Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil/11

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CHAPITRE XI


De la varieté des oyseaux de l’Amerique, tous differens des nostres : ensemble des grosses chauve-souris, abeilles, mousches, mouschillons, et autres vermines estranges de ce pays-là.


Je commenceray aussi ce chapitre des oiseaux (lesquels en general nos Toüoupinambaoults appellent Oura) par ceux qui sont bons à manger. Et premierement diray, qu’ils ont grande quantité de ces grosses poules que nous appellons d’Indes, lesquelles eux nomment Arignan-oussou : comme aussi depuis que les Portugais ont frequenté ce pays-là, ils leur ont donné l’engeance des petites poules communes, qu’ils nomment Arignan-miri, desquelles ils n’avoyent point auparavant. Toutesfois, comme j’ay dit quelque part, encor qu’ils facent cas des blanches pour avoir les plumes, à fin de les teindre en rouge et de s’en parer le corps, tant y a qu’ils ne mangent gueres ni des unes ni des autres. Et mesmes estimans entr’eux que les oeufs qu’ils nomment Arignan-ropia, soyent poisons : quand ils nous en voyoient humer, ils en estoyent non seulement bien esbahis, mais aussi, disoyent-ils, ne pouvans avoir la patience de les laisser couver, C’est trop grande gourmandise à vous, qu’en mangeant un oeuf, il faille que vous mangiez une poule. Partant ne tenant gueres plus de conte de leurs poules que d’oiseaux sauvages, les laissans pondre où bon leur semble, elles amenent le plus souvent leurs poussins des bois et buissons où elles ont couvé : tellement que les femmes sauvages n’ont pas tant de peine d’eslever les petits d’Indets avec des moyeufs d’oeufs qu’on a par-deçà. Et de faict, les poules multiplient de telle façon en ce pays-là, qu’il y a tels endroits et tels villages, des moins frequentez par les estrangers, où pour un cousteau de la valeur d’un carolus, on aura une poule d’Inde, et pour un de deux liards, ou pour cinq ou six haims à pescher, trois ou quatre des petites communes.

Or avec ces deux sortes de poulailles nos sauvages nourrissent domestiquement des cannes d’Indes, qu’ils appellent Upec : mais parce que nos pauvres Toüoupinambaoults ont ceste folle opinion enracinée en la cervelle, que s’ils mangeoyent de cest animal qui marche si pesamment, cela les empescheroit de courir quand ils seroyent chassez et poursuyvis de leurs ennemis, il sera bien habile qui leur en fera taster : s’abstenans, pour mesme cause, de toutes bestes qui vont lentement, et mesmes des poissons, comme les Rayes et autres qui ne nagent pas viste.

Quant aux oyseaux sauvages, il s’en prend par les bois de gros comme chappons, et de trois sortes, que les Bresiliens nomment Jacoutin, Jacoupen et Jacou-ouassou, lesquels ont tous le plumage noir et gris : mais quant à leur goust comme je croy que ce sont especes de faisans, aussi puis-je asseurer qu’il n’est pas possible de manger de meilleures viandes que ces Jacous.

Ils en ont encores de deux sortes d’excellens qu’ils appellent Mouton, lesquels sont aussi gros que Paons, et de mesme plumage que les susdits : toutesfois ceux-ci sont rares et s’en trouve peu.

Mocacoüa et Ynambou-ouassou sont deux especes de Perdrix, aussi grosses que nos oyes, et ont mesme goust que les precedens.

Comme aussi les trois suivans sont : assavoir Ynamboumiri, de mesme grandeur que nos perdrix : Pegassou de la grosseur d’un Ramier, et Paicacu comme une Tourterelle.

Ainsi pour abreger, laissant à parler du gibier qui se trouve en grande abondance, tant par les bois que sur les rivages de la mer, marets et fleuves d’eau douce, je viendray aux oyseaux lesquels ne sont pas si communs à manger en ceste terre du Bresil. Entre autres, il y en a deux de mesme grandeur, ou peu s’en faut, assavoir plus gros qu’un corbeau, lesquels ainsi presque que tous les oyseaux de l’Amerique, ont les pieds et becs crochus comme les Perroquets, au nombre desquels on les pourroit mettre. Mais quant au plumage (comme vous mesmes jugerez apres l’avoir entendu) ne croyans pas qu’en tout le monde universel il se puisse trouver oyseaux de plus esmerveillable beauté, aussi en les considerant y a-il bien de quoy, non pas magnifier nature comme font les prophanes, mais l’excellent et admirable Createur d’iceux.

