], où s’étaient postés un grand nombre de Turcs très vaillants, qui inquiétaient fréquemment les nôtres. L’ayant appris, nos seigneurs en furent marris et envoyèrent plusieurs de leurs chevaliers reconnaître au plus tôt l’endroit où se trouvaient les Turcs. Ayant reconnu l’endroit où ils se cachaient, nos chevaliers, qui les cherchaient, vont à leur rencontre. Les nôtres battent progressivement en retraite jusqu’à l’endroit où ils savaient que Bohémond se trouvait avec sa troupe. Deux des nôtres furent tués dans cette affaire. À cette nouvelle, Bohémond s’élança avec les siens comme un vaillant athlète du Christ. Les barbares s’acharnèrent contre eux d’autant plus que les nôtres étaient en petit nombre. Cependant une mêlée s’engagea. Beaucoup de nos ennemis périrent ; d’autres faits prisonniers furent conduits devant la porte de la ville, et ce fut là qu’on les décapita afin d’augmenter la douleur de ceux qui étaient dans la ville.

D’autres sortaient de la cité et montaient sur une porte d’où ils tiraient sur nous, de telle sorte que leurs flèches tombaient dans l’enceinte du camp de Bohémond. Une femme fut tuée d’un coup de flèche.

[13.] Aussi nos chefs s’assemblèrent et tinrent conseil[216] en disant : « Établissons un château au sommet du mont Maregart, afin d’être en sécurité et de nous affranchir de la crainte des Turcs[217]. » Le château étant construit et fortifié, tous nos chefs le gardaient tour à tour.

Mais déjà, avant Noël, le blé et tous les aliments commençaient à renchérir[218]. Nous n’osions presque plus sortir du camp et dans la terre des chrétiens on ne trouvait presque plus rien à manger. Et nul n’osait plus pénétrer dans la terre des Sarrasins[219], sinon avec une grosse troupe. À la fin, nos seigneurs, ayant tenu conseil, prirent les mesures nécessaires au gouvernement d’un peuple si nombreux[220]. Ils décidèrent en conseil qu’une partie des nôtres irait au plus tôt rassembler des ressources et assurer la protection de l’armée sur ses derrières, et que les autres resteraient au camp pour le garder fidèlement[221]. Puis Bohémond dit : « Seigneurs et très prudents chevaliers, si vous voulez et s’il vous semble bon, c’est moi qui irai avec le comte de Flandre[222]. »

Après la célébration en grande pompe des fêtes de la Nativité, le lundi, deuxième férié, ils partirent donc avec plus de 20 000 chevaliers et piétons[223] et entrèrent sains et saufs dans la terre des Sarrasins. Il y avait là un rassemblement de Turcs, d’Arabes, de Sarrasins venus de Jérusalem, de Damas, d’Alep et d’autres régions pour donner du courage à la garnison d’Antioche. Apprenant que cette armée chrétienne se dirigeait sur leur terre, ils se préparèrent à combattre les chrétiens. Au petit jour, ils arrivèrent à l’endroit où était rassemblée notre troupe. Les barbares se divisèrent et formèrent deux corps, l’un en avant, l’autre en arrière, avec le désir de nous envelopper de tous côtés. Mais l’illustre comte de Flandre, armé du secours de sa foi et du signe de la croix, qu’il portait fidèlement chaque jour[224], s’élance contre eux en même temps que Bohémond. D’un seul élan, tous les nôtres chargèrent les ennemis, qui prirent aussitôt la fuite et se hâtèrent de tourner le dos en laissant beaucoup de morts. Les nôtres s’emparèrent de leurs chevaux et d’autres dépouilles. Ceux qui purent échapper à la mort s’enfuirent rapidement et se perdirent « dans la colère de la perdition[225] ». Et nous, revenant avec allégresse, nous louâmes et nous exaltâmes Dieu, à la fois triple et un, qui vit et règne maintenant et toujours. Ainsi soit-il !


[SIXIÈME RÉCIT]
[Le siège d’Antioche, de décembre 1097 au 9 février 1098]

[14.] Les Turcs, ennemis de Dieu et de la sainte Chrétienté, qui se trouvaient à la garde d’Antioche, à l’intérieur de la ville, informés que le sire Bohémond et le comte de Flandre ne se trouvaient plus au siège, firent une sortie. Et ils venaient engager avec nous des combats audacieux, attaquant de préférence les endroits où le siège était moins actif. Sachant bien que ces très prudents chevaliers étaient au dehors, ils résolurent un mardi[226] de s’opposer à nous et de nous nuire.

Ces affreux barbares arrivèrent donc la nuit et se jetèrent sur nous avec violence. Ils tuèrent un grand nombre de nos chevaliers et de nos piétons mal protégés[227]. En ce jour funeste, l’évêque du Puy perdit même son sénéchal qui conduisait et commandait sa bannière[228] et, s’il n’y avait eu le fleuve entre nous[229], c’est encore plus souvent qu’ils nous auraient attaqués et auraient causé de grands dommages à notre gent.

Le sage Bohémond sortait alors de la terre des Sarrasins avec son armée et il arriva à la montagne de Tancrède[230], préoccupé d’y trouver quelque chose qui valût la peine d’être emporté, car toute la terre avait été mise à sac : quelques-uns y firent des trouvailles, les autres revinrent les mains vides. Et le sage Bohémond les réprimanda en ces termes : « Ô malheureuse et misérable gent ! la plus vile de toute la chrétienté ! Pourquoi voulez-vous revenir si vite ? Attendez donc, attendez jusqu’à ce que nous nous soyons concentrés et n’errez pas comme des brebis sans pasteur. Si nos ennemis vous trouvent ainsi errants, ils vous tueront, car ils veillent jour et nuit pour vous surprendre sans chef, à l’écart ou seuls, et travaillent à vous conduire en captivité. » Ayant terminé son discours, il revint à son camp avec les siens, plus légers que chargés de butin[231].

Les Arméniens et les Syriens, voyant que les nôtres étaient revenus les mains à peu près vides, se concertèrent pour parcourir les montagnes et la contrée dont on a parlé, y rechercher habilement et y acheter du blé et des aliments et les rapporter au camp où régnait une grande famine. Ils vendaient la charge d’un âne huit hyperpres, qui valaient 120 sous en deniers[232]. Alors moururent beaucoup des nôtres qui n’avaient pas les moyens d’acheter aussi cher.

[15.] Guillaume le Charpentier[233] et Pierre l’Ermite[234], à cause de cette grande calamité et de cette misère, s’évadèrent secrètement. Tancrède les poursuivit, les rattrapa et les ramena avec lui en grande honte. Ils lui donnèrent leur foi et leur serment qu’ils reviendraient volontiers au camp et feraient satisfaction aux seigneurs. Pendant toute la nuit, Guillaume resta dans la tente de Bohémond, gisant à terre comme un vil objet. Le lendemain, au point du jour, il comparut en rougissant en présence de Bohémond qui lui adressa ces mots : « Misérable ! honte de la France ! déshonneur et crime de toutes les Gaules ! Ô le plus détestable de ceux que la terre supporte ! Pourquoi as-tu fui si ignominieusement ? Peut-être voulais-tu livrer ces chevaliers et l’armée du Christ, comme tu en as livré d’autres en Espagne[235] ? » Guillaume garda le silence et aucun discours ne sortit de sa bouche. Les Français[236] s’assemblèrent presque tous et supplièrent humblement le sire Bohémond de ne lui faire souffrir aucune autre peine. Il y consentit sans s’émouvoir en disant : « J’y consentirai volontiers pour l’amour de vous s’il me jure de tout son cœur et de toute son âme que jamais il n’abandonnera le chemin de Jérusalem, soit dans la bonne, soit dans la mauvaise fortune, et Tancrède consentira à ce que, soit de son fait, soit du fait des siens, il ne lui soit causé la moindre contrariété. » Ayant entendu ces mots, Tancrède y consentit volontairement et Bohémond le renvoya aussitôt. Mais dans la suite le Charpentier, dévoré d’une grande honte, n’attendit pas longtemps pour fuir en cachette[237].

Telle fut la pauvreté, telle fut la misère que Dieu nous réserva pour nos péchés : car, dans toute l’armée, on n’eût pu trouver mille chevaliers qui eussent des chevaux en bon état[238].

[16.] Cependant, Tatikios, notre ennemi[239], informé que des armées de Turcs marchaient contre nous, se déclara rempli de crainte, nous voyant déjà tous morts ou tombés aux mains de nos ennemis et, forgeant toute espèce de mensonges, il dit : « Seigneurs et hommes très prudents, voyez dans quelle grande nécessité nous sommes ; et nous ne voyons venir de secours d’aucune part. Laissez-moi donc regagner ma patrie, la Romanie[240], et, n’en doutez pas, je ferai venir ici par mer des navires chargés de blé, de vin, d’orge, de viande, de farine et de fromages et de tout ce qui nous est nécessaire ; je vous enverrai des chevaux à vendre et le ravitaillement arrivera ici à travers la terre qui est dans la fidélité de l’empereur[241]. Et tout ceci je vous le jurerai fidèlement et j’attendrai. Les gens de ma maison[242] et ma tente sont encore au camp et, croyez-le fermement, je reviendrai le plus tôt possible. »

Il termina ainsi son discours. Cet ennemi s’en alla et laissa au camp tout ce qui lui appartenait. Il demeure et demeurera à jamais dans son parjure. Nous étions alors dans la plus grande nécessité : les Turcs nous pressaient de tous côtés, si bien que nul n’osait sortir des tentes, car ceux-ci nous serraient d’une part et de l’autre la famine nous torturait, et toute aide, tout secours nous faisait défaut. La menue gent et les pauvres s’enfuyaient à Chypre[243], en Romanie, dans les montagnes, et surtout nous n’osions aller jusqu’à la mer par crainte des Turcs exécrables ; nous n’avions plus aucune issue.

[17.] Le sire Bohémond, informé qu’une gent innombrable de Turcs marchait contre nous[244] vint trouver les autres chefs avec prudence et leur dit[245] : « Seigneurs et très sages chevaliers, qu’allons-nous faire ? Nous ne sommes pas assez nombreux pour pouvoir combattre en deux corps. Mais savez-vous ce que nous ferons ? Divisons-nous en deux parties ; que les piétons restent à garder les pavillons et ils pourront suffisamment tenir tête à la garnison de la ville ; que les chevaliers viennent avec nous au-devant de nos ennemis qui ont pris leurs quartiers tout près de nous, au château d’Harenc et au pont du Far. »

Le soir étant venu, le sage Bohémond sortit de ses tentes avec les autres chevaliers, très prudents, et il alla passer la nuit entre le fleuve et le lac[246]. Au point du jour, il envoya des éclaireurs, afin de voir le nombre des escadrons turcs, leurs positions et leurs manœuvres. Ils sortirent et se mirent à rechercher habilement où étaient postés les corps turcs. Ils virent enfin des Turcs innombrables qui arrivaient du côté du fleuve, divisés en deux escadrons ; leur force principale venait en arrière. Les éclaireurs, en effet, revinrent rapidement en disant : « Les voilà ! Ils viennent ! Préparez-vous tous, car ils approchent » ; et le sage Bohémond dit aux autres : « Seigneurs et chevaliers invincibles, rangez-vous en bataille » ; et ils répondirent : « Tu es sage, tu es prudent, lu es grand et magnifique, tu es un vaillant vainqueur, l’arbitre des batailles, le juge des combats. Fais tout ceci, nous nous en remettons à toi, fais exécuter par toi et par nous tout ce que tu jugeras bon[247]. »

Bohémond ordonna alors que chacun des chefs plaçât son corps avec méthode. On fit ainsi, et six batailles furent ordonnées : cinq d’entre elles se groupèrent pour attaquer l’ennemi et Bohémond s’avançait lentement en arrière avec sa bataille. Les nôtres ayant pris contact heureusement avec l’ennemi, un corps à corps s’engagea, les cris résonnaient jusqu’au ciel, tous combattaient à la fois et des pluies de flèches obscurcissaient l’air.

Puis, lorsque arriva le gros de leur armée, demeuré en arrière, les nôtres furent attaqués avec un tel acharnement qu’ils reculaient déjà peu à peu. À cette vue, le très savant Bohémond gémit et appela son connétable[248] Robert, fils de Girard. Il lui dit : « Va aussi vite que tu peux comme un vaillant homme. Secours avec énergie la cause de Dieu et du Saint-Sépulcre et sache que cette guerre n’est pas charnelle, mais spirituelle. Sois donc le très courageux athlète du Christ ! Va en paix et que le Seigneur soit avec toi partout[249] ! » Et, muni de tous côtés du signe de la croix, tel un lion qui a souffert de la faim pendant trois ou quatre jours, sort de son antre en rugissant, altéré du sang des troupeaux, s’élance comme à l’improviste au milieu du bétail, déchirant les brebis qui fuient çà et là, ainsi il se comportait au milieu des rangs des Turcs ; et il les poursuivait si ardemment que les flammes de sa bannière[250] volaient par-dessus leurs têtes.

Les autres batailles, voyant la bannière de Bohémond précéder si honorablement les autres, arrêtèrent subitement leur retraite et tous les nôtres chargèrent d’un seul élan les Turcs qui, stupéfaits, prirent la fuite. Les nôtres les poursuivirent et les sabrèrent jusqu’au pont du Far[251]. Les Turcs regagnèrent rapidement leur camp, prirent tout ce qu’ils purent y trouver, saccagèrent le camp, y mirent le feu et s’enfuirent. Les Arméniens et les Syriens, informés que les Turcs avaient perdu la bataille, sortirent de leurs villages, se mirent en embuscade dans les défilés et en tuèrent ou en prirent un grand nombre.

Ainsi ce jour-là, par la volonté de Dieu, nos ennemis furent vaincus. Les nôtres parvinrent à recouvrer des chevaux[252] et beaucoup d’autres choses qui leur étaient très utiles. Ils apportèrent cent têtes de morts devant la porte de la ville, où les ambassadeurs de l’amiral de Babylone, envoyés à nos seigneurs, avaient pris leurs quartiers[253]. Ceux qui étaient restés au camp avaient combattu pendant toute la journée avec la garnison d’Antioche devant trois portes de la cité[254]. Cette bataille fut livrée le mardi avant le commencement du carême, cinq jours avant les ides de février[255], avec la protection de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit, Dieu dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !


[SEPTIÈME RÉCIT]
[Le siège d’Antioche, du 9 février 1097 au 8 mars 1098]

[18.] Grâce à Dieu, les nôtres revinrent triomphants et se réjouirent du triomphe qu’ils eurent en ce jour. Les ennemis, vaincus, étaient complètement en déroute ; ils continuaient à fuir, errant et vaguant çà et là, les uns en Khorassan, les autres pénétrant dans la terre des Sarrasins[256]. Mais nos chefs, voyant que la garnison de la ville nous harcelait et nous serrait de près, veillant nuit et jour et recherchant de quel côté elle pourrait nous nuire, s’assemblèrent en conseil[257] et dirent : « Avant de perdre notre gent, faisons un château à la Mahomerie[258], qui est devant la porte de la ville où se trouve le pont, et là nous pourrons peut-être resserrer à notre tour nos ennemis. »

Tous y consentirent et déclarèrent le projet excellent. Le comte de Saint-Gilles parla le premier : « Donnez-moi l’aide nécessaire pour établir ce château et je le fortifierai et le garderai. » Bohémond répondit : « Si vous le voulez, ainsi que les autres, j’irai avec vous à Port-Saint-Siméon[259], afin d’en ramener des hommes capables d’achever cet ouvrage[260] ; que ceux qui resteront ici se fortifient de tous les côtés pour se défendre. » Il fut fait ainsi.

Le comte et Bohémond partirent donc pour Port-Saint-Siméon[261]. Nous, qui restâmes groupés en un seul corps, nous commencions le château[262], quand, les Turcs s’étant préparés, firent une sortie et vinrent au-devant de nous pour combattre. Ils s’élancèrent sur nous, mirent les nôtres en fuite et en tuèrent plusieurs, ce qui nous causa une grande douleur[263].

Le lendemain[264] les Turcs, voyant que nos chefs étaient absents et s’étaient dirigés le jour précédent vers le port, se préparèrent et sortirent à la rencontre de ceux qui arrivaient du port. En voyant arriver le comte et Bohémond à la tête de cette troupe, ils se mirent à grincer des dents, à pousser des huées et de grands cris, puis enveloppèrent les nôtres, les criblèrent de javelots et de flèches, les blessèrent et les sabrèrent cruellement. Ils attaquèrent les nôtres avec une telle violence que ceux-ci prirent la fuite dans la haute montagne et partout où s’ouvrait une issue : quiconque put se dérober par une fuite rapide échappa vivant, quiconque ne put fuir trouva la mort[265]. Ce jour-là, plus de mille de nos chevaliers et de nos piétons[266] subirent le martyre et, comme nous le croyons, ils montèrent au ciel où ils reçurent la robe blanche du martyre.

Bohémond, de son côté, ne suivit pas le même chemin qu’eux, mais revint rapidement avec quelques chevaliers auprès de nous, qui étions groupés en un seul corps[267]. Enflammés par le massacre des nôtres, après avoir invoqué le nom du Christ et confiants dans l’espoir d’atteindre le Saint-Sépulcre, nous étant groupés ensemble, nous parvînmes à engager le combat avec eux et nous les attaquâmes d’un seul cœur et d’une seule âme. Les ennemis de Dieu et les nôtres se montrèrent stupéfaits et atterrés. Ils croyaient nous vaincre et nous exterminer comme ils l’avaient fait de la troupe du comte et de Bohémond, mais Dieu tout-puissant ne le leur permit pas. Les chevaliers du vrai Dieu, armés du signe de la croix, s’élancèrent sur eux avec violence et les attaquèrent vaillamment. Eux s’enfuirent rapidement par le pont étroit jusqu’à l’entrée de la ville ; ceux qui ne purent traverser le pont vivants, par suite de la cohue que formaient les hommes et les chevaux[268], reçurent là une mort éternelle avec le diable et ses anges[269].

Et nous, ayant pris le dessus, nous les poussions et les précipitions dans le fleuve. Les flots rapides du fleuve étaient rougis du sang des Turcs et, si l’un d’eux cherchait à grimper sur les piles du pont ou s’efforçait de gagner la terre à la nage, il était blessé par les nôtres qui couvraient la rive du fleuve. La rumeur et les cris des nôtres et des ennemis résonnaient jusqu’au ciel. Des pluies de traits et de flèches couvraient le pôle et la clarté du jour ; les femmes chrétiennes de la ville apparaissaient aux créneaux des murailles et regardaient le misérable sort des Turcs en y applaudissant en cachette ; par ordre des chefs turcs, des Arméniens et des Syriens, de gré ou de force, nous lançaient des flèches. Douze émirs turcs perdirent dans ce combat leur corps et leur âme, ainsi que d’autres très prudents et vaillants guerriers qui comptaient parmi les meilleurs défenseurs de la ville, dont le nombre fut de 1 500[270]. Les autres, restés vivants, n’osaient plus pousser des cris ou des huées, soit la nuit, soit le jour, comme ils en avaient l’habitude. La nuit seule parvint à nous séparer, eux et nous. Ce fut la nuit qui arrêta les deux partis en train de combattre à coups de lances, d’épées ou de flèches. Nos ennemis furent ainsi vaincus par la puissance de Dieu et du Saint-Sépulcre et, dans la suite, ils n’eurent plus le même ressort qu’auparavant, soit pour crier, soit pour agir. Et nous, ce jour-là, nous nous refîmes bien en ressources nécessaires et, en particulier, en chevaux[271].

Le lendemain[272], au point du jour, d’autres Turcs sortirent de la ville et rassemblèrent les cadavres fétides de leurs morts qu’ils purent trouver sur la rive du fleuve, puis ils les ensevelirent à la Mahomerie située au delà du pont[273], devant la porte de la ville. Avec les corps ils ensevelirent des manteaux, des besants[274], des pièces d’or, des arcs, des flèches et autres objets que nous ne pouvons nommer. Les nôtres, apprenant que les Turcs avaient ainsi enseveli leurs morts, tous se préparèrent et vinrent en toute hâte au diabolique édifice. Ils ordonnèrent d’exhumer les cadavres, de briser les tombes et de les tramer hors des sépulcres. Tous les cadavres furent jetés dans une fosse et les têtes coupées furent apportées au camp, afin qu’on pût en savoir le nombre, sauf qu’ils avaient chargé de têtes quatre chevaux des ambassadeurs de l’amiral de Babylone et les avaient envoyés vers la mer[275]. À cette vue, les Turcs furent saisis de douleur et d’une tristesse mortelle. Chaque jour ils se lamentaient et ne faisaient pas autre chose que de pleurer et pousser des cris.

Le troisième jour[276], nous nous réunîmes tout joyeux pour construire le château dont il a été question avec les pierres que nous enlevions aux tombes des Turcs[277]. Une fois le château terminé, nous commençâmes à resserrer de tous les côtés nos ennemis, dont l’orgueil était déjà réduit à néant. Quant à nous, nous allions en toute sécurité n’importe où, au port ou dans les montagnes, louant et glorifiant notre Dieu, à qui reviennent gloire et honneur dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !


[HUITIÈME RÉCIT]
[Fin du siège et prise d’Antioche (8 mars-3 juin 1098)]

[19.] Déjà toutes les issues étaient à peu près interdites aux Turcs et coupées, sauf dans la partie du fleuve où se trouvaient un château et un monastère[278]. Et si nous garnissions ce château d’une force suffisante, nul d’entre eux n’oserait plus franchir une porte de la cité. Aussi les nôtres tinrent conseil et dirent d’une voix unanime : « Choisissons l’un d’entre nous pour tenir fortement ce château et interdire à nos ennemis l’accès de la plaine et de la montagne, ainsi que toute sortie, toute entrée dans la ville[279]. » Tancrède, le premier, se présenta devant les autres et dit : « Si je savais quel profit me reviendra, j’occuperais le château avec mes seuls hommes et, quant à la route par laquelle nos ennemis ont l’habitude de nous harceler si souvent, je la leur interdirais vigoureusement. » On lui promit aussitôt 400 marcs d’argent[280].

Sans même souffler, Tancrède partit avec ses valeureux chevaliers et sergents[281] et, immédiatement, il intercepta tout chemin aux Turcs, si bien qu’aucun d’eux — ils étaient déjà frappés de terreur — n’osa plus franchir une porte de la ville pour amasser du fourrage, du bois ou toute autre denrée nécessaire. Tancrède demeura là avec les siens et commença à bloquer la ville de toute part.

Le même jour[282], un fort parti d’Arméniens et de Syriens s’en venait en toute sécurité des montagnes, portant aux Turcs des aliments pour ravitailler la ville. Tancrède alla à leur rencontre et les captura, ainsi que toutes leurs provisions, blé, vin, orge, huile et autres denrées de ce genre. Ainsi Tancrède manifestait sa force et faisait merveille : avant qu’Antioche fût prise, il avait déjà interdit et coupé aux Turcs toutes les issues.

Il m’est impossible de raconter tout ce que nous fîmes avant la prise de la ville[283] ; nul de ceux qui se trouvent dans ces régions[284], clerc ou laïque, ne pourrait écrire ou narrer entièrement comment les choses se passèrent. J’en dirai cependant quelque peu.

[20.] Il y avait un amiral de race turque, nommé Pirrus[285], qui s’était lié d’une grande amitié avec Bohémond. Souvent Bohémond l’engageait, au cours des messages qu’ils s’envoyaient mutuellement, à le recevoir dans son amitié ; il lui promettait en retour de l’admettre dans la chrétienté et lui faisait espérer des richesses et de grands honneurs[286]. Pirrus acquiesça à ces paroles et à ces promesses en disant : « Je garde trois tours ; je les lui promets volontiers et, à l’heure où il voudra, je l’y recevrai. »

Assuré ainsi d’entrer dans la ville, Bohémond se réjouit : tranquillisé, il aborda les autres seigneurs avec un visage calme et leur dit joyeusement : « Chevaliers très prudents, considérez dans quelle pauvreté, dans quelle misère nous sommes tous, grands et petits, et nous ignorons à peu près de quel côté nos affaires s’amélioreront. Donc, si cela vous paraît bon et honorable, que l’un d’entre nous se désigne devant les autres et si, d’une manière quelconque ou par son industrie, il parvient à acquérir ou à emporter d’assaut[287] la cité, soit par lui-même, soit par d’autres, concédons-lui sa possession d’une voix unanime. » Mais ceux-ci refusèrent et s’y opposèrent en disant : « Nul ne recevra la possession de cette cité, mais nous l’aurons tous à part égale ; nous avons supporté tous les mêmes travaux, nous recevrons tous le même honneur. » Bohémond, a ces mots, sourit légèrement et se retira aussitôt.

Peu après, nous reçûmes des nouvelles de l’armée de nos ennemis[288], Turcs, Publicains, Azymites[289] et autres nations. Aussitôt nos chefs se réunirent et tinrent conseil[290] en disant : « Si Bohémond peut acquérir la cité par soi-même ou par d’autres, nous lui en faisons don bien volontiers, à cette condition que, si l’empereur vient à notre secours et veut observer la convention qu’il nous a promise et jurée, nous lui remettrons la ville de droit, même dans le cas où Bohémond l’aurait en sa possession[291]. »

Bientôt Bohémond commença à presser son ami humblement par des demandes quotidiennes, lui promettant toute espèce d’égards et d’avantages en ces termes : « Voici venir le moment favorable où nous pourrons accomplir le bien que nous avons résolu : que mon ami Pirrus m’accorde maintenant son aide. » Celui-ci, enchanté, déclara qu’il l’aiderait comme il devait le faire. La nuit suivante[292], il envoya à Bohémond son propre fils en otage, afin de lui confirmer qu’il lui livrerait l’entrée de la ville, et lui adressa ce message : « Que demain toute l’armée franque soit convoquée par lui, comme s’il s’agissait d’aller dévaster la terre des Sarrasins, qu’il dissimule et revienne rapidement par la montagne à droite[293]. Et moi, observant ces troupes avec attention, je les attendrai et les recevrai dans les tours que j’ai en mon pouvoir et sous ma garde. »

Aussitôt, Bohémond fit venir un de ses sergents[294], appelé Male Couronne, et lui prescrivit, comme à un héraut, de convoquer la grande armée des Francs, afin qu’elle se préparât fidèlement à pénétrer dans la terre des Sarrasins : ainsi fut fait. Bohémond confia ce dessein au duc Godefroi, au comte de Flandre et aussi au comte de Saint-Gilles et à l’évêque du Puy[295] en disant : « Si la grâce de Dieu nous favorise, c’est cette nuit que nous sera livrée Antioche[296]. »

Tout fut donc disposé ainsi : les chevaliers tinrent la plaine, les piétons la montagne ; toute la nuit ils marchèrent et chevauchèrent jusqu’à l’aurore[297], puis ils s’approchèrent des tours, dont le gardien avait veillé toute la nuit. Aussitôt, Bohémond mit pied à terre et donna ses instructions à tous par ces mots : « Allez en toute sécurité et en bon accord ; montez par l’échelle jusqu’à Antioche, que nous aurons bientôt, s’il plaît à Dieu, sous notre garde. » Ils vinrent jusqu’à l’échelle qui était dressée et fortement liée aux murs de la cité ; environ soixante hommes des nôtres l’escaladèrent et furent répartis entre les tours dont il avait la garde. Pirrus, voyant que si peu des nôtres étaient montés, commença à craindre, redoutant pour lui et les nôtres de tomber entre les mains des Turcs. « Μικροὺς Φράγκους ἔχομεν », s’écria-t-il (c’est-à-dire : nous avons peu de Francs[298]). « Où est donc cet ardent Bohémond ? Où est cet invincible ? » Au même moment un sergent longobard[299] redescendit et, courant précipitamment à Bohémond, lui dit : « Que fais-tu là, homme prudent ? Pourquoi es-tu venu ici ? Voici que nous tenons déjà trois tours ! » Excité par ces mots, il rejoignit les autres, et tous parvinrent joyeusement à l’échelle.

