Histoire de Jules César/Livre II/Chapitre 3

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Plon (Tome 1p. 309-356).

CHAPITRE TROISIÈME.

(691-695.)

Cicéron et Antonius, consuls (691).

I. Dans l’année 690, les candidats au consulat étaient Cicéron, C. Antonius Hybrida, L. Cassius Longinus, Q. Cornificius, C. Lucinius Sacerdos, P. Sulpicius Galba et Catilina[1]. Instruit des trames ourdies depuis si longtemps, le sénat se décida à combattre les menées de ce dernier en portant toutes les voix dont il disposait sur Cicéron, qui fut élu à l’unanimité, et prit possession de sa charge au commencement de 691. Ce choix suppléait à la médiocrité de son collègue Antonius.

L’orateur illustre, dont la parole eut tant d’autorité, était né à Arpinum, de parents obscurs ; il avait servi quelque temps dans la guerre des alliés[2] ; puis, ses discours lui valurent une grande réputation, entre autres la défense du jeune Roscius, que le dictateur voulait dépouiller de l’héritage paternel. Après la mort de Sylla, il fut nommé questeur et envoyé en Sicile. En 684, il poursuivit de sa parole implacable les atrocités de Verrès ; enfin, en 688, il obtint la préture, et montra dans cette charge les sentiments de haute probité et de justice qui le distinguèrent pendant toute sa carrière. Mais l’estime de ses concitoyens n’eût pas suffi, dans les temps ordinaires, pour le faire arriver à la première magistrature. « La crainte de la conjuration, dit Salluste, fut cause de son élévation. En d’autres circonstances, l’orgueil de la noblesse se serait révolté d’un pareil choix. Elle aurait cru le consulat profané, si, même avec un mérite supérieur, un homme nouveau[3] l’avait obtenu ; mais, à l’approche du péril, l’envie et l’orgueil se turent[4]. » L’aristocratie romaine devait avoir bien perdu de son influence, puisque, dans un moment critique, elle supposait à un homme nouveau plus d’autorité sur le peuple qu’à un homme sorti de son sein.

Par sa naissance, par ses instincts, Cicéron appartenait au parti populaire ; toutefois l’irrésolution de son esprit, sensible à la flatterie, la crainte des innovations, l’avaient conduit à servir tour à tour les rancunes des grands ou celles du peuple[5]. D’un cœur droit, mais pusillanime, il ne voyait juste que lorsque son amour-propre n’était pas en jeu ou son intérêt en péril. Élu consul, il se rangea du côté du sénat, et s’opposa à toutes les propositions avantageuses à la multitude. César estimait son talent, mais avait peu de confiance dans son caractère ; aussi fut-il contraire à sa candidature et hostile pendant tout son consulat.


Loi agraire de Rullus.

II. À peine Cicéron était-il entré en fonctions, que le tribun P. Servilius Rullus renouvela un de ces projets qui, depuis des siècles, avaient pour effet d’exciter au plus haut degré et l’avidité des prolétaires et les colères du sénat : c’était une loi agraire.

Elle contenait les dispositions suivantes : vendre, sauf certaines exceptions[6], les territoires récemment conquis, et quelques autres domaines peu productifs pour l’État ; en consacrer le prix à acheter à l’amiable en Italie des terres qui seraient partagées entre les citoyens indigents ; faire nommer, suivant le mode usité pour l’élection du grand pontife, c’est-à-dire par dix-sept tribus tirées au sort sur les trente-cinq, dix commissaires ou décemvirs, auxquels serait laissée pendant cinq ans la faculté absolue et sans contrôle de distribuer ou d’aliéner les domaines de la République et les propriétés privées partout où ils le voudraient. Nul ne pouvait être nommé s’il n’était présent à Rome, ce qui excluait Pompée, et l’autorité des décemvirs devait être sanctionnée par une loi curiate. À eux seuls on confiait le droit de décider ce qui appartenait à l’État et aux particuliers. Les terres du domaine public qui ne seraient point aliénées étaient frappées d’un impôt considérable[7]. Les décemvirs avaient aussi le pouvoir de faire rendre compte à tous les généraux, Pompée excepté, du butin, de l’argent reçu pendant la guerre, mais non encore versé au trésor, ou non employé à quelque monument. Il leur était permis de fonder des colonies partout où ils le jugeraient à propos, particulièrement sur le territoire de Stella et dans l’ager de Campanie, où cinq mille citoyens romains devaient être établis. En un mot, l’administration des revenus et des ressources de l’État se trouvait presque tout entière entre leurs mains ; on leur donnait de plus des licteurs ; ils pouvaient prendre les auspices, et choisir parmi les chevaliers deux cents personnes pour faire exécuter dans les provinces leurs ordonnances, qui étaient sans appel.

