Histoire anonyme de la première croisade/Introduction

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Traduction par Louis Bréhier.
Texte établi par Louis BréhierHonoré Champion (p. i-xxxvi).

INTRODUCTION


I.L’auteur.

Les Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum sont regardés avec raison par les historiens comme une des sources fondamentales de l’histoire de la première croisade. Ce récit est dû sans conteste à un témoin oculaire qui a participé lui-même aux événements qu’il raconte. Malheureusement cet écrivain, qui inaugurait cent ans avant Villehardouin le genre des « Mémoires » personnels, ne nous a pas livré son nom ; ses contemporains, qui ont cité son ouvrage et l’ont copié sans scrupule, ne l’ont pas nommé davantage ; les efforts qu’on a faits jusqu’ici pour l’identifier à un personnage connu sont restés vains[1], et nous sommes réduits, pour deviner quelque chose de sa personnalité, à recueillir dans son œuvre quelques renseignements sommaires que l’on peut déduire, soit de la forme de son récit, soit de ses préoccupations habituelles.

C’est ainsi qu’après avoir raconté d’une manière incomplète et impersonnelle les origines de la croisade, il donne tout à coup des détails abondants et précis (chap. IV) sur le départ de Bohémond et des Normands d’Italie pour Jérusalem, mentionne toutes les étapes de leur marche à travers la péninsule des Balkans et, à partir de ce moment, parle à la première personne du pluriel. Il a donc fait partie de la bande de Bohémond, et l’on peut suivre dès lors son itinéraire jusqu’à la bataille d’Ascalon, c’est-à-dire depuis la fin de 1096 jusqu’au mois d’août 1099. Lorsque Bohémond quitte son armée à Rousa (1er avril 1097, chap. V) pour rejoindre les autres chefs à Constantinople, l’Anonyme reste avec Tancrède, et il passe avec lui le Bosphore (chap. VII) sans pénétrer à Constantinople. On le retrouve au siège de Nicée, puis à la bataille de Dorylée et aux deux sièges d’Antioche, toujours dans l’armée de Bohémond. Lorsqu’après la prise de Marra (11 décembre 1098, chap. XXXIII) Bohémond se sépare des autres chefs pour retourner à Antioche, l’Anonyme reste dans l’armée qui part de Marra sous le commandement du comte de Toulouse, accomplit toutes les étapes de la marche en Palestine, prend part au siège de Jérusalem et à la bataille d’Ascalon, où il termine son récit.

L’Anonyme était donc originaire de l’Italie méridionale. C’est ce que prouve l’expression de « pays d’outre-monts » par laquelle il désigne la France (chap. I) ; d’autre part, lorsqu’il parle des habitants de l’Italie méridionale, il n’emploie jamais le terme de « Normands » ou de « Francs », mais celui de « Longobards », qui était resté à cette époque l’expression officielle pour désigner les habitants de l’ancien thème byzantin de « Longobardie » (chap. II, XX, XXIX) ; enfin il est très au courant des faits et gestes de Bohémond, et il manque rarement, lorsqu’il le cite, de lui appliquer quelque épithète emphatique qui marque la vénération qu’il a pour sa personne ; c’est à lui qu’il réserve le titre de dominus, « seigneur », qu’il ne donne pas aux autres chefs. Était-il lui-même d’origine normande ou était-ce un indigène rallié à la dynastie de Tancrède de Hauteville ? Il est difficile de le dire ; le fait qu’il emploie le terme de « Longobard » et aussi certaines expressions techniques qui se rapprochent de l’italien n’est pas décisif[2], car un Normand d’Italie pouvait parler ainsi. Il vaut mieux avouer notre ignorance.

Nous sommes mieux renseignés par lui-même sur sa condition. Il n’appartient pas au bas peuple qu’il confond sous le terme de « la menue gent, les pauvres ». Ce n’est pas un clerc, car en plusieurs actions, à la bataille contre Kerbôga (chap. XXIX), à la procession autour de Jérusalem (chap. XXXVIII), il oppose toujours les clercs et les évêques, priant pour le succès des croisés, aux groupes de combattants dont il fait partie. En dépit de sa réserve, quand il s’agit de lui-même, il indique indirectement les actions auxquelles il a pris part personnellement. C’est ainsi qu’il est dans la troupe de Bohémond à l’escalade d’Antioche (nuit du 3 juin 1098) et qu’il est un des premiers à pénétrer dans la ville (chap. XX). De même, il a combattu dans les rangs des croisés le 28 juin 1098 à la bataille contre Kerbôga (chap. XXIX) et il paraît avoir fait partie de l’expédition de Raimond Pilet pendant le séjour des croisés à Antioche (chap. XXX).

Ce n’est pas non plus un chef d’armée. Il n’est pas entré à Constantinople ; il ne connaît les délibérations des chefs que par ouï-dire, mais il en est très bien informé, ce qui laisse supposer qu’il occupait dans l’armée une certaine situation. Il paraît avoir été l’un des nombreux chevaliers, possesseurs de petits fiefs, qui prirent la croix. On le voit assister à la découverte de la Sainte-Lance et même faire partie du grand conseil de guerre qui suivit cet événement (chap. XXVIII). Enfin, dans ses récits de batailles, il se range toujours parmi les chevaliers et emploie l’expression : « Nous chevauchâmes » (chap. XXIX).

Il représente donc la classe moyenne des chevaliers croisés, et c’est ce qui donne un si grand intérêt à son récit. En maint passage l’Anonyme exprime l’ardeur de ses sentiments religieux et de son enthousiasme pour la croisade, mais aussi de sa haine pour les infidèles, qu’il confond sous le nom de « païens » et qu’il prend naïvement pour des idolâtres. Les chrétiens tués dans un combat sont considérés par lui comme des martyrs, tandis que les Turcs mortellement atteints rendent leurs âmes au diable et à ses anges (chap. XVIII). Comme ses contemporains, il trouve justes et raconte froidement les massacres les plus horribles, la décapitation des prisonniers turcs (chap. XII), la violation des sépultures musulmanes (chap. XVIII), l’égorgement de la population sans défense dans les villes prises d’assaut (chap. IV, XXX, XXXI, XXXIII, XXXVIII). Et, d’autre part, en vrai chevalier, il admire les beaux exploits et les grands coups d’épée ; certains de ses récits de bataille ont une couleur véritablement épique et il a un tel amour de la vaillance qu’il la prise même chez les Turcs ; il va jusqu’à dire (chap. IX) que, si les Turcs étaient chrétiens, ils seraient les premiers chevaliers du monde.

Ce qui frappe surtout dans son récit, c’est sa sincérité, la naïveté avec laquelle il étale ses sentiments, ses préjugés et toutes ses préoccupations. C’est ainsi qu’en vrai combattant il connaît le prix des questions matérielles : le ravitaillement si difficile des bandes de croisés, le prix du pain, la valeur de l’argent, les moyens employés pour avoir de l’eau potable tiennent dans son récit une place de premier ordre. À l’occasion aussi, il critique les mesures prises par les chefs, il s’indigne de les voir se lier vis-à-vis de l’empereur Alexis par le serment féodal (chap. VI) et surtout il ne perd aucune occasion d’exprimer la haine et la défiance que lui inspirent les Grecs. Alexis Comnène est pour lui « le très inique » ou « le misérable empereur », et il l’accuse, ainsi que ses dignitaires, de trahison contre le peuple chrétien.

Enfin il a le sentiment très vif de la chrétienté, communauté supérieure à toutes les races et à tous les peuples. Sa carte d’Europe est d’ailleurs sommaire et il ne distingue des Francs proprement dits, qui représentent l’ensemble des Occidentaux, que les « Longobards », les Allemands et les Français du nord (Francigenae). Tel est le chroniqueur : bien qu’il ait gardé l’anonyme, sa personnalité très accusée et très vivante perce à travers son récit ; mais, comme nous allons le voir, la composition même de son œuvre nous oblige à rechercher s’il n’a pas eu un collaborateur.

II.L’œuvre.

1. La composition. — La composition en effet est loin d’être uniforme et l’on y distingue nettement quatre éléments distincts :

1o La narration du chevalier anonyme, témoin oculaire des événements qu’il raconte, en forme la partie essentielle. Si l’on néglige les digressions et interpolations que nous allons signaler, on trouve dans ce texte un récit bien lié des événements, depuis le moment où Bohémond prend la croix jusqu’à la bataille d’Ascalon. Certaines parties, comme le récit de la traversée de la Bulgarie (chap. IV), de l’Asie Mineure (chap. X et XI) ou de la Palestine (chap. XXXIV-XXXVII) laissent l’impression d’un journal de marche, parfois même un peu sec ; d’autres, au contraire (sièges de Nicée, Antioche, Jérusalem), sont des narrations composées à loisir, et l’on y trouve des lacunes et même des erreurs. Dans l’ensemble le récit est fidèle et précis ; les dates, nombreuses, sont exactes et confirmées par les autres sources.