À cette vue, ceux qui étaient déjà dans les tours se mirent à crier d’une voix joyeuse : « Dieu le veut ! » Nous-mêmes poussions le même cri[300]. Alors commença l’escalade merveilleuse ; ils atteignirent enfin le faîte et coururent à la hâte aux autres tours ; ils massacraient tous ceux qu’ils y trouvaient, et le frère de Pirrus périt ainsi. Puis l’échelle par laquelle avait lieu notre escalade se rompit, ce qui nous plongea dans une grande angoisse et dans la tristesse. Cependant, bien que l’échelle fût rompue, il y avait à notre gauche une porte fermée, ignorée de quelques-uns. Il faisait encore nuit, mais, en tâtonnant et en cherchant, nous finîmes par la trouver : tous nous y courûmes et, après l’avoir brisée, nous entrâmes grâce à elle[301].

À ce moment, une immense clameur résonnait dans toute la ville. Bohémond ne perdit pas de temps, mais il ordonna que sa glorieuse bannière fût arborée sur une éminence en face du château[302]. Au point du jour, ceux qui étaient encore dans leurs tentes entendirent la rumeur immense qui retentissait dans la ville. Étant sortis à la hâte, ils virent flotter la bannière de Bohémond sur une hauteur ; aussitôt entraînés par une course rapide, ils pénétrèrent dans la ville à travers les portes et massacrèrent les Turcs et les Sarrasins qu’ils rencontrèrent, à l’exception de ceux qui parvinrent à fuir dans la citadelle du haut[303] : d’autres Turcs sortirent par les portes et durent leur salut à la fuite[304].

Cassian[305], leur seigneur, se mit aussi à fuir avec beaucoup d’autres qui étaient à sa suite et, en fuyant, il parvint dans la terre de Tancrède[306], non loin de la cité. Comme leurs chevaux étaient fatigués, ils pénétrèrent dans un casal[307] et se réfugièrent dans une maison. Mais ils furent reconnus par les habitants, des Syriens et des Arméniens, qui saisirent aussitôt Cassian et lui coupèrent la tête, qu’ils portèrent à Bohémond, afin d’obtenir leur liberté[308]. Le ceinturon et le fourreau de son cimeterre furent vendus soixante besants[309].

Ces événements eurent lieu le troisième jour de juin, cinquième férié, trois jours avant les nones de juin. Toutes les places de la ville étaient encombrées de cadavres, au point que nul ne pouvait y séjourner à cause de la puanteur. On ne pouvait circuler dans les rues qu’en marchant sur les cadavres des morts.


[NEUVIÈME RÉCIT]
[Siège d’Antioche par les Turcs (5-28 juin 1098)]

[21.] Courbaram[310], chef de la milice du soudan de Perse[311], étant encore en Khorassan, avait reçu de Cassian, amiral d’Antioche, plusieurs messages qui lui demandaient de le secourir en temps opportun, car, tombé dans le plus grave embarras, il était assiégé dans Antioche par la courageuse nation des Francs. Si Courbaram lui fournissait des secours, il lui livrerait la ville d’Antioche ou, du moins, lui donnerait une riche récompense. Courbaram avait réuni depuis longtemps déjà une grande armée de Turcs. Ayant reçu du calife, qui est leur apostolique[312], licence de tuer les chrétiens, il prit immédiatement la longue route qui mène à Antioche.

L’amiral de Jérusalem vint à son aide avec son armée ; le roi de Damas vint aussi avec une grosse troupe et Courbaram rassembla des masses innombrables de païens. Turcs, Arabes, Sarrasins, Publicains, Azymites, Kurdes[313], Persans, Angulans et autres peuples innombrables. Les Angulans[314] étaient au nombre de trois cent mille et ne craignaient ni lances, ni flèches, ni aucune autre arme, car eux et leurs chevaux étaient entièrement couverts de fer et eux-mêmes ne voulaient porter d’autres armes au combat que des glaives. Tous vinrent assiéger Antioche, afin de disperser l’armée des Francs.

Comme ils approchaient de la ville, ils rencontrèrent Sensadolus[315], fils de Cassian, amiral d’Antioche. Il courut à Courbaram, en l’implorant avec des larmes, en lui disant : « Prince invincible, je t’en supplie, viens à mon secours, car les Francs m’assiègent de toute part dans la citadelle d’Antioche[316] et ils tiennent la ville en leur pouvoir et désirent nous chasser de la Romanie[317], de la Syrie et même du Khorassan. Ils ont accompli ce qu’ils voulaient et ont tué mon père ; il ne leur manque plus que de m’exterminer, ainsi que toi et tous ceux de notre race. Pour moi, je n’attends plus que ton aide et ton secours dans ce péril. » Courbaram répondit : « Si tu veux que je cherche de tout mon cœur à t’être utile et que je te secoure fidèlement dans ce péril, remets entre mes mains cette citadelle ; alors tu verras quel service je te rendrai, et je la ferai garder à mes hommes. » Sensadolus répartit : « Si tu peux tuer tous les Francs et me livrer leurs têtes, je te donnerai la citadelle, je te ferai hommage et je garderai cette citadelle dans ta fidélité. » Mais Courbaram : « Non, dit-il, ce n’est pas cela, mais c’est tout de suite qu’il faut remettre ton château entre mes mains. » Bon gré, mal gré, il dut lui livrer la citadelle[318].

Le troisième jour après notre entrée dans la ville[319], leurs éclaireurs parurent sous les murs et leur armée campa au pont du Far[320]. Ils prirent d’assaut une tour[321] et massacrèrent tous ceux qu’ils y trouvèrent, et personne d’entre eux n’échappa à la mort, sauf leur chef, que nous trouvâmes chargé de chaînes après la grande bataille[322].

Le lendemain[323], l’armée païenne, s’étant ébranlée, approcha de la ville et vint camper entre les deux fleuves[324], où elle resta deux jours[325]. Puis, ayant reçu livraison de la citadelle[326], Courbaram appela un amiral de sa suite, qu’il savait sincère, doux et pacifique, et lui dit : « Je veux que tu entres dans ma fidélité pour garder cette citadelle, car je connais ta fidélité de longue date et je t’adjure de garder cette citadelle avec soin. » L’amiral lui répondit : « Je préférerais n’obéir jamais à un pareil ordre ; cependant je le ferai, à cette condition que, si les Francs vous repoussent par un combat meurtrier, je leur livrerai immédiatement ce château. » Courbaram lui répondit : « Je connais assez ton honnêteté et ta prudence pour consentir à tout ce que tu jugeras bon de faire. »

Courbaram revint à son armée, et les Turcs, voulant se moquer des Francs, apportèrent en sa présence une épée de peu de prix, toute couverte de rouille, un arc noirci et une lance hors d’usage qu’ils venaient d’enlever à de pauvres pèlerins, et lui dirent : « Voici les armes que les Francs ont apportées pour nous combattre. » Courbaram, souriant, dit en présence de tous : « Telles sont les armes belliqueuses et brillantes que les chrétiens ont apportées pour nous surmonter en Asie et avec lesquelles ils pensent avec confiance nous chasser au delà du Khorassan et détruire notre nom jusque par delà les fleuves des Amazones[327], eux qui ont expulsé nos parents de la Romanie et d’Antioche, cette ville royale, capitale magnifique de toute la Syrie[328]. »

Aussitôt il convoqua son notaire et lui dit : « Écris tout de suite plusieurs chartes qui seront lues en Khorassan, à savoir : À notre calife apostolique[329] et à notre seigneur-roi le soudan, chevalier très courageux, et à tous les sages chevaliers du Khorassan, salut et grand honneur ! Puissent-ils être gais et, dans une joyeuse concorde, donner satisfaction à leur ventre, commander et pérorer dans toute la région, s’adonner à leur fougue et à leur luxure et engendrer beaucoup de fils capables de combattre vaillamment contre les chrétiens. Qu’ils veuillent bien accepter ces trois armes que nous avons enlevées à une troupe de Francs et qu’ils apprennent quel genre d’armes le peuple franc a apportées pour nous vaincre. Que tous sachent encore que je tiens les Francs enfermés dans Antioche, que j’occupe la citadelle à ma volonté, tandis qu’ils se trouvent en bas dans la ville. Ils sont déjà tous en mon pouvoir et ils seront ou condamnés à mort ou conduits en captivité dans le Khorassan, parce qu’ils nous menacent de nous repousser par leurs armes et de nous expulser hors de nos frontières, comme ils ont expulsé nos parents de Romanie ou de Syrie. Et je vous fais serment par Mahomet et par les noms de tous nos dieux[330] que je ne reparaîtrai pas en votre présence avant d’avoir acquis de ma forte main la ville royale d’Antioche, toute la Syrie et la Romanie et la Bulgarie jusqu’à l’Apulie, en l’honneur de nos dieux, de vous et de tous ceux qui sont de la race turque. » Telle fut sa conclusion.

[22.] La mère du même Courbaram, qui se trouvait dans la ville d’Alep, vint le trouver et lui dit tout en larmes[331] : « Fils, est-ce vrai ce que j’apprends ? » — « Quoi ? » répondit-il. — « J’ai appris, dit-elle, que tu veux engager la bataille avec l’armée des Francs. » — « Sache que c’est vrai. » — « Je t’adjure, mon fils, par les noms de tous les dieux et par ton bon naturel, de ne pas engager la bataille avec les Francs. Chevalier invincible, nul ne t’a jamais vu sur le terrain fuir devant un vainqueur. Ta chevalerie est renommée, et partout les meilleurs chevaliers tremblent en entendant ton nom. Nous savons suffisamment, fils, que tu es un guerrier puissant, courageux, savant dans l’art de la guerre : aucune nation chrétienne ou païenne n’a pu manifester sa force devant ta face, mais on les voyait fuir au seul bruit de ton nom, comme des brebis fuient devant la fureur d’un lion. Pour ces raisons, je te supplie, très cher fils, d’écouter mes conseils et de ne jamais discuter la possibilité ou caresser le dessein de commencer la guerre contre la nation chrétienne. »

À ces remontrances maternelles, Courbaram répondit fièrement : « Qu’est-ce donc, ma mère ? Que me racontes-tu là ? Es-tu folle et la proie des furies ? J’ai avec moi plus d’émirs qu’il n’y a de chrétiens, grands ou petits ». — « Très doux fils, répondit sa mère, les chrétiens ne peuvent soutenir le combat contre vous ; je sais qu’ils sont incapables d’engager la bataille contre nous, mais leur Dieu combat chaque jour pour eux ; jour et nuit il les défend par sa protection, comme un pasteur veille sur son troupeau, et il ne permet pas qu’ils soient lésés ou troublés par une nation quelconque ; et ceux qui veulent leur résister, leur Dieu les trouble à leur tour, comme il l’a dit par la bouche du prophète David : Dissipe les nations qui veulent la guerre[332], et ailleurs : Déverse ta colère sur les nations qui ne t’ont pas connu et sur les royaumes qui n’ont pas invoqué ton nom[333]. Avant même qu’ils se soient préparés à commencer une guerre, leur Dieu tout-puissant et invincible a déjà vaincu tous leurs ennemis avec ses saints ; à plus forte raison, que fera-t-il de vous qui êtes ses ennemis et qui vous préparez à leur résister de toute votre force ? Sache-le, mon très cher, en toute vérité : ces chrétiens sont appelés les fils du Christ et, par la bouche des prophètes, les fils de l’adoption et de la promesse[334] et, suivant l’apôtre, ils sont les héritiers du Christ[335]. C’est à eux que le Christ a déjà donné l’héritage qu’il avait promis, lorsqu’il disait par les prophètes : Du levant au couchant seront vos frontières et nul ne se dressera contre vous[336]. Qui pourrait contredire ces paroles ou s’y opposer ? Certainement, si tu commences la guerre contre eux, tu en retireras un grand dommage et la honte, tu perdras beaucoup de tes fidèles chevaliers, tu abandonneras tout ton butin et tu t’enfuiras saisi de terreur. D’ailleurs, tu ne mourras pas dans cette bataille, mais au cours de cette année[337], car Dieu, dans sa colère, ne juge pas de suite celui qui l’a offensé, mais, au moment voulu par lui, il en tire une vengeance éclatante, et voilà pourquoi je crains qu’il ne te juge digne d’un châtiment sévère. Tu ne mourras pas, dis-je, mais tu vas perdre tout ce que tu possèdes à présent. »

Remué jusqu’au plus profond de ses entrailles, Courbaram, à ce discours maternel, répondit : « Très chère mère, je t’en supplie, qui t’a dit tout cela de la race chrétienne, que leur Dieu les aime tellement, qu’il ait en lui une telle puissance pour combattre, que ces chrétiens nous vaincront devant Antioche, qu’ils s’empareront de nos dépouilles, qu’ils nous poursuivront après une grande victoire et que je dois mourir dans l’année de mort subite ? »

Sa mère lui répondit avec tristesse : « Très cher fils, voilà plus de cent ans que l’on a découvert dans notre livre[338] et dans les écrits des païens que la gent chrétienne nous attaquera et nous vaincra partout, qu’elle régnera sur les païens et que notre race lui sera soumise, mais j’ignore si tous ces événements doivent se produire maintenant ou plus tard[339]. Remplie de chagrin, je t’ai suivie d’Alep, ville magnifique, dans laquelle, par des observations et des recherches ingénieuses, j’ai lu dans les astres et j’ai interrogé les planètes et les douze signes[340] et les innombrables présages. Dans tous, j’ai trouvé que la gent chrétienne nous vaincra partout, et je tremble pour toi, dans ma tristesse, redoutant de rester privée de toi. »

Courbaram lui dit : « Mère chérie, dis-moi tout ce que mon cœur se refuse à croire. » — « Je le ferai volontiers, très cher, répondit-elle, si je sais les choses qui te sont inconnues. » — « Bohémond et Tancrède, reprit-il, ne sont pourtant pas les dieux des Francs et ne les délivrent pas de leurs ennemis parce qu’ils mangent en un seul repas 2 000 vaches et 4 000 porcs[341] ! » — « Très cher fils, dit la mère, Bohémond et Tancrède sont mortels comme tout le monde, mais leur Dieu les préfère à tous les autres et leur donne la force de combattre avant tous les autres ; car leur Dieu, son nom est tout-puissant, a fait le ciel et la terre et a créé les mers et tout ce qu’elles renferment[342] ; son trône a été préparé au ciel éternellement, sa puissance est partout à craindre. » — « S’il en est ainsi, répartit le fils, je ne cesserai pas de les combattre. » La mère, entendant qu’il ne voulait pas céder à ses objurgations, retourna, pleine de tristesse, à Alep, non sans emporter avec elle tout le butin qu’elle put y conduire.

[23.] Le troisième jour[343], Courbaram s’arma et un gros de Turcs s’approcha avec lui de la cité, du côté où se trouvait le château[344]. Nous, pensant que nous pourrions leur résister, nous nous préparâmes à les combattre ; mais ils déployèrent une telle vigueur que nous ne pûmes leur résister, et ce fut par force que nous rentrâmes dans la ville, dont la porte se trouva si resserrée et si étroite que beaucoup y moururent étouffes par leurs compagnons[345].

Les uns combattaient hors de la ville, les autres à l’intérieur, le jour de la cinquième férié, pendant toute la journée jusqu’au soir[346]. Sur ces entrefaites, Guillaume de Grandmesnil et son frère Aubri[347], Gui Trousseau[348] et Lambert le Pauvre[349], terrifiés par le combat de la veille, qui avait duré jusqu’au soir, s’enfuirent secrètement la nuit le long du mur[350] du côté de la mer, si bien que de leurs pieds et de leurs mains il ne restait plus que les os[351], et beaucoup, qui me sont inconnus, s’enfuirent avec eux[352]. Arrivés aux navires qui se trouvaient à Port-Saint-Siméon, ils dirent aux matelots : « Que faites-vous là, malheureux ? Tous les nôtres sont tués, et c’est à grand’peine que nous-mêmes avons échappé à la mort, car l’armée turque nous assiège dans la ville de tous côtés. » À ces mots, ceux-ci restèrent stupéfaits, puis, frappés de terreur, ils coururent à leurs navires et se mirent à la mer[353]. Puis les Turcs survinrent et tuèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, mirent le feu aux navires embossés dans le lit du fleuve et s’emparèrent de leurs dépouilles.

Nous qui restâmes, nous ne pouvions plus supporter le poids de leurs armes et nous établîmes entre eux et nous un mur[354] que nous gardions jour et nuit. Au même moment, nous fûmes tellement resserrés par le blocus que nous mangions nos chevaux et nos ânes[355].

[24.] Un jour, nos chefs se trouvaient dans la ville haute, devant le château, pleins de tristesse et de douleur, lorsqu’un prêtre[356] parut devant eux et leur dit : « Seigneurs, écoutez, s’il vous plaît, ce que j’ai vu dans une vision : j’étais couché la nuit dans l’église de Sainte-Marie, mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsque m’apparut le Sauveur du monde avec sa mère et le bienheureux Pierre, prince des Apôtres, et il se tint devant moi et me dit : « Me reconnais-tu ? » À quoi je répondis : « Non. » À ces mots, une croix entière m’apparut sur sa tête[357]. De nouveau, le Seigneur m’interrogea : « Me reconnais-tu ? » — « Je ne te reconnaîtrais pas, lui dis-je, si je ne voyais sur ta tête une croix semblable à celle de notre Sauveur. » — « Je le suis, dit-il. » Aussitôt je tombai à ses pieds en le suppliant humblement de nous secourir dans les calamités qui nous opprimaient. Le Seigneur répondit : « Je vous ai bien aidés et je vais vous aider. J’ai permis que vous vous empariez de Nicée et je vous ai conduits jusqu’ici. J’ai compati à la misère que vous avez supportée pendant le siège d’Antioche ; grâce à mon secours opportun, vous êtes entrés dans la ville sains et saufs, et voici que vous vous êtes livrés à de criminelles amours avec les mauvaises femmes chrétiennes et païennes, d’où une immense puanteur est montée jusqu’au ciel[358]. » Alors, la Vierge vénérable et le bienheureux Pierre tombèrent à ses pieds[359] en le suppliant et le priant pour qu’il aidât son peuple dans cette tribulation, et le bienheureux Pierre lui » dit : « Seigneur, la gent païenne a occupé trop longtemps ma maison[360], qui a subi de son fait des maux inexprimables ; et maintenant, Seigneur, les ennemis sont expulsés et les anges se réjouissent dans les cieux » ; et le Seigneur me dit : « Va et dis à mon peuple qu’il revienne à moi et je reviendrai à lui. D’ici à cinq jours je lui enverrai un grand secours et qu’il chante chaque jour le répons : Ils se sont rassemblés, complètement avec le vers[361]. » Sires, si vous ne croyez pas que cela soit vrai, permettez-moi de monter sur cette tour et je me jetterai en bas ; si je suis sauf, ajoutez foi à ceci, et si je subis quelque mal, décapitez-moi ou jetez-moi au feu[362]. »

Alors l’évêque du Puy ordonna d’apporter les Évangiles et la croix, afin qu’il jurât la véracité de ces faits. À cette heure, nos chefs prirent la résolution de jurer par le sacrement[363] que nul d’entre eux, tant qu’ils seraient vivants, ne fuirait ni pour échapper à la mort ni pour sauver sa vie. On dit[364] que Bohémond jura le premier, puis ce fut au tour du comte de Saint-Gilles, de Robert de Normandie, du duc Godefroi et du comte de Flandre. Tancrède jura en ces termes que, tant qu’il aurait avec lui quarante chevaliers, il ne s’écarterait pas non seulement de cette guerre, mais même de la route du Saint-Sépulcre. À la nouvelle de ce serment, toute l’armée chrétienne exulta[365].

[25.] Il y avait un pèlerin de notre armée, Pierre était son nom[366], à qui, avant notre entrée dans la ville, l’apôtre saint André apparut[367] en lui disant : « Que fais-tu, mon brave ? » — « Toi, qui es-tu ? répondit-il. » L’apôtre lui dit : « Je suis l’apôtre André. Apprends, mon fils, que quand tu entreras dans la ville, si tu te rends à l’église Saint-Pierre, tu y trouveras la lance de notre Sauveur Jésus-Christ[368], par laquelle il fut blessé lorsqu’il était suspendu au gibet de la croix. » Après avoir dit ces mots, l’apôtre disparut.

Cet homme, craignant de révéler le conseil de l’apôtre, s’abstint d’en faire part à nos pèlerins. Il pensait qu’il n’avait eu qu’une vision et il lui dit : « Seigneur, qui pourrait le croire ? » À l’heure même, saint André le prit et le conduisit à l’endroit où la lance était cachée dans la terre. Au moment où nous nous trouvions dans la situation décrite plus haut[369], saint André revint et lui dit : « Pourquoi n’as-tu pas enlevé la lance de la terre, comme je te l’ai recommandé ? Sache que quiconque portera cette lance dans la bataille ne sera jamais vaincu. »

Aussitôt Pierre révéla le mystère de l’apôtre à nos hommes[370]. Le peuple n’y croyait pas, mais le repoussait en disant : « Comment croire cela ? » Ils étaient en effet dans l’épouvante et s’attendaient à une mort immédiate. Pierre vint donc et jura que tout était absolument vrai, que saint André lui était apparu deux fois[371] et lui avait dit : « Lève-toi, va et dis au peuple de Dieu de ne rien craindre, mais de croire fermement de tout son cœur en un seul vrai Dieu, et partout il sera vainqueur ; dans les cinq jours, le Seigneur lui enverra un message qui le comblera de joie et d’allégresse et, s’il veut combattre, dès qu’il sortira d’un cœur unanime pour la bataille, tous ses ennemis seront vaincus et nul ne se lèvera plus contre lui. » À la nouvelle que leurs ennemis allaient être entièrement vaincus par eux, tous commencèrent à respirer et ils se réconfortaient les uns les autres en disant : « Réveillez-vous et soyez en tout lieu braves et prudents, car bientôt Dieu nous viendra en aide et il y aura un grand réconfort pour son peuple, qu’il voit maintenant dans l’affliction. »

[26.] Les Turcs qui se trouvaient en haut dans la citadelle nous serraient de si près de toute part qu’un jour ils réussirent à bloquer trois de nos chevaliers dans une tour située devant leur citadelle. Les païens, en effet, avaient fait une sortie et les avaient chargés avec une telle violence qu’ils n’avaient pu supporter leur choc. Deux chevaliers blessés sortirent de la tour. Le troisième se défendait bravement de l’invasion des Turcs, pendant tout un jour, avec une telle vaillance que le même jour il abattit deux Turcs aux abords du mur[372], après avoir rompu des lances : car trois lances, ce jour-là, furent brisées entre ses mains, et ceux-ci subirent la sentence mortelle. Son nom était Hugue le Forcené, de la bande de Geoffroi de Monte-Scabioso[373].

Puis l’honorable Bohémond, voyant qu’il lui était impossible de trouver des hommes pour combattre devant la citadelle — car, enfermés dans leurs maisons, ils tremblaient, les uns à cause de la famine, les autres par crainte des Turcs — entra dans une grande colère et donna l’ordre de mettre le feu à la ville, du côté où se trouvait le palais de Cassian[374]. À cette vue, ceux qui étaient dans la ville abandonnèrent leurs maisons et tous leurs biens et s’enfuirent, les uns vers le château[375], les autres à la porte du comte de Saint-Gilles[376], d’autres à celle du duc Godefroi[377], chacun vers la bande à laquelle il appartenait. À ce moment s’éleva une grande tempête de vent, au point que personne ne pouvait se tenir droit. Bohémond le Sage en fut très affligé, craignant pour l’église Saint-Pierre, pour celle de Sainte-Marie et pour les autres églises. Cette fureur dura de la troisième heure au milieu de la nuit : deux mille églises et habitations furent incendiées[378]. Puis, vers minuit, toute la violence du feu tomba.

Les Turcs, enfermés dans la citadelle, à l’intérieur de la ville, ne cessaient de nous combattre jour et nuit et nous n’étions séparés d’eux que par nos armes. Les nôtres, voyant qu’ils ne pouvaient endurer plus longtemps ces souffrances car il n’était plus permis à qui avait du pain de le manger, à qui avait de l’eau de la boire, établirent un mur avec de la pierre et de la chaux entre eux et nous et construisirent un château garni de machines pour assurer notre sécurité[379]. Une partie des Turcs demeura dans la citadelle à nous combattre ; l’autre partie prit quartier dans une vallée, près de la citadelle[380].

La nuit survenant, un feu apparut dans le ciel, venant de l’ouest[381], et, en approchant, il tomba au milieu de l’armée turque, à la grande stupeur des nôtres et des Turcs. Au matin, les Turcs, épouvantés, s’enfuirent, par crainte du météore, jusqu’à la porte de Bohémond[382] et y établirent leur quartier. La garnison de la citadelle continuait à attaquer les nôtres jour et nuit, en les blessant ou les tuant à coups de flèches ; le reste des Turcs assiégeait la ville de tous côtés, si bien que nul des nôtres n’osait en sortir ou y entrer, si ce n’est la nuit et en cachette. Ainsi nous étions assiégés et resserrés par ces ennemis, dont le nombre était incommensurable[383].

