Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil/13

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CHAPITRE XIII


Des arbres, herbes, racines, et fruicts exquis que produit la terre du Bresil.


Ayant discouru ci-dessus tant des animaux à quatre pieds que des oyseaux, poissons, reptiles et choses ayans vie, mouvement et sentiment, qui se voyent en l’Amerique : avant encores que parler de la religion, guerre, police et autres manieres de faire qui restent à dire de nos sauvages, je poursuivray à descrire les arbres, herbes, plantes, fruicts, racines, et en somme ce qu’on dit communément avoir ame vegetative, qui se trouvent aussi en ce pays-là.

Premierement, parce qu’entre les arbres plus celebres, et maintenant cogneus entre nous, le bois de Bresil (duquel aussi ceste terre a prins son nom à nostre esgard) à cause de la teinture qu’on en fait, est des plus estimez, j’en feray ici la description. Cest arbre donc, que les sauvages appellent Araboutan, croist ordinairement aussi haut et branchu que les chesnes és forests de ce pays, et s’en trouve de si gros que trois hommes ne sçauroyent embrasser un seul pied. Et à ce propos des gros arbres, celuy qui a escrit l’Histoire generale des Indes Occidentales dit, qu’on en a veu deux en ces contrées-là, dont le tronc de l’un avoit plus de huict brassées de tour, et celuy de l’autre plus de seize : tellement, dit-il, que comme sur le premier, qui estoit aussi haut qu’on n’eust sceu jetter une pierre à plein bras par dessus, un Cacique, pour sa seureté avoit basti sa logette (dequoy les Espagnols qui le virent là niché comme une cigongne, s’en prindrent bien fort à rire) aussi faisoyent-ils recit du dernier, comme de chose merveilleuse. Racontant encor le mesme auteur, qu’il y a au pays de Nicaragua, un arbre qu’on appelle Cerba, lequel grossit si fort que quinze hommes ne le sçauroyent embrasser. Pour retourner à nostre Bresil, il a la fueille comme celle du buis, toutesfois de couleur tirant plus sur le vert gays, et ne porte cest arbre aucun fruict.

Mais touchant la maniere d’en charger les navires, de quoy je veux faire mention en ce lieu, notez que tant à cause de la dureté, et par consequent de la difficulté qu’il y a de couper ce bois, que parce que n’y ayant chevaux, asnes, ni autres bestes pour porter, charrier ou traisner les fardeaux en ce pays-là, il faut necessairement que ce soyent les hommes qui facent ce mestier : et n’estoit que les estrangers qui voyagent par-delà sont aidez des sauvages, ils ne sçauroyent charger un moyen navire en un an.

Les sauvages doncques, moyennant quelques robbes de frize, chemises de toile, chapeaux, cousteaux et autres marchandises qu’on leur baille, non seulement avec les coignées, coings de fer, et autres ferremens que les François et autres de par-deçà leur donnent, coupent, scient, fendent, mettent par quartiers et arrondissent ce bois de Bresil, mais aussi le portent sur leurs espaules toutes nues, voire le plus souvent d’une ou deux lieues loin, par des montagnes et lieux assez fascheux, jusques sur le bord de la mer pres des vaisseaux qui sont à l’anchre, où les mariniers le reçoyvent. Je di expressément que les sauvages, depuis que les François et Portugais frequentent en leur pays, coupent leur bois de Bresil : car auparavant ainsi que j’ay entendu des vieillards, ils n’avoyent presque aucune industrie d’abbatre un arbre, sinon mettre le feu au pied. Et d’autant aussi qu’il y a des personnages par-deçà qui pensent que les busches rondes qu’on void chez les marchans soyent la grosseur des arbres, pour monstrer, di-je, que tels s’abusent, outre que j’ay jà dit qu’il s’en trouve de fort gros, j’ay encor adjousté que les sauvages, à fin qu’il leur soit plus aisé à porter et à manier dans les navires, l’arrondissent et accoustrent de ceste façon.

Au surplus, parce que durant le temps que nous avons esté en ce pays-là, nous avons fait de beaux feux de ce bois de Bresil, j’ay observé que n’estant point humide (comme la pluspart des autres bois) ains comme naturellement sec, aussi en bruslant ne jette-il que bien peu et presque point du tout de fumée.

