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Histoire d’une grande dame au XVIIIe siècle, La princesse Hélène de Ligne/15

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy (1p. 288-305).

VII


La vie à Bel-Œil. — L’archiduchesse Christine, gouvernante des Pays-Bas. — Le comte d’Artois à Bel-Œil. — Le Mariage de Figaro, la comtesse de Sabran et le chevalier de Boufflers.



Hélène attendait avec grande impatience le retour de son mari ; car, pendant son absence et celle de son père, les choses n’avaient pas marché facilement.

La princesse mère profitait volontiers des voyages de son mari, cet aimable prodigue qui jetait si gaiement les millions par la fenêtre, pour diminuer la dépense de sa maison et rétablir un équilibre trop souvent rompu. Hélène se fût volontiers prêtée à prendre part à la direction de l’intérieur ; car elle avait acquis au couvent des qualités de maîtresse de maison dont elle était fière. Elle offrit gentiment ses services à sa belle-mère, heureuse de lui montrer ses talents domestiques ; mais la princesse de Ligne n’entendait pas partager ainsi son royaume, elle refusa sèchement les offres de sa belle-fille. Hèlène humiliée se le tint pour dit, mais lui en garda rancune au fond du cœur et dès lors leurs rapports devinrent plus tendus. Enfin les six mois de voyage des princes touchèrent à leur terme, et ce fut avec une joie doublement vive qu’Hélène vit arriver son mari et la fin de la tutelle assez dure sous laquelle elle avait vécu.

Les princes retrouvèrent leur famille à Bruxelles et allèrent au printemps à Bel-Œil, où ils passaient l’été tous réunis, sauf le prince Louis, qui retenu à Paris par son service, ne pouvait venir que rarement. La vie de Bel-Œil était d’une gaieté at d’une animation extrêmes, les visites s’y succédaient sans cesse, on y venait de Bruxelles, de Paris et même de Vienne. Les officiers du régiment de Ligne y séjournaient tour à tour. Non seulement le prince tenait table ouverte, c’est-à-dire qu’on pouvait arriver sans invitation pour passer la journée, mais il y avait encore un certain nombre d’appartements toujours prêts à recevoir pour un séjour prolongé les visiteurs inattendus. Parmi les intimes de Bel-Œil figuraient les femmes les plus aimables de la cour de Bruxelles.

Si la vie chez les Ligne abondait en fêtes et en distractions, on savait cependant y mêler des occupations sérieuses. Les matinées étaient consacrées à l’étude : musique, littérature, dessin, etc., occupaient chacun tour à tour. « Christine colle et décolle, Hélène chante et enchante », écrivait le prince. Quant à lui, à peine levé, il descendait dans son île de Flore un livre à la main, ou travaillait dans sa bibliothèque, ou inspectait ses jardins. Il possédait déjà une imprimerie particulière dans son hôtel de Bruxelles ; il en fit installer une seconde à Bel-Œil qui amusait tout le monde[1]. Le prince Charles, en particulier, s’en occupait beaucoup ; mais il se bornait à publier les élucubrations des autres ; son père, le chevalier de l’Isle, l’abbé Payez fournissaient une besogne suffisante aux petites presses de Bel-Œil.

Le prince Charles, amateur passionné de peinture, avait trouvé le temps, malgré ses études et son service militaire, de former une superbe collection de dessins originaux des grands maîtres anciens et modernes[2]. Il était fin connaisseur et dessinait bien, il entreprit même alors de graver quelques-uns des dessins de sa collection et fit venir à Bel-Œil le célèbre Bartsch pour lui donner des leçons. Hélène prenait goût aux occupations de son mari et, pendant qu’il gravait, elle classait elle-même les dessins, étudiait sous sa direction la manière de chaque maître et commençait à devenir un amateur éclairé. Toutes ces occupations intelligentes remplissaient la moitié de la journée, chacun s’y livrait jusqu’à l’heure du diner, qui réunissait la famille et les nombreux invités. Après une heure de repos, chacun se rendait dans les jardins : on se promenait, on rêvait, on se groupait à son gré. Il y avait cent installations différentes et cent manières agréables d’employer son temps ; le prince avait prévu tous les goûts et tous les désirs. Tantôt on partait pour de longues excursions à cheval ou en voiture dans la belle forêt de Baudour, qui rejoignait les bois de Bel-Œil ; tantôt on allait à voile sur le grand lac qui communiquait avec les canaux, rivières et pièces d’eau du parc. Les galères étaient ornées de banderolles et montées par de petits matelots à la livrée du prince. « Dans les belles soirées d’été, dit-il, nos premenades sur l’eau, avec de la musique et un beau clair de lune, sont fort agréables pour ces dames. »

Le prince ne les oubliait jamais dans ses aménagements champêtres ; aussi des sentiers bien battus pour qu’elles ne mouillassent pas leurs jolis pieds, des berceaux de roses, jasmins, orangers et chèvre-feuille menaient ces dames au bain. Elles avaient des bancs ombragés et des petites cabanes rustiques. « Elles y trouvaient leur métier à broder, leur tricot, leur filet et surtout leur écritoire noire en pupitre, où il manque toujours du sable ou quelque chose, mais qui renferme des secrets ignorés des amants et des maris, et qui posés sur leurs genoux sert à leur écrire de jolis mensonges avec une plume de corbeau. »

Bruxelles, à cette époque, offrait un aspect brillant et fort animé. Au prince Charles de Lorraine avait succédé l’archiduchesse Marie-Christine, auparavant gouvernante de la Hongrie, où elle avait mené le train d’une reine ; elle monta sa cour sur un grand pied, elle en faisait les honneurs avec grâce et affabilité.

Elle passait pour la plus belle des quatre filles de Marie-Thérèse. Elle dansait avec tant d’agrément et de légèreté, que chacun s’arrêtait pour la mieux voir, aussitôt qu’elle commençait à figurer. Elle feignait de s’en fâcher ; mais, en réalité, elle n’était point mécontente de ce succès féminin.

Elle avait épousé l’archiduc Albert de Saxe-Teschen[3], qui subissait complètement l’influence de sa femme et ne remplaça jamais le prince Charles de Lorraine dans le cœur des Flamands.

Cependant son caractère doux et facile le faisait aimer par tous ceux qui l’entouraient de près ; amateur éclairé de peinture, il avait formé deux magnifiques collections de tableaux et de dessins.

L’archiduchesse et son mari encourageaient volontiers les arts et la littérature, et Bruxelles commençait à devenir un centre littéraire assez animé ; chacun lisait ce qui paraissait en France, romans, poésies, voyages, etc. Différents recueils périodiques commençaient également à paraître. Le prince de Ligne accueillait volontiers les jeunes écrivains belges et les aidait de toul son pouvoir. Heureux de profiter de l’hospitalité seigneuriale qu’il leur offrait si gracieusement, ils venaient à l’envie lui soumettre leurs essais. Il va sans dire qu’ils célébraient les beautés de Bel-Œil et de Baudour dans des vers qu’ont reproduits les recueils de ce temps.

Sans les événements politiques dont la Belgique devint le théâtre, il est probable que le prince eût fait école de littérature et de bon goût ; car il possédait un talent d’écrivain parfois de premier ordre. Les idées jaillissaient en abondance de son cerveau fécond et il les jetait sur le papier comme au hasard. Son style capricieux, incorrect, même obscur, est toujours vif et plein d’images ; le mot vient naturellement se placer sous sa plume ; les traits abondent, imprévus, incisifs et parfois du tour le plus hardi ; il tient la grammaire dans un profond mépris ; mais cette négligence même, ce laisser aller de grand seigneur donne à ses écrits une allure inimitable.