Ces sacrilèges et ennemis de Dieu nous tenaient si étroitement bloqués dans Antioche que beaucoup moururent de faim. Un petit pain se vendait un besant[384] ; inutile de parler du vin. On mangeait et on vendait de la viande de cheval ou d’âne ; une poule valait quinze sous, un œuf deux sous, une noix un denier. Tout était hors de prix : la famine était si grande qu’on faisait cuire pour les manger des feuilles de figuier, de vigne, de chardon. D’autres faisaient cuire et mangeaient des peaux desséchées de chevaux, de chameaux, de bœufs, de buffles. Cette anxiété et ces angoisses de toute sorte, qu’il est impossible de rappeler, nous les avons souffertes pour le nom du Christ et pour rendre libre[385] la route du Saint-Sépulcre. Telles furent les tribulations, la famine et les terreurs auxquelles nous fûmes en proie pendant vingt-six jours[386].

[27.] Aussi, Étienne, comte de Chartres, l’insensé, que nos grands avaient élu comme chef suprême[387], feignit, avant qu’Antioche fût prise[388], d’être atteint d’une maladie et se retira honteusement dans une autre ville forte appelée Alexandrette[389]. Et nous, chaque jour, nous attendions qu’il vînt nous porter secours, enfermés que nous étions dans la ville sans aucune aide salutaire. Mais lui, ayant appris que l’armée des Turcs nous entourait et nous assiégeait, il gravit secrètement une montagne voisine qui se trouvait à proximité d’Antioche[390] et il aperçut les tentes innombrables. Saisi d’une grande terreur, il se retira et s’enfuit à la hâte avec sa troupe. Revenu dans son camp, il le déménagea et battit rapidement en retraite[391].

Arrivé en présence de l’empereur à Philomelium[392], il lui demanda une audience particulière et secrète. « Sache, lui dit-il, qu’Antioche a été réellement prise, mais la citadelle n’est pas prise et les nôtres sont assiégés étroitement et probablement tous exterminés par les Turcs. Reviens donc aussi vite que tu pourras, afin de ne pas tomber entre leurs mains, toi et l’armée que tu conduis[393]. »

Alors, l’empereur, frappé de terreur, fit venir en secret Gui, frère de Bohémond[394], et quelques autres[395]. « Seigneurs, leur dit-il, qu’allons-nous faire ? Voici que tous les nôtres sont arrêtés et assiégés étroitement et peut-être, à cette heure, ont tous été frappés mortellement de la main des Turcs ou conduits en captivité, comme ce misérable comte, qui a fui honteusement, le raconte. Si vous voulez, battons rapidement en retraite, afin de ne pas être atteints, comme ils l’ont été, d’une mort subite. »

En entendant ces mensonges, Gui, ce vaillant chevalier, se mit à pleurer avec tous les autres et à pousser de longs gémissements, et tous s’écriaient : « Ô vrai Dieu triple et un, pourquoi as-tu permis que ces choses s’accomplissent ? Pourquoi as-tu permis que le peuple qui te suivait tombât aux mains de ses ennemis, pourquoi as-tu abandonné si vite ceux qui voulaient rendre libre la route de ton sépulcre ? Certes, si la parole que nous avons entendue de la bouche de ces misérables est vraie, nous et tous les autres chrétiens nous t’abandonnerons, nous ne nous souviendrons plus de toi et pas un de nous n’osera plus jamais invoquer ton nom. » Ce discours parut amer à toute l’armée, si bien que nul d’entre eux, évêque, abbé, clerc ou laïque, n’osa plus invoquer le nom du Christ pendant plusieurs jours[396].

Personne, en effet, ne pouvait consoler Gui, qui pleurait, se frappait la poitrine, se tordait les doigts et s’écriait : « Oh ! mon seigneur Bohémond, honneur et ornement du monde, que le monde craignait et aimait ! Hélas ! quelle tristesse est la mienne ! Je n’ai pas mérité, dans ma douleur, de voir ta figure respectable, moi dont c’était le suprême désir ! Qui me donnera la possibilité de mourir pour toi, très doux ami, mon seigneur ? Pourquoi, lorsque je suis sorti du sein de ma mère, ne suis-je pas mort aussitôt ? Pourquoi suis-je parvenu jusqu’à ce jour néfaste ? Pourquoi n’ai-je pas été englouti dans ta mer ? Pourquoi ne suis-je pas tombé de cheval en me rompant le cou ? Plût à Dieu que j’eusse reçu avec toi un heureux martyre, afin de te voir périr d’une mort glorieuse ! »

Et comme tous accouraient pour le consoler et mettre fin à sa douleur, revenant à lui, il ajouta : « Vous croyez peut-être ce chevalier grisonnant et insensé[397] ? Ai-je jamais entendu dire qu’il ait accompli quelque exploit de chevalier ? Non ; il s’est dérobé avec honte et déshonneur, comme un vaurien et un misérable. Sachez que tout ce que ce malheureux raconte est entièrement faux. »

Sur ces entrefaites, l’empereur envoya ses ordres à ses hommes en ces termes : « Allez et conduisez tous les hommes de cette terre en Bulgarie. Parcourez le pays, dévastez tous les lieux, afin que, quand les Turcs viendront, ils ne puissent rien y trouver[398]. » Bon gré, mal gré, les noires durent rétrograder, plongés dans une douleur amère et mortelle ; beaucoup de pèlerins périrent de langueur ; incapables de suivre l’armée, ils s’arrêtaient et mouraient en chemin. Tous les autres revinrent à Constantinople[399].

[28.] Et nous, écoutant les discours de celui qui nous avait rapporté la révélation du Christ par les paroles de l’Apôtre[400], nous parvînmes en toute hâte à l’endroit de l’église Saint-Pierre[401] qu’il avait désigné. Treize hommes creusèrent du matin jusqu’au soir et cet homme découvrit la lance, comme il l’avait indiquée ; et on la reçut avec beaucoup de joie et de crainte, et une immense allégresse régna dans toute la ville[402].

À partir de ce moment, nous tînmes entre nous un conseil de guerre[403]. Nos chefs prirent ensuite la résolution de dépêcher un envoyé aux Turcs, ennemis du Christ, afin de les interroger d’une manière précise à l’aide d’un interprète en ces termes : « Pourquoi, dans leur orgueil, sont-ils entrés dans la terre des chrétiens et pourquoi y ont-ils établi leur camp et pourquoi font-ils périr et massacrent-ils les serviteurs du Christ ? » La délibération terminée, ils trouvèrent certains hommes, dont Pierre l’Ermite[404] et Herlouin, et leur donnèrent ces instructions : « Allez trouver l’armée maudite des Turcs et racontez-leur exactement tout ceci ; demandez-leur pourquoi, dans leur audace et leur orgueil, ils sont entrés dans la terre des chrétiens, qui est aussi la nôtre. »

À ces mots[405], les envoyés se retirèrent et se rendirent dans l’assemblée impie. Là, ils transmirent à Courbaram et aux autres leur message en ces termes : « Nos chefs et nos seigneurs sont extrêmement étonnés que vous ayez pénétré, pleins de témérité et d’orgueil, dans la terre des chrétiens, qui est aussi la leur. Peut-être pensons-nous et croyons-nous que vous êtes venus ici avec le dessein d’embrasser le christianisme, ou bien le motif de votre venue est-il de maltraiter les chrétiens de toutes les manières ? Tous nos chefs vous demandent unanimement de vous retirer de la terre de Dieu et des chrétiens que le bienheureux apôtre Pierre a convertie autrefois par sa prédication à la doctrine du Christ. Cependant, ils vous permettent encore d’emmener tout ce qui est à vous, chevaux, mulets, ânes, chameaux, brebis, bœufs, tout votre matériel et de le transporter où vous voudrez. »

Alors, Courbaram, chef de la garde du Soudan de Perse[406], et tous les autres, remplis d’orgueil, répondirent fièrement : « Votre Dieu, votre chrétienté, nous ne nous en soucions pas, nous ne les voulons pas et nous les repoussons complètement en même temps que vous. Nous sommes venus jusqu’ici parce que nous sommes très étonnés que les seigneurs et les chefs que vous mentionnez appellent leur une terre que nous avons enlevée à des nations efféminées. Voulez-vous connaître notre réponse ? Retournez au plus vite et dites à vos seigneurs que, s’ils veulent se faire Turcs et renier votre Dieu que vous adorez à genoux, ainsi que mépriser vos lois, nous leur donnerons cette terre et plus encore et des cités et des châteaux, au point que nul des vôtres ne restera piéton, mais tous seront chevaliers comme nous le sommes et nous les aurons toujours en grande amitié ; sinon, qu’ils sachent qu’ils subiront la peine de mort ou seront emmenés enchaînés dans le Khorassan en captivité perpétuelle et qu’ils seront nos esclaves et ceux de nos enfants dans tous les siècles. »

Nos envoyés revinrent rapidement et nous rapportèrent tout ce que leur avait répondu cette gent très cruelle. On raconte[407] que Herlouin, qui connaissait les deux langues, servit d’interprète à Pierre l’Ermite. Pendant ce temps, notre armée subissait deux épouvantes et ne savait que faire : d’un côté, en effet, nous étions minés par une famine atroce, de l’autre la crainte des Turcs nous obsédait.

[29.] Enfin, après avoir, pendant trois jours, accompli des jeûnes et suivi des processions d’une église à l’autre, tous confessèrent leurs péchés et, une fois absous, communièrent fidèlement au corps et au sang du Christ, distribuèrent des aumônes et firent célébrer des messes[408].

Puis, six corps de bataille[409] furent établis à l’intérieur de la ville. Dans le premier qui marchait en tête se trouvait Hugue le Mainsné avec les Français et le comte de Flandre ; dans le second le duc Godefroi avec sa troupe ; dans le troisième Robert de Normandie avec ses chevaliers ; le quatrième était commandé par l’évêque du Puy, qui portait avec lui la lance du Sauveur[410] ; il avait avec lui sa gent et la bande de Raimond, comte de Saint-Gilles, qui demeura en haut à la garde du château, par crainte des Turcs, pour les empêcher de descendre dans la ville[411] ; le cinquième corps comprenait Tancrède, fils du marquis, avec sa gent ; le sixième le prud’homme Bohémond et sa chevalerie. Nos évêques, prêtres, clercs et moines, revêtus des ornements sacrés, sortirent avec nous en portant des croix, priant et suppliant le Seigneur de nous sauver et de nous garder de tout mal. D’autres, montés au haut de la porte, la croix sainte dans leurs mains, faisaient sur nous le signe de la croix et nous bénissaient[412]. Disposés ainsi et protégés du signe de la croix, nous sortîmes par la porte située devant la Mahomerie[413].

Lorsque Courbaram vit les corps de bataille des Francs si bien ordonnés sortir l’un après l’autre, il dit : « Laissez-les sortir, nous ne les aurons que mieux en notre pouvoir[414]. » Mais, lorsqu’ils eurent franchi les portes et que Courbaram vit l’immense armée des Francs, il fut saisi de crainte[415]. Sur-le-champ, il manda à son amiral chargé de la surveillance générale[416] que, s’il voyait un feu allumé sur le front de l’armée, il fît sonner la retraite, car, dans ce cas, les Turcs auraient perdu la bataille.

Aussitôt, Courbaram commença à reculer lentement vers la montagne[417] et les nôtres les poursuivaient du même pas. Puis les Turcs se divisèrent une partie se dirigea vers la mer, tandis que les autres restaient sur place dans l’espoir de nous cerner entre eux[418]. Les nôtres s’en aperçurent et firent de même. Un septième corps de bataille fut ordonné avec des troupes du duc Godefroi et du comte de Normandie et placé sous le commandement de Rainaud[419]. On l’envoya à la rencontre des Turcs qui arrivaient de la mer. Les Turcs engagèrent le combat avec eux et tuèrent beaucoup des nôtres à coup de flèches. D’autres bataillons furent disposés depuis le fleuve jusqu’à la montagne sur un espace de deux milles.

Ces bataillons commencèrent à s’avancer des deux côtés et enveloppèrent les nôtres en les blessant à coups de javelots et de flèches[420]. On voyait aussi sortir de la montagne des troupes innombrables, montées sur des chevaux blancs, et blancs aussi étaient leurs étendards. À la vue de cette armée, les nôtres ne savaient ce qui arrivait ni quels étaient ces soldats, puis ils reconnurent que c’était un secours du Christ, dont les chefs étaient les saints Georges, Mercure et Démétrius. Ce témoignage doit être cru, car plusieurs des nôtres virent ces choses[421].

Les Turcs placés du côté de la mer, voyant qu’ils ne pouvaient tenir plus longtemps, allumèrent un feu d’herbes, afin que ceux qui étaient restés dans les tentes le vissent et prissent la fuite[422]. Ceux-ci, de leur côté, reconnaissant le signal, s’emparèrent de tous les objets de valeur et s’enfuirent. Les nôtres s’avançaient peu à peu en combattant vers le gros de leur armée, c’est-à-dire vers leur camp. Le duc Godefroi, le comte de Flandre, Hugue le Mainsné chevauchaient le long du fleuve où se trouvait le gros de leur armée[423]. Munis d’abord du signe de la croix, ils dirigèrent contre eux une attaque d’ensemble ; à cette vue, les autres batailles les chargèrent de même. Les Turcs et les Perses poussaient des cris et nous, invoquant le Dieu vivant et véritable, nous chargeâmes contre eux et, au nom de Jésus-Christ et du Saint-Sépulcre, nous engageâmes le combat et, avec l’aide de Dieu, nous les vainquîmes.

Les Turcs, épouvantés, prirent la fuite et les nôtres les poursuivirent jusqu’à leurs tentes. Mais les chevaliers du Christ aimaient mieux les poursuivre que de faire du butin et ils les poursuivirent jusqu’au pont du Far, puis jusqu’au château de Tancrède[424]. L’ennemi abandonna ses pavillons, de l’or, de l’argent, un mobilier abondant, des brebis, des bœufs, des chevaux, des mulets, des chameaux, des ânes, du blé, du vin, de la farine et beaucoup d’autres choses qui nous étaient nécessaires. Les Arméniens et les Syriens qui habitaient dans cette région, instruits de notre victoire les Turcs, coururent vers la montagne pour leur barrer la route et tuèrent tous ceux qu’ils purent prendre.

Nous regagnâmes la ville avec une grande joie, louant et bénissant Dieu qui donna la victoire à son peuple. L’amiral qui avait la garde du château[425], voyant Courbaram et tous les autres s’enfuir du champ de bataille devant l’armée des Francs, fut saisi de crainte ; immédiatement, en grande hâte, il demandait des bannières franques[426]. Le comte de Saint-Gilles, posté là devant le château, ordonna de lui porter sa bannière ; il la reçut et l’arbora aussitôt sur la tour, mais les Longobards[427] qui se trouvaient là dirent : « Cette bannière n’est pas celle de Bohémond. » — « À qui appartient-elle, interrogea-t-il ? » — « Au comte de Saint-Gilles, répondirent-ils. » Alors il s’approcha et, prenant la bannière, il la rendit au comte. À ce moment survint le vénérable Bohémond et il lui donna sa bannière[428]. Le Turc la reçut avec joie et conclut un traité avec le seigneur Bohémond, d’après lequel les païens qui voudraient recevoir le christianisme resteraient avec lui, tandis qu’il permettrait à ceux qui le voudraient de se retirer sains et saufs et sans aucun dommage. Il consentit à toutes les demandes de l’amiral et plaça aussitôt ses sergents dans la citadelle. Quelques jours après, l’amiral fut baptisé avec tous ceux qui préférèrent reconnaître le Christ. Quant à ceux qui voulurent garder leurs lois, le sire Bohémond les fit conduire dans la terre des Sarrasins[429].

Cette bataille fut livrée le quatrième jour avant les calendes de juillet, vigile des apôtres Pierre et Paul[430], sous le règne du Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent honneur et gloire dans tous les siècles. Ainsi soit-il !


[DIXIÈME RÉCIT]
[De la délivrance d’Antioche à la victoire d’Ascalon (29 juin 1098-12 août 1099)]

[30.] Tous nos ennemis ayant été complètement vaincus — et nous en rendîmes dignement grâces au souverain Dieu triple et un — ils commencèrent à s’enfuir de tous côtés. Les uns à moitié vivants, d’autres couverts de blessures, tombaient morts dans les vallées, dans les bois, dans les champs, sur les chemins. Le peuple du Christ, les pèlerins victorieux revinrent dans la ville tout joyeux de leur heureux triomphe, après avoir vaincu l’ennemi[431].

Aussitôt nos seigneurs, le duc Godefroi, le comte Raimond de Saint-Gilles, Bohémond, le sire Robert, comte de Normandie, le comte de Flandre et beaucoup d’autres, envoyèrent le très noble comte Hugue le Mainsné trouver l’empereur à Constantinople pour qu’il vînt recevoir la ville et exécuter les conventions conclues avec eux. Il partit, mais ne revint pas[432].

Après que tout ceci eut été accompli, nos chefs, s’étant réunis, convoquèrent un conseil pour trouver les moyens de conduire et de gouverner le peuple jusqu’à ce qu’il eût accompli le voyage du Saint-Sépulcre, pour lequel on avait surmonté tant de périls. Il fut décidé en conseil qu’on ne pouvait encore pénétrer dans la terre des païens[433], car, en été, elle est trop aride et dépourvue d’eau[434] ; on accepta donc de fixer le terme de cet arrêt aux calendes de novembre[435]. Les seigneurs se dispersèrent et chacun partit pour sa terre[436], afin d’y attendre le terme convenu. Les princes firent proclamer par toute la ville que ceux qui se trouveraient dans la gêne et manqueraient d’or et d’argent pourraient, s’ils le désiraient, demeurer avec eux moyennant contrat et seraient retenus par eux avec plaisir[437].

Il y avait un chevalier de la bande du comte de Saint-Gilles, appelé Raimond Pilet[438], qui retint à son service pas mal d’hommes, chevaliers et piétons. Il partit avec la troupe qu’il avait rassemblée et entra bravement dans la terre des Sarrasins. Ayant dépassé deux cités, il parvint à une forteresse nommée Talamannia[439]. Les habitants de la forteresse, des Syriens, se rendirent tout de suite à lui spontanément. Ils y séjournaient depuis environ huit jours, lorsque des messagers vinrent lui annoncer qu’il y avait tout près un château de Sarrasins pourvu d’une nombreuse garnison. Les pèlerins, chevaliers du Christ, marchèrent immédiatement sur ce château, l’entourèrent de tous côtés et s’en emparèrent aussitôt avec l’aide du Christ. Ils saisirent tous les paysans de l’endroit et mirent à mort tous ceux qui ne voulaient pas recevoir le christianisme ; quant à ceux qui préférèrent reconnaître le Christ, ils les laissèrent vivants.

Ceci accompli, nos Francs revinrent tout joyeux à la première forteresse[440]. Ils en sortirent le troisième jour[441] et vinrent à Marra[442], qui se trouvait non loin d’eux. Il y avait là rassemblés un grand nombre de Turcs et de Sarrasins venus d’Alep et de toutes les villes, de tous les châteaux qui sont dans ses environs. Les barbares sortirent pour les attaquer ; les nôtres, résolus à lutter contre eux dans un combat, les mirent en fuite. Ils revinrent cependant, et pendant tout le jour ils attaquaient les nôtres tour à tour. Cette attaque dura jusqu’au soir. La chaleur était accablante ; les nôtres ne pouvaient plus supporter la soif, car ils n’avaient trouvé aucune eau à boire. Alors ils voulurent revenir en toute sécurité à leur château[443] ; mais, pour leurs péchés, les Syriens et les petites gens[444], saisis d’épouvante, commencèrent à rétrograder. En les voyant battre en retraite, les Turcs se mirent à les poursuivre, et la victoire leur donnait des forces. Beaucoup des nôtres rendirent leur âme à Dieu pour l’amour duquel ils s’étaient rassemblés là. Ce massacre eut lieu le cinquième jour du mois de juillet[445]. Les Francs qui y avaient échappé revinrent à leur forteresse et Raimond[446] y séjourna avec sa troupe quelque temps.

Les autres, demeurés à Antioche[447], s’y trouvaient dans la joie et dans une grande allégresse, lorsque leur directeur et pasteur[448], l’évêque du Puy, tomba par la volonté de Dieu gravement malade et, par cette même volonté, émigra de ce siècle et, reposant en paix, s’endormit dans le Seigneur le jour de la fête dite de saint Pierre ès liens[449]. Il en résulta une grande angoisse, une tristesse, une immense douleur dans toute l’armée du Christ, car il était le soutien des pauvres et le conseiller des riches. Il ordonnait des clercs, prêchait et, dans ses allocutions adressées aux chevaliers, il leur disait : « Nul de vous ne peut être sauvé s’il n’honore et ne réconforte les pauvres ; sans eux vous ne pouvez être sauvés, sans vous ils ne peuvent vivre. Il faut donc que, par une supplication quotidienne, ils prient pour vos péchés Dieu que vous offensez si souvent, je vous supplie donc de les aimer pour l’amour de Dieu et de les secourir autant que vous le pourrez. »

[31.] Peu de temps après[450] partit le vénérable Raimond, comte de Saint-Gilles. Il pénétra dans la terre des Sarrasins et parvint jusqu’à une ville appelée Albara[451]. Il l’attaqua avec sa troupe, s’en empara aussitôt et massacra tous les Sarrasins et Sarrasines, grands et petits, qu’il y trouva. Après en avoir pris possession[452], il la rappela à la foi du Christ et prit conseil de ses prud’hommes, afin de faire ordonner dans cette ville en grande dévotion un évêque qui la ramenât à la foi et au culte du Christ et, de la demeure diabolique, fît un temple consacré au Dieu vivant et véritable, ainsi que des oratoires en l’honneur des saints[453]. Ils élurent aussitôt un homme sage et honorable[454] et le conduisirent à Antioche pour le faire sacrer. Il fut fait ainsi[455]. Les autres, restés à Antioche, y vécurent dans la joie et l’allégresse[456].

Lorsque approcha le terme fixé, c’est-à-dire la fête de la Toussaint, nos chefs revinrent tous à Antioche et commencèrent à s’inquiéter des moyens d’accomplir le voyage du Saint-Sépulcre. « Puisque, disaient-ils, approche le terme fixé pour le départ, ce n’est plus le moment de contester davantage. »

Bohémond, de son côté, cherchait tous les jours à faire reconnaître la convention que tous les seigneurs avaient conclue avec lui pour obtenir la reddition de la ville[457], mais le comte de Saint-Gilles ne se laissait attendrir par aucune convention avec Bohémond, parce qu’il craignait de se parjurer vis-à-vis de l’empereur[458]. De nombreuses assemblées furent tenues dans l’église Saint-Pierre pour rechercher ce qui était juste. Bohémond récita le texte de la convention et montra son compte[459]. De même, le comte de Saint-Gilles communiqua les termes du serment qu’il avait prêté à l’empereur, suivant le conseil de Bohémond[460]. Les évêques, le duc Godefroi, le comte de Flandre, le comte de Normandie et les autres seigneurs se séparèrent de l’assemblée et se retirèrent à l’endroit où est la chaire de saint Pierre[461], afin de prononcer un arbitrage entre les deux. Puis, craignant que la marche vers le Saint-Sépulcre ne fût troublée, ils refusèrent de proclamer ouvertement leur décision[462]. À la fin, le comte de Saint-Gilles déclara : « Avant que la route du Saint-Sépulcre soit abandonnée, si Bohémond consent à venir avec nous, tout ce qu’auront approuvé nos pairs, c’est-à-dire le duc Godefroi, le comte de Flandre, Robert de Normandie et les autres seigneurs, j’y consens fidèlement, sauf en ce qui concerne ma fidélité à l’empereur[463]. »

Bohémond approuva entièrement ces paroles et tous deux jurèrent entre les mains des évêques que la marche vers le Saint-Sépulcre ne serait jamais troublée par eux d’aucune manière. Alors Bohémond tint conseil avec ses hommes, afin de garnir le château de la haute montagne en hommes et en vivres[464]. De même, le comte de Saint-Gilles tint conseil avec les siens pour garnir le palais de Cassian l’amiral[465] et la tour élevée sur la porte du pont du côté du port de Saint-Siméon[466], — pour les garnir, dis-je, en hommes et en vivres qui pussent durer longtemps.

[32.] — Cf. l’Appendice, p. 221.

[33.] Ces mesures prises, au mois de novembre[467] Raimond, comte de Saint-Gilles, quitta Antioche avec son armée et arriva à une ville appelée Rugia[468], puis à une autre nommée Albara[469]. Quatre jours avant la fin de novembre, il parvint à la cité de Marra, où une grande multitude de Sarrasins, de Turcs et d’Arabes et autres païens se trouvait rassemblée et, dès le lendemain, le comte l’attaqua[470]. Peu de temps après, Bohémond suivit les comtes[471] avec son armée et fit sa jonction avec eux le dimanche. Le lundi[472], ils attaquèrent vivement la ville de toute part et avec une telle ardeur et une telle vigueur que les échelles étaient appliquées aux murs ; mais la force des païens était si grande que ce jour-là ils ne purent leur causer aucun dommage.

Nos seigneurs voyant qu’il n’y avait rien à faire et qu’ils se donnaient du mal en vain, Raimond, comte de Saint-Gilles, fit construire un château de bois fort et élevé[473] ; ce château était disposé et construit sur quatre roues. À l’étage supérieur se trouvaient plusieurs chevaliers et Évrard le Veneur, qui sonnait très fort de la trompette ; au-dessous étaient des chevaliers revêtus de leur armure, qui poussèrent le château près de la muraille, contre une tour. Ce que voyant, la gent païenne fit aussitôt une machine qui jetait de grosses pierres sur le château[474], si bien que presque tous nos chevaliers furent tués. Ils jetaient aussi du feu grégeois[475] sur le château dans l’espoir de l’incendier et de le détruire, mais Dieu tout-puissant ne voulut pas que le château brûlât cette fois, car il surpassait en hauteur les murs de la cité.

Nos chevaliers placés à l’étage supérieur, parmi lesquels Guillaume de Montpellier[476] et beaucoup d’autres, lançaient d’énormes pierres sur les défenseurs de la muraille. Ils tapaient si raide sur leurs boucliers que le bouclier et l’homme tombaient, celui-ci mortellement frappé, à l’intérieur de la ville. Ainsi combattaient ceux-ci ; d’autres tenaient des lances garnies de pennons[477] et, à l’aide de leurs lances et d’hameçons de fer, ils cherchaient à attirer à eux les ennemis. On combattit ainsi jusqu’au soir.