Je diray davantage, qu’ainsi qu’un de nostre compagnie se voulut un jour mesler de blanchir nos chemises, ayant (sans se douter de rien) mis des cendres de Bresil dans sa lescive : au lieu de les faire blanches, il les fit si rouges que quoy que on les sceust laver et savonner apres, il n’y eut ordre de leur faire perdre ceste teinture, tellement qu’il nous les fallut vestir et user de ceste façon. Que si ceux qui envoyent expres en Flandres faire blanchir leurs chemises, ou autres de ces tant bien godronnez de par-deçà, ne m’en veulent croire, il leur est non seulement permis d’en faire l’experience, mais aussi pour avoir plustost fait, et pour tant mieux lustrer leurs grandes fraises (ou pour mieux dire bavieres de plus de demi pied de large comme ils les portent maintenant) ils les peuvent faire teindre en vert s’il leur plaist.

Au reste, parce que nos Toüoupinambaoults sont fort esbahis de voir les François et autres des pays lointains prendre tant de peine d’aller querir leur Arabotan, c’est à dire, bois de Bresil, il y eut une fois un vieillard d’entre eux, qui sur cela me fit telle demande : Que veut dire que vous autres Mairs et Peros, c’est à dire François et Portugais, veniez de si loin querir du bois pour vous chauffer ? n’en y a-il point en vostre pays ? A quoy luy ayant respondu qu’ouy, et en grande quantité, mais non pas de telles sortes que les leurs, ni mesme du bois de Bresil, lequel nous ne bruslions pas comme il pensoit, ains (comme eux-mesmes en usoyent pour rougir leurs cordons de cotton, plumages et autres choses) que les nostres l’emmenoyent pour faire de la teinture, il me repliqua soudain : Voire, mais vous en faut-il tant ? Ouy, lui di-je, car (en luy faisant trouver bon) y ayant tel marchand en nostre pays qui a plus de frises et de draps rouges, voire mesme (m’accommodant tousjours à luy parler des choses qui luy estoyent cognues) de cousteaux, ciseaux, miroirs et autres marchandises que vous n’en avez jamais veu par deça, un tel seul achetera tout le bois de Bresil dont plusieurs navires s’en retournent chargez de ton pays. Ha, ha, dit mon sauvage, tu me contes merveilles. Puis ayant bien retenu ce que je luy venois de dire, m’interrogant plus outre dit, Mais cest homme tant riche dont tu me parles, ne meurt-il point ? Si fait, si fait, luy di-je, aussi bien que les autres. Sur quoy, comme ils sont aussi grands discoureurs, et poursuyvent fort bien un propos jusques au bout, il me demanda derechef, Et quand doncques il est mort, à qui est tout le bien qu’il laisse ? A ses enfans, s’il en a, et à defaut d’iceux à ses freres, seurs, ou plus prochains parens. Vrayement, dit lors mon vieillard (lequel comme vous jugerez n’estoit nullement lourdaut) à ceste heure cognois-je, que vous autres Mairs, c’est à dire François, estes de grands fols : car vous faut-il tant travailler à passer la mer, sur laquelle (comme vous nous dites estans arrivez par-deçà) vous endurez tant de maux, pour amasser des richesses ou à vos enfans ou à ceux qui survivent apres vous ? la terre qui vous a nourris n’estelle pas aussi suffisante pour les nourrir ? Nous avons (adjousta-il) des parens et des enfans, lesquels, comme tu vois, nous aimons et cherissons : mais parce que nous nous asseurons qu’apres nostre mort la terre qui nous a nourri les nourrira, sans nous en soucier plus avant nous nous reposons sur cela. Voilà sommairement et au vray le discours que j’ay ouy de la propre bouche d’un pauvre sauvage Ameriquain. Partant outre que ceste nation, que nous estimons tant barbare, se moque de bonne grace de ceux qui au danger de leur vie passent la mer pour aller querir du bois de Bresil à fin de s’enrichir, encor y a-il que quelque aveugle qu’elle soit, attribuant plus à nature et à la fertilité de la terre que nous ne faisons à la puissance et providence de Dieu, elle se levera en jugement contre les rapineurs, portans le titre de Chrestiens, desquels la terre de par-deçà est aussi remplie, que leur pays en est vuide, quant à ses naturels habitans. Parquoy suyvant ce que j’ay dit ailleurs, que les Toüoupinambaoults haïssent mortellement les avaricieux, pleust à Dieu qu’à fin que ils servissent desjà de demons et de furies pour tourmenter nos gouffres insatiables, qui n’ayans jamais assez ne font ici que succer le sang et la moelle des autres, ils fussent tous confinez parmi eux. Il falloit qu’à nostre grande honte, et pour justifier nos sauvages du peu de soin qu’ils ont des choses de ce monde, je fisse ceste digression en leur faveur. A quoy, à mon advis, bien à propos, je pourray encor adjouster ce que l’historien des Indes Occidentales a escrit d’une certaine nation de sauvages habitans au Peru : lesquels, comme il dit, quand du commencement que les Espagnols rodoyent en ce pays-là : tant à cause qu’ils les voyoient barbus, que parce qu’estans si bragards et mignons ils craignoyent qu’ils ne les corrompissent et changeassent leurs anciennes coustumes, ne les voulans recevoir, ils les appelloyent : Escume de la mer, gens sans peres, hommes sans repos, qui ne se peuvent arrester en aucun lieu pour cultiver la terre, à fin d’avoir à manger.