2o À cette narration vivante et rédigée sous l’impression des faits se sont ajoutés des renseignements de seconde main et de valeur inégale. Tout le premier chapitre, consacré aux origines de la croisade, est composé d’après des données sommaires et incomplètes. Le voyage du pape Urbain II en France est indiqué, mais le concile de Clermont n’est même pas mentionné. Le récit de la croisade populaire (chap. II), celui de l’arrivée de Godefroy de Bouillon à Constantinople (chap. III) sont remplis de faits précis et ont dû être composés d’après des témoins oculaires, mais sont incomplets si on les confronte avec les renseignements dont disposent Albert d’Aix et même Anne Comnène. De même, c’est indirectement que l’Anonyme a connu les négociations des chefs avec l’empereur (chap. VI). Le premier chapitre, rempli de citations bibliques et qui a les allures d’un sermon, laisse supposer dans la rédaction l’intervention d’un clerc.

3o Le récit des événements est interrompu à plusieurs reprises par des chapitres qui forment de véritables hors-d’œuvre, mettent en scène les émirs turcs, rapportent longuement leurs discours et dont le caractère romanesque et fabuleux, le style diffus, l’aspect d’amplification oratoire forment un contraste étrange avec la narration si précise, si pleine de faits de l’Anonyme. Citons le discours de Soliman aux Arabes après la bataille de Dorylée (chap. X) ; les détails sur les négociations entre les émirs turcs et Kerbôga pour secourir Antioche, ainsi que la lettre de Kerbôga au calife (chap. XXI) ; le dialogue de la mère de Kerbôga avec son fils, à qui elle prédit sa défaite, s’il attaque les chrétiens (chap. XXII) ; les lamentations de l’émir égyptien après la bataille d’Ascalon, d’une allure romantique qui fait songer à « la Bataille perdue » des Orientales (chap. XXXIX). Les Turcs, que ces passages nous décrivent, sont entièrement conventionnels et légendaires : ils adorent les idoles, jurent par les noms de tous leurs dieux et reconnaissent le calife comme leur pape. Ces morceaux romanesques relèvent plus du folklore que de l’histoire ; ils nous montrent l’idée que les chrétiens se faisaient des musulmans, et on peut les rapprocher de passages analogues de nos chansons de geste. On a peine à croire que le chevalier anonyme, qui rapporte d’ordinaire si sobrement et presque toujours en style indirect les discours qu’il attribue à ses personnages, soit l’auteur de ces exercices de rhétorique et, d’autre part, à travers l’érudition biblique de la mère de Kerbôga on devine l’intervention du même clerc qui a rédigé le premier chapitre du livre.

4o Enfin deux chapitres nous paraissent constituer des interpolations ajoutées plus tard à l’ouvrage. L’un (chap. XXVII) raconte l’entrevue du comte Étienne de Blois après sa fuite d’Antioche et reproduit de longs discours qui ne sont pas dans la manière de l’Anonyme ; ce morceau paraît remonter à l’époque de la querelle entre Bohémond et Alexis (1103-1111) et pourrait bien être une pièce de propagande destinée à soulever les Occidentaux contre l’empire byzantin. L’autre (chap. XXXII) est une description d’Antioche intercalée bizarrement entre le récit de l’expédition de Raimond de Toulouse contre Albara et celui du siège de Marra. Ces deux morceaux rompent la suite des événements et, bien qu’ils figurent dans tous les manuscrits, on doit les considérer comme ajoutés à la rédaction primitive.

Ainsi l’analyse du texte nous révèle la collaboration d’un chevalier, à qui l’on doit le récit des faits dont il a été le témoin oculaire ou sur lesquels il a pu se procurer des renseignements précis, et d’un clerc qui a voulu enrichir ces données à sa manière par des amplifications d’un caractère oratoire, dont les thèmes lui étaient fournis par sa connaissance des Écritures et de la littérature populaire, aussi abondante en Occident qu’à Byzance, relative aux musulmans. Il est bien probable que c’est à ce second collaborateur qu’est due la rédaction définitive de l’ouvrage.

2. Date de la composition. — Cette rédaction existait à Jérusalem au lendemain même de la croisade. Ekkehard, moine de Bamberg, plus tard abbé d’Aura en Bavière, ayant fait le pèlerinage de Terre-Sainte en 1101, lut à Jérusalem un « petit livre » où était racontée exactement la série des événements de la croisade[3]. Ce petit livre n’est autre que le récit de notre Anonyme, et on en a la preuve par les emprunts qu’Ekkehard lui a faits dans sa propre chronique. De très bonne heure, l’ouvrage fut apporté en Occident. Dans la préface de sa chronique, Robert le Moine (moine à Reims, puis à Marmoutier) raconte que ce fut à la requête de Bernard, abbé de Marmoutier (mort en 1107), qu’il transcrivit, en comblant ses lacunes et en la mettant sous une forme plus correcte, « une histoire » qui avait omis de parler du concile de Clermont[4]. Ce dernier détail, ainsi que la dépendance étroite du texte de Robert vis-à-vis de celui des Gesta, prouvent qu’il s’agit bien de l’œuvre de notre Anonyme. À la même époque, vers 1108, Baudri de Bourgueil écrivait sa chronique d’après le texte des Gesta, et dans sa préface il se vantait d’avoir remis en beau langage l’œuvre « rustique » de ce « compilateur anonyme[5] ».

Ainsi la rédaction primitive de cet ouvrage date du lendemain même de la croisade. La bataille d’Ascalon, dont le récit termine la chronique, est du 12 août 1099, et c’est deux ans plus tard, en septembre 1101, qu’Ekkehard a pu voir le livre à Jérusalem. Nous avons d’ailleurs la preuve que certaines parties des Gesta furent composées au fur et à mesure des événements. Blâmant la soumission des chefs aux exigences de l’empereur (chap. V), l’auteur emploie le futur : « Peut-être, dit-il, nous arrivera-t-il encore d’être déçus par nos chefs ; à la fin que feront-ils ? Ils diront, etc. » De même lorsqu’il vante le courage des Turcs à la bataille de Dorylée (chap. IX) ou lorsqu’il raconte la désertion de l’envoyé impérial Tatikios devant Antioche (chap. XVI) : « Il demeure et demeurera à jamais dans son parjure. » Il est clair que, quand cette phrase fut écrite, l’expédition n’était pas terminée.

En revanche, en d’autres endroits (chap. XIV, XV, XIX, XXI), il anticipe sur les événements. À propos de la fuite de Guillaume le Charpentier (chap. XV), il dit que, malgré le serment prêté par lui à Bohémond, il devait déserter plus tard. À l’attaque d’Antioche par Kerbôga (5 juin 1098), il raconte la capture d’un chevalier et fait allusion à sa délivrance postérieure, après la bataille du 28 juin.

Son récit n’est donc pas exactement le contenu d’un carnet de route. Certains faits lui ont été racontés après les événements. « On rapporte, dit-il, qu’Herlouin (ambassadeur des croisés à Kerbôga) connaissait les deux langues (latine et turque). » Plusieurs morceaux ont donc été rédigés quelque temps après les événements. L’étude des subdivisions, que l’on peut attribuer à la rédaction primitive, va d’ailleurs nous faire mieux connaître la méthode employée pour cette rédaction.

3. Les subdivisions de l’ouvrage. — La division actuelle en chapitres ne se trouve dans aucun manuscrit ; elle apparaît dans l’édition Bongars en 1611, mais elle est assez logique et peut être ancienne[6]. Dans certains manuscrits, comme le no 9783 de Madrid et le no 572 du Vatican et aussi dans l’édition Bongars, l’ouvrage est divisé en quatre livres ; mais, tandis que les trois premiers livres n’embrassent que neuf chapitres, le quatrième livre va du chapitre X au chapitre XXXIX et comprend tous les événements depuis le début de la marche en Asie Mineure jusqu’à la bataille d’Ascalon. Il y a là une anomalie qui enlève toute valeur à cette subdivision.