Pour donc en faire la preuve, le premier que les sauvages appellent Arat, ayant les plumes des aisles et celles de la queüe, qu’il a longues de pied et demi, moitié aussi rouges que fine escarlate, et l’autre moitié (la tige au milieu de chasque plume separant tousjours les couleurs opposites des deux costez) de couleur celeste aussi estincelante que le plus fin escarlatin qui se puisse voir, et au surplus tout le reste du corps azuré : quand cest oyseau est au soleil, où il se tient ordinairement, il n’y a œil qui se puisse lasser de le regarder.

L’autre nommé Canidé, ayant tout le plumage sous le ventre et à l’entour du col aussi jaune que fin or : le dessus du dos, les aisles et la queuë, d’un bleu si naif qu’il n’est pas possible de plus, estant advis qu’il soit vestu d’une toile d’or par dessous, et emmantelé de damas violet figuré par dessus, on est ravi de telle beauté.

Les sauvages en leurs chansons, font communément mention de ce dernier, disans et repetans souvent en ceste façon : Canidé-iouve, canidé-iouve heuraouech : c’est à dire, un oyseau jaune, un oyseau jaune, etc., car ioune ou ioup veut dire jaune en leur langage. Et au surplus, combien que ces deux oyseaux ne soyent pas domestiques, estans neantmoins plus coustumierement sur les grands arbres au milieu des villages que parmi les bois, nos Toüoupinambaoults les plumans soigneusement trois ou quatre fois l’année, font (comme j’ay dit ailleurs) fort proprement des robbes, bonnets, bracelets, garnitures d’espées de bois et autres choses de ces belles plumes, dont ils se parent le corps. J’avois apporté en France beaucoup de tels pennaches : et sur tout de ces grandes queuës que j’ay dit estre si bien naturellement diversifiées de rouge et de couleur celeste : mais à mon retour passant à Paris, un quidam de chez le Roy, auquel je les monstray, ne cessa jamais que par importunité il ne les eust de moy.

Quant aux Perroquets il s’en trouve de trois ou quatre sortes en ceste terre du Bresil : mais quant aux plus gros et plus beaux, que les sauvages appellent Ajourous, lesquels ont la teste riolée de jaune, rouge et violet, le bout des aisles incarnat, la queuë longue et jaune, et tout le reste du corps vert, il ne s’en repasse pas beaucoup pardeçà : et toutesfois outre la beauté du plumage, quand ils sont apprins, ce sont ceux qui parlent le mieux, et par consequent où il y auroit plus de plaisir. Et de faict, un truchement me fit present d’un de ceste sorte, qu’il avoit gardé trois ans, lequel proferoit si bien tant le sauvage que le François, qu’en ne le voyant pas, vous n’eussiez sceu discerner sa voix de celle d’un homme.

Mais c’estoit bien encor plus grand merveille d’un Perroquet de ceste espece, lequel une femme sauvage avoit apprins en un village à deux lieues de nostre isle : car comme si cest oiseau eust eu entendement pour comprendre et distinguer ce que celle qui l’avoit nourri luy disoit : quand nous passions par là, elle nous disoit en son langage, me voulez-vous donner un peigne ou un miroir, et je feray tout maintenant en vostre presence chanter et danser mon perroquet ? si là dessus, pour en avoir le passetemps, nous luy baillions ce qu’elle demandoit, incontinent qu’elle avoit parlé à cest oyseau, non seulement il se prenoit à sauteler sur la perche où il estoit, mais aussi à causer, siffler et à contrefaire les sauvages quand ils vont en guerre, d’une façon incroyable : bref, quand bon sembloit à sa maistresse de luy dire, chante, il chantoit, et danse, il dansoit. Que si au contraire il ne luy plaisoit pas, et qu’on ne luy eust rien voulu donner, si tost qu’elle avoit dit un peu rudement à cest oyseau, augé, c’est à dire cesse, se tenant tout coy sans sonner mot, quelque chose que nous luy eussions peu dire, il n’estoit pas lors en nostre puissance de luy faire remuer pieds ni langue. Partant pensez que si les anciens Romains, lesquels, comme dit Pline, furent si sages que de faire non seulement des funerailles somptueuses au Corbeau qui les saluoit nom par nom dans leur Palais, mais aussi firent perdre la vie à celuy qui l’avoit tué, eussent eu un Perroquet si bien appris, comment ils en eussent fait cas. Aussi ceste femme sauvage l’appellant son Cherimbané, c’est à dire, chose que j’aime bien, le tenoit si cher que quand nous le luy demandions à vendre, et que c’est qu’elle en vouloit, elle respondoit par moquerie, Moca-ouassou, c’est à dire, une artillerie : tellement que nous ne le sceusmes jamais avoir d’elle.