H possédait, en outre, toutes les qualités d’un excellent critique ; mais il faut reconnaître qu’il était d’une indulgence aveugle pour ses propres poésies. Doué par malheur d’une facilité déplorable, il ne laissait échapper aucune occasion de versifier. Un soir, tout le monde étant parti pour une promenade dans les bois, on s’y cnfonça si loin, qu’il fut impossible de retrouver la route ; on y parvint cependant, grâce à une étoile remarquée par Hélène. Le lendemain, son beau-père lui apportait cette romance faite sur un air à la mode, c’est peut-être la moins mauvaise qui se soit échappée de sa plume.


                        À HÉLÈNE

              Air : Sous la verdure.
 
          Un sombre voile
Nous dérobait notre chemin ;
Nous errions à la belle étoile,
Mais nous arrivons à la fin
          Grâce à l’étoile.
 
          Est-ce l’étoile
Qui jadis guida vers un Dieu ?
Ou de Vénus est-ce l’étoile ?
Je penche beaucoup en ce lieu
          Pour cette étoile.
 
          Auprès d’Hélène
Conduit l’étoile du berger ;
Trop heureux celui qu’elle amène
Tout juste à l’heure du berger
          Auprès d’Hélène.


Les jours s’écoulaient ainsi rapides et heureux la seule ombre qu’il y eût à ce riant tableau était la santé délicate d’Hélène, qui exigeait des ménagements que sa jeunesse et son goût pour le plaisir ne lui permeltaient guère de prendre. Deux accidents successifs étaient venus détruire des espérances chères à son mari et peut-être plus encore à son beau-père, qui attendait avec impatience un fils de son bien-aimé Charles. On ordonna à la jeune femme les eaux de Spa, fort à la mode alors. Elle y alla au mois de mai 1782, accompagnée du chevalier de l’Isle et de son amie de couvent mademoiselle de Conflans, devenue marquise de Coigny[4], qui était intimement liée avec les Ligne. Hélène lui écrivit pour lui donner rendez-vous. Le chevalier de l’Isle, dont la plume était toujours prête et le style familier, lui répond : « Madame de Coigny embrasse Mouchette[5], qu’elle exhorte à l’attendre jusqu’au quinze du mois prochain pour aller à Spa. » Hélène attendit, elles partirent ensemble avec le chevalier, il y resta peu de temps et écrivit après son retour au prince de Ligne : « Je ne vous ai point écrit de Spa, mon cher prince, parce que j’ai longtemps espéré de vous y voir, qu’ensuite j’ai compté m’arrêter à Bruxelles, même à Bel-Œil, et que j’avais supplié madame la princesse Charles, qui dit bien mieux que je ne pourrais écrire, de vous parler de moi dans quelques-uns de ses moments perdus. Elle n’en a point ? tant mieux pour elle et pour vous, tant pis pour moi. Mais j’ai bien eu mon tour à Spa, vingt fois j’ai voulu vous écrire, uniquement pour vous dire combien cette belle-fille-là était aimable et puis je pensais que vous n’étiez pas homme à ne le point savoir, et, quand on n’a rien de nouveau à dire, il faut se taire. »

Le prince rejoignit en effet sa belle-fille à Spa après le départ du chevalier.

Une ville d’eaux, à cette époque, ressemblait beaucoup à ce qu’elle est de nos jours, mais le prince la décrit avec une verve étourdissante : « J’arrive dans une grande salle, où je vois des manchots faire les beaux bras, des boiteux faire la belle jambe ; des noms, des titres et des visages ridicules ; des animaux amphibies de l’église et du monde sauter et courir une course anglaise ; des milords hypocondres se promener tristement ; des filles de Paris entrer avec grands éclats de rire pour qu’on les croie aimables et à leur aise, et espérant par là le devenir ; des jeunes gens de tous les pays se croyant et faisant les Anglais, parlant les dents serrées, et mis en palefreniers, cheveux ronds, noirs et crasseux et deux barbes de juifs qui enferment de sales oreilles.