Derrière le château étaient les prêtres, les clercs revêtus de leurs ornements sacrés, qui priaient et adjuraient Dieu de défendre son peuple, d’exalter la chrétienté et d’abattre le paganisme. D’un autre côté, nos chevaliers combattaient chaque jour l’ennemi, dressant des échelles contre le mur de la ville ; mais la résistance des païens était telle que les nôtres ne pouvaient faire aucun progrès. Cependant, Goufier de Lastours[478] monta le premier sur le mur par une échelle, mais aussitôt l’échelle se rompit sous le poids de ses trop nombreux compagnons. Il parvint cependant sur le mur avec quelques-uns. D’autres ayant trouvé une autre échelle, la dressèrent rapidement contre la muraille : beaucoup de chevaliers et de piétons y montèrent aussitôt et escaladèrent le mur. Mais les Sarrasins les attaquèrent avec une telle vigueur, sur le mur et sur le sol, en lançant des flèches et en pointant contre eux de tout près avec leurs lances, que beaucoup des nôtres, frappés de terreur, se jetèrent du haut du mur.

Pendant le temps que ces vaillants hommes, restés au faîte de la muraille, supportaient les attaques, ceux qui étaient sous le château sapèrent le mur de la ville[479]. Les Sarrasins, voyant que les nôtres avaient sapé leur muraille, furent saisis de terreur et s’enfuirent dans la cité. Tout ceci eut lieu le samedi, à l’heure de vêpres, au coucher du soleil, le 11 décembre. Bohémond fit dire par un interprète aux chefs sarrasins de se réfugier, eux, leurs femmes et leurs enfants, avec leur bagage, dans un palais situé au-dessus de la porte et s’engagea à les préserver de la mort[480].

Puis les nôtres pénétrèrent tous dans la ville, et tout ce qu’ils trouvèrent de quelque valeur dans les maisons ou les cachettes[481], chacun d’eux se l’appropriait. Le jour venu, partout où ils découvraient un ennemi, homme ou femme, ils le massacraient. Pas un coin de la cité qui fût vide de cadavres sarrasins, et à peine pouvait-on circuler dans les rues de la ville sans marcher sur ces cadavres. Bohémond saisit ceux à qui il avait donné l’ordre d’entrer dans un palais, leur enleva tout ce qu’ils possédaient, or, argent et autres parures, fit tuer les uns et conduire les autres à Antioche pour y être vendus[482].

Les Francs s’arrêtèrent dans cette ville pendant un mois et quatre jours[483], et ce fut alors que mourut l’évêque d’Orange[484]. Il y en eut parmi les nôtres qui ne trouvèrent pas là ce dont ils avaient besoin, tant par suite de la longueur de cet arrêt que par la difficulté de se nourrir, car, hors de la ville, ils ne pouvaient rien trouver à saisir. Alors ils sciaient les cadavres, parce qu’on découvrait des besants[485] cachés dans leur ventre ; d’autres découpaient leurs chairs en morceaux et les faisaient cuire pour les manger[486].

[34.] Bohémond ne put s’accorder avec le comte de Saint-Gilles sur ce qu’il demandait[487] ; irrité, il retourna à Antioche. Sans retard, le comte Raimond manda à Antioche par des envoyés au duc Godefroi, au comte de Flandre, à Robert de Normandie et à Bohémond de venir jusqu’à Rugia[488] pour y conférer avec lui. Tous les seigneurs y vinrent et tinrent conseil, afin de trouver un moyen de se maintenir honorablement sur la route du Saint-Sépulcre pour laquelle ils s’étaient croisés et étaient parvenus jusque-là. Ils ne purent accorder Bohémond avec Raimond que si le comte Raimond lui remettait Antioche[489]. Le comte refusa d’y consentir à cause de la foi qu’il avait jurée à l’empereur. À la fin, les comtes et le duc revinrent à Antioche avec Bohémond, et le comte Raimond retourna à Marra où se trouvaient les pèlerins et manda à ses chevaliers de mettre en état le palais et le château qui se trouvait au-dessus de la porte du pont[490].

Puis Raimond, voyant que nul des seigneurs ne voulait, à cause de lui, prendre la route du Saint-Sépulcre, sortit de Marra nu-pieds[491] le 13 janvier et parvint à Capharda[492], où il demeura trois jours[493]. Là, le comte de Normandie vint se joindre au comte Raimond. Le roi de Césarée[494] avait mandé souvent au comte par ses envoyés à Marra et à Capharda qu’il voulait vivre en paix avec lui, qu’il lui donnerait de son avoir, qu’il honorerait les pèlerins et leur jurerait sa foi, que dans les limites de sa domination ils ne recevraient aucune offense et qu’il assurerait volontiers le ravitaillement des chevaux et la nourriture corporelle.

Les nôtres partirent et vinrent prendre leurs quartiers près de Césarée sur le fleuve Farfar[495]. Le roi de Césarée, voyant le camp des Francs établi si près de la cité, fut mécontent et ordonna de leur refuser le ravitaillement s’ils ne s’éloignaient de l’enceinte de la ville. Le lendemain, il envoya avec eux deux Turcs, qui lui servaient de messagers, pour leur montrer le gué du fleuve et les conduire où ils trouveraient bonne prise[496]. Ils arrivèrent dans une vallée dominée par un château et ils razzièrent plus de cinq mille bêtes, pas mal de blé et d’autres denrées, ce qui permit de refaire les forces de toute l’armée chrétienne. La garnison du château se rendit au comte et lui donna des chevaux et de l’or fin, puis jura par sa loi[497] qu’il n’adviendrait aucun mal aux pèlerins ; et nous fûmes là pendant cinq jours[498]. Nous en partîmes pour aller tout joyeux prendre nos quartiers près d’un château d’Arabes. Le seigneur du château sortit et conclut un accord avec le comte.

Après notre départ, nous parvînmes à une ville magnifique et remplie de ressources, située dans une vallée ; elle s’appelait Kephalia[499]. Ses habitants, à la nouvelle de l’arrivée des Francs, abandonnèrent la ville, ses jardins remplis de légumes, ses maisons pleines de provisions de bouche et s’enfuirent. Trois jours après[500], nous quittâmes cette ville et, après avoir franchi une immense et haute montagne, nous pénétrâmes dans la vallée de Sem[501], où se trouvaient des ressources abondantes ; et notre étape y fut de quinze jours[502].

Près de nous était un château où se trouvait rassemblée une multitude de païens[503]. Nous attaquâmes ce château et notre victoire eût été certaine, si les Sarrasins n’avaient fait sortir des portes un immense troupeau de bêtes. Les nôtres revinrent dans leurs tentes chargés de toute espèce de biens. Puis, au petit jour, les nôtres plièrent leurs pavillons et vinrent assiéger le château avec le dessein d’y établir leurs tentes ; mais toute la gent païenne prit la fuite et laissa le château désert. Les nôtres y pénétrèrent et y trouvèrent en abondance du blé, du vin, de la farine, de l’huile et tout ce qui leur était nécessaire. Là, nous célébrâmes dévotement la fête de la Purification de sainte Marie[504] et nous reçûmes des messagers de la cité de la Chamelle[505]. Son roi envoya au comte des chevaux, de l’or et conclut avec lui un traité par lequel il s’engageait à ne pas molester les chrétiens, mais à les honorer et les aimer. Le roi de Tripoli[506], de son côté, adressa un message au comte pour conclure avec lui un accord et, s’il le désirait, se lier d’amitié avec lui ; il lui envoya dix chevaux, quatre mules et de l’or ; mais le comte déclara qu’il ne ferait la paix avec lui que s’il consentait à devenir chrétien.

Après avoir quitté cette belle vallée, nous arrivâmes à une place forte appelée Archas[507] un lundi, au milieu de février[508], et nous y fixâmes nos tentes. Elle était occupée par une innombrable gent païenne qui avait fortifié admirablement la place et se défendait vigoureusement. Quatorze de nos chevaliers partirent pour marcher contre Tripoli, située près de nous. Ces quatorze trouvèrent environ soixante Turcs et quelques autres qui avaient rassemblé devant eux des hommes et des animaux, au nombre de quinze cents et plus. Munis du signe de la croix, ils les attaquèrent, en tuèrent six et s’emparèrent de six chevaux.

De l’armée du comte Raimond partirent Raimond Pilet[509] et Raimond, vicomte de Turenne[510]. Ils arrivèrent devant la ville de Tortose[511], défendue par une multitude de païens, et l’attaquèrent vigoureusement. Le soir venu, ils se retirèrent dans un coin et y établirent leur quartier en allumant de grands feux, comme si toute l’armée se trouvait là. Les païens, saisis de terreur, s’enfuirent secrètement la nuit et abandonnèrent la ville avec ses nombreuses ressources ; elle possède, en outre, un port excellent près de la mer[512]. Le lendemain, les nôtres se préparèrent à attaquer, mais ils trouvèrent la cité vide. Ils y entrèrent et y prirent leurs quartiers jusqu’au moment où l’on assiégea Archas. Tout près est une autre ville appelée Marakia[513] : l’amiral, qui la gouvernait, traita avec les nôtres et les introduisit dans la ville avec leurs bannières.

[35.] Le duc Godefroi, Bohémond et le comte de Flandre vinrent jusqu’à la ville de La Liche[514]. Bohémond se sépara des autres et retourna à Antioche[515].

Eux continuèrent leur marche et assiégèrent une ville appelée Gibel[516]. Le comte Raimond de Saint-Gilles, apprenant qu’une innombrable troupe de païens marchait contre nous pour nous livrer bataille, tint immédiatement un conseil avec les siens pour mander aux seigneurs qui se trouvaient au siège de Gibel de venir lui porter secours. À cette nouvelle, ceux-ci conclurent un traité avec l’amiral, firent la paix avec lui, reçurent des chevaux et de l’or et abandonnèrent la ville pour venir à notre secours ; mais les païens annoncés ne vinrent pas nous combattre ; et ces comtes, ayant pris leurs quartiers au delà du fleuve, prirent part au siège de cette place[517].

Peu après, les nôtres chevauchèrent contre Tripoli[518] et trouvèrent hors de la ville des Turcs, Arabes et Sarrasins. Les nôtres les attaquèrent, les mirent en fuite et tuèrent une grande partie des nobles[519] de la ville. Le massacre des païens et l’effusion de sang furent tels que l’eau qui coulait dans la ville et alimentait les citernes semblait rouge, ce qui les remplit de douleur et de chagrin. Ils étaient épouvantés au point que nul d’entre eux n’osait franchir les portes de la ville.

Un autre jour, les nôtres chevauchèrent au delà de Sem[520] et trouvèrent des bœufs, des brebis, des ânes et beaucoup de bestiaux, ainsi que des chameaux ; ils en raflèrent près de trois mille. Nous assiégeâmes la place mentionnée[521] pendant trois mois et un jour, et nous y célébrâmes la Pâque du Seigneur quatre jours avant les ides d’avril[522]. Nos navires vinrent à proximité de nous dans un port pendant tout le temps que dura ce siège[523] et ils nous apportèrent un abondant ravitaillement en blé, vin, viande, fromage, orge et huile, ce qui procura une grande abondance au cours de l’expédition. Pendant ce siège, plusieurs des nôtres reçurent un heureux martyre, entre autres Anselme de Ribemont[524], Guillaume le Picard et plusieurs autres, que j’ignore.

Le roi de Tripoli envoyait souvent des messagers aux seigneurs pour les engager à abandonner cette place et à s’accorder avec lui. En étant informés et voyant les nouvelles récoltes s’annoncer (car, au milieu de mars, nous mangions des fèves nouvelles et, au milieu d’avril, nous avions du blé[525]), les nôtres — je veux dire : le duc Godefroi, Raimond, comte de Saint-Gilles, Robert de Normandie, le comte de Flandre — tinrent un conseil et décidèrent qu’il y avait intérêt à accomplir le voyage de Jérusalem avec les fruits nouveaux[526].

[36.] Nous quittâmes donc cette place et atteignîmes Tripoli le vendredi, 13 mai, et nous y demeurâmes trois jours[527]. Le roi de Tripoli conclut enfin un accord avec les seigneurs et il leur livra immédiatement plus de trois cents pèlerins, qui étaient là en captivité ; il leur donna quinze mille besants et quinze destriers de grand prix ; il nous fournit aussi un abondant ravitaillement en chevaux, ânes et denrées de toute sorte, ce qui enrichit toute l’armée du Christ. Il stipula avec les chefs que, s’ils pouvaient gagner la guerre que leur préparait l’amiral de Babylone[528] et prendre Jérusalem, il se ferait chrétien et tiendrait d’eux sa terre. Ainsi fut-il fait et conclu.

Nous quittâmes la ville un lundi du mois de mai[529] et nous suivîmes toute la nuit une route étroite et escarpée. Nous parvînmes à un château appelé Béthelon[530], puis à une ville située près de la mer, qu’on nomme Zebar[531]. Nous y souffrîmes d’une grande soif et, ainsi épuisés, nous atteignîmes un fleuve qu’on nomme le Brahim[532], puis, pendant la nuit et le jour de l’Ascension du Seigneur[533], nous franchîmes une montagne par un chemin très resserré[534]. Nous pensions y trouver des ennemis en embuscade, mais, par la permission de Dieu, nul d’entre eux n’osait approcher de nous. Nos chevaliers nous précédèrent et ouvrirent la route devant nous. Puis nous atteignîmes une cité maritime appelée Beyrouth[535] ; de là nous arrivâmes à une autre ville du nom de Sagette[536], puis à une autre appelée Sour[537] et de Sour à la cité d’Acre[538]. D’Acre, nous parvînmes à une place forte appelée Caïffa, puis nous prîmes nos quartiers près de Césarée, où nous célébrâmes la Pentecôte le 29 mai[539].

Ensuite, nous vînmes à la ville de Ramleh[540], que les Sarrasins évacuèrent par crainte des Francs. Tout près se trouvait une église vénérable dans laquelle repose le corps très précieux de saint Georges[541], car c’est là que les païens perfides lui ont fait subir un heureux martyre pour le nom du Christ ; nos chefs décidèrent en conseil d’élire un évêque pour garder et régir cette église ; ils lui accordèrent des dîmes et l’enrichirent en or, en argent, en chevaux et autres animaux, afin qu’il pût vivre là dévotement et honorablement avec ses hommes ; il y demeura avec joie[542].

[37.] Et nous, exultant d’allégresse, nous parvînmes jusqu’à la cité de Jérusalem, le mardi, huit jours avant les ides de juin[543], et nous l’assiégeâmes admirablement[544]. Robert de Normandie l’assiégea du côté nord, près de l’église du premier martyr saint Étienne, à l’endroit où il fut lapidé pour le nom du Christ[545] ; à sa suite, était Robert, comte de Flandre. À l’ouest, ce furent le duc Godefroi et Tancrède[546] qui l’assiégèrent. Le comte de Saint-Gilles l’assiégea au midi, sur la montagne de Sion, vers l’église de sainte Marie, mère de Dieu, où le Seigneur célébra la Cène avec ses disciples[547].

Le troisième jour, Raimond Pilet et Raimond de Turenne[548] et plusieurs autres, désireux de combattre, se détachèrent de l’armée. Ils rencontrèrent deux cents Arabes, et ces chevaliers du Christ bataillèrent contre ces incrédules : Dieu aidant, ils eurent le dessus, en tuèrent un grand nombre et saisirent trente chevaux.

Le lundi[549], nous attaquâmes vigoureusement la ville, avec un tel élan que, si les échelles avaient été prêtes, la ville tombait en notre puissance. Cependant, nous détruisîmes le petit mur[550] et nous appliquâmes une échelle au mur principal ; nos chevaliers y montaient et frappaient de près les Sarrasins et les défenseurs de la ville à coups d’épées et de lances. Beaucoup des nôtres, mais encore plus des leurs, y rencontrèrent la mort. Pendant ce siège, nous ne pûmes trouver de pain à acheter pendant l’espace de dix jours, jusqu’à la venue d’un messager de nos navires[551], et nous fûmes en proie à une soif si ardente, qu’en éprouvant les plus grandes frayeurs, nous faisions jusqu’à six milles pour abreuver nos chevaux et nos autres bêtes[552]. La fontaine de Siloé, située au pied de la montagne de Sion, nous réconfortait[553], mais l’eau était vendue parmi nous beaucoup trop cher.

Après l’arrivée du messager de nos navires, nos seigneurs tinrent conseil et décidèrent d’envoyer des chevaliers pour garder fidèlement les hommes et les navires au port de Jaffa. Au point du jour, cent chevaliers se détachèrent de l’armée de Raimond, comte de Saint-Gilles, dont Raimond Pilet, Achard de Montmerle[554], Guillaume de Sabran[555], et allèrent en toute confiance vers le port. Puis trente de nos chevaliers se séparèrent des autres et rencontrèrent sept cents Arabes, Turcs, Sarrasins de l’armée de l’amiral[556]. Les chevaliers du Christ les attaquèrent avec vigueur, mais la supériorité des ennemis sur les nôtres fut telle qu’ils les entourèrent de tous côtés et tuèrent Achard de Montmerle, ainsi que de pauvres piétons.

Les nôtres étaient déjà cernés et s’attendaient à la mort, lorsqu’un autre messager vint dire à Raimond Pilet : « Que fais-tu là avec ces chevaliers ? Voici que les nôtres sont aux prises avec des Arabes, des Turcs et des Sarrasins ; peut-être à cette heure sont-ils tous tués ; secourez-les, secourez-les donc ! » À cette nouvelle, les nôtres s’empressèrent d’accourir et parvinrent à la hâte jusqu’à eux, tout en combattant. Apercevant les chevaliers du Christ, la gent païenne se divisa et forma deux colonnes. Mais les nôtres, après avoir invoqué le nom du Christ, chargèrent sur ces incrédules avec un tel élan que chaque chevalier abattit son ennemi. Comprenant alors qu’ils ne pourraient tenir devant la valeur des Francs, frappés d’une grande terreur, ils tournèrent le dos ; les nôtres les poursuivirent pendant quatre milles environ, en tuèrent un grand nombre, en prirent un vivant, afin d’avoir par lui des renseignements, et s’emparèrent de cent trois chevaux[557].

Pendant ce siège, nous endurâmes le tourment de la soif à un point tel que nous cousions des peaux de bœufs et de buffles dans lesquelles nous apportions de l’eau pendant l’espace de six milles[558]. L’eau que nous fournissaient de pareils récipients était infecte et, autant que cette eau fétide, le pain d’orge était pour nous un sujet quotidien de gêne et d’affliction. Les Sarrasins, en effet, tendaient secrètement des pièges aux nôtres en infectant les fontaines et les sources ; ils tuaient et mettaient en pièces tous ceux qu’ils trouvaient et cachaient leurs bestiaux dans des cavernes et des grottes[559].

[38.] Nos seigneurs étudièrent alors les moyens d’attaquer la ville à l’aide de machines, afin de pouvoir y pénétrer pour adorer le sépulcre de notre Sauveur. On construisit deux châteaux de bois et pas mal d’autres engins. Le duc Godefroi établit un château garni de machines et le comte Raimond fit de même[560]. Ils se faisaient apporter du bois des terres lointaines[561]. Les Sarrasins, voyant les nôtres construire ces machines, fortifiaient admirablement la ville et renforçaient les défenses des tours pendant la nuit.

Puis nos seigneurs, ayant reconnu le côté le plus faible de la cité, y firent transporter dans la nuit du samedi[562] notre machine et un château de bois : c’était à l’est[563]. Ils les dressèrent au point du jour, puis ils préparèrent et garnirent le château le dimanche, le lundi et le mardi[564]. Dans le secteur sud, le comte de Saint-Gilles faisait réparer sa machine. À ce moment, nous souffrîmes tellement de la soif qu’un homme ne pouvait, contre un denier[565], avoir de l’eau en quantité suffisante pour éteindre sa soif.

Le mercredi et le jeudi[566], nous attaquâmes fortement la ville de tous les côtés, mais avant que nous ne la prissions d’assaut, les évêques et les prêtres firent décider par leurs prédications et leurs exhortations que l’on ferait en l’honneur de Dieu une procession autour des remparts de Jérusalem et qu’elle serait accompagnée de prières, d’aumônes et de jeûnes[567].

Le vendredi[568], de grand matin, nous donnâmes un assaut général à la ville sans pouvoir lui nuire ; et nous étions dans la stupéfaction et dans une grande crainte. Puis, à l’approche de l’heure à laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ consentit à souffrir pour nous le supplice de la croix[569], nos chevaliers postés sur le château[570] se battaient avec ardeur, entre autres le duc Godefroi et le comte Eustache son frère. À ce moment, l’un de nos chevaliers, du nom de Liétaud[571], escalada le mur de la ville. Bientôt, dès qu’il fut monté, tous les défenseurs de la ville s’enfuirent des murs à travers la cité et les nôtres les suivirent et les pourchassèrent en les tuant et les sabrant jusqu’au temple de Salomon[572], où il y eut un tel carnage que les nôtres marchaient dans leur sang jusqu’aux chevilles[573].

De son côté, le comte Raimond, placé au midi, conduisit son armée et le château de bois jusqu’auprès du mur. Mais entre le château et le mur s’étendait un fossé, et l’on fit crier que quiconque porterait trois pierres dans le fossé aurait un denier. Il fallut pour le combler trois jours et trois nuits[574]. Enfin, le fossé rempli, on amena le château contre la muraille. À l’intérieur, les défenseurs se battaient avec vigueur contre les nôtres en usant du feu[575] et des pierres. Le comte, apprenant que les Francs étaient dans la ville, dit à ses hommes : « Que tardez-vous ? Voici que tous les Français sont déjà dans la ville[576]. »

L’amiral qui commandait la Tour de David[577] se rendit au comte et lui ouvrit la porte à laquelle les pèlerins avaient coutume de payer tribut[578]. Entrés dans la ville, nos pèlerins poursuivaient et massacraient les Sarrasins jusqu’au temple de Salomon, où ils s’étaient rassemblés et où ils livrèrent aux nôtres le plus furieux combat pendant toute la journée, au point que le temple tout entier ruisselait de leur sang[579]. Enfin, après avoir enfoncé les païens, les nôtres saisirent dans le temple un grand nombre d’hommes et de femmes, et ils tuèrent ou laissèrent vivant qui bon leur semblait. Au-dessus du temple de Salomon[580] s’était réfugié un groupe nombreux de païens des deux sexes, auxquels Tancrède et Gaston de Béarn[581] avaient donné leurs bannières[582]. Les croisés coururent bientôt par toute la ville, raflant l’or, l’argent, les chevaux, les mulets et pillant les maisons, qui regorgeaient de richesses. Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/251 Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/253 Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/255 Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/257 Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/259 Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/261 Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/263