Reprenons cependant notre texte. Nous constatons qu’à certains intervalles le récit est interrompu et semble se terminer comme un sermon par une action de grâces ou une glorification du Seigneur (doxologie). Par exemple, à la fin du chapitre iv, où est racontée la bataille livrée par les chevaliers de Bohémond aux troupes impériales sur les bords du Vardar, on lit : « Cette bataille eut lieu le quatrième jour de la semaine qui marque le début du carême. Que Dieu soit béni en toutes choses. Ainsi soit-il ! » Il en est de même à la fin du chapitre VIII. Le chapitre IX (bataille de Dorylée) se termine par l’indication de la date de la bataille. Des doxologies ou des indications chronologiques analogues terminent les chapitres XI, XII, XVII, XVIII, XIX, XXIX, XXXIX, et l’ouvrage se trouve partagé en dix parties de dimension inégale. Les quatre premières subdivisions correspondent exactement aux quatre livres des manuscrits et de l’édition Bongars ; mais ce qui est surtout remarquable, c’est que, dans deux des plus anciens manuscrits, les nos 641 et 572 du Vatican, tous deux du xiie siècle, des initiales en rouge avec les premiers mots écrits en capitales dans le manuscrit 641, des alinéas avec des blancs dans le manuscrit 572 correspondent à chacune de ces subdivisions[7]. Enfin l’Histoire du voyage à Jérusalem de Tudebode, dont le texte présente avec celui des Gesta des rapports intimes, sur lesquels nous aurons à nous expliquer, est divisée en seize « thèmes » ou récits, dont les sept premiers coïncident exactement avec les subdivisions des Gesta et se terminent par les mêmes doxologies ou mentions chronologiques.

Il faut en conclure que ces subdivisions sont bien celles de la rédaction primitive. Chacune d’elles formait à l’origine un tout et avait été rédigée séparément ; la doxologie ou la mention chronologique indique le point où le narrateur s’était arrêté. Le fait que ces divisions sont inégales et ne se présentent pas dans un ordre logique ne donne que plus de vraisemblance à cette hypothèse. Le premier récit (chap. I-IV) se termine à la bataille du Vardar, qui est loin d’être un fait décisif. Le deuxième récit va jusqu’à la prise de Nicée (chap. V-VIII). Le troisième (chap. IX) ne comprend que la bataille de Dorylée, le quatrième (chap. X-XI) la marche des croisés jusqu’à Antioche. Le siège d’Antioche est partagé inégalement entre le cinquième (chap. XII-XIII), le sixième (chap. XIV-XVII), le septième (chap. XVIII), le huitième récit (chap. XIX-XX). L’attaque d’Antioche par Kerbôga constitue le neuvième récit (chap. XXI-XXIX), et tous les événements qui ont suivi la délivrance d’Antioche jusqu’à la victoire d’Ascalon (chap. XXX-XXXIX), du 29 juin 1098 au 12 août 1099, sont bloqués dans le dixième récit.

Rien ne montre mieux que ces divisions inégales le caractère spontané et irrégulier de la rédaction. Chacun de ces récits a dû être rédigé séparément, et la doxologie qui termine quelques-uns d’entre eux porte la marque du clerc qui a collaboré à l’ouvrage. Dans la préface de son édition de la Chanson d’Antioche, Paulin Paris voyait dans les « thèmes » de Tudebode des sortes de lettres ou de communiqués envoyés par les croisés en Occident à des intervalles divers. Si jolie que soit cette hypothèse, il faut y renoncer : les thèmes de Tudebode, pas plus que les récits de l’Anonyme, n’ont la forme épistolaire. Ce sont seulement des morceaux rédigés au jour le jour et en pleine action : c’est ce qui fait leur valeur.

4. L’originalité de l’œuvre. — Mais il est temps de préciser les rapports qui unissent ces deux textes. Bien que la discussion soit close aujourd’hui, il faut rappeler pour mémoire que notre Anonyme a été souvent regardé comme le plagiaire de Tudebode, prêtre de Civray en Poitou, qui prit part lui aussi à la croisade et rédigea, entre 1102 et 1111, une Histoire du voyage à Jérusalem, dont le texte coïncide presque continuellement avec celui des Gesta Francorum, mais contient aussi des emprunts à la chronique de Raimond d’Aguilers et un certain nombre de renseignements particuliers à l’auteur. Il est clair que Tudebode est le plagiaire. Comme l’ont fait remarquer Sybel[8] et F. de Saulcy[9], il paraît difficile de croire que, si l’Anonyme avait copié Tudebode, il eût laissé de côté systématiquement les passages empruntés à Raimond d’Aguilers. La querelle, née au xviie siècle, lorsque André Duchesne publia en 1641 le manuscrit de Tudebode découvert par Besly[10], a été tranchée au xixe siècle en faveur de l’Anonyme, qui est bien l’auteur original. La tradition manuscrite des deux ouvrages est en général distincte ; cependant, comme nous allons le montrer, il y a des exemples de contamination des deux textes. C’est donc à tort que les éditeurs du Recueil des historiens des croisades ont publié le texte de l’Anonyme sous le titre de « Tudebode abrégé ». Il arrive au contraire que, dans certains chapitres, la narration des Gesta est plus complète que celle de Tudebode. Par exemple, le chapitre XI de l’Anonyme correspond au chapitre I du thème II de Tudebode qui, après avoir raconté les négociations de Bohémond avec le curopalate envoyé par l’empereur, passe directement à l’arrivée des Normands à Rousa, oubliant ainsi l’épisode si curieux où l’on voit Bohémond empêcher son armée d’attaquer une ville, puis le passage des croisés à Serrès, enfin les négociations avec deux autres curopalates. Tudebode n’a donc fait ici que résumer le texte de l’Anonyme en négligeant des faits intéressants.

5. Les copies et remaniements du texte. — Mais Tudebode n’est pas le seul plagiaire des Gesta. Une autre chronique anonyme publiée par Mabillon sous le titre de : Historia belli sacri ou Histoire de la Guerre sainte[11], et écrite au moins après 1131, puisqu’elle mentionne la mort de Bohémond II, reproduit à peu près le texte de l’Anonyme en y ajoutant des renseignements tirés de Raimond d’Aguilers, de Raoul de Caen et d’autres témoignages inconnus. L’Expédition contre les Turcs, qui se trouve dans un manuscrit de Cambridge[12], est une compilation du même genre. Le récit de la première croisade, qui se trouve au livre IX de l’Histoire ecclésiastique d’Orderic Vital[13], est, sauf pour le récit du concile de Clermont, la reproduction plus ou moins abrégée du texte des Gesta.

Dès les dix premières années du xiie siècle, d’autres chroniqueurs ont entrepris de mettre en meilleur langage, de compléter et de développer le texte des Gesta. Ils l’ont en général délayé et obscurci, rendant confuses, grâce à leur insupportable verbiage, les données précises de l’Anonyme et amplifiant d’une manière ridicule les discours très sobres qu’ils trouvaient dans son texte. Tel est surtout le caractère de la chronique de Baudri, abbé de Bourgueil (1089-1107), écrite vers 1108[14] ; dans une mesure moindre de celle de Robert le Moine, composée avant 1107[15], et des Gesta Dei per Francos de Guibert, abbé de Nogent-sous-Coucy[16], qui rédigea son livre vers 1104 et ajouta des renseignements nombreux à ceux de l’Anonyme.

D’autres chroniques ont simplement utilisé en partie le texte des Gesta. Les rapprochements établis par Hagenmeyer entre certains passages de la chronique de Raimond d’Aguilers et le texte des Gesta sont loin d’être décisifs[17] ; il est naturel que, pour raconter les mêmes faits, les deux auteurs aient employé des expressions analogues. Le texte de Raimond d’Aguilers est d’ailleurs plus développé que celui des Gesta ; on trouve, il est vrai, dans deux manuscrits de Raimond, inséré à la fin du texte, un long passage des Gesta, mais il s’agit, comme nous le verrons, d’une interpolation.

La dépendance de Foucher de Chartres et surtout d’Albert d’Aix-la-Chapelle à l’égard des Gesta est aussi problématique. Au contraire, l’inspiration des Gesta apparaît dans la chronique d’Ekkehard d’Aura[18], dans les Gestes de Tancrède de Raoul de Caen[19], dans le chapitre de la Chronique de France de Fleury-sur-Loire[20], dans le récit de Hugue de Fleury[21] et dans les poèmes consacrés à la croisade, en latin, par le clerc parisien Gilon[22], en français, sous le titre de Chanson d’Antioche, par le trouvère artésien Richard le Pèlerin[23].

On peut dire qu’à ces époques, où la notion de la propriété littéraire était inconnue, le succès d’un livre se mesurait au nombre des plagiats qu’il inspirait. Or, au lendemain de la croisade, une raison surtout contribua au succès de l’Anonyme : malgré son impartialité pour les autres chefs, il a mis Bohémond au premier plan. Jusqu’à la marche sur Jérusalem, c’est Bohémond qui apparaît dans son récit comme le véritable chef de la croisade, qui fait décider toutes les mesures importantes et qui, en mainte circonstance, relève le courage de l’armée chrétienne ou la sauve des désastres dont elle est menacée. Et justement, au moment même où le texte de l’Anonyme se répand en France, entre 1104 et 1106, Bohémond est un des hommes les plus populaires de la chrétienté : délivré de la captivité lointaine qu’il a subie chez les Turcs, il est venu en Occident pour prêcher la croisade contre l’empereur Alexis, dont il dénonce la mauvaise foi[24] ; accompagné d’un légat du pape, il paraît en Normandie, où il a une entrevue avec le roi d’Angleterre ; à Paris, où il épouse la fille du roi de France Philippe Ier ; au concile de Poitiers, où il reçoit un accueil triomphal (1106). Entre ce voyage de propagande contre l’empire byzantin et la vogue des Gesta, il est difficile de ne pas établir une relation. Un livre où Bohémond était représenté comme le héros de la croisade ne pouvait qu’exciter la curiosité. Plusieurs interpolations, qui datent visiblement de cette période, par exemple l’entrevue d’Étienne de Blois fugitif avec l’empereur, et qui paraissent destinées à montrer la couardise des Grecs, font même penser que la diffusion des Gesta a pu faire partie de la campagne habile entreprise par Bohémond en France.

6. Valeur du témoignage. — Par ses qualités de précision et de sincérité, le récit de l’Anonyme est une des sources fondamentales de l’histoire de la croisade. Le chevalier, qui en est l’auteur principal, l’a écrit ou dicté presque au courant des événements dont il a été le témoin. En négligeant les morceaux oratoires dus à son collaborateur, on peut dire que sa narration nous donne un tableau exact de tous les événements de la croisade, depuis le moment où il s’est embarqué avec Bohémond jusqu’à la prise de Jérusalem et à la victoire d’Ascalon (de novembre 1096 au mois d’août 1099). Ce sont là les faits essentiels de la croisade ; les lacunes portent sur les origines du mouvement, sur la marche des bandes de croisés autres que celle des Normands d’Italie, sur l’établissement de Baudouin à Édesse. Pour tout le reste, l’Anonyme est très bien informé et, comme on le verra par les notes critiques jointes à cette édition, la sûreté de son témoignage ressort de sa concordance presque continuelle avec les autres sources originales et indépendantes de lui, Raimond d’Aguilers, Foucher, Albert d’Aix et aussi les quelques lettres authentiques des croisés comme celles d’Étienne de Blois, d’Anselme de Ribemont, etc…

C’est à peine si çà et là, par exemple dans le récit de l’ambassade des croisés à Kerbôga (chap. XXVIII) et surtout dans celui de la marche en Palestine, on peut noter quelques erreurs et certains oublis. C’est ainsi que l’Anonyme omet, au moment du siège d’Archas (mai 1099, chap. XXXV), l’épisode tragique de l’épreuve du feu subie par Pierre Barthélemy, ainsi que les négociations des croisés avec l’empereur et le calife d’Égypte. En revanche, un nombre assez considérable de renseignements ne nous sont connus que par l’Anonyme, par exemple la situation horrible des croisés populaires assiégés par les Turcs au château de Xérigordo (1096, chap. II), le récit de la marche des Normands d’Italie à travers la Bulgarie et la Macédoine (chap. IV-V), le traité secret entre Bohémond et Alexis, dont il donne les clauses précises, ainsi que la formule du serment prêté par l’empereur aux chefs croisés (chap. VI), et aussi un grand nombre d’épisodes du siège de Nicée, surtout des deux sièges d’Antioche, qui n’occupent pas moins de dix-sept chapitres (chap. XII-XXIX).

Les renseignements chronologiques sont extrêmement nombreux et donnés presque toujours avec une précision minutieuse, année, quantième du mois et jour de la semaine, désigné tantôt à l’aide du calendrier latin, tantôt par le numéro de la « férie » ou jour de la semaine. La plupart de ces dates concordent avec celles des lettres des croisés ou des autres sources originales.

Mais ce texte a, en outre, une valeur historique qui dépasse le seul récit des épisodes de la croisade. Par l’abondance et le caractère précis et pittoresque de ses détails, par la naïveté et la spontanéité de ses réflexions, l’Anonyme nous renseigne admirablement sur l’état matériel et moral des bandes de croisés. La question de leur ravitaillement, si difficile, étant donnés leur nombre et leur manque d’organisation, tient dans son récit une place de premier ordre[25]. Il les montre passant par des alternatives d’abondance extrême et de cruelle disette. À plusieurs reprises, il donne le prix des denrées, surtout celui du pain, et il note même la valeur des deniers occidentaux en sous d’or byzantins, ainsi que les spéculations des mercantis arméniens sur la nourriture des croisés pendant le siège d’Antioche (chap. XIV).

Et, de même, à travers son récit, nous saisissons nettement l’état moral et religieux des croisés, leur enthousiasme pour la délivrance du Saint-Sépulcre, leur abattement devant les dures réalités de la guerre et leurs sursauts de courage dès qu’un événement favorable vient les réconforter. Il nous dépeint aussi leur fanatisme à l’égard des infidèles, leur horrible cruauté dans les batailles ou après la prise d’assaut d’une ville, leur amour du pillage, les calculs et les jalousies des chefs, les souffrances des simples chevaliers et surtout de la « menue gent » qui suit l’armée. Enfin, on peut tirer de son livre des données précieuses sur les méthodes de combat, sur l’armement des chevaliers, sur les procédés employés pour l’attaque des villes et sur les machines de siège qui constituaient l’artillerie de cette époque. En un mot, c’est toute la société féodale de la fin du xie siècle que ce livre fait vraiment revivre à nos yeux.

7. La langue et le style. — Une pareille précision, un si grand nombre de détails pittoresques donnent à ce texte une valeur littéraire d’autant plus marquée qu’elle n’a été nullement recherchée par son auteur. Si l’on excepte les morceaux de bravoure que l’on doit attribuer à l’intervention d’un clerc, le style de l’Anonyme est d’une extrême simplicité, et c’est par là surtout qu’il choquait les Guibert de Nogent, les Baudri de Bourgueil, qui n’y retrouvaient pas les éléments oratoires et les fleurs de rhétorique auxquels leur éducation les avait habitués. Par bonheur, cette éducation faisait défaut à notre chevalier, et il s’est contenté d’écrire probablement comme il parlait, sans rechercher aucun effet, sans faire de citations bibliques ou d’allusions aux auteurs classiques[26].

Cette simplicité même et cette naïveté ne vont pas d’ailleurs sans inconvénients. Le chevalier, peu instruit, disposait d’un vocabulaire assez pauvre et, quand il décrit une bataille ou quand il donne des détails sur le ravitaillement des croisés, les mêmes formules stéréotypées reviennent jusqu’à la satiété. Les adversaires que les croisés ont en face d’eux sont toujours « les Turcs, Arabes, Sarrasins, Angulans, Azymites, dont on ignore le nombre ». Ils cherchent à entourer les croisés « en lançant des flèches, en combattant à l’aide de javelots et de lances ». Les prisonniers faits par les Turcs sont toujours « emmenés dans le Khorassan, à Antioche, à Alep », ou menacés « de subir une sentence capitale ». Il en résulte une grande monotonie, atténuée heureusement par des détails naïfs et pittoresques.

La langue de l’Anonyme est très éloignée du latin classique et se rapproche des langues nationales de l’Occident, italien ou français, sans qu’on puisse préciser davantage. Sa phrase a un caractère nettement analytique et elle est en général assez courte, bien que parfois encombrée d’incidentes amenées par des participes présents, des conjonctions ou des pronoms relatifs. Sa syntaxe surtout n’a plus aucun caractère classique. Il ignore la proposition infinitive, qu’il remplace par la conjonction quod avec le subjonctif[27]. Il fait très peu usage des particules, qui donnent plus de vigueur à la phrase, ou il les emploie à contresens ; une de celles qui reparaissent le plus fréquemment est denique, qui a toujours le sens de « ensuite ». D’une manière générale, il prend avec la grammaire classique les libertés les plus grandes, substituant le gérondif ou l’infinitif au participe présent[28], le datif à ad avec l’accusatif[29] et se tenant toujours le plus près possible de la langue vulgaire qu’il parlait et dont son latin est un décalque plus qu’une traduction.

Conformément au même principe, son vocabulaire est éloigné du latin classique. Ses néologismes sont innombrables, et il emploie toujours, ce qui est précieux pour nous, les mots techniques usités à son époque : burgus (faubourg), papilio (pavillon), saumarius (sommier), casale (pièce de terre), etc. L’orthographe des noms propres est généralement défectueuse. Les noms turcs sont déformés d’une manière bizarre : Firouz devient Pirus, Kerbôga se change en Curbaram, mais c’est là un fait général dans les chroniques de cette époque. Nous voyons de même apparaître dans notre texte les formes, si savoureuses parfois, données par les croisés à la toponymie syrienne : Camela (la Chamelle) pour Émèse, Sagitta (Sagette) pour Sidon, Lichia (la Liche) pour Laodicée.