La seconde espece de Perroquets appelez Marganaz par les sauvages, qui sont de ceux qu’on apporte et qu’on voit plus communément en France, n’est pas en grande estime entre eux : et de faict les ayans par-delà en aussi grande abondance que nous avons ici les Pigeons, quoy que la chair en soit un peu dure, neantmoins parce qu’elle a le goust de la Perdrix, nous en mangions souvent, et tant qu’il nous plaisoit.

La troisieme sorte de Perroquets, nommez Toüs par les sauvages, et par les mariniers de Normandie moissons, ne sont pas plus gros qu’estourneaux : mais quant au plumage, excepté la queuë qu’ils ont fort longue et entremeslée de jaune, ils ont le corps aussi entierement vert que porrée.

Au reste, avant que finir ce propos des Perroquets, me ressouvenant de ce que quelqu’un dit en sa Cosmographie, qu’afin que les serpens ne mangent leurs oeufs ils font leurs nids pendus à une branche d’arbre, je diray en passant, qu’ayant veu le contraire en ceux de la terre du Bresil, qui les font tous en des creux d’arbres, en rond et assez durs, j’estime que ç’a esté une faribole et conte fait à plaisir à l’auteur de ce livre.

Les autres oyseaux du pays de nos Ameriquains sont, en premier lieu, celuy qu’ils appellent Toucan, (dont à autre propos j’ay fait mention ci-dessus) lequel est de la grosseur d’un ramier, et a tout le plumage, excepté le poictral, aussi noir qu’une corneille. Mais ce poictral (comme j’ay aussi dit ailleurs) estant l’environ quatre doigts de longueur et trois de largeur, plus jaune que saffran, et bordé de rouge par le bas : escorché qu’il est par les sauvages, outre qu’il leur sert, tant pour s’en couvrir et parer les jouës qu’autres parties du corps, encores parce qu’ils en portent ordinairement quand ils dansent, et pour ceste cause le nomment Toucan-tabouracé, c’est à dire plume pour danser, ils en font plus d’estime. Toutesfois, en ayans grande quantité, ils ne font point de difficulté d’en bailler et changer à la marchandise que les François et Portugais, qui traffiquent par delà leur portent.

Outre plus, cest oyseau Toucan, ayant le bec plus long que tout le corps, et gros en proportion, sans luy parangonner ni opposer celuy de grue, qui n’est rien en comparaison, il le faut tenir non seulement pour le bec des becs, mais aussi pour le plus prodigieux et monstrueux qui se puisse trouver entre tous les oyseaux de l’univers. Tellement que ce n’est point sans raison que Belon en ayant recouvré un, l’a par singularité fait pourtraire à la fin de son troisiesme livre des oyseaux : car combien qu’il ne le nomme point, si est-ce sans doute que ce qui est là representé, se doit entendre du bec de nostre Toucan.

Il y en a un d’autre espece en ceste terre du Bresil, lequel est de la grosseur d’un merle, et ainsi noir, fors la poictrine qu’il a rouge comme sang de boeuf : laquelle les sauvages escorchent comme le precedent, et appellent cest oyseau Panon.

Un autre de la grosseur d’une Grive qu’ils nomment Quiampian, lequel sans rien excepter a le plumage aussi entierement rouge que escarlate.

Mais pour une singuliere merveille, et chef-d’oeuvre de petitesse, il n’en faut pas omettre un que les sauvages nomment Gonambuch, de plumage blanchastre et luisant, lequel combien qu’il n’ait pas le corps plus gros qu’un frelon, ou qu’un cerf-volant, triomphe neantmoins de chanter : tellement que ce trespetit oyselet, ne bougeant gueres de dessus ce gros mil, que nos Ameriquains appellent Avati, ou sur autres grandes herbes, ayant le bec et le gosier tousjours ouvert, si on ne l’oyoit et voyoit par experience, on ne croiroit jamais que d’un si petit corps il peust sortir un chant si franc et si haut, voire diray si clair et si net qu’il ne doit rien au Rossignol.

Au surplus parce que je ne pourrois pas specifier par le menu tous les oyseaux qu’on voit en ceste terre du Bresil, lesquels non seulement different en especes à ceux de nostre Europe, mais aussi sont d’autres varietez de couleurs, comme rouge, incarnat, violet, blanc, cendré, diapré de pourpre et autres : pour la fin j’en descriray un que les sauvages (pour la cause que je diray) ont en telle recommandation que non seulement ils seroyent bien marris de luy mal faire, mais aussi s’ils sçavoyent que quelqu’un en eust tué de ceste espece, je croy qu’ils l’en feroyent repentir.

Cest oyseau n’est pas plus gros qu’un Pigeon, et de plumage gris cendré : mais au reste le mystere que je veux toucher est, qu’ayant la voix penetrante et encores plus piteuse que celle du chat-huant : nos pauvres Toüoupinambaoults l’entendant aussi crier plus souvent de nuict que de jour, ont ceste resverie imprimée en leur cerveau, que leurs parens et amis trespassez en signe de bonne adventure, et surtout pour les accourager à se porter vaillamment en guerre contre leurs ennemis, leur envoyent ces oyseaux : ils croyent fermement s’ils observent ce qui leur est signifié par ces augures que non seulement ils veincront leurs ennemis en ce monde, mais qui plus est, quand ils seront morts, que leurs ames ne faudront point d’aller trouver leurs predecesseurs derriere les montagnes pour danser avec eux.

Je couchay une fois en un village, appelé Upec par les François, où sur le soir oyant chanter ainsi piteusement ces oyseaux, et voyant ces pauvres sauvages si attentifs à les escouter, et sachant aussi la raison pourquoy, je leur voulu remonstrer leur folie : mais ainsi qu’en parlant à eux, je me prins un peu à rire contre un François qui estoit avec moy, il y eut un vieillard qui assez rudement me dit : Tais-toy, et ne nous empesche point d’ouir les bonnes nouvelles que nos grans peres nous annoncent à present : car quand nous entendons ces oyseaux, nous sommes tous resjouis, et recevons nouvelle force. Partant sans rien repliquer (car c’eust esté peine perdue) me ressouvenant de ceux qui tiennent et enseignent que les ames des trespassez retournans de Purgatoire les viennent aussi advertir de leur devoir, je pensay que ce que font nos pauvres aveugles Ameriquains, est encor plus supportable en cest endroit : car comme je diray parlant de leur religion, combien qu’ils confessent l’immortalité des ames, tant y a neantmoins qu’ils n’en sont pas là logez, de croire qu’apres qu’elles sont separées des corps elles reviennent, ains seulement disent que ces oyseaux sont leurs messagers. Voilà ce que j’avois à dire touchant les oyseaux de l’Amerique.

Il y a toutesfois encores des chauves souris en ce pays là, presques aussi grandes que nos Choucas, lesquelles entrans ordinairement la nuict dans les maisons, si elles trouvent quelqu’un qui dorme les pieds descouverts, s’addressant tousjours principalement au gros orteil, elles ne faudront point d’en succer le sang : voire en tireront quelquesfois plus d’un pot sans qu’on en sente rien.

Tellement que quand on est resveillé le matin, on est tout esbahi de voir le lict de cotton et la place aupres toute sanglante : dequoy cependant les sauvages s’appercevans, soit que cela advienne à un de leur nation ou à un estranger, ils ne s’en font que rire. Et de fait, moy-mesme ayant esté quelquefois ainsi surprins, outre la mocquerie que j’en recevois, encore y avoit-il, que ceste extremité tendre au bout du gros orteil estant offensée (combien que la douleur ne fust pas grande), je ne pouvois de deux ou trois jours me chausser qu’à peine. Ceux de Cumana, coste de terre environ dix degrez au deçà de l’Equinoctial, sont pareillement molestez de ces grandes et meschantes chauvesouris : auquel propos celuy qui a escrit l’Histoire generale des Indes fait un plaisant conte. Il y avoit, ditil, à S. Foy de Ciribici un serviteur de moine qui avoit la pleuresie, duquel n’ayant peu trouver la veine pour le seigner, estant laissé pour mort, il vint de nuict une chauvesouris, laquelle le mordit pres du talon qu’elle trouva descouvert, d’où elle tira tant de sang que non seulement elle s’en saoula, mais aussi laissant la veine ouverte, il en saillit autant de sang qu’il estoit besoin pour remettre le patient en santé. Surquoy j’adjouste, avec l’historien, que ce fust un plaisant et gracieux Chirurgien pour le pauvre malade. Tellement que nonobstant la nuisance que j’ay dit qu’on reçoit de ces grandes chauvesouris de l’Amerique, si est-ce que ce dernier exemple monstre, qu’il s’en faut beaucoup qu’elles soyent si dangereuses qu’estoyent ces oyseaux malencontreux, nommez par les Grecs Striges, lesquels, comme dit Ovide. Fastes, liv. 6., sucçoyent le sang des enfans au berceau : à cause dequoy ce nom a esté depuis donné aux sorciers.