  1. Au moyen âge, on donnait souvent aux pèlerins le nom même du sanctuaire qu’ils étaient allés vénérer. L’auteur distingue des Francs les Allemands, Lombards et « Longobards » ou Normands de l’Italie méridionale.
  2. Math., 16, 24 ; Marc, 8, 34 ; Luc, 9, 23.
  3. Allusion au mouvement qui entraîna la France après le concile de Clermont (novembre 1095), que l’Anonyme ne mentionne même pas.
  4. Le pape Urbain II, élu en 1088.
  5. Cette expression « pays d’outre-mont », pour désigner la France, indique bien que l’Anonyme habitait l’Italie.
  6. Urbain II arriva à Valence le 5 août 1095, séjourna au Puy le 15 août et, après avoir parcouru la Bourgogne et le sud-est de la France, ouvrit le concile de Clermont le 18 novembre. Sur sa suite d’évêques et d’archevêques, voir Mansi, Concilia, t. XX, col. 308.
  7. Allusion aux Actes des Apôtres, 9, 16.
  8. Combinaison de II Timoth., 1, 8, et Luc, 21, 15.
  9. Allusion à Math., 15, 12, et Coloss., 3, 24.
  10. C’est-à-dire les duchés et comtés.
  11. Sur la prise de la croix, voir Foucher de Chartres, I, 4, p. 325. On remarquera que c’est le seul détail précis donné par l’Anonyme sur le mouvement qui précéda l’expédition.
  12. Dans la pensée de l’auteur, ces trois divisions correspondent aux trois routes suivies par les croisés : vallée du Danube, route des Alpes orientales et d’Esclavonie, route d’Italie et embarquement dans les ports de l’Adriatique. Il y eut, en réalité, un plus grand nombre de bandes de croisés.
  13. Sur Pierre l’Ermite et son rôle dans la croisade, voir Hagenmeyer, Peter der Eremit (Leipzig, 1879) ; traduction française par Furcy-Raynaud (Paris, 1879).
  14. Godefroi de Bouillon, duc de Basse-Lorraine depuis 1089.
  15. Baudouin, plus tard prince d’Édesse et roi de Jérusalem.
  16. Baudouin, comte de Mons, en Hainaut.
  17. Passage qui montre la popularité de la légende de Charlemagne à cette époque. En Allemagne, on fit même courir le bruit de sa résurrection (Ekkehard d’Aura, II, dans les Historiens occidentaux, t. V, p. 19). Sur sa prétendue croisade, voir L. Bréhier, Les origines des rapports entre la France et la Syrie ; le protectorat de Charlemagne, dans le Congrès français de Syrie (Marseille, 1919), t. II, p. 36-38.
  18. Le 30 juillet 1096.
  19. L’auteur se contredit. En fait, Gautier sans Avoir était arrivé à Constantinople avant Pierre l’Ermite (Albert d’Aix, I, 7, p. 275). « Les Longobards » sont les habitants de l’Italie méridionale (ancien thème byzantin de Longobardie). Par « Longobards », l’Anonyme désigne les Normands d’Italie. Anne Comnène, X, 5, p. 75, confirme que ce sont les « Longobards » qui parvinrent les premiers à Constantinople. La leçon : « Longobardi » (), est donc préférable à celle des autres manuscrits : « Lombardi et Langobardi » ; il ne peut s’agir d’une erreur de copiste puisqu’elle est répétée deux fois plus loin. On n’a d’ailleurs aucun renseignement sur ce départ précoce des Lombards pour la croisade : on voit, au contraire, que c’est seulement le 9 septembre 1096 qu’Urbain II, se trouvant à Pavie, écrit aux Bolonais pour exciter leur zèle ; or, les premiers croisés étaient arrivés à Constantinople avant la fin de juillet.
  20. Alexis Comnène, couronné empereur le 2 avril 1081.
  21. Le « Bras », dit le « Bras de saint Georges », désigne ici le Bosphore, bien que cette expression soit quelquefois réservée au golfe de Nicomédie, ville où saint Georges fut martyrisé (voir lettre d’Étienne de Blois, Epistulae et chartae, p. 139), ou même à la Corne-d’Or (même lettre et Albert d’Aix, II, 11, p. 306).
  22. L’Anonyme, suivi par ses remanieurs, est le seul à parier de ces méfaits. Anne Comnène, X, 6, p. 76, prétend à tort que la traversée du Bosphore eut lieu malgré l’empereur.
  23. Témoignage concordant d’Anne Comnène (loc. cit.).
  24. Sur l’origine de cette querelle, voir les détails d’Albert d’Aix, I, 16, p. 284. Anne Comnène signale aussi ces dissentiments, qui faillirent amener une bataille entre les croisés.
  25. Contrairement à l’interprétation d’Hagenmeyer (édition des Gesta, p. 116), il faut admettre que les Allemands élisent un autre chef que Rainald, car plus loin il est question de ce chef, « le seigneur des Allemands » qui trahit les siens.
  26. La « Romanie » était le nom que les Turcs donnaient à l’Asie Mineure (sultanat de Roum) ; les Grecs désignaient ainsi la totalité de l’empire.
  27. Nicée est la résidence du sultan turc depuis 1081.
  28. Xerigordo, d’après Anne Comnène, X, 6, p. 77. Le récit d’Albert d’Aix, I, 16, p. 284, donne des détails un peu différents.
  29. Anne Comnène (loc. cit.) donne le nom du chef turc, Elchanis. Albert d’Aix (loc. cit.) et la chronique de Zimmern (Archives de l’Orient latin, t. I, p. 27-28) croient à tort que Soliman a dirigé ce siège en personne.
  30. 29 septembre 1096.
  31. Ces détails, empruntés certainement au récit d’un témoin oculaire, ne se trouvent que dans notre texte et ses imitateurs.
  32. Le Khorassan, situé au nord-est de la Perse, était le centre de la puissance des Turcs, qui l’avaient enlevé aux sultans Gaznévides vers 1037-1040 (cf. Laurent, Byzance et les Turcs seldjoucides, Paris, 1921, p. 8), mais les chroniqueurs latins ou arméniens appliquent ce nom à tous les pays orientaux qui dépendaient des Seldjoucides, Azerbaïdjan, Arménie, Mésopotamie. Pour Albert d’Aix, Bagdad est la capitale du Khorassan ; dans le texte de l’Anonyme, ce terme a donc un sens assez vague et signifie les pays de l’est.
  33. Gautier sans Avoir (« Sensavehor », dans Albert d’Aix), chef d’une bande populaire, avait quitté Pierre l’Ermite à Cologne et était arrivé avant lui à Constantinople. Sur ce personnage, voir Orderic Vital, t. III, p. 478.
  34. Civitot (Chevetot, en grec : Kivotos), port sur le golfe de Nicomédie, avec une forteresse créée par Alexis Comnène pour tenir en respect l’émir turc de Nicomédie (Orderic Vital, édition Le Prévost, t. III, p. 490-491). L’identification avec Guemlik, sur le golfe de Moudania, est abandonnée depuis les travaux de Tomaschek (Topographie von Kleinasien im Mittelalter, Vienne, 1891). Le gros de l’armée y était resté avec Pierre l’Ermite.
  35. Récit plus détaillé d’Albert d’Aix, I, 18, p. 286-289, qui mentionne un voyage de Pierre l’Ermite à Constantinople pour demander des secours, et de la Chronique de Zimmern (fragments dans les Archives de l’Orient latin, t. I, p. 28-29), qui cite les noms des chefs allemands. Anne Comnène, X, 6, p. 78, place la rencontre au bord de la rivière du Dragon.
  36. Sur cette mort, voir une pièce de vers de Guibert de Nogent, II, 11, p. 146.
  37. En contradiction avec le récit d’Albert d’Aix (I, 22, p. 289), qui montre l’empereur s’efforçant de sauver les débris de l’armée.
  38. Sur ce passage, voir Albert d’Aix (loc. cit.) et Anne Comnène (X, 6, p. 78).
  39. Sous ce nom, on désignait le territoire des Croates et des Serbes.
  40. Raimond de Saint-Gilles, comte de Toulouse depuis 1088, et Adémar de Monteil, évêque du Puy vers 1080, désigné par Urbain comme son vicaire et son légat. Chacun d’eux commandait une armée importante recrutée dans le midi de la France. Leur itinéraire à travers les Alpes orientales et l’Esclavonie a été décrit en détail par Raimond d’Aguilers (ou d’Aguilhe), chanoine du Puy et chapelain du comte de Toulouse.
  41. Sur cette route traditionnelle de pèlerinage, voir J. Bédier, Les légendes épiques, t. II, p. 142 et suiv.
  42. C’est par simple symétrie que l’auteur mentionne ici Bohémond, dont le départ va être raconté plus loin.
  43. Fils d’un frère de Robert Guiscard, Guillaume, qui s’était établi dans la principauté de Salerne et avait pris le titre de « comte de la Principauté » (Gay, L’Italie méridionale et l’empire byzantin, p. 505).
  44. Robert II, fils de Robert le Frison, comte de Flandre depuis 1093.
  45. Robert Courte-Heuse, fils aîné de Guillaume le Conquérant, avait hérité du duché de Normandie en 1087.
  46. Hugue, comte de Vermandois, frère du roi de France Philippe Ier. Son surnom de magnus est une traduction infidèle de « mainsné » (moins né), c’est-à-dire le « cadet ».
  47. Évrard, seigneur du Puiset (canton de Janville, Eure).
  48. Achard de Montmerle (canton de Trévoux, Ain) avait engagé, pour pouvoir s’équiper, son patrimoine à l’abbaye de Cluny (Bruel, Chartes de Cluny, t. V, p. 51-53).
  49. Mouzon (Ardennes).
  50. Ce sont les principaux ports d’embarquement pour la péninsule des Balkans.
  51. Guillaume, frère de Tancrède, fils d’une sœur de Robert Guiscard, Emma, et d’Eude, dit « le bon Marquis ».
  52. Durazzo (ancienne Dyrrachium), principal port de transit avec l’Italie, point de départ de la Via Egnatia, qui conduisait à Thessalonique et à Constantinople, avait une triple enceinte fortifiée et une garnison formée de troupes d’élite, commandée par le duc ou stratège Jean Comnène, neveu de l’empereur Alexis (Chalandon, Alexis Comnène, p. 174).
  53. Récit très différent d’Anne Comnène (X, 7), qui exagère la vanité du prince, mais d’où il ressort qu’il fut traité honorablement par Jean Comnène. D’après les instructions d’Alexis, qui redoutait un coup de main sur Durazzo, déjà prise par les Normands en 1083, Hugue le Mainsné fut conduit à Constantinople par un haut fonctionnaire impérial. Il prêta serment de fidélité sans résistance. On remarquera que l’Anonyme, reflétant l’opinion de la plupart des croisés, ne perd pas une occasion de témoigner sa haine à Alexis, qui est pour lui « l’inique, le misérable empereur ».
  54. Godefroi s’était mis en route vers le 15 août 1096. Détails sur son itinéraire dans Albert d’Aix (II, 9, p. 299-305) et la Chronique de Zimmern (Archives de l’Orient latin, t. I, p. 21-22).
  55. Récit sommaire, mais confirmé dans ses grandes lignes par Albert d’Aix (II, p. 305-307), qui indique un premier cantonnement des croisés hors de l’enceinte, puis leur transport au delà de la Corne-d’Or dans de véritables casernes « intra palatia », probablement à Galata, désigné par l’expression des Gesta, empruntée à la terminologie occidentale « in burgo urbis ». Burgus désigne un faubourg et s’oppose à urbs, civitas. Le passage des croisés eut lieu le 29 décembre (Albert d’Aix, loc. cit.).
  56. Corps de mercenaires au service de l’empire, qui recrute des soldats dans les tribus turques depuis le ixe siècle et des Turcs seldjoucides depuis la bataille de Mantzikert (1071). Sur leur rôle dans les guerres civiles de la fin du xie siècle, voir J. Laurent, Byzance et les Turcs seldjoucides, p. 91. On les désigne dès lors sous le nom de Τουρκόπουλοι, fils de Turcs. Les Petchénègues, Πατζινάκοι, établis depuis le ixe siècle entre le Danube et le Don, également de race turque, fournissaient des corps de mercenaires à l’empire depuis le milieu du xie siècle (voir Chalandon, Alexis Ier Comnène, p. 2-5).
  57. L’Anonyme ne mentionne pas la cause du conflit, le refus de Godefroi d’avoir une entrevue avec l’empereur. Les détails donnés par Albert d’Aix (II, 11, p. 306-307) éclairent ce passage.
  58. D’après Albert d’Aix (loc. cit.), Baudouin, avec 500 chevaliers, alla s’emparer du pont situé au fond de la Corne-d’Or.
  59. Quittant le faubourg de Galata, l’armée de Godefroi va se placer sous les murs de Constantinople (13 janvier 1097).
  60. Le petit nombre des tués indique une simple escarmouche. Albert d’Aix (loc. cit.) en fait une bataille violente qui eut lieu en face de la porte des Blachernes. Anne Comnène (X, 9, p. 87-90) prétend que les croisés furent repoussés.
  61. Du 13 au 18 janvier 1097. Détails plus complets d’Albert d’Aix, II, 14, p. 309, qui donne la date du 13 janvier 1097. Celle du jeudi saint, 2 avril, donnée par Anne Comnène est fausse, puisque, d’après Albert, c’est au début du carême que l’armée de Godefroi est passée en Asie (Hagenmeyer, Chronologie de la première croisade, no 110).
  62. Récit détaillé de ces négociations dans Albert d’Aix et Anne Comnène (loc. cit.).
  63. Ce fut seulement après quelques jours, vers le 18 février, que l’empereur décida Godefroi à passer en Asie (Albert d’Aix, loc. cit.).
  64. D’après Albert d’Aix, l’empereur promit une subvention hebdomadaire jusqu’à la Pentecôte non seulement pour les pauvres, mais pour les chevaliers.
  65. Au début de 1096, Roger, duc de Fouille, et Bohémond assiégeaient Amalfi révoltée (Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie, t. I, 1907, p. 302). Bohémond, fils de Robert Guiscard et de sa première femme, Aubrée, avait pris une part importante à l’expédition normande de 1081-1084 contre l’empire byzantin. En 1082, après la prise de Durazzo, il avait battu plusieurs armées impériales et envahi la Thessalie. — Sur l’expression de Pont-Scaphard appliquée à Amalfi, voir Tudebode, p. 15, et Robert le Moine, p. 740.
  66. Il s’agit des croisés de la France du nord et de l’ouest, venus en bandes séparées pour s’embarquer dans les ports de l’Italie méridionale.
  67. Notre auteur semble avoir été le témoin oculaire de la scène qu’il est le seul à raconter.
  68. Il dut abandonner le siège d’Amalfi (Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie, t. I, p. 302).
  69. Bohémond était seigneur de Tarente, Oria, Otrante, Gallipoli, qu’il avait arrachés à son frère Roger (1086) (voir Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie, t. I, p. 288).
  70. Voir ci-dessus, p. 15, note 8.
  71. Il s’agit de Richard du Principat. Voir ci-dessus, p. 13, n. 8.
  72. Tous ces chevaliers sont des Normands qui ont reçu des fiefs en Italie (Chalandon, op. cit., t. I, p. 302). Le Monte-Scabosio est identifié avec Monte-Scaglioso, château du diocèse de Matera (Basilicate).
  73. Ils font partie de la « maison » de Bohémond, qui, suivant l’usage féodal, pourvoit à leur entretien.
  74. D’après Albert d’Aix (II, 18, p. 312), les forces de Bohémond débarquèrent à Avlona (Valons) et Ourazzo. Le terme de « Bulgarie » désigne la Macédoine occidentale, qui avait été le centre de l’empire bulgare des schichmanides, soumis par Basile II en 1018.
  75. Vallée d’un affluent de la Voïoussa, probablement le Drino, au sud d’Argyrocastro, dont la vallée s’appelle encore « Dropoli ».
  76. Témoignage intéressant qui indique chez Bohémond le désir de ménager l’empereur.
  77. Pour la première fois, l’auteur parle à la première personne. Il se trouvait donc dans l’armée de Bohémond.
  78. Castoria, située dans une presqu’île, à l’ouest du lac du même nom, était une forteresse importante prise par Robert Guiscard en 1082. Bohémond, qui avait pris part à cette expédition, connaissait admirablement la région et, après son échec devant Larissa, il s’était justement réfugié à Castoria, reprise par Alexis Comnène en 1083 (Anne Comnène, VII, 1, p. 185).
  79. Sur la terreur excitée en Macédoine par le passage des croisés, voir la lettre de Théophylacte, archevêque d’Ochrida (Migne, Patrologie grecque, t. CXXVI, col. 324-325).
  80. Nom antique d’une région de la Haute-Macédoine qui correspond à la plaine de Monastir et de Prilep.
  81. Il s’agit d’une colonie de Manichéens, peut-être de Bogomiles, très nombreux sur le territoire de l’ancienne Bulgarie. Sur l’importance de ce mouvement à cette époque, voir Chalandon, Alexis Comnène, p. 318-320, et Œconomos, La vie religieuse dans l’empire byzantin au temps des Comnènes (1918), p. 38-47. Au xie siècle, castrum a pris le sens de « ville forte » (voir Du Gange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, au mot : castrum).
  82. La Via Egnatia, que les croisés avaient dû rejoindre à Édesse (Vodena), traversait le Vardar à Topchin, à l’ouest de Thessalonique, mais, comme cette ville n’est pas mentionnée par l’Anonyme, il est possible que le passage du fleuve ait eu lieu plus au nord. Sur l’itinéraire de Bohémond, voir Th. Desdevises du Dezert, Géographie ancienne de la Macédoine (Paris, 1863), p. 214.
  83. Tancrède, fils d’Eude le Bon, marquis et neveu par sa mère de Robert Guiscard, paraît avoir été le principal lieutenant de Bohémond : « Obtentum est, ut sub Boamundo ipse, quasi dux sub rege, secundus ab eo militaret… » (Raoul de Caen, 3, p. 607).
  84. Cf. Raoul de Caen, 3, p. 607-610.
  85. Cette réponse de vrais mercenaires n’était sans doute pas conforme aux véritables instructions de l’empereur.
  86. Le mercredi des Cendres, 18 février 1097.
  87. Albert d’Aix (II, 14, p. 309) parle bien d’une ambassade de Bohémond, mais dénature les faits en supposant qu’elle avait été envoyée à Godefroi de Bouillon pour lui proposer de détruire l’empire.
  88. Le mot latin corpalatius est une corruption de « curopalate », une des plus hautes dignités de la hiérarchie impériale. Il semble que, dans la pensée de l’Anonyme, curopalate est synonyme du terme occidental palatin et signifie un agent de l’empereur, sans préciser davantage. Les textes byzantins ne montrent jamais ce titre appliqué à de simples fonctionnaires, mais à des princes de la famille impériale ou à des rois vassaux de l’Empire.
  89. L’expression justicia terre dont se sert l’Anonyme désigne l’immunité qui appartient à toute terre chrétienne. Ce passage montre clairement la véritable attitude de Bohémond à l’égard de l’empire et suffit à démentir celle que lui prête Albert d’Aix (voir plus haut, p. 25, n. 5).
  90. Raoul de Caen ignore l’incident, mais fait allusion à la mésintelligence entre Bohémond et Tancrède qui en résulta (Raoul, 10-11, p. 612-613). Baudri de Bourgueil (I, 19, p. 24) décrit la discussion violente qui eut lieu entre Bohémond et ses chevaliers.
  91. Serrès, principale ville de la Macédoine orientale, étape de la route qui continuait la Via Egnatia de Salonique à Constantinople. Il ne semble pas que l’armée de Bohémond ait traversé Salonique, et c’est justement à Serrès qu’elle a dû rejoindre cette route importante.
  92. C’est-à-dire au carême, où l’on était entré depuis le 18 février.
  93. Sur ces négociations, cf. Raoul de Caen, 9-10, p. 611-612.
  94. Aujourd’hui Rüskioï, place importante de la Thrace.
  95. Douze jours plus tard, l’armée des Provençaux passe au même endroit, prend la ville d’assaut et la met à sac (Raimond d’Aguilers, 2, p. 237). Rien ne montre mieux la différence entre la discipline des deux armées.
  96. Le mercredi saint, 1er avril 1097.
  97. Ce départ précipité achève de dévoiler le dessein politique de Bohémond, qui, il ne faut pas l’oublier, avait été auparavant un des ennemis les plus redoutables de l’empire. Au sujet de la sévérité avec laquelle la démarche de Bohémond est jugée par Tancrède, voir Raoul de Caen, 10-11, p. 612-613.
  98. Le 5 avril 1097.
  99. Il fut logé comme les autres Latins près du monastère des saints Côme et Damien (Cosmidion), non loin des Blachernes (Anne Comnène, X, 9-11, p. 86, 96). Cf. Ebersolt, Sanctuaires de Byzance (1921), p. 98.
  100. En contradiction avec Anne Comnène (X, 11, p. 95-97), d’après laquelle Alexis voulut voir Bohémond avant qu’il se fût concerté avec les autres chefs.
  101. Raimond de Toulouse avait quitté son armée à Rodosto, appelé par l’empereur et les chefs croisés (Raimond d’Aguilers, 2, p. 237).
  102. Même partialité à l’égard de l’empereur, qui se trouvait en fait dans une situation très critique.
  103. Il s’agit des hauts fonctionnaires (οἱ ἐν τέλει, les gens en place) qui formaient le conseil de l’empereur. L’Anonyme est le seul à parler de ce conseil. Anne Comnène (X, 11, p. 97) mentionne simplement le serment prêté par les chefs croisés.
  104. Bongars et l’éditeur des Historiens occidentaux, t. III, p. 125, comprennent cette phrase dans les paroles des chefs, mettant les guillemets après « delusi erimus », ce qui n’a aucun sens. Il s’agit d’une réflexion de l’Anonyme. L’emploi du futur montre que le morceau a été écrit sous l’impression des événements.
  105. Réflexions curieuses qui montrent combien l’opinion générale jugeait sévèrement la conduite des chefs. Foucher de Chartres (I, 9, p. 332) explique, pour justifier le serment, que les croisés eussent été impuissants s’ils ne s’étalent conciliés l’empereur. Au contraire, Raoul de Caen (11, p. 612-613) développe les mêmes idées que l’Anonyme.
  106. Allusion aux victoires de Bohémond sur les armées impériales pendant la guerre de Robert Guiscard contre l’Empire (1081-1085), mais Bohémond lui-même avait fui devant Alexis à Larissa (Chalandon, Alexis Comnène, p. 62-94).
  107. L’Anonyme, bien informé de ce qui touche Bohémond, est le seul (avec ses imitateurs) à parler de ce traité secret. D’après Anne Comnène (X, 11, p. 97-98), Bohémond prêta serment sans difficulté et reçut de magnifiques présents, puis il demanda la charge de grand domestique d’Orient ; Alexis lui fit une réponse dilatoire.
  108. Le texte du serment de l’empereur n’est donné que par notre auteur.
  109. Sur l’emploi de ces termes, voir plus haut, p. 15, n. 12.
  110. Raimond d’Aguilers, 2, p. 237.
  111. D’après Raimond d’Aguilers (2, p. 238), le comte avait eu déjà avec l’empereur une entrevue et une discussion animée.
  112. En représailles du sac de Rousa, les troupes impériales avaient attaqué les Provençaux à Rodosto. Voir, dans Raimond d’Aguilers (loc. cit.), le récit plus complet du conflit et de l’arbitrage auquel l’empereur se soumit.
  113. On ignore la date de l’arrivée du comte de Flandre à Constantinople.
  114. Détails confirmés par Raimond d’Aguilers (loc. cit.).
  115. Expression juridique pour désigner la cérémonie de l’hommage féodal auquel tous les princes, sauf Raimond et Tancrède, avaient accepté de se soumettre.
  116. Même récit et mêmes expressions dans Raimond d’Aguilers (loc. cit.).
  117. Le 26 avril 1097 (Albert d’Aix, II, 16, p. 312).
  118. Cf. Raoul de Caen, 12, p. 613.
  119. L’évêque du Puy, resté malade, arriva peu après (Raimond d’Aguilers, loc. cit.).
  120. D’après Anne Comnène (X, 11, p. 99), ce fut, au contraire, à Raimond de Saint-Gilles que l’empereur demanda des conseils.
  121. Confirmé par une lettre d’Anselme de Ribemont (Epistulae et chartae, p. 144).
  122. C’est-à-dire les troupes de la croisade populaire.
  123. Entre Nicomédie et Nicée se dresse l’Ouzoun Tchaïr Dagh, dont le sommet atteint 1 600 mètres.
  124. Ce détail ne se trouve que dans l’Anonyme et ses imitateurs.
  125. Sur le prestige de Nicée qui rappelait le premier concile œcuménique, voir Étienne de Blois (Epistulae et chartae, p. 140). Les ruines des remparts de Nicée, construits au ive siècle, existent encore avec leurs deux cent quarante tours. Cf. Schlumberger, Épopée byzantine, t. I (1896), p. 389-393.
  126. Le 6 mai 1097. Date confirmée par une lettre d’Anselme de Ribemont (Epistulae et chartae, p. 144). Ce passage montre que l’Anonyme avait passé le Bosphore avec Tancrède. Raimond d’Aguilers confirme d’ailleurs que Bohémond a passé le Bosphore avant le comte de Toulouse.
  127. Le denier, unité monétaire depuis l’époque carolingienne, était une pièce d’argent du poids de deux grammes et demi environ.
  128. 14 mai 1097.
  129. Anselme de Ribemont, loc. cit. : « Cum vero per aliquot dies civitatem multis machinis atque variis bellicis instnimentis adgressi fuimus… » D’après Anne Comnène (XI, 2, p. 104), ces machines de guerre avaient été fournies par l’empereur.
  130. La porte du midi était encore libre, parce qu’elle avait été réservée aux Provençaux. Ces renseignements sur les agissements des Turcs furent connus grâce à la capture d’un émissaire de Soliman par les croisés (Albert d’Aix, II, 25-26, p. 318)
  131. 16 mai 1097.
  132. L’évêque du Puy commandait l’une des deux divisions de l’armée du midi.
  133. Allusion à la croix portée par les croisés sur leur armure. Le mot undique (« de tous côtés ») semble indiquer que le comte portait plusieurs croix.
  134. Cf. Raimond d’Aguilers (3, p. 239) et Étienne de Blois (Epistulae et chartae, p. 139). Anselme de Ribemont parle d’une ruse de guerre de la garnison, qui avait fait semblant de se rendre.
  135. Cf. Albert d’Aix, 27, p. 319-320.
  136. Témoignage intéressant sur l’emploi de l’arbalète, dont l’usage abandonné après les invasions reparaît au ixe siècle. Cf. V. Gay, Glossaire archéologique, au mot : arbalète.
  137. Récit concordant de Raimond d’Aguilers, 3, p. 239.
  138. Étienne, comte de Blois et de Chartres, époux d’Adèle, fille de Guillaume le Conquérant, avait quitté la France avec son beau-frère Robert Courte-Heuse, mais avait hiverné en Pouille et était arrivé l’un des derniers à Constantinople, où il avait reçu de l’empereur un accueil qui l’avait rempli d’enthousiasme. On a de lui deux lettres à la comtesse Adèle, datées de Nicée (24 juin 1097), et d’Antioche (29 mars 1098).