Poursuyvant doncques à parler des arbres de ceste terre d’Amerique, il s’y trouve de quatre ou cinq sortes de Palmiers, dont entre les plus communs, sont un nommé par les sauvages Geraü, un autre Yri : mais comme ni aux uns ni aux autres je n’ay jamais veu de dattes, aussi croy-je qu’ils n’en produisent point. Bien est vray que l’Yri porte un fruict rond comme prunelles serrées et arrengées ensemble, ainsi que vous diriez un bien gros raisin : tellement qu’il y a en un seul touffeau tant qu’un homme peut lever et emporter d’une main : mais encor n’y a-il que le noyau, non plus gros que celuy d’une cerise, qui en soit bon. Davantage il y a un tendron blanc entre les fueilles à la cime des jeunes Palmiers, lequel nous coupions pour manger : et disoit le sieur du Pont, qui estoit sujet aux hemorroides, que cela y servoit de remede : dequoy je me rapporte aux medecins.

Un autre arbre que les sauvages appellent Airy, lequel bien qu’il ait les fueilles comme celles de palmier, la tige garnie tout à l’entour d’espines, aussi desliées et picquantes qu’esguilles, et qu’il porte un fruict de moyenne grosseur, dans lequel se trouve un noyau blanc comme neige, qui neantmoins n’est pas bon à manger, est à mon advis une espece d’hebene : car outre ce qu’il est noir, et que les sauvages, à cause de sa dureté en font des espées et massues de bois, avec une partie de leurs flesches (lesquelles je descriray quand je parleray de leurs guerres) estant aussi fort poli et luisant quand il est mis en besongne, encor est-il si pesant que si on le met en l’eau il ira au fond.

Au reste, et avant que passer plus outre, il se trouve de beaucoup de sortes de bois de couleur en ceste terre d’Amerique dont je ne sçay pas tous les noms des arbres. Entre lesquels, j’en ay veu d’aussi jaunes que buis : d’autres naturellement violets, dont j’avois apporté quelques reigles en France : de blancs comme papier : d’autres sortes si rouges qu’est le Bresil, dequoy les sauvages font aussi des espées de bois et des arcs. Plus un qu’ils nomment Copa-u, lequel, outre que l’arbre sur le pied ressemble aucunement au noyer, sans porter noix toutesfois : encores les ais, comme j’ay veu, estans mis en besongne en meuble de bois, ont la mesme veine.

Semblablement il s’en trouve aucuns qui ont les fueilles plus espesses qu’un teston : d’autres les ayans larges de pied et demi, et de plusieurs autres especes, qui seroyent longues à reciter par le menu.

