Histoire de Charles XII/Édition Garnier/Livre 8

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Histoire de Charles XIIGarniertome 16 (p. 326-354).

LIVRE HUITIÈME.

ARGUMENT.

Charles marie la princesse sa sœur au prince de Hesse. Il est assiégé dans Stralsund, et se sauve en Suède. Entreprise du baron de Görtz, son premier ministre. Projet d’une réconciliation avec le czar, et d’une descente en Angleterre. Charles assiége Frédrickhall en Norvége. Il est tué. Son caractère. Görtz est décapité.

Le roi, au milieu de ces préparatifs, donna la sœur qui lui restait, Ulrique-Éléonore, en mariage au prince Frédéric de Hesse-Cassel. La reine douairière, grand’mère de Charles XII et de la princesse, âgée de quatre-vingts ans, fit les honneurs de cette fête, le 4 avril 1715[1], dans le palais de Stockholm, et mourut peu de temps après.

Ce mariage ne fut point honoré de la présence du roi ; il resta dans Stralsund, occupé à achever les fortifications de cette place importante, menacée par les rois de Danemark et de Prusse. Il déclara cependant son beau-frère généralissime de ses armées en Suède. Ce prince avait servi les États-Généraux dans les guerres contre la France : il était regardé comme un bon général, qualité qui n’avait pas peu contribué à lui faire épouser une sœur de Charles XII.

Les mauvais succès se suivaient alors aussi rapidement qu’autrefois les victoires. Au mois de juin de cette année 1715, les troupes allemandes du roi d’Angleterre, et celles de Danemark, investirent la forte ville de Vismar ; les Danois et les Saxons, réunis au nombre de trente-six mille, marchèrent en même temps vers Stralsund pour en former le siége. Les rois de Danemark et de Prusse coulèrent à fond, près de Stralsund, cinq vaisseaux suédois. Le czar était alors sur la mer Baltique avec vingt grands vaisseaux de guerre, et cent cinquante de transport, sur lesquels il y avait trente mille hommes. Il menaçait la Suède d’une descente : tantôt il avançait jusqu’à la côte d’Helsinbourg, tantôt il se présentait à la hauteur de Stockholm. Toute la Suède était en armes sur les côtes, et n’attendait que le moment de cette invasion. Dans ce même temps ses troupes de terre chassaient de poste en poste les Suédois des places qu’ils possédaient encore dans la Finlande, vers le golfe de Bothnie ; mais le czar ne poussa pas plus loin ses entreprises.

À l’embouchure de l’Oder, fleuve qui partage en deux la Poméranie, et qui, après avoir coulé sous Stetin, tombe dans la mer Baltique, est la petite île d’Usedom : cette place est très-importante par sa situation, qui commande l’Oder à droite et à gauche ; celui qui en est le maître l’est aussi de la navigation du fleuve. Le roi de Prusse avait délogé les Suédois de cette île, et s’en était saisi, aussi bien que de Stetin, qu’il gardait en séquestre, le tout, disait-il, pour l’amour de la paix[2]. Les Suédois avaient repris l’île d’Usedom au mois de mai 1715. Ils y avaient deux forts : l’un était le fort de la Suine, sur la branche de l’Oder qui porte ce nom ; l’autre, de plus de conséquence, était Pennamonder, sur l’autre cours de la rivière. Le roi de Suède n’avait, pour garder ces deux forts et toute l’île, que deux cent cinquante soldats poméraniens, commandés par un vieil officier suédois nommé Kuse-Slerp, dont le nom mérite d’être conservé.

Le roi de Prusse envoie, le 4 août, quinze cents hommes de pied et huit cents dragons pour débarquer dans l’île : ils arrivent et mettent pied à terre, sans opposition, du côté du fort de la Suine. Le commandant suédois leur abandonna ce fort comme le moins important ; et, ne pouvant partager le peu qu’il avait de monde, il se retira dans le château de Pennamonder avec sa petite troupe, résolu de se défendre jusqu’à la dernière extrémité.

Il fallut donc l’assiéger dans les formes. On embarque pour cet effet de l’artillerie à Stetin ; on renforce les troupes prussiennes de mille fantassins et de quatre cents cavaliers. Le 18 août on ouvre la tranchée en deux endroits, et la place est vivement battue par le canon et par les mortiers. Pendant le siége un soldat suédois, chargé en secret d’une lettre de Charles XII, trouva le moyen d’aborder dans l’île, et de s’introduire dans Pennamonder : il rendit la lettre au commandant ; elle était conçue en ces termes : « Ne faites aucun feu que quand les ennemis seront au bord du fossé, défendez-vous jusqu’à la dernière goutte de votre sang : je vous recommande à votre bonne fortune. Charles. »

Slerp, ayant lu ce billet, résolut d’obéir et de mourir comme il lui était ordonné, pour le service de son maître. Le 22, au point du jour, les ennemis donnèrent l’assaut : les assiégés, n’ayant tiré que quand ils virent les assiégeants au bord du fossé, en tuèrent un grand nombre ; mais le fossé était comblé, la brèche large, le nombre des assiégeants trop supérieur. On entra dans le château par deux endroits à la fois. Le commandant ne songea alors qu’à vendre chèrement sa vie, et à obéir à la lettre. Il abandonne les brèches par où les ennemis entraient ; il retranche près d’un bastion sa petite troupe, qui a l’audace et la fidélité de le suivre ; il la place de façon qu’elle ne peut être entourée. Les ennemis courent à lui, étonnés de ce qu’il ne demande point de quartier. Il se bat pendant une heure entière, et, après avoir perdu la moitié de ses soldats, il est tué enfin avec son lieutenant et son major. Alors cent soldats, qui restaient avec un seul officier, demandèrent la vie, et furent faits prisonniers : on trouva dans la poche du commandant la lettre de son maître, qui fut portée au roi de Prusse.

Pendant que Charles perdait l’île d’Usedom, et les îles voisines, qui furent bientôt prises ; que Vismar était prêt de se rendre ; qu’il n’avait plus de flotte ; que la Suède était menacée, il était dans la ville de Stralsund[3] ; et cette place était déjà assiégée par trente-six mille hommes.

Stralsund, ville devenue fameuse en Europe par le siége qu’y soutint le roi de Suède, est la plus forte place de la Poméranie. Elle est bâtie entre la mer Baltique et le lac de Franken, sur le détroit de Gella : on n’y peut arriver de terre que sur une chaussée étroite, défendue par une citadelle et par des retranchements qu’on croyait inaccessibles. Elle avait une garnison de près de neuf mille hommes, et de plus le roi de Suède lui-même. Les rois de Danemark et de Prusse entreprirent ce siége avec une armée de trente-six mille hommes, composée de Prussiens, de Danois et de Saxons.

L’honneur d’assiéger Charles XII était un motif si pressant qu’on passa par-dessus tous les obstacles, et qu’on ouvrit la tranchée la nuit du 19 au 20 octobre de cette année 1715. Le roi de Suède, dans le commencement du siége, disait qu’il ne comprenait pas comment une place bien fortifiée, et munie d’une garnison suffisante, pouvait être prise. Ce n’est pas que, dans le cours de ses conquêtes passées, il n’eût pris plusieurs places, mais presque jamais par un siége régulier : la terreur de ses armes avait alors tout emporté ; d’ailleurs il ne jugeait pas des autres par lui-même, et n’estimait pas assez ses ennemis. Les assiégeants pressèrent leurs ouvrages avec une activité et des efforts qui furent secondés par un hasard très-singulier.

On sait que la mer Baltique n’a ni flux ni reflux. Le retranchement qui couvrait la ville, et qui était appuyé du côté de l’occident à un marais impraticable, et du côté de l’orient à la mer, semblait hors de toute insulte. Personne n’avait fait attention que, lorsque les vents d’occident soufflaient avec quelque violence, ils refoulaient les eaux de la mer Baltique vers l’orient, et ne leur laissaient que trois pieds de profondeur vers ce retranchement, qu’on eût cru bordé d’une mer impraticable. Un soldat s’étant laissé tomber du haut du retranchement dans la mer, fut étonné de trouver fond : il conçut que cette découverte pourrait faire sa fortune ; il déserta et alla au quartier du comte Wackerbarth, général des troupes saxonnes, donner avis qu’on pouvait passer la mer à gué, et pénétrer sans peine au retranchement des Suédois. Le roi de Prusse ne tarda pas à profiter de l’avis[4].

Le lendemain donc, à minuit, le vent d’occident soufflant encore, le lieutenant-colonel Koppen entra dans l’eau, suivi de dix-huit cents hommes ; deux mille s’avançaient en même temps sur la chaussée qui conduisait à ce retranchement ; toute l’artillerie des Prussiens tirait, et les Prussiens et les Danois donnaient l’alarme d’un autre côté.

Les Suédois se crurent sûrs de renverser ces deux mille hommes qu’ils voyaient venir si témérairement en apparence sur la chaussée ; mais tout à coup Koppen, avec ses dix-huit cents hommes, entre dans le retranchement du côté de la mer. Les Suédois, entourés et surpris, ne purent résister : le poste fut enlevé après un grand carnage. Quelques Suédois s’enfuirent vers la ville ; les assiégeants les y poursuivirent : ils entraient pêle-mêle avec les fuyards ; deux officiers et quatre soldats saxons étaient déjà sur le pont-levis, mais on eut le temps de le lever : ils furent pris, et la ville fut sauvée pour cette fois.

On trouva dans ces retranchements vingt-quatre canons, que l’on tourna contre Stralsund. Le siége fut poussé avec l’opiniâtreté et la confiance que devait donner ce premier succès. On canonna et on bombarda la ville presque sans relâche.

Vis-à-vis Stralsund, dans la mer Baltique, est l’île de Rugen, qui sert de rempart à cette place, et où la garnison et les bourgeois auraient pu se retirer s’ils avaient eu des barques pour les transporter. Cette île était d’une conséquence extrême pour Charles : il voyait bien que, si les ennemis en étaient les maîtres, il se trouverait assiégé par terre et par mer ; et que, selon toutes les apparences, il serait réduit, ou à s’ensevelir sous les ruines de Stralsund, ou à se voir prisonnier de ces mêmes ennemis qu’il avait si longtemps méprisés, et auxquels il avait imposé des lois si dures. Cependant le malheureux état de ses affaires ne lui avait pas permis de mettre dans Rugen une garnison suffisante ; il n’y avait pas plus de deux mille hommes de troupes.

Ses ennemis faisaient, depuis trois mois, toutes les dispositions nécessaires pour descendre dans cette île, dont l’abord est très-difficile ; enfin, ayant fait construire des barques, le prince d’Anhalt, à l’aide d’un temps favorable, débarqua dans Rugen, le 15 novembre, avec douze mille hommes. Le roi, présent partout, était dans cette île ; il avait joint ses deux mille soldats, qui étaient retranchés près d’un petit port, à trois lieues de l’endroit où l’ennemi avait abordé ; il se met à leur tête, et marche au milieu de la nuit dans un silence profond. Le prince d’Anhalt avait déjà retranché ses troupes, par une précaution qui semblait inutile. Les officiers qui commandaient sous lui ne s’attendaient pas d’être attaqués la nuit même, et croyaient Charles XII à Stralsund ; mais le prince d’Anhalt, qui savait de quoi Charles était capable, avait fait creuser un fossé profond, bordé de chevaux de frise, et prenait toutes ses sûretés comme s’il eût eu une armée supérieure en nombre à combattre.

À deux heures du matin, Charles arrive aux ennemis sans faire le moindre bruit. Ses soldats se disaient les uns aux autres : Arrachez les chevaux de frise. Ces paroles furent entendues des sentinelles : l’alarme est donnée aussitôt dans le camp ; les ennemis se mettent sous les armes. Le roi, ayant ôté les chevaux de frise, vit devant lui un large fossé : « Ah, dit-il, est-il possible ! je ne m’y attendais pas. » Cette surprise ne le découragea point : il ne savait pas combien de troupes étaient débarquées : ses ennemis ignoraient, de leur côté, à quel petit nombre ils avaient affaire. L’obscurité de la nuit semblait favorable à Charles : il prend son parti sur-le-champ ; il se jette dans le fossé, accompagné des plus hardis, et suivi en un instant de toute le reste ; les chevaux de frise arrachés, la terre éboulée, les troncs et les branches d’arbres qu’on put trouver, les soldats tués par les coups de mousquet tirés au hasard, servirent de fascines. Le roi, les généraux qu’il avait avec lui, les officiers et les soldats les plus intrépides, montent sur l’épaule les uns des autres comme à un assaut. Le combat s’engage dans le camp ennemi. L’impétuosité suédoise mit d’abord le désordre parmi les Danois et les Prussiens ; mais le nombre était trop inégal : les Suédois furent repoussés après un quart d’heure de combat, et repassèrent le fossé. Le prince d’Anhalt les poursuivit alors dans la plaine ; il ne savait pas que, dans ce moment, c’était Charles XII lui-même qui fuyait devant lui. Ce roi malheureux rallia sa troupe en plein champ, et le combat recommença avec une opiniâtreté égale de part et l’autre. Grothusen, le favori du roi, et le général Dahldorf tombèrent morts auprès de lui. Charles, en combattant, passa sur le corps de ce dernier, qui respirait encore. During, qui l’avait seul accompagné dans son voyage de Turquie à Stralsund, fut tué à ses yeux.

Au milieu de cette mêlée, un lieutenant danois, dont je n’ai jamais pu savoir le nom, reconnut Charles, et lui saisissant d’une main son épée, et de l’autre le tirant avec force par les cheveux ; « Rendez-vous, sire, lui dit-il, ou je vous tue. » Charles avait à sa ceinture un pistolet : il le tira de la main gauche sur cet officier, qui en mourut le lendemain matin. Le nom du roi Charles, qu’avait prononcé ce Danois, attira en un instant une foule d’ennemis. Le roi fut entouré. Il reçut un coup de fusil au-dessous de la mamelle gauche ; le coup, qu’il appelait une contusion, enfonçait de deux doigts. Le roi était à pied, et prêt d’être tué ou pris. Le comte Poniatowski combattait dans ce moment auprès de sa personne. Il lui avait sauvé la vie à Pultava, il eut le bonheur de la lui sauver encore dans ce combat de Rugen, et le remit à cheval.

Les Suédois se retirèrent vers un endroit de l’île nommé Alteferre, où il y avait un fort dont ils étaient encore maîtres. De là le roi repassa à Stralsund, obligé d’abandonner les braves troupes qui l’avaient si bien secondé dans cette entreprise ; elles furent faites prisonnières de guerre deux jours après.

Parmi ces prisonniers se trouva ce malheureux régiment français, composé des débris de la bataille d’Hochstedt, qui avait passé au service du roi Auguste et de là à celui du roi de Suède[5] : la plupart des soldats furent incorporés dans un nouveau régiment d’un fils du prince d’Anhalt, qui fut leur quatrième maître. Celui qui commandait dans Rugen ce régiment errant était alors ce même comte de Villelongue qui avait si généreusement exposé sa vie à Andrinople[6] pour le service de Charles XII. Il fut pris avec sa troupe, et ne fut ensuite que très-mal récompensé de tant de services, de fatigues et de malheurs.

Le roi, après tous ces prodiges de valeur qui ne servaient qu’à affaiblir ses forces, renfermé dans Stralsund et prêt d’y être forcé, était tel qu’on l’avait vu à Bender. Il ne s’étonnait de rien : le jour, il faisait faire des coupures et des retranchements derrière les murailles ; la nuit, il faisait des sorties sur l’ennemi : cependant Stralsund était battu en brèche ; les bombes pleuvaient sur les maisons ; la moitié de la ville était en cendres : les bourgeois, loin de murmurer, pleins d’admiration pour leur maître, dont les fatigues, la sobriété et le courage les étonnaient, étaient tous devenus soldats sous lui. Ils l’accompagnaient dans les sorties ; ils étaient pour lui une seconde garnison.

Un jour que le roi dictait des lettres pour la Suède à un secrétaire, une bombe tomba sur la maison, perça le toit, et vint éclater près de la chambre même du roi. La moitié du plancher tomba en pièces ; le cabinet où le roi dictait, étant pratiqué en partie dans une grosse muraille, ne souffrit point de l’ébranlement, et, par un bonheur étonnant, nul des éclats qui sautaient en l’air n’entra dans ce cabinet dont la porte était ouverte. Au bruit de la bombe et au fracas de la maison, qui semblait tomber, la plume échappa des mains du secrétaire. « Qu’y a-t-il donc ? lui dit le roi d’un air tranquille ; pourquoi n’écrivez-vous pas ? » Celui-ci ne put répondre que ces mots : « Eh ! sire, la bombe ! — Eh bien, reprit le roi, qu’a de commun la bombe avec la lettre que je vous dicte ? continuez. »

Il y avait alors dans Stralsund un ambassadeur de France enfermé avec le roi de Suède : c’était un Colbert, comte de Croissy, lieutenant général des armées de France, frère du marquis de Torcy, célèbre ministre d’État, et parent de ce fameux Colbert dont le nom doit être immortel en France. Envoyer un homme à la tranchée ou en ambassade auprès de Charles XII, c’était presque la même chose. Le roi entretenait Croissy des heures entières dans les endroits les plus exposés, pendant que le canon et les bombes tuaient du monde à côté et derrière eux, sans que le roi s’aperçût du danger, ni que l’ambassadeur voulût lui faire seulement soupçonner qu’il y avait des endroits plus convenables pour parler d’affaires. Ce ministre fit ce qu’il put avant le siége pour ménager un accommodement entre les rois de Suède et de Prusse ; mais celui-ci demandait trop, et Charles XII ne voulait rien céder. Le comte de Croissy n’eut donc, dans son ambassade, d’autre satisfaction que celle de jouir de la familiarité de cet homme singulier. Il couchait souvent auprès de lui sur le même manteau : il avait, en partageant ses dangers et ses fatigues, acquis le droit de lui parler avec liberté. Charles encourageait cette hardiesse dans ceux qu’il aimait ; il disait quelquefois au comte de Croissy : « Veni, maledicamus de rege ; allons, disons un peu de mal de Charles XII. » C’est ce que cet ambassadeur m’a raconté[7].

Croissy resta jusqu’au 13 novembre dans la ville ; et enfin, ayant obtenu des ennemis permission de sortir avec ses bagages, il prit congé du roi de Suède, qu’il laissa au milieu des ruines de Stralsund avec une garnison dépérie des deux tiers, résolu de soutenir un assaut.

En effet, on en donna un deux jours après à l’ouvrage à corne. Les ennemis s’en emparèrent deux fois, et en furent deux fois chassés. Le roi y combattit toujours parmi les grenadiers : enfin le nombre prévalut ; les assiégeants en demeurèrent les maîtres. Charles resta encore deux jours dans la ville, attendant à tout moment un assaut général. Il s’arrêta le 19, jusqu’à minuit, sur un petit ravelin tout ruiné par les bombes et par le canon ; le jour d’après, les officiers principaux le conjurèrent de ne plus rester dans une place qu’il n’était plus question de défendre ; mais la retraite était devenue aussi dangereuse que la place même. La mer Baltique était couverte de vaisseaux moscovites et danois. On n’avait dans le port de Stralsund qu’une petite barque à voiles et à rames. Tant de périls, qui rendaient cette retraite glorieuse, y déterminèrent Charles. Il s’embarqua, la nuit du 20 décembre 1715, avec dix personnes seulement. Il fallut casser la glace dont la mer était couverte dans le port : ce travail pénible dura plusieurs heures avant que la barque pût voguer librement. Les amiraux ennemis avaient des ordres précis de ne point laisser sortir Charles de Stralsund , et de le prendre mort ou vif. Heureusement ils étaient sous le vent, et ne purent l’aborder : il courut un danger encore plus grand en passant à la vue de l’île de Rugen, près d’un endroit nommé la Babrette, où les Danois avaient élevé une batterie de douze canons. Ils tirèrent sur le roi. Les matelots faisaient force de voiles et de rames pour s’éloigner ; un coup de canon tua deux hommes à côté de Charles, un autre fracassa le mât de la barque. Au milieu de ces dangers le roi arriva vers deux de ses vaisseaux qui croisaient dans la mer Baltique ; dès le lendemain Stralsund se rendit ; la garnison fut faite prisonnière de guerre, et Charles aborda à Ystad en Scanie, et de là se rendit à Carlscrona, dans un état bien autre que quand il en partit, quinze ans auparavant, sur un vaisseau de cent vingt canons, pour aller donner des lois au Nord.