  139. Roger, seigneur de Barneville-sur-Mer (Manche). Orderic Vital, IX, 7, éd. Le Prévost, t. III, p. 503.
  140. Témoignage important, qui montre pour la première fois une entente entre tous les chefs croisés. Cf. Albert d’Aix, II, 32, p. 323.
  141. L’Anonyme ne cherche pas à donner un chiffre. Celui des autres chroniqueurs, comme Foucher de Chartres, I, 10, p. 333 (600 000 combattants, dont 100 000 chevaliers), est simplement fabuleux.
  142. Le lac Ascanius, situé au sud de Nicée. Cf. Raimond d’Aguilers, 3, p. 239-240.
  143. Anne Comnène (XI, 2, p. 105) donne le nom du commandant de la flottille, Manuel Boutoumitès.
  144. Sur ce combat, cf. Anne Comnène, XI, 2, p. 106.
  145. Cf. Raimond d’Aguilers, 3, p. 239 ; Foucher de Chartres, I, 10, p. 333 ; Albert d’Aix, II, 37, p. 327-328 ; Étienne de Blois, lettre I (Epistulae et chartae, p. 140) ; Anselme de Ribemont, lettre I (Epistulae et chartae, p. 144). Ces deux lettres confirment la date de la capitulation de Nicée, 26 juin. Anne Comnène (XI, 2, p. 106) dit que les pourparlers eurent lieu par l’intermédiaire de Manuel Boutoumitès, qui reçut un sauf-conduit pour entrer dans la ville.
  146. Tous les chroniqueurs expriment leur indignation de la conduite de l’empereur (Raimond d’Aguilers, 3, p. 239-240 ; Foucher de Chartres, I, 10, p. 333). En réalité, à cette date les chefs croisés n’étaient pas brouillés avec Alexis et paraissent avoir eu de tout autres sentiments. Anselme de Ribemont montre les Grecs et les Latins s’unissant pour louer Dieu. L’entrevue de Pelekanon entre Alexis et les croisés, que l’Anonyme ne mentionne pas, semble avoir été très cordiale (Anselme de Ribemont et Étienne de Blois, lettres, dans Epistulae et chartae, p. 140 et 145). Cf. Anne Comnène, XI, 3, p. 109.
  147. Du 6 mai au 26 juin 1097, soit cinquante et un jours.
  148. Cf. Apocalypse 6, 9 et 11 ; 7 ; 9.
  149. Cf. Apocalypse 6, 10.
  150. Foucher de Chartres (I, 10, p. 333) et Étienne de Blois (lettre, dans Epistulae et chartae, p. 143) parlent de magnifiques présents faits par l’empereur à tous les chevaliers et aux simples piétons.
  151. Le 28 juin d’après Raimond d’Aguilers (3, p. 240) et Anselme de Ribemont (lettre I, dans Epistulae et chartae, p. 145), le 29 d’après Foucher de Chartres (I, 11, p. 334). En revanche, tous les textes placent la bataille de Dorylée le 1 juillet. Les divergences proviennent de ce que les étapes ne furent pas les mêmes pour toutes les bandes.
  152. Ce détail montre la pénurie des renseignements dont disposaient les croisés. Raimond d’Aguilers (3, p. 240) accuse Bohémond de s’être écarté avec témérité. Albert d’Aix (p. 328-329) voit dans cette division une nécessité de ravitaillement.
  153. Anselme de Ribemont et Foucher de Chartres placent le comte de Flandre dans la division de Bohémond.
  154. Le nom du champ de bataille, Dorylée, aux environs d’Eski-Cheïr actuel, n’est donné que par Anne Comnène (XI, 3, p. 111). Raimond d’Aguilers et la Chronique de Saint-Pierre du Puy (p. 163-164) l’appellent Campus Floridus, le « Champ-Fleuri ».
  155. Probablement le cri de guerre traditionnel : « Allah akbar » (Dieu est grand !), dont Raoul de Caen (40, p. 636) fait « Allachibar ».
  156. Le mot descendere dont se sert ici l’Anonyme est employé plusieurs fois par lui dans le sens de « descendre de cheval ».
  157. Rien ne montre mieux le rôle subordonné dévolu aux piétons dans les armées de cette époque.
  158. Mention intéressante des femmes qui suivaient les bandes de croisés. Cf. Albert d’Aix, II, 34, p. 317 et 329.
  159. Contrairement à l’interpolation (p. 46, note h), acceptée par Bongars, qui parle d’une hésitation des croisés à venir au secours des leurs, Anselme de Ribemont (Epistulae et chartae, p. 146) et Raimond d’Aguilers (4, p. 240) montrent les chefs croisés se hâtant aussitôt vers le champ de bataille.
  160. Cf. Anselme de Ribemont, lettre citée (Epistulae et chartae, p. 145).
  161. Sur le rôle d’Adémar de Monteil dans cette bataille, voir la Chronique de Saint-Pierre du Puy, p. 163-164.
  162. On ignore s’il s’agit d’un peuple ou d’un corps de troupes ainsi désigné à cause de son armement. Au ch. XXI, l’Anonyme les montrera entièrement couverts de fer. De même Guibert de Nogent, V, 8, p. 189-190.
  163. Bien que l’État des Pauliciens ait été détruit en 872 par Basile Ier, leurs doctrines se sont perpétuées en Europe dans celles des Bogomiles et, en Asie, dans un certain nombre de sectes, telles que les Christopolites de Phrygie, mentionnés au xie siècle (voir le témoignage d’Euthymios Zigabenos publié par Cumont dans la Byzantinische Zeitschrift, ann. 1903, p. 582) ; persécutées dans l’empire, ces sectes s’étaient réfugiées en territoire musulman. Les Pauliciens (sous le nom de Publicani) sont mentionnés par Étienne de Blois dans une de ses lettres (Epistulae et chartae, p. 150).
  164. Chiffre sans valeur, de même que celui d’Anselme de Ribemont (lettre dans le recueil des Epistulae et chartae, p. 145), qui donne 260 000 Turcs. La formule « dont nul, si ce n’est Dieu, ne connaît le nombre » est courante dans la langue ecclésiastique.
  165. Allusion à la deuxième division des croisés mentionnée plus haut.
  166. Onfroi de Monte-Scabioso (voir plus haut, p. 21) ; on ne sait si c’est le même.
  167. L’emploi du futur indique que ce passage a été rédigé au cours de l’expédition.
  168. Allusion curieuse à la légende qui fait descendre des Troyens les Francs et les Turcs.
  169. Réflexions personnelles d’un grand intérêt. C’est le plus ancien témoignage, exprimé d’une manière naïve, de l’estime mutuelle que les Francs et les Turcs ne cessèrent d’acquérir au cours des croisades.
  170. Soliman II (Kilidsch Arslan), sultan seldjoucide, avait succédé à son père Soliman Ier en 1086. C’était lui qui commandait les Turcs à la bataille de Dorylée.
  171. Le passage reproduit les termes mêmes qui ont servi à décrire la puissance de l’armée turque avant la bataille de Dorylée. Voir plus haut, p. 46. Sur le caractère et la valeur de ce morceau, voir l’Introduction, p. vi.
  172. C’est-à-dire en Asie Mineure. Sur le sens du mot Romanie, voir ch. II, p. 9.
  173. Ce fut seulement après un repos de deux jours que les croisés commencèrent à poursuivre les Turcs (Foucher de Chartres, I, 12, p. 336).
  174. Aucune source n’indique exactement la route suivie par les croisés entre Dorylée et Iconium, mais il ressort des renseignements de notre Anonyme qu’ils ont traversé les plateaux désertiques de Lycaonie, à l’est de l’Emir Dagh, en plein mois de juillet, dans un pays où la température moyenne de l’été atteint vingt-six degrés et où il n’y a, en fait d’eaux, que des marécages et des étangs salés
  175. Probablement les cactus, aloès et autres plantes épineuses, seule végétation des déserts d’Anatolie.
  176. Iconium (Konieh), au centre du plateau d’Anatolie, à 1 187 mètres d’altitude, prise par les Turcs en 1084, mais, d’après Guillaume de Tyr (Historiens occidentaux, t. I, p. 18), évacuée par eux devant les croisés.
  177. Certainement des chrétiens et probablement des Arméniens.
  178. Eregli, l’ancienne Héraclée, sur le versant nord du Taurus cilicien, est, en effet, séparée d’Iconium par un désert. D’après Foucher de Chartres (I, 14, p. 337), les croisés y observèrent une comète qui fut vue en Occident au début d’octobre (Sigebert de Gembloux, dans les Monumenta Germaniae, Scriptores, t. VI, p. 367).
  179. Du 10 au 13 septembre 1097.
  180. Tancrède et Baudouin marchent directement au sud, à travers le Taurus cilicien, que le reste de l’armée franchira plus à l’est.
  181. Tarse, ville importante de Cilicie, non loin de l’embouchure du Cydnus, devenue, en 1072, la possession d’un chef arménien (Laurent, Byzance et les Turcs seldjoucides, p. 86-87). Sur ces événements, voir le récit plus détaillé de Raoul de Caen (33-47, p. 629-641) et d’Albert d’Aix (III, 5-17, p. 342-350).
  182. Baudouin avait perdu le contact avec Tancrède pendant la traversée du Taurus. C’est à tort que Foucher de Chartres (I, 14, p. 337) fait occuper la ville par Tancrède avant l’arrivée de Baudouin. Le témoignage de l’Anonyme est confirmé par Raoul de Caen (33, p. 629) et Albert d’Aix (III, 5, p. 342).
  183. Tarse était habitée par des Arméniens et des Grecs.
  184. D’après Raoul de Caen (33, p. 630, et 37, p. 633), Baudouin avait 500 chevaliers et 2 000 piétons, Tancrède 100 chevaliers et 200 piétons.
  185. Adana, au pied du Taurus, dans la partie la plus fertile de la Cilicie.
  186. Aujourd’hui Missis (l’antique Mopsueste), sur la rive droite du Djihoun.
  187. La Petite-Arménie (anciennes provinces de Cappadoce et de Cilicie) avait été colonisée, depuis le viie siècle, par les Arméniens fuyant devant l’invasion arabe. Au xie siècle, après la conquête de la Grande-Arménie par les Turcs, des chefs arméniens s’y étaient établis. Voir Laurent, L’Arménie entre Byzance et l’Islam (1919), p. 6 et 300.
  188. Ce qui signifie que Siméon, comme plus loin Pierre d’Aups, tint cette terre en fief des princes croisés.
  189. Kaïsarieh actuelle, située au centre du massif montagneux d’Argée.
  190. D’après Baudri de Bourgueil (I, 7, p. 39), cette ville serait Plastencia, l’ancienne Comana.
  191. Identifié avec Pierre d’Aups (localité du département du Var), seigneur provençal, passé du service de Robert Guiscard à celui d’Alexis Comnène. Voir Orderic Vital, IX, 8, éd. Le Prévost, t. III, p. 515.
  192. Passage intéressant qui résume les conditions juridiques dans lesquelles les princes croisés accordaient des fiefs et qui les montrent encore fidèles au serment prêté à l’empereur.
  193. Peut-être Gueuk-Sou, sur le versant méridional du Taurus.
  194. Probablement des Arméniens.
  195. Cette décision prise par Raimond « en son conseil » montre le manque d’entente entre les chefs et l’on peut y voir déjà une preuve des visées du comte de Toulouse sur Antioche.
  196. Probablement Castillon (Gironde).
  197. Guillaume, seigneur de Montpellier.
  198. Roaix (Vaucluse).
  199. Raimond d’Hautpoul est cité par Raimond d’Aguilers, 5, p. 254.
  200. Sur les Publicains ou Pauliciens, voir plus haut, p. 49, n. 3.
  201. Vallée située à l’est d’Antioche, sur la route d’Alep, dans les environs du village actuel de Riha.
  202. Sur Rusa (qui est peut-être aujourd’hui Ruweha, au sud-est de Riha), voir Foucher de Chartres, II, 45, p. 423.
  203. Entre Césarée et Marasch, les croisés durent franchir les chaînes parallèles de l’Antitaurus par des passages très élevés.
  204. « Saumarius », sommier, cheval chargé de paquets, du grec σάγμα (bât), corrompu en « salma ».
  205. Sur le poids extraordinaire de cet armement, broignes, heaumes, écus, nous avons le témoignage à peu près contemporain de la Tapisserie de Bayeux, qui représente les préparatifs de l’expédition d’Angleterre. On y voit des porteurs chargés des lourdes broignes qu’ils vont embarquer dans les nefs.
  206. Marasch, située au pied du massif de l’Akhir Dagh, au débouché, dans la plaine, de la haute vallée du Djihoun. Les croisés y parvinrent vers le 13 octobre.
  207. On a vu plus haut que Bohémond s’était lancé à la poursuite des Turcs sans pouvoir les atteindre. Étienne de Blois fait allusion à cette poursuite (2e lettre, dans Epistulae et chartae, p. 150).
  208. La vallée de l’Oronte. Antioche, qui était encore une très grande ville, était bâtie sur la rive gauche de l’Oronte et escaladait au sud les pentes du mont Silpius. Reconquise sur les Arabes par Nicéphore Phocas en 969, elle avait été prise par les Turcs en 1085.
  209. Plusieurs manuscrits portent « Ferreum », pont de fer. L’explication de cette épithète par Albert d’Aix (III, 23, p. 302), d’après laquelle à l’entrée du pont se dressaient deux tours inattaquables par le fer, est enfantine. Guillaume de Tyr (Historiens occidentaux, t. I. p. 164) explique que l’Oronte était appelé « Far » ou « Fer », d’où le nom de « pons farreus » ou « ferreus ». Il était situé sur la route d’Alep à Antioche.
  210. Sur ce combat, voir la lettre 1 d’Anselme de Ribemont (Epistulae et chartae, p. 145), qui donne la date du 20 octobre.
  211. C’est-à-dire le 21 octobre ; la date et l’heure données par l’Anonyme sont confirmées par Anselme de Ribemont, lettre no 1 (Epistulae et chartae, p. 145).
  212. L’enceinte d’Antioche (près de six kilomètres d’est en ouest, quatre kilomètres du nord au sud) avait été reconstruite par Justinien en 540. Au sud, elle escaladait les pentes du mont Silpius. Voir Ch. Diehl, Justinien, p. 582-583.
  213. Sur cette abondance et sur l’imprévoyance des croisés, qui gaspillaient les provisions, voir les détails donnés par Raimond d’Aguilers, 5, p. 242.
  214. Les Syriens formaient la population indigène la plus cultivée. Le nombre des Arméniens s’était accru dans la ville vers 1084, lorsqu’un noble arménien, Philarète Brachamios, avait fait d’Antioche la capitale d’une principauté, détruite par les Turcs en 1085.
  215. Aregh (Harenc de Raoul de Caen et Guillaume de Tyr), situé, d’après Anselme de Ribemont (lettre no 1, dans Epistulae et chartae, p. 138), à huit milles d’Antioche, au delà du pont du Far, autrement dit de l’Oronte (voir plus haut, p. 66, n. 1).
  216. À partir du siège d’Antioche, l’entente est plus grande entre les chefs de bandes. Les opérations sont dirigées par le conseil de guerre qui est mentionné à plusieurs reprises et qui était composé des principaux chefs.
  217. Le mont Maregart (Malreguart, Raimond d’Aguilers) a pu recevoir ce nom des croisés eux-mêmes.
  218. Sur ces souffrances, voir Anselme de Ribemont (lettre no 2, dans Epistulae et chartae, p. 167) : il ne restait que 700 chevaux dans toute l’armée.
  219. L’auteur oppose la « terre des chrétiens », habitée par les Arméniens et les Syriens, au nord et à l’ouest d’Antioche, à la « terre des Sarrasins », située au sud et à l’est.
  220. Effort curieux des chefs croisés pour adopter un plan d’ensemble.
  221. Hostis (l’ « ost ») a ici le sens du gros de l’armée établie dans le camp.
  222. Godefroi de Bouillon étant malade, ce fut le comte de Toulouse et l’évêque du Puy qui dirigèrent la défense du camp (Raimond d’Aguilers, 5, p. 243).
  223. 15 000 piétons et 2 000 chevaliers d’après Albert d’Aix (III, 50, p. 374), mais, comme, d’après Anselme de Ribemont (lettre citée, Epistulae et chartae, p. 167), il n’y avait plus que 700 chevaux dans toute l’armée, on voit combien ces chiffres sont suspects.
  224. Allusion à la croix portée par tous les croisés. Voir plus haut, p. 37, n. 7.
  225. Rom., 9, 22. Sur cette bataille livrée le 31 décembre 1097, voir Anselme de Ribemont (lettre no 2, dans Epistulae et chartae, p. 58) et Raimond d’Aguilers, 6, p. 244-246.
  226. Le mardi 29 décembre 1097.
  227. Raimond d’Aguilers (5, p. 244) donne un récit plus complet de cette sortie des assiégés, dont l’indiscipline des piétons fit un désastre pour l’armée chrétienne.
  228. Raimond d’Aguilers (5, p. 244) dit que le porte-bannière fut tué et que les Turcs, après avoir pris la bannière sur laquelle était figurée la Vierge du Puy, l’arborèrent par dérision sur les remparts.
  229. La bataille a lieu devant la ville, les croisés étant sur la rive droite de l’Oronte. C’est ce qui ressort aussi du récit de Raimond d’Aguilers.
  230. Allusion à un fait postérieur à la rédaction du morceau, car ce n’est que vers le 5 avril 1098 (voir chap. xix) que Tancrède fut chargé de garder un château situé à l’ouest de la ville, sur les dernières pentes du mont Silpius, d’où l’expression : « Tancredi montanam. »
  231. Sur la déception des croisés au retour de cette expédition de ravitaillement, voir Raimond d’Aguilers, 6, p. 245 : « Regresso exercitu victore et vacuo », et Albert d’Aix, III, 52, p. 375.
  232. Purpuratus, traduction du mot grec « hyperperos », hyperpre. synonyme du sou d’or, « nomisma », valant 1/72 de livre, soit une pièce d’or de 15 à 16 francs en poids, valant, d’après la législation byzantine, 12 deniers ou « miliaresia ». L’Anonyme donne ici sa valeur en deniers d’Occident, soit 15 deniers pour un hyperpre au lieu de 12. Voir Andréadès, Ἱστορία τῆς ἑλληνικὴς δημοσίας οἰκονομίας (Histoire de l’économie politique des Grecs), Athènes, 1918, p. 405. Raimond d’Aguilers (6, p. 245) donne ce détail que, pendant cette période de détresse, la nourriture d’un cheval coûtait 7 ou 8 sous, soit 105 à 120 deniers, par nuit.
  233. Guillaume le Charpentier, vicomte de Melun, parent de Hugue le Mainsné. Il avait fait partie de l’armée de Godefroi de Bouillon (Albert d’Aix, I, 28, p. 294, et IV, 36, p. 414).
  234. C’est la première fois que le nom de Pierre l’Ermite est prononcé depuis le départ de Constantinople ; il n’a donc dans l’armée qu’un rôle secondaire.
  235. Il avait pris part à une expédition contre les Maures et avait déserté (Guibert de Nogent, IV, 7, p. 174).
  236. Dans la pensée de l’auteur, les Francigenae diffèrent des Franci. Il entend par là les Français des provinces du nord, compatriotes de Guillaume le Charpentier et qui, à ce titre, intercèdent pour lui.
  237. Il s’enfuit pendant le siège d’Antioche par Kerbôga. Voir plus loin, chap. XXIII, où l’Anonyme ne rappelle pas son nom, mais il est désigné par Albert d’Aix, IV, 39, p. 417. Cette nouvelle allusion à un fait postérieur montre que ce chapitre n’a été rédigé qu’après le mois de juin 1098.
  238. Renseignement qui concorde à peu près avec celui d’Anselme de Ribemont. Voir plus haut, p. 73, n. 2.
  239. Tetigus (Tatikios), grand primicier, représentait l’empereur auprès des croisés. Son départ, attribué par l’Anonyme et par Raimond d’Aguilers (6, p. 245) à la lâcheté, fut dû, d’après Anne Comnène (XI, 4, p. 113), aux intrigues de Bohémond pour s’assurer la possession d’Antioche, malgré les serments prêtés à l’empereur. Voir Chalandon, Alexis Comnène, p. 199-203.
  240. La « Romanie » désigne ici tout l’empire, suivant le sens employé couramment par les Grecs.
  241. D’après Raimond d’Aguilers (6, p. 245), Tatikios, préoccupé du ravitaillement des croisés, leur aurait conseillé de bloquer Antioche en s’établissant dans les châteaux voisins à une certaine distance.
  242. Domestici désigne la « maison » civile et militaire du haut dignitaire byzantin qu’était Tatikios.
  243. L’île de Chypre avait été recouvrée par l’empire byzantin depuis 965.
  244. Iagi-Sian, gouverneur d’Antioche, avait envoyé ses fils auprès des émirs de Damas, Alep et Jérusalem, pour leur demander des secours (Étienne de Blois, lettre no 2, dans Epistulae et chartae, p. 150, d’après qui l’armée turque de secours comprenait 12 000 hommes). Ces renseignements sont confirmés par les sources arabes (Recueil des historiens des croisades ; historiens orientaux, II, p. 329).
  245. D’après Raimond d’Aguilers (7, p. 246), ce conseil de guerre eut lieu au quartier de l’évêque du Puy, « in domo episcopi ».
  246. Le lac d’Antioche, situé à environ trente kilomètres au nord-est de la ville, reçoit les eaux du Kara-Sou et se déverse dans l’Oronte par un émissaire. Étienne de Blois (lettre no 2, dans Epistulae et chartae, p. 150) et Anselme de Ribemont (lettre no 2, Ibid., p. 158) s’accordent sur le chiffre de 700 chevaliers comme effectif de l’armée des croisés.
  247. L’Anonyme met Bohémond au premier plan et lui attribue tout l’honneur de la victoire. Raimond d’Aguilers (7, p. 247) reproduit tous les détails donnés par l’Anonyme, division en six corps de bataille, recul des croisés, rétablissement du combat. Le récit d’Étienne de Blois et d’Anselme de Ribemont (lettres citées plus haut, p. 83, n. 3) est plus bref.
  248. Le connétable, chef des écuries et, par suite, des chevaliers qui formaient la « maison » de Bohémond, était un des principaux personnages de sa bande et portait sa bannière.
  249. Ce discours, dont la véracité est plus que suspecte, trahit certainement le langage d’un clerc. Voir l’Introduction, p. vi-vii.
  250. La bannière de Bohémond était écarlate (Foucher de Chartres, I, 17, p. 343 ; Albert d’Aix, IV, 23, p. 405). Sur ces bannières terminées par plusieurs flammes, voir C. Enlart, Manuel d’archéologie française, t. III : le Costume (1916), p. 461 et fig. 402-403 (reproductions de la « tapisserie de Bayeux »), et la Revue de l’art chrétien, ann. 1912, p. 348 (chapiteau de Notre-Dame-du-Port à Clermont).
  251. C’est-à-dire : de l’Oronte. Voir plus haut, p. 66, n. 1.
  252. Cf. Anselme de Ribemont (lettre no 2, dans Epistulae et chartae, p. 158 : « Illo proelio nostri non paucis equis recuperatis »).
  253. Le calife fatimite du Caire (Babylone) était l’ennemi des Turcs, qui lui avaient enlevé la Syrie : d’où ces rapports diplomatiques avec les croisés. Cf. Raimond d’Aguilers (7, p. 247) et la deuxième lettre d’Étienne de Blois (Epistulae et chartae, p. 151).
  254. Sur ce combat, voir Raimond d’Aguilers (7, p. 247).
  255. Le mardi 9 février 1098.
  256. Sur cette expression, voir p. 71, n. 4. Les Turcs se replièrent sur Alep.
  257. Ce conseil de guerre eut lieu le 5 mars (lettre du clergé et du peuple de Lucques, dans les Epistulae et chartae, p. 166).
  258. D’après la description plus précise de Raimond d’Aguilers (5, p. 242-243), le pont se trouvait à l’angle occidental de la ville et sur un monticule, en face des croisés, étaient deux mosquées (Machumariae, Bafumariae, « Mahomeries ») et un cimetière musulman. La porte du pont s’appelait « porte de la Mer », comme étant la plus rapprochée de Port-Saint-Siméon.
  259. Port-Saint-Siméon (appelé ainsi en l’honneur de saint Siméon le Stylite, dont le monastère, Kalaat-Sem’an, était non loin de là) se trouvait à l’embouchure de l’Oronte, environ à vingt-deux kilomètres d’Antioche.
  260. Des navires occidentaux, chargés de pèlerins et de provisions, avaient abordé à Port-Saint-Siméon : treize navires génois vers le 17 novembre 1097 (Raimond d’Aguilers, 5, p. 241 ; Cafaro, Liberatio Orientis, dans les Historiens occidentaux, t. V, p. 50) et, le 4 mars 1098, des navires anglais, sur l’un desquels se trouvait Bruno de Lucques (lettre du clergé et du peuple de Lucques, dans les Epistulae et chartae, p. 166).
  261. Ils n’emmenaient que soixante chevaliers (voir lettre no 2 d’Étienne de Blois, dans les Epistulae et chartae, p. 166).
  262. C’est-à-dire le château dont la construction était résolue.
  263. D’après Raimond d’Aguilers (7, p. 248) et Anselme de Ribemont (lettre no 2, dans les Epistulae et chartae, p. 158), la défaite fut due à l’indiscipline des croisés.
  264. Le 6 mars 1098.
  265. Récit analogue dans la deuxième lettre d’Étienne de Blois (Epistulae et chartae, p. 151) et dans Raimond d’Aguilers (8, p. 248-249).
  266. D’après Étienne de Blois, les croisés ne perdirent dans ce combat que 500 piétons et deux chevaliers.
  267. Renseignement particulier à l’Anonyme, qui était resté au camp. Étienne de Blois (lettre citée) dit seulement que les croisés restés au camp se préparaient à aller au-devant de l’expédition de Port-Saint-Siméon, quand les Turcs firent une sortie par la porte du pont et attaquèrent les chrétiens. Ce fut à ce moment que Bohémond et Raimond de Saint-Gilles revinrent avec leur troupe. Les deux récits se concilient, mais celui d’Étienne de Blois est plus complet.
  268. Cf. le récit analogue d’Étienne de Blois (loc. cit.) : « Nam cum transire per pontem super flumen magnum Moscholo fundatum vellent, nos eos comminus insequentes, multos ex ipsis, antequam accederent ad pontem, interfecimus, multos in flumen projecimus ».
  269. Math., 25, 41.
  270. D’après Étienne de Blois (lettre citée, Epistulae et chartae, p. 151), il périt 30 émirs, 300 nobles turcs, en tout 1 230 Turcs ou Sarrasins (1 400 d’après Anselme de Ribemont, 2e lettre, Ibid., p. 158).
  271. Même renseignement dans Raimond d’Aguilers, 8, p. 250.
  272. Le 7 mars.
  273. À l’endroit même où les croisés voulaient construire un château.
  274. Le « besant », ainsi appelé de « Byzance », est la même pièce que le sou d’or ou l’hyperpre. Voir p. 76, n. 1.
  275. Sur cette ambassade égyptienne, voir chap. xvii, p. 87. Cf. le récit de Raimond d’Aguilers, 8, p. 249.
  276. Le 8 mars, date confirmée par la lettre du clergé et du peuple de Lucques (Epistulae et chartae, p. 166) : « Tertia autem die erecto castello. »
  277. Sur cette construction improvisée, voir la deuxième lettre d’Anselme de Ribemont (Epistulae et chartae, p. 158-159). L’Anonyme ne dit rien des incidents à la suite desquels le comte de Toulouse prit le commandement du château (Raimond d’Aguilers, 8, p. 249-250).
  278. Ce château se trouvait auprès du monastère de Saint-Georges, sur la rive gauche de l’Oronte, sur les pentes occidentales du mont Cassius. C’est ce secteur que l’Anonyme a appelé au chapitre XIV (p. 75) : « La montagne de Tancrède. »