» Des évêques français avec leurs nièces, un accoucheur avec l’ordre de Saint-Michel, un dentiste avec celui de l’Éperon, des maîtres à danser ou à chanter avec l’uniforme de major russe ; des Italiens avec celui de colonel au service de Pologne promenant de jeunes ours de ce pays-là ; des Hollandais cherchant dans les gazettes le cours du change ; trente soi-disant chevaliers de Malte, des cordons de toutes les couleurs de droite et de gauche, et à la boutonnière des plaques de toutes les formes, grandeurs, et des deux côtés.

» De vieilles duchesses revenant de la promenade avec un grand bâton à la Vendôme, et trois doigts de blanc et de rouge ; quelques marquises faisant des paroles de campagne. Des visages atroces et soupçonneux au milieu d’une montagne de ducats, dévorant tous ceux qu’on mettait en tremblant sur un grand tapis vert. Deux ou trois électeurs habillés en chasseurs, petit galon d’or et couteau de chasse, quelques princes incognito qui ne feraient pas plus d’effet sous leur vrai nom. Quelques vieux généraux et officiers retirés pour des blessures qu’ils n’ont jamais eues, quelques princesses russes avec leurs médecins, et Palatines ou Castillanes avec leur jeune aumônier.

» Des Américains, des bourgmestres de tous les environs, des échappés de toutes les prisons de l’Europe, des charlatans de tous les genres, des aventuriers de toutes les espèces, des abbés de tous les pays ; vingt malades qui dansent comme des perdus pour leur santé, quarante amants ou qui font semblant de l’être, suant et s’agitant, et soixante valseuses avec plus ou moins de beauté et d’innocence, d’adresse et de coquetterie, de modestie et de volupté. Tout cela s’appelle un déjeuner dansant. »

Puis, sortant du palais thermal, le prince va nous conduire sur la Sauvetière, rendez-vous élégant des baigneurs : « Le bruit, le bourdonnement des conversations, le tapage de la musique, la monotonie enivrante de la valse, le passage et le repassage des oisifs, les blasphèmes des joueurs, les sanglots des joueuses et la lassitude de cette lanterne magique me firent sortir de la salle. Je m’assieds, et je vois quelques buveurs compter religieusement leurs verres et leurs pas et s’applaudir, cependant un peu tristement, des progrès de leur estomac. Quelques femmes viennent les joindre :

» — Les eaux vous passent-élles, Madame ?

» — Oui, Monsieur, depuis hier.

» — Votre Excellence commence-t-elle à digérer ? dit-elle au ministre d’une cour ecclésiastique.

» — J’aurai l’honneur de répondre à Votre Excellence, dit celui-ci, que je transpire depuis huit heures du soir jusqu’à dix, et que je sue tout à fait depuis dix jusqu’à minuit. Si je n’avais pas tant d’affaires pour monseigneur, je me trouverais bien tout à fait de ma cure. »

Hélène retourna à Spa en 1783 ; elle y retrouva madame de Sabran, née d’Andlau[6], qui plus tard devint marquise de Boufflers. C’était une des personnes les plus aimables de son temps, elle plaisait à tous ceux qui la voyaient, par sa figure, son élégance et sa bonté parfaite. Le petit Elzéar de Sabran, son fils, était avec elle, ne se doutant guère du rôle politique qu’il devait jouer plus tard ; il se bornait pour le moment à apprendre le rôle de Chérubin, dans le Mariage de Figaro, la princesse Charles étudiant Suzanne, et madame de Sabran la comtesse ; car, au retour de Spa, on devait représenter la pièce nouvelle à Bel-Œil.

On reçut à ce moment la nouvelle de l’arrivée du comte d’Artois dans les Flandres[7], et les princes de Ligne partirent aussitôt pour le recevoir et l’accompagner dans sa tournée à Rocroi, à Spa, et le ramenèrent à Bel-Œil.

La princesse Hélène revint à Bel-Œil avant les princes pour préparer la réception de Mgr d’Artois ; mais à peine fut-il arrivé qu’il tomba gravement malade. Le prince avait préparé des fêtes qui lui coûtèrent cinquante mille francs, il n’en parla pas même au comte d’Artois, qui ne pouvait en profiter. Une seule eut lieu, l’illumination féerique du parc ; le prince n’en profita pas, car il ne quitta pas un instant le comte d’Artois, et repartit avec lui pour Versailles. Le chevalier de Boufflers et madame de Sabran succédèrent au comte d’Artois à Bel-Œil ; le prince qui savait le chevalier en garnison à Valenciennes, lui avait écrit pour lui proposer de le rejoindre à Tournai et, de là, revenir à Bel-Œil. Le chevalier lui répond :

« Tout ce que tu me proposes me tente, mon brave Charlot ; mais, en examinant de près ton ordre de marche, je crois qu’il n’y a que mon régiment que je ne verrais pas. Mande-moi quand tu vas à Tournai, je prétends aller te défier à la tête de ton armée, et, si je la trouve sur deux Ligne, j’essayerai de les enfoncer.

» Cher prince, je t’aime comme si je te voyais tous les jours de ma vie. C’est qu’après toi il n’y a rien qui plaise autant que le souvenir qui en reste. Envoie-moi ton ordre de marche pour que je te joigne quelque part, et que, s’il se peut, je ne te quitte nulle part[8]. »

Le chevalier arriva à Bel-Œil à temps pour prendre part à la représentation du Mariage de Figaro, qu’on joua avec grand succès sur le joli théâtre de Bel-Œil. Hélène jouait Suzanne, madame de Sabran la comtesse, Elzéar Chérubin, et Boufflers Figaro ; quant au prince père, il dut se contenter du rôle modeste du greffier Doublemain ; car nous devons avouer que, s’il donnait de bons conseils aux autres[9], il jouait fort mal lui-même. On lui donnait généralement l’emploi du notaire qui rédige un contrat, ou du laquais qui apporte une lettre, et il manquait régulièrement son entrée ; mais, en revanche, une fois en scène il n’en voulait plus sortir et disait tout bas, d’un ton suppliant, aux autres acteurs : « N’est-ce pas, que je ne vous gêne pas ? »

Hélène joua avec une malice et une gaieté qui rappelaient la rieuse pensionnaire de l’Abbaye-aux-Bois, avec quelque expérience en plus ; le petit Elzéar fut délicieux dans Chérubin, mais le chevalier l’emporta sur tous par la verve endiablée avec laquelle il débita son rôle. Ce fut un spectacle assez curieux et un signe des temps, que de voir l’aristocratique auditoire de Bel-Œil applaudir le monologue de Figaro récité par un grand seigneur.

Le prince Charles, sans prendre une part active aux plaisirs de sa femme, s’y prêtait volontiers ; mais il fallait d’autres aliments à son intelligence sérieuse. Il s’intéressait particulièrement à toutes les découvertes scientifiques et suivait avec grand intérêt les progrès de l’invention nouvelle des aérostats par Charles Pilatre de Rozier et Montgolfier. Il assista aux premières expériences tentées à Paris, et entre autres à l’ascension faite le 21 novembre 1783 par Pilatre de Rozier et d’Arlandes, au jardin de la Muette, dans une montgolfière libre. Les aéronautes coururent de grands dangers, le feu ayant pris à leur ballon ; ils parvinrent cependant à l’éteindre et descendirent sains et saufs à Gentilly. À ce moment-là, on considérait une ascension comme l’entreprise la plus hardie, et personne ne se souciait d’accompagner les aéronautes. Mais le prince Charles, doué d’un courage et d’un sang-froid à toute épreuve, résolut de prendre part à la troisième ascension, qui eut lieu à Lyon le 19 janvier 1784, Les voyageurs étaient au nombre de sept : Montgolfier l’aîné, Pilatre de Rozier, Fontaine, le prince Charles et trois autres personnes qui voulurent monter au dernier moment. Quoique la montgolfière fût énorme, le nombre des voyageurs était trop considérable ; de Rozier l’avait prévu et ne voulait pas permettre aux deux dernières personnes de monter. Montgolfier l’engagea à céder ; mais, à peine enlevée et après être montée à cinq cents toises environ, la montgolfière se déchira insensiblement, et ils durent redescendre précipitamment à une lieue de la ville, non sans péril. Ils furent acclamés par toute la population à leur retour à Lyon. Au mois d’avril 1784, le prince Charles fit lancer sur la place de Mons, devant l’hôtel des États, un aérostat superbe, construit à ses frais. Il avait invité, pour assister à ce spectacle, alors si nouveau, le duc et la duchesse d’Aremberg et un grand nombre de personnages de distinction de la cour de Bruxelles et de celle de Versailles, qui revinrent à Bel-Œil après l’ascension du ballon[10].

  1. Les volumes sortis de l’imprimerie de Bel-Œil sont excessivement rares et recherchés. M. Adolphe Gaiffe possède un des deux exemplaires connus des poésies du chevalier de l’Isle, format Cazin. Nous donnons à l’Appendice no 3, la liste complète des ouvrages imprimés à Bel-Œil et connus jusqu’ici ; mais nous pensons qu’il doit en exister d’autres. D’après une note de la princesse, nous croyons même qu’un fragment de ses Mémoires d’enfant, reproduits au commencement de ce volume, a dû être imprimé par son mari à Bel-Œil.
  2. Le catalogue en fut dressé par Adam Bartsch en 1794, il contient six mille numéros. Voir l’appendice no 5.
  3. Fils d’Auguste III, roi de Pologne, feld-maréchal autrichien, né le 11 juillet 1738 et marié le 8 avril 1766 à Marie-Christine-Josepha-Jeanne-Antoinette, sœur de l’empereur Joseph, née le 13 mai 1742. Elle mourut en 1798 et l’archiduc Albert en 1822.
  4. C’est à cette spirituelle marquise que le prince de Ligne adressa ses délicieuses lettres datées de la Tauride.
  5. Petit nom familier de la princesse Charles
  6. Madame d’Andlau était fille du célèbre Helvétius et de madumoiselle de Ligneville. Elle avait fort bien élevé sa fille, madame de Sabran ; madame d’Andlau ne partageait en rien les opinions de son père.
  7. On lit dans la Gazette des Pays-Bas du jeudi 17 juillet 1783 : « Lundi, Mgr le comte d’Artois, toujours accompagné des S. S. Gouverneurs généraux, a vu ce que les environs offrent de plus remarquable. Le lendemain, le prince est parti avec leurs Altesses royales pour le château de Marimont, d’où il devait se rendre à Bel-Œil. »
  8. Le prince de Ligne aimait Boufflers d’une affection particulière ; il paraît cependant que le chevalier avait l’humeur très inégale ; car madame de Sabran, dans une des charmantes lettres qu’elle lui adresse, en trace le portrait suivant : « Ce n’est pas non plus tes manières de Huron, ton air distrait et bourru, tes saillies piquantes et vraies, ton grand appétit et ton profond sommeil quand on veut causer avec toi, qui m’ont fait t’aimer à la folie : c’est un certain je ne sais quoi, une certaine sympathie qui me fait penser et sentir comme toi ; car, sous cette enveloppe sauvage, tu caches l’esprit d’un ange et le cœur d’une femme. »
  9. Voir ses Lettres à Eugénie sur les spectacles. Paris, Valade, 1774.
  10. Voir la Gazette des Pays-Bas, du lundi 5 avril 1784, n° XXVIII.