Mais sur tout je diray qu’il y a un arbre en ce pays-là, lequel avec la beauté sent si merveilleusement bon, que quand les menuisiers le chapotoyent ou rabotoyent, si nous en prenions des coupeaux ou des buschilles en la main, nous avions la vraye senteur d’une franche rose. D’autre au contraire, que les sauvages nomment Aouai, qui put et sent si fort les aulx, que quand on le coupe ou qu’on en met au feu, on ne peut durer aupres : et a ce dernier quasi les fueilles comme celles de nos pommiers. Mais au reste son fruict (lequel ressemble aucunement une chastaigne d’eau) et encore plus, le noyau qui est dedans, est si venimeux que qui en mangeroit il sentiroit soudain l’effect d’un vray poison. Toutesfois parce que c’est celuy, duquel j’ay dit ailleurs que nos Ameriquains font les sonnettes qu’ils mettent à l’entour de leurs jambes, à cause de cela ils l’ont en grande estime. Et faut noter en cest endroit, qu’encores que ceste terre du Bresil (comme nous verrons en ce chapitre) produise beaucoup de bons et excellens fruicts, qu’il s’y trouve neantmoins plusieurs arbres qui ont les leurs beaux à merveilles, et cependant ne sont pas bons à manger. Et nommément sur le rivage de la mer il y a force arbrisseaux qui portent les leurs presques ressemblans à nos neffles, mais tres-dangereux à manger. Aussi les sauvages voyans les François et autres estrangers approcher de ces arbres pour cueillir le fruict, leur disant en leur langage Ypahi, c’est à dire, il n’est pas bon, les advertissent de s’en donner garde.

Hivouraé, ayant l’escorce de demi doigt d’espais, et assez plaisant à manger, principalement quand elle vient fraischement de dessus l’arbre, est (ainsi que je l’ay ouy affermer à deux apoticaires, qui avoyent passé la mer avec nous) une espece de Gaiat. Et de faict, les sauvages en usent contre une maladie qu’ils nomment Pians, laquelle, comme je diray ailleurs, est aussi dangereuse entre eux qu’est la grosse verole par-deçà.

L’arbre que les sauvages appellent Choyne, est de moyenne grandeur, a les fueilles presque de la façon, et ainsi vertes que celles du laurier : et porte un fruict aussi gros que la teste d’un enfant, lequel est de forme comme un oeuf d’austruche, et toutesfois n’est pas bon à manger. Mais parce que ce fruict a l’escorce dure, nos Toüoupinambaoults en reservant de tous entiers qu’ils percent en long et à travers, ils en font l’instrument nommé Maraca (duquel j’ay jà fait et feray encor mention) comme aussi tant pour faire les tasses où ils boivent qu’autres petits vaisseaux, desquels ils se servent à autre usage, ils en creusent et fendent par le milieu.

Continuant à parler des arbres de la terre du Bresil, il y en a un que les sauvages nomment Sabaucaïe, portant son fruict plus gros que les deux poings, et fait de la façon d’un gobelet, dans lequel il y a certains petits noyaux comme amandes, et presques de mesme goust. Mais au reste, la coquille de ce fruict estant fort propre à faire vases, j’estime que ce soit ce que nous appellons noix d’Indes : lesquelles quand elles sont tournées et appropriées de telle façon qu’on veut, on fait coustumierement enchasser en argent par-deçà. Aussi nous estans par delà, un nommé Pierre Bourdon, excellent tourneur, ayant fait plusieurs beaux vases et autres vaisseaux, tant de ces fruicts de Sabaucaïé que d’autres bois de couleur, il fit present d’une partie d’iceux à Villegagnon, lequel les prisoit grandement : toutesfois le pauvre homme en fut si mal recompensé par luy que (comme je diray en son lieu) ce fut l’un de ceux qu’il fit noyer et suffoquer en mer à cause de l’Evangile.

Il y a au surplus, en ce pays-là, un arbre qui croist haut eslevé, comme les cormiers par-deçà, et porte un fruict nommé Acajou par les sauvages, lequel est de la grosseur et figure d’un oeuf de poule. Mais au reste quand ce fruict est venu à maturité, estant plus jaune qu’un coing, il est non seulement bon à manger, mais aussi ayant un jus un peu aigret, et neantmoins agreable à la bouche : quand on a chaut ceste liqueur refraischit si plaisamment qu’il n’est possible de plus : toutesfois estant assez mal aisé à abbattre de dessus ces grands arbres, nous n’en pouvions gueres avoir autrement, sinon que les Guenons montans dessus pour en manger, nous les faisoyent tomber en grande quantité.

Pacoaire est un arbrisseau croissant communément de dix ou douze pieds de haut : mais quant à sa tige combien qu’il s’en trouve qui l’ont presque aussi grosse que la cuisse d’un homme, tant y a qu’elle est si tendre qu’avec une espée bien trenchante vous en abbatrez et mettrez un par terre d’un seul coup.

Quant à son fruict que les sauvages nomment Paco, il est long de plus de demi-pied, et de forme assez ressemblant à un concombre, et ainsi jaune quand il est meur : toutesfois croissans tousjours vingt ou vingt-cinq serrez tous ensemble en une seule branche, nos Ameriquains les cueillanc par gros floquets tant qu’ils peuvent soustenir d’une main, les emportent en ceste sorte en leurs maisons.

Touchant la bonté de ce fruict, quand il est venu à sa juste maturité, et que la peau laquelle se leve comme celle d’une figue fraische, en est ostée, un peu semblablement grumeleux qu’il est, vous diriez aussi en le mangeant que c’est une figue. Et de faict, à cause de cela nous autres François nommions ces Pacos figues : vray est qu’ayans encores le goust plus doux et savoureux que les meilleures figues de Marseille qui se puissent trouver, il doit estre tenu pour l’un des beaux et bons fruicts de ceste terre du Bresil. Les histoires racontent bien que Caton retournant de Carthage à Rome, y apporta des figues de merveilleuse grosseur : mais parce que les anciens n’ont fait aucune mention de celle dont je parle, il est vray-semblable que ce n’en estoyent pas aussi.

Au surplus les fueilles du Paco-aire sont de figure assez semblables à celles de Lapathum aquaticum : mais au reste estans si excessivement grandes que chacune a communément six pieds de long, et plus de deux de large, je ne croy pas qu’en Europe, Asie, ni Afrique il se trouve de si grandes et si larges fueilles. Car quoy que j’aye ouy asseurer à un apoticaire avoir veu une fueille de Petasites qui avoit une aulne et un quart de large, c’est à dire (ce simple estant rond) trois aulnes et trois quarts de circunference, encores n’est-ce pas approcher de celle de nostre Paco-aire. Il est vray que n’estans pas espesses à la proportion de leur grandeur, ains au contraire fort minces, et toutesfois se levans tousjours toutes droites : quand le vent est un peu impetueux (comme ce pays d’Amerique y est fort sujet) n’y ayant que la tige du milieu de la fueille qui puisse resister, tout le reste à l’entour se descoupe de telle façon, que les voyans un peu de loin vous jugeriez de prime face que ce sont grandes plumes d’Austruches, dequoy les arbrisseaux sont revestus.

Quant aux arbres portans le cotton, lesquels croissent en moyenne hauteur, il s’en trouve beaucoup en ceste terre du Bresil : la fleur vient en petites clochettes jaunes comme celles des courges ou citrouilles de par-deçà : mais quand le fruict est formé il a non seulement la figure approchante de la feinte des costeaux de nos forests, mais aussi quand il est meur, se fendant ainsi en quatre, le cotton (que les Ameriquains appellent Ameni-jou) en sort par touffeaux ou floquets, gros comme esteuf : au milieu desquels il y a de la graine noire, et fort serrée ensemble, en forme d’un roignon, non plus gros ni plus long qu’une febve : et savent bien les femmes sauvages amasser et filer le cotton pour faire des licts de la façon que je diray ailleurs.

Davantage combien qu’anciennement (ainsi que j’ay entendu) il n’y eust ni orangiers ou citronniers en ceste terre d’Amerique, tant y a neantmoins que les Portugais en ayant planté et edifié sur les rivages et lieux proches de la mer où ils ont frequenté, ils n’y sont pas seulement grandement multipliez, mais aussi ils portent des oranges (que les sauvages nomment Morgon-ja) douces et grosses comme les deux poings, et des citrons encores plus gros et en plus grande abondance.

Touchant les cannes de succre, elles croissent fort bien et en grande quantité en ce pays-là : toutesfois nous autres François n’ayans pas encores, quand j’y estois, les gens propres ni les choses necessaires pour en tirer le sucre (comme les Portugais ont és lieux qu’ils possedent par-delà), ainsi que j’ay dit ci-dessus au chapitre neufiesme, sur le propos du bruvage des sauvages, nous les faisions seulement infuser dans de l’eau pour la faire succrée : ou bien qui vouloit en sucçoit et mangeoit la moelle. Sur lequel propos je diray une chose de laquelle possible plusieurs s’esmerveilleront. C’est que nonobstant la qualité du succre, lequel, comme chacun sçait, est si doux que rien plus, nous avons neantmoins quelquesfois expressément laissé envieillir et moisir des cannes de succre, lesquelles ainsi corrompues les laissans puis apres tremper quelque temps dans de l’eau, elle s’aigrissoit de telle façon qu’elle nous servoit de vinaigre.

Semblablement, il y a certains endroits par les bois où il croist force roseaux et cannes, aussi grosses que la jambe d’un homme, mais comme j’ay dit du Paco-aire, bien que sur le pied elles soyent si tendres que d’un seul coup d’espée on en puisse aisément abbatre une ; si est-ce qu’estans seiches elles sont si dures que les sauvages les fendans par quartiers, et les accommodans en maniere de lancettes ou langues de serpent, en arment et garnissent si bien leurs flesches par le bout, que d’icelles par eux roidement descochées, ils en arresteront une beste sauvage du premier coup. Et à propos des cannes et roseaux, Calcondile en son histoire de la guerre des Turcs, recite qu’il s’en trouve en l’Inde Orientale qui sont de si excessive grandeur et grosseur qu’on en fait des nacelles pour passer les rivieres : voire, dit-il, des barques toutes entieres qui tiennent bien chacune quarante mines de bled, chacune mine de six boisseaux selon la mesure des Grecs.

Le Mastic vient aussi par petits buissons, en nostre terre d’Amerique : lequel avec une infinité d’autres herbes et fleurs odoriferantes, rend la terre de tres bonne et souefve senteur.

Finalement parce qu’à l’endroit où nous estions, assavoir sous le Capricorne, bien qu’il y ait de grands tonnerres, que les sauvages nomment Toupan, pluyes vehementes, et de grands vents, tant y a neantmoins que n’y gelant, neigeant ni greslant jamais, et par consequent les arbres n’y estans point assaillis ni gastez du froid et des orages (comme sont les nostres par-deçà) vous les verrez tousjours, non seulement sans estre despouillez et desgarnis de leurs fueilles, mais aussi tout le long de l’année les forests sont aussi verdoyantes qu’est le laurier en nostre France. Aussi, puis que je suis sur ce propos, quant au mois de Decembre nous avons ici non seulement les plus courts jours, mais qu’aussi transissans de froid nous soufflons en nos doigts, et avons les glaçons pendans au nez : c’est lors que nos Ameriquains ayans les leurs plus longs, ont si grand chaut en leur pays, que comme mes compagnons du voyage et moy l’avons experimenté, nous nous y baignions à Noel pour nous refraischir. Toutesfois, comme ceux qui entendent la Sphere peuvent comprendre, les jours n’estans jamais si longs ne si courts sous les Tropiques que nous les avons en nostre climat, ceux qui y habitent les ont non seulement plus esgaux, mais aussi (quoy que les anciens ayent autrement estimé) les saisons y sont beaucoup et sans comparaison plus temperées. C’est ce que j’avois à dire sur le propos des arbres de la terre du Bresil.

Quant aux plantes et herbes, dont je veux aussi faire mention, je commenceray par celles lesquelles, à cause de leurs fruict et effects, me semblent plus excellentes. Premierement la plante qui produit le fruict nommé par les sauvages Ananas, est de figure semblable aux glaieuls, et encores ayant les fueilles un peu courbées et cavelées tout à l’entour, plus approchantes de celles d’aloes. Elle croist aussi non seulement emmoncelée comme un grand chardon, mais aussi son fruict, qui est de la grosseur d’un moyen melon, et de façon comme une pomme de pin, sans pendre ni pancher de costé ni d’autre, vient de la propre sorte de nos artichaux.

Et au reste quand ces ananas sont venus à maturité, estans de couleur jaune azuré, ils ont une telle odeur de framboise, que non seulement en allant par les bois et autres lieux où ils croissent, on les sent de fort loin, mais aussi quant au goust fondans en la bouche, et estans naturellement si doux, qu’il n’y a confitures de ce pays qui les surpassent : je tiens que c’est le plus excellent fruict de l’Amerique. Et de fait, moy-mesme, estant par-delà, en ayant pressé tel dont j’ay fait sortir pres d’un verre de suc, ceste liqueur ne me sembloit pas moindre que malvaisie. Cependant les femmes sauvages nous en apportoyent pleins de grans paniers, qu’elles nomment panacons, avec de ces pacos dont j’ay nagueres fait mention, et autres fruicts lesquels nous avions d’elles pour un pigne, ou pour un mirouer.

Pour l’esgard des simples, que ceste terre du Bresil produit, il y en a un entre les autres que nos Toüoupinambaoults, nomment Petun, lequel croist de la façon et un peu plus haut que nostre grande ozeille, a les fueilles assez semblables, mais encor plus approchantes de celles de consolida maior. Ceste herbe, à cause de la singuliere vertu que vous entendrez qu’elle a, est en grande estime entre les sauvages : et voici comme ils en usent. Apres qu’ils l’ont cueillie, et par petite poignée pendue, et fait secher en leurs maisons, en prenant quatre ou cinq fueilles, lesquelles ils enveloppent dans une autre grande fueille d’arbre, en façon de cornet d’espice : mettans lors le feu par le petit bout, et le mettant ainsi un peu allumé dans leurs bouches, ils en tirent en ceste façon la fumée, laquelle, combien qu’elle leur ressorte par les narines et par leurs levres trouées, ne laisse pas neantmoins de tellement les sustanter, que principalement s’ils vont à la guerre, et que la necessité les presse, ils seront trois ou quatre jours sans se nourrir d’autre chose. Vray est qu’ils en usent encores pour un autre esgard : car parce que cela leur fait distiller les humeurs superflues du cerveau, vous ne verriez gueres nos Bresiliens sans avoir, non seulement chascun un cornet de ceste herbe pendu au col, mais aussi à toutes les minutes : et en parlant à vous, cela leur servant de contenance, ils en hument la fumée, laquelle, comme j’ay dit (eux reserrans soudain la bouche) leur ressort par le nez et par les levres fendues comme d’un encensoir : et n’en est pas la senteur mal plaisante. Cependant je n’en ay point veu user aux femmes, et ne scay la raison pourquoy : mais bien diray-je qu’ayant moy-mesme experimenté ceste fumée de Petun, j’ay senti qu’elle rassasie et garde bien d’avoir faim.

Au reste, combien qu’on appelle maintenant par deçà la Nicotiane, ou herbe à la Royne Petun, tant s’en faut toutesfois que ce soit de celuy dont je parle, qu’au contraire, outre que ces deux plantes n’ont rien de commun, ny en forme ny en proprieté, et qu’aussi l’auteur de la Maison Rustique, liv. 2. chap. 79. afferme que la Nicotiane (laquelle dit-il retient ce nom de monsieur Nicot, qui premier l’envoya de Portugal en France) a esté apportée de la Floride, distante de plus de mil lieuës de nostre terre du Bresil (car toute la Zone Torride est entre deux) encor y a-il que quelque recherche que j’aye faite en plusieurs jardins, où l’on se vantoit d’avoir du Petun, jusques à present, je n’en ay point veu en nostre France. Et à fin que celuy qui nous a de nouveau fait feste de son angoumoise, qu’il dit estre vray Petun, ne pense pas que j’ygnore ce qu’il en a escrit : si le naturel du simple dont il fait mention ressemble au pourtrait qu’il en a fait faire en sa Cosmographie, j’en di autant que de la Nicotiane : tellement qu’en ce cas je ne luy concede pas ce qu’il pretend : assavoir qu’il ait esté le premier qui a apporté de la graine de Petun en France : ou aussi à cause du froit, j’estime que malaisément ce simple pourroit croistre.

J’ay aussi veu par delà une maniere de choux, que les sauvages nomment cajou-a, desquels ils font quelquesfois du potage : et ont les fueilles aussi larges et presque de mesme sorte que celles du Nenufar qui croist sur les marais de ce pays.

Quant aux racines, outre celles de Maniot et d’Aypi, desquelles, comme j’ay dit au neufiesme chapitre, les femmes des sauvages font de la farine, encore en ont-ils d’autres qu’ils appellent Hetich, lesquelles non seulement croissent en aussi grande abondance en ceste terre du Bresil, que font les raves en Limosin, et en Savoye, mais aussi il s’en trouve communément d’aussi grosses que les deux poings, et longues de pied et demi, plus ou moins. Et combien que les voyant arrachées hors de terre, on jugeast de prime face à la semblance, qu’elles fussent toutes d’une sorte, tant y a neantmoins, d’autant qu’en cuisant les unes deviennent violettes, comme certaines pastenades de ce pays, les autres jaunes comme coins, et les troisiesmes blancheastres, j’ay opinion qu’il y en a de trois especes. Mais quoy qu’il en soit, je puis asseurer, que quand elles sont cuites aux cendres, principalement celles qui jaunissent, elles ne sont pas moins bonnes à manger que les meilleures poires que nous ayons. Quant à leurs fueilles, lesquelles traisnent sur terre, comme hedera terrestris, elles sont fort semblables à celles de concombres, ou des plus larges espinars qui se puissent voir par deçà : non pas toutesfois qu’elles soyent si vertes, car quant à la couleur, elle tire plus à celle de vitis alba. Au reste parce que elles ne portent point de graines, les femmes sauvages, songneuses au possible de les multiplier, pour ce faire ne font aucune chose sinon (oeuvre merveilleuse en l’agriculture) d’en couper par petites pieces, comme on fait icy les carotes pour faire salades, et semans cela par les champs, elles ont, au bout de quelque temps, autant de grosses racines d’Hetich qu’elles ont semé de petits morceaux. Toutesfois parce que c’est la plus grande manne de ceste terre du Bresil, et qu’allans par pays on ne voit presques autre chose, je croy qu’elles viennent aussi pour la pluspart sans main mettre.

Les sauvages ont semblablement une sorte de fruicts, qu’ils nomment Manobi, lesquelles croissans dans terre comme truffes, et par petits filemens s’entretenans l’un l’autre, n’ont pas le noyau plus gros que celuy de noisettes franches, et de mesme goust. Neantmoins ils sont de couleur grisastre, et n’en est pas la croise plus dure que la gousse d’un pois : mais de dire maintenant s’ils ont fueilles et graines, combien que j’aye beaucoup de fois mangé de ce fruict, je confesse ne l’avoir pas bien observé, et ne m’en souvient pas.

Il y a aussi quantité de certain poyvre long, duquel les marchans par deçà se servent seulement à la teinture : mais quant à nos sauvages, le pilant et broyant avec du sel, lequel (retenant expressément pour cela de l’eau de mer dans des fosses) ils sçavent bien faire, appellans ce meslange Jonquet, ils en usent comme nous faisons de sel sur table : non pas toutesfois ainsi que nous, soit en chair, poisson ou autres viandes, ils salent leurs morceaux avant que les mettre en la bouche : car eux prenans le morceau le premier et à part, pincent puis apres avec les deux doigts à chascune fois de ce Jonquet, et l’avalent pour donner saveur à leur viande.

Finalement il croist en ce pays-là une sorte d’aussi grosses et larges febves que le pouce, lesquelles les sauvages appellent Commanda-ouassou : comme aussi de petits pois blancs et gris, qu’ils nomment Commanda-miri. Semblablement certaines citrouilles rondes, nommées par eux Maurougans fort douces à manger.

Voila, non pas tout ce qui se pourroit dire des arbres, herbes et fruicts de ceste terre du Bresil, mais ce que j’en ay remarqué durant environ un an que j’y ay demeuré. Surquoy, pour conclusion, je diray que tout ainsi que j’ay cy devant declaré qu’il n’y a bestes à quatre pieds, oyseaux, poissons, ny animaux en l’Amerique, qui en tout et par tout soyent semblables à ceux que nous avons en Europe : qu’aussi, selon que j’ay soigneusement observé en allant et venant par les bois et par les champs de ce pays-là, excepté ces trois herbes : assavoir du pourpier, du basilic, et de la feugiere, qui viennent en quelques endroits, je n’y ay veu arbres, herbes, ny fruicts qui ne differassent des nostres. Parquoy toutes les fois que l’image de ce nouveau monde, que Dieu m’a fait voir, se represente devant mes yeux : et que je considere la serenité de l’air, la diversité des animaux, la varieté des oyseaux, la beauté des arbres et des plantes, l’excellence des fruicts : et brief en general les richesses dont ceste terre du Bresil est decorée, incontinent ceste exclamation du Prophete au Pseaume 104. me vient en memoire.


O Seigneur Dieu que tes oeuvres divers
Sont merveilleux par le monde univers :
O que tu as tout fait par grand sagesse !
Bref, la terre est pleine de ta largesse.



Ainsi donc, heureux les peuples qui y habitent, s’ils cognoissoyent l’auteur et Createur de toutes ces choses : mais au lieu de cela je vay traitter des matieres qui monstreront combien ils en sont esloignez.

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