  279. Aucun des manuscrits ne donne le récit de la discussion qui se trouve dans le texte de Bongars et de Tudebode.
  280. Cf. les récits analogues de Raimond d’Aguilers (8, p. 230) et Raoul de Caen (50, p. 643). Le marc, dérivant de la livre romaine, était l’unité de poids des métaux précieux, valant au xie siècle 8 onces, soit 12 deniers d’argent.
  281. Le mot sergent est employé ici comme synonyme de piéton.
  282. Le jour où Tancrède prit le commandement du château, c’est-à-dire vers le 5 avril.
  283. Cette réflexion montre que ce chapitre et les suivants ont été rédigés par l’Anonyme après la prise d’Antioche.
  284. Expression intéressante qui prouve que la rédaction de cette partie a bien eu lieu au cours de la croisade.
  285. Firouz, d’après les sources arabes (Recueil des historiens des croisades ; documents arméniens, t. I, p. 40, n. 2). Il était fabricant de cuirasses, et la tour qu’il gardait avait une fenêtre grillée d’où l’on voyait la vallée où se trouvaient les Francs. Guillaume de Tyr (Historiens occidentaux, t. I, p. 212) l’appelle Emirfeirus et dit que sa tour, située près de la porte Saint-Georges, à l’ouest, s’appelait la tour des Deux-Sœurs.
  286. En fait, Firouz se convertit au christianisme, reçut au baptême le nom de Bohémond, prit part à l’expédition dans les rangs des croisés jusqu’à la prise de Jérusalem, puis retourna chez les Musulmans et apostasia (Guibert de Nogent, VI, 17, p. 212, et Chronique anonyme de Fleury, dans les Historiens occidentaux, t. V, p. 357).
  287. Ingeniare signifie littéralement « prendre la ville au moyen d’engins », c’est-à-dire de machines de guerre. Comme le récit de l’Anonyme ne fait aucune mention de l’emploi de machines de ce genre au siège d’Antioche, il faut prendre ce mot dans un sens plus général, « prendre d’assaut ».
  288. Une armée envoyée par le sultan de Perse (Kharezm) et commandée par l’émir de Mossoul, Kerbôga, marchait au secours d’Antioche et, sur sa route, avait assiégé inutilement Édesse. La nouvelle arriva aux croisés peu de jours avant la capitulation de la ville (Anselme de Ribemont, 2e lettre, dans les Epistulae et chartae, p. 159) et, d’après Albert d’Aix (IV, 14, p. 398-399), sept jours avant l’arrivée de l’armée turque devant la ville, soit le 28 mai.
  289. Les Grecs appelaient « Azymites » tous ceux qui usaient de pain azyme pour l’Eucharistie, comme les Latins, les Maronites, les Arméniens. C’est de ces derniers qu’il est question ici.
  290. Ce conseil de guerre eut lieu vraisemblablement le 29 mai 1098.
  291. L’Anonyme est le seul à donner le texte précis de cette convention importante, véritable compromis entre les projets ambitieux de Bohémond, qui ne paraît plus se soucier des droits de l’empereur, et la résistance des autres princes, surtout Raimond de Toulouse, qui veulent réserver les droits impériaux comme une barrière aux projets de Bohémond. Albert d’Aix (IV, 16, p. 400) cite simplement le fait. Raimond d’Aguilers (8, p. 250) le place en janvier et dit que Raimond de Toulouse refusa de faire aucune promesse.
  292. La dernière nuit qui précède la reddition d’Antioche, nuit du 2 au 3 juin.
  293. La terre des Sarrasins était située à l’est et au sud ; la montagne à droite (par rapport au camp des croisés) était, au contraire, à l’ouest, où se trouvaient les tours de Firouz.
  294. Sur les « sergents », voir p. 99, n. 3.
  295. D’après Raoul de Caen (64, p. 653), ce fut l’évêque du Puy qui fut averti le premier des projets de Bohémond et ce fut seulement ensuite que les princes furent convoqués.
  296. Dans la nuit du 2 au 3 juin.
  297. Au méridien d’Antioche, le 3 juin, le soleil se lève à quatre heures et demie ; ce fut donc vers quatre heures que commença l’escalade.
  298. Il n’y a aucune raison pour mettre en doute, comme le veut Hagenmeyer (édition des Gesta, p. 303, n. 43), la véracité de la réflexion de Firouz. Le grec était resté en Orient une langue internationale et beaucoup de Turcs le parlaient.
  299. Sur le sens du mot « Longobard », voir p. 6, n. 2.
  300. L’auteur se trouvait donc dans la suite de Bohémond.
  301. L’emploi de la première personne montre que l’Anonyme faisait partie lui-même de cette troupe.
  302. Il s’agit de la citadelle d’Antioche, située au point le plus élevé de l’enceinte, sur les pentes du mont Cassius. Les croisés ne purent s’en emparer.
  303. L’Anonyme omet les tentatives que fit Bohémond pour s’emparer de cette citadelle et au cours desquelles il fut blessé (Foucher de Chartres, I, 17, p. 343, et Raimond d’Aguilers, 9, p. 252).
  304. Ce récit de la prise d’Antioche concorde avec les détails donnés dans la lettre des princes à Urbain II (Epistulae et chartae, p. 162) et dans la chronique de Raimond d’Aguilers (9, p. 251-252).
  305. Cassian, transcription de Iagi-Sian, Jaghi-Seian, Yâgi-Sian (Aboulfeda, dans le Recueil des historiens des croisades ; historiens orientaux, t. I, p. 3 et 863). Émir d’Antioche et beau-père de Roudwân, prince d’Alep (voir H. Derenbourg, Ousâma-ibn-Mounkidh. Un émir syrien au premier siècle des croisades, 1889, p. 229).
  306. La « terre de Tancrède » désigne certainement la région située à l’ouest de l’enceinte gardée par Tancrède et non les villes acquises par Tancrède en Cilicie.
  307. Le « casal » est un village habité par des tenanciers et entouré de terres. Après la conquête franque, le casal devint une subdivision du fief (voir Rey, Colonies franques de Syrie, p. 241).
  308. Sur la mort de Iagi-Sian, mêmes témoignages d’Anselme de Ribemont, de la lettre des princes à Urbain II et de Raimond d’Aguilers (voir p. 109, n. 3).
  309. Sur la valeur des besants, voir p. 95, n. 3.
  310. Courbaram (appelé Corbaga par Raimond d’Aguilers, Corbagath par Foucher de Chartres, Κουρπαγάν par Anne Comnène, Kerbôga par les historiens arabes), émir de Mossoul, au service des sultans seldjoucides de Perse.
  311. La Perse désigne l’empire turc seldjoucide, gouverné par le sultan Barkariok (1092-1104).
  312. Le calife abbasside de Bagdad, dont les Turcs reconnaissaient l’autorité spirituelle : d’où sa naïve assimilation au pape des chrétiens.
  313. Curti, les Kurdes, que l’on trouve déjà établis en grand nombre hors de leur pays d’origine, en particulier en Syrie.
  314. Sur les Angulans, voir p. 49. Inutile de faire ressortir l’exagération du chiffre de trois cent mille, qui leur est attribué.
  315. Sensadolus, transcription de Schems-ed-daoula.
  316. On a vu plus haut que les Turcs s’étaient retranchés dans la citadelle d’Antioche. La démarche de Schems-ed-daoula prouve qu’elle n’était pas encore étroitement bloquée.
  317. La Romanie désigne ici l’Asie Mineure. Voir p. 9.
  318. Le fond même de ce dialogue est tout à fait vraisemblable et a pu être connu des croisés par des espions.
  319. Le 5 juin. Cf. la lettre des princes à Urbain II (Epistulae et chartae, p. 162) : « Qui iiia die nos obsederunt. » Anselme de Ribemont (Ibid., p. 159) et Albert d’Aix (IV, 27, p. 407) donnent, au contraire, le 4 juin.
  320. L’Oronte. Voir plus haut, p. 66, n. 1.
  321. Il s’agit d’une des tours qui défendaient l’entrée du pont du Far.
  322. Après la grande victoire remportée sur Courbaram (ou Kerbôga) le 28 juin. Là encore l’auteur anticipe sur les événements.
  323. Le 6 juin.
  324. Dans la presqu’île formée par l’embouchure du Kara-Sou dans l’Oronte, à sa sortie du lac d’Antioche.
  325. Les 6 et 7 juin.
  326. La citadelle d’Antioche, livrée à Courbaram par Schems-ed-daoula.
  327. L’emploi de cette allusion à un souvenir classique montre le caractère fabuleux du discours de Courbaram (ou Kerbôga). On plaçait le séjour des Amazones sur les bords du Thermodon et de l’Iris (Iechil Irmak), fleuves du Pont. Cette légende était populaire en Occident, comme le montre le curieux chapitre sur les Amazones et leurs rapports avec les Goths, inséré (d’après Jordanis et Orose) par Ekkehard d’Aura (mort en 1125) dans sa Chronique universelle (Migne, Patrologie latine, t. CLIV, col. 730-736).
  328. Ces réflexions inutiles forment contraste avec la sobriété habituelle des discours qui se trouvent dans notre texte. Sur le caractère artificiel de ces passages, voir l’Introduction, p. VI-VII.
  329. Ce protocole imité des chartes latines et l’expression d’ « apostolique » appliquée au calife achèvent de démontrer le caractère fabuleux et imaginaire du morceau.
  330. Les Occidentaux considéraient les Musulmans comme des païens adorant des idoles et croyant à l’existence de plusieurs dieux. Le point de vue de l’Anonyme est le même à cet égard que celui des chansons de geste.
  331. Sur le caractère entièrement romanesque de ce morceau, voir l’Introduction, p. VI-VII.
  332. Ps. 67, 31. La mère de Courbaram prononce un véritable sermon, qui est dû certainement à la même plume que le chapitre I.
  333. Ps. 78, 6.
  334. Rom., IX, 8 ; Gal., IV, 5.
  335. Rom., VIII, 17 : « Heredes quidem Dei, coheredes autem Christi. »
  336. Deuter., XI, 24-25 ; Josué, I, 4-5.
  337. En réalité, Courbaram ne devait mourir qu’en 495 de l’hégire (octobre 1101-1102) à Khoï, dans l’Azerbaïdjan (Recueil des historiens des croisades ; documents arméniens, t. I, p. 39).
  338. C’est-à-dire le Coran.
  339. Tout ce passage est inspiré des innombrables prophéties ou oracles attribués au prophète Daniel, aux Sibylles, à l’empereur Léon le Sage, répandus en Occident aussi bien qu’en Orient. Une rédaction de ces prophéties, attribuée à un certain Methodios de Patara, circulait en Occident depuis le viiie siècle (voir Byzantinische Zeitschrift, t. IX, 1900, p. 222-228). Au cours de son ambassade à Constantinople en 964, Liutprand, évêque de Crémone, avait entendu parler de ces livres prophétiques où les Grecs et les Sarrasins lisaient l’avenir (Liutprandi legatio, 37, dans les Monumentae Germaniae, Scriptores, t. III, p. 355). Sur toute cette littérature, voir la bibliographie de Krumbacher, Geschichte der Byzantinischen Litteratur (1897), p. 627-630. On peut en rapprocher les prophéties arabes transmises aux croisés devant Damiette en 1219 (édit. Röhricht, Quinti belli scriptores, publication de la Société de l’Orient latin, série historique, t. II, p. 202-228).
  340. Les douze signes du zodiaque. Témoignage intéressant sur la vogue de l’astrologie à cette époque.
  341. Il y a quelque obscurité dans cette réflexion ironique. Baudri de Bourgueil (III, 4, p. 63, variante 25 des manuscrits G) en a certainement altéré le sens en essayant de l’expliquer. En revanche, les chiffres donnés comme correspondant aux besoins des croisés seraient intéressants si l’on pouvait en prouver la véracité.
  342. Exode, XX, 11.
  343. Le 8 juin. L’Anonyme reprend son récit au troisième jour de l’arrivée de Courbaram devant Antioche. La lettre des princes à Urbain II (Epistulae et chartae, p. 162) et celle d’Anselme de Ribemont (Ibid., p. 159) indiquent la même date.
  344. La citadelle, toujours occupée par les Turcs.
  345. Cette porte se trouvait au midi, dans la partie la plus élevée de l’enceinte.
  346. Le 10 juin. D’après la lettre des princes à Urbain II (citée, p. 125, n. 4), cent Turcs avaient réussi à pénétrer dans la citadelle et essayèrent vainement de franchir la porte qui, dans le bas, la faisait communiquer avec la ville.
  347. Grandmesnil, arrondissement de Lisieux.
  348. Guy Trousseau, seigneur de Montlhéry.
  349. Lambert le Pauvre, comte de Clermont, près de Liége.
  350. Les variantes de C, qui introduisent deux autres noms et parlent de fuite au moyen d’une corde (dimissi sunt fune) dénotent une tradition postérieure, mais qui finit par prévaloir, les fugitifs n’étant plus désignés que sous le nom de « funambules ».
  351. C’est-à-dire qu’en descendant le long du mur ils s’étaient écorchés au point que leurs os étaient à vif.
  352. Dans une lettre aux évêques des Gaules datée de janvier 1099, le pape Pascal II excommuniait les déserteurs d’Antioche (Epistulae et chartae, p. 175).
  353. Comme l’indique la phrase suivante, ils sortirent du lit du fleuve pour gagner le large.
  354. Ce mur fut construit à l’intérieur de la ville, dont les Turcs occupaient les parties hautes.
  355. Cf. les lettres des princes à Urbain II (Epistulae et chartae, p. 162) et du clergé et du peuple de Lucques (Ibid., p. 166).
  356. D’après Raimond d’Aguilers (11, p. 255, et 18, p. 286), il s’appelait Étienne Valentin, et ce fut le 11 juin qu’il révéla sa vision.
  357. Cette croix n’est autre chose que celle qui orne toujours le nimbe réservé au Christ par la tradition de l’art religieux. Le prêtre voit le Christ comme il est représenté dans l’art.
  358. Sur les désordres des croisés après leur entrée dans Antioche, voir Raimond d’Aguilers, 9, p. 252, et Foucher de Chartres, I, 19, p. 345.
  359. On retrouve dans cette vision le motif iconographique de la « Deisis » (supplication) montrant la Vierge et le Précurseur implorant la miséricorde du Christ. Souvent saint Jean était remplacé par le patron d’une ville, saint Démétrius à Salonique, saint Marc à Venise. Or, saint Pierre étant le patron d’Antioche, sa présence ici est toute naturelle.
  360. Allusion à la cathédrale d’Antioche, dédiée à saint Pierre et changée en mosquée par les Arabes.
  361. Ps. 47, 4. Responsorium signifie les « répons » du chœeur. Le « vers » est la doxologie : Gloria Patri et Filio…, par laquelle on termine les psaumes.
  362. Exemple caractéristique des « épreuves » ou « jugements de Dieu » si usités à cette époque, dont Pierre Barthélemy sera victime plus tard et que l’évêque du Puy remplace par un serment sur la croix et l’Évangile.
  363. Le « sacrement » ne peut désigner ici que l’Eucharistie. C’est d’ailleurs, très clairement exprimée, l’interprétation du copiste du manuscrit de Cambridge () qui a ajouté : super, « sur le sacrement », pour plus de clarté.
  364. L’expression dicitur laisse supposer que l’Anonyme n’a pas assisté à la scène.
  365. Cependant, le découragement était tel que, le soir même, Bohémond et l’évêque du Puy durent arrêter de nouvelles tentatives de fuite (Raimond d’Aguilers, 11, p. 256).
  366. Cf. la lettre du clergé et du peuple de Lucques (Epistulae et chartae, p. 166) : « Un très pauvre Provençal méprisé de tous », et Raimond d’Aguilers, 10, p. 253 : « Un pauvre paysan ». Tudebode, p. 70, et l’Historia belli sacri, p. 201, donnent son nom : Pierre Barthélemi.
  367. D’après le récit de Pierre Barthélemi, saint André lui apparut cinq fois : au moment du tremblement de terre d’Antioche (30 décembre 1097), mercredi des cendres (10 février 1098), puis le dimanche des Rameaux (20 mars 1098), une quatrième fois lorsqu’il tenta de s’enfuir à Chypre, enfin le 10 juin 1098 (Raimond d’Aguilers, 10, p. 253-255).
  368. Jean, XIX, 34. Il est bon de remarquer que les empereurs byzantins prétendaient posséder la « sainte Lance », apportée à Constantinople après la prise de Jérusalem par les Perses. Au xie siècle, elle était conservée dans l’église Sainte-Marie-du-Phare (Ebersolt, Sanctuaires de Byzance, Paris, 1921, p. 9, 24, 116).
  369. C’est-à-dire au moment où Kerbôga tenait les croisés étroitement assiégés (10 juin).
  370. Avant de révéler sa vision aux princes, Pierre en parla à ses compagnons. Ce détail est particulier à notre texte. Raimond d’Aguilers donne la date du 11 juin comme celle de la révélation aux princes : la vision aurait eu lieu la nuit précédente.
  371. Cinq fois d’après Raimond d’Aguilers. Voir p. 133, n. 4.
  372. Le mur de la tour dont Hugue défendait l’accès.
  373. Geoffroi de Monte-Scabioso avait été tué à la bataille de Dorylée. Voir p. 50, n. 2.
  374. Le palais de Iagi-Sian (voir p. 109, n. 4). Raoul de Caen (76, p. 660-661) attribue cet incendie à l’initiative du comte de Flandre.
  375. C’est ainsi qu’il faut traduire in castellum. Le texte de Tudebode (p. 72) : « Dans la montagne située devant le château », l’interprète ainsi.
  376. La porte située en face du pont et du château de la Mahomerie, qui, avant la prise de la ville, avait été gardée par Raimond de Saint-Gilles et qu’il occupait toujours.
  377. Elle était située immédiatement à l’est de la porte de Raimond.
  378. Ce chiffre ne peut être admis que dans le sens de « beaucoup de maisons ».
  379. Cf. Raimond d’Aguilers, 11, p. 239. Ce mur devait arrêter les tentatives de la garnison turque de la citadelle pour pénétrer dans la ville.
  380. Dans une vallée du mont Cassius.
  381. Une étoile filante. Cf. Raimond d’Aguilers, 11, p. 257 : « Signum in coelo mirabile vidimus. »
  382. Les armées entrées dans la ville avaient reçu la garde du secteur qu’elles avaient assiégé.
  383. Désespérant de pénétrer dans la ville par la citadelle, Kerbôga essaye de la prendre par la famine : d’où la nouvelle disposition de ses troupes.
  384. Sur la valeur du besant et du sou, voir p. 95, n. 5, et p. 76, n. 2.
  385. Deliberanda ne peut avoir d’autre sens ici que « libérer, délivrer ». C’est une des nombreuses impropriétés d’expression que renferme ce texte.
  386. Cf. la lettre des princes à Urbain II (Epistulae et chartae, p. 162), Raimond d’Aguilers, 11, p. 258, et Albert d’Aix, IV, 34, p. 412.
  387. Étienne, comte de Chartres et de Blois (cf. p. 39, n. 4), avait été élu chef suprême le 29 mars 1098. Voir sa deuxième lettre (Epistulae et chartae ; lettres, p. 149) et Raimond d’Aguilers, 11, p. 258.
  388. D’après Foucher de Chartres, 16, p. 342, cette fuite eut lieu la veille de la prise d’Antioche, le 2 juin 1098.
  389. Le port d’Alexandrette, situé à environ soixante kilomètres au nord d’Antioche.
  390. Un des sommets du Djebel-Ahmar (1 600 mètres), qui domine au nord la plaine d’Antioche.
  391. Il semble s’être embarqué avec sa troupe et ce fut au cours d’une escale qu’il apprit la présence de l’empereur à Philomelium (Albert d’Aix, IV, 40, p. 416-417).
  392. Philomelium, aujourd’hui Akschehr, entre Eski-cheir et Konieh. Anne Comnène (XI, 6, p. 119) et Albert d’Aix (loc. cit.) disent qu’Alexis marchait au secours d’Antioche. Raoul de Caen (72, p. 638-659) place à tort cette entrevue à Kutayeh.
  393. L’addition qui figure ici dans C peut se traduire ainsi : « Guillaume d’Arques, naguère moine admirable, alors chevalier très vaillant, que nous avons signalé plus haut comme s’étant sauvé la nuit avec les autres du haut du mur et qui s’était joint au comte Étienne dans sa fuite, affirma sous serment à l’empereur que, s’il poussait jusqu’à Antioche, vers laquelle il se hâtait, il perdrait certainement sa tête. Il affirmait que Bohémond l’avait attesté par serment. » Cette interpolation remonte vraisemblablement à l’époque des hostilités entre Bohémond et l’empire (1105-1111).
  394. Gui était fils de Robert Guiscard et de sa deuxième femme, Sykelgaite, tandis que Bohémond était né d’Alberada. Gui avait trahi son père pendant l’expédition de 1084 et s’était laissé acheter par Alexis (Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie, t. 1, p. 282-283).
  395. D’après Anne Comnène (XI, 6, p. 119), deux fugitifs d’Antioche, Guillaume de Grandmesnil et Pierre d’Aulps, s’efforçaient aussi de détourner l’empereur de sa route.
  396. Tout ce développement sent la rhétorique et les discours sont imaginés de toute pièce. Le récit des autres sources est plus bref (Albert d’Aix, IV, 39, p. 417 ; Raoul de Caen, 72, p. 658-659 ; Anne Comnène, XI, 6, p. 119-120).
  397. C’est Étienne de Blois qui est qualifié ainsi. Sur le caractère de tout ce passage, voir l’Introduction, p. vii.
  398. D’après Anne Comnène (XI, 6, p. 120-121), Alexis, trompé par le rapport d’Étienne, aurait craint sérieusement une invasion turque en Asie Mineure et non en Bulgarie, renseignement absolument fantaisiste forgé par l’Anonyme.
  399. Sur la retraite de l’empereur, voir Anne Comnène, loc. cit. D’après l’Anonyme, il devait y avoir pas mal d’Occidentaux dans l’armée impériale et ce détail est confirmé par Albert d’Aix, 40, p. 417.
  400. Pierre Barthélemi. Cf. p. 133.
  401. La cathédrale d’Antioche, où était conservée la chaire de saint Pierre.
  402. La date du 14 juin est donnée par Tudebode, p. 73, et Raimond d’Aguilers, 11, p. 257. Cf. le récit de la lettre des princes à Urbain II (Epistulae et chartae ; lettres, p. 163) et de celle d’Anselme de Ribemont (Ibid., p. 159).
  403. Le conseil de guerre aurait eu lieu le jour même, 14 juin. Il y a là quelque difficulté. Voir plus loin.
  404. Anne Comnène (XI, 6, p. 121-122) donne du rôle joué alors par Pierre l’Ermite un récit purement romanesque. Elle ne parle pas, d’ailleurs, de son ambassade à Kerbôga, qui prouve que, malgré sa tentative de fuite, il avait gardé encore dans l’armée un certain prestige.
  405. Le récit de l’Anonyme laisse croire que l’ambassade a suivi immédiatement le conseil de guerre et la découverte de la sainte Lance. Toutes les autres sources montrent, au contraire, que cette ambassade eut lieu la veille de la bataille, après les jeûnes et les processions (2e lettre d’Anselme de Ribemont, dans les Epistulae et chartae, p. 160 ; Raimond d’Aguilers, 11, p. 259 ; Foucher de Chartres, I, 21, p. 347 ; Albert d’Aix, IV, 44-46, p. 420-421). Il y a donc ici une erreur manifeste dans les souvenirs de l’Anonyme.
  406. Sur ces expressions, voir p. 110-111, n. 1-2.
  407. Cette expression montre que le chapitre a été écrit quelque temps après les événements, et c’est ce qui explique l’erreur de chronologie signalée plus haut (p. 149, n. 1).
  408. Tous les textes indiquent que ce triduum précéda immédiatement la bataille. Il eut donc lieu les 26, 27, 28 juin. Voir les lettres du clergé et du peuple de Lucques (Epistulae et chartae, p. 167), d’Anselme de Ribemont (Ibid., p. 160), Raimond d’Aguilers, 11, p. 259, Foucher de Chartres, 20, p. 346. La mention de la communion sous les deux espèces est un détail intéressant.
  409. Les textes ne concordent pas sur le nombre de ces divisions. Raimond d’Aguilers (12, p. 269) et Foucher de Chartres (I, 23, p. 349) en indiquent quatre ; Albert d’Aix (IV, 47, p. 421-422) en donne dix.
  410. En fait, la sainte Lance était portée par le chroniqueur Raimond d’Aguilers, chapelain du comte de Toulouse (Raimond d’Aguilers, 12, p. 261 : « J’ai vu moi-même ce que je raconte et j’y portais la lance du Seigneur »). Robert le Moine (VII, 17, p. 834) nous montre Adémar de Monteil portant le heaume et le haubert comme l’évêque Eude sur la tapisserie de Bayeux.
  411. L’évêque du Puy commandait sa propre bande et celle du comte de Toulouse, malade depuis quelques jours, et qui se chargea de tenir en respect la garnison turque de la citadelle (Raimond d’Aguilers, 12, p. 259) avec deux cents hommes.
  412. Détail confirmé par Raimond d’Aguilers, 12, p. 260.
  413. La porte de la Mahomerie, au nord-ouest de la ville (cf. p. 89, n. 2).
  414. « Nous étions si peu nombreux », lit-on dans la lettre des princes à Urbain II, « qu’ils affirmaient que nous ne combattrions pas et que nous nous enfuirions » (Epistulae et chartae, p. 163).
  415. Détail des plus suspects. D’après le chroniqueur arabe Ibn-el-Athir, fils d’un gouverneur de Mossoul du début du xiiie siècle, mais bien renseigné, la situation de Kerbôga était affaiblie par le mécontentement des émirs turcs, qui l’abandonnèrent en pleine bataille (Recueil des historiens des croisades ; historiens orientaux, t. I).
  416. Il avait le rôle d’un grand prévôt et avait le commandement du camp turc, comme on peut le voir un peu plus loin.
  417. L’armée chrétienne étant sortie par la porte du Pont, les Turcs battent en retraite vers les montagnes situées au nord d’Antioche.
  418. Cette division turque est chargée d’attaquer les croisés sur leur flanc gauche.
  419. Dans ces dispositions si sages, on devine l’action de Bohémond. Rainaud, d’après Guillaume de Tyr (VI, 17), est un chevalier lorrain de Toul ; le manuscrit  (voir p. 154, variante b) le donne comme originaire de Beauvais.
  420. Les deux divisions turques, celle qui était du côté de la mer et celle qui reculait vers la montagne, attaquent les croisés en même temps.
  421. Ces trois saints, que l’iconographie chrétienne représentait en costumes de guerre, étaient les patrons des armées byzantines. Saint Georges devait devenir celui des croisés. L’Anonyme et ses remanieurs sont les seuls à parler de cette vision céleste. Ni Raimond d’Aguilers, qui assistait à la bataille, ni Albert d’Aix n’en parlent. Foucher de Chartres (I, 23, p. 349) dit que les Turcs se sauvèrent comme s’ils avaient été effrayés par un signe céleste. Seule la lettre du clergé et du peuple de Lucques (Epistulae et chartae, p. 167) parle de l’apparition d’une bannière immense entourée d’une multitude de guerriers.