III. — Les manuscrits. Établissement du texte.

Alors que l’ouvrage d’un remanieur comme Robert le Moine nous est parvenu dans une centaine de manuscrits, c’est à peine si nous possédons six copies des Gesta Francorum, auxquelles il faut ajouter les manuscrits, aujourd’hui perdus, consultés par Bongars pour son édition. C’est cependant d’après ces données que l’on peut essayer de reconstituer l’histoire du texte, dont nous atteignons trois rédactions ou « éditions » successives.

1. Premiere rédaction (manuscrits A). — La rédaction originale a certainement disparu, mais elle est représentée par un groupe de trois manuscrits, que nous appellerons A et que nous considérons comme les copies les plus fidèles de l’archétype. Ces manuscrits ont conservé plus ou moins par des signes conventionnels la division primitive en récits que nous avons essayé de reconstituer à l’aide de leur témoignage[30]. C’est à leur texte que s’appliquent surtout les remarques que nous avons présentées sur la barbarie de la langue et de la syntaxe de l’Anonyme. Leur orthographe est généralement archaïque ; ils emploient presque toujours l’e simple pour le génitif féminin singulier, écrivent ci pour ti (condicio), i pour y (martirium), et ils ont presque toujours conservé les aspirations germaniques (nichil pour nihil), surtout dans les noms propres (Rotbertus, Nortmanniaetc.). Un autre détail prouve leur parenté et le caractère primitif de leur texte : ils ne connaissent ni les gloses ni les interpolations ni les développements factices que nous allons signaler dans les autres manuscrits. Bien que leurs variantes ne concordent pas toujours, ils offrent sensiblement le même texte.

Nous appellerons le manuscrit 9783 de la Bibliothèque nationale de Madrid[31], écrit sur parchemin, in-4o, et bien conservé malgré le jaunissement de certains feuillets. Il provient de la bibliothèque d’un érudit d’Avignon, Joseph-Louis-Dominique de Cambis, marquis de Valleron (1706-1772[32]), et contient un certain nombre de chroniques, parmi lesquelles les Gesta Francorum et aliorum Ierosolimitanorum (fol. 149-176), dont le texte est divisé en deux colonnes. L’écriture est très anguleuse, beaucoup moins cependant que celle du xive siècle — date généralement attribuée à cette copie — et semble nous reporter vers 1280-1300. D’autre part, son orthographe archaïque, fidèlement respectée par le scribe, qui a commis d’ailleurs plusieurs bévues, nous prouve qu’il a été transcrit d’après une copie très ancienne et peu éloignée du manuscrit original. Comme l’a constaté Hagenmeyer, ses variantes concordent parfois avec le texte de Bongars, mais on n’y trouve ni les gloses ni les interpolations que renferme ce texte. Ses ressemblances avec les deux manuscrits du Vatican sont bien plus évidentes, et il indique les mêmes subdivisions du texte au moyen d’initiales ornées.

Nous appellerons le texte du manuscrit du Vatican, No des manuscrits latins du fonds de la reine Christine de Suède[33], fol. 1-46, suivi d’une Descriptio Ierosolimorum (fol. 46) et d’une Missa in veneratione Sancti Sepulcri (fol. 48). Le texte est écrit à pleine page, sur des feuillets de parchemin in-folio. Au fol. 48 vo, une note en écriture du xve siècle[34] nous apprend que ce manuscrit a appartenu au cardinal Alain de Coëtivy, évêque d’Avignon, à qui le pape Nicolas V devait confier, en 1456, la mission de prêcher la croisade en France[35]. Ce manuscrit, en excellent état, est d’une belle écriture uniforme du xiie siècle — probablement même de la première moitié du xiie siècle ; il ne doit donc pas être très éloigné du manuscrit original, et c’est certainement la copie la plus ancienne que nous possédions des Gesta. Son orthographe a le même caractère archaïque[36] que celle de . Le texte contient une lacune qui porte sur les chapitres XXIII à XXIX et qui interrompt le texte non seulement au milieu d’une phrase, mais même au milieu d’un mot[37]. Hagenmeyer, qui a le premier signalé cette lacune, n’en a pas fourni l’explication, qui est très simple. Cette interruption du texte n’est pas accompagnée de celle des folios, dont le numérotage continue normalement, mais au bas du fol. 32 vo une note en écriture du xive siècle porte : Hic deficit quaternio (« Ici manque un cahier[38] »). Cette lacune est donc due à la négligence du relieur, et on ne peut en tirer aucune conclusion pour l’établissement du texte.

À la différence de  et de , le manuscrit 641 du Vatican ne contient aucune division en chapitres, mais des initiales en rouge, au nombre de neuf, marquent la division en récits que nous regardons comme primitive. Le texte lui-même est moins incorrect que celui de , mais il est écrit dans la même langue barbare. Dans son orthographe, on constate un manque d’uniformité : aux formes archaïques se mélangent les graphies correctes. Le texte concorde en général avec celui de  et est également exempt d’interpolations.

Par  nous désignons le manuscrit du Vatican, no 572 des manuscrits latins du fonds de la reine Christine[39], sur parchemin in-folio, qui renferme les Gesta Francorum (fol. 1-64 vo), une description des Lieux Saints (fol. 64 vo-67 ro), puis — copiés en plusieurs écritures différentes et manifestement plus récentes que celles de la première partie — un petit poème en l’honneur de Bohémond (fol. 68 ro) et la lettre d’Olivier le Scholastique à l’archevêque Engelbert et au clergé de Cologne sur la prise de Damiette en 1219 (fol. 69 ro-76 ro). Une note placée en haut du fol. 69 ro nous apprend que ce manuscrit provient de la bibliothèque de Paul Petau[40]. La copie des Gesta Francorum est d’une écriture beaucoup plus ancienne que celle de la lettre d’Olivier, qui ne peut avoir été transcrite que dans le premier quart du xiiie siècle au plus tôt. Elle est cependant plus récente que celle du manuscrit . On n’y trouve plus l’a à boucle unique, et les jambages des consonnes m, n, p, q, retc., ont le petit trait retroussé à droite qui caractérise l’écriture gothique. Cette copie a donc dû être exécutée dans la seconde moitié du xiie siècle[41]. Elle possède la division en quatre livres et, de plus, les alinéas marqués par des blancs qui partagent le texte en onze parties. Ce texte est absolument complet, et c’est par une méprise singulière que les éditeurs des Historiens des croisades[42] et, après eux, Hagenmeyer ont affirmé qu’il était interrompu par la même lacune que celui de . Ses variantes coïncident assez souvent avec celles de  ; cependant, les ressemblances entre ces deux textes sont moins fréquentes que ne l’a affirmé Hagenmeyer. On peut signaler du moins un trait qui leur est commun avec C : à partir de la marche sur Jérusalem (fin du chap. XXXV), chaque fois que le nom de Robert Courte-Heuse est prononcé, il est accompagné d’épithètes emphatiques[43] ignorées des autres manuscrits. On peut se demander si le texte de , reproduit avec des variantes par , n’avait pas été copié à l’usage de ce prince. Comme les textes de  et de , celui de  est exempt d’interpolations. Ces trois manuscrits représentent donc à des degrés divers la rédaction primitive.

2. Deuxième rédaction (texte B). — L’édition des Gesta Francorum de Bongars représente une première altération de ce texte primitif, et nous appellerons B ce nouveau texte[44], qui, de l’aveu de Bongars, est tiré de la collation de deux manuscrits, dont l’un appartenait à Camden, l’autre à Paul Petau[45]. On s’est demandé, non sans raison, si ce manuscrit de Petau n’est pas le même que le manuscrit 572 du Vatican (). On peut en fournir, pour ainsi dire, une preuve matérielle. Ce manuscrit contient, nous l’avons vu, la lettre d’Olivier le Scholastique sur la prise de Damiette. Or, dans son recueil, Bongars a édité ce texte d’après un manuscrit de Petau qui est probablement le même que celui qu’il a utilisé pour les Gesta Francorum[46]. On peut donc conclure à l’identité de  et du manuscrit de la collection Petau dont s’est servi Bongars[47].