Si près de sa capitale, on s’attendait qu’il la reverrait après cette longue absence ; mais son dessein était de n’y rentrer qu’après des victoires. Il ne pouvait se résoudre d’ailleurs à revoir des peuples qui l’aimaient, et qu’il était forcé d’opprimer pour se défendre contre ses ennemis. Il voulut seulement voir sa sœur : il lui donna rendez-vous sur le bord du lac Veter en Ostrogothie ; il s’y rendit en poste, suivi d’un seul domestique, et s’en retourna après avoir resté un jour avec elle.

De Carlscrona, où il séjourna l’hiver, il ordonna de nouvelles levées d’hommes dans son royaume. Il croyait que tous ses sujets n’étaient nés que pour le suivre à la guerre, et il les avait accoutumés à le croire aussi. On enrôlait des jeunes gens de quinze ans : il ne resta dans plusieurs villages que des vieillards, des enfants, et des femmes ; on voyait même, en beaucoup d’endroits, les femmes seules labourer la terre[8].

Il était encore plus difficile d’avoir une flotte. Pour y suppléer on donna des commissions à des armateurs qui, moyennant des priviléges excessifs et ruineux pour le pays, équipèrent quelques vaisseaux : ces efforts étaient les dernières ressources de la Suède. Pour subvenir à tant de frais, il fallut prendre la substance des peuples. Il n’y eut point d’extorsion que l’on n’inventât sous le nom de taxe et d’impôt. On fit la visite dans toutes les maisons, et on en tira la moitié des provisions pour être mises dans les magasins du roi ; on acheta pour son compte tout le fer qui était dans le royaume, que le gouvernement paya en billets, et qu’il vendit en argent. Tous ceux qui portaient des habits où il entrait de la soie, qui avaient des perruques et des épées dorées, furent taxés. On mit un impôt excessif sur les cheminées. Le peuple, accablé de tant d’exactions, se fût révolté sous tout autre roi ; mais le paysan le plus malheureux de la Suède savait que son maître menait une vie encore plus dure et plus frugale que lui : ainsi tout se soumettait sans murmure à des rigueurs que le roi endurait le premier.

Le danger public fit même oublier les misères particulières. On s’attendait à tout moment à voir les Moscovites, les Danois, les Prussiens, les Saxons, les Anglais même, descendre en Suède : cette crainte était si bien fondée et si forte que ceux qui avaient de l’argent ou des meubles précieux les enfouissaient dans la terre.

En effet, une flotte anglaise avait déjà paru dans la mer Baltique, sans qu’on sût quels étaient ses ordres ; et le roi de Danemark avait la parole du czar que les Moscovites, joints aux Danois, fondraient en Suède au printemps de 1716.

Ce fut une surprise extrême pour toute l’Europe attentive à la fortune de Charles XII quand, au lieu de défendre son pays menacé par tant de princes, il passa en Norvége au mois de mars 1716, avec vingt mille hommes.

Depuis Annibal on n’avait point encore vu de général qui, ne pouvant se soutenir chez lui-même contre ses ennemis, fût allé leur faire la guerre au cœur de leurs États. Le prince de Hesse, son beau-frère, l’accompagna dans cette expédition.

On ne peut aller de Suède en Norvége que par des défilés assez dangereux ; et quand on les a passés, on rencontre de distance en distance des flaques d’eau que la mer y forme entre des rochers ; il fallait faire des ponts chaque jour. Un petit nombre de Danois aurait pu arrêter l’armée suédoise ; mais on n’avait pas prévu cette invasion subite. L’Europe fut encore plus étonnée que le czar demeurât tranquille au milieu de ces événements, et ne fît pas une descente en Suède, comme il en était convenu avec ses alliés.

La raison de cette inaction était un dessein des plus grands, mais en même temps des plus difficiles à exécuter qu’ait jamais formés l’imagination humaine.

Le baron Henri de Görtz, né en Franconie, et baron immédiat de l’empire, ayant rendu des services importants au roi de Suède pendant le séjour de ce monarque à Bender, était depuis devenu son favori et son premier ministre.

Jamais homme ne fut si souple et si audacieux à la fois, si plein de ressources dans les disgrâces, si vaste dans ses desseins, ni si actif dans ses démarches ; nul projet ne l’effrayait, nul moyen ne lui coûtait : il prodiguait les dons, les promesses, les serments, la vérité et le mensonge.

Il allait de Suède en France, en Angleterre, en Hollande, essayer lui-même les ressorts qu’il voulait faire jouer. Il eût été capable d’ébranler l’Europe, et il en avait conçu l’idée. Ce que son maître était à la tête d’une armée, il l’était dans le cabinet : aussi prit-il sur Charles XII un ascendant qu’aucun ministre n’avait eu avant lui.

Ce roi, qui à l’âge de vingt ans n’avait donné que des ordres au comte Piper, recevait alors des leçons du baron de Görtz : d’autant plus soumis à ce ministre que le malheur le mettait dans la nécessité d’écouter des conseils, et que Görtz ne lui en donnait que de conformes à son courage. Il remarqua que de tant de princes réunis contre la Suède, George, électeur de Hanovre, roi d’Angleterre, était celui contre lequel Charles était le plus piqué, parce que c’était le seul que Charles n’eût point offensé ; que George était entré dans la querelle sous prétexte de l’apaiser, et uniquement pour garder Brême et Verden, auxquels il semblait n’avoir d’autre droit que de les avoir achetés à vil prix du roi de Danemark, à qui ils n’appartenaient pas.

Il entrevit aussi de bonne heure que le czar était secrètement mécontent des alliés, qui tous l’avaient empêché d’avoir un établissement dans l’empire d’Allemagne, où ce monarque, devenu trop dangereux, n’aspirait qu’à mettre le pied. Vismar, la seule ville qui restât encore aux Suédois sur les côtes d’Allemagne, venait enfin de se rendre aux Prussiens et aux Danois le 14 février 1716. Ceux-ci ne voulurent pas seulement souffrir que les troupes moscovites, qui étaient dans le Mecklenbourg, parussent à ce siége. De pareilles défiances, réitérées depuis deux ans, avaient aliéné l’esprit du czar, et avaient peut-être empêché la ruine de la Suède. Il y a beaucoup d’exemples d’États alliés conquis par une seule puissance ; il y en a bien peu d’un grand empire conquis par plusieurs alliés. Si leurs forces réunies l’abattent, leurs divisions le relèvent bientôt.

Dès l’année 1714, le czar eût pu faire une descente en Suède. Mais, soit qu’il ne s’accordât pas avec les rois de Pologne, d’Angleterre, de Danemark et de Prusse, alliés justement jaloux, soit qu’il ne crût pas encore ses troupes assez aguerries pour attaquer sur ses propres foyers cette même nation dont les seuls paysans avaient vaincu l’élite des troupes danoises, il recula toujours cette entreprise.

Ce qui l’avait arrêté encore était le besoin d’argent. Le czar était un des plus puissants monarques du monde, mais un des moins riches : ses revenus ne montaient pas alors à plus de vingt-quatre millions de nos livres. Il avait découvert des mines d’or, d’argent, de fer, de cuivre ; mais le profit en était encore incertain, et le travail ruineux. Il établissait un grand commerce, mais les commencements ne lui apportaient que des espérances ; ses provinces nouvellement conquises augmentaient sa puissance et sa gloire, sans accroître encore ses revenus. Il fallait du temps pour fermer les plaies de la Livonie, pays abondant, mais désolé par quinze ans de guerre, par le fer, par le feu et par la contagion, vide d’habitants, et qui était alors à charge à son vainqueur. Les flottes qu’il entretenait, les nouvelles entreprises qu’il faisait tous les jours, épuisaient ses finances. Il avait été réduit à la mauvaise ressource de hausser les monnaies, remède qui ne guérit jamais les maux d’un État, et qui est surtout préjudiciable à un pays qui reçoit des étrangers plus de marchandises qu’il ne leur en fournit.

Voilà en partie les fondements sur lesquels Görtz bâtit le dessein d’une révolution. Il osa proposer au roi de Suède d’acheter la paix de l’empereur moscovite à quelque prix que ce pût être, lui faisant envisager le czar irrité contre les rois de Pologne et d’Angleterre, et lui donnant à entendre que Pierre Alexiowitz et Charles XII réunis pourraient faire trembler le reste de l’Europe.

Il n’y avait pas moyen de faire la paix avec le czar sans céder une grande partie des provinces qui sont à l’orient et au nord de la mer Baltique ; mais il lui fit considérer qu’en cédant ces provinces, que le czar possédait déjà et qu’on ne pouvait reprendre, le roi pourrait avoir la gloire de remettre à la fois Stanislas sur le trône de Pologne, de replacer le fils de Jacques II sur celui d’Angleterre, et de rétablir le duc de Holstein dans ses États.

Charles, flatté de ces grandes idées, sans pourtant y compter beaucoup, donna carte blanche à son ministre. Görtz partit de Suède, muni d’un plein pouvoir qui l’autorisait à tout sans restriction, et le rendait plénipotentiaire auprès de tous les princes avec qui il jugerait à propos de négocier. Il fit d’abord sonder la cour de Moscou par le moyen d’un Écossais nommé Areskins, premier médecin du czar, dévoué au parti du prétendant, ainsi que l’étaient presque tous les Écossais qui ne subsistaient pas des faveurs de la cour de Londres,

Ce médecin fit valoir au prince Menzikoff l’importance et la grandeur du projet avec toute la vivacité d’un homme qui y était intéressé. Le prince Menzikoff goûta ses ouvertures ; le czar les approuva. Au lieu de descendre en Suède, comme il en était convenu avec les alliés, il fit hiverner ses troupes dans le Mecklenbourg, et il y vint lui-même sous prétexte de terminer les querelles qui commençaient à naître entre le duc de Mecklenbourg et la noblesse de ce pays, mais poursuivant en effet son dessein favori d’avoir une principauté en Allemagne, et comptant engager le duc de Mecklenbourg à lui vendre sa souveraineté.

Les alliés furent irrités de cette démarche : ils ne voulaient point d’un voisin si terrible, qui, ayant une fois des terres en Allemagne, pourrait un jour s’en faire élire empereur et en opprimer les souverains. Plus ils étaient irrités, plus le grand projet du baron de Görtz s’avançait vers le succès. Il négociait cependant avec tous les princes confédérés pour mieux cacher ses intrigues secrètes. Le czar les amusait tous aussi par des espérances. Charles XII, cependant, était en Norvége avec son beau-frère le prince de Hesse, à la tête de vingt mille hommes ; la province n’était gardée que par onze mille Danois divisés en plusieurs corps, que le roi et le prince de Hesse passèrent au fil de l’épée.

Charles avança jusqu’à Christiana, capitale de ce royaume : la fortune recommençait à lui devenir favorable dans ce coin du monde ; mais jamais le roi ne prit assez de précautions pour faire subsister ses troupes. Une armée et une flotte danoise approchaient pour défendre la Norvége. Charles, qui manquait de vivres, se retira en Suède, attendant l’issue des vastes entreprises de son ministre.

Cet ouvrage demandait un profond secret et des préparatifs immenses, deux choses assez incompatibles. Görtz fit chercher jusque dans les mers de l’Asie un secours qui, tout odieux qu’il paraissait, n’en eût pas été moins utile pour une descente en Écosse, et qui du moins eût apporté en Suède de l’argent, des hommes et des vaisseaux.

Il y avait longtemps que des pirates de toutes nations, et particulièrement des Anglais, ayant fait entre eux une association, infestaient les mers de l’Europe et de l’Amérique. Poursuivis partout sans quartier, ils venaient de se retirer sur les côtes de Madagascar, grande île à l’orient de l’Afrique. C’étaient des hommes désespérés, presque tous connus par des actions auxquelles il ne manquait que de la justice pour être héroïques. Ils cherchaient un prince qui voulût les recevoir sous sa protection ; mais les lois des nations leur fermaient tous les ports du monde.

Dès qu’ils surent que Charles XII était retourné en Suède, ils espérèrent que ce prince passionné pour la guerre, obligé de la faire, et manquant de flotte et de soldats, leur ferait une bonne composition : ils lui envoyèrent un député qui vint en Europe sur un vaisseau hollandais, et qui alla proposer au baron de Görtz de les recevoir dans le port de Gottembourg, où ils s’offraient de se rendre avec soixante vaisseaux chargés de richesses.

Le baron fit agréer au roi la proposition ; on envoya même l’année suivante deux gentilshommes suédois, l’un nommé Cronström, et l’autre Mendal, pour consommer la négociation avec ces corsaires de Madagascar.

On trouva depuis un secours plus noble et plus important dans le cardinal Albéroni[9], puissant génie qui a gouverné l’Espagne assez longtemps pour sa gloire, et trop peu pour la grandeur de cet État. Il entra avec ardeur dans le projet de mettre le fils de Jacques II sur le trône d’Angleterre. Cependant, comme il ne venait que de mettre le pied dans le ministère, et qu’il avait l’Espagne à rétablir avant que de songer à bouleverser d’autres royaumes, il semblait qu’il ne pouvait de plusieurs années mettre la main à cette grande machine ; mais en moins de deux ans on le vit changer la face de l’Espagne, lui rendre son crédit dans l’Europe, engager, à ce qu’on prétend, les Turcs à attaquer l’empereur d’Allemagne, et tenter en même temps d’ôter la régence de France au duc d’Orléans, et la couronne de la Grande-Bretagne au roi George : tant un seul homme est dangereux quand il est absolu dans un puissant État, et qu’il a de la grandeur et du courage dans l’esprit.

Görtz, ayant ainsi dispersé à la cour de Moscovie et à celle d’Espagne les premières étincelles de l’embrasement qu’il méditait, alla secrètement en France, et de là en Hollande, où il vit les adhérents du prétendant.

Il s’informa plus particulièrement de leurs forces, du nombre et de la disposition des mécontents d’Angleterre, de l’argent qu’ils pouvaient fournir, et des troupes qu’ils pouvaient mettre sur pied. Les mécontents ne demandaient qu’un secours de dix mille hommes, et faisaient envisager une révolution sûre avec l’aide de ces troupes.

Le comte de Gyllenborg, ambassadeur de Suède en Angleterre, instruit par le baron de Görtz, eut plusieurs conférences à Londres avec les principaux mécontents : il les encouragea, et leur promit tout ce qu’ils voulurent ; le parti du prétendant alla jusqu’à fournir des sommes considérables que Görtz toucha en Hollande. Il négocia l’achat de quelques vaisseaux, et en acheta six en Bretagne avec des armes de toute espèce.

Il envoya alors secrètement en France plusieurs officiers, entre autres le chevalier de Folard[10], qui, ayant fait trente campagnes dans les armées françaises, et y ayant fait peu de fortune, avait été depuis peu offrir ses services au roi de Suède, moins par des vues intéressées que par le désir de servir sous un roi qui avait une réputation si étonnante. Le chevalier de Folard espérait d’ailleurs faire goûter à ce prince les nouvelles idées qu’il avait sur la guerre ; il avait étudié toute sa vie cet art en philosophe, et il a depuis communiqué ses découvertes au public dans ses Commentaires sur Polybe. Ses vues furent goûtées de Charles XII, qui lui-même avait fait la guerre d’une manière nouvelle, et qui ne se laissait conduire en rien par la coutume ; il destina le chevalier de Folard à être un des instruments dont il voulait se servir dans la descente projetée en Écosse. Ce gentilhomme exécuta en France les ordres secrets du baron de Görtz. Beaucoup d’officiers français, un plus grand nombre d’Irlandais, entrèrent dans cette conjuration d’une espèce nouvelle, qui se tramait en même temps en Angleterre, en France, en Moscovie, et dont les branches s’étendaient secrètement d’un bout de l’Europe à l’autre.

Ces préparatifs étaient encore peu de chose pour le baron de Görtz ; mais c’était beaucoup d’avoir commencé. Le point le plus important, et sans lequel rien ne pouvait réussir, était d’achever la paix entre le czar et Charles ; il restait beaucoup de difficultés à aplanir. Le baron Osterman, ministre d’État en Moscovie, ne s’était point laissé entraîner d’abord aux vues de Görtz ; il était aussi circonspect que le ministre de Charles était entreprenant. Sa politique lente et mesurée voulait laisser tout mûrir ; le génie impatient de l’autre prétendait recueillir immédiatement après avoir semé. Osterman craignait que l’empereur son maître, ébloui par l’éclat de cette entreprise, n’accordât à la Suède une paix trop avantageuse ; il retardait par ses longueurs et par ses obstacles la conclusion de cette affaire.

Heureusement pour le baron de Görtz, le czar lui-même vint en Hollande au commencement de 1717. Son dessein était de passer ensuite en France : il lui manquait d’avoir vu cette nation célèbre, qui est depuis plus de cent ans censurée, enviée, et imitée par tous ses voisins ; il voulait y satisfaire sa curiosité insatiable de voir et d’apprendre, et exercer en même temps sa politique.

Görtz vit deux fois à la Haye cet empereur ; il avança plus dans ces deux conférences qu’il n’eût fait en six mois avec des plénipotentiaires. Tout prenait un tour favorable : ses grands desseins paraissaient couverts d’un secret impénétrable ; il se flattait que l’Europe ne les apprendrait que par l’exécution. Il ne parlait cependant à la Haye que de paix : il disait hautement qu’il voulait regarder le roi d’Angleterre comme le pacificateur du Nord ; il pressait même en apparence la tenue d’un congrès à Brunsvick, où les intérêts de la Suède et de ses ennemis devaient être décidés à l’amiable.

Le premier qui découvrit ces intrigues fut le duc d’Orléans, régent de France ; il avait des espions dans toute l’Europe. Ce genre d’hommes, dont le métier est de vendre le secret de leurs amis, et qui subsiste de délations, et souvent même de calomnies, s’était tellement multiplié en France sous son gouvernement que la moitié de la nation était devenue l’espion de l’autre. Le duc d’Orléans, lié avec le roi d’Angleterre par des engagements personnels, lui découvrit les menées qui se tramaient contre lui.

Dans le même temps les Hollandais, qui prenaient des ombrages de la conduite de Görtz, communiquèrent leurs soupçons au ministre anglais. Görtz et Gyllenborg poursuivaient leurs desseins avec chaleur, lorsqu’ils furent arrêtés tous deux, l’un à Deventer en Gueldre, et l’autre à Londres.

Comme Gyllenborg, ambassadeur de Suède, avait violé le droit des gens en conspirant contre le prince auprès duquel il était envoyé, on viola sans scrupule le même droit en sa personne. Mais on s’étonna que les États-Généraux, par une complaisance inouïe pour le roi d’Angleterre, missent en prison le baron de Görtz. Ils chargèrent même le comte de Welderen de l’interroger. Cette formalité ne fut qu’un outrage de plus, lequel devenant inutile ne tourna qu’à leur confusion. Görtz demanda au comte de Welderen s’il était connu de lui. « Oui, monsieur, répondit le Hollandais, — Eh bien, dit le baron de Görtz, si vous me connaissez vous devez savoir que je ne dis que ce que je veux. » L’interrogatoire ne fut guère poussé plus loin : tous les ambassadeurs, mais particulièrement le marquis de Monteléon, ministre d’Espagne en Angleterre, protestèrent contre l’attentat commis envers la personne de Görtz et de Gyllenborg. Les Hollandais étaient sans excuse : ils avaient non-seulement violé un droit sacré en arrêtant le premier ministre du roi de Suède, qui n’avait rien machiné contre eux ; mais ils agissaient directement contre les principes de cette liberté précieuse qui a attiré chez eux tant d’étrangers, et qui a été le fondement de leur grandeur.

À l’égard du roi d’Angleterre, il n’avait rien fait que de juste en arrêtant prisonnier un ennemi. Il fit, pour sa justification, imprimer les lettres du baron de Görtz et du comte de Gyllenborg, trouvées dans les papiers du dernier. Le roi de Suède était alors dans la province de Scanie ; on lui apporta ces lettres imprimées avec la nouvelle de l’enlèvement de ses deux ministres. Il demanda en souriant si on n’avait pas aussi imprimé les siennes. Il ordonna aussitôt qu’on arrêtât à Stockholm le résident anglais avec toute sa famille et ses domestiques ; il défendit sa cour au résident hollandais, qu’il fit garder à vue. Cependant il n’avoua ni ne désavoua le baron de Görtz : trop fier pour nier une entreprise qu’il avait approuvée, et trop sage pour convenir d’un dessein éventé presque dans sa naissance, il se tint dans un silence dédaigneux avec l’Angleterre et la Hollande[11].

Le czar prit tout un autre parti. Comme il n’était point nommé, mais obscurément impliqué dans les lettres de Gyllenborg et de Görtz, il écrivit au roi d’Angleterre une longue lettre pleine de compliments sur la conspiration, et d’assurance d’une amitié sincère : le roi George reçut ses protestations sans les croire, et feignit de se laisser tromper. Une conspiration tramée par des particuliers, quand elle est découverte, est anéantie ; mais une conspiration de rois n’en prend que de nouvelles forces. Le czar arriva à Paris au mois de mai de la même année 1717. Il ne s’y occupa pas uniquement à voir les beautés de l’art et de la nature, à visiter les académies, les bibliothèques publiques, les cabinets des curieux, les maisons royales : il proposa au duc d’Orléans, régent de France, un traité dont l’acceptation eût pu mettre le comble à la grandeur moscovite. Son dessein était de se réunir avec le roi de Suède, qui lui cédait de grandes provinces, d’ôter entièrement aux Danois l’empire de la mer Baltique, d’affaiblir les Anglais par une guerre civile, et d’attirer à la Moscovie tout le commerce du Nord. Il ne s’éloignait pas même de remettre le roi Stanislas aux prises avec le roi Auguste, afin que le feu étant allumé de tous côtés, il pût courir pour l’attiser ou pour l’éteindre, selon qu’il y trouverait ses avantages. Dans ces vues, il proposa au régent de France la médiation entre la Suède et la Moscovie, et de plus une alliance offensive et défensive avec ces couronnes et celle d’Espagne. Ce traité, qui paraissait si naturel, si utile à ces nations, et qui mettait dans leurs mains la balance de l’Europe, ne fut cependant pas accepté du duc d’Orléans. Il prenait précisément dans ce temps des engagements tout contraires ; il se liguait avec l’empereur d’Allemagne et George, roi d’Angleterre. La raison d’État changeait alors dans l’esprit de tous les princes, au point que le czar était prêt de se déclarer contre son ancien allié le roi Auguste, et d’embrasser les querelles de Charles, son mortel ennemi, pendant que la France allait, en faveur des Allemands et des Anglais, faire la guerre au petit-fils de Louis XIV, après l’avoir soutenu si longtemps contre ces mêmes ennemis aux dépens de tant de trésors et de sang. Tout ce que le czar obtint, par des voies indirectes, fut que le régent interposât ses bons offices pour l’élargissement du baron de Görtz et du comte de Gyllenborg. Il s’en retourna dans ses États à la fin de juin, après avoir donné à la France le spectacle rare d’un empereur qui voyageait pour s’instruire ; mais trop de Français ne virent en lui que les dehors grossiers que sa mauvaise éducation lui avait laissés ; et le législateur, le créateur d’une nation nouvelle, le grand homme leur échappa.

Ce qu’il cherchait dans le duc d’Orléans, il le trouva bientôt dans le cardinal Albéroni, devenu tout-puissant en Espagne. Albéroni ne souhaitait rien tant que le rétablissement du prétendant, et comme ministre de l’Espagne, que l’Angleterre avait si maltraitée, et comme ennemi personnel du duc d’Orléans, lié avec l’Angleterre contre l’Espagne, et enfin comme prêtre d’une église pour laquelle le père du prétendant avait si mal à propos perdu sa couronne.

Le duc d’Ormond, aussi aimé en Angleterre que le duc de Marlborough y était admiré, avait quitté son pays à l’avènement du roi George ; et, s’étant alors retiré à Madrid, il alla, muni de pleins pouvoirs du roi d’Espagne et du prétendant, trouver le czar sur son passage à Mittau en Courlande, accompagné d’Irnegan, autre Anglais, homme habile et entreprenant. Il demanda la princesse Anne Petrowna, fille du czar, en mariage pour le fils de Jacques II[12], espérant que cette alliance attacherait plus étroitement le czar aux intérêts de ce prince malheureux. Mais cette proposition faillit à reculer les affaires pour un temps, au lieu de les avancer. Le baron de Görtz avait, dans ses projets, destiné depuis longtemps cette princesse au duc de Holstein, qui en effet l’a épousée depuis. Dès qu’il sut cette proposition du duc d’Ormond, il en fut jaloux, et s’appliqua à la traverser. Il sortit de prison au mois d’août, aussi bien que le comte de Gyllenborg, sans que le roi de Suède eût daigné faire la moindre excuse au roi d’Angleterre, ni montrer le plus léger mécontentement de la conduite de son ministre.

En même temps on élargit à Stockholm le résident anglais et toute sa famille, qui avaient été traités avec beaucoup plus de sévérité que Gyllenborg ne l’avait été à Londres.

Görtz, en liberté, fut un ennemi déchaîné, qui, outre les puissants motifs qui l’agitaient, eut encore celui de la vengeance. Il se rendit en poste auprès du czar, et ses insinuations prévalurent plus que jamais auprès de ce prince. D’abord il l’assura qu’en moins de trois mois il lèverait, avec un seul plénipotentiaire de Moscovie, tous les obstacles qui retardaient la conclusion de la paix avec la Suède : il prit entre ses mains une carte géographique que le czar avait dessinée lui-même, et, tirant une ligne depuis Vibourg jusqu’à la mer Glaciale, en passant par le lac Ladoga, il se fit fort de porter son maître à céder ce qui était à l’orient de cette ligne, aussi bien que la Carélie, l’Ingrie et la Livonie ; ensuite il jeta des propositions de mariage entre la fille de Sa Majesté czarienne et le duc de Holstein, le flattant que ce duc lui pourrait céder ses États moyennant un équivalent ; que par là il serait membre de l’empire, lui montrant de loin la couronne impériale, soit pour quelqu’un de ses descendants, soit pour lui-même. Il flattait ainsi les vues ambitieuses du monarque moscovite, ôtait au prétendant la princesse czarienne, en même temps qu’il lui ouvrait le chemin de l’Angleterre ; et il remplissait toutes ses vues à la fois.

Le czar nomma l’île d’Aland pour les conférences que son ministre d’État Osterman devait avoir avec le baron de Görtz. On pria le duc d’Ormond de s’en retourner, pour ne pas donner de trop violents ombrages à l’Angleterre, avec laquelle le czar ne voulait rompre que sur le point de l’invasion ; on retint seulement à Pétersbourg Irnegan, le confident du duc d’Ormond, qui fut chargé des intrigues, et qui logea dans la ville avec tant de précaution qu’il ne sortait que de nuit, et ne voyait jamais les ministres du czar que déguisé tantôt en paysan, tantôt en Tartare.

Dès que le duc d’Ormond fut parti, le czar fit valoir au roi d’Angleterre sa complaisance d’avoir renvoyé le plus grand partisan du prétendant ; et le baron de Görtz, plein d’espérance, retourna en Suède.

Il retrouva son maître à la tête de trente-cinq mille hommes de troupes réglées, et les côtes bordées de milices. Il ne manquait au roi que de l’argent : le crédit était épuisé en dedans et en dehors du royaume. La France, qui lui avait fourni quelques subsides dans les dernières années de Louis XIV, n’en donnait plus sous la régence du duc d’Orléans, qui se conduisait par des vues toutes contraires. L’Espagne en promettait, mais elle n’était pas encore en état d’en fournir beaucoup. Le baron de Görtz donna alors une libre étendue à un projet qu’il avait déjà essayé avant d’aller en France et en Hollande : c’était de donner au cuivre la même valeur qu’à l’argent ; de sorte qu’une pièce de cuivre, dont la valeur intrinsèque est un demi-sou, passait pour quarante sous avec la marque du prince ; à peu près comme, dans une ville assiégée, les gouverneurs ont souvent payé les soldats et les bourgeois avec de la monnaie de cuir, en attendant qu’on pût avoir des espèces réelles. Ces monnaies fictices[13], inventées par la nécessité, et auxquelles la bonne foi seule peut donner un crédit durable, sont comme des billets de change, dont la valeur imaginaire peut excéder aisément les fonds qui sont dans un État.

Ces ressources sont d’un excellent usage dans un pays libre ; elles ont quelquefois sauvé une république, mais elles ruinent presque sûrement une monarchie[14], car, les peuples manquant bientôt de confiance, le ministre est réduit à manquer de bonne foi : les monnaies idéales se multiplient avec excès, les particuliers enfouissent leur argent, et la machine se détruit avec une confusion accompagnée souvent des plus grands malheurs. C’est ce qui arriva au royaume de Suède.

Le baron de Görtz ayant d’abord répandu avec discrétion dans le public les nouvelles espèces fut entraîné en peu de temps au delà de ses mesures par la rapidité du mouvement, qu’il ne pouvait plus conduire. Toutes les marchandises et toutes les denrées ayant monté à un prix excessif, il fut forcé d’augmenter le nombre des espèces de cuivre. Plus elles se multiplièrent, plus elles furent décréditées ; la Suède, inondée de cette fausse monnaie, ne forma qu’un cri contre le baron de Görtz. Les peuples, toujours pleins de vénération pour Charles XII, n’osaient presque le haïr, et faisaient tomber le poids de leur aversion sur un ministre qui, comme étranger et comme gouvernant les finances, était doublement assuré de la haine publique.

Un impôt qu’il voulut mettre sur le clergé acheva de le rendre exécrable à la nation ; les prêtres, qui trop souvent joignent leur cause à celle de Dieu, l’appelèrent publiquement athée, parce qu’il leur demandait de l’argent. Les nouvelles espèces de cuivre avaient l’empreinte de quelques dieux de l’antiquité ; on en prit occasion d’appeler ces pièces de monnaie les dieux du baron de Görtz.

À la haine publique contre lui se joignit la jalousie des ministres, implacable à mesure qu’elle était alors impuissante. La sœur du roi, et le prince son mari, le craignaient comme un homme attaché par sa naissance au duc de Holstein, et capable de lui mettre un jour la couronne de Suède sur la tête. Il n’avait plu dans le royaume qu’à Charles XII ; mais cette aversion générale ne servait qu’à confirmer l’amitié du roi, dont les sentiments s’affermissaient toujours par les contradictions. Il marqua alors au baron une confiance qui allait jusqu’à la soumission : il lui laissa un pouvoir absolu dans le gouvernement intérieur du royaume, et s’en remit à lui sans réserve sur tout ce qui regardait les négociations avec le czar ; il lui recommanda surtout de presser les conférences de l’île d’Aland.

En effet, dès que Görtz eut achevé à Stockholm les arrangements des finances, qui demandaient sa présence, il partit pour aller consommer avec le ministre du czar le grand ouvrage qu’il avait entamé.

Voici les conditions préliminaires de cette alliance, qui devait changer la face de l’Europe, telles qu’elles furent trouvées dans les papiers de Görtz, après sa mort.

Le czar, retenant pour lui toute la Livonie, et une partie de l’Ingrie et de la Carélie, rendait à la Suède tout le reste ; il s’unissait avec Charles XII dans le dessein de rétablir le roi Stanislas sur le trône de Pologne, et s’engageait à rentrer dans ce pays avec quatre-vingt mille Moscovites, pour détrôner ce même roi Auguste en faveur duquel il avait fait dix ans la guerre. Il fournissait au roi de Suède les vaisseaux nécessaires pour transporter dix mille Suédois en Angleterre, et trente mille en Allemagne : les forces réunies de Pierre et de Charles devaient attaquer le roi d’Angleterre dans ses États de Hanovre, et surtout dans Brême et Verden ; les mêmes troupes auraient servi à rétablir le duc de Holstein, et forcé le roi de Prusse à accepter un traité par lequel on lui ôtait une partie de ce qu’il avait pris. Charles en usa dès lors comme si ses troupes victorieuses, renforcées de celles du czar, avaient déjà exécuté tout ce qu’on méditait. Il fit demander hautement à l’empereur d’Allemagne l’exécution du traité d’Alt-Rantstadt. À peine la cour de Vienne daigna-t-elle répondre à la proposition d’un prince dont elle croyait n’avoir rien à craindre.

Le roi de Pologne eut moins de sécurité ; il vit l’orage qui grossissait de tous les côtés. La noblesse polonaise était confédérée contre lui ; et depuis son rétablissement il lui fallait toujours, ou combattre ses sujets, ou traiter avec eux. Le czar, médiateur à craindre, avait cent galères auprès de Dantzick, et quatre-vingt mille hommes sur les frontières de Pologne. Tout le Nord était en jalousies et en alarmes. Flemming, le plus défiant de tous les hommes, et celui dont les puissances voisines devaient le plus se défier, soupçonna le premier les desseins du czar et ceux du roi de Suède en faveur de Stanislas. Il voulut le faire enlever dans le duché de Deux-Ponts, comme on avait saisi Jacques Sobieski en Silésie. Un de ces Français entreprenants et inquiets qui vont tenter la fortune dans les pays étrangers avait amené depuis peu quelques partisans, français comme lui, au service du roi de Pologne. Il communiqua au ministre Flemming un projet par lequel il répondait d’aller, avec trente officiers français déterminés, enlever Stanislas dans son palais, et de l’amener prisonnier à Dresde. Le projet fut approuvé. Ces entreprises étaient alors assez communes. Quelques-uns de ceux qu’en Italie on appelle braves avaient fait des coups pareils dans le Milanais durant la dernière guerre entre l’Allemagne et la France. Depuis même, plusieurs Français réfugiés en Hollande avaient osé pénétrer jusqu’à Versailles, dans le dessein d’enlever le dauphin, et s’étaient saisis de la personne du premier écuyer, presque sous les fenêtres du château de Louis XIV.

L’aventurier disposa donc ses hommes et ses relais pour surprendre et pour enlever Stanislas. L’entreprise fut découverte la veille de l’exécution. Plusieurs se sauvèrent ; quelques-uns furent pris. Ils ne devaient point s’attendre à être traités comme des prisonniers de guerre, mais comme des bandits. Stanislas, au lieu de les punir, se contenta de leur faire quelques reproches pleins de honte ; il leur donna même de l’argent pour se conduire, et montra par cette honte généreuse qu’en effet Auguste, son rival, avait raison de le craindre[15].

Cependant Charles partit une seconde fois pour la conquête de la Norvége, au mois d’octobre 1718. Il avait si bien pris toutes ses mesures qu’il espérait se rendre maître en six mois de ce royaume. Il aima mieux aller conquérir des rochers au milieu des neiges et des glaces, dans l’âpreté de l’hiver, qui tue les animaux en Suède même où l’air est moins rigoureux, que d’aller reprendre ses belles provinces d’Allemagne des mains de ses ennemis : c’est qu’il espérait que sa nouvelle alliance avec le czar le mettrait bientôt en état de ressaisir toutes ces provinces ; bien plus, sa gloire était flattée d’enlever un royaume à son ennemi victorieux.

À l’embouchure du fleuve Tistedal, près de la manche de Danemark, entre les villes de Bahus et d’Anslo, est située Frédrickhall, place forte et importante, qu’on regardait comme la clef du royaume. Charles en forma le siége au mois de décembre. Le soldat, transi de froid, pouvait à peine remuer la terre endurcie sous la glace : c’était ouvrir la tranchée dans une espèce de roc ; mais les Suédois ne pouvaient se rebuter en voyant à leur tête un roi qui partageait leurs fatigues. Jamais Charles n’en essuya de plus grandes. Sa constitution, éprouvée par dix-huit ans de travaux pénibles, s’était fortifiée au point qu’il dormait en plein champ en Norvége, au cœur de l’hiver, sur de la paille ou sur une planche, enveloppé seulement d’un manteau, sans que sa santé en fût altérée. Plusieurs de ses soldats tombaient morts de froid dans leurs postes ; et les autres, presque gelés, voyant leur roi qui souffrait comme eux, n’osaient proférer une plainte. Ce fut quelque temps avant cette expédition qu’ayant entendu parler en Scanie d’une femme nommée Johns Dotter, qui avait vécu plusieurs mois sans prendre d’autre nourriture que de l’eau, lui qui s’était étudié toute sa vie à supporter les plus extrêmes rigueurs que la nature humaine peut soutenir, voulut essayer encore combien de temps il pourrait supporter la faim sans en être abattu. Il passa cinq jours entiers sans manger ni boire ; le sixième, au matin, il courut deux heures à cheval, et descendit chez le prince de Hesse, son beau-frère, où il mangea beaucoup, sans que ni une abstinence de cinq jours l’eût abattu, ni qu’un grand repas[16], à la suite d’un si long jeûne, l’incommodât[17].

Avec ce corps de fer, gouverné par une âme si hardie et si inébranlable, dans quelque état qu’il pût être réduit, il n’avait point de voisin auquel il ne fût redoutable.

Le 11 décembre, jour de Saint-André, il alla sur les neuf heures du soir visiter la tranchée, et, ne trouvant pas la parallèle assez avancée à son gré, il parut très-mécontent. M. Mégret, ingénieur français, qui conduisait le siége, l’assura que la place serait prise dans huit jours. « Nous verrons », dit le roi ; et il continua de visiter les ouvrages avec l’ingénieur. Il s’arrêta dans un endroit où le boyau faisait un angle avec la parallèle ; il se mit à genoux sur le talus intérieur, et, appuyant ses coudes sur le parapet, resta quelque temps à considérer les travailleurs, qui continuaient les tranchées à la lueur des étoiles.

Les moindres circonstances deviennent essentielles quand il s’agit de la mort d’un homme tel que Charles XII ; ainsi je dois avertir que toute la conversation que tant d’écrivains ont rapportée entre le roi et l’ingénieur Mégret est absolument fausse. Voici ce que je sais de véritable sur cet événement[18].

Le roi était exposé presque à demi corps à une batterie de canon pointée vis-à-vis l’angle où il était : il n’y avait alors auprès de sa personne que deux Français : l’un était M. Siquier, son aide de camp[19], homme de tête et d’exécution, qui s’était mis à son service en Turquie, et qui était particulièrement attaché au prince de Hesse ; l’autre était cet ingénieur. Le canon tirait sur eux à cartouches ; mais le roi, qui se découvrait davantage, était le plus exposé. À quelques pas derrière était le comte Schwerin, qui commandait la tranchée. Le comte Posse, capitaine aux gardes, et un aide de camp nommé Kaulbar[20], recevaient des ordres de lui. Siquier et Mégret virent dans ce moment le roi de Suède qui tombait sur le parapet en poussant un grand soupir : ils s’approchèrent ; il était déjà mort. Une balle pesant une demi-livre l’avait atteint à la tempe droite, et avait fait un trou dans lequel on pouvait enfoncer trois doigts ; sa tête était renversée sur le parapet, l’œil gauche était enfoncé, et le droit entièrement hors de son orbite. L’instant de sa blessure avait été celui de sa mort ; cependant il avait eu la force, en expirant d’une manière si subite, de mettre, par un mouvement naturel, la main sur la garde de son épée, et était encore dans cette attitude[21]. À ce spectacle, Mégret, homme singulier et indifférent, ne dit autre chose, sinon : « Voilà la pièce finie, allons souper. » Siquier court sur-le-champ avertir le comte Schwerin. Ils résolurent ensemble de dérober la connaissance de cette mort aux soldats, jusqu’à ce que le prince de Hesse en pût être informé. On enveloppa le corps d’un manteau gris : Siquier mit sa perruque et son chapeau sur la tête du roi ; en cet état, on transporta Charles, sous le nom du capitaine Carlberg, au travers des troupes, qui voyaient passer leur roi mort sans se douter que ce fût lui.

Le prince ordonna à l’instant que personne ne sortît du camp, et fit garder tous les chemins de la Suède, afin d’avoir le temps de prendre ses mesures pour faire tomber la couronne sur la tête de sa femme ; et pour en exclure le duc de Holstein, qui pouvait y prétendre.

Ainsi périt, à l’âge de trente-six ans et demi, Charles XII, roi de Suède, après avoir éprouvé ce que la prospérité a de plus grand, et ce que l’adversité a de plus cruel, sans avoir été amolli par l’une, ni ébranlé un moment par l’autre. Presque toutes ses actions, jusqu’à celles de sa vie privée et unie, ont été bien loin au delà du vraisemblable. C’est peut-être le seul de tous les hommes, et jusqu’ici le seul de tous les rois, qui ait vécu sans faiblesses ; il a porté toutes les vertus des héros à un excès où elles sont aussi dangereuses que les vices opposés. Sa fermeté, devenue opiniâtreté, fit ses malheurs dans l’Ukraine, et le retint cinq ans en Turquie ; sa libéralité, dégénérant en profusion, a ruiné la Suède ; son courage, poussé jusqu’à la témérité, a causé sa mort ; sa justice a été quelquefois jusqu’à la cruauté, et, dans les dernières années, le maintien de son autorité approchait de la tyrannie. Ses grandes qualités, dont une seule eût pu immortaliser un autre prince, ont fait le malheur de son pays. Il n’attaqua jamais personne ; mais il ne fut pas aussi prudent qu’implacable dans ses vengeances. Il a été le premier qui ait eu l’ambition d’être conquérant sans avoir l’envie d’agrandir ses États : il voulait gagner des empires pour les donner. Sa passion pour la gloire, pour la guerre, et pour la vengeance, l’empêcha d’être bon politique, qualité sans laquelle on n’a jamais vu de conquérant. Avant la bataille et après la victoire, il n’avait que de la modestie ; après la défaite, que de la fermeté : dur pour les autres comme pour lui-même, comptant pour rien la peine et la vie de ses sujets, aussi bien que la sienne ; homme unique plutôt que grand homme ; admirable plutôt qu’à imiter. Sa vie doit apprendre aux rois combien un gouvernement pacifique et heureux est au-dessus de tant de gloire[22].

Charles XII était d’une taille avantageuse et noble ; il avait un très-beau front, de grands yeux bleus remplis de douceur, un nez bien formé, mais le bas du visage désagréable, trop souvent défiguré par un rire fréquent qui ne partait que des lèvres, presque point de barbe ni de cheveux. Il parlait très-peu, et ne répondait souvent que par ce rire dont il avait pris l’habitude. On observait à sa table un silence profond. Il avait conservé, dans l’inflexibilité de son caractère, cette timidité qu’on nomme mauvaise honte. Il eût été embarrassé dans une conversation, parce que s’étant donné tout entier aux travaux et à la guerre, il n’avait jamais connu la société. Il n’avait lu jusqu’à son loisir chez les Turcs que les Commentaires de César et l’Histoire d’Alexandre ; mais il avait écrit quelques réflexions sur la guerre, et sur ses campagnes depuis 1700 jusqu’à 1709. Il l’avoua au chevalier de Folard, et lui dit que ce manuscrit avait été perdu à la malheureuse journée de Pultava. Quelques personnes ont voulu faire passer ce prince pour un bon mathématicien ; il avait sans doute beaucoup de pénétration dans l’esprit, mais la preuve que l’on donne de ses connaissances en mathématique n’est pas bien concluante ; il voulut changer la manière de compter par dizaine, et il proposait à la place le nombre soixante-quatre, parce que ce nombre contenait à la fois un cube et un carré, et qu’étant divisé par deux il était enfin réductible à l’unité. Cette idée prouvait seulement qu’il aimait en tout l’extraordinaire et le difficile[23].

À l’égard de sa religion, quoique les sentiments d’un prince ne doivent pas influer sur les autres hommes, et que l’opinion d’un monarque aussi peu instruit que Charles ne soit d’aucun poids dans ces matières, cependant il faut satisfaire sur ce point comme sur le reste la curiosité des hommes qui ont eu les yeux ouverts sur tout ce qui regarde ce prince. Je sais de celui qui m’a confié les principaux mémoires de cette histoire que Charles XII fut luthérien de bonne foi jusqu’à l’année 1707. Il vit alors à Leipsick le fameux philosophe M. Leibnitz, qui pensait et parlait librement, et qui avait déjà inspiré ses sentiments libres à plus d’un prince. Je ne crois pas que Charles XII puisa, comme on me l’avait dit, de l’indifférence pour le luthéranisme dans la conversation de ce philosophe, qui n’eut jamais l’honneur de l’entretenir qu’un quart d’heure ; mais M. Fabrice, qui approcha de lui familièrement sept années de suite, m’a dit que dans son loisir chez les Turcs, ayant vu plus de diverses religions, il étendit plus loin son indifférence[24]. La Motraye même, dans ses Voyages, confirme cette idée. Le comte de Croissy pense de même, et m’a dit plusieurs fois que ce prince ne conserva de ses premiers principes que celui d’une prédestination absolue, dogme qui favorisait son courage, et qui justifiait ses témérités[25]. Le czar avait les mêmes sentiments que lui sur la religion et sur la destinée ; mais il en parlait plus souvent, car il s’entretenait familièrement de tout avec ses favoris, et avait par-dessus Charles l’étude de la philosophie et le don de l’éloquence.

Je ne puis me défendre de parler ici d’une calomnie renouvelée trop souvent à la mort des princes, que les hommes malins et crédules prétendent toujours avoir été ou empoisonnés ou assassinés. Le bruit se répandit alors en Allemagne que c’était M. Siquier lui-même qui avait tué le roi de Suède. Ce brave officier fut longtemps désespéré de cette calomnie ; un jour, en m’en parlant, il me dit ces propres paroles : « J’aurais pu tuer le roi de Suède ; mais tel était mon respect pour ce héros que, si je l’avais voulu, je n’aurais pas osé[26]. »

[27]Je sais bien que Siquier lui-même avait donné lieu à cette fatale accusation, qu’une partie de la Suède croit encore ; il m’avoua lui-même qu’à Stockholm, dans une fièvre chaude, il s’était écrié qu’il avait tué le roi de Suède ; que même il avait dans son accès ouvert la fenêtre, et demandé publiquement pardon de ce parricide. Lorsque dans sa guérison il eut appris ce qu’il avait dit dans sa maladie, il fut sur le point de mourir de douleur. Je n’ai point voulu révéler cette anecdote pendant sa vie. Je le vis quelque temps avant sa mort, et je peux assurer que loin d’avoir tué Charles XII, il se serait fait tuer pour lui mille fois. S’il avait été coupable d’un tel crime, ce ne pouvait être que pour servir quelque puissance qui l’en aurait sans doute bien récompensé ; il est mort très-pauvre en France, et même il y a eu besoin du secours de ses amis. Si ces raisons ne suffisent pas, que l’on considère que la balle qui frappa Charles XII ne pouvait entrer dans un pistolet, et que Siquier n’aurait pu faire ce coup détestable qu’avec un pistolet caché sous son habit[28].

Après la mort du roi on leva le siége de Frédrickhall ; tout changea dans un moment : les Suédois, plus accablés que flattés de la gloire de leur prince, ne songèrent qu’à faire la paix avec leurs ennemis, et à réprimer chez eux la puissance absolue dont le baron de Görtz leur avait fait éprouver l’excès. Les états élurent librement pour leur reine la princesse, sœur de Charles XII[29], et l’obligèrent solennellement de renoncer à tout droit héréditaire sur la couronne, afin qu’elle ne la tînt que des suffrages de la nation. Elle promit, par des serments réitérés, qu’elle ne tenterait jamais de rétablir le pouvoir arbitraire ; elle sacrifia depuis la jalousie de la royauté à la tendresse conjugale, en cédant la couronne à son mari[30], et elle engagea les états à élire ce prince, qui monta sur le trône aux mêmes conditions qu’elle.

Le baron de Görtz, arrêté immédiatement après la mort de Charles, fut condamné par le sénat de Stockholm à avoir la tête tranchée au pied de la potence de la ville : exemple de vengeance peut-être encore plus que de justice, et affront cruel à la mémoire d’un roi que la Suède admire encore[31].

FIN DE L’HISTOIRE DE CHARLES XII.
  1. La veille de ce jour, la France avait signé avec la Suède un traité d’alliance offensive.
  2. Il y avait eu entente avec la régence de Suède. Les Prussiens acceptaient de se retirer moyennant le remboursement de quarante mille écus. Charles aima mieux faire la guerre. (Manuscrits de la Bibliothèque nationale.)
  3. Charles XII attendait dans Stralsund l’arrivée par mer des secours que lui avait promis la France. Mais son malheur voulut que, justement à cette époque, survînt la mort de Louis XIV, 1er septembre 1715. Le général en chef des Saxons, voulant effrayer les Suédois par cette mauvaise nouvelle, la fit annoncer par un trompette. Charles se contenta de lui faire répondre de dessus les murailles, par un autre trompette : « Si Louis XIV est mort, Charles XII vit encore ! » Chroniques moldaves. (A. G.)
  4. M. de Koppen avait étudié à Stralsund ; il s’y était souvent baigné dans la mer et en connaissait la profondeur. Il reconnut que le retranchement se terminait à un endroit où la mer n’avait qu’environ quatre pieds ; il en fit part au roi, et fut détaché pour se rendre maître des retranchements. Manuscrits. (A. G.)
  5. Voyez page 213.
  6. Voyez page 308.
  7. Cette dernière phrase n’est pas dans les premières éditions.
  8. Il est impossible de ne pas songer ici à l’état de la France en 1813. (G. A.)
  9. « Albéroni, dit Saint-Simon, c. 161, était fils d’un jardinier, qui, se sentant de l’esprit, avait pris un petit collet pour, sous une figure d’abbé, aborder où son sarrau de toile eût été sans accès. Il était bouffon ; il plut à M. de Parme comme un bas valet dont on s’amuse ; en s’en amusant, il lui trouva de l’esprit, et qu’il pouvait n’être pas incapable d’affaires. Il le chargea d’une affaire à traiter avec le maréchal de Vendôme, à qui il plut.... Il fit à M. de Vendôme, qui aimait les mets extraordinaires, des soupes au fromage et d’autres ragoûts étranges, qu’il trouva excellents... Il changea de maître ; et bientôt après, sans cesser son métier de bouffon et de faiseur de potages et de ragoûts bizarres, il mit le nez dans les lettres de M. de Vendôme, y réussit à son gré, et devint son principal secrétaire... et ami de confiance... »
  10. Né à Avignon en 1669, mort en 1752.
  11. Voyez le chapitre VIII de l’Histoire de Russie.
  12. Le cardinal Albéroni lui-même a certifié la vérité de tous ces récits dans une lettre de remerciement à l’auteur. Au reste, M. Nordberg, aussi mal instruit des affaires de l’Europe que mauvais écrivain, prétend que le duc d’Ormond ne quitta pas l’Angleterre à l’avénement du roi George Ier, mais immédiatement après la mort de la reine Anne ; comme si George Ier n’avait pas été le successeur immédiat de cette reine. (Note de Voltaire.)
  13. Dans l’édition de 1731, il y a : monnaies fictices ; dans celle de 1737, monnaies idéales ; dans celles de 1746, 1751, et de Kehl, monnaies fictives ; dans celles de 1748, 1752, 1756, 1761, 1768 (in-4°) et 1775, monnaies fictrices. L’exemplaire de 1748, avec corrections manuscrites, dont j’ai parlé dans mon avertissement, porte (au moyen d’une correction) monnaies fictices. (B.)

    — Une monnaie fictive est celle qui représente une monnaie réelle. Une monnaie fictice est celle qui est figurée, feinte, qui n’a pas de valeur intrinsèque. Le Dictionnaire de l’Académie n’a adopté que le mot fictif.

  14. Allusion aux actions du banquier Law. (G. A.)
  15. Voilà ce que Nordberg appelle manquer de respect aux têtes couronnées, comme si ce récit véritable contenait une injure, et comme si on devait aux rois qui sont morts autre chose que la vérité. Pense-t-il que l’histoire doive ressembler aux sermons prêches devant les rois, dans lesquels on leur fait des compliments ? (Note de Voltaire.)
  16. Il avala un gigot et un dindon. (G. A.)
  17. Nordberg prétend que ce fut pour se guérir d’un mal de poitrine que Charles XII essaya cette étrange abstinence : le confesseur Nordberg est assurément un mauvais médecin. (Note de Voltaire.)
  18. Quoi que dise Voltaire par avance, le récit qu’il va faire n’est pas véridique. (G. A.)
  19. C’est lui, paraît-il, qui assassina Charles XII.
  20. Voltaire a écrit Kulbert. (B.)
  21. Le procès-verbal de l’autopsie cadavérique, faite en 1746, établit que le coup qui avait traversé les deux tempes n’y avait laissé qu’une blessure longue de sept lignes et large de deux. Une balle d’une demi-livre eût laissé bien d’autres traces. Charles XII fut trouvé mort ayant la main droite sur la poignée de son épée à moitié tirée du fourreau : circonstance qui prouve que le roi a vu le coup qui le menaçait, et voulait se défendre. On croit que Siquier était l’instrument de Frédéric de Hesse, beau-frère de Charles XII. (B.)
  22. Il faut lire dans Lémontey, Histoire de la Régence, tome Ier, page 128, et tome II, page 383, beaucoup de curieux détails sur la fin du règne de Charles XII et sur le misérable état dans lequel il laissait la Suède à sa mort : l’agriculture et le service des postes abandonnés aux femmes, une population composée de vieillards et d’enfants, etc.
  23. Elle prouve aussi qu’il avait approfondi jusqu’à un certain point la théorie des nombres, puisqu’il connaissait la nature et les propriétés des échelles arithmétiques. (K.)
  24. Un de ses chapelains, dit La Motraye, m’a dit qu’il fut très-dévot jusqu’à Pultava, ne manquant jamais, avant une action, ou aux heures marquées pour la prière, de se mettre à genoux en pleine campagne, sans coussin ni tapis, et priant de la manière du monde la plus exemplaire, et cela dès sa première campagne contre le Danemark, avant donc qu’il eût entendu parler de M. Leibnitz ; mais à voir son indifférence et son peu d’attention aux sermons ou aux prières depuis Pultava, il semblait que, se croyant abandonné du ciel, il l’eut abandonné comme par représailles.
  25. « Voyez-vous là-haut cette étoile ? dit une fois Napoléon au cardinal Fosch. — Non, sire. — Regardez bien. — Sire, je ne la vois pas. — Hé bien ! moi, je la vois. » (M. de Ségur, livre II, chapitre III.)
  26. On lit dans les lettres de Villelongue à Voltaire (Bibliothèque nationale, manuscrits) : « M. de Rémuzat peut rappeler sa mémoire et vous raconter bien des choses. M. de Siker aussi, si vous voulez l’assurer que vous ne lui ferez point de tort dans le public avec les vérités qu’il pourra vous dire, etc. »
  27. Cet alinéa n’a été ajouté qu’en 1748. (B.)
  28. Beaucoup de gens prétendent encore que Charles XII fut la victime de la haine qu’il avait inspirée à ses sujets. Cette opinion n’est pas même destituée de vraisemblance. M. de Voltaire ne l’ignorait pas ; mais comme il ne pouvait vérifier les petites circonstances sur lesquelles cette opinion s’appuie, il a préféré la passer sous silence. On garde à Stockholm le chapeau de Charles XII ; et la petitesse du trou dont il est percé est une des raisons de ceux qui veulent croire qu’il périt par un assassinat. (K.) — Las Cases, dans le Mémorial de Sainte-Hélène, dit qu’il tenait de la propre bouche de Gustave III que Charles avait été assassiné par les siens, que la balle était d’un pistolet, qu’elle avait été tirée de près, et par derrière. On avait fait l’autopsie du cadavre le 12 juillet 1746. — Voyez la note 3 de la page 348.
  29. Ulrique-Éléonore, morte le 5 décembre 1741, à cinquante-quatre ans.
  30. Frédéric de Hesse-Cassel, associé, avec l’agrément des états, au trône de Suède, le 4 avril 1720, mourut le 5 avril 1751, à soixante-quinze ans.
  31. Le baron de Görtz expia les fautes commises par Charles XII ; on l’accusa d’avoir été l’instigateur de toutes les mesures oppressives qui avaient accablé la Suède. Jugé par une commission spéciale, il se défendit avec noblesse, et, après un procès inique, il fut condamné et exécuté à Stockholm, le 2 mars 1719.

    Il est nécessaire d’ajouter quelques mots pour indiquer au moins le résultat de tant d’efforts et de tant d’intrigues : la mort de Charles XII confondit tous les projets de Görtz et d’Albéroni ; et de toute cette ligue terrible, à peine commencée, il ne resta de puissant que le czar. La Suède avait été épuisée par Charles XII, et le nouveau roi Frédéric fut heureux d’accepter la médiation du duc d’Orléans. Un congrès s’assembla à Nystadt en Finlande. On souscrivit à toutes les volontés de Pierre ; on lui céda la Livonie, l’Estonie, l’Ingrie, la Carélie, le pays de Viborg, les îles d’Œsel, Dago, etc. Il était maître de la Baltique. Des fêtes magnifiques signalèrent ce glorieux événement, et l’on décerna à Pierre les noms de Grand et de Père de la patrie. (L. G.) — Voyez l’ouvrage suivant.