  422. Cf. Raimond d’Aguilers, 12, p. 260.
  423. Le long de l’Oronte, en amont et à l’est d’Antioche, où se trouvait le gros de l’armée turque. Plus loin, on voit que les Turcs s’enfuient dans la direction du pont du Far.
  424. Hagenmeyer (édition des Gesta, p. 378, n. 42) voit dans ce château de Tancrède le château de Harenc, situé à l’est. Cependant, l’expression deinde, « ensuite », indique deux poursuites distinctes. L’armée turque paraît avoir été coupée en plusieurs tronçons, dont l’un s’enfuit à l’ouest, vers le château dont Tancrède avait reçu la garde (cf. p. 97, n. 4).
  425. L’émir qui avait reçu de Courbaram le commandement de la citadelle d’Antioche. Voir p. 112-113.
  426. Comme sauvegarde.
  427. C’est-à-dire les soldats de Bohémond. Sur la signification du mot, voir p. 6, n. 2. Ces détails, qui ne se trouvent que dans l’Anonyme et ses remanieurs, attestent la rivalité latente entre les deux chefs. Les autres textes se contentent de mentionner la reddition de la citadelle.
  428. Sur la bannière de Bohémond, voir p. 85 et 109.
  429. Ce détail montre bien l’esprit politique de Bohémond, véritable précurseur des rois normands des Deux-Siciles.
  430. Le 28 juin 1098.
  431. Cf. les détails donnés par la deuxième lettre d’Anselme de Ribemont (Epistulae et chartae, p. 160).
  432. Cf. Foucher de Chartres, I, 33, p. 350 ; Albert d’Aix, V, 3, p. 434. L’Anonyme omet les violences de Bohémond à l’égard des comtes de Toulouse et de Flandre, dont il fit expulser les hommes de la citadelle (Raimond d’Aguilers, 13, p. 262}. L’ambassade envoyée à l’empereur semble bien une manœuvre dirigée contre Bohémond.
  433. C’est-à-dire dans la terre des Sarrasins, en Syrie.
  434. En Syrie, la saison des pluies va du milieu de l’automne au début du printemps. L’été est particulièrement chaud dans la zone de l’intérieur, où le thermomètre marque des températures tropicales ; quand le vent d’est souffle, le thermomètre marque trente-trois degrés à Beyrouth et trente-six degrés dans la montagne. Les eaux sont rares. Le débit des torrents, très abondant en hiver, est réduit à rien en été ; seuls l’Oronte, le Jourdain et le Barada ont alors un débit appréciable. Cf. Achard, Études sur la Syrie et la Cilicie, publication du haut commissariat de la République française en Syrie, 1922, p. 74-79 (annexe au « Congrès français de la Syrie à Marseille »). Voir aussi dans les Actes de ce congrès la communication du docteur Nègre, fascicule IV (climatologie), p. 17-22.
  435. En réalité, avant de continuer la marche sur Jérusalem, chacun des chefs songeait à quelque entreprise particulière, mais la mesure prise par le conseil était très mal vue de certains croisés. Cf. Raimond d’Aguilers, 13, p. 302.
  436. Dans les châteaux et villes de Cilicie qu’ils avaient occupés avant la prise d’Antioche. D’après Raimond d’Aguilers (13, p. 262), Bohémond retourne en Romanie (Asie Mineure), Godefroi de Bouillon va à Rohez (Édesse), dont son frère Baudouin avait acquis la souveraineté. L’Anonyme a omis cet événement.
  437. Exemple intéressant de troupes soldées jusqu’à un terme fixé.
  438. Sur Raimond Pilet, voir Arbellot, Les chevaliers limousins aux croisades, p. 29. Cf. Henri de Huntingdon, dans les Historiens occidentaux, t. V, p. 378.
  439. Ce serait le village de Tell-Mannas, non loin de Marra.
  440. C’est-à-dire à Tell-Mannas.
  441. Le troisième jour après la prise du château turc, vers le 27 juillet.
  442. Maarat-en-Nouman, au sud-est d’Antioche, sur la route de Hamah à Alep, aux confins du désert de Syrie.
  443. À Tell-Mannas.
  444. C’est-à-dire les piétons, qui changèrent la retraite en déroute.
  445. Comme l’a montré Hagenmeyer (Chronologie de la première croisade, no 307), on ne peut admettre cette date du 5 juillet, Raimond Filet n’ayant pu quitter Antioche que le 29 ou 30 juin au plus tôt, ayant passé huit jours à Tell-Mannas et n’ayant marché sur Marra que trois jours après la prise du château turc. La date du 27 juillet donnée par l’Historia belli sacri, p. 207, et par le manuscrit G de Baudri de Bourgueil (III, 21, p. 81-82) paraît plus vraisemblable.
  446. Raimond Pilet.
  447. Ces termes indiquent certainement que l’auteur a pris part à l’expédition de Raimond Pilet.
  448. C’est la seule allusion aux pouvoirs spirituels d’Adémar de Monteil en tant que légat du pape. Voir aussi les détails d’Albert d’Aix, V, 1, p. 433, sur la « réconciliation » de l’église Saint-Pierre par l’évêque du Puy.
  449. Le 1er août 1098. Ces détails sur l’impression produite par cette mort sont confirmés par les autres textes (lettre des princes à Urbain II, dans les Epistulae et chartae, p. 164 ; Raimond d’Aguilers, 13, p. 262 ; Foucher de Chartres, I, 23, p. 350 ; Albert d’Aix, V, 4, p. 435 ; Chronique de Saint-Pierre du Puy, p. 164).
  450. Entre la mort d’Adémar de Monteil et cette expédition contre Albara eut lieu une autre expédition infructueuse du comte de Toulouse contre Hazar (Raimond d’Aguilers, 13, p. 263). L’expression « peu de temps après » est donc inexacte. L’expédition contre Albara eut lieu au moins après le 11 septembre, date de la lettre expédiée à Urbain II par les princes.
  451. El-bâra, à l’est de l’Oronte, à deux jours de marche d’Antioche.
  452. D’après les idées du temps, la nomination d’un évêque est un signe de souveraineté.
  453. Ce qui signifie que la grande mosquée sera changée en église.
  454. Pierre de Narbonne (Raimond d’Aguilers, 14, p. 266).
  455. C’est la première tentative faite pour établir une hiérarchie latine en Syrie. Cependant, les croisés paraissent avoir maintenu sur le siège d’Antioche jusqu’en 1100 le patriarche grec Jean IV, dont relevait, par conséquent, le nouvel évêché latin.
  456. Répétition littérale de la formule employée au chap. XXX, p. 166-167, ligne 2.
  457. Sur cette convention conclue avant la prise d’Antioche, voir chap. XX, p. 102.
  458. Sur le conseil des princes, voir Raimond d’Aguilers, 14, p. 267-268. Le comte de Toulouse était justement celui qui avait le moins d’engagements vis-à-vis de l’empereur (voir p. 32-33), mais il était devenu « impérialiste » pour empêcher Bohémond de garder Antioche.
  459. Sans doute le compte des dépenses qu’il avait faites pour se faire livrer Antioche.
  460. Voir chap. VI, p. 32-33.
  461. Dans le chœur de la cathédrale où était conservée la chaire de saint Pierre.
  462. Afin d’éviter une guerre entre Bohémond et Raimond. D’après Raimond d’Aguilers (14, p. 267-268), ils faillirent en venir aux armes, à la grande indignation des croisés qui menaçaient de détruire Antioche.
  463. La conférence aboutit donc à un compromis provisoire qui laisse la question en l’état, ce qui en fait un succès pour Bohémond.
  464. La citadelle d’Antioche où ses hommes tenaient seuls garnison.
  465. L’ancien palais de Iagi-Sian, situé en pleine ville.
  466. La porte de la Mahomerie, toujours occupée par les Provençaux.
  467. La date du 23 novembre est donnée par Tudebode, p. 90.
  468. Identifiée avec le bourg actuel de Riha, au sud-est d’Antioche.
  469. Prise précédemment par le comte de Toulouse (voir p. 166-167).
  470. C’est la ville dont Raimond Pilet n’avait pu s’emparer. Voir p. 164-165.
  471. Il y a là une obscurité. La lecture comites (« les comtes ») figure dans tous les manuscrits, alors que Raimond de Saint-Gilles est seul cité comme ayant quitté Antioche avant Bohémond. Cependant Raimond d’Aguilers (14, p. 268) mentionne Robert de Flandre au siège de Marra, Albert d’Aix (V, 26, p. 448) y fait assister la plupart des chefs, mais dit qu’après cinq jours de siège ils regagnèrent Antioche. D’autre part, Foucher de Chartres (I, 34, p. 352) affirme que seuls Raimond et Bohémond assiégèrent Marra. Ce qui est certain, c’est que, d’après la suite du récit de l’Anonyme, ils sont seuls présents à la prise de Marra, et, au chapitre suivant, on voit nettement que les autres chefs sont bien à Antioche (voir p. 178-179). Il y a donc une lacune dans le récit de l’Anonyme ; il est probable que d’autres chefs, comme le comte de Flandre, ont paru au siège de Marra et sont retournés à Antioche sans attendre la prise de la ville.
  472. Le 29 novembre 1098.
  473. Il s’agit d’une tour roulante plus haute que les remparts de Marra.
  474. Une baliste destinée à lancer des pierres. Sur ces machines, voir Viollet-le-Duc, Dictionnaire d’architecture, t. V, p. 221.
  475. Les Arabes et les Turcs avaient fini par trouver le secret du feu grégeois, resté longtemps le monopole de l’empire byzantin. C’était un liquide enflammé, probablement à base d’huile de naphte, qu’on lançait au moyen de tubes ou « siphons ».
  476. Il a été déjà cité au ch. XI, p. 63.
  477. Mot à mot : « garnis de signes honorables ». Il s’agit des pennons et des gonfanons que les chevaliers fixaient à leur lance.
  478. « Goufier de Lastours, vicomte, originaire du Limousin » suivant le De praedicatione crucis in Aquitania (Historiens occidentaux, t. V, p. 351). Voir dans ce morceau l’exploit fantastique qui lui est attribué et l’histoire de son lion apprivoisé. Il était seigneur de Lastours, près de Nexon (Haute-Vienne), et frère de Grégoire Bechada, auteur d’une première Chanson d’Antioche, que la plupart des critiques considèrent aujourd’hui comme entièrement perdue, malgré l’avis de Gaston Paris (Mélanges de littérature française du moyen âge, p. 221), qui croyait en reconnaître un fragment important dans un manuscrit de Madrid publié par Paul Meyer dans les Archives de l’Orient latin, t. II, p. 473-494. Sur Goufier, cf. Arbellot, Les chevaliers limousins aux croisades, 1881, p. 70.
  479. Le château de bois ayant été approché des murailles, pendant que les chevaliers restés sur le mur tenaient les Sarrasins en haleine, les sapeurs, protégés par le château, ouvraient une brèche au bas de la muraille.
  480. L’Anonyme paraît avoir résumé les termes de la capitulation.
  481. On y a vu des citernes souterraines.
  482. Rien ne montre mieux que ce trait la cupidité qui règne parmi les chefs.
  483. Du 11 décembre 1098 au 15 janvier 1099.
  484. Guillaume, évêque d’Orange, se trouvait dans l’armée des Provençaux (Raimond d’Aguilers, 20, p. 301).
  485. Sur les besants, voir p. 96, n. 5. À l’entrée des Francs dans la ville, des Sarrasins avaient avalé leurs pièces d’or pour mieux les dissimuler.
  486. Détails confirmés par Raimond d’Aguilers, 14, p. 271 ; Foucher de Chartres, p. 352 ; Raoul de Caen, 97, p. 675 ; Albert d’Aix, V, 30, p. 461, et une lettre de Daimbert, archevêque de Pise (Epistulae et chartae, p. 170).
  487. Les détails du conflit sont donnés par Raimond d’Aguilers, 14, p. 270. Bohémond proposait de différer le départ de Marra jusqu’à Pâques. Les croisés supplièrent alors Raimond de les conduire à Jérusalem : après quelques hésitations, le comte fixa le départ à quinze jours. Bohémond, indigné, se retira à Antioche.
  488. Aujourd’hui Riha ; la réunion eut lieu au début de janvier 1099.
  489. Bohémond exige que Raimond lui livre les parties d’Antioche que ses troupes occupent toujours.
  490. Il s’agit des postes occupés toujours à Antioche par les troupes de Raimond, le palais de Iagi-Sian et le château de la Mahomerie, desquels Bohémond ne tarda pas à les expulser. L’Anonyme omet ici l’épisode si dramatique de la destruction des murs de Marra par le bas peuple, indigné des discordes des chefs (Raimond d’Aguilers, 14, p. 271).
  491. Afin de montrer qu’il reprend le pèlerinage interrompu. Cf. Raimond d’Aguilers, 14, p. 272.
  492. Kafartab, à quatre lieues de Marra.
  493. Du 13 au 16 janvier 1099.
  494. Aujourd’hui Schaizar, sur l’Oronte. Par « roi », il faut entendre l’émir de Césarée, d’ailleurs à peu près indépendant.
  495. Nom donné à l’Oronte.
  496. L’émir de Césarée ne trouve rien de mieux pour se débarrasser des croisés que de les envoyer piller une forteresse voisine.
  497. Probablement en jurant sur le Coran. On remarquera combien le ton de l’Anonyme vis-à-vis des Musulmans est devenu moins agressif.
  498. Du 17 au 22 janvier 1099.
  499. L’ancienne Raphania, sur la route de Césarée à Tripoli.
  500. Le 25 janvier 1099.
  501. La vallée de Sem est identifiée avec la plaine d’El Boukeia, entre le Djebel Akkar et le Djebel Ansarieh, traversée par la route d’Hamah à Tripoli.
  502. Du 25 janvier au 14 février 1099.
  503. Cf. Raimond d’Aguilers, 14, p. 274. Ce château, habité par des Kurdes, serait, d’après Hagenmeyer (dans son édition de ce texte), le Krak (Kalaat-el-Hosn), qui commande le défilé par lequel passent les routes de Homs et de Hama à Tripoli et à Tortose.
  504. Le 2 février 1099.
  505. L’ancienne Émèse, dite « la Chamelle » (Guillaume de Tyr, dans les Historiens occidentaux, t. I, p. 295).
  506. Tripoli (Taraboulan), au pied du Liban, un des ports de Syrie les plus importants. Sur la terreur inspirée par les croisés et les offres de soumission des émirs de Syrie, voir une lettre de Daimbert, archevêque de Pise (Epistulae et chartae, p. 170).
  507. Archas, place très forte dépendant de l’émir de Tripoli.
  508. Le 14 février 1099.
  509. Sur Raimond Pilet, voir p. 163.
  510. Raimond de Torena (Tudebode, p. 98), de Torenna (De praedicatione crucis in Aquitania, dans les Historiens occidentaux, t. V, p. 351), identifié avec Raimond, vicomte de Turenne en Limousin (Arbellot, Les chevaliers limousins aux croisades, p. 43).
  511. Tortose, ancienne Antarad, port situé au nord de Tripoli, en face de l’île de Rouad (ancienne Arad).
  512. L’Anonyme, suivi par ses remanieurs, est le seul à donner des détails sur la prise de Tortose, que Raimond d’Aguilers (15, p. 276) et Albert d’Aix (V, 31, p. 451) ne font que mentionner.
  513. Marakia, sur la mer, au nord de Tortose.
  514. L’ancienne Laodicée (aujourd’hui Latakieh), appelée La Liche, dans la toponymie de l’Orient latin.
  515. Parce que, d’après Albert d’Aix (V, 33, p. 453), il craignait d’en être frustré par une trahison pendant son absence. Après avoir hésité plus de deux mois, les autres chefs se décident enfin à suivre l’exemple de Raimond de Saint-Gilles et à marcher sur Jérusalem.
  516. Gibel, l’ancienne Gabala, aujourd’hui Djibleh, petit port entre Latakieh et Tortose, ne doit pas être confondue avec Gibelet (Djebeïl), l’ancienne Byblos.
  517. La place d’Archas. Le bruit avait couru que le calife en personne marchait contre les croisés (Raimond d’Aguilers, 16, p. 277 ; Albert d’Aix, V, 33, p. 453).
  518. Diversion destinée à empêcher les Turcs de venir au secours d’Archas.
  519. « Nobles » doit être pris dans le sens général de « notables ».
  520. Il s’agit ici d’une razzia dans la plaine d’El Boukeia, afin de ravitailler l’armée.
  521. La place d’Archas. Le siège dura du 14 février au 13 mai 1099.
  522. Le 10 avril.
  523. Probablement à Tortose. Il s’agit de la flotte génoise qui a croisé sur les côtes de Syrie pendant toute l’expédition. On se souvient qu’elle avait abordé à Port-Saint-Siméon. Voir p. 89 et 129.
  524. Seigneur de Ribemont, dans la vallée de l’Oise, non loin de Saint-Quentin (Aisne), auteur des deux lettres à Manassès, archevêque de Reims, que nous avons citées plusieurs fois (entre autres, p. 35, n. 9 ; p. 67, n. 1 ; p. 96, n. 1, etc.). Sur cette mort, voir Raimond d’Aguilers, 16, 270-377 ; Foucher de Chartres, I, 25, p. 353 ; Albert d’Aix, V, 31, p. 432 ; Raoul de Caen, 106, p. 680-681.
  525. Sur l’exactitude de ce renseignement (la culture du blé et des légumes occupe toujours la première place dans l’agronomie syrienne), voir l’étude de P. Huvelin, Que vaut la Syrie ? (Congrès français de Syrie, Marseille, 1919, fasc. 1, p. 15-18).
  526. Ce qui doit faciliter le ravitaillement.
  527. Il ressort de ce récit, confirmé par les autres sources, que les croisés ont levé le siège d’Archas sans avoir pu prendre la ville. Dans toute cette partie le récit de l’Anonyme est d’ailleurs manifestement incomplet. Il omet l’arrivée au camp d’une ambassade de l’empereur (Raimond d’Aguilers, 18, p. 286), la nouvelle vision de Pierre Barthélemy et l’épreuve du feu subie par lui devant Archas, enfin sa mort à la suite de ses blessures (Raimond d’Aguilers, 17, p. 280-288 ; Foucher de Chartres, I, 18, p. 344-345), l’arrivée à Archas d’une ambassade du calife d’Égypte qui offre que trois cents croisés aillent à Jérusalem sans armes (Raimond d’Aguilers, 16, p. 277).
  528. Le calife fatimite d’Égypte, dont les troupes occupaient Jérusalem, s’inquiétait des progrès des croisés.
  529. Tudebode (p. 101) précise : le lundi du milieu de mai, c’est-à-dire le 16 mai.
  530. Aujourd’hui Bâtroun, à vingt-cinq kilomètres au sud de Tripoli.
  531. D’après Tudebode, p. 101, Gibelon, l’ancienne Byblos, aujourd’hui Djebaïl.
  532. Le Nahr Ibrahim, ancien fleuve d’Adonis, au sud de Byblos.
  533. Le 19 mai 1099.
  534. Il s’agit de la route très difficile, située à flanc de rocher, qui va de Djebaïl à Beyrouth.
  535. La grande ville de Beyrouth.
  536. L’ancienne Sidon, aujourd’hui Saïda, Sagette dans la toponymie médiévale.
  537. L’ancienne Tyr, où, le 23 mai, l’armée fut rejointe par des chevaliers venus d’Antioche et d’Édesse (lettre de Daimbert, dans les Epislulae et chartae, p. 170).
  538. Saint-Jean d’Acre.
  539. Le passage à Césarée eut lieu le 29 mai 1099. Depuis Tripoli les croisés n’ont cessé de suivre la côte.
  540. Ramleh, au sud-est de Jaffa, sur la route de cette ville à Jérusalem.
  541. D’après la tradition, saint Georges, originaire de Lydda, fut martyrisé à Nicomédie sous Dioclétien. Cependant, une église, celle dont il est question ici, avait été élevée non loin de Ramleh par Justinien (Guillaume de Tyr, VII, 22, dans les Historiens occidentaux, t. I, p. 313).
  542. Ce fut un Normand, Robert, originaire du diocèse de Rouen, qui fut élu évêque (Guillaume de Tyr, VII, 22, dans les Historiens occidentaux, t. I, p. 313). Le séjour à Ramleh dura du 3 au 6 juin.
  543. Foucher de Chartres (I, 25, p. 354) et Albert d’Aix (V, 43, p. 461) mentionnent le passage par Emmaüs et la pointe poussée par Tancrède jusqu’à Bethléem. Le huitième jour avant les ides correspondrait au lundi 6 juin ; le jour indiqué (le mardi) correspond au 7 juin, et c’est la véritable date de l’arrivée devant Jérusalem ; elle est donnée par Tudebode (p. 102}.
  544. Sur la topographie de Jérusalem, voir la description du R. P. Hugue Vincent, Jérusalem, t. I : Jérusalem antique (Paris, 1912), et l’excellente carte topographique qui y est annexée.
  545. L’église Saint-Étienne était située en dehors de l’enceinte au nord, devant la porte du même nom.
  546. En face de la porte et de la Tour de David.
  547. Raimond de Saint-Gilles avait d’abord été placé à l’ouest, à côté de Godefroi, mais entre son camp et la muraille se trouvait une vallée qui rendait l’attaque difficile. Il se transporta au sud, sur la montagne de Sion (Raimond d’Aguilers, 20, p. 293). Sur le Cénacle et l’église Sainte-Marie, voir les PP. Vincent et Abel, Jérusalem nouvelle, t. II (1922), p. 421-481. La partie orientale de l’enceinte dominait la vallée de Cédron. De ce côté, aucune attaque n’était possible.
  548. Le 9 juin. Sur Raimond Pilet, voir p. 163 et 184. « Raimundus de Taurina » est le même que « Raimundus de Tentoria » cité p. 184.
  549. Le lundi 13 juin.
  550. Cet avant-mur protégeait l’enceinte septentrionale. Sur ce premier assaut, voir Raimond d’Aguilers, 20, p. 293.
  551. C’est le 17 juin qu’un messager apporte la nouvelle de l’arrivée de la flotte génoise à Jaffa (Raimond d’Aguilers, 20, p. 294 ; Cafaro, Liberatio civitatum Orientis, dans les Historiens occidentaux, t. V, p. 56-57).
  552. Cette traduction se justifie par l’interprétation que Baudri de Bourgueil (IV, 10, p. 98) donne de ce passage obscur : « Equos potum ducebant, non sine pavore nimio, per vi miliaria » (« Ils conduisaient leurs chevaux à l’abreuvoir, non sans une grande terreur, l’espace de six milles »). Cf. Guillaume de Tyr, VIII, 7, dans les Historiens occidentaux, t. I, p. 333-334.
  553. Sur la fontaine de Siloé, voir le P. Hugue Vincent, Jérusalem antique, p. 63. Sur la cherté de l’eau, témoignages concordants de Raimond d’Aguilers (20, p. 294) et de la lettre de Daimbert (Epistulae et chartae, p. 170).
  554. Mentionné déjà p. 15.
  555. Guillaume, seigneur de Sabran (Gard).
  556. L’émir de Babylone (Le Caire) qui prépare une expédition, contre les croisés et a envoyé des troupes en reconnaissance.
  557. Ce combat eut lieu le lendemain de l’arrivée du message de la flotte, le 18 juin. Voir Raimond d’Aguilers, 20, p. 294-295, et Albert d’Aix, VI, 4, p. 468.
  558. Foucher de Chartres (I, 27, p. 358) reproduit le même détail, mais en termes plus clairs : « Ils allaient chercher de l’eau au loin, à quatre ou cinq milles, et la rapportaient chaque jour dans leurs outres. »
  559. Cf. Raimond d’Aguilers, 20, p. 294 ; Albert d’Aix, VI, 6, p. 469-470. L’Anonyme omet le combat malheureux livré à la flotte égyptienne par les Génois qui durent abandonner leurs navires et partirent pour Jérusalem le 19 juin (Raimond d’Aguilers, 20, p. 295).
  560. Raimond d’Aguilers (20, p. 297) donne les noms des ingénieurs choisis par les princes. Ces châteaux de bois étaient figurés sur les vitraux de Suger à Saint-Denis (Montfaucon, Monuments de la monarchie françoise, t. I, pl. LII).
  561. Il n’y avait pas de bois dans les environs immédiats de Jérusalem. Voir les détails donnés par Albert d’Aix, VI, 2, p. 469-470.
  562. Dans la nuit du samedi 9 au dimanche 10 juillet.
  563. Le mur oriental n’avait pas été assiégé jusque-là. La tour roulante fut transportée entre l’église Saint-Étienne et la vallée du Cédron.
  564. Du 10 au 12 juillet.
  565. Sur la valeur du denier, voir p. 76, n. 2.
  566. Le mercredi 13 et le jeudi 14 juillet 1099.
  567. La chronologie de l’Anonyme est ici en défaut. Ce fut le 6 juillet que la procession fut ordonnée par le conseil des princes, et elle eut lieu le vendredi 8 juillet (Raimond d’Aguilers, 20, p. 296-297 ; lettre de Daimbert dans les Epistulae et chartae, p. 170).
  568. Le 15 juillet 1099.
  569. D’après les Évangiles, le Christ fut crucifié à la troisième heure (Marc, 15, 25) : soit, vers neuf heures du matin. Les ténèbres commencèrent à couvrir la terre à la sixième heure (midi) et il expira à la neuvième heure, vers trois heures du soir (Mathieu, 27, 45-46 ; Marc, 15, 33-34). Le texte de l’Anonyme ne précise pas. Michaud et Sybel adoptent l’heure de la mort de Jésus (trois heures du soir) ; Hagenmeyer, s’appuyant sur le témoignage de Raimond d’Aguilers (20, p. 299), d’après lequel les Provençaux combattaient encore à midi, alors que les croisés étaient déjà dans la ville, en conclut que leur entrée a eu lieu dès neuf heures du matin ; cependant, si l’on examine ce texte, on voit que c’est vers cette heure de midi que Raimond place l’entrée des premiers croisés à Jérusalem, et il se trouve d’accord avec Foucher de Chartres, I, 27, p. 359 : « Bientôt, à l’heure de midi, les Francs pénétraient dans la ville. » Ce témoignage décisif ne contredit en rien celui de l’Anonyme, qui se contente de dire : « À l’approche de l’heure à laquelle, etc. »
  570. C’est-à-dire dans la tour roulante.
  571. Originaire de Tournai. Voir Albert d’Aix, VI, 11, p. 472 : « Liétaud et Engilbert, originaires de la cité de Tournai. »
  572. C’est-à-dire la mosquée d’Omar, bâtie sur son emplacement, à l’angle sud-est de la ville, en face du Saint-Sépulcre.
  573. Détail confirmé par la lettre de Daimbert (Epistulae et chartae, p. 171}, qui dit que, dans le temple de Salomon, les chevaux avaient du sang « jusqu’aux genoux ».
  574. C’est le 12 juillet que les Provençaux avaient commencé à combler le fossé.
  575. Du feu grégeois. Voir plus haut, p. 173, n. 2.
  576. Raimond d’Aguilers (20, p. 300) confirme que les croisés étaient déjà dans la ville quand les Sarrasins, situés en face des Provençaux, combattaient toujours.
  577. La Tour de David était située dans la partie ouest de l’enceinte. Albert d’Aix (VI, 28, p. 482-483) accuse le comte de s’être laissé corrompre par les Sarrasins.
  578. La porte de Jaffa, par laquelle les pèlerins entraient à Jérusalem après avoir payé le tribut exigé par les Turcs.
  579. Répétition du même détail que précédemment.
  580. Le toit de la mosquée d’Omar (ou mosquée El Aksa) a la forme d’une terrasse octogonale d’où émerge la coupole.
  581. Albert d’Aix (II, 23, p. 316) l’appelle Gaston de Bederz (Béziers), mais Tudebode (p. iio) donne son nom : Gaston de Béarn.
  582. Comme sauvegarde. Cf. p. 159 (capitulation de la citadelle d’Antioche).