Quant aux abeilles de l’Amerique, n’estans pas semblables à celles de par deçà, ains ressemblans mieux aux petites mousches noires que nous avons en esté, principalement au temps des raisins, elles font leur miel et leur cire par les bois dans des creux d’arbres, esquels les sauvages sçavent bien amasser l’un et l’autre. De façon que meslez encores ensemble, appelans cela Yra-yetic, car Yra est le miel et Yetic la cire, apres qu’ils les ont separez, ils mangent le miel, comme nous faisons par deçà : et quant à la cire, laquelle est presque aussi noire que poix, ils la serrent en rouleaux gros comme le bras. Non pas toutesfois qu’ils en facent ny torches, ny chandelles : car n’usans point la nuict d’autre lumiere que de certains bois qui rend la flamme fort claire, ils se servent principalement de ceste cire à estouper les grosses cannes de bois où ils tiennent leurs plumasseries, à fin de les conserver contre une certaine espece de papillons, lesquels autrement les gasteroyent.

Et à fin aussi que, tout d’un fil, je descrive ces bestioles, lesquelles sont appelées par les sauvages Aravers, n’estans pas plus grosses que nos grillets, mesmes sortans ainsi la nuict par troupes aupres du feu, si elles trouvent quelque chose, elles ne faudront point de le ronger. Mais principalement outre ce qu’elles se jettoyent de telle façon sur les collets et souliers de marroquins, que mangeans tout le dessus, ceux qui en avoyent, les trouvoyent le matin à leur lever tous blancs et effleurez : encores y avoit-il cela, que si le soir nous laissions quelques poules ou autres volailles cuites et mal serrées, ces Aravers les rongeans jusques aux os, nous nous pouvions bien attendre de trouver le lendemain des anatomies.

Les sauvages sont aussi persecutez en leurs personnes d’une autre petite verminette qu’ils nomment Tou : laquelle se trouvant parmi la terre, n’est pas du commencement si grosse qu’une petite puce : mais neantmoins se fichant, nommément sous les ongles des pieds et des mains, où tout soudain, ainsi qu’un ciron, elle y engendre une demanjaison, si on n’est bien soigneux de la tirer, se fourrant tousjours plus avant, elle deviendra dans peu de temps aussi grosse qu’un petit poix, tellement qu’on ne la pourra arracher qu’avec grand douleur. Et ne le sentent pas seulement les sauvages qui vont tous nuds et tous deschaux, attaints et molestez de cela, mais aussi nous autres François, quelque bien vestus et chaussez que nous fussions, avions tant d’affaire de nous garder, que pour ma part (quelque soigneux que je fusse d’y regarder souvent) on m’en a tiré de divers endroits, plus de vingt pour un jour. Bref j’ay veu personnages paresseux d’y prendre garde, estre tellement endommagez de ces tignes-puces, que non seulement ils en avoyent les mains, pieds, et orteils gastez, mais mesmes sous les aisselles et autres parties tendres, ils estoyent tous couverts de petites bossettes comme verrues provenantes de cela. Aussi croy-je pour certain que c’est ceste petite bestiolle que l’historien des Indes Occidentales appele Nigua : laquelle semblablement, comme il dit, se trouve en l’Isle Espagnolle. Car voici ce qu’il en a escrit : La Nigua est comme une petite puce qui saute : elle ayme fort la poudre : elle ne mord point sinon és pieds où elle se fourre entre la peau et la chair, et aussi tost elle jette des lentilles en plus grande quantité qu’on n’estimeroit, attendu sa petitesse : lesquelles en engendrent d’autres, et si on les y laisse sans y mettre ordre, elles multiplient tant qu’on ne les peut chasser, ny remedier qu’avec le feu ou le fer : mais si on les oste de bonne heure, elles font peu de mal. Aucuns Espagnols (adjouste-il) en ont perdu les doigts des pieds, autres les pieds entiers.

