Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Moyen Âge/Livre 6/Chapitre 3
CHAPITRE III
Il n’y avait pas à espérer grand’chose du dauphin, ni de ses frères. Le prince était faible, pâle, chétif ; il n’avait que dix-neuf ans. On ne le connaissait que pour avoir invité les amis du roi de Navarre au funeste dîner de Rouen, et donné à la bataille le signal du sauve-qui-peut.
Mais la ville n’avait pas besoin du dauphin. Elle se mit d’elle-même en défense. Le prévôt des marchands, Étienne Marcel, mit ordre à tout. D’abord, pour prévenir les surprises de nuit, on forgea et l’on tendit des chaînes. Puis on exhaussa les murs des parapets ; on y mit des balistes et autres machines, avec ce qu’on avait de canons. Mais les vieux murs de Philippe-Auguste ne contenaient plus Paris ; il avait débordé de toutes parts. On éleva d’autres murailles qui couvraient l’Université, et qui de l’autre côté allaient de l’Ave Maria à la porte Saint-Denis, et de là au Louvre. L’île même fut fortifiée. On fixa sur les remparts sept cent cinquante guérites. Tout cet immense travail fut terminé en quatre ans[1].
Je ne puis faire comprendre la révolution qui va suivre, et le rôle que Paris y joua, sans dire ce que c’est que Paris.
Paris a pour armes un vaisseau. Primitivement, il est lui-même un vaisseau, une île, qui nage entre la Seine et la Marne, déjà réunies, mais non confondues[2].
Au sud la ville savante, au nord la ville commerçante[3]. Au centre la Cité, la cathédrale, le palais, l’autorité.
Cette belle harmonie d’une cité flottant entre deux villes diverses, qui l’enserrent gracieusement, suffirait pour faire de Paris la ville unique, la plus belle qui fût jamais. Rome, Londres, n’ont rien de tel ; elles sont jetées sur un seul côté de leur fleuve[4]. La forme de Paris est non seulement belle, mais vraiment organique. L’individualité primitive est dans la Cité, à quoi sont venues se rattacher les deux universalités de la science et du commerce, le tout constituant la vraie capitale de la sociabilité humaine.
L’autorité, la Cité, c’était l’île. Mais sur les deux rives deux asiles s’ouvraient à l’indépendance. L’Université avait sa juridiction pour les écoliers, le Temple la sienne pour les artisans[5].
Lorsque Guillaume de Champeaux, battu par Abailard aux écoles de Notre-Dame, alla se réfugier à l’abbaye de Saint-Victor, l’invincible argumentateur l’y poursuivit et campa à Sainte-Geneviève. Cette guerre, cette secessio sur un autre Aventin, fut la fondation des écoles de la Montagne. Abailard, dont la parole suffisait pour créer une ville au désert, fut ainsi l’un des fondateurs de notre Paris méridional. La ville éristique naquit de la dispute.
Au couchant, elle ne pouvait s’étendre. Elle heurtait l’immuable muraille de Saint-Germain-des-Prés. La vieille abbaye, qui avait vu la ville toute petite, qui l’avait d’abord aidée à grandir, en était entourée, assiégée. Mais elle résistait. Cette ville, née de la Seine, s’étendait du moins sur l’autre rive. Elle y mit ses halles, ses boucheries, son cimetière des Innocents. Mais une fois bornée de ce côté entre le Louvre[6] et le Temple, elle enfla, ne pouvant allonger, et prit ce ventre qui va du Châtelet à la porte Saint-Denis[7].
Les juridictions ecclésiastiques, Notre-Dame, Saint-Germain, trouvèrent de rudes adversaires dans nos rois. On sait que la reine Blanche força elle-même les prisons des chanoines pour en tirer leurs débiteurs. Le premier prévôt royal (1032), un Étienne, avait aussi voulu forcer Saint-Germain, mais pour y prendre, dans un besoin du roi, la riche croix de Childebert. Ces prévôts n’étaient guère, ce semble, dévots qu’au roi. Un autre Étienne (Étienne Boileau) obtint le consentement de saint Louis pour pendre un voleur le vendredi saint. Le prévôt de Charles V fut persécuté par le clergé, comme ami des Juifs.
L’Université était souvent en guerre avec Notre-Dame et Saint-Germain-des-Prés. Le roi la soutenait. Il donnait presque toujours raison aux écoliers contre les bourgeois, contre son prévôt même. Le prévôt faisait ordinairement amende honorable pour avoir fait justice. Le roi avait besoin de l’Université : il s’appuyait volontiers sur cette grande force, sans se douter qu’elle pouvait tourner contre lui. Philippe-le-Bel appela au Temple les maîtres de l’Université pour leur faire lire l’accusation contre les Templiers. Philippe-le-Long, pour appuyer sa royauté contestée, les fit assister au serment qu’il exigeait de la noblesse, et obtint leur approbation. La fille des rois semble ici se porter pour juge des rois. Philippe-de-Valois la fait juge du pape. Le pape, qui si longtemps a soutenu l’Université contre l’évêque de Paris, est menacé par elle de condamnation[8]. Tout à l’heure, l’orgueil de l’Université sera porté au comble par le schisme ; nous la verrons choisir entre les papes, gouverner Paris, régenter le roi.
L’Université seule était un peuple. Lorsque le recteur, à la tête des facultés, des nations, conduisait l’Université à la foire du Landit, entre Saint-Denis et La Chapelle, lorsqu’il allait avec les quatre parcheminiers de l’Université juger despotiquement les parchemins de la banlieue, les bourgeois remarquaient avec orgueil que le recteur était arrivé à la plaine Saint-Denis lorsque la queue de la procession était aux Mathurins-Saint-Jacques.
Mais le Paris du nord était encore plus peuplé. On peut en juger par deux grandes revues qui se firent au quatorzième siècle. L’Université, composée de prêtres, d’écoliers, d’étrangers, n’y figurait pas. Dans la première revue (1313), ordonnée par Philippe-le-Bel pour faire honneur à son gendre, le roi d’Angleterre, on estima qu’il y avait vingt mille chevaux et trente mille fantassins. Les Anglais étaient stupéfaits. En 1383, les Parisiens, pour recevoir Charles VI, qui revenait de Flandre, sortirent du côté de Montmartre et se rangèrent en bataille. Il y avait plusieurs corps d’armée, un d’arbalétriers, un de paveschiens (portant des boucliers), un autre armé de maillets, qui à lui seul comptait vingt mille hommes.
Cette population n’était pas seulement très nombreuse, mais très intelligente, et bien au-dessus de la France d’alors. Sans parler du contact de cette grande Université, le commerce, la banque, les lombards, devaient y importer des idées. Le Parlement, où se portaient les appels de toutes les justices de France, attirait à Paris un monde de plaideurs. La chambre des Comptes, ce grand tribunal de finances, l’empire de Galilée, comme on l’appelait, ne pouvait manquer d’attirer beaucoup de gens, à cette époque fiscale. Les bourgeois remplissaient les plus grandes charges. Barbet, maître de la monnaie sous Philippe-le-Bel, Poilvilain, trésorier du roi Jean, étaient des bourgeois de Paris. Le roi faisait montre de sa confiance pour la bonne ville. Malgré la révolte des monnaies en 1306, il les avait appelés lui-même à son jardin royal, lors de l’affaire des Templiers[9].
Le chef naturel de ce grand peuple était, non le prévôt royal, magistrat de police, presque toujours impopulaire, mais le prévôt des marchands[10], président naturel des échevins de Paris. Dans l’abandon où le royaume se trouvait après la bataille de Poitiers, Paris prit l’initiative, et dans Paris le prévôt des marchands.
Les États du nord de la France, assemblés le 17 octobre, un mois après la bataille, réunirent quatre cents députés des bonnes villes, et à leur tête Étienne Marcel, prévôt des marchands. Les seigneurs, la plupart prisonniers, n’y vinrent guère que par procureurs. Il en fut de même des évêques. Toute l’influence fut aux députés des villes, et surtout à ceux de Paris. Dans l’ordonnance de 1357, résultat mémorable de ces États, on sent la verve révolutionnaire et en même temps le génie administratif de la grande commune. On ne peut expliquer qu’ainsi la netteté, l’unité de vues qui caractérisent cet acte. La France n’eût rien fait sans Paris.
Les États, assemblés d’abord au Parlement, puis aux Cordeliers, nommèrent un comité de cinquante personnes pour prendre connaissance de la situation du royaume. Ils voulurent « encore savoir plus avant que le grand trésor qu’on avoit levé au royaume du temps passé, en dixièmes, en maltôtes, en subsides, et en forges de monnoies, et en toute autre extorsion, dont leurs gens avoient été formenés et triboulés, et les soudoyers mal payés, et le royaume mal gardé et défendu, étoit devenu ; mais de ce ne savoit nul à rendre compte[11] ».
Tout ce qu’on sut, c’est qu’il y avait eu prodigalité monstrueuse, malversation, concussion. Le roi, au plus fort de la détresse publique, avait donné cinquante mille écus à un seul de ses chevaliers. Des officiers royaux, pas un n’avait les mains nettes. Les commissaires firent savoir au dauphin que, dans la séance publique, ils lui demanderaient de poursuivre ses officiers, de délivrer le roi de Navarre, et de permettre que trente-six députés des États, douze de chaque ordre, l’aidassent à gouverner le royaume.
Le dauphin, qui n’était pas roi, ne pouvait guère mettre ainsi la royauté entre les mains des États. Il ajourna la séance, sous prétexte de lettres qu’il aurait reçues du roi et de l’empereur. Puis il invita les députés à retourner chez eux pour prendre l’avis des leurs, tandis qu’il consulterait aussi son père[12].
Les États du Midi, assemblés à Toulouse, et si près du danger, se montrèrent plus dociles. Ils votèrent de l’argent et des troupes. Les États provinciaux, ceux d’Auvergne, par exemple, accordèrent aussi, mais toujours en se réservant l’administration de ce qu’ils accordaient. Le dauphin était pendant ce temps à Metz pour recevoir son oncle, l’empereur Charles IV ; triste dauphin, triste empereur, qui ne pouvaient rien l’un pour l’autre. De son côté, la reine mère s’en allait à Dijon marier son petit duc de Bourgogne, qu’elle avait eu d’un premier lit, avec la petite Marguerite de Flandre. Ce voyage coûteux avait l’avantage lointain de rattacher la Flandre à la France. Que devenait Paris, ainsi abandonné, sans roi, ni reine, ni dauphin ? Il voyait arriver par toutes ses portes les paysans avec leurs familles et leurs petits bagages ; puis, par longues files lugubres, les moines, les religieuses des environs. Tous ces fugitifs racontaient des choses effroyables de ce qui se passait dans les campagnes. Les seigneurs, les prisonniers de Poitiers, relâchés sur parole, revenaient sur leurs terres pour ramasser vitement leurs rançons, et ruinaient le paysan. Par-dessus, arrivaient les soldats licenciés, pillant, violant, tuant. Ils torturaient celui qui n’avait plus rien pour le forcer à donner encore[13]. C’était dans toute la campagne une terreur, comme celle des chauffeurs de la Révolution.
Les États étant de nouveau réunis le 5 février 1357, Marcel et Robert le Coq, évêque de Laon, leur présentèrent le cahier des doléances, et obtinrent que chaque député le communiquerait à sa province. Cette communication, très rapide pour ce temps-là et surtout en cette saison, se fit en un mois. Le 3 mars, le dauphin reçut les doléances. Elles lui furent présentées par Robert le Coq, ancien avocat de Paris, qui avait été successivement conseiller de Philippe-de-Valois, président du parlement, et qui, s’étant fait évêque-duc de Laon, avait acquis l’indépendance des grands dignitaires de l’Église. Le Coq, tout à la fois homme du roi, homme des Communes, allait des uns aux autres, et conseillait les deux partis. On le comparait à la besaguë du charpentier (bisacuta), qui taille des deux bouts[14]. Après qu’il eut parlé, le sire de Péquigny pour les nobles, un avocat de Bâville pour les Communes, Marcel pour les bourgeois de Paris, déclarèrent qu’ils l’avouaient de tout ce qu’il venait de dire.
Cette remontrance des États[15] était tout à la fois une harangue et un sermon. On conseillait d’abord au dauphin de craindre Dieu, de l’honorer ainsi que ses ministres, de garder ses commandements. Il devait éloigner les mauvais de lui, ne rien ordonner par les jeunes, simples et ignorants. Il ne pouvait douter, lui disait-on, que les États n’exprimassent la pensée du royaume, puisque les députés étaient près de huit cents et qu’ils avaient consulté leurs provinces. Quant à ce qu’on lui avait dit que les députés songeaient à faire tuer ses conseillers, c’était, ils le lui assuraient, un mensonge, une calomnie.
Ils exigeaient que dans l’intervalle des assemblées il gouvernât avec l’assistance de trente-six élus des États, douze de chaque ordre. D’autres élus devaient être envoyés dans les provinces avec des pouvoirs presque illimités. Ils pouvaient punir sans forme de procès, emprunter et contraindre, instituer, salarier, châtier les agents royaux, assembler des États provinciaux, etc.
Les États accordaient de quoi payer trente mille hommes d’armes. Mais ils faisaient promettre au dauphin que l’aide ne seroit levée ni employée par ses gens, mais par bonnes gens sages, loyaux et solvables, ordonnés par les trois États[16]. Une nouvelle monnaie devait être faite, mais conforme à l’instruction et aux patrons qui sont entre les mains du prévôt des marchands de Paris. Nul changement dans les monnaies sans le consentement des États.
Nulle trêve, nulle convocation d’arrière-ban sans leur autorisation.
Tout homme en France sera obligé de s’armer.
Les nobles ne pourront quitter le royaume sous aucun prétexte. Ils suspendront toute guerre privée : « Que si aucun fait le contraire, la justice du lieu, ou, s’il est besoin, ces bonnes gens du pays, prennent tels guerriers… et les contraignent sans délai par retenue de corps et exploitement de leurs biens, à faire paix et à cesser de guerroyer. » Voilà les nobles soumis à la surveillance des communes.
Le droit de prise cesse. On pourra résister aux procureurs, et s’assembler contre eux par cri, ou par son de cloche.
Plus de don sur le domaine. Tout don est révoqué, en remontant jusqu’à Philippe-le-Bel. — Le dauphin promet de faire cesser autour de lui toute dépense superflue et voluptuaire. — Il fera jurer à tous ses officiers de ne lui rien demander qu’en présence du Grand-Conseil.
Chacun se contentera d’un office. — Le nombre des gens de justice sera réduit. — Les prévôtés, vicomtés, ne seront plus données à ferme. — Les prévôts, etc., ne pourront être placés dans les pays où ils sont nés.
Plus de jugement par commission. — Les criminels ne pourront composer, « mais il sera fait pleine justice ».
Quoique l’un des principaux rédacteurs de l’ordonnance, Le Coq, soit un avocat, un président du parlement, les magistrats y sont traités sévèrement. On leur défend de faire le commerce ; on leur interdit les coalitions, les empiètements sur les juridictions respectives. On leur reproche leur paresse. On réduit leurs salaires en certains cas. Les réformes sont justes ; mais le langage est rude, le ton aigre et hostile. Il est évident que le parlement se refusait à soutenir les États et la Commune.
Les présidents, ou autres membres du parlement commis aux enquêtes, ne prendront que quarante sols par jour. « Plusieurs ont accoustumé de prendre salaire trop excessif, et d’aller à quatre ou cinq chevaux, quoique s’ils alloient à leurs dépens, il leur suffiroit bien d’aller à deux chevaux ou à trois. »
Le Grand-Conseil, le parlement, la chambre des Comptes, sont accusés de négligence. Des arrêts qui devroient avoir été rendus il y a vingt ans, sont encore à rendre. Les conseillers viennent tard, leurs dîners sont longs, leurs après-dîners peu profitables. Les gens de la chambre des Comptes « jureront aux saints évangiles de Dieu, que bien et loyalement ils délivreront la bonne gent et par ordre, sans eux faire muser. » Le Grand-Conseil, le parlement, la chambre des Comptes, doivent s’assembler au soleil levant. Les membres du Grand-Conseil qui ne viendront pas bien matin perdront les gages de la journée. — Ces membres, malgré leur haute position, sont, comme on le voit, traités sans façon par les bourgeois législateurs.
Cette grande ordonnance de 1357, que le dauphin fut obligé de signer, était bien plus qu’une réforme. Elle changeait d’un coup le gouvernement. Elle mettait l’administration entre les mains des États, substituait la république à la monarchie. Elle donnait le gouvernement au peuple, lorsqu’il n’y avait pas encore de peuple. Constituer un nouveau gouvernement au milieu d’une telle guerre, c’était une opération singulièrement périlleuse, comme celle d’une armée qui renverserait son ordre de bataille en présence de l’ennemi. Il y avait à craindre que la France ne pérît dans ce revirement.
L’ordonnance détruisait les abus. Mais la royauté ne vivait guère que d’abus[17].
Dans la réalité, la France existait-elle comme personne politique ? pouvait-on lui supposer une volonté commune ? Ce qu’on peut affirmer, c’est que l’autorité lui apparaissait encore tout entière dans la royauté.
Elle ne souhaitait que des réformes partielles. L’ordonnance approuvée des États n’était, selon toute vraisemblance, que l’œuvre d’une commune, d’une grande et intelligente commune, qui parlait au nom du royaume, mais que le royaume devait abandonner dans l’action.
Les nobles conseillers du dauphin, dans leur haine de nobles contre les bourgeois, dans leurs jalousies provinciales contre Paris, poussaient leur maître à la résistance. Au mois de mars, il avait signé l’ordonnance présentée aux États ; le 6 avril, il défendit de payer l’aide que les États avaient votée. Le 8, sur les représentations du prévôt des marchands, il révoqua la défense. Le jeune prince flottait ainsi entre deux impulsions, suivant l’une aujourd’hui, demain l’autre, et peut-être de bonne foi. Il y avait grandement à douter dans cette crise obscure. Tout le monde doutait, personne ne payait. Le dauphin restait désarmé, les États aussi. Il n’y avait plus de pouvoir public, ni roi, ni dauphin, ni États.
Le royaume, sans force, se mourant, pour ainsi dire, et perdant conscience de soi, gisait comme un cadavre. La gangrène y était, les vers fourmillaient ; les vers, je veux dire les brigands, anglais, navarrais. Toute cette pourriture isolait, détachait l’un de l’autre les membres du pauvre corps. On parlait du royaume ; mais il n’y avait plus d’États vraiment généraux, rien de général, plus de communication, de route pour s’y rendre. Les routes étaient des coupe-gorge. La campagne un champ de bataille ; la guerre partout à la fois, sans qu’on pût distinguer ami ou ennemi.
Dans cette dissolution du royaume, la commune restait vivante[18]. Mais comment la commune vivrait-elle seule, et sans secours du pays qui l’environne ? Paris, ne sachant à qui se prendre de sa détresse, accusait les États. Le dauphin enhardi déclara qu’il voulait gouverner, qu’il se passerait désormais de tuteur. Les commissaires des États se séparèrent. Mais il n’en fut que plus embarrassé. Il essaya de faire un peu d’argent en vendant des offices, mais l’argent ne vint pas. Il sortit de Paris ; toute la campagne était en feu. Il n’y avait pas de petite ville où il ne pût être enlevé par les brigands. Il revint se blottir à Paris, et se remettre aux mains des États. Il les convoqua pour le 7 novembre.
Dans la nuit du 8 au 9, un ami de Marcel, un Picard, le sire de Péquigny, enleva par un coup de main Charles-le-Mauvais du fort où il était enfermé. Marcel, qui voyait toujours autour du dauphin une foule menaçante de nobles, avait besoin d’une épée contre ces gens d’épée, d’un prince du sang contre le dauphin. Les bourgeois, dans leurs plus hardies tentatives de liberté, aimaient à suivre un prince. Il semblait beau aussi et chevaleresque, quand la chevalerie se conduisait si mal, que les bourgeois se chargeassent de réparer cette grande injustice, de redresser le tort des rois. La foule, toujours facile aux émotions généreuses, accueillit le prisonnier avec des larmes de joie. Le retour de ce méchant homme, mais si malheureux, leur semblait celui de la justice elle-même. Amené par les communes d’Amiens, reçu à Saint-Denis par la foule des bourgeois qui étaient allés au-devant[19], il vint à Paris, mais d’abord seulement hors des murs, à Saint-Germain-des-Prés. Le surlendemain il prêcha le peuple de Paris. Il y avait contre les murs de l’abbaye une chaire ou tribune, d’où les juges présidaient aux combats judiciaires qui se faisaient au Pré-aux-Clercs, limite des deux juridictions. Ce fut de là que parla le roi de Navarre. Le dauphin, à qui il avait demandé l’entrée de la ville et qui n’avait pas osé refuser, était venu l’entendre, peut-être dans l’espoir qu’il en dirait moins. Mais la harangue n’en fut que plus hardie. Il commença en latin, et continua en langue vulgaire[20]. Il parla à merveille. Il était, disent les contemporains, petit, vif et d’esprit subtil.
Le texte du discours, tiré, selon l’usage du temps, de la sainte Écriture, prêtait aux développements pathétiques : Justus Dominus et dilexit justitias ; vidit æquitatem vultus ejus. Le roi de Navarre, s’adressant, avec une insidieuse douceur, au dauphin lui-même, le prenait à témoin des injures qu’on lui avait faites. On avait bien tort de se défier de lui ; n’était-il pas Français de père et de mère ? n’était-il pas plus près de la couronne que le roi d’Angleterre qui la réclamait ? il voudrait vivre et mourir en défendant le royaume de France… Le discours fut si long, qu’on avait soupe dans Paris quand il cessa[21]. Mais, quoique le bourgeois n’aime pas à se desheurer[22], il n’en fut pas moins favorable au harangueur. Ce fut à qui lui donnerait de l’argent.
De Paris, il alla à Rouen et y exposa ses malheurs avec la même faconde[23]. Il fit descendre du gibet les corps de ses amis qui avaient été mis à mort au terrible dîner de Rouen[24] et les suivit à la cathédrale au son des cloches et à la lueur des cierges. C’était le jour des Saints-Innocents (28 décembre) ; il parla sur ce texte : « Des innocents et des justes s’étaient attachés à moi, parce que je tenais pour vous, ô Seigneur ! »
Le dauphin prêchait aussi à Paris. Il haranguait aux halles, Marcel à Saint-Jacques[25]. Mais le premier n’avait pas la foule. Le peuple n’aimait pas la mine chétive du jeune prince. Tout sage et sensé qu’il pouvait être, c’était un froid harangueur, à côté du roi de Navarre.
L’engouement de Paris pour celui-ci était étrange[26]. Que demandait ce prince si populaire ? Qu’on affaiblît encore le royaume, qu’on mît en ses mains des provinces entières, les provinces les plus vitales de la monarchie, toute la Champagne et une partie de la Normandie, la frontière anglaise, le Limousin, une foule de places et de forteresses. Mettre en des mains si suspectes nos meilleures provinces, c’eût été perdre d’un trait de plume autant qu’on avait perdu par la bataille de Poitiers.
Les bourgeois de Paris s’imaginaient que si le roi de Navarre était satisfait, il allait les délivrer des bandes de brigands qui affamaient la ville et qui se disaient Navarrais. Au fond, ils n’étaient ni au roi de Navarre ni à personne. Il eût voulu rappeler tous ces pillards qu’il ne l’aurait pu.
Cependant les bourgeois, le prévôt, l’Université, entouraient, assiégeaient le dauphin. Ils le sommaient de faire justice à ce pauvre roi de Navarre. Un jacobin, parlant au nom de l’Université, lui déclara qu’il était arrêté que le roi de Navarre ayant une fois fait toutes ses demandes, le dauphin lui rendrait ses forteresses ; que sur le reste, la ville et l’Université aviseraient. Un moine de Saint-Denis vint après le jacobin : « Vous n’avez pas tout dit, maître, s’écria-t il. Dites encore que si monseigneur le duc ou le roi de Navarre ne se tient à ce qui est décidé, nous nous déclarerons contre lui. »
Il n’y avait pas à dire non. Le dauphin promettait gracieusement. Puis il faisait répondre par les commandants et capitaines qu’ayant reçu leurs places du roi, ils ne pouvaient les rendre sur un ordre du dauphin.
Celui-ci, au milieu d’une ville ennemie, n’avait d’autre moyen de se procurer quelque argent que par de nouvelles altérations des monnaies (22, 23 janvier, 7 février). Les États, réunis le 11 février, lui firent prendre le titre de régent du royaume, sans doute afin d’autoriser tout ce qu’ils ordonneraient en son nom. Peut-être aussi la commission des trente-quatre, choisie sous l’influence de Marcel, mais composée en majorité de nobles et d’ecclésiastiques, voulait-elle rendre force au dauphin contre les bourgeois de Paris.
Un événement tragique avait porté au comble le mauvais vouloir de ceux-ci. Un clerc, apprenti d’un changeur, nommé Perrin Marc, ayant vendu, pour le compte de son maître, deux chevaux au dauphin et n’étant pas payé, arrêta dans la rue Neuve-Saint-Merry Jean Baillet, trésorier des finances. Le trésorier refusait de payer, sans doute sous prétexte du droit de prise. Une dispute s’éleva. Perrin tua Baillet, et se jeta à quartier dans Saint-Jacques-la-Boucherie. Les gens du dauphin, Robert de Clermont, maréchal de Normandie, Jean de Châlons et Guillaume Staise, prévôt de Paris, s’y rendirent, forcèrent l’asile, traînèrent Perrin au Châtelet, lui coupèrent le poing et le firent pendre. L’évêque se plaignit bien haut de cette violation des immunités ecclésiastiques, il obtint le corps de Perrin et l’enterra honnêtement à Saint-Merry. Marcel assista au service, tandis que le dauphin suivait l’enterrement de Baillet.
Une collision était imminente. Marcel, pour encourager les bourgeois par la vue de leur nombre, leur fit porter des chaperons bleus et rouges, aux couleurs de la ville[27]. Il écrivit aux bonnes villes pour les prier de prendre ces chaperons. Amiens et Laon n’y manquèrent pas. Peu d’autres villes consentirent à en faire autant.
Cependant la désolation des campagnes amenait, entassait dans Paris tout un peuple de paysans. Les vivres devenaient rares et chers. Les bourgeois qui avaient beaucoup de petits biens dans l’île de France, et qui en tiraient mille douceurs, œufs, beurre, fromages, volailles, ne recevaient plus rien. Ils trouvaient cela bien dur[28]. Le 22 février, le dauphin rendit une nouvelle ordonnance pour altérer encore les monnaies.
Le lendemain, le prévôt des marchands assemble en armes à Saint-Éloi tous les corps de métiers. À neuf heures, cette foule armée reconnut dans la rue un des conseillers du dauphin, avocat au parlement, maître Régnault Dacy, qui revenait du Palais chez lui, près Saint-Landry. Ils se mirent à courir sur lui ; il se jeta dans la maison d’un pâtissier, et y fut frappé à mort ; il n’eut pas le temps de pousser un cri. Cependant le prévôt, suivi d’une foule de bonnets rouges et bleus, entra dans l’hôtel du dauphin, monta jusqu’à sa chambre, et lui dit aigrement qu’il devait mettre ordre aux affaires du royaume ; que ce royaume devant après tout lui revenir, c’était à lui à le garder des compagnies qui gâtaient tout le pays. Le dauphin, qui était entre ses conseillers ordinaires les maréchaux de Champagne et de Normandie, répondit avec plus de hardiesse que de coutume : « Je le ferais volontiers, si j’avais de quoi le faire ; mais c’est à celui qui a les droits et profits à avoir aussi la garde du royaume[29]. » Il y eut encore quelques paroles aigres, et le prévôt éclata : « Monseigneur, dit-il au dauphin, ne vous étonnez de rien de ce que vous allez voir ; il faut qu’il en soit ainsi. » Puis, se tournant vers les hommes aux capuces rouges, il leur dit : « Faites vite ce pourquoi vous êtes venus[30]. » À l’instant, ils se jetèrent sur le maréchal de Champagne et le tuèrent près du lit du dauphin. Le maréchal de Normandie s’était retiré dans un cabinet ; ils l’y poursuivirent et le tuèrent aussi. Le dauphin se croyait perdu ; le sang avait rejailli jusque sur sa robe. Tous ses officiers avaient fui. « Sauvez-moi la vie », dit-il au prévôt. Marcel lui dit de ne rien craindre. Il changea de chaperon avec lui, le couvrant ainsi des couleurs de la ville. Toute la journée, Marcel porta hardiment le chaperon du dauphin. Le peuple l’attendait à la Grève. Il le harangua d’une fenêtre, dit que ceux qui avaient été tués étaient des traîtres, et demanda au peuple s’il le soutiendrait. Plusieurs crièrent qu’ils l’avouaient de tout, et se dévouaient à lui à la vie et à la mort.
Marcel retourna au Palais avec une foule de gens armés qu’il laissa dans la cour. Il trouva le dauphin plein de saisissement et de douleur. « Ne vous affligez, monseigneur, lui dit le prévôt. Ce qui s’est fait s’est fait pour éviter de plus grands périls, et de la volonté du peuple[31]. » Et il le priait de tout approuver.
Il fallait bien que le dauphin approuvât, ne pouvant mieux. Il lui fallut encore faire bonne mine au roi de Navarre, qui rentra quatre jours après. Marcel et Le Coq les avaient reconciliés, bon gré mal gré, et les faisaient dîner ensemble tous les jours.
Ce retour du roi de Navarre, quatre jours après le meurtre des conseillers du dauphin, ne donnait que trop clairement le sens de cette tragédie. Il pouvait rentrer ; Marcel lui avait fait place libre par la mort de ses ennemis. Il lui avait donné un terrible gage, qui le liait à lui pour jamais. Il était évident que tout était fini entre Marcel et le dauphin. Ce crime avait été probablement imposé au prévôt par Charles-le-Mauvais, qui n’était pas neuf aux assassinats[32]. Marcel s’étant donné ainsi, le roi de Navarre avait désormais à voir ce qu’il en ferait, et s’il avait plus d’avantage à l’aider ou à le vendre.
Marcel croyait avoir gagné le roi de Navarre, et il perdit les États. C’est-à-dire que la légalité, violée par un crime, le délaissa pour toujours. Ce qui restait des députés de la noblesse quitta Paris, sans attendre la clôture. Plusieurs même des commissaires des États, chargés du gouvernement dans l’intervalle des sessions, ne voulurent plus gouverner, et laissèrent Marcel. Lui, sans se décourager, il les remplaça par des bourgeois de Paris[33]. Paris se chargeait de gouverner la France ; mais la France ne voulut pas[34].
La Picardie, qui avait si vivement pris parti en délivrant le roi de Navarre, fut la première à refuser d’envoyer de l’argent à Paris. Les États de Champagne s’assemblèrent, et Marcel ne fut pas assez fort pour empêcher le dauphin d’y aller. Dès lors, il devait périr tôt ou tard. Le pouvoir royal n’avait besoin que d’une prise pour ressaisir tout. Le dauphin alla à ces États, accompagné des gens de Marcel ; et d’abord il n’osa rien dire contre ce qui s’était passé à Paris. Mais les nobles de Champagne ne manquèrent pas de parler. Le comte de Braine lui demanda si les maréchaux de Champagne et de Normandie avaient mérité la mort. Le dauphin répondit qu’ils l’avaient toujours bien et loyalement servi. Même scène à Compiègne, aux États de Vermandois[35]. Le dauphin, tout à fait rassuré, prit sur lui de transférer à Compiègne les États de la langue d’Oil, qui étaient convoqués pour le 1er mai à Paris. Peu de monde y vint. C’était toutefois une représentation telle quelle du royaume contre Paris.
Les États rendirent hommage aux réformes de la grande ordonnance, en les adoptant pour la plupart. L’aide qu’ils votèrent devait être perçue par des députés des États. Cette affectation de popularité effraya Marcel. Il engagea l’Université à implorer pour la ville la clémence du dauphin. Mais il n’y avait plus de paix possible. Le prince insistait pour qu’on lui livrât dix ou douze des plus coupables. Il se rabattit même à cinq ou six, assurant qu’il ne les ferait pas mourir.
Marcel ne s’y fia pas. Il acheva promptement les murs de Paris, sans épargner les maisons de moines qui touchaient l’enceinte[36]. Il s’empara de la tour du Louvre. Il envoya en Avignon louer des brigands[37].
La noblesse et la commune allaient combattre et se mesuraient, lorsqu’un tiers se leva auquel personne n’avait songé. Les souffrances du paysan avaient passé la mesure ; tous avaient frappé dessus, comme sur une bête tombée sous la charge ; la bête se releva enragée, et elle mordit.
Nous l’avons déjà dit. Dans cette guerre chevaleresque que se faisaient à armes courtoises[38] les nobles de France et d’Angleterre, il n’y avait au fond qu’un ennemi, une victime des maux de la guerre : c’était le paysan. Avant la guerre, celui-ci s’était épuisé pour fournir aux magnificences des seigneurs, pour payer ces belles armes, ces écussons émaillés, ces riches bannières qui se firent prendre à Créci et à Poitiers. Après, qui paya la rançon ? ce fut encore le paysan.
Les prisonniers, relâchés sur parole, vinrent sur leurs terres ramasser vitement les sommes monstrueuses qu’ils avaient promises sans marchander sur le champ de bataille. Le bien du paysan n’était pas long à inventorier. Maigres bestiaux, misérables attelages, charrue, charrette et quelques ferrailles. De mobilier, il n’y en avait point. Nulle réserve, sauf un peu de grain pour semer. Cela pris et vendu, que restait-il sur quoi le seigneur eût recours ? le corps, la peau du pauvre diable. On tâchait encore d’en tirer quelque chose. Apparemment le rustre avait quelque cachette où il enfouissait. Pour le lui faire dire, on le travaillait rudement. On lui chauffait les pieds. On n’y plaignait ni le fer ni le feu.
Il n’y a plus guère de châteaux ; les édits de Richelieu, la Révolution, y ont pourvu. Toutefois maintenant encore, lorsque nous cheminons sous les murs de Taillebourg ou de Tancarville, lorsqu’au fond des Ardennes, dans la gorge de Montcornet, nous envisageons sur nos têtes l’oblique et louche fenêtre qui nous regarde passer, le cœur se serre, nous ressentons quelque chose des souffrances de ceux qui, tant de siècles durant, ont langui au pied de ces tours. Il n’est même pas besoin pour cela que nous ayons lu les vieilles histoires. Les âmes de nos pères vibrent encore en nous pour des douleurs oubliées, à peu près comme le blessé souffre à la main qu’il n’a plus.
Ruiné par son seigneur, le paysan n’était pas quitte. Ce fut le caractère atroce de ces guerres des Anglais ; pendant qu’ils rançonnaient le royaume en gros, ils le pillaient en détail. Il se forma par tout le royaume des compagnies, dites d’Anglais ou de Navarrais. Le Gallois Griffith désolait tout le pays entre Seine et Loire, l’Anglais Knolles la Normandie. Le premier à lui seul saccagea Montargis, Étampes, Arpajon, Montlhéry, plus de quinze villes ou gros bourgs[39]. Ailleurs, c’étaient l’Anglais Audley, les Allemands Albrecht et Frank Hennekin. Un de ces chefs, Arnaud de Cervoles, qu’on appelait l’archiprêtre, parce qu’en effet, quoique séculier, il possédait un archiprêtré, laissa les provinces déjà pillées, traversa toute la France jusqu’en Provence, mit à sac Salon et Saint-Maximin pour épouvanter Avignon. Le pape tremblant invita le brigand, le reçut comme un fils de France[40], le fit dîner avec lui, et lui donna quarante mille écus, de plus l’absolution. Cervoles, en sortant d’Avignon, n’en pilla pas moins la ville d’Aix, d’où il alla en Bourgogne pour en faire autant.
Ces chefs de bande n’étaient pas, comme on pourrait croire, des gens de rien, de petits compagnons, mais des nobles, souvent des seigneurs. Le frère du roi de Navarre pillait comme les autres[41]. Dans les saufs-conduits qu’ils vendaient aux marchands qui approvisionnaient les villes, ils exceptaient nommément les choses propres aux nobles, les parures militaires : « Chapeaux de castor, plumes d’autruche et fer de glaive[42]. »
Les chevaliers du quatorzième siècle avaient une autre mission que ceux des romans, c’était d’écraser le faible. Le sire d’Aubrécicourt volait et tuait au hasard pour bien mériter de sa dame, Isabelle de Juliers, nièce de la reine d’Angleterre : « Car il était jeune et amoureux durement. » Il se faisait fort de devenir au moins comte de Champagne[43]. La dissolution de la monarchie donnait à ces pillards des espérances folles. C’était à qui entrerait par ruse ou par force dans quelque château mal gardé. Les capitaines des places se croyaient libres de leurs serments. Plus de roi, plus de foi. Ils vendaient, échangeaient leurs places, leurs garnisons.
Cette vie de trouble et d’aventures, après tant d’années d’obéissance sous les rois, faisait la joie des nobles. C’était comme une échappée d’écoliers qui ne ménagent rien dans leurs jeux. Froissart, leur historien, ne se lasse pas de conter ces belles histoires. Il s’intéresse à ces pillards, prend part à leurs bonnes fortunes : « Et toujours gagnoient pauvres brigands, etc.[44] » Il ne lui arrive nulle part de douter de leur loyauté. À peine doute-t-il de leur salut[45].
L’effroi était tel à Paris que les bourgeois avaient offert à Notre-Dame une bougie qui, disait-on, avait la longueur du tour de la ville[46]. On n’osait plus sonner dans les églises, si ce n’est à l’heure du couvre-feu, de crainte que les habitants en sentinelle sur les murailles n’entendissent venir l’ennemi. Combien la terreur n’était-elle pas plus grande dans les campagnes ! Les paysans ne dormaient plus. Ceux des bords de la Loire passaient les nuits dans les îles ou dans des bateaux arrêtés au milieu du fleuve. En Picardie les populations creusaient la terre et s’y réfugiaient. Le long de la Somme, de Péronne à l’embouchure, on comptait encore au dernier siècle trente de ces souterrains[47]. C’est là qu’on pouvait avoir quelque impression de l’horreur de ces temps. C’étaient de longues allées voûtées de sept ou huit pieds de large, bordées de vingt ou trente chambres avec un puits au centre pour avoir à la fois de l’air et de l’eau. Autour du puits de grandes chambres pour les bestiaux. Le soin et la solidité qu’on remarque dans ces constructions indique assez que c’était une des demeures ordinaires de la triste population de ces temps. Les familles s’y entassaient à l’approche de l’ennemi. Les femmes, les enfants, y pourrissaient des semaines, des mois, pendant que les hommes allaient timidement au clocher voir si les gens de guerre s’éloignaient de la campagne.
Mais ils ne s’en allaient pas toujours assez vite pour que les pauvres gens pussent semer ou récolter. Ils avaient beau se réfugier sous la terre, la faim les y atteignait. Dans la Brie et le Beauvaisis surtout, il n’y avait plus de ressources[48]. Tout était gâté, détruit. Il ne restait plus rien que dans les châteaux. Le paysan, enragé de faim et de misère, força les châteaux, égorgea les nobles.
Jamais ceux-ci n’auraient voulu croire à une telle audace. Ils avaient ri tant de fois, quand on essayait d’armer ces populations simples et dociles, quand on les traînait à la guerre ! On appelait par dérision le paysan Jacques Bonhomme, comme nous appelons Jeanjeans nos conscrits[49]. Qui aurait craint de maltraiter des gens qui portaient si gauchement les armes ? C’était un dicton entre les nobles : « Oignez vilain, il vous poindra ; poignez vilain, il vous oindra[50]. »
Les Jacques payèrent à leurs seigneurs un arriéré de plusieurs siècles. Ce fut une vengeance de désespérés, de damnés. Dieu semblait avoir si complètement délaissé ce monde !… Ils n’égorgeaient pas seulement leurs seigneurs, mais tâchaient d’exterminer les familles, tuant les jeunes héritiers, tuant l’honneur, en violant les dames[51]. Puis, ces sauvages s’affublaient de beaux habits, eux et leurs femmes se paraient de belles dépouilles sanglantes.
Et toutefois, ils n’étaient pas tellement sauvages qu’ils n’allassent avec une sorte d’ordre, par bannières, et sous un capitaine, un des leurs, un rusé paysan qui s’appelait Guillaume Callet[52] : « Et en ces assemblées avoit gens de labour le plus, et si y avoit de riches hommes bourgeois, et aultres[53]. » — « Quand on leur demandoit, dit Froissart, pourquoi ils faisoient ainsi, ils répondoient qu’ils ne savoient, mais qu’ils faisoyent ainsi qu’ils veoyent les autres faire ; et pensoyent qu’ils dussent en telle manière destruire tous les nobles et gentilshommes du monde. »
Aussi les grands et les nobles se déclarèrent tous contre eux, sans distinction de parti. Charles-le-Mauvais les flatta, invita leurs principaux chefs[54], et pendant les pourparlers il fit main-basse sur eux. Il couronna le roi des Jacques d’un trépied de fer rouge. Il les surprit ensuite près de Montdidier, et en fit un grand carnage. Les nobles se rassurèrent, prirent les armes, et se mirent à tuer et brûler tout dans les campagnes, à tort ou à droit[55].
La guerre des Jacques avait fait une diversion utile à celle de Paris. Marcel avait intérêt à les soutenir[56]. Les communes hésitaient. Senlis et Meaux les reçurent. Amiens leur envoya quelques hommes, mais les fit bientôt revenir. Marcel, qui avait profité du soulèvement pour détruire plusieurs forteresses autour de Paris, se hasarda à leur envoyer du monde pour les aider à prendre le Marché de Meaux. D’abord le prévôt des monnaies leur conduisit cinq cents hommes, auxquels se joignirent trois cents autres sous la conduite d’un épicier de Paris.
La duchesse d’Orléans, la duchesse de Normandie, une foule de nobles dames, de demoiselles et d’enfants, s’étaient jetées dans le Marché de Meaux, environné de la Marne. De là elles voyaient et entendaient les Jacques qui remplissaient la ville. Elles se mouraient de peur. D’un moment à l’autre, elles pouvaient être forcées, massacrées. Heureusement il leur vint un secours inespéré. Le comte de Foix et le captal de Buch (ce dernier au service des Anglais) revenaient de la croisade de Prusse avec quelques cavaliers. Ils apprirent à Châlons le danger de ces dames, et chevauchèrent rapidement vers Meaux. Arrivés dans le Marché, « ils firent ouvrir tout arrière, et puis se mirent au-devant de ces vilains, noirs et petits et très mal armés, et lancèrent à eux de leurs lances et de leurs épées. Ceux qui étoient devant et qui sentoient les horions reculèrent de hideur et tomboient les uns sur les autres. Alors issirent les gens d’armes hors des barrières et les abattoient à grands monceaux et les tuoient ainsi que bêtes et les reboutèrent hors de la ville. Ils en mirent à fin plus de sept mille et boutèrent le feu en la désordonnée ville de Meaux (9 juin 1358)[57] ».
Les nobles firent partout main basse sur les paysans, sans s’informer de la part qu’ils avaient prise à la Jacquerie ; « et ils firent, dit un contemporain, tant de mal au pays, qu’il n’y avait pas besoin que les Anglais vinssent pour la destruction du royaume. Ils n’auraient jamais pu faire ce que firent les nobles de France[58]. »
Ils voulaient traiter Senlis comme Meaux. Ils s’en firent ouvrir les portes, disant venir de la part du régent, puis ils se mirent à crier : « Ville prise ! ville gagnée. » Mais ils trouvèrent tous les bourgeois en armes, et même d’autres nobles qui défendaient la ville. On lança sur eux, par la pente rapide de la grande rue, des charrettes qui les renversèrent. L’eau bouillante pleuvait des fenêtres. « Les uns s’enfuirent à Meaux conter leur déconfiture et se faire moquer ; les autres qui restèrent sur la place, ne feront plus de mal aux gens de Senlis[59]. »
C’est un prodige qu’au milieu de cette dévastation des campagnes, Paris ne soit pas mort de faim. Cela fait grand honneur à l’habileté du prévôt des marchands. Il ne pouvait nourrir longtemps cette grande et dévorante ville sans avoir pour lui la campagne ; de là l’apparente inconstance de sa conduite. Il s’allia aux Jacques, puis au roi de Navarre, destructeur des Jacques. La cavalerie de ce prince lui était indispensable pour garder quelques routes libres, tandis que le dauphin tenait la rivière. Il fit donner à Charles-le-Mauvais le titre de capitaine de Paris (15 juin). Mais le prince lui-même n’était pas libre. Il fut abandonné de plusieurs de ses gentilshommes qui ne voulaient pas servir la canaille contre les honnêtes gens. Cependant les bourgeois mêmes tournaient contre lui ; ils lui en voulaient d’avoir détruit les Jacques, et ils soupçonnaient bien que leur capitaine ne faisait pas grand cas d’eux.
Cependant les vivres enchérissaient. Le dauphin, avec trois mille lances, était à Charenton et arrêtait les arrivages de la Seine et de la Marne. Les bourgeois sommèrent le roi de Navarre de les défendre, de sortir, de faire enfin quelque chose. Il sortit, mais pour traiter. Les deux princes eurent une longue et secrète entrevue et se séparèrent bons amis. Le roi de Navarre ayant encore osé rentrer dans Paris, ses plus déterminés partisans, et Marcel lui-même, lui ôtèrent le titre de capitaine de la ville. Il se retira en se plaignant fort ; Navarrais et bourgeois se querellèrent, et il y eut quelques hommes de tués.
La position de Marcel devenait mauvaise. Le dauphin tenait la haute Seine, Charenton, Saint-Maur ; le roi de Navarre, la basse, Saint-Denis. Il battait toute la campagne. Les arrivages étaient impossibles. Paris allait étouffer. Le roi de Navarre, qui le voyait bien, se faisait marchander par les deux partis. La dauphine et beaucoup de bonnes gens, c’est-à-dire des seigneurs, des évêques s’entremettaient, allaient et venaient. On offrait au roi de Navarre quatre cent mille florins, pourvu qu’il livrât Paris et Marcel[60]. Le traité était déjà signé, et une messe dite, où les deux princes devaient communier de la même hostie. Le roi de Navarre déclara qu’il ne pouvait, n’étant pas à jeun[61].
Le dauphin lui promettait de l’argent. Marcel lui en donnait. Toutes les semaines il envoyait à Charles-le-Mauvais deux charges d’argent pour payer ses troupes. Il n’avait d’espoir qu’en lui ; il l’allait voir à Saint-Denis ; il le conjurait de se rappeler que c’étaient les gens de Paris qui l’avaient tiré de prison, et eux encore qui avaient tué ses ennemis. Le roi de Navarre lui donnait de bonnes paroles ; il l’engageait « à se bien pourvoir d’or et d’argent et à l’envoyer hardiment à Saint-Denis, qu’il leur en rendrait bon compte[62] ».
Ce roi des bandits ne pouvait, ne voulait sans doute les empêcher de piller. Les bourgeois voyaient leur argent s’en aller aux pillards, et les vivres n’en venaient pas mieux. Le prévôt était toujours sur la route de Saint-Denis, toujours en pourparlers. Cela leur donnait à penser. De tant d’argent que levait Marcel, n’en gardait-il pas bonne part ? Déjà on avait épilogué sur les salaires que les commissaires des États s’étaient libéralement attribués à eux-mêmes[63].
Les Navarrais, Anglais et autres mercenaires avaient suivi la plupart le roi de Navarre à Saint-Denis. D’autres étaient restés à Paris pour manger leur argent. Les bourgeois les voyaient de mauvais œil. Il y eut des batteries, et l’on en tua plus de soixante. Marcel, qui ne craignait rien tant que de se brouiller avec le roi de Navarre, sauva les autres en les emprisonnant, et le soir même il les renvoya à Saint-Denis[64]. Les bourgeois ne le lui pardonnèrent pas.
Cependant les Navarrais poussaient leurs courses jusqu’aux portes ; on n’osait plus sortir. Les Parisiens se fâchèrent ; ils déclarèrent au prévôt qu’ils voulaient châtier ces brigands. Il fallut leur complaire, les faire sortir pour chercher les Navarrais. Ayant couru tout le jour vers Saint-Cloud, ils revenaient fort las (c’était le 22 juillet), traînant leurs épées, ayant défait leurs bassinets[65], se plaignant fort de n’avoir rien trouvé, lorsqu’au fond d’un chemin ils trouvent quatre cents hommes qui se lèvent et tombent sur eux. Ils s’enfuirent à toutes jambes, mais avant d’atteindre les portes il en périt sept cents ; d’autres encore furent tués le lendemain, lorsqu’ils allaient chercher les morts. Cette déconfiture acheva de les exaspérer contre Marcel : c’était sa faute, disaient-ils ; il était rentré avant eux[66] ; il ne les avait pas soutenus ; probablement il avait averti l’ennemi.
Le prévôt était perdu. Sa seule ressource était de se livrer au roi de Navarre, lui et Paris, et le royaume s’il pouvait. Charles-le-Mauvais touchait au but de son ambition[67]. Marcel aurait promis au roi de Navarre de lui livrer les clefs de Paris, pour qu’il se rendit maître de la ville et tuât tous ceux qui lui étaient opposés. Leurs portes étaient marquées d’avance[68].
La nuit du 31 juillet au 1er août, Étienne Marcel entreprit de livrer la ville qu’il avait mise en défense, les murailles qu’il avait bâties. Jusque-là, il semble avoir toujours consulté les échevins, même sur le meurtre des deux maréchaux. Mais cette fois, il voyait que les autres ne songeaient plus qu’à se sauver en le perdant. Celui des échevins sur lequel il comptait le plus, qui s’était le plus compromis, qui était son compère, Jean Maillart, lui avait cherché querelle le jour même. Maillart s’entendit avec les chefs du parti du dauphin, Pépin des Essarts et Jean de Charny, et tous trois, avec leurs hommes, se trouvèrent à la bastille Saint-Denis, que Marcel devait livrer. « Et s’en vinrent un peu avant minuit… et trouvèrent ledit prévôt des marchands, les clefs de la porte en ses mains. Le premier parler que Jean Maillart lui dit, ce fut que il lui demanda par son nom : « Étienne, Étienne, que faites-vous ci à cette heure ? » Le prévôt lui répondit : « Jean, à vous qu’en monte de savoir ? je suis ci pour prendre garde de la ville dont j’ai le gouvernement. » — « Par Dieu, répondit Jean Maillart, il ne va mie ainsi ; mais n’êtes ci à cette heure pour nul bien ; et je le vous montre, dit-il à ceux qui étoient de-lez (près) lui, comment il tient les clefs des portes en ses mains pour trahir la ville. » Le prévôt des marchands s’avança et dit : « Vous mentez. » — « Par Dieu ! répondit Jean Maillart, traître, mais vous mentez ! » Et tantôt férit à lui et dit à ses gens : « À la mort, à la mort tout homme de son côté, car ils sont traîtres. » Là eut grand hutin et dur ; et s’en fût volontiers le prévôt des marchands fui s’il eût pu ; mais il fut si hâté qu’il ne put. Car Jean Maillart le férit d’une hache sur la tête et l’abattit à terre, quoique ce fût son compère, ni ne se partit de lui jusqu’à ce qu’il fût occis et six de ceux qui là étoient, et le demeurant pris et envoyé en prison[69]. »
Selon une version plus vraisemblable, Marcel et cinquante-quatre de ses amis qui étaient venus avec lui tombèrent frappés par des gardes obscurs de la porte Saint-Antoine[70].
Cependant les meurtriers s’en allèrent, criant par la ville et éveillant le peuple. Le matin, tous étaient assemblés aux halles, où Maillart les harangua. Il leur conta comment cette même nuit, la ville devait être courue et détruite, si Dieu ne l’eût éveillé lui et ses amis, et ne leur eût révélé la trahison. La foule apprit avec saisissement le péril où elle avait été sans le savoir ; tous joignaient les mains et remerciaient Dieu[71].
Telle fut la première impression. Qu’on ne croie pas pourtant que le peuple ait été ingrat pour celui qui avait tant fait pour lui. Le parti de Marcel, qui comptait beaucoup d’hommes instruits et éloquents[72], survécut à son chef. Quelques mois après, il y eut une conspiration pour venger Marcel. Le dauphin fit rendre à sa veuve tous les meubles du prévôt qui n’avaient pas été donnés ou perdus dans le moment qui suivit sa mort[73].
La carrière de cet homme fut courte et terrible. En 1356, il sauve Paris, il le met en défense. De concert avec Robert Le Coq, il dicte au dauphin la fameuse ordonnance de 1357. Cette réforme du royaume par l’influence d’une commune ne peut se faire que par des moyens violents. Marcel est poussé de proche en proche à une foule d’actes irréguliers et funestes. Il tire de prison Charles-le-Mauvais, pour l’opposer au dauphin, mais il se trouve avoir donné un chef aux bandits. Il met la main sur le dauphin, il lui tue ses conseillers, les ennemis du roi de Navarre.
Abandonné des États, il tue les États en les faisant comme il les veut, en créant des députés, en remplaçant les députés des nobles par des bourgeois de Paris[74]. Paris ne pouvait encore mener la France, Marcel n’avait pas les ressources de la Terreur ; il ne pouvait assiéger Lyon, ni guillotiner la Gironde. La nécessité des approvisionnements le mettait dans la dépendance de la campagne. Il s’allia aux Jacques, et les Jacques échouant, au roi de Navarre. Celui à qui il s’était donné, il essaya de lui donner le royaume ; il y périt.
La doctrine classique du Salus populi, du droit de tuer les tyrans, avait été attestée au commencement du siècle par le roi contre le pape. Un demi-siècle est à peine écoulé ; Marcel la tourne contre la royauté elle-même, contre les serviteurs de la royauté.
Cette tache sanglante dont la mémoire d’Étienne Marcel est restée souillée ne peut nous faire oublier que notre vieille charte est en partie son ouvrage. Il dut périr, comme ami du Navarrais, dont le succès eût démembré la France ; mais dans l’ordonnance de 1357 il vit et vivra.
Cette ordonnance est le premier acte politique de la France, comme la Jacquerie est le premier élan du peuple des campagnes. Les réformes indiquées dans l’ordonnance furent presque toutes accomplies par nos rois. La Jacquerie, commencée contre les nobles, continua contre l’Anglais. La nationalité, l’esprit militaire naquirent peu à peu. Le premier signe peut-être de ce nouvel esprit se trouve, dès l’an 1359, dans un récit du Continuateur de Nangis. Ce grave témoin, qui note jour par jour tout ce qu’il voit et entend, sort de sa sécheresse ordinaire pour conter tout au long une de ces rencontres où le peuple des campagnes, laissé à lui-même, commença à s’enhardir contre l’Anglais. Il s’y arrête avec complaisance : « C’est, dit-il naïvement, que la chose s’est passée près de mon pays, et qu’elle a été menée bravement par les paysans, par Jacques Bonhomme[75]. »
Il y a un lieu assez fort au petit village près Compiègne, lequel dépend du monastère de Saint-Corneille. Les habitants, voyant qu’il y avait péril pour eux, si les Anglais s’en emparaient, l’occupèrent, avec la permission du régent et de l’abbé, et s’y établirent avec des armes et des vivres. D’autres y vinrent des villages voisins, pour être plus en sûreté. Ils jurèrent à leur capitaine de défendre ce poste jusqu’à la mort. Ce capitaine, qu’ils s’étaient donné du consentement du régent, était un des leurs, un grand et bel homme, qu’on appelait Guillaume aux Allouettes. Il avait avec lui, pour le servir, un autre paysan d’une force de membres incroyable, d’une corpulence et d’une taille énormes, plein de vigueur et d’audace, mais avec cette grandeur de corps, ayant une humble et petite opinion de lui-même. On l’appelait Le Grand-Ferré[76]. Le capitaine le tenait près de lui, comme sous le frein, pour le lâcher à propos. Ils s’étaient donc mis là deux cents, tous laboureurs ou autres gens qui gagnaient humblement leur vie par le travail de leurs mains. Les Anglais, qui campaient à Creil, n’en tinrent grand compte, et dirent bientôt : « Chassons ces paysans, la place est forte et bonne à prendre. » On ne s’aperçut pas de leur approche, ils trouvèrent les portes ouvertes et entrèrent hardiment. Ceux du dedans, qui étaient aux fenêtres, sont d’abord tout étonnés de voir ces gens armés. Le capitaine est bientôt entouré, blessé mortellement. Alors Le Grand-Ferré et les autres se disent : « Descendons, vendons bien notre vie ; il n’y a pas de merci à attendre. » Ils descendent en effet, sortent par plusieurs portes et se mettent à frapper sur les Anglais, comme s’ils battaient leur blé dans l’aire[77] ; les bras s’élevaient, s’abattaient, et chaque coup était mortel. Le Grand, voyant son maître et capitaine frappé à mort, gémit profondément, puis il se porta entre les Anglais et les siens qu’il dominait également des épaules, maniant une lourde hache, frappant et redoublant si bien qu’il fit place nette ; il n’en touchait pas un qu’il ne fendît le casque ou n’abattit les bras. Voilà tous les Anglais qui se mettent à fuir ; plusieurs sautent dans le fossé et se noient. Le Grand tue leur porte-enseigne et dit à un de ses camarades de porter la bannière anglaise au fossé. L’autre lui montrant qu’il y avait encore une foule d’ennemis entre lui et le fossé : « Suis-moi donc », dit Le Grand. Et il se mit à marcher devant, jouant de la hache à droite et à gauche, jusqu’à ce que la bannière eût été jetée à l’eau… Il avait tué en ce jour plus de quarante hommes… Quant au capitaine, Guillaume aux Allouettes, il mourut de ses blessures, et ils l’enterrèrent avec bien des larmes, car il était bon et sage… Les Anglais furent encore battus une autre fois par Le Grand ; mais cette fois hors des murs. Plusieurs nobles anglais furent pris, qui auraient donné de bonnes rançons, si on les eût rançonnés, comme font les nobles[78] ; mais on les tua, afin qu’ils ne fissent plus de mal. Cette fois Le Grand, échauffé par cette besogne, but de l’eau froide en quantité et fut saisi de la fièvre. Il s’en alla à son village, regagna sa cabane et se mit au lit, non toutefois sans garder près de lui sa hache de fer qu’un homme ordinaire pouvait à peine lever. Les Anglais, ayant appris qu’il était malade, envoyèrent un jour douze hommes pour le tuer. Sa femme les vit venir et se mit à crier : « Ô mon pauvre Le Grand, voilà les Anglais ! que faire ?… » Lui, oubliant à l’instant son mal, se lève, prend sa hache et sort dans la petite cour : « Ah ! brigands, vous venez donc pour me prendre au lit ! vous ne me tenez pas encore… » Alors, s’adossant à un mur, il en tue cinq en un moment ; les autres s’enfuient. Le Grand se remit au lit ; mais il avait chaud, il but encore de l’eau froide ; la fièvre le reprit plus fort, et au bout de quelques jours, ayant reçu les sacrements de l’Église, il sortit du siècle et fut enterré au cimetière de son village. Il fut pleuré de tous ses compagnons, de tout le pays ; car, lui vivant, jamais les Anglais n’y seraient venus[79].
Il est difficile de ne pas être touché de ce naïf récit. Ces paysans, qui ne se mettent en défense qu’en demandant permission, cet homme fort et humble, ce bon géant, qui obéit volontiers, comme le saint Christophe de la légende, tout cela présente une belle figure du peuple. Ce peuple est visiblement simple et brute encore, impétueux, aveugle, demi-homme et demi-taureau… Il ne sait ni garder ses portes, ni se garder lui-même de ses appétits. Quand il a battu l’ennemi comme blé en grange, quand il l’a suffisamment charpenté de sa hache, et qu’il a pris chaud à la besogne, le bon travailleur, il boit froid, et se couche pour mourir. Patience ! sous la rude éducation des guerres, sous la verge de l’Anglais, la brute va se faire homme. Serrée de plus près tout à l’heure, et comme tenaillée, elle échappera, cessant d’être elle-même, et se transfigurant ; Jacques deviendra Jeanne, Jeanne la vierge, la Pucelle.
Le mot vulgaire un bon Français date de l’époque des Jacques et de Marcel[80]. La Pucelle ne tardera pas à dire : « Le cœur me saigne quand je vois le sang d’un François. »
Un tel mot suffirait pour marquer dans l’histoire le vrai commencement de la France. Depuis lors, nous avons une patrie. Ce sont des Français que ces paysans, n’en rougissez pas, c’est déjà le peuple français, c’est vous, ô France ! Que l’histoire vous les montre beaux ou laids, sous le capuce de Marcel, sous la jaquette des Jacques, vous ne devez pas les méconnaître. Pour nous, parmi tous les combats des nobles, à travers les beaux coups de lance où s’amuse l’insouciant Froissart, nous cherchons ce pauvre peuple. Nous l’irons prendre dans cette grande mêlée, sous l’éperon des gentilshommes, sous le ventre des chevaux. Souillé, défiguré, nous l’amènerons tel quel au jour de la justice et de l’histoire, afin que nous puissions lui dire, à ce vieux peuple du quatorzième siècle : « Vous êtes mon père, vous êtes ma mère. Vous m’avez conçu dans les larmes. Vous avez sué la sueur et le sang pour me faire une France. Bénis soyez-vous dans votre tombeau ! Dieu me garde de vous renier jamais ! »
Lorsque le dauphin rentra dans Paris, appuyé sur le meurtrier, il y eut, comme toujours en pareille circonstance, des cris, des acclamations. Ceux qui le matin s’étaient armés pour Marcel cachaient leurs capuces rouges, et criaient plus fort que les autres[81].
Avec tout ce bruit, il n’y avait pas beaucoup de gens qui eussent confiance au dauphin. Sa longue taille maigre, sa face pâle et son visage longuet[82] n’avaient jamais plu au peuple. On n’en attendait ni grand bien, ni grand mal ; il y eut cependant des confiscations et des supplices contre le parti de Marcel[83]. Pour lui, il n’aimait, il ne haïssait personne. Il n’était pas facile de l’émouvoir. Au moment même de son entrée, un bourgeois s’avança hardiment et dit tout haut : « Par Dieu ! sire, si j’en fusse cru, vous n’y fussiez entré ; mais on y fera peu pour vous. » Le comte de Tancarville voulait tuer le vilain ; le prince le retint et répondit : « On ne vous en croira pas, beau sire[84]. »
La situation de Paris n’était pas meilleure. Le dauphin n’y pouvait rien. Le roi de Navarre occupait la Seine au-dessus et au-dessous. Il ne venait plus de bois de la Bourgogne, ni rien de Rouen. On ne se chauffait qu’en coupant des arbres[85]. Le setier de blé, qui se donne ordinairement pour douze sols, dit le chroniqueur, se vend maintenant trente livres et plus. — Le printemps fut beau et doux, nouveau chagrin pour tant de pauvres gens des campagnes qui étaient enfermés dans Paris, et qui ne pouvaient cultiver leurs champs, ni tailler leurs vignes[86].
Il n’y avait pas moyen de sortir. Les Anglais, les Navarrais couraient le pays. Les premiers s’étaient établis à Creil, qui les rendait maîtres de l’Oise. Ils prenaient partout des forts, sans s’inquiéter des trêves. Les Picards essayaient de leur résister. Mais les gens de Touraine, d’Anjou et de Poitou leur achetaient des sauf-conduits, leur payaient des tributs[87].
Le roi de Navarre, en voyant les Anglais se fixer ainsi au cœur du royaume, finit par en être lui-même plus effrayé que le dauphin. Il fit sa paix avec lui, sans stipuler aucun avantage, et promit d’être bon Français[88]. Les Navarrais n’en continuèrent pas moins de rançonner les bateaux sur la haute Seine. Toutefois cette réconciliation du dauphin et du roi de Navarre donnait à penser aux Anglais. En même temps, des Normands, des Picards, des Flamands, firent ensemble une expédition pour délivrer, disaient-ils, le roi Jean[89]. Ils se contentèrent de brûler une ville anglaise. Du moins les Anglais surent aussi ce que c’étaient que les maux de la guerre.
Les conditions qu’ils voulaient d’abord imposer à la France étaient monstrueuses, inexécutables. Ils demandaient non seulement tout ce qui est en face d’eux, Calais, Montreuil, Boulogne, le Ponthieu, non seulement l’Aquitaine (Guyenne, Bigorre, Agénois, Quercy, Périgord, Limousin, Poitou, Saintonge, Aunis), mais encore la Touraine, l’Anjou, et de plus la Normandie ; c’est-à-dire qu’il ne leur suffisait pas d’occuper le détroit, de fermer la Garonne ; ils voulaient aussi fermer la Loire et la Seine, boucher le moindre jour par où nous voyons l’Océan, crever les yeux de la France.
Le roi Jean avait signé tout, et promis de plus quatre millions d’écus d’or pour sa rançon. Le dauphin, qui ne pouvait se dépouiller ainsi, fit refuser le traité par une assemblée de quelques députés des provinces, qu’il appela États généraux. Ils répondirent « que le roi Jean demeurât encore en Angleterre, et que quand il plairoit à Dieu, il y pourvoiroit de remède[90] ».
Le roi d’Angleterre se mit en campagne, mais cette fois pour conquérir la France. Il voulait d’abord aller à Reims, et s’y faire sacrer[91]. Tout ce qu’il y avait de noblesse en Angleterre l’avait suivi à cette expédition. Une autre armée l’attendait à Calais, sur laquelle il ne comptait pas. Une foule d’hommes d’armes et de seigneurs d’Allemagne et des Pays-Bas, entendant dire qu’il s’agissait d’une conquête, et espérant un partage comme celui de l’Angleterre par les compagnons de Guillaume-le-Conquérant, avaient voulu être aussi de la fête. Ils croyaient déjà « tant gagner qu’ils ne seroient jamais pauvres[92] ». Ils attendirent Édouard jusqu’au 28 octobre, et il eut grand’peine à s’en débarrasser. Il fallut qu’il les aidât à retourner chez eux, qu’il leur prêtât de l’argent, à ne jamais rendre.
Édouard avait amené avec lui six mille gens d’armes couverts de fer, son fils, ses trois frères, ses princes, ses grands seigneurs. C’était comme une émigration des Anglais en France. Pour faire la guerre confortablement, ils traînaient six mille chariots, des fours, des moulins, des forges, toute sorte d’ateliers ambulants. Ils avaient poussé la précaution jusqu’à se munir de meutes pour chasser, et de nacelles de cuir pour pêcher en carême[93]. Il n’y avait rien, en effet, à attendre du pays, c’était un désert ; depuis trois ans, on ne semait plus[94]. Les villes, bien fermées, se gardaient elles-mêmes ; elles savaient qu’il n’y avait pas de merci à attendre des Anglais.
Du 28 octobre au 30 novembre, ils cheminèrent à travers la pluie et la boue, de Calais à Reims. Ils avaient compté sur les vins. Mais il pleuvait trop ; la vendange ne valut rien. Ils restèrent sept semaines à se morfondre devant Reims, gâtèrent le pays tout autour ; mais Reims ne bougea pas. De là ils passèrent devant Châlons, Bar-le-Duc, Troyes ; puis ils entrèrent dans le duché de Bourgogne. Le duc composa avec eux pour deux cent mille écus d’or. Ce fut une bonne affaire pour l’Anglais, qui autrement n’eût rien tiré de toute cette grande expédition.
Il vint camper tout près de Paris, fit ses pâques à Chanteloup, et approcha jusqu’au Bourg-la-Reine. « De la Seine jusqu’à Étampes, dit le témoin oculaire, il n’y a plus un seul homme. Tout s’est réfugié aux trois faubourgs de Saint-Germain, Saint-Marcel et Notre-Dame-des-Champs… Montlhéry et Longjumeau sont en feu… On distingue dans tous les alentours la fumée des villages, qui monte jusqu’au ciel… Le saint jour de Pâques, j’ai vu aux Carmes officier les prêtres de dix Communes… Le lendemain, on a ordonné de brûler les trois faubourgs, et permis à tout homme d’y prendre ce qu’il pourrait, bois, fer, tuiles et le reste. Il n’a pas manqué de gens pour le faire bien vite. Les uns pleuraient, les autres riaient… — Près de Chanteloup, douze cents personnes, hommes, femmes et enfants, s’étaient enfermés dans une église. Le capitaine, craignant qu’ils ne se rendissent, a fait mettre le feu… Toute l’église a brûlé. Il ne s’en est pas sauvé trois cents personnes. Ceux qui sautaient par les fenêtres trouvaient en bas les Anglais qui les tuaient et se moquaient d’eux pour s’être brûlés eux-mêmes. J’ai appris ce lamentable événement d’un homme qui avait échappé, par la volonté de Notre-Seigneur, et qui en remerciait Dieu[95]. »
Le roi d’Angleterre n’osa attaquer Paris[96]. Il s’en alla vers la Loire, sans avoir pu combattre ni gagner aucune place. Il consolait les siens en leur promettant de les ramener devant Paris aux vendanges. Mais ils étaient fatigués de cette longue campagne d’hiver. Arrivés près de Chartres, ils y éprouvèrent un terrible orage, qui mit leur patience à bout. Édouard y fit vœu, dit-on, de rendre la paix aux deux peuples. Le pape l’en suppliait. Les nobles de France, ne touchant plus rien de leurs revenus, priaient le régent de traiter à tout prix. Le roi Jean, sans doute, pressait aussi son fils. Aux conférences de Brétigny, ouvertes le 1er mai, les Anglais demandèrent d’abord tout le royaume ; puis tout ce qu’avaient eu les Plantagenets (Aquitaine, Normandie, Maine, Anjou, Touraine). Ils cédèrent enfin sur ces quatre dernières provinces ; mais ils eurent l’Aquitaine comme libre souveraineté, et non plus comme fief. Ils acquirent au même titre ce qui entourait Calais, les comtés de Ponthieu et de Guines, et la vicomté de Montreuil. Le roi payait l’énorme rançon de trois millions d’écus d’or, six cent mille écus sous quatre mois, avant de sortir de Calais, et quatre cent mille par an dans les six années suivantes. L’Angleterre, après avoir tué et démembré la France, continuait à peser dessus, de sorte que, s’il restait un peu de vie et de moelle, elle pût encore la sucer.
Ce déplorable traité excita à Paris une folle joie. Les Anglais qui l’apportèrent pour le faire jurer au dauphin, furent accueillis comme des anges de Dieu. On leur donna en présent ce qu’on avait de plus précieux, des épines de la couronne du Sauveur, qu’on gardait à la Sainte-Chapelle. Le sage chroniqueur du temps cède ici à l’entraînement général. « À l’approche de l’Ascension, dit-il, au temps où le Sauveur, ayant remis la paix entre son Père et le genre humain, montait au ciel dans la jubilation, il ne souffrit pas que le peuple de France demeurât affligé… Les conférences commencèrent le dimanche où l’on chante à l’église : Cantate. Le dimanche où l’on chante : Vocem jucunditatis, le régent et les Anglais allèrent jurer le traité à Notre-Dame. Ce fut une joie ineffable pour le peuple. Dans cette église et dans toutes celles de Paris, toutes les cloches, mises en branle, mugissaient dans une pieuse harmonie ; le clergé chantait en toute joie et dévotion : Te Deum laudamus… Tous se réjouissaient, excepté peut-être ceux qui avaient fait de gros gains dans les guerres, par exemple les armuriers… Les faux traîtres, les brigands craignaient la potence. Mais de ceux-ci n’en parlons plus[97]. »
La joie ne dura guère. Cette paix, tant souhaitée, fit pleurer toute la France. Les provinces que l’on cédait ne voulaient pas devenir anglaises. Que l’administration des Anglais fût pire ou meilleure, leur insupportable morgue les faisait partout détester. Les comtes de Périgord, de Comminges, d’Armagnac, le sire d’Albret et beaucoup d’autres disaient avec raison que le seigneur n’avait pas droit de donner ses vassaux. La Rochelle, d’autant plus française que Bordeaux était anglais, supplia le roi, au nom de Dieu, de ne pas l’abandonner. Les Rochellais disaient qu’ils aimeraient mieux être taillés tous les ans de la moitié de leur chevance, et encore « nous nous soumettrons aux Anglais des lèvres, mais de cœur jamais[98] ».
Ceux qui restaient Français n’en étaient que plus misérables. La France était devenue une ferme de l’Angleterre. On n’y travaillait plus que pour payer les sommes prodigieuses par lesquelles le roi s’était racheté. Nous avons encore, au Trésor des Chartes, les quittances de ces payements. Ces parchemins font mal à voir ; ce que chacun de ces chiffons représente de sueur, de gémissements et de larmes, on ne le saura jamais. Le premier (24 octobre 1360) est la quittance des dépens de garde du roi Jean, à dix mille réaux par mois[99] : cette noble hospitalité, tant vantée des historiens, Édouard se la faisait payer ; le geôlier, avant la rançon, se faisait compter la pistole. Puis vient une effroyable quittance de 400.000 écus d’or (même date). Puis, quittance de 200.000 écus d’or (décembre). Autre de 100.000 (1361, Toussaint) ; autre de 200.000 encore, et de plus, de 57.000 moutons d’or, pour compléter les 200.000 promis par la Bourgogne (21 février). — En 1362 : 198.000 ; 30.000 ; 60.000 ; 200.000. — Les payements se continuent jusqu’en 1368. — Mais nous sommes bien loin d’avoir toutes les quittances. Les rançons de la noblesse montaient peut-être à une somme aussi considérable.
Le premier payement n’aurait pu se faire, si le roi n’eût trouvé une honteuse ressource. En même temps qu’il donnait des provinces, il donna un de ses enfants. Les Visconti, les riches tyrans de Milan, avaient la fantaisie d’épouser une fille de France. Ils imaginaient que cela les rendrait plus respectables en Italie. Ce féroce Galéas qui allait à la chasse aux hommes dans les rues, qui avait jeté des prêtres tout vivants dans un four, demanda pour son fils, âgé de dix ans, une fille de Jean qui en avait onze. Au lieu de recevoir une dot, il en donnait une : trois cent mille florins en pur don, et autant pour un comté en Champagne. Le roi de France, dit Matteo Villani, vendit sa chair et son sang[100]. La petite Isabelle fut échangée, en Savoie, contre les florins. L’enfant ne se laissa pas donner aux Italiens de meilleure grâce que La Rochelle aux Anglais.
Ce malheureux argent d’Italie servit à faire sortir le roi de Calais. Il en sortit pauvre et nu. Il lui fallut, au 5 décembre (1360), imposer une aide nouvelle à ce peuple ruiné. Les termes de l’ordonnance sont remarquables. Le roi demande, en quelque sorte, pardon à son peuple de lui parler d’argent. Il rappelle, en remontant jusqu’à Philippe-de-Valois, tous les maux qu’il a soufferts, lui et son peuple ; il a abandonné à l’aventure de la bataille son propre corps et ses enfants ; il a traité à Brétigny, non pas pour sa délivrance tant seulement, mais pour éviter la perdition de son royaume et de son bon peuple. Il assure qu’il va faire bonne et loyale justice, qu’il supprimera tout nouveau péage, qu’il fera bonne et forte monnaie d’or et d’argent, et noire monnaie par laquelle on pourra faire plus aisément des aumônes aux pauvres gens. « Nous avons ordonné et ordonnons que nous prendrons sur ledit peuple de langue d’Oil ce qui nous est nécessaire, et qui ne grevera pas tant notre peuple comme feroit la mutation de notre monnaie, savoir : 12 deniers par livre sur les marchandises, ce que payera le vendeur, une aide du cinquième sur le sel, du treizième sur le vin et les autres breuvages. Duquel aide, pour la grande compassion que nous avons de notre peuple, nous nous contenterons ; et elle sera levée seulement jusqu’à la perfection et l’entérinement de la paix. »
Quelque douce et paternelle que fût la demande, le peuple n’en était pas plus en état de payer : tout argent avait disparu. Il fallut s’adresser aux usuriers, aux juifs, et cette fois leur donner un établissement fixe. On leur assura un séjour de vingt années. Un prince du sang était établi gardien de leurs privilèges, et il se chargeait spécialement de les faire payer de leurs dettes. Ces privilèges étaient excessifs. Nous en parlerons ailleurs. Pour les acquérir, ils devaient payer vingt florins en rentrant dans ce royaume, et de plus sept par an. Un Manassé, qui prenait en ferme toute la juiverie, devait avoir pour sa peine un énorme droit de deux florins sur les vingt, et d’un par an sur les sept.
Les tristes et vides années qui suivent, 1361, 1362, 1363, ne présentent au dehors que les quittances de l’Anglais, au dedans que la cherté des vivres, les ravages des brigands, la terreur d’une comète, une grande et effroyable mortalité. Cette fois, le mal atteignait les hommes, les enfants, plutôt que les vieillards et les femmes. Il frappait de préférence la force et l’espoir des générations. On ne voyait que mères en pleurs, que veuves, que femmes en noir[101].
La mauvaise nourriture était pour beaucoup dans l’épidémie. On n’amenait presque rien aux villes. On ne pouvait plus aller de Paris à Orléans, ni à Chartres ; le pays était infesté de Gascons et de Bretons[102].
Les nobles qui revenaient d’Angleterre et qui se sentaient méprisés n’étaient pas moins cruels que ces brigands. La ville de Péronne, qui s’était bravement gardée elle-même, prit querelle avec Jean d’Artois. Ce fut comme une croisade des nobles contre le peuple. Jean d’Artois, soutenu par le frère du roi et par la noblesse, prit à sa solde des Anglais ; il assiégea Péronne, la prit, la brûla. Ils traitèrent de même Chauny-sur-Oise, et d’autres villes. — En Bourgogne, les nobles servaient eux-mêmes de guide aux bandes qui pillaient le pays[103]. Les brigands de toute nation se disant Anglais, le roi défendait de les attaquer. Il pria Édouard d’en écrire à ses lieutenants[104].
Ces pillards s’appelaient eux-mêmes les Tard-Venus ; venus après la guerre, il leur fallait aussi leur part. La principale compagnie commença en Champagne et en Lorraine, puis elle passa en Bourgogne : le chef était un Gascon, qui voulait, comme l’Archiprêtre, les mener voir le pape à Avignon, en passant par le Forez et le Lyonnais. Jacques de Bourbon, qui se trouvait alors dans le Midi, était intéressé à défendre le Forez, pays de ses neveux et de sa sœur. — Ce prince, généralement aimé, réunit bientôt beaucoup de noblesse. Il avait avec lui le fameux Archiprêtre, qui avait laissé le commandement des compagnies. S’il eût suivi les conseils de cet homme, il les aurait détruites. Étant venu en présence à Brignais, près Lyon, il donna dans un piège grossier, crut l’ennemi moins fort qu’il n’était, l’attaqua sur une montagne, et fut tué avec son fils, son neveu et nombre des siens (2 avril 1362). Cette mort toutefois fut glorieuse. Le premier titre des Capets est la mort de Robert-le-Fort à Brisserte ; celui des Bourbons, la mort de Jacques à Brignais : tous deux tués en défendant le royaume contre les brigands.
Les compagnies n’avaient plus rien à craindre, elles couraient les deux rives du Rhône. Un de leurs chefs s’intitulait : Ami de Dieu, ennemi de tout le monde[105]. Le pape, tremblant dans Avignon, prêchait la croisade contre eux. Mais les croisés se joignaient plutôt aux compagnies[106]. Heureusement pour Avignon, le marquis de Montferrat, membre de la ligue Toscane contre les Visconti, en prit une partie à sa solde, et les mena en Italie, où ils portèrent la peste. Le pape, pour décider leur départ, leur donna 30.000 florins et l’absolution[107].
La mortalité qui dépeuplait le royaume lui donna au moins un bel héritage. Le jeune duc de Bourgogne mourut, ainsi que sa sœur ; la première maison de Bourgogne se trouva éteinte : la succession comprenait les deux Bourgognes, l’Artois, les comtés d’Auvergne et de Boulogne. Le plus proche héritier était le roi de Navarre. Il demandait qu’on lui laissât prendre possession de la Bourgogne, ou au moins de la Champagne qu’il réclamait depuis si longtemps. Il n’eut ni l’une ni l’autre. Il était impossible de remettre ces provinces à un roi étranger, à un prince si odieux. Jean les déclara réunis à son domaine[108], et partit pour en prendre possession, « cheminant à petites journées et à grands dépens, et séjournant de ville en ville, de cité en cité, en la duché de Bourgogne[109] ».
Il y apprit, sans aller plus vite, la mort de Jacques de Bourbon. Vers la fin de l’année, il descendit à Avignon, et y passa six mois dans les fêtes. Il espérait y faire une nouvelle conquête en pleine paix. Jeanne de Naples, comtesse de Provence, celle qui avait laissé tuer son premier mari, se trouvait veuve du second. Jean prétendait être le troisième. Il était veuf lui-même ; il n’avait encore que quarante-trois ans. Captif, mais après une belle résistance, ce roi soldat[110] intéressait la chrétienté, comme François Ier après Pavie. Le pape ne se soucia pas de faire un roi de France maître de Naples et de la Provence. Il donna à cette reine de trente-six ans un tout jeune mari, non pas un fils de France, mais Jacques d’Aragon, fils du roi détrôné de Majorque.
Pour consoler Jean, le pape l’encouragea dans un projet qui semblait insensé au premier coup d’œil, mais qui eût effectivement relevé sa fortune. Le roi de Chypre était venu à Avignon demander des secours, proposer une croisade. Jean prit la croix, et une foule de grands seigneurs avec lui[111]. Le roi de Chypre alla proposer la croisade en Allemagne ; Jean en Angleterre. Un de ses fils, donné en otage, venait de rentrer en France, au mépris des traités. Le retour de Jean à Londres avait l’apparence la plus honorable. Il semblait réparer la faute de son fils. Quelques-uns prétendaient qu’il n’y allait que par ennui des misères de la France, ou pour revoir quelque belle maîtresse[112]. Cependant les rois d’Écosse et de Danemark devaient venir l’y trouver. Comme roi de France, il présidait naturellement toute assemblée de rois. Humilié par le nouveau système de guerre que les Anglais avaient mis en pratique, le roi de France eût repris, par la croisade, sous le vieux drapeau du moyen âge, le premier rang dans la chrétienté. Il aurait entraîné les compagnies, il en aurait délivré la France[113]. Les Anglais mêmes et les Gascons, malgré la mauvaise volonté du roi d’Angleterre qui alléguait son âge pour ne pas prendre la croix[114], disaient hautement au roi de Chypre « que c’étoit vraiment un voyage où tous gens de bien et d’honneur devoient entendre, et que s’il plaisoit à Dieu que le passage fût ouvert, il ne le feroit pas seul ». La mort de Jean détruisit ces espérances. Après un hiver passé à Londres en fêtes et en grands repas, il tomba malade, et mourut regretté, dit-on, des Anglais, qu’il aimait lui-même, et auxquels il s’était attaché, simple qu’il était et sans fiel, pendant sa longue captivité. Édouard lui fit faire de somptueuses funérailles à Saint-Paul de Londres. On y brûla, selon des témoins oculaires, quatre mille torches de douze pieds de haut, et quatre mille cierges de dix livres pesant.
La France, toute mutilée et ruinée qu’elle était, se retrouvait encore, de l’aveu de ses ennemis, la tête de la chrétienté. C’est son sort, à cette pauvre France, de voir de temps à autre l’Europe envieuse s’ameuter contre elle, et conjurer sa ruine. Chaque fois, ils croient l’avoir tuée ; ils s’imaginent qu’il n’y aura plus de France ; ils tirent ses dépouilles au sort, ils arracheraient volontiers ses membres sanglants. Elle s’obstine à vivre ; elle refleurit. Elle survécut en 1361, mal défendue, trahie par sa noblesse ; en 1709, vieillie de la vieillesse de son roi ; en 1815 encore, quand le monde entier l’attaquait… Cet accord obstiné du monde contre la France prouve sa supériorité mieux que des victoires. Celui contre lequel tous sont facilement d’accord, c’est qu’apparemment il est le premier.
- ↑ App. 195.
- ↑ À l’île Louviers, on distingue souvent les deux rivières à la couleur de leurs eaux.
- ↑ De ce côté, dès le temps de Charles-le-Chauve, nous trouvons la foire du Landit, entre Saint-Denis et La Chapelle.
- ↑ Elles n’ont de l’autre côté qu’un faubourg.
- ↑ Cinq siècles après la chute des Templiers, l’enclos du Temple, bien réduit, il est vrai, protégeait encore les petits commerçants contre les règlements des corporations.
- ↑ « Luparam prope Parisios ». Philippe-Auguste en acheva la construction vers 1204.
- ↑ App. 196.
- ↑ Rayn., Annal. Eccles., ann. 1331.
- ↑ Allusion à la rue de Galilée, près de laquelle siégeait la cour.
- ↑ Chef de la marchandise de l’eau, dont le privilège exclusif remontait à 1192.
- ↑ Froissart.
- ↑ En les renvoyant ainsi à leurs provinces, il comptait sans doute sur les dissentiments infinis qui devaient s’élever entre des intérêts si divers, sur la jalousie des nobles contre les villes, des villes contre Paris, dont l’influence avait décidé la dernière révolution.
- ↑ « Une autre compagnie roboit tout le pays entre Seine et Loire, parquoi nul n’osoit aller de Paris à Vendôme, à Orléans, à Montargis ; ni nul n’osoit y demeurer, ains étoient tous les gens du plat pays affuis à Paris ou à Orléans ». (Froissart.) App. 197.
- ↑ App. 198.
- ↑ App. 199.
- ↑ L’aide n’est accordée que pour un an. Les États, convoqués ou non, s’assembleront à la Quasimodo.
- ↑ Ceci n’excuse point la royauté, mais l’incrimine au contraire de n’avoir voulu que les perpétuer (1860). App. 200.
- ↑ App. 201.
- ↑ App. 202.
- ↑ « In latino valde pulchro. » (Contin. G. de Nangis.)
- ↑ Chroniques de Saint-Denis.
- ↑ Comme dit le cardinal de Retz.
- ↑ « Miserias suas exposuit… eleganter. » (Cont. G. de Nangis.)
- ↑ App. 203.
- ↑ App. 204.
- ↑ « Omnibus amabilis et dilectus », dit le second Continuateur de Guillaume de Nangis.
- ↑ App. 205.
- ↑ App. 206.
- ↑ Froissart.
- ↑ « Eia breviter facite hoc propter quod huc venistis. » (Cont. G. de Nangis.)
- ↑ Chroniques de Saint-Denis.
- ↑ App. 207.
- ↑ App. 208.
- ↑ App. 209.
- ↑ App. 210.
- ↑ En continuant ces travaux, on retrouva les fondations de tours qu’on regarda comme des constructions des Sarrasins. Là, selon les anciennes chroniques, avait existé autrefois un camp appelé Altum-Folium (rue Haute-Feuille, rue Pierre-Sarrasin).
- ↑ App. 211.
- ↑ App. 212.
- ↑ Froissart.
- ↑ Idem.
- ↑ Philippe-le-Hardi, duc de Bourgogne, l’appelait son compère. Froissart l’appelle Monseigneur.
- ↑ Froissart.
- ↑ Idem.
- ↑ « Et toujours gagnoient pauvres brigands à piller villes et châteaux… Ils épioient une bonne ville ou châtel, une journée ou deux loin, et puis s’assembloient et entroient en cette ville droit sur le point du jour, et boutoient le feu en une maison ou deux ; et ceux de la ville cuidoient que ce fussent mille armures de fer… ; si s’enfuyoient… et ces brigands brisoient maisons, coffres et écrins… Et gagnèrent ainsi plusieurs châteaux et les revendirent. Entre les autres, eut un brigand qui épia le fort châtel de Combourne en Limosin, avec trente de ses compagnons et l’échellèrent, et gagnèrent le seigneur dedans, et le mirent en prison en son châtel même, et le tinrent si longtemps, qu’il se rançonna atout vingt-quatre mille écus, et encore détint ledit brigand le châtel. Et par ses prouesses le roi de France le voulut avoir de lez lui, et acheta son châtel vingt mille écus, et fut huissier d’armes du roi de France. Et étoit appelé ce brigand Bacon. »
- ↑ « Le coursier de Croquard trébucha et rompit à son maître le col. Je ne sais que son avoir devint ni qui eut l’àme, mais je sais que Croquard fina ainsi. » (Froissart.)
- ↑ Chroniques de Saint-Denis.
- ↑ App. 213.
- ↑ « Dont un si cher temps vint en France, que on vendoit un tonnelet de harengs trente écus, et toutes autres choses à l’avenant, et mouroient les petites gens de faim, dont c’étoit grand’pitié ; et dura cette dureté et ce cher temps plus de quatre ans. » (Froissart.) App. 214.
- ↑ App. 215.
- ↑ App. 216.
- ↑ App. 217.
- ↑ Ou Caillet, dans les Chroniques de France ; Karle, dans le Continuateur de Nangis ; Jacques Bonhomme, selon Froissart et l’auteur anonyme de la première Vie d’Innocent VI : « Et l’élurent le pire des mauvais, et ce roi on appeloit Jacques Bonhomme. » (Froissart.) — Voy., sur Calle, M. Perrens (1860).
- ↑ Chron. de Saint-Denis. App. 218.
- ↑ « Blanditiis advocavit. » (Contin. G. de Nangis.)
- ↑ App. 219.
- ↑ App. 220.
- ↑ Froissart. — Lire en regard des exagérations passionnées de Froissart le récit de M. Perrens, fait ici d’après le Trésor des Chartes (1860).
- ↑ Contin. G. de Nangis. App. 221.
- ↑ « Qui vero mortui remanserunt, genti Silvanectensi amplius non nocebunt ». (Idem.)
- ↑ Froissart.
- ↑ Secousse.
- ↑ Froissart.
- ↑ Ordonn., III. Voyez aussi Villani.
- ↑ Chroniques de France.
- ↑ « Et portoit l’un son bassinet en sa main, l’autre à son col, les autres par lâcheté et ennui trainoient leurs épées ou les portoient en écharpe. » (Froissart.)
- ↑ App. 222.
- ↑ « Ad hoc totis viribus anhelabat. » (Contin. G. de Nangis.)
- ↑ Le plus grave historien de ce temps, témoin oculaire de toute cette révolution, le Continuateur de Guillaume de Nangis, qui rapporte ces bruits, semble les révoquer en doute : « On a du moins, dit-il, accusé depuis le prévôt et ses amis de toutes ces choses. » Voy. Perrens, Étienne Marcel (1860).
- ↑ Froissart.
- ↑ Voy. Perrens, Étienne Marcel (1860).
- ↑ App. 223.
- ↑ « Multum solemnes et eloquentes quam plurimum et docti. » (Contin. G. de Nangis.) App. 224.
- ↑ App. 225.
- ↑ App. 226.
- ↑ « Per rusticos, seu Jacques Bonhomme, strenue expeditum. » (Contin. G. de Nangis.)
- ↑ « Et juxta ejus corporis magnitudinem, habebat in se humilitatem et reputationis intrinsecæ parvitatem, nomine Magnus Ferratus. » (Idem.)
- ↑ « Super Anglicos ita se habebant, ac si blada in horreis more suo solito flagellassent. » (Contin. G. de Nangis.)
- ↑ « Sicut nobiles viri faciunt. » (Contin. G. de Nangis.)
- ↑ « Migravit de sæculo… Quandiu vixisset, ad locum illum Anglici non venissent. » (Contin. G. de Nangis.)
- ↑ « Volo esse bonus Gallicus. » (Contin. G. de Nangis, anno 1359.)
- ↑ « Illa rubea capucia, quæ antea pompose gerebantur, abscondita… » (Contin. G. de Nangis.)
- ↑ « De corsage estoit hault et bien formé, droit et lé par les espaules, et haingre par les flans ; groz bras et beauls membres, visage un peu longuet, grant front et large ; la chière ot assez pale, et croy que ce, et ce qu’il estoit moult maigre, luy estoit venu par accident de maladie ; chault, furieus en nul cas n’estoit trouvé. » (Christ. de Pisan.)
- ↑ App. 227.
- ↑ « Pensa ce prudent prince, ajoute Christine de Pisan, que si l’on tuoit cet homme, la ville se fust bien pu émouvoir. »
- ↑ App. 228.
- ↑ « Vineæ quæ amænissimum illum desideratum liquorem ministrant, qui lætificare solet cor hominis… non cultivatæ ». » (Contin. G. de Nangis.)
- ↑ App. 229.
- ↑ « Volo esse bonus Gallicus de cætero. » (Cont. G. de Nangis.)
- ↑ « Posuerunt se in mare, ut ad Angliam invadendum transfretarent. » (Idem.)
- ↑ Froissart.
- ↑ Contin. G. de Nangis.
- ↑ Froissart.
- ↑ Froissart.
- ↑ Idem.
- ↑ Contin. G. de Nangis.
- ↑ App. 230.
- ↑ Contin. G. de Nangis.
- ↑ App. 231.
- ↑ Archives, section hist., J, 639-640. — Voir la Rançon du roi Jean par M. Dessalles, curieux et savant.
- ↑ App. 232.
- ↑ Contin. G. de Nangis.
- ↑ Les brigands avaient surpris un fort près de Corbeil. Beaucoup d’hommes d’armes se chargèrent de le reprendre et firent encore plus de mal au pays ; les défenseurs nuisaient plus que les ennemis ; les chiens aidaient les loups à manger le troupeau. Le Continuateur de Nangis raconte la fable.
- ↑ « Ils avoient de leur accord aucuns chevaliers et écuyers du pays, qui les menoient et conduisoient. » (Froissart.)
- ↑ « Mais les pillards n’en tenoient compte, et disoient qu’ils faisoient la guerre en l’ombre et nom du roi de Navarre. » (Idem.)
- ↑ Froissart.
- ↑ App. 233.
- ↑ « Dont le roi Jean et tout le royaume furent grandement réjouis… mais encore en retournèrent assez en Bourgogne. » (Froissart.)
- ↑ App. 234.
- ↑ Froissart.
- ↑ Voy. la Chronique en prose de Duguesclin.
- ↑ « Après la prédication faite, qui fut moult humble et moult douce et dévote, le roi de France par grand’dévotion emprit la croix, … et pria doucement le pape qu’il lui voulzist accorder. » (Froissart.)
- ↑ « Causa joci », dit le sévère historien du temps. (Contin. G. de Nangis.)
- ↑ « Pour traire hors du royaume toutes manières de gens d’armes appelées compagnies… et pour sauver leurs âmes. » (Froissart.)
- ↑ App. 235.