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Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Moyen Âge/Livre 12/Chapitre 1

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Œuvres complètes de J. Michelet
(Histoire de Francep. 278-321).

LIVRE XII


CHAPITRE PREMIER

Charles VII — Philippe-le-Bon. — Guerres de Flandre. (1436-1453.)


Au moment où l’on apprit à la cour de Bourgogne que Talbot débarquait en Guyenne, un confident de Philippe-le-Bon ne put s’empêcher de dire : « Plût à Dieu que les Anglais fussent aussi bien à Rouen et dans toute la Normandie[1]. »

C’est qu’à ce moment même le roi avait à Gand des envoyés, il essayait d’intervenir entre le duc et les Flamands en armes ; sans le débarquement de Talbot, il allait peut-être, comme suzerain et protecteur, venir en aide à la ville de Gand.

Au reste, la mésintelligence avait commencé bien avant, dès le traité d’Arras ; la guerre diplomatique datait de la paix même. La maison de Bourgogne, cette branche cadette de France, devient peu à peu ennemie de la France, anglaise de volonté ; bientôt elle le sera d’alliance et de sang. La duchesse de Bourgogne, la sérieuse et politique Isabelle, qui est Lancastre du côté de sa mère, viendra à bout de marier son fils à une Anglaise, Marguerite d’York ; celle-ci, à son tour, donnera sa fille, son unique enfant, à l’Autrichien Maximilien, qui compte les Lancastre parmi ses aïeux maternels ; en sorte que leur petit-fils, l’étrange et dernier produit de ces combinaisons, Charles-Quint, Bourguignon, Espagnol, Autrichien, n’en est pas moins trois fois Lancastre[2].

Tout cela se fit doucement, lentement, un long travail de haine par des moyens d’amour, par alliances, mariages et de femmes en femmes. Les Isabelle, les Marguerite, et les Marie, ces rois en jupe des Pays-Bas (qui n’en souffraient guère d’autres), ont pendant plus d’un siècle ourdi de leurs belles mains la toile immense où la France semblait devoir se prendre[3].

Dès maintenant la lutte est entre Charles VII d’une part, de l’autre Philippe-le-Bon et sa femme Isabelle, lutte entre le roi et le duc, entre deux rois plutôt et Philippe n’est pas le moins roi des deux.

Il a certainement plus de prise sur le roi que Charles VII n’en a sur lui. Il tient toujours Paris de près par Auxerre et Péronne, tandis que, tout autour, ses beaux cousins, ses chevaliers de la Toison, occupent les postes de Nemours, de Montfort et de Vendôme. Au centre même de la France, s’il y voulait entrer, le duc d’Orléans lui donnerait passage sur la Loire. Partout, les grands sont ses amis ; ils l’aiment davantage à mesure que le roi devient maître. Où il n’agit pas, il influe ; tandis que sur toute la frontière il acquiert, prend, hérite, achète et cerne peu à peu le royaume, il est déjà partout au cœur.

Le roi, quelle arme a-t-il contre le duc de Bourgogne ? Sa haute juridiction ; mais les provinces françaises de son adversaire, bien loin de réclamer cette juridiction, craignent de se rattacher au royaume, de partager ses extrêmes misères. La Bourgogne par exemple, à qui son duc ne demandait guère que des hommes, presque point d’argent, n’eût voulu pour rien au monde avoir affaire au roi[4].

Les pays, au contraire, qui se croyaient bien surs de n’être pas français, qui ne craignaient pas les empiétements de la fiscalité française, hésitaient moins à recourir au roi, à invoquer, sinon sa juridiction, au moins son arbitrage. Liège et Gand étaient en correspondance habituelle avec la France ; le roi y avait un parti, il y tenait des gens pour profiter des mouvements, pour les exciter quelquefois. Ces formidables machines populaires lui servaient, quand son adversaire avançait trop sur lui, à le tirer en arrière et l’obliger de tourner la tête.

C’était la force et la faiblesse du duc de Bourgogne d’avoir ces grosses villes, ces populations si nombreuses, si riches, mais si agitées. Dans cette mort du quinzième siècle, lui, il gouvernait des vivants. Quoi de plus beau que la vie, mais quoi de plus inquiet, de plus difficile à régler ? Une vie puissante bouillonnait dans les Flandres.

Que ce pays ait contenu tant de germes de troubles, on peut s’en étonner. La Flandre, c’est le travail ; le travail n’est-ce pas la paix ?… Le laborieux tisserand de Flandre semble au premier coup d’œil le frère des humiliati lombards, l’imitateur des pieux ouvriers de saint Antoine et de saint Pacôme, de ces bénédictins auxquels saint Benoît dit : « Être moine, c’est travailler[5]. » Quoi de plus saint et de plus pacifique ?… Ce tisserand paraît presque plus moine que le moine ; seul, dans l’obscurité de l’étroite rue, de la cave profonde, créature dépendante des causes inconnues qui allongent le travail, diminuent le salaire, il se remet de tout à Dieu. Sa foi, c’est que l’homme ne peut rien par lui-même, sinon aimer et croire. On appelait ces ouvriers beghards (ceux qui prient) ou lollards[6], d’après leurs pieuses complaintes, leurs chants monotones, comme d’une femme qui berce un enfant[7].

Le pauvre reclus se sentait bien toujours mineur, toujours enfant, et il se chantait un chant de nourrice pour endormir l’inquiète et gémissante volonté aux genoux de Dieu.

Doux et féminin mysticisme. Aussi y eut-il encore plus de béguines que de beghards. Quelques-unes, de leur vivant, furent tenues pour saintes ; témoin celle de Nivelle que le roi de France, Philippe-le-Hardi, envoya consulter. Généralement, elles vivaient ensemble dans des béguinages où se trouvaient unis des ateliers et des écoles, et à côté il y avait l’hôpital où elles soignaient les pauvres. Ces béguinages étaient d’aimables cloîtres, non cloîtrés. Point de vœux, ou très courts ; la béguine pouvait se marier ; elle passait, sans changer de vie, dans la maison d’un pieux ouvrier. Elle la sanctifiait ; l’obscur atelier s’illuminait d’un doux rayon de la grâce.

« Il ne faut pas que l’homme soit seul. » Cela est vrai partout, bien plus en ces contrées, dans ce pluvieux Nord (qui n’a pas la poésie du Nord des glaces), sous ces brouillards, dans ces courtes journées… Qu’est-ce que les Pays-Bas, sinon les dernières alluvions, sables, boues et tourbières, par lesquelles les grands fleuves, ennuyés de leur trop long cours, meurent, comme de langueur, dans l’indifférent Océan[8] ?

Plus la nature est triste, plus le foyer est cher. Là plus qu’ailleurs, on a senti le bonheur de la vie de famille, des travaux, des repos communs… Il y a peu d’air et peu de jour peut-être sous ces étages qui surplombent, et pourtant la Flamande trouve encore moyen d’y élever une pâle fleur. Il n’importe guère que la maison soit sombre, l’homme ne peut s’en apercevoir[9] ; il est près des siens, son cœur chante… Qu’a-t-il besoin de la nature ? Dans quelle campagne verrait-il plus de soleil que dans les yeux de sa femme et de ses enfants ?

La famille, le foyer, c’est l’amour. Et c’est aussi le nom d’amour ou d’amitié[10] qu’ils donnaient à la famille de choix, à la grande confrérie ou commune. L’on disait l’amitié de Lille, l’amitié d’Aire, etc. Cela s’appelait encore (et plus souvent) ghilde, ou contribution, sacrifice mutuel[11]. Tous pour chacun, chacun

pour tous, leur mot de ralliement à Gourtrai : « Mon ami, mon bouclier. »

Simple et belle organisation. Chaque homme, chaque famille est représentée dans la cité par sa maison qui paie et répond pour lui ; le comte, tout comme un autre, doit avoir sa maison qui réponde à son petit nom d’Hanotin de Flandre. Chaque famille d’amis ou confrérie a de même sa maison qu’elle orne et pare à l’envi, qu’elle sculpte et peint au dehors, au dedans. Combien plus orneront-ils la maison de l’Amitié générale, la maison de ville ! Nulle dépense ne coûtera, nul effort pour en élargir le portail, en exhausser le beffroi, en sorte que les villes voisines le voient de dix lieues sur les grandes plaines, et que leurs tours fassent la révérence à la dominante tour.

Telle apparaît au loin celle de Bruges, svelte et majestueuse tout ensemble, par-dessus la forte halle qui gardait le trésor des dix-sept nations. Tel s’étend, plus large de cent pieds que toute la longueur de Notre-Dame de Paris, l’incomparable façade de la halle d’Ypres… Celui qui rencontre dans une petite ville déserte ce monument, digne des plus puissants empires, reste muet devant une telle grandeur… Et la grandeur n’est pas ce qu’il faut admirer ici ; mais bien l’identité des formes, l’harmonie, l’unité de plan, celle de volonté qui dut gouverner la ville pendant cette longue construction[12] ; vous croyez y voir un peuple voulant comme un homme, une concorde persévérante, un siècle au moins d’amitié.

Vraie cathédrale du peuple, aussi haute que sa voisine, la cathédrale de Dieu[13]. Si la première eût rempli sa destinée, si ces villes eussent suivi jusqu’au bout leur idée vitale, la maison de l’amitié eût fini par contenir tous les amis, toute la ville ; elle n’eût pas été seulement le comptoir des comptoirs, mais l’atelier des ateliers[14] le foyer des foyers, la table des tables, de même qu’en son beffroi semblent s’être réunies les cloches des quartiers, des confréries, des justices[15]. Par-dessus toutes ces voix, qu’il accorde et qu’il domine, se joue souverainement le carillon de la loi, avec son Martin ou Jacquemart. Cloche de bronze, homme de fer ; celui-ci est le plus vieux bourgeois de la ville, le plus gai, le plus infatigable, avec sa femme Jacqueline… Que chantent-ils nuit et jour, d’heure en heure, de quart en quart ? Un seul chant, celui du psaume : Quam jucundum est fratres habitare in unum !

Voilà l’idéal, le rêve ! un peuple travaillant dans l’amour… Mais le diable en est jaloux.

Il ne lui faut pas grand’place ; il aura toujours bien un coin dans la plus sainte maison. Au sanctuaire même de piété, dans cette cellule de béguine (d’où Lucas de Leyde a tiré son aimable Annonciation), il trouvera prise. Où donc ? Au petit ménage, « au petit jardin[16] ». Pour le cacher, il suffirait d’une feuille de ce beau lis[17].

Moins qu’une feuille, un souille, un chant… Dans la pieuse complainte du tisserand que nous écoutions naguère, est-il sur que tout soit de Dieu ?… Le chant qu’il se chante à lui-même ne rappelle ni les airs rituels de l’église[18], ni les airs officiels[19] des confréries… Ce solitaire ouvrier de la banlieue, ce buissonnier[20], comme on l’appelle, quelles sont ses secrètes pensées ? Ne peut-il pas lui arriver de lire quelque jour dans son Évangile que le plus petit sera le plus grand ? Rejeté du monde, adopté de Dieu, s’il s’avisait de réclamer le monde, comme héritage de son Père ?… On sait qu’il menait la vie de lollard, qu’il péchait[21], tout en rêvant, dans l’Escaut, ce Philippe Artevelde qui jeta là un matin son filet pour prendre la tyrannie des Flandres. Le roi tailleur de Leyde[22] songea, en taillant son drap, que Dieu l’appelait à tailler les royaumes… En ces ouvriers mystiques, en ces doux rêveurs, résidait un élément de trouble, vague et obscur encore, mais bien autrement dangereux que le bruyant orage communal qui éclatait à la surface ; des ateliers souterrains, des caves, s’entendait, pour qui eût su entendre, un sourd et lointain grondement des révolutions à venir.

Ce que le lollard est pour l’Église et la commune, le tisserand buissonnier pour la confrérie[23], la campagne en général l’est pour la ville, la petite ville pour la grande[24]. Que la petite prenne garde d’élever trop haut sa tour, qu’elle n’aille pas fabriquer ou vendre sans expresse autorisation… Cela est dur. Et pourtant, s’il en eût été autrement, la Flandre n’eût pu subsister ; disons mieux, selon toute apparence, elle n’eût existé jamais. Ceci demande explication.

La Flandre s’est formée, pour ainsi dire, malgré la nature ; c’est une œuvre du travail humain. L’occidentale a été en grande partie conquise sur la mer qui, en 1251, était encore tout près de Bruges[25]. Jusqu’en 1348, on stipulait dans les ventes de terres que le contrat serait résilié si la terre était reprise par la mer avant dix ans[26]. La Flandre orientale a eu à lutter tout autant contre les eaux douces. Il lui a fallu resserrer, diriger tant de cours d’eaux qui la traversent. De polder en polder[27], les terres ont été endiguées, purgées, raffermies ; les parties même qui semblent aujourd’hui les plus sèches, rappellent par leurs noms[28] qu’elles sont sorties des eaux.

La faible population de ces campagnes, alors noyées, malsaines, n’eût jamais fait à coup sûr des travaux si longs et si coûteux. Il fallait beaucoup de bras, de grandes avances, surtout pouvoir attendre. Ce ne fut qu’à la longue, lorsque l’industrie eut entassé les

hommes et l’argent dans quelques fortes villes, que la population débordante put former des faubourgs, des bourgs, des hameaux, ou changer les hameaux en villes. Ainsi généralement la campagne fut créée par la ville, la terre par l’homme ; l’agriculture fut la dernière manufacture née du succès des autres.

L’industrie, ayant fait ce pays de rien, méritait bien d’en être souveraine[29]. Les trois grands ateliers, Gand, Ypres et Bruges, furent les trois membres de Flandre. Ces villes considéraient la plupart des autres comme leurs colonies, leurs dépendances ; et, en effet, à regarder ce vaste jardin où les habitations se succèdent sans interruption, les petites villes autour d’une cité apparaissent comme ses faubourgs, un peu éloignés d’elle, mais en vue de sa tour, souvent même à portée de sa cloche. Elles profitaient de son voisinage, se couvrant de sa bannière redoutée, se recommandant de son industrie célèbre. Si la Flandre fabriquait pour le monde, si Venise d’une part, de l’autre Bergen ou Novogorod, venait chercher les produits de ses ateliers, c’est qu’ils étaient marqués du sceau[30] révéré de ses principales villes. Leur réputation faisait la fortune du pays, y accumulait la richesse, sans laquelle on n’eût jamais pu accomplir l’énorme travail de rendre cette terre habitable, en sorte qu’elles pouvaient dire, avec quelque apparence : « Nous gouvernons la Flandre, mais c’est nous qui l’avons faite. »

Ce gouvernement, pour être une gloire, n’en était pas moins une charge. L’artisan payait cher l’honneur d’être de « Messieurs de Gand ». Sa souveraineté lui coûtait bien des journées de travail ; la cloche l’appelait aux assemblées, aux élections, fréquemment aux armes. L’assemblée armée, le wapening, ce beau droit germanique qu’il maintenait si fièrement, n’en était pas moins un grand trouble pour lui. Il travaillait moins, et d’autre part, dans ces populeuses villes, il payait les vivres plus cher. Aussi, quantité de ces ouvriers souverains aimaient mieux abdiquer et s’établir modestement dans quelque bourg voisin, vivant à bon marché, fabriquant à bas prix, profitant du renom de la ville, détournant ses pratiques. Celle-ci finissait par interdire le travail à la banlieue. La population se portait plus loin, dans quelque hameau qui devenait une petite ville, dont la grande brisait les métiers[31]. De là des haines terribles, d’inexpiables violences, des sièges de Troie ou de Jérusalem autour d’une bicoque[32], l’infini des passions dans l’infiniment petit,

Les grandes villes, malgré les petites, malgré le comte, auraient maintenu leur domination, si elles étaient restées unies. Elles se brouillèrent pour diverses causes, d’abord à l’occasion de la direction des eaux, question capitale en ce pays. Ypres entreprit d’ouvrir au commerce une route abrégée, en creusant l’Yperlé, le rendant navigable, et dispensant ainsi les bateaux de suivre l’immense détour des anciens canaux, de Gand à Damme, de Damme à Nieuport. De son côté, Bruges voulait détourner la Lys, au préjudice de Gand. Celle-ci, placée au centre naturel des eaux, au point où se rapprochent les fleuves, souffrait de toute innovation. Malgré les secours que les Brugeois tirèrent de leur comte et du roi de France, malgré la défaite des Gantois à Roosebeke, Gand prévalut sur Bruges ; elle lui donna une cruelle leçon, et elle maintint l’ancien cours de la Lys. Elle eut moins de peine à prévaloir sur Ypres ; par menace ou autrement, elle obtint du comte sentence pour combler l’Yperlé[33].

Dans cette question des eaux qui remplit le quatorzième siècle, la dispute fut entre les villes ; le comte y était auxiliaire autant ou plus que partie principale. Au quinzième, la lutte fut directement entre les villes et le comte ; la désunion des villes les fit succomber. Bruges ne fut point soutenue de Gand (1436), et il lui fallut se soumettre. Gand ne fut pas soutenue de Bruges (1453), et Gand fut brisée.

L’occasion de la révolte de 1436 fut le siège de Calais. Les Flamands, irrités alors contre l’Angleterre, qui maltraitait leurs marchands et se mettait à fabriquer elle-même, avaient pris ce siège à cœur ; ils en avaient fait une croisade populaire, y avaient été en corps de peuple, bannières par bannières, apportant avec eux quantité de bagages, de meubles, jusqu’à leurs coqs, comme pour indiquer qu’ils y élisaient domicile[34] jusqu’à la prise de Calais… Et tout à coup, ils étaient revenus. Ils alléguaient pour excuse, et non sans apparence, qu’ils n’avaient point été soutenus des autres sujets du comte, ni des Hollandais par mer, ni par terre de la noblesse wallonne. L’expédition ayant manqué par la faute des autres, ils réclamaient leur droit ordinaire d’armement général, une robe par homme ; on se moqua de la réclamation.

Les voilà irrités et honteux, accusant tout le monde. Gand mit à mort un doyen des métiers qui avait commandé la retraite. Bruges accusait ses vassaux, les gens de l’Écluse, de n’avoir pas suivi sa bannière ; elle accusait la noblesse des côtes, à qui elle payait pension pour garder la mer et repousser les pirates. Loin de les repousser, les ports avaient vendu des vivres aux Anglais, au moment même où ils enlevaient dans la campagne (chose horrible) cinq mille enfants[35] ; les paysans furieux mirent à mort l’amiral de Horn et le trésorier de Zélande, qui avaient assisté à la descente sans y mettre obstacle. Zélandais, Hollandais, s’étaient visiblement arrangés avec les Anglais, ils ne bougèrent point[36].