Le texte de son édition est divisé en quatre livres et en trente-neuf chapitres. Cette dernière subdivision n’existe pas dans les autres manuscrits ; on peut se demander si elle ne provient pas du manuscrit de Camden. Ce texte, dont les formes grammaticales sont aussi incorrectes, dont l’orthographe est aussi archaïque que dans la rédaction A, diffère, en outre, de celui des autres manuscrits par des variantes assez nombreuses empruntées sans doute au manuscrit de Camden. Or elles consistent toujours en additions au texte de la rédaction A ; elles ne sont pas très heureuses et n’ajoutent aucun renseignement nouveau au texte primitif. Elles donnent souvent l’impression de gloses, qui sont de pures tautologies. Où A dit simplement : « alii fugerunt », B ajoute : « alii, qui remanserunt vivi, fugerunt (chap. II). Un discours en style indirect dans A est reproduit en style direct dans B, tel le discours de Bohémond à ses troupes (chap. IV). Certains discours qui figurent dans B sont même inconnus aux autres textes (celui des évêques aux assiégés de Xérigordo, chap. II ; celui de Bohémond à son armée avant de partir pour Constantinople, chap. V). Certains passages très clairs dans A deviennent entièrement inintelligibles dans B, par exemple le récit des pourparlers de Bohémond avec les deux curopalates (chap. V). Ou bien si A se contente d’énumérer les noms des chefs, B gratifie chacun d’eux d’une épithète honorifique, « egregius, inclytusetc. » (chap. IX-X).

Or toutes ces gloses ou interpolations se retrouvent, parfois littéralement, parfois avec des variantes insignifiantes, dans les textes des plagiaires de l’Anonyme, surtout Tudebode et l’Historia belli sacri, mais aussi plus ou moins amplifiées ou résumées dans ceux de Robert le Moine, Baudri de Bourgueil, Guibert de Nogent. Qu’en conclure, sinon que tous ces auteurs ont dû se servir de manuscrits de l’Anonyme de la même famille que le manuscrit de Camden, utilisé par Bongars, et qui représentaient une deuxième rédaction de l’ouvrage, de forme aussi rude et barbare que la première, mais moins simple et plus verbeuse ? Il est clair que toutes ces scories doivent disparaître du texte si l’on veut remonter à la rédaction primitive, la seule authentique. Les précédents éditeurs, ceux des Historiens des croisades et Hagenmeyer avaient respecté toutes ces additions et les avaient incorporées à leur texte. Il nous a semblé indispensable de les éliminer, et l’on verra par les leçons de B, que nous avons rejetées en notes, à quel point le texte dégagé de ce poids mort reprend toute la franchise de son allure.

3. Troisième rédaction (manuscrits C). — Enfin il existe de l’Anonyme une édition corrigée et remaniée, tant au point de vue de l’orthographe que de la grammaire et de la clarté du texte ; nous la désignerons par C. Elle est représentée par trois manuscrits :

, manuscrit copié à la fin du xiie siècle, aujourd’hui à la bibliothèque de l’Escurial[48] (coté : D III 11), et qui provient de la collection d’Antoine Augustin, archevêque de Tarragone, mort en 1586.

appartient à la bibliothèque de Cambridge (College Gonvile et Caius, U 162, parchemin in-8o, 213 folios) et a été copié au xiii et au xive siècle[49].

provient de la bibliothèque de Sainte-Marie de Kenilworth et a été copié au xiiie siècle. Il a appartenu à la collection de A.-C. Ranyard, mort en 1894, et a été vendu en 1895 au libraire Quaritch[50]. Le texte de l’Anonyme (fol. 1 à 29 ro) y est suivi de l’Historia romana de Paul Diacre (fol. 29-68). Nous n’avons pu savoir ce que ce manuscrit est devenu depuis 1895.

Les leçons de ces trois manuscrits[51] concordent presque toujours. Cependant possède des variantes indépendantes, ajoute des épithètes aux noms propres, cherche à rendre le texte plus clair : c’est la rédaction la moins fidèle. En général, les variantes communes à ces trois manuscrits consistent dans des changements de la construction, qui est rendue plus euphonique, dans l’emploi plus fréquent de la proposition infinitive, dans la substitution du participe présent au gérondif, surtout dans l’usage des particules de liaison qui donne plus de force à la phrase. Quelques interpolations concordent avec celles de B, mais d’autres très remarquables sont particulières à C et permettent de fixer la date approximative de cette rédaction. Par exemple, dans le récit de la fuite des croisés à Antioche, où A et B portent : demissi sunt per murum, C corrige : dimissi sunt fune, « ils descendirent par une corde » (chap. XXIII). Cette leçon a été adoptée par l’Historia belli sacri et par Baudri de Bourgueil, et le surnom de « funambules » est resté à ces fuyards. De même, l’entrevue d’Étienne de Blois et de l’empereur Alexis est agrémentée dans C d’une intervention de Guillaume d’Arques, désigné ainsi : dudum monachus, tunc miles acerrimus (« récemment moine, alors chevalier intrépide »), et le rédacteur ajoute que Bohémond a affirmé plus tard par serment la véracité des menaces contre l’empereur que lui avait prêtées Guillaume d’Arques. Cette interpolation est donc au moins postérieure aux hostilités entre Bohémond et l’empire (1105-1111). Si intéressante que soit cette rédaction, elle s’éloigne donc du texte primitif et doit être rejetée, sauf dans les cas très rares où elle permet d’éclaircir les obscurités que l’on trouve dans les autres textes.

4. Autres altérations du texte primitif. — D’autres variantes portant sur la fin du chapitre XXXIX, depuis : « Interea nuncius venit Tancredo… » nous sont fournies par le manuscrit B de la chronique de Raimond d’Aguilers (Paris, Bibliothèque nationale, manuscrit latin 5531, xiiie siècle) et par l’édition de ce texte dans Bongars (Gesta Dei per Francos, p. 182-183). Ce fragment ne figure pas dans les plus anciens manuscrits de Raimond d’Aguilers[52], dont le texte se termine par le récit de la querelle entre Godefroy de Bouillon et Raimond de Saint-Gilles au sujet de la Tour de David. Il n’est donc qu’une addition postérieure destinée à introduire un récit de la bataille d’Ascalon dans le texte de Raimond, mais il est emprunté à un manuscrit des Gesta Francorum inconnu de nous[53] et fournit des variantes que nous désignerons par R.

IV. — Éditions. Ouvrages et textes à consulter.

1. Éditions antérieures. — La première édition est celle de Bongars (Hanovre, 1612), sur laquelle nous ne reviendrons pas[54]. Au xixe siècle, on n’a à signaler que deux éditions :

1o Recueil des historiens des croisades, publié par l’Académie des inscriptions et belles-lettres : Historiens occidentaux, t. III (Paris, 1866, in-fol.), p. 121-163. D’après la préface, signée H. W. (Henri Wallon) et A. D. (Ad. Régnier), l’édition avait été préparée par Philippe Lebas. Conformément à la théorie exposée dans cette préface et que nous avons réfutée, l’ouvrage porte le titre inexact de « Tudebodus abbreviatus ». Le texte est établi d’après le manuscrit  et l’édition Bongars.

2o Hagenmeyer, Anonymi Gesta Francorum et aliorum Hierosolymitanorum (Heidelberg, 1890, in-80). — Cette édition, surchargée de notes trop copieuses, est accompagnée d’une table chronologique et d’un index très commodes. Aux sources déjà utilisées par les éditeurs des Historiens des croisades, Hagenmeyer a ajouté les variantes des cinq manuscrits que nous avons désignés par , , , , , dont la collation lui avait été fournie par Riant. Il ne paraît pas en avoir tiré tout le parti désirable. D’après la théorie qu’il expose dans son introduction, le texte primitif lui paraît constitué par les leçons du manuscrit de Madrid () et de Bongars. Mais quand il a à choisir entre les variantes de  et de B, il donne toujours raison à B et conserve toutes les gloses et interpolations communes à B et aux plagiaires des Gesta. La raison qu’il donne est que Tudebode et les autres remanieurs ont eu à leur disposition une rédaction très ancienne et par conséquent digne de foi ; mais nous croyons avoir établi que, si ancienne que soit cette rédaction, elle est cependant postérieure à la rédaction A, qui nous paraît plus voisine du texte primitif. Hagenmeyer a eu du moins le mérite de restituer à l’Anonyme sa véritable personnalité et de montrer que la rédaction C représente un texte épuré et corrigé, qui s’écarte de l’original ; mais sa critique manque de hardiesse et, avec un appareil imposant, il n’a fait en somme que reproduire dans ses grandes lignes le texte défectueux des Historiens occidentaux.

2. L’édition présente. — Pour cette édition, accompagnée de la première traduction en français qui ait été publiée de l’ouvrage, nous nous sommes inspiré des conclusions qui résultent de la discussion qui précède. C’est dire que, pour établir le texte, nous avons préféré la rédaction A, que nous regardons comme primitive, éliminé les gloses et interpolations[55] de B, négligé les variantes de C. Mais entre les trois textes de la rédaction A nous avons souvent dû faire un choix. Nous avons attaché une importance particulière aux leçons de , notre plus ancien manuscrit ; nous avons rejeté les incorrections de , dont le copiste du xiiie siècle peut être rendu responsable, et cependant, dans plusieurs cas, les leçons et B ont été préférées aux leçons et .