Or pour y remedier, nos Ameriquains se frottent tant les bouts des orteils qu’autres parties où elles se veulent nicher, d’une huile rougeastre et espesse, faite d’un fruict qu’ils nomment Couroq, lequel est presque comme une chastaigne en l’escorce : ce qu’aussi nous faisions estans par delà. Et diray plus, que cest unguent est si souverain pour guerir les playes, cassures et autres douleurs qui surviennent au corps humain, que nos sauvages cognoissans sa vertu, le tiennent aussi precieux que font aucuns par deçà, ce qu’ils appellent la saincte huile. Aussi le barbier du navire, où nous repassasmes en France, l’ayant experimentée en plusieurs sortes en apporta 10. ou 12. grans pots pleins : et autant de graisse humaine qu’il avoit recueillie quand les sauvages cuisoyent et rostissoyent leurs prisonniers de guerre, à la façon que je diray en son lieu.

Davantage l’air de ceste terre du Bresil produit encores une sorte de petits mouchillons, que les habitans d’icelle nomment Yetin, lesquels piquent si vivement, voire à travers de legers habillemens, qu’on diroit que ce sont pointes d’esguilles. Partant vous pouvez penser quel passetemps c’est de voir nos sauvages tous nuds en estre poursuivis : car claquans des mains sur leurs fesses, cuisses, espaules, bras, et sur tout leur corps, vous diriez lors que ce sont chartiers singlans les chevaux avec leurs fouets.

J’adjousteray encores, qu’en remuant la terre et dessous les pierres, en nostre contrée du Bresil, on trouve des scorpions lesquels, combien qu’ils soyent beaucoup plus petits que ceux qu’on voit en Provence, neantmoins pour cela ne laissent pas, comme je l’ay experimenté, d’avoir leurs pointures venimeuses et mortelles. Comme ainsi soit doncques que cest animal cerche les choses nettes, advint qu’apres que j’eu un jour fait blanchir mon lict de cotton, l’ayant rependu en l’air, à la façon des sauvages, il y eut un scorpion qui s’estant caché dans le repli : ainsi que je me voulu coucher, et sans que je le visse, me picqua au grand doigt de la main gauche, laquelle fut si soudainement enflée, que si en diligence je n’eusse eu recours à l’un de nos Apothicaires (lequel en tenant de morts dans une phiole, avec de l’huile, m’en appliqua un sur le doigt), il n’y a point de doute que le venin ne se fust incontinent espanché par tout le corps. Et de fait, nonobstant ce remede, lequel neantmoins on estime le plus souverain à ce mal, la contagion fut si grande, que je demeuray l’espace de vingt-quatre heures en telle destresse, que de la vehemence de la douleur je ne me pouvois contenir. Les sauvages aussi estans piquez de ces scorpions, s’ils les peuvent prendre, usent de la mesme recepte, assavoir de les tuer et escacher soudain sur la partie offensée. Et au surplus, comme j’ay dit quelque part, qu’ils sont fort vindicatifs, voire forcenez contre toutes choses qui leur nuisent, mesmes s’ils s’aheurtent du pied contre une pierre, ainsi que chiens enragez ils la mordront à belles dents : aussi recerchans à toutes restes les bestes qui les endommagent, ils en despeuplent leur pays tant qu’ils peuvent. Finalement il y a des Cancres terrestres, appellés Oussa par les Toüoupinambaoults, lesquels se tenans en troupes comme grosses sauterelles sur les rivages de la mer et autres lieux un peu marescageux, si tost qu’on arrive en ces endroits-là, vous les voyez fuir de costé, et se sauver de vistesse dans les trous qu’ils font és palis et racines d’arbres, d’où malaisément on le peut tirer sans avoir les doigts bien pincez de leurs grans pieds tortus, encores qu’on puisse aller à sec jusques sur les pertuis qu’on voit tout à descouvert par dessus. Au reste ils sont beaucoup plus maigres que les cancres marins : mesmes outre qu’ils n’ont gueres de chair, encores parce qu’ils sentent comme vous diriez les racines de genevre, ils ne sont gueres bons à manger.

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