Bruges éclata ; les forgerons crièrent que tout irait mal tant qu’on ne tuerait pas les grosses têtes qui trahissaient, qu’il fallait faire comme ceux de Gand. Ce dernier mot semblait devoir peu réussir à Bruges, où, depuis l’affaire de la Lys, on détestait les Gantais. Mais il se trouva cette fois que les tout-puissants marchands de Bruges, les Hanséatiques, qui ordinairement calmaient les révoltes, avaient justement alors intérêt à la révolte ; le duc leur faisait la guerre en Hollande et plus tard en Frise, ils trouvèrent bon sans doute de l’occuper en Flandre, d’unir contre lui Bruges et Gand. Ce qui est sûr, c’est que le peuple de Bruges reçut d’une seule ville de la Hanse cinq mille sacs de blé[37].

Gand avait commencé avant Bruges, elle finit avant. Une population d’ouvriers avait moins d’avances, moins de ressources qu’une ville de marchands qui d’ailleurs étaient soutenus du dehors. Quand les Gantais eurent chômé quelque temps, ils commencèrent à trouver que c’était trop souffrir, et pourquoi ? pour conserver à Bruges sa domination sur la côte. Les Brugeois s’étaient donné un tort, dans lequel les Gantais, gens formalistes et scrupuleux, devaient trouver prétexte pour abandonner leur parti. Le serment féodal engageait le vassal à respecter la vie de son seigneur, son corps, ses membres, sa femme, etc.

Le duc, ayant compté là-dessus, s’était jeté dans Bruges et avait failli y périr. La duchesse, non moins hardie, avait cru imposer en restant, et le peuple avait arraché d’auprès d’elle la veuve de l’amiral. Nous trouvons ainsi cette princesse mêlée de sa personne dans toutes ces terribles affaires, en Hollande comme en Flandre. Elle se chargea, en 1444, de calmer la révolte des cabéliaux, qui voulaient tuer leur gouverneur, M. de Lannoy, et ils le cherchèrent jusque sous sa robe.

Un jour donc, le doyen des forgerons de Gand plante la bannière des métiers sur le marché, et dit que, puisque personne ne s’occupe de rétablir la paix et le commerce, il faut y pourvoir soi-même. Chacun s’effraie et craint un mouvement de la populace. Mais c’était tout le contraire ; près des forgerons vinrent se ranger les orfèvres, les gros de la ville, les mangeurs de foie[38] ; ils avaient imaginé de faire commencer par les pauvres une réaction aristocratique. Les tisserands même, fort divisés, mais qui après tout mouraient de faim, depuis que la laine anglaise ne leur venait plus, finirent par se mettre du côté de la paix à tout prix.

Un honorable bourgeois fut fait capitaine, et ce qui flatta fort la ville, c’est qu’avec l’autorisation du comte il exerça une sorte de dictature dans la Flandre, menant les milices vers Bruges, et lui signifiant qu’elle eût à se soumettre à l’arbitrage du comte, à reconnaître l’indépendance de l’Écluse et du Franc. Bruges indignée, par représailles, envoya des émissaires à Courtrai et autres villes dépendantes de Gand, pour les engager à s’en affranchir. Le capitaine de Gand fit décapiter ces émissaires ; il défendit qu’on portât des vivres à Bruges, et donna ordre que partout où les Brugeois paraîtraient, on sonnât contre eux la cloche d’alarme. Il fallut bien que Bruges cédât, qu’elle reconnût le Franc pour quatrième membre de Flandre.

C’était un beau succès pour le comte d’avoir brisé l’ancienne trinité communale, un plus grand d’avoir fait cela par les mains de Gand, d’avoir créé contre elle une éternelle haine, de l’avoir isolée pour toujours. Gand restait plus faible en réalité, par suite de cette triste victoire, plus faible et plus orgueilleuse, persuadée qu’elle était que le comte n’eût jamais pacifié la Flandre sans elle. La bannière souveraine de Flandre était-elle désormais celle de Gand ou celle du comte ? cela devait tôt ou tard se régler par une bataille.

Quoi qu’aient pu dire les chroniqueurs gagés de la maison de Bourgogne contre les Gantais, cette population ne paraît pas avoir été indigne du grand rôle qu’elle joua. Ces gens de métier, fort renfermés, connaissant peu le monde (en comparaison des marchands de Bruges), de plus, préoccupés des petits gains et des petites dévotions qui ne peuvent étendre l’esprit[39], n’en montrèrent pas moins souvent un véritable instinct politique, toujours du courage, assez d’esprit de suite, parfois de la modération. Gand, après tout, est le cœur, l’énergie des Flandres, comme leur grand centre pour les eaux, pour les populations. Ce n’est pas sans raison que tant de rivières y viennent déposer vingt-six villes en une cité, et se marier ensemble au Pont du jugement.

Le jugement suprême de la Flandre orientale résidait en effet dans l’échevinage de Gand. Les villes voisines, qui elles-mêmes étaient des capitales, des tribunaux supérieurs (la seule Alost pour cent soixante-dix cantons, deux principautés, une foule de baronnies[40]), étaient obligées d’y ressortir. Courtrai et Oudenarde, si grandes et si fortes, Alost et Dendermonde, fiefs d’Empire, libres alleux ou fiefs du soleil, n’en étaient pas moins forcées d’aller défendre leurs appels à Gand, de répondre à la loi de Gand, de reconnaître en elle un juge, et ce juge n’était que trop souvent, comme dit la vieille formule allemande, un lion courroucé.

Chose bizarre, et qui ne s’explique que par l’extrême attachement des Flamands aux traditions de familles et de communes, ces grandes villes d’industrie, loin

d’avoir la mobilité que nous voyons dans les nôtres, se faisaient une religion de rester fidèles à l’esprit du droit germanique, si peu en rapport avec leur existence industrielle et mercantile. Il ne s’agit donc pas ici, comme on pourrait croire, d’une querelle spéciale entre le comte et une ville ; c’est la grande et profonde lutte de deux droits et de deux esprits.

Les hommes de basse Allemagne, comme d’Allemagne en général, n’avaient jamais eu beaucoup d’estime pour nous autres Welches, pour le droit scribe, paperassier, chicaneur, défiant, du Midi. Le leur était, à les entendre, un droit simple et libre, fondé sur la bonne foi, sur la ferme croyance à la véracité de l’homme. En Flandre, les grandes assemblées judiciaires s’appelaient vérités, franches et pacifiques vérités[41], parce que les hommes libres y siégeaient pour chercher le vrai[42] en commun. Chacun disait, ou devait dire le vrai, même contre soi. Le défendeur pouvait se justifier par sa propre affirmation, jurer son innocence, puis tourner le dos et aller son chemin. Tel était l’idéal de ce droit[43], sinon la pratique.

Le peuple ne pouvant toujours rester assemblé, les jugements se faisaient par quelques-uns du peuple que l’on appelait la loi. La loi se réunissait, prononçait, exécutait par son vorst ou président, qui tenait l’épée de justice. Vorst est en Flandre le propre nom du comte[44]. Il ne devait présider qu’en personne ; s’il commettait un lieutenant, ce lieutenant était réputé la propre personne du comte, de même que la loi, si peu nombreuse qu’elle fût, était comme le peuple entier. Aussi, il n’y avait point d’appel[45], les jugements étaient exécutés immédiatement[46]. À qui eût-on appelé ? au comte ? au peuple ? Mais tous deux avaient été présents. Le peuple même avait jugé, il était infaillible ; la voix du peuple est, comme on sait, celle de Dieu.

Le comte et ses légistes bourguignons et francs-comtois ne voulaient rien comprendre à ce droit primitif. Comme il nommait les magistrats, choisissait la loi, il croyait la créer. Ce mot la loi, employé par les Flamands pour désigner simplement les hommes qui doivent attester et appliquer la coutume, le comte le prenait volontiers au sens romain, qui place la loi, le droit, dans le souverain, dans les magistrats, ses délégués.

Les deux principes étaient contraires. Les formes ne l’étaient pas moins. Les procédures des Flamands étaient simples, peu coûteuses, orales le plus souvent ; en cela elles convenaient fort à des travailleurs qui sentaient le prix du temps. De plus, contrairement aux procédures écrites, si sèches et pourtant si verbeuses, surtout prosaïques, ces vieilles formes allemandes s’exprimaient en poétiques symboles, en petits drames juridiques où les parties, les témoins, les juges même, devenaient acteurs.

Il y avait des symboles généraux et communs, employés presque partout, comme la paille rompue dans les contrats[47], la glèbe de témoignage déposée à l’église, l’épée de justice, la cloche, ce grand symbole communal auquel vibraient tous les cœurs. De plus, chaque localité avait quelques signes spéciaux, quelque curieuse comédie juridique, par exemple, à Liège, l’anneau de la porte rouge[48], le chat d’Ypres, etc.[49]. Celui qui regarde ces vieux usages flamands du haut de la sagesse moderne n’y verra sans doute qu’un jeu déplacé dans les choses sérieuses, les amusements juridiques d’un peuple artiste, des tableaux en action, souvent burlesques, les Téniers du droit… D’autres, avec plus de raison, y sentiront la religion du passé, la protestation fidèle de l’esprit local… Ces signes, ces symboles, c’était pour eux la liberté, sensible et tangible ; ils la serraient d’autant plus qu’elle allait leur échapper : Ah ! Freedom is a noble thing[50] !…

Des villages aux villes, des villes à la grande cité, de celle-ci au comte, du comte au roi, à tous les degrés le droit d’appel était contesté ; à tous, il était odieux, parce qu’en éloignant les jugements du tribunal local, il les éloignait aussi de plus en plus des usances du pays, des vieilles et chères superstitions juridiques. Plus le droit montait, plus il prenait un caractère abstrait, général, prosaïque, anti-symbolique ; caractère plus rationnel, quelquefois moins raisonnable, parce que les tribunaux supérieurs daignaient rarement s’informer des circonstances locales, qui, dans ce pays, plus que partout ailleurs, peuvent expliquer les faits et les placer dans leur vrai jour.

La guerre de juridiction avait commencé au moment où finissait la guerre des armées, le conflit après le combat (1385). Philippe-le-Hardi ayant vu, par son inutile victoire de Roosebeke, qu’il était plus aisé de battre la Flandre que de la soumettre, lui jura ses franchises, et se mit en mesure de les violer tout doucement. Il fonda chez lui, du côté français, à Lille, un modeste tribunal, une toute petite petite chambre, deux conseillers de justice, deux maîtres des comptes pour faire rentrer les recettes arriérées (les menues sommes seulement), pour informer au besoin contre les officiers du comte, pour protéger contre les gens de guerre et les nobles « les églises, les veuves, les pauvres laboureurs et autres personnes misérables ; » enfin, pour « composer aussy les délicts dont la vérité ne polra clairement estre enfonchié[51] ». Du reste, nul appareil, peu de formes, point de procureur.

Il se trouva peu à peu que la petite chambre attirait tout, que toute affaire se trouvait être de celles dont la vérité ne pouvait être clairement enfoncée. Mais les Flamands ne se laissaient pas faire ; au lieu de débattre leurs droits contre ce tribunal français, ils aimaient mieux embarrasser le duc, alors tuteur du roi de France, en se faisant plus Français que lui, et en disant qu’ils ressortissaient directement au Parlement de Paris.

Au fond, ils ne voulaient dépendre ni de la France ni de l’Empire. L’un et l’autre, à peu près dissous au temps de Charles VI, n’étaient guère en état de réclamer leur suzeraineté. Les embarras continuels de Jean-sans-Peur et de Philippe-le-Bon les firent longtemps serviteurs plutôt que maîtres des Flamands. Le premier pourtant, au moment où il crut avoir tué Liège aussi bien que le duc d’Orléans, en ce moment terrible de violence et d’audace, il osa aussi mettre la main sur les libertés flamandes. Il établit sa justice à Gand, un conseil suprême de justice, où l’on porterait les appels, qui jugerait les Flamands en flamand, mais parlerait français à huis clos.

Ce conseil, placé à Gand, au milieu même du peuple contre la juridiction duquel on l’établissait, ne put faire grand’chose, et finit de lui-même à la mort de Jean. Mais dès que Philippe-le-Bon eut acquis le Hainaut et la Hollande, et qu’il tint ainsi la Flandre serrée de droite et de gauche, il ne craignit point de rétablir le conseil. Peu de gens osèrent s’y adresser ; Ypres, toute déchue qu’elle était, punit une petite ville d’y avoir porté un appel.

Seigneur pour seigneur, les Flamands préféraient quelquefois le plus éloigné, le roi. Les villages en querelle avec Ypres la citèrent devant les gens du roi qui se trouvaient à Lille. Ypres et Cassel, dans une autre occasion, s’adressèrent tout droit à Paris. Le duc de Bourgogne se trouva de plus en plus engagé dans un double procès avec ses deux suzerains, la France et l’Empire, procès complexe, à titre différent. L’Empire réclamait hommage, non jurisdiction. La France réclamait jurisdiction, mais non hommage (le traité de 1435 en dispensait). Le Parlement de Paris devait, selon lui, recevoir les appels de Flandre ; Lyon avait reçu jadis ceux de Mâcon, Sens ceux d’Auxerre. Ces prétentions juridiques étaient d’autant plus difficiles à admettre que derrière venaient les réclamations fiscales. Le roi soutenait qu’il n’avait point abandonné sur les provinces françaises du duc les droits inaliénables de la couronne : monnaie, taille, collation et régale, ici la gabelle, là certains droits sur les vins. La Bourgogne était si peu disposée à reconnaître ces droits, qu’elle tenait, dit-on, des hommes déguisés en marchands pour tuer les sergents royaux qui s’aventuraient à franchir la limite. D’autre part, les gens du roi ne permettaient plus aux Francs-Comtois de venir faucher sur les terres qu’ils avaient de ce côté-ci ; ils leur faisaient payer un droit de passage. De là des plaintes, des violences, une querelle infinie, interminable, sur toute la frontière.

J’ai dit comment, après le mauvais succès de la Praguerie, Philippe-le-Bon avait cru embarrasser le roi en rachetant le duc d’Orléans, en lui faisant tenir l’assemblée des grands à Nevers, laquelle, faute d’audace ou de force, ne réussit qu’à présenter des doléances. À cette guerre d’intrigues contre la France ajoutez celle des armes que le duc faisait à l’Allemagne, en se saisissant du Luxembourg[52]. Ces embarras se compliquèrent et d’une manière alarmante, en 1444, lorsque d’une part la guerre civile éclata en Hollande[53], et que de l’autre les bandes françaises et anglaises, sous la bannière du dauphin, traversèrent les Bourgognes pour aller en Suisse.

Elles auraient bien pu ne pas aller jusqu’en Suisse, la maison d’Anjou poussait le roi à la guerre. Mais la commencer contre la Bourgogne, lorsqu’on n’était encore sûr de rien du côté de l’Angleterre, c’eût été folie. La maison d’Anjou, ne pouvant agir contre son ennemi, s’arrangea avec lui comme avaient fait les ducs d’Orléans, de Bourbon et tant d’autres, comme allait faire le duc de Bretagne. La duchesse de Bourgogne eut en grande partie le mérite de ces négociations[54].

Elle obtint du roi que les appels de Flandre seraient ajournés pour neuf ans[55]. Mais les Flamands ne pouvaient lui en savoir gré, cet ajournement devant profiter au conseil du comte, à ce tribunal qui siégeait contre eux, chez eux, et duquel ils se défendaient bien plus difficilement que des empiétements lointains du Parlement de Paris. L’indépendance que le comte se faisait ainsi contre la France et l’Empire, il ne l’obtenait que par des armements, des intrigues coûteuses, par des dépenses qui retombaient principalement sur la Flandre. La question de juridiction et tous les embarras qu’elle entraînait rendaient de plus en plus grave la question de subsides ; tandis que la cité souffrait chaque jour dans son indépendance et son orgueil, l’individu souffrait dans ses intérêts, dans son argent, c’est-à-dire dans son travail : car les guerres, les fêtes, les magnificences, devaient ajouter des heures à la journée de l’ouvrier.

L’impôt était non seulement lourd, mais singulièrement variable[56] ; de plus, réparti entre les provinces avec une odieuse inégalité[57]. La Bourgogne et le Hainaut payaient peu d’argent ; il est vrai qu’ils payaient en hommes, qu’ils fournissaient une superbe gendarmerie. Mais c’était encore là ce qui blessait les Flamands ; tandis que les Wallons s’acquittaient ainsi en aides nobles, avec des hommes et du sang, on traitait les Flamands en manouvriers, on ne leur demandait que de l’argent, aide servile, qu’on tournait au besoin contre eux.

En 1439, en pleine paix, l’impôt fut énorme. C’était. disait-on, pour racheter le duc d’Orléans. La rançon du seigneur était bien un cas d’aide féodale, mais non, à coup sûr, la rançon du cousin du seigneur. Une bonne partie de l’argent se mangea dans une fête, et la fête fut pour Bruges[58], pour les marchands et les étrangers.

De là, le duc alla passer près de deux ans dans les fêtes et les tournois de Bourgogne, dans la guerre de Luxembourg. La Flandre paya pour cette guerre ; elle paya pour les armements qui protégèrent la Bourgogne au passage des Armagnacs. Enfin, le duc vint à Gand,

au foyer du mécontentement, tenir une solennelle assemblée de la Toison d’or, faire en quelque sorte par-devant les Flamands une revue des princes et seigneurs qui le soutenaient, leur montrer quel redoutable souverain était leur comte de Flandre. Une cérémonie coûteuse étalée devant ce peuple économe, un tournoi magnifique au Marché des vieux habits, la Toison d’or donnée à un de ces Zélandais qui avaient fait manquer le siège de Calais, qui aidèrent à la chute de Bruges, et bientôt à celle de Gand, rien de tout cela, sans doute, ne pouvait calmer les esprits. Il y avait à parier qu’à la première vexation fiscale, il y aurait explosion.

Cette année même, 1448[59], le duc se crut assez fort pour risquer la chose. Il essaya d’un droit sur le sel, droit odieux pour bien des causes, mais spécialement en ceci, qu’il portait sur tous, annulait tout privilège ; pour les privilégiés, nobles et bourgeois, payer un tel impôt, c’était déroger.

Il faut savoir pourquoi le duc se croyait assez tranquille du côté du roi pour faire en Flandre ces tentatives hardies. C’est qu’il avait un bon ami en France pour troubler le pays, un roi en espérance, contre le roi régnant. Le dauphin, nous l’avons dit, n’avait eu ni jeunesse ni enfance ; il était né Louis XI, c’est-à-dire singulièrement inquiet, spirituel et malfaisant. Dès quatorze ans, il faisait ce qu’il fit pendant son règne, la chasse aux grands, aux Retz, aux Armagnacs. À seize ans, il voulait détrôner son père, qui le désarma et lui donna le Dauphiné. Nous l’avons vu ensuite à Dieppe, en Guyenne, en Suisse, se faisant donner le Comminges, partie du Rouergue, Château-Thierry. Cet établissement considérable, mais faible, en ce qu’il était dispersé, ne lui faisait que désirer davantage la possession d’une grande province, Normandie, Guyenne ou Languedoc, avec quoi il eût pris le reste.

Il y aurait réussi peut-être, si Charles VII n’eût eu près de lui le sage, ferme et courageux Brézé[60], qui, reprenant la politique de la vieille Yolande d’Anjou, le gouvernait par Agnès Sorel et lui faisait vouloir le bien du royaume. Le dauphin, désespérant de se faire un instrument d’un tel homme, essaya en 1446 de le faire tuer. Découvert, mais non convaincu, il se fortifie dans son Dauphiné, se fait protecteur du Comtat et gonfalonier de l’Église, ami des Suisses, de la Savoie, de Gênes, qui le demande au roi pour gouverneur[61] ; il se lie surtout avec le duc de Bourgogne. En 1448, il semble avoir eu le projet de venir en force avec les Bourguignons, pour s’emparer du roi et du royaume[62]. Lorsqu’Agnès mourut, en 1450, tout le monde crut que le dauphin l’avait empoisonnée. Dans cette même année, où la Normandie venait d’être reconquise, il osa la demander, non au roi, mais à elle-même, aux prélats et seigneurs normands[63]. Visiblement, il se sentait soutenu. On le vit mieux encore l’année suivante, lorsque, malgré les défenses expresses de son père, il épousa la fille du duc de Savoie[64]. Ni ce petit prince, ni le dauphin, ne s’y seraient hasardés, s’ils n’avaient cru avoir l’appui du duc de Bourgogne.

Justement cet appui manqua. Loin de pouvoir faire la guerre au roi, Philippe-le-Bon lui adressait supplique pour qu’il n’évoquât point l’affaire de Gand (29 juillet 1451)[65]. Cette affaire devenait une guerre et une guerre générale de Flandre. Sans renoncer à la gabelle, il voulait frapper d’autres droits plus vexatoires encore : droit sur la laine, c’est-à-dire sur le travail ; droit sur les consommations les plus populaires, le pain, le hareng ; des péages sur les canaux entravaient les communications et mettaient tout le pays comme en état de siège. Le droit de mouture, qui indirectement atteignait tout le monde, directement le paysan, eut cet effet, nouveau en Flandre, de mettre les campagnes du même parti que les villes.

Le duc s’aperçut alors de sa folie, il retira sa gabelle, il donna de bonnes paroles, caressa Bruges et l’apaisa. Les marchands, comme à l’ordinaire, aidèrent à calmer le peuple. Gand resta seule, et le duc crut ne venir jamais à bout de cette éternelle résistance, s’il ne changeait la ville même en ce qu’elle avait de plus vital, s’il n’y détruisait la prépondérance qu’y avaient prise les métiers[66], s’il ne la ramenait à la constitution qu’elle avait subie pendant l’invasion de Philippe-le-Bel ; la commune ainsi brisée, il eût brisé les confréries, y introduisant peu à peu des faux frères, des artisans des campagnes, en sorte que non seulement l’esprit de la cité, mais la population même changeât à la longue.

En 1449, tout cela semblait possible, parce que la guerre recommençant entre la France et l’Angleterre, le duc croyait n’avoir rien à craindre du côté du roi. Il barra les canaux, mit des garnisons autour de Gand, cassa la loi. La ville déclara hardiment que la loi serait maintenue. Le duc suivit la politique qui lui avait réussi en 1436, lorsqu’il s’était servi de Gand contre Bruges ; il recourut cette fois à l’intervention des Brugeois et autres Flamands contre les Gantais. Les États de Flandre se chargèrent de lire les privilèges de Gand ; ils y lurent que la loi était nommée par le comte ; s’en tenant ainsi à la lettre morte, ils firent semblant de croire que nommée voulait dire créée.

Cette décision ne décidait rien. Les nouveaux doyens des métiers trouvèrent par enquête qu’on avait furtivement enregistré des buissonniers dans le métier des tisserands[67] ; ils prononcèrent le bannissement des officiers qui, en introduisant ainsi des étrangers parmi les bourgeois, avaient violé le droit de cité. Le duc, par représailles, voulut bannir ceux qui avaient prononcé ce bannissement ; il les cita à comparaître à Termonde. Si les magistrats de Gand pouvaient ainsi être attirés hors de la ville, jugés pour leurs jugements, il n’y avait plus ni commune ni magistrats. Ceux-ci néanmoins, sur la promesse que le duc se contenterait de leur comparution et leur ferait grâce, vinrent se présenter humblement à lui. Et il n’y eut point de grâce ; il bannit l’un à vingt lieues pour vingt années, l’autre à dix lieues pour dix années, etc.[68].

Cette rude sentence indique assez que le duc ne demandait qu’une révolte, espérant écraser la ville, si le roi n’intervenait pas. Il agissait tout à la fois contre le roi et près du roi. Il lui adressait une supplique pour qu’il n’évoquât point l’affaire. Mais, par derrière, il poussait le duc de Bretagne et probablement le dauphin. Le roi voyait et savait tout. À ce moment même, il fit arrêter Jacques Cœur (31  juillet), qui prêtait de l’argent au dauphin[69] et qu’on soupçonnait de l’avoir délivré d’Agnès.

Si l’on en croit les Gantais, l’exaspération du duc eût été si furieuse[70] que ses députés à Gand crurent lui faire plaisir en y préparant un massacre. La ville les lui dénonça, et sur son refus de les rappeler, elle les jugea elle-même et leur fit trancher la tête. Les résolutions de ce peuple irrité, souffrant, sans travail, devaient être violentes et cruelles. Je vois cependant qu’un ex-échevin de Gand, un grand seigneur, ayant été pris lorsqu’il coupait les canaux pour affamer la ville, le peuple ajourna son supplice, à la prière de la noblesse, et finit par lui permettre de se racheter.

Le bailli du comte ayant été rappelé et la justice ne pouvant être suspendue dans cette grande population en effervescence, on créa grand justicier un maçon, Lievin Boone. Si j’en juge par la guerre savante et par l’emploi des machines que firent les Gantais sous sa conduite, celui-ci devait être un de ces maçons architectes et ingénieurs qui bâtissaient les cathédrales, de ceux que l’Italie faisait venir des loges maçonniques du Rhin pour fermer les voûtes du duomo de Milan.

Le Vendredi saint (7 avril 1452), une dernière tentative fut faite auprès du duc pour le fléchir ; mais il voulait qu’on désarmât. Alors le grand justicier de Gand, faisant sonner le wapening (l’assemblée armée), emporta tout par un moyen populaire, par la simple vue d’un signe[71]. Il montra des clefs dans un sac : « Voici, dit-il, les clefs d’Audenarde. » Audenarde, c’était l’Escaut supérieur, la route des vivres, l’approvisionnement du Midi ; en même temps, une ville sujette et ennemie de Gand, dévouée au comte.

Ce mot et ce signe suffirent pour enlever trente mille hommes. Chacun rentra chez soi pour prendre ses armes et ses vivres. Toutefois, un si grand mouvement ne put se faire si vite qu’un des Lalaing ne fût averti et ne se jetât dans Audenarde avec quelques gentilshommes ; il l’approvisionna à sa manière, engageant les paysans à y retirer leurs troupeaux, leurs vivres, gardant vivres et troupeaux, chassant les hommes. Il tint du 14 au 30 avril, et fut enfin secouru. Mais il en coûta un rude combat, où les chevaliers, s’élançant imprudemment entre les piques, y auraient péri, si les archers de Picardie n’avaient pris les Gantais en flanc. Les vaincus furent poursuivis jusqu’aux portes de Gand, où huit cents firent tête avec intrépidité ; les chevaliers admirèrent surtout un boucher qui portait la bannière du métier, fut blessé aux jambes et se battait encore à genoux. Ces bouchers de Gand se prétendaient de meilleure maison que toute la noblesse ; ils descendaient, disaient-ils, du bâtard d’un comte de Flandre ; ils s’appelaient : Enfants de prince, Prince-Kinderen.

Audenarde délivrée, le duc prit l’offensive et pénétra dans le pays de Waës, entre la Lys et l’Escaut, pays tout coupé de canaux, d’accès difficile, dont les Gantais se croyaient aussi sûrs que de leur ville. La gendarmerie y était arrêtée à chaque pas par les eaux, par les haies, derrière lesquelles s’embusquaient les paysans. Dans une affaire, le brave Jacques de Lalaing ne ramena ses cavaliers engagés au delà d’un canal qu’avec des efforts incroyables, et il eut, dit-on, cinq chevaux tués sous lui.

Néanmoins, à la longue, le duc ne pouvait manquer d’avoir l’avantage. Les Gantais ne trouvaient qu’une froide sympathie dans les Pays-Bas. Bruxelles intercéda pour eux, mais mollement. Liège leur conseilla d’apaiser leur seigneur. Mons et Malines n’étaient rien moins qu’amies ; le duc y assemblait sa noblesse, y faisait ses préparatifs, expliquait aux gens de ces villes ses projets de guerre et leur demandait des secours[72]. Quant aux Hollandais, dès longtemps ennemis des Flamands, ils se réunirent sans distinction de partis[73], remontèrent l’Escaut avec une flotte, débarquèrent une armée dans le pays de Waës, et firent ce qu’eux seuls pouvaient faire, une guerre habile parmi les canaux.

Abandonnée des uns, accablée par les autres, Gand ne faiblit point. Elle ne fit que deux choses et très dignes. D’une part, avec douze mille hommes, traversant tout le pays en armes, elle fit une sommation dernière à la ville de Bruges. Mais rien ne bougea ; la noblesse et les marchands continrent le peuple ; les Brugeois se contentèrent de faire boire et manger les douze mille hors de leurs murs[74].

D’autre part, Gand avait écrit au roi de France une belle et noble lettre, où elle exposait le mauvais gouvernement des gens du comte de Flandre : la lettre, fort obscure vers la fin, semble insinuer que le roi pourrait intervenir ; mais ce qui dans un tel péril, est héroïque et digne de mémoire, c’est qu’il n’y a pas un mot d’appel, pas un mot qui implique reconnaissance de la juridiction royale.

Cependant cet isolement, ce grand danger extérieur, produisait à l’intérieur son effet naturel ; le pouvoir descendait aux petites gens, aux violents. Outre les compagnies ordinaires des Blancs chaperons, une confrérie s’organisa, qui s’appelait de la Verte tente, parce qu’une fois sortis de la ville, ils se vantaient, comme ces anciens barbares du Nord, de ne plus coucher sous un toit[75]. Le petit peuple suivait alors pour chef un homme d’un métier inférieur, un coutelier, d’un courage farouche, d’une taille et d’une force énormes. Il leur plaisait tant qu’ils disaient : « S’il gagne, nous le ferons comte de Flandre. » L’aveugle vaillance du coutelier tourna mal ; surpris, lorsqu’il croyait surprendre, accablé par les Hollandais, il fut mené au duc avec ses braves, et tous, plutôt que de crier merci, aimèrent mieux mourir.

Cette défaite, la réduction du pays de Waës, rapproche de l’armée ennemie, une épidémie qui éclata, tout donnait force aux partisans de la paix. Le peuple se rassembla au Marché des vendredis ; sept mille osèrent voter pour la paix, contre douze mille qui tinrent pour la guerre. Les sept mille obtinrent que, sans poser les armes, on accepterait l’arbitrage des ambassadeurs du roi.

Le chef de l’ambassade, le fameux comte de Saint-Pol, qui commençait alors sa longue vie de duplicité, trompa tout à la fois le roi et Gand. Il avait du roi mission expresse de saisir cette occasion pour obtenir du duc le rachat des villes de la Somme[76] ; mais il eût été probablement moins indépendant dans sa Picardie ; il s’obstina à n’en point parler. D’autre part, contrairement aux promesses qu’il avait faites aux Gantais, il donna, sans la leur communiquer, et tout à l’avantage du duc de Bourgogne, une sentence d’arbitre qui lui eût livré la ville.

Un tel arbitrage ne pouvait être accepté. Ce qui servit mieux le duc, ce qui, selon toute apparence, avait été sollicité par lui, payé peut-être aux Anglais[77], c’est qu’à ce moment même Talbot débarque en Guyenne (21 octobre 1452), Bordeaux tourne ; tous les ennemis du roi, le duc, le dauphin, la Savoie, sont sauvés du même coup.

Il faut voir ici l’insolence et les dérisions avec lesquelles furent reçus les nouveaux ambassadeurs que le roi envoya en Flandre. On les fit attendre longuement, on leur dit que le duc ne voulait point qu’ils se mêlassent de ses affaires ; enfin, les Bourguignons se lâchèrent en paroles aigres, comme elles viennent à des gens qui n’ont plus rien à ménager, par exemple, qu’on savait bien que le peuple de France était mécontent du roi pour les tailles et les aides, pour la mangerie qui s’y faisait, etc. À quoi les ambassadeurs répliquèrent que la seule aide du vin montait plus haut dans une seule ville du duc que dans deux du roi : que pour les tailles, le roi n’en mettait que pour les gens d’armes en tout quatorze ou quinze sols par feu, ce qui était peu de chose[78].

Ce qui rendait bien triste la situation des ambassadeurs qui venaient s’interposer et comme offrir leur justice, c’est que ni d’un côté ni de l’autre on ne voulait la recevoir, pas plus la ville que le duc. Ils firent alors la ridicule et hasardeuse démarche d’envoyer sous main un barbier[79] pour tâter les gens de Gand et leur insinuer timidement qu’ils devraient envoyer à Paris pour demander provision. Les Gantais, impatientés de ces démarches obliques, repondirent durement « qu’ils n’estoient pas délibérez de rescripre à aucune personne du monde ».

Ainsi cette fière ville ne songeait plus qu’à combattre, seule avec son droit. L’audace croissait par le danger ; les têtes se prenaient d’un vertige de guerre, comme il arrive alors dans les grandes masses, toutes les émotions, la peur même, tournant en témérité. Ces vastes mouvements de peuple comprennent mille éléments divers ; divers ou non, tous vont tourbillonnant ensemble. D’abord, le brutal orgueil de la force et du bras, dans les métiers où l’on frappe, forgerons, bouchers. Puis, dans les métiers populeux, chez les tisserands par exemple, le fanatisme du nombre, qui s’éblouit de lui-même, se croit infini, un vague et sauvage orgueil, comme l’aurait l’Océan de ne pouvoir compter ses flots. À ces causes générales ajoutez les accidentelles, l’élément capricieux, le désœuvré, le vagabond, le plus malfaisant de tous, peut-être, l’enfant, l’apprenti déchaîné… Cela est partout de même. Mais il y avait une chose toute spéciale dans les soulèvements de ces villes du Nord, chose originale et terrible, et qui y était indigène, c’était l’ouvrier mystique, le lollard illuminé, le tisserand visionnaire, échappé des caves, effaré du jour, pâle et hâve, comme ivre de jeûne. Là, plus qu’ailleurs, se trouve naturellement l’homme qui doit marquer alors d’une manière sanglante, celui qui ce jour-là se sent tout à coup hardi, court au meurtre et dit : C’est mon jour !… Un seul de ces frénétiques, un ouvrier moine, égorgea quatre cents hommes dans le fossé de Courtrai.

Dans ces moments, il suffisait qu’une bannière de métier parût sur la place pour que toutes d’un mouvement invincible vinssent se poser à côté. Confréries, peuple, bannières, tout branlait au même son, un son lugubre qu’on n’entendait que dans les grandes crises, au moment de la bataille ou quand la ville était en feu. Cette note uniforme et sinistre de la monstrueuse cloche était : Roland ! Roland ! Roland[80] ! C’était alors un profond trouble, tel que nous ne pouvons guère le deviner aujourd’hui. Nous, nous avons le sentiment d’une immense patrie, d’un empire ; l’âme s’élève en y songeant… Mais là, l’amour de la patrie, d’une petite patrie, où chaque homme était beaucoup, d’une patrie toute locale, qu’on voyait, entendait, touchait, c’était un âpre et terrible amour… Qu’était-ce donc, quand elle appelait ses enfants de cette pénétrante voix de bronze ; quand cette âme sonore, qui était née avec la commune, qui avait vécu avec elle, parlé dans tous ses grands jours, sonnait son danger suprême, sa propre agonie… Alors, sans doute, la vibration était trop puissante pour un cœur d’homme ; il n’y avait plus en tout ce peuple ni volonté, ni raison, mais sur tous un vertige immense… Nul doute qu’ils auraient dit alors comme les Israélites à leur Dieu : « Que d’autres parlent à ta place, ne parle pas ainsi toi même, car nous en mourrons ! »

Tous prirent les armes à la fois, de vingt ans jusqu’à soixante ; les prêtres, les moines ne voulurent point être exceptés. Il sortit de la ville quarante-cinq mille hommes.

Ce grand peuple alla ainsi à la mort, dans sa simplicité héroïque, vendu d’avance et trahi[81]. Un homme à qui ils avaient confié la défense de leur château de Gavre, se chargea de les attirer. Il se sauva de la place et vint dire à Gand que le duc de Bourgogne était presque abandonné, qu’il n’avait plus avec lui que quatre mille hommes. Deux capitaines anglais, au service de la ville, parlèrent dans le même sens, et avec l’autorité que devaient avoir de vieux hommes d’armes[82]. Arrivés devant l’ennemi, les Anglais passèrent au duc, en disant : « Nous amenons les Gantais, ainsi que nous l’avions promis[83]. »

Cette défection alarmante ne les fit pas sourciller ; ils avancèrent en bon ordre[84] en faisant trois haltes pour mieux garder leurs rangs. L’artillerie légère du duc et ses archers les émouvaient peu encore ; mais voilà qu’au milieu d’eux un chariot de poudre éclate ; le chef de leur artillerie, soit prudence, soit trahison, crie : « Prenez garde ! prenez garde ! » Un vaste désordre commence, les longues piques s’embarrassent ; la seconde bataille, formée d’hommes mal armés, la troisième de paysans et de vieilles gens, s’enfuient à toutes jambes ; les archers picards ne leur laissent d’autre route que l’Escaut ; ils nagent, ils plongent, enfoncent sous leurs armes, reviennent et trouvent au rivage les archers qui, jetant leurs arcs, n’employaient plus que les massues ; il était recommandé de ne prendre personne en vie.

Deux mille furent poussés dans une prairie, entourée de trois côtés par un détour de l’Escaut, par un fossé et une haie. Les Bourguignons, reçus vivement aux approches, hésitaient ; le duc s’élança, son fils après lui. On dit que les pauvres gens furent saisis et s’arrêtèrent lorsque, dans ce cavalier, tout d’or, ils reconnurent leur seigneur, celui à qui ils avaient juré par leur serment féodal de respecter sa vie, ses membres… Mais ils avaient eux aussi une vie à défendre ; ils fondirent piques baissées. Le duc fut en danger, entouré, son cheval blessé. Les chevaliers ne furent encore cette fois sauvés que par les archers picards… Ils convinrent que ces vilains de Gand avaient bien gagné noblesse, et qu’il y avait eu parmi eux tel homme sans nom qui fit assez d’armes ce jour-là pour illustrer à jamais un homme de bien.

Vingt mille hommes périrent, parmi lesquels on trouva deux cents prêtres ou moines. Ce fut le lendemain une scène à crever le cœur, lorsque les pauvres femmes vinrent retourner tous les morts, pour reconnaître chacune le sien, et qu’elles les cherchaient jusque dans l’Escaut. Le duc en pleura. On lui parlait de sa victoire : « Hélas ! dit-il, à qui profite-t-elle ? c’est moi qui y perds ; vous le voyez, ce sont mes sujets. »

Il fit son entrée dans la ville sur le même cheval qui, à la bataille, avait reçu quatre coups de pique. Les échevins et doyens, nu-pieds, en chemise, suivis de deux mille bourgeois en robe noire, vinrent crier : « Merci ! » Ils entendirent leur condamnation, leur grâce… La grâce était rude. Sans parler de ce qu’elle payait, la ville perdait sa juridiction, sa domination sur le pays d’alentour ; elle n’avait plus de sujets ; ce n’était plus qu’une commune, et cette commune entrait en tutelle ; deux portes à jamais murées durent lui rappeler ce grave changement d’état. La souveraine bannière de Gand, celles des confréries de métiers, furent livrées au héraut Toison d’or qui sans autre cérémonie, les mit dans un sac et les emporta.

  1. App. 125.
  2. App. 126.
  3. Il est bien entendu qu’il n’y eut pas conspiration expresse, ni plan, ni dessein fixe, mais seulement action constante d’une même passion, haine et jalousie persévérante.
  4. « Item, ils appellent les subjez du Roy qui vont es païs de mondit seigneur de Bourgogne : Traîtres, vilains, serfs, allez, allez payer vos tailles, et plusieurs autres villenies et injures. » (Archives du royaume, Trésor des chartes, J, 258, no 25.)
  5. « Tunc vere monachi sunt, si labore manuum suarum vivunt. » (S. Benedicti regula.)
  6. App. 127.
  7. En anglais, to lull, bercer ; en suédois, lulla, endormir ; en vieil alle- mand, lullen, lollen, lallen, chanter à voix basse ; en allemand moderne, lallen, balbutier.
  8. Tout cela est peut-être plus frappant encore en Hollande qu’en Flandre. Combien la famille m’y semblait touchante, quand je voyais dans les basses prairies, au-dessous des canaux, ces doux paysages de Paul Potter, dans un pâle soleil d’après-midi, ces bonnes gens si paisibles, ces bestiaux, ces vaches laitières parmi les enfants… J’aurais voulu exhausser leurs digues ; je craignais que ces eaux ne se trompassent un jour, comme fit l’Océan quand il couvrit d’une nappe soixante villages, et mit à la place la mer d’Harlem… — Chose curieuse, là même où la terre manque, la famille continue. Le gros bateau hollandais (dont l’étranger inintelligent se moque) ne doit pas être jugé comme un bateau, mais bien comme une maison, une arche, où la femme, les enfants les animaux domestiques vivent commodément ensemble. La Hollandaise y est chez elle et parfaitement établie, soignant les enfants, étendant le linge, souvent, au défaut du mari, dirigeant le gouvernail. L’être aquatique, vivant là dans une lente et perpétuelle migration, s’y est fait un monde à lui ; pourvu qu’il ne compromette pas ce petit monde, peu lui importe d’aller vite ; jamais il ne changera la forme (lourde, mais sûre) de cette embarcation de famille, jamais il ne se hâtera. Avoir sa lenteur, vous diriez plutôt qu’il craint d’arriver. Voy. dans le tome XII le chapitre sur la Hollande (Louis XIV, 1860).
  9. App. 128.
  10. App. 129.
  11. Je traduis ici avec propriété et selon le sens primitif. Le sens ordinaire est association, le sens primitif est don, contribution (præstatio). Que donne-t-on dans la forme originaire de la ghilde ? soi-même, son sang.
  12. De 1200 à 1304. App. 130.
  13. Voir dans la cathédrale la pierre de Jansénius, au milieu même du chœur, mais si ingénieusement dissimulée.
  14. C’est ce qui existait effectivement pour une partie des fabricants d’Ypres ; ils travaillaient dans la halle même : « L’étage principal contenait les métiers des tisserands de draps et de serge… Les différents locaux du rez-de-chaussée contenaient les peigneurs, cardeurs, fileurs, tondeurs, foulons, teinturiers…» (Lambin.)
  15. Droits de cloche, de ban, de justice, sont synonymes au moyen âge. Le carillon n’aurait-il pas été originairement la simple centralisation des cloches, c’est-à-dire des justices ? Les dissonances trop choquantes auront forcé à y mettre une harmonie quelconque, qui peu à peu se sera adoucie. App. 131.
  16. Passage charmant de Sainte-Beuve : « Nous avons tous un petit jardin, et l’on y tient souvent plus qu’au grand. » (Port-Royal, I.) Voir dans les discours de M. Vinet, celui qui a pour titre : Des idoles favorites. L’idée première est le verset : « Et le jeune homme s’en alla triste, car il avait un petit bien. » — Dans les béguinages flamands l’esprit d’individualité est très marqué. « En France et en Allemagne, le béguinage était un seul couvent divisé en cellules ; dans les Pays-Bas, c’était comme un village qui comptait autant de maisons isolées qu’il y avait de béguines. » (Mosheim.) Aujourd’hui, il y en a ordinairement plusieurs dans chaque maison, mais chaque béguine a sa petite cuisine ; dans une maison où il y avait vingt filles, je remarquai (chose minutieuse à dire, mais très caractéristique) vingt petits fourneaux, vingt petits moulins à café, etc. Je demande pardon aux saintes filles d’une révélation peut-être indiscrète.
  17. Voy. au Musée du Louvre l’Annonciation de Lucas de Leyde.
  18. C’étaient des hymnes en langue vulgaire. (Mosheim.)
  19. Un caractère particulier de la poésie et de la musique des confréries allemandes (et je crois, des confréries en général), c’est la servilité de la tradition. App. 132.
  20. Quos dumicos vocant. » (Meïer.) Je traduis dumicos par un mot consacré dans l’histoire du protestantisme : Écoles buissonnières. — Les ouvriers buissonniers pourraient bien être des lollards. Le pape Grégoire XI nous représente ceux-ci comme vivant originairement en ermites. (Mosheim.) Saint Bernard nous dit que des prêtres quittaient leurs églises et leurs troupeaux pour aller vivre « inter textores et textrices ». (Serm. in Canticum cantic.)
  21. App. 133.
  22. Voy. mes Mémoires de Luther. Toutefois l’originalité de Jean de Leyde fut de porter dans le mysticisme l’esprit anti-mystique de l’Ancien Testament.
  23. Nous trouvons les ouvriers de confrérie et de commune en guerre et avec les buissonniers de la banlieue et avec les lollards (deux mots peut-être identiques) : ils se plaignent au magistrat de la concurrence qu’ils ne peuvent soutenir. Le magistrat, leur élu, se prête à gêner, paralyser l’industrie des lollards. L’empereur Charles IV, en dépouillant les lollards, attribue un tiers de leurs dépouilles aux corporations locales (universitatibus ipsorum locorum). Cf. Mosheim. Les persécutions ecclésiastiques obligèrent aussi souvent les lollards à se dire Mendiants et à se réfugier sous l’abri du tiersordre de saint François. Ceux d’Anvers ne se décidèrent à vivre en commun qu’en 1455. En 1468, ils prirent l’habit de moines et laissèrent le métier de tisserands ; c’est ce qu’on lisait sur un tableau suspendu dans leur église d’Anvers.
  24. Les preuves surabondent ici. Je remarquerai seulement que la domina- lion des grandes villes était souvent encore appesantie par le despotisme tracassier des métiers : ainsi les tisserands de Damme étaient réglementés, surveillés par ceux de Bruges ; les chandeliers de Bruges exerçaient la même tyrannie sur ceux de l’Écluse, etc. (Dolpierre.)
  25. App. 134.
  26. C’est du moins ce qu’affirme Guichardin dans sa Description de la Flandre.
  27. App. 135.
  28. Beaucoup finissent en dyck, en dam, etc.
  29. Cela se trouva fait au quatorzième siècle. Jacques Artevelde n’eut qu’à écrire cette révolution dans les lois. L’ouvrier, l’ongle bleu (c’est le nom que lui donnaient dans le Nord les bourgeois et les marchands), se trouva à cette époque avoir tellement multiplié, que la commune primitive fut presque absorbée dans les confréries de métiers. Le gouvernement des arts, comme on disait à Florence, prévalut presque partout. App. 136.
  30. J’ai vu encore aux archives d’Ypres le sceau réprobateur de la ville où on lit ces mots français : « Condamné par Ypres. » — À Gand, la toile, condamnée comme défectueuse et blâmée par les experts, est attachée à un anneau de fer, à la tour du Marché du vendredi, puis distribuée aux hospices.
  31. App. 137.
  32. La plus terrible de ces histoires n’est pas, il est vrai, flamande, mais du pays wallon ; c’est la guerre de Dinant et de Bovines sur la Meuse. Voy. le tome suivant.
  33. Le comte reconnut, après enquête, qu’Ypres avait bon droit, et n’en décida pas moins qu’on planterait des pieux dans l’Yperlé, de sorte qu’il n’y pût passer qu’une petite barque. (Olivier van Dixmude, ann. 1431.)
  34. App. 138.
  35. App. 139.
  36. Les milices hollandaises furent appelées en vain à la défense des côtes ; et M. de Larmoy ayant demandé aux États s’ils avaient un traité secret avec l’Angleterre, ils répondirent qu’ils n’avaient pas pouvoir pour s’expliquer. (Dujardin et Sollius, Histoire des provinces unies.)
  37. App. 140.
  38. « Jecoris esores. » (Meyer.) Cette qualification haineuse désigne évidemment les gros fabricants, les entrepreneurs, les exploiteurs d’hommes.
  39. Nombre de passages que je pourrais citer prouvent que, dès ce temps, les Gantais étaient fort dévots. Dans la terrible guerre de 1453, ils ne brûlèrent pas une église, quoique les églises fussent souvent des forts dont pouvait profiter l’ennemi. — À Gand, les mœurs étaient très pures. Nous lisons dans les registres criminels qu’un tribunal bannit un citoyen distingué, pour avoir offensé de propos indécents les oreilles d’une petite fille. — La Keurc des savetiers de 1304 porte que celui qui vit dans une union illégitime ne peut ni concourir aux élections ni assister aux délibérations. (Lenz.)
  40. App. 141.
  41. Generaele waerheden, stille waerheden ; — coies vérités, franches vérités, communes vérités, ou simplement vérités. (Warnkœnig, trad. de Gheldolf.)
  42. Dans le droit allemand, dont le droit flamand est une émanation (au moins dans sa partie la plus originale), le juriste et le poète ont même nom : Finder, trouveur on trouvère. (Grimm, et mes Origines du droit.)
  43. App. 142.
  44. Que les Français avaient traduit au hasard par un mot qui sonnait à peu près de même : Forestier, le forestier de Flandre.
  45. En Flandre, comme dans les autres provinces des Pays-Bas, les sentences capitales étaient sans appel ni revision, jusqu’à la fin du dernier siècle. App. 143.
  46. Le comte ne pouvait gracier les condamnés par l’échevinage qu’autant qu’ils prouvaient que la partie adverse y consentait.
  47. En Hollande, la tradition s’est faite par le fétu jusqu’en 1764. En Flandre, le maître du fonds donné ou vendu y coupait une motte de gazon de forme circulaire et large de quatre doigts ; il y fichait un brin d’herbe, si c’était un pré ; si c’était un champ, une petite branche de quatre doigts de haut, de manière à représenter ainsi le fonds cédé, et il mettait le tout dans la main du nouveau possesseur. App. 144.
  48. Celui qui demandait justice se rendait à la Porte rouge du palais de l’évêque, et, soulevant un anneau qui s’y trouvait fixé, il le faisait fortement retentir à trois reprises différentes ; l’évêque devait venir et l’écouter sur-le-champ. (Communiqué par M. Polain, de Liège.)
  49. Chaque année, le premier mercredi d’août, on jetait un chat par les fenêtres d’Ypres, et le peuple le brûlait ; pendant ce temps, la cloche du beffroi tintait, et tant qu’on pouvait l’entendre, les gens bannis de la ville trouvaient les portes ouvertes et pouvaient rentrer (comme si la victime expiatoire se fût chargée de leur faute). On a continué de jeter le chat jusqu’en 1837 (Communiqué par Mme Millet van Popelen.)
  50. « Ah ! la noble chose que la liberté ! » Voir ces beaux vers de Barbour dans M. de Chateaubriand, Essai sur la littérature anglaise. — Comparez les vers de Pétrarque, qui ont été retranchés de plusieurs éditions :

    Libertà, dolce e desiato bone, etc.

  51. App. 145.
  52. Et en se brouillant ainsi avec les maisons d’Autriche et de Saxe.
  53. App. 146.
  54. « Elle remit grande somme au roi de Sicile. » (Mathieu de Couci.)
  55. Archives du royaume, Trésor des chartes, J, 257, no 38, 4 juillet 1445.
  56. Jusqu’à doubler ou tripler, dans les années 1436, 1440, 1443, 1445, 1452, 1457. App. 147.
  57. Ainsi, en 1406, au premier siège de Calais, la Flandre paye 47,000 écus et 8.000 fr., tandis que le duché de Bourgogne paye 12,000 livres, le comté de Bourgogne 3,000 livres ! — Au second siège de Calais, en 1436, la Flandre, qui alla au siège en corps de peuple, et qui dut fournir énormément en nature, paya de plus 120,000 livres, tandis que les deux Bourgognes ne payèrent que 58,000 livres et 600 saluts. (Archives de Lille, notes communiquées par M. Edward Le Glay).
  58. Cette fête fut un triomphe pour le duc de Bourgogne sur Bruges elle-même et sur la Flandre occidentale, un triomphe en espérance sur la France, qu’il croyait désormais dominer par son union avec le duc d’Orléans. Mais ce ne fut pas moins un triomphe pour les marchands hanséatiques qui avaient profité du mouvement de la Flandre pour forcer le duc de leur sacrifier l’intérêt des Hollandais, alors leurs ennemis et leurs concurrents. Le duc avait condamné la Hollande à indemniser la Hanse. Ces tout-puissants marchands du Nord parurent à la fête dans la majesté sombre de leurs vêtements rouges et noirs. (Meyer, Altmeyer, Dujardin.)
  59. App. 148.
  60. Pierre de Brézé, à qui appartiennent la grande réforme militaire et tant d’autres actes de ce règne, me paraît être l’homme le plus complet de l’époque, politique, homme de guerre, littérateur (De la Rue). Il gouverna son maître sans lui plaire (Legrand, Hist. mss. de Louis XI). Il ne fut point favori de (Charles VII, mais l’homme du roi. Le roi mort, il alla trouver le roi, qui avait voulu l’assassiner, qui le cherchait pour lui faire couper la tête, et qui changea au point de lui donner sa confiance. Voy. le beau récit de Chastellain. App. 149.
  61. 2. Dans cette demande adressée au roi, les Génois font du dauphin un éloge dont son père dut être effrayé ; ils s’attendent à lui voir faire des choses qu’on n’a encore vues ni entendues, etc. (Legrand.)
  62. Le dénonciateur tomba malade, et le dauphin tenait tant à éclaircir la chose qu’il lui envoya son médecin et son apothicaire. Le malade eut si peur du médecin de Louis XI qu’il échappa au traitement. Il se sauva à Lyon, fut amené à Paris, ne put prouver son accusation et eut la tête tranchée. (Legrand.)
  63. Bazin, évêque de Lisieux, remit la lettre du dauphin au roi.
  64. « La veille des noces, arriva le héraut de Normandie de la part du Roy, etc. » On lit la célébration avant d’ouvrir ses lettres. (Legrand).
  65. App. 150.
  66. Qui pouvait s’étonner que ceux qui faisaient la force de la ville, sa grandeur, qui contribuaient le plus en argent et en hommes, eussent la part principale au pouvoir ? Les deux chefs doyens des métiers influèrent peu à peu sur l’élection des échevins, et en vinrent jusqu’à juger avec eux. Sans une part à la puissance judiciaire, il n’y avait nulle puissance dans une telle ville, peut-être même nulle sûreté pour un corps et pour un parti. Voir Diericx, Mémoires sur Gand.
  67. App. 151.
  68. Ceci doit être une vieille formule de condamnation.
  69. Le roi fut persuadé « qu’il avoit intelligence avec luy, et que sous main il l’aydoit de conseil et l’assistoit d’argent. » (Godefroy.)
  70. App. 152.
  71. App. 153.
  72. App. 154.
  73. Avec le même empressement que montrèrent les Hollandais, Frisons et autres populations du Nord, en 1835.
  74. Le duc remercia les Brugeois. App. 155.
  75. C’est une vieille vanterie germanique, celle même des Suèves dans leur guerre contre César.
  76. App. 156.
  77. Un peu plus tard, les ambassadeurs informent le roi que le duc va faire venir six ou huit mille Anglais en Flandre. (Mss. Dupuy, 28 mars 1453.)
  78. App. 157.
  79. En même temps, un Français, Pierre Moreau, vint se mettre à la solde des Gantais, leur inspira de la confiance et les mena plusieurs fois au combat.
  80. Voy. t. III, App. 21.
  81. « Le bastard de Bourgongne eut moyen de parlementer secrètement à un qui estoit chef desdicts Anglois et se nommoit Jehan Fallot… Celuy Jehan Fallot remonstra à ses compaignons qu’ils ne pouvoient avoir honneur de servir celle commune contre leur seigneur, et aussi qu’ils estoient en danger de ce puissant peuple, et que communément le guerdon du peuple est de tuer et assommer ceux qui mieux le servent. » (Olivier de La Marche.)
  82. M. Lenz pense que les Flamands ont devancé toutes les autres nations au quatorzième siècle pour l’organisation de l’infanterie. Ce qui est sûr, c’est que leur obstination à ne rien changer à cette organisation fut pour eux une cause de défaites, à Roosebeke, peut-être à Gavre, etc.
  83. Olivier de La Marche.
  84. « Tant d’armes, tant de vaillance et d’outrage, que si telle adventure estoit advenue à un homme de bien, et que je le secusse nommer, je m’aquiteroye de porter honneur à son hardement. » (Olivier de La Marche.)