De même, pour l’orthographe, nous avons adopté systématiquement les formes archaïques qui dominent dans A et dans une moindre mesure dans B ; nous avons cependant rejeté quelques barbarismes notoires (Thurci dans ) et nous nous sommes efforcé de conserver à notre orthographe, sans tenir compte des variations des copistes, le caractère uniforme qu’elle devait avoir dans la rédaction primitive. Il arrive, par exemple, que dans  et  des formes comme Rotbertus Northmannus, employées le plus souvent, soient remplacées dans certains passages par Robertus Normannus. Nous avons conservé partout la forme primitive en plaçant en notes celle que donnent les manuscrits.

3. Ouvrages et textes à consulter. — Nous donnons plus loin une table des sources avec les abréviations et nous indiquons dans les notes les ouvrages qui intéressent le commentaire du texte. Voici cependant une liste sommaire des ouvrages les plus généraux :

P. Masson, Éléments d’une bibliographie française de la Syrie, au t. I du compte-rendu du Congrès français de la Syrie (Paris et Marseille, 1919, in-8o), p. XIX-528.
Archives de l’Orient latin. Paris, 1881, 2 vol. in-8o.
Revue de l’Orient latin (a cessé de paraître depuis 1913). Paris, 1892-1913, 22 vol. in-8o.
Les RR. PP. Vincent et Abel, Jérusalem. Recherches de topographie, d’archéologie et d’histoire ; t. II : Jérusalem nouvelle (en cours de publication depuis 1914). Paris, in-4o.
Sybel, Geschichte des ersten Kreuzzuges, 1re édition, 1841 ; 2e édition, Dusseldorf, 1881, in-8o.
Röhricht, Geschichte des ersten Kreuzzuges. Innsbrück, 1901, in-8o.
Hagenmeyer, Chronologie de la première croisade. Paris, 1902, in-8o (extrait de la Revue de l’Orient latin, t. VI-VIII).
Louis Bréhier, L’Église et l’Orient au moyen âge. Les croisades. Paris, 4e édition, 1921, in-12.
N. Iorga, Histoire des croisades. Paris, 1924, in-12.
Chalandon, Essai sur le règne d’Alexis Comnène. Paris, 1900, in-8o (t. IV de la collection des Mémoires et documents publiés par la Société de l’École des chartes).

Voici enfin l’indication, avec les abréviations auxquelles nous recourrons, des textes le plus souvent cités dans nos notes :

Albert d’Aix = Albert d’Aix-la-Chapelle, Liber christianae expeditionis pro ereptione, emundatione, restitutione sanctae Hierosolymitanae ecclesiae, dans le Recueil des historiens des croisades ; historiens occidentaux, t. IV, p. 265-713.
Anne Comnène = Anne Comnène, Alexiade, édition Reifferscheid. Leipzig, 1884, in-8o.
Baudri de Bourgueil = Baudri de Bourgueil, Historia Hierosolymitana, dans les Historiens des croisades ; historiens occidentaux, t. IV, p. 1-111.
Chronique du Puy = Chronicon monasterii S. Petri Aniciensis, édition U. Chevalier, Cartulaire de Saint-Chaffre du Monastier. Le Puy, 1888, in-8o, p. 151-166 (voir aussi Historiens des croisades ; historiens occidentaux, t. V).
Epistulae et chartae = pistulae et chartae ad historiam primi belli sacri spectantes, édition Hagenmeyer. Innsbruck, 1901, in-8o (voir aussi Riant, Inventaire critique des lettres historiques des croisades, dans les Archives de l’Orient latin, t. I, p. 1-24).
Foucher de Chartres = Foucher de Chartres, Gesta Francorum Jerusalem expugnantium, dans les Historiens des croisades ; historiens occidentaux, t. III, p. 311-485 (voir aussi l’édition Hagenmeyer. Heidelberg, 1913, in-8o).
Guibert de Nogent = Guibert de Nogent, Gesta Dei per Francos, dans les Historiens des croisades ; historiens occidentaux, t. IV, p. 115-263.
Historia belli sacri = Historia de via Hierosolymis vel Tudebodus continuatus et imitatus, dans les Historiens des croisades ; historiens occidentaux, t. III, p. 169-229.
Historiens occidentaux = Recueil des historiens des croisades, publié par l’Académie des inscriptions et belles-lettres ; historiens occidentaux. Paris, 1844, 1859, 1866, 1879, 1895, 5 vol. in-fol.
Orderic Vital = Orderic Vital, Historia ecclesiastica, édition Le Prévost et L. Delisle, dans la collection de la Société de l’histoire de France. Paris, 1828-1855, 5 vol. in-8o.
Raimond d’Aguilers = Raimond d’Aguilers, Historia Francorum qui ceperunt Jerusalem, dans les Historiens des croisades ; historiens occidentaux, t. III, p. 235-309.
Raoul de Caen = Raoul de Caen, Gesta Tancredi, Ibid., t. III, p. 587-601.
Robert le Moine = Robert le Moine, Hierosolymitana expeditio, Ibid., t. III, p. 717-802.
Tudebode = Petri Tudebodi presbiteri Sivracensis historia de Hierosolymitano itinere, Ibid., t. III, p. 3-119.

ABRÉVIATIONS
adoptées pour la désignation des manuscrits.

 =  Bibliothèque nationale de Madrid, 9783.
 =  Vatican, 641 du fonds latin de la reine Christine.
 =  Vatican, 572 du fonds latin de la reine Christine.
B  =  Édition Bongars, Gesta Dei per Francos, t. I (Hanovre, 1612).
 =  Bibliothèque de l’Escurial, D III, 11.
 =  Cambridge, Gonvile and Caius College, no 162.
 =  Ancien manuscrit de la Collection Ranyard.
R  =  Additions au texte de Raimond d’Aguilers.

  1. Par exemple l’hypothèse de Riant (Archives de l’Orient latin, t. I, p. 145), qui l’identifie avec Alexandre, chapelain et secrétaire d’Étienne, comte de Blois.
  2. F. de Saulcy, Tancrède, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, t. IV (1842), p. 302-303.
  3. Ekkehard, Hierosolymitana, § 13, dans le Recueil des historiens des croisades ; historiens occidentaux, t. V, p. 21.
  4. Recueil des historiens des croisades ; historiens occidentaux, t. III, p. 721.
  5. Ibid., t. IV, p. 10.
  6. Nous l’avons conservée, à l’exemple d’Hagenmeyer, pour plus de commodité, en plaçant les numéros entre crochets. L’éditeur du Recueil des historiens des croisades (Historiens occidentaux, t. III) a introduit une autre division en chapitres, qui ne peut être qu’une source de confusions.
  7. Le manuscrit 641 renferme neuf divisions, mais il englobe à tort les neuf premiers chapitres dans le premier récit. La doxologie qui termine le chapitre IV indique une subdivision qui se trouve dans les autres manuscrits. Nous avons cru devoir la rétablir et admettre la division de l’ouvrage en dix récits. Par contre, le manuscrit 572 admet une onzième division après le chapitre XXXI, suivi de la description d’Antioche (chapitre XXXII), que nous regardons comme une interpolation, les premiers mots du chapitre XXXIII continuant exactement la suite des idées exprimées à la fin du chapitre XXXI. Nous avons donc négligé cette coupure que rien ne justifie.
  8. Sybel, Geschichte des ersten Kreuzzuges, éd. de 1881, p. 23-46.
  9. F. de Saulcy, Tancrède, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, t. IV (1842), p. 302-303.
  10. André Duchesne, Scriptores rerum Francicarum, t. IV, p. 773-815. L’originalité de Tudebode a été soutenue au xixe siècle par Wilken, Michaud, P. Paris (préface de l’édition de la Chanson d’Antioche, 1848) et les éditeurs du Recueil des historiens des Croisades (Historiens occidentaux, t. III, p. 121-163). Sybel, en 1841, F. de Saulcy, en 1842 (op. cit.), ont bien établi que l’Anonyme est l’original et Tudebode le plagiaire. Leurs arguments ont été développés par Thurot, Études critiques sur les historiens de la première croisade, dans la Revue historique, t. I (1876), p. 67, et Hagenmeyer, Anonymi Gesta Francorum, Heidelberg, 1890 (préface à l’édition des Gesta Francorum).
  11. Mabillon, Museum italicum, t. I (1687), p. 131-226. Rééditée dans le Recueil des historiens des croisades (Historiens occidentaux, t. III, p. 169 et suiv.) sous le titre de Tudebodus continuatus.
  12. Publiée dans le Recueil des historiens des croisades (Historiens occidentaux, t. III, p. 121 et suiv.) sous le texte des Gesta Francorum.
  13. Ce livre a été écrit vers 1135. Édition Le Prévost (Société de l’histoire de France), t. III, p. 463-624.
  14. Publiée par Thurot, dans le Recueil des historiens des croisades (Historiens occidentaux, t. IV, p. 1-111, et préface, p. vi-XII). Le latin de Baudri n’est pas beaucoup meilleur que celui de l’Anonyme, mais il cherche avant tout à transcrire en style noble, avec redondances, ce que son modèle a dit simplement. Il développe le récit en ajoutant des détails de son cru et à la phrase analytique, très voisine de la langue vulgaire, il substitue un arrangement de mots compliqués en prenant pour modèle la poésie rythmique. Voir les comparaisons données par Thurot dans sa préface.
  15. Recueil des historiens des croisades (Historiens occidentaux, t. III, p. 717-882).
  16. Édition Thurot, Ibid., t. IV, p. 115-263.
  17. Hagenmeyer, préface de l’édition des Gesta, p. 49-58.
  18. Recueil des historiens des croisades (Historiens occidentaux, t. V, p. 1-40).
  19. Ibid., t. III, p. 587-601.
  20. Ibid., t. V, p. 356-362.
  21. Recueil des historiens des croisades (Historiens occidentaux, t. V, p. 363-368).
  22. Ibid., t. V, p. 691-800.
  23. Édition Paulin Paris (2 vol., 1848) et cf. Histoire littéraire de la France, t. XXII, p. 353, et t. XXV, p. 519.
  24. Cf. Chalandon, Essai sur le règne d’Alexis Comnène (Paris, 1900), p. 236-243.
  25. Voir l’index au mot : ravitaillement.
  26. Nous en exceptons, bien entendu, les chapitres que nous avons attribués à la collaboration d’un clerc et où l’on trouve justement toute cette fausse ormementation.
  27. « Audientes denique Turci quod Petrus Heremita et Gunalterius sine habere fuissent in Cyvito. » (chap. II).
  28. « Miserunt se in flumen sequendo » (au lieu de sequentes) ; « videns peregrinos emere » (au lieu de ementes).
  29. « Imperatori ducere » (au lieu de ad imperatorem). Relevons encore l’emploi du possessif au lieu de ejus, de ipse pour ille, de la préposition de pour ex : « de burgo », « de turri ».
  30. Qu’il me soit permis de témoigner ma gratitude à M. J. Porcher, membre de l’École française de Rome, qui a bien voulu collationner pour moi les textes des manuscrits 641 et 572 du Vatican, faire une description complète de ces deux manuscrits et m’en adresser d’excellentes photographies. Je tiens aussi à remercier M. Pierre Paris, directeur de l’École des hautes études hispaniques, à Madrid, et M. Delpy, membre de cette École, à l’obligeance desquels je dois des photographies du manuscrit de Madrid 9783.
  31. Anciennement E, e, 103 (manuscrit B de l’édition Hagenmeyer).
  32. Hagenmeyer en fait à tort un Espagnol. Il était colonel général de l’infanterie pontificale d’Avignon. Le Catalogue raisonné des principaux manuscrits du cabinet de M. J.-L.-D. de Cambis, marquis de Velleron (Avignon, 1770) mentionne, p. 432, sous le no XVII, le manuscrit sur vélin in-4o comme une pièce importante, sous le titre de « Gesta Francorum et aliorum Jerosolymitanorum, divisé en 4 livres ». Il ne peut y avoir de doute sur l’identité de ce manuscrit avec celui de Madrid (Avignon, Bibliothèque et Musée Calvet, Miscellanea, vol. 81). Ce renseignement m’a été obligeamment communiqué par M. J. Girard, conservateur de la Bibliothèque et Musée Calvet.
  33. C’est le manuscrit C de l’édition Hagenmeyer.
  34. « Iste liber est r[everendissim]mi d[omini] Alani c[ardina]lis Avinionensis. »
  35. Cf. U. Chevalier, Gallia christiana novissima, t. VII (1920), col. 510-530 et 824. — Au bas du fol. 456, une autre note en écriture du xiie siècle renferme en deux lignes les noms suivants : « Petrus clericus de Mirabea. Willelmus clericus de Vosaillia. Gauterea de Funfreide laicus. Johannes de Gelis laicus. » Il nous a été impossible d’identifier les localités dont ces personnages sont originaires et d’expliquer la signification de cette liste, qui n’a aucun rapport avec le texte qui la surmonte. On trouve dans plusieurs régions de la France des Mirebeau, Mirabeau, Miribel, des Fontfreyde, Fontfroide, etc. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est qu’il s’agit de localités françaises, ce qui laisse supposer que le manuscrit a été copié en France.
  36. E au lieu de ae, oe, sepulchrum, Thurci, erba (pour herba), sabati (pour sabbati), etc.
  37. Exactement depuis : « Cucurrerunt ad naves et miserunt se… » (chap. XXIII) jusqu’à « [vexillum non est Boa] mundi. Interrogavit ille… » (chap. XXIX).
  38. Ce renseignement important nous a été obligeamment communiqué par M. J. Porcher, qui nous a fait adresser la photographie du folio en question.
  39. C’est le manuscrit E des éditions des Historiens des croisades et d’Hagenmeyer.
  40. « Ex bibliotheca Pauli Petavii senatoris. » Paul Petau (1568-1614), antiquaire et numismate, était conseiller au Parlement de Paris, ce qui explique ce titre de « sénateur ».
  41. Son écriture a des rapports avec celle du Valère Maxime de la Bibliothèque nationale (Paris, lat. 9688), copié en 1167 à Provins, mais elle est plus anguleuse (L. Delisle, Cabinet des Manuscrits, pl. XXXVII, 5). Voy. aussi pl. XXXVIII-XXXIX).
  42. Historiens occidentaux, t. III, p. 146, 6 ; Hagenmeyer, Anonymi Gesta Francorum, préface. M. J. Porcher, qui nous a signalé ce fait, a bien voulu collationner pour nous cette partie du texte qui n’avait pas été utilisée par les précédents éditeurs.
  43. « Inclytus comes Rothertus (chap. XXXV), pissimus electusque miles Robertus vir nobilissimus Normanniae comes (chap. XXXVII). »
  44. G dans les Historiens des croisades et dans Hagenmeyer ; Jacques Bongars, Gesta Dei per Francos (Hanovre, 1612), t. I, p. 1-29 : Gesta Francorum et aliorum Hierosolymitanorum. — Jacques Bongars (1546-1612), né à Orléans, érudit et diplomate au service d’Henri IV auprès des princes allemands. Voir sur lui Anquez, Henri IV et l’Allemagne (Paris, 1887).
  45. « Igitur primum sine nomine scriptorem » (l’Anonyme) « debemus Paulo Petavio et Guill. Camdeno » (Introduction). Guillaume Camden (1551-1627), érudit et historien anglais, avait réuni une importante bibliothèque.
  46. Introduction, p. XVII : « Oliveri epistolam suppeditavit et P. Petavii insignis bibliotheca… »
  47. Dans un passage qui paraît corrompu dans tous les manuscrits et où le texte est assez difficile à établir,  et B ont une variante commune, inconnue aux autres manuscrits et dont le sens est inintelligible : « Illic fuit mortua maxima pars nostrorum equorum, eo quod multi eorum remanserunt pedites » (chap. X). Ici, Bongars a manifestement reproduit .
  48. Le manuscrit est écrit sur parchemin en deux colonnes et comprend 21 folios. Au titre, une main a écrit cette mention dédaigneuse : « Sutorii sive potius incerti Itinerarium Hierosolymorum. »
  49. Ce manuscrit (qui provient de la bibliothèque de William Moore, mort en 1659) contient divers ouvrages historiques, Jacques de Vitry, Marco Polo. Le texte de l’Anonyme, fol. 111-388, est précédé du titre : Tudebodus Itinerarium Jerosolimitanorum. Ce n’est là qu’une confusion, et qui date du xive siècle.
  50. Ce manuscrit est décrit dans le Fifth report of the Royal Commission on historical manuscripts (Londres, 1876), p. 404.
  51. Hagenmeyer les désigne respectivement par les lettres A, (notre ), C (notre ), H (notre ).
  52. Par exemple, ceux de Paris, Bibliothèque nationale, latin 205 (exécuté à l’abbaye de Saint-Victor pour Louis VII) et latin 5131 (XIIe siècle), ou de Londres, British Museum, Harley 4340 (XIIe siècle).
  53. Le manuscrit M de l’édition Hagenmeyer. Ce texte est aussi reproduit dans le Recueil des historiens des croisades (Historiens occidentaux, t. III, p. 305).
  54. Voir plus haut, p. XXVII-XXIX.
  55. Nous avons donné en notes les variantes de B, accompagnées de celles des plagiaires (Tudebode, etc.), qui coïncident avec elles.