Ce projet offrait des inconvénients, mais aussi de grands avantages : Rullus, certes, avait tort de ne pas désigner tous les endroits où il voulait établir des colonies, de faire deux exclusions, l’une favorable, l’autre défavorable à Pompée, d’attribuer aux décemvirs des pouvoirs trop étendus, prêtant à des actes arbitraires et à des spéculations ; néanmoins son projet avait un but politique important. Le domaine public, envahi par des usurpations ou par les colonies de Sylla, avait presque disparu. La loi le reconstituait au moyen de la vente des territoires conquis. D’un autre côté, les terres confisquées en grand nombre par Sylla, et données ou vendues à vil prix à ses partisans, avaient subi une dépréciation générale, car la propriété en était sujette à contestation, et elles ne trouvaient plus d’acquéreurs. La République, tout en venant au secours de la classe pauvre, avait donc intérêt à relever le prix de ces terres et à rassurer les détenteurs. Le projet de Rullus était, en fait, une véritable loi d’indemnité. Il y a de ces injustices qui, sanctionnées par le temps, doivent l’être aussi par la loi, afin d’éteindre les causes de dissensions en rendant aux existences leur sécurité, aux propriétés leur valeur.

Si le grand orateur avait su s’élever au-dessus des questions de personnes et de parti, il aurait, comme César, appuyé la proposition du tribun, sauf à l’amender dans ce qu’elle avait de trop absolu ou de trop vague ; mais, circonvenu par la faction des grands et désirant plaire aux chevaliers, dont la loi lésait les intérêts, il l’attaqua avec sa faconde ordinaire, en exagérant ses côtés défectueux. Elle ne profiterait, disait-il, qu’à un petit nombre de personnes. En paraissant favoriser Pompée, elle lui ôtait, à cause de son absence, la chance d’être choisi pour décemvir. Elle permettait à quelques individus de disposer de royaumes comme l’Égypte et des immenses territoires de l’Asie ; Capoue deviendrait la capitale de l’Italie, et Rome, entourée d’une ceinture de colonies militaires dévouées à dix nouveaux tyrans, perdrait son indépendance. Acheter des terres au lieu de partager l’ager publicus était une monstruosité, et il ne pouvait admettre qu’on engageât la population à abandonner la capitale pour aller languir dans les campagnes. Puis, faisant ressortir le double intérêt personnel de l’auteur de la loi, il rappela que le beau-père de Rullus s’était enrichi des dépouilles des proscrits, et que Rullus lui-même se réservait la faculté d’être nommé décemvir.

Cicéron néanmoins signale clairement le caractère politique du projet, tout en le blâmant, lorsqu’il dit : « La nouvelle loi enrichit ceux qui occupaient les terres domaniales, et les soustrait à l’indignation publique. Que de gens sont embarrassés de leurs vastes possessions, et ne peuvent supporter la haine attachée aux largesses de Sylla ! Combien voudraient les vendre et ne trouvent point d’acheteurs ! Combien cherchent un moyen, quel qu’il soit, de s’en dessaisir !… Et vous, Romains, vous irez vendre ces revenus que vos aïeux vous ont acquis au prix de tant de sueurs et de sang, pour augmenter la fortune et assurer la tranquillité des possesseurs des biens confisqués par Sylla[8] ! »

On le voit, Cicéron semble nier la nécessité de faire cesser les inquiétudes des nouveaux et nombreux acquéreurs de cette sorte de biens nationaux ; et cependant, lorsque peu de temps après un autre tribun proposa de relever de la dégradation civique les fils des proscrits, il s’y opposa, non que cette réparation lui parût injuste, mais par la crainte que la réhabilitation dans les droits politiques n’entraînât la réintégration dans les propriétés, mesure qui eût, selon lui, bouleversé tous les intérêts[9]. Ainsi, par une étrange inconséquence, Cicéron combattit ces deux lois de conciliation : l’une parce qu’elle rassurait, l’autre parce qu’elle inquiétait les détenteurs des biens des proscrits. Pourquoi faut-il que, chez des hommes supérieurs, mais sans convictions, le talent ne serve trop souvent qu’à soutenir avec la même facilité les causes les plus opposées ! L’opinion de Cicéron triompha néanmoins, grâce à son éloquence, et le projet, malgré la vive adhésion du peuple, rencontra dans le sénat une telle résistance, qu’il fut abandonné avant d’avoir été renvoyé aux comices.

César appuya la loi agraire, parce qu’elle relevait la valeur du sol, faisait cesser la défaveur attachée aux biens nationaux, augmentait les ressources du trésor, empêchait les dilapidations des généraux, délivrait Rome d’une populace turbulente et dangereuse en l’arrachant à l’abrutissement et à la misère. Il soutint la réhabilitation des enfants des proscrits, parce que cette mesure, profondément réparatrice, mettait un terme à l’une des grandes iniquités du régime passé.

Il y a des victoires qui affaiblissent le vainqueur plus que le vaincu. Tel fut le succès de Cicéron. Le rejet de la loi agraire et de la réclamation des fils des proscrits augmenta considérablement le nombre des mécontents. Une foule de citoyens, poussés par les privations et par un déni de justice, allèrent grossir les rangs des conspirateurs qui, dans l’ombre, préparaient une révolution, et César, blessé de voir le sénat méconnaître cette sage et ancienne politique qui avait sauvé Rome de tant d’agitations, résolut de saper par tous les moyens son autorité. Dans ce but, il engagea le tribun T. Labienus, le même qui fut plus tard un de ses meilleurs lieutenants, à soulever une accusation criminelle qui était une attaque directe contre l’abus de l’une des prérogatives du gouvernement[10].


Procès de Rabirius (691).

III. Depuis longtemps, lorsque des troubles intérieurs ou extérieurs étaient à craindre, on mettait, pour ainsi dire, Rome en état de siège par la formule sacramentelle d’après laquelle il était enjoint aux consuls de veiller à ce que la République ne reçût aucun dommage ; alors le pouvoir des consuls était sans limites[11], et souvent, dans des séditions, le sénat avait profité de cette omnipotence pour se défaire de certains factieux sans observer les formes de la justice. Plus les agitations étaient devenues fréquentes, plus on avait usé de ce remède extrême. Les tribuns protestaient toujours inutilement contre une mesure qui suspendait toutes les lois établies, légitimait les assassinats, faisait de Rome un champ de bataille. Labienus tenta de nouveau d’émousser dans les mains du sénat une arme si redoutable.

Trente-sept années auparavant, on s’en souvient, Saturninus, promoteur violent d’une loi agraire, s’était, à la faveur d’une émeute, emparé du Capitole ; la patrie avait été déclarée en danger. Le tribun périt dans la lutte, et le sénateur C. Rabirius se vanta de l’avoir tué. Malgré ce long intervalle de temps, Labienus accusa Rabirius d’après une vieille loi de perduellion, qui ne laissait pas au coupable, comme la loi de lèse-majesté, la faculté de l’exil volontaire, et, en le déclarant ennemi public, autorisait contre lui des supplices cruels et ignominieux[12]. Cette poursuite provoqua une vive agitation ; le sénat, qui sentait l’atteinte portée à ses privilèges, ne voulait pas qu’on mît quelqu’un en cause pour l’exécution d’un acte autorisé par lui-même. Le peuple et les tribuns, au contraire, insistaient pour que l’inculpé fût traduit devant un tribunal. Toutes les passions étaient en jeu. Labienus prétendait venger un de ses oncles, massacré avec Saturninus, et il avait eu l’audace d’exposer au Champ-de-Mars le portrait du tribun factieux, sans se soucier de l’exemple de Sextus Titius, condamné autrefois pour le seul fait d’avoir conservé chez lui l’image de Saturninus[13]. L’affaire fut portée, selon l’ancien usage, devant les duumvirs. César et son cousin Lucius César furent désignés par le préteur pour remplir les fonctions de juges. La violence même de l’accusation[14], en présence de l’éloquence des défenseurs Hortensius et Cicéron, fit écarter la formule de perduellion. Néanmoins Rabirius, condamné, en appela au peuple ; mais l’animosité était si grande contre lui, que la sentence fatale allait être irrévocablement prononcée, lorsque le préteur Metellus Celer s’avisa d’un stratagème pour arrêter le cours de la justice : il enleva le drapeau planté au Janicule[15]. Ce drapeau abattu annonçait autrefois une invasion dans la campagne de Rome. Dès lors toute délibération cessait, et le peuple courait aux armes. Les Romains étaient grands formalistes ; et d’ailleurs, comme cette coutume laissait aux magistrats la possibilité de dissoudre à leur volonté les comices, on avait eu des motifs puissants pour la conserver. L’assemblée se sépara aussitôt, et l’affaire ne fut pas reprise. César, néanmoins, espérait avoir atteint son but. Il ne demandait point la tête de Rabirius, que plus tard, étant dictateur, il traita avec bienveillance ; il voulait seulement montrer au sénat la force du parti populaire, et l’avertir que désormais il ne lui serait plus permis, comme du temps des Gracques, de faire immoler ses adversaires au nom du salut public.

Si, d’un côté, César ne laissait échapper aucune occasion de flétrir le régime passé, de l’autre il était le défenseur empressé des provinces, qui attendaient vainement de Rome justice et protection. On le vit, par exemple, la même année, accuser de concussion C. Calpurnius Pison, consul en 687, et depuis gouverneur de la Gaule transpadane, et le poursuivre pour avoir fait exécuter arbitrairement un habitant de ce pays. L’accusé fut absous par l’influence de Cicéron ; mais César avait prouvé aux Transpadans qu’il était toujours le représentant de leurs intérêts et leur patron vigilant.


César grand pontife (691).

IV. Il reçut bientôt une preuve éclatante de la popularité dont il jouissait.

La dignité de souverain pontife, une des plus importantes de la République, était à vie et donnait une grande influence à celui qui en était revêtu, car la religion se mêlait à toutes les actions publiques ou privées des Romains.

Metellus Pius, souverain pontife, étant mort en 691, les citoyens les plus illustres, tels que P. Servilius Isauricus, et Q. Lutatius Catulus, prince du sénat, se mirent sur les rangs pour le remplacer. César brigua aussi cette charge, et, voulant prouver qu’il en était digne, il publia, sans doute à cette époque, un traité de droit augural fort étendu, et un autre d’astronomie, destiné à faire connaître en Italie les découvertes, de l’école d’Alexandrie[16].

Servilius Isauricus et Catulus, comptant sur leurs antécédents et sur l’estime dont ils jouissaient, se croyaient d’autant plus sûrs d’être élus que, depuis Sylla, le peuple n’intervenant plus dans la nomination du grand pontife, le collège en faisait seul l’élection. Labienus, pour faciliter à César l’accès de cette haute dignité, fit passer un plébiscite qui remettait la nomination aux suffrages du peuple. Cette manœuvre déconcerta les autres concurrents sans les décourager, et, suivant l’habitude, ils entreprirent de séduire les électeurs à prix d’argent. Tout ce qui tenait au parti des grands se réunit contre César ; celui-ci combattit la brigue par la brigue, et soutint la lutte à l’aide d’emprunts considérables ; il sut intéresser à son succès, selon Appien, et les pauvres qu’il avait payés, et les riches auxquels il avait emprunté[17]. Catulus, sachant César très-obéré et se méprenant sur son caractère, lui fit proposer une forte somme s’il se désistait. Celui-ci lui répondit qu’il en emprunterait une bien plus forte encore pour appuyer sa candidature[18].

Enfin arriva le grand jour qui allait décider de l’avenir de César. Lorsqu’il partit pour se rendre aux comices, les pensées les plus sombres agitaient son âme ardente, et, calculant que, s’il ne réussissait pas, ses dettes le contraindraient peut-être à s’exiler, il dit à sa mère en l’embrassant : « Aujourd’hui tu me verras grand pontife ou fugitif[19]. » Le succès le plus brillant vint couronner ses efforts, et, ce qui augmenta sa joie, ce fut d’obtenir plus de voix dans les tribus de ses adversaires que ceux-ci n’en eurent dans toutes les tribus prises ensemble[20].

Une telle victoire fit craindre au sénat que César, fort de son ascendant sur le peuple, ne se portât aux plus grands excès ; mais sa conduite resta la même.

Jusqu’alors il avait habité une maison fort modeste, dans le quartier appelé Subura ; nommé souverain pontife, il fut logé dans un bâtiment public sur la voie Sacrée[21]. Cette nouvelle position devait l’obliger, en effet, à une vie somptueuse, si l’on en juge par le luxe déployé pour la réception d’un simple pontife, à laquelle il assistait comme roi des sacrifices, et dont Macrobe nous a conservé les curieux détails[22]. De plus, il se fit bâtir une superbe villa sur le lac de Nemi, près d’Aricia.


Conjuration de Catilina.

V. Catilina, dont il a déjà été question, avait échoué deux fois dans ses prétentions au consulat ; il le brigua de nouveau pour l’année 692, sans abandonner ses projets de conjuration. Le moment semblait favorable. Pompée se trouvant en Asie, l’Italie était privée de troupes ; Antonius, affilié au complot, partageait le consulat avec Cicéron. Le calme existait à la surface, cependant des passions mal éteintes, des intérêts froissés, offraient au premier audacieux de nombreux moyens de perturbation[23]. Les hommes que Sylla avait dépouillés, comme ceux qu’il avait enrichis, mais qui avaient dissipé les fruits de leurs immenses rapines, étaient également mécontents ; de sorte que l’on voyait s’unir dans la même pensée de bouleversement et les victimes et les complices de l’oppression passée.

Porté aux excès de tout genre, Catilina rêvait, au milieu des orgies, le renversement de l’oligarchie ; mais il est permis de douter qu’il voulût mettre tout à feu et à sang, comme le dit Cicéron, et comme l’ont répété, d’après lui, la plupart des historiens. D’une naissance illustre, questeur en 677, il s’était distingué, en Macédoine, dans l’armée de Curion ; il avait été préteur en 686, et gouverneur de l’Afrique l’année suivante. On lui reprochait d’avoir, au temps de sa jeunesse, trempé dans les meurtres de Sylla, de s’être associé aux hommes les plus mal famés, et rendu coupable d’incestes et d’autres crimes : il n’y aurait aucune raison de l’en disculper, si l’on ne savait combien les partis politiques qui triomphent sont prodigues de calomnies envers les vaincus. D’ailleurs, il faut bien en convenir, les vices dont on se plaisait à le charger lui étaient communs avec beaucoup de personnages de cette époque, entre autres avec Antonius, collègue de Cicéron, que celui-ci défendit plus tard. Doué d’une haute intelligence, d’une rare énergie, Catilina ne pouvait méditer une chose aussi insensée que le massacre et l’incendie. C’eût été vouloir régner sur des ruines et des tombeaux. La vérité se présentera mieux dans le portrait suivant, tracé par Cicéron, sept ans après la mort de Catilina, alors que, revenu à une appréciation plus calme, le grand orateur peignait sous des couleurs moins sombres celui qu’il avait tant défiguré : « Ce Catilina, vous n’avez pu l’oublier, je pense, avait, sinon la réalité, du moins l’apparence des plus grandes vertus. Il faisait sa société d’une foule d’hommes pervers, mais il affectait d’être dévoué aux hommes les plus estimables. Si, pour lui, la débauche avait de puissants attraits, il ne se portait pas avec moins d’ardeur au travail et aux affaires. Le feu des passions dévorait son cœur, mais il avait aussi du goût pour les travaux guerriers. Non, je ne crois pas qu’il ait jamais existé sur la terre un homme qui offrit un assemblage aussi monstrueux de passions et de qualités si diverses, si contraires et en lutte continuelle[24]. »

La conjuration, conduite par l’esprit aventureux de son chef, avait pris un développement considérable. Des sénateurs, des chevaliers, de jeunes patriciens, un grand nombre de citoyens notables des villes alliées, y participaient. Cicéron, instruit de ces menées, réunit le sénat au temple de la Concorde et lui fait part des renseignements qu’il avait reçus ; il lui apprend que le 5 des calendes de novembre un soulèvement devait avoir lieu en Étrurie, que le lendemain une émeute éclaterait dans Rome, que la vie des consuls était menacée, que partout enfin des amas d’armes de guerre et des tentatives pour embaucher des gladiateurs indiquaient des préparatifs effrayants. Catilina, interpellé par le consul, s’écrie que la tyrannie de quelques hommes, leur avarice, leur inhumanité, sont les véritables causes du malaise qui tourmente la République ; puis, repoussant avec mépris les projets de révolte qu’on lui prêtait, il termine par cette figure menaçante : « Le peuple romain est un corps robuste, mais sans tête : je serai cette tête[25]. » Il sortit à ces mots, laissant le sénat indécis et tremblant. L’assemblée cependant rendit le décret accoutumé qui enjoignait aux consuls de veiller à ce que la République ne reçût aucun dommage.

L’élection des consuls pour l’année suivante, jusque-là différée, eut lieu le 21 octobre 691 et Silanus ayant été nommé avec Murena, Catilina se trouva, une troisième fois, évincé. Il envoya alors en différentes parties de l’Italie des affidés, et, entre autres, C. Mallius en Étrurie, Septimius dans le Picenum, et C. Julius en Apulie, pour organiser la révolte[26]. À l’embouchure du Tibre, une division de la flotte autrefois employée contre les pirates était prête à seconder ses projets[27]. À Rome même l’assassinat de Cicéron était audacieusement tenté.

Le sénat fut convoqué de nouveau, le 8 novembre. Catilina avait osé venir siéger au milieu de ses collègues. Cicéron, dans une harangue devenue célèbre, l’apostropha avec l’accent de la plus vive indignation, et, par une dénonciation foudroyante, le força de s’éloigner[28]. Catilina, accompagné de trois cents de ses adhérents, partit le lendemain même, et alla rejoindre Mallius[29]. Les jours suivants des nouvelles alarmantes répandues de toutes parts jetèrent Rome dans la plus vive anxiété. La stupeur y régnait. Au mouvement des fêtes et des plaisirs avait succédé tout à coup un morne silence. On lève des troupes ; des postes armés sont placés sur différents points. Q. Marcius Rex est envoyé à Fésules (Fiesole) ; Q. Metellus Creticus, dans l’Apulie ; Pomponius Rufus, à Capoue ; Q. Metellus Celer, dans le Picenum, et enfin le consul C. Antonius conduit une armée en Étrurie. Cicéron avait détaché ce dernier de la conjuration en lui cédant le gouvernement lucratif de la Macédoine[30]. Il avait accepté en échange celui de la Gaule, auquel il renonça aussi plus tard, ne voulant pas, après son consulat, quitter la ville et partir comme proconsul. Les principaux conjurés, à la tête desquels se trouvaient le préteur Lentulus et Cethegus, étaient restés à Rome. Ils continuèrent avec ardeur les préparatifs de l’insurrection et nouèrent des intelligences avec les envoyés allobroges. Cicéron, secrètement informé par ses espions, entre autres par Curius, épiait leurs démarches, et, quand il eut des preuves irrécusables, il les fit arrêter, convoqua le sénat et exposa le plan de la conjuration.

Lentulus fut obligé de se démettre de la préture. Sur neuf conjurés convaincus d’attentat contre la République, cinq seulement ne purent échapper : ils furent confiés à la garde des magistrats désignés par le consul. On remit Lentulus à son parent Lentulus Spinther ; L. Statilius, à César ; Gabinius, à Crassus ; Cethegus, à Cornificius, et Cæparius, qui venait d’être saisi dans sa fuite, au sénateur Cn. Terentius[31]. Le sénat allait entamer un procès où toutes les formes de la justice seraient violées. Les jugements criminels n’étaient pas de sa compétence, et ni le consul ni l’assemblée n’avaient le droit de condamner un citoyen romain sans le concours du peuple. Quoi qu’il en soit, les sénateurs s’assemblèrent une dernière fois le 5 décembre pour délibérer sur la peine à porter contre les conjurés ; ils étaient moins nombreux que les jours précédents. Beaucoup d’entre eux répugnaient à rendre une sentence de mort contre des citoyens appartenant à de grandes maisons patriciennes. Plusieurs, cependant, opinèrent pour la peine capitale, malgré la loi Porcia. Après eux, César prononça le discours suivant, dont la portée mérite une attention particulière :

« Pères conscrits, tous ceux qui délibèrent sur des affaires douteuses doivent être exempts de haine, d’affection, de colère et de pitié. Animé de ces sentiments, on parvient difficilement à démêler la vérité, et jamais personne n’a pu à la fois servir sa passion et ses intérêts. Dégagez votre raison de ce qui l’offusque, et vous serez forts ; si la passion s’empare de votre esprit et le domine, vous serez sans force. Ce serait ici l’occasion, Pères conscrits, de rappeler combien de rois et de peuples, entraînés par la colère ou la pitié, ont pris de funestes résolutions ; mais j’aime mieux rapporter ce que nos ancêtres, en résistant à la passion, ont su faire de bon et de juste. Dans notre guerre de Macédoine contre le roi Persée, la république de Rhodes, puissante et fière, qui devait sa grandeur à l’appui du peuple romain, se montra déloyale et hostile ; mais, lorsque, la guerre terminée, on délibéra sur le sort des Rhodiens, nos ancêtres les laissèrent impunis, afin que personne n’attribuât la cause de la guerre à leurs richesses plutôt qu’à leurs torts. De même, dans toutes les guerres puniques, quoique les Carthaginois eussent souvent, soit pendant la paix, soit pendant les trêves, commis d’atroces perfidies, jamais nos pères, malgré l’occasion, ne les imitèrent, plus soucieux de leur honneur que d’une juste vengeance.

Et vous, Pères conscrits, prenez garde que le crime de P. Lentulus et de ses complices ne l’emporte sur le sentiment de votre dignité, et ne consultez pas votre colère plutôt que votre réputation. En effet, s’il se trouve une peine égale à leurs forfaits, j’approuverai la mesure nouvelle ; si, au contraire, la grandeur du crime surpasse tout ce qu’on peut imaginer, il faut, je le pense, s’en tenir à ce qui a été prévu par les lois.

La plupart de ceux qui ont énoncé avant moi leur opinion ont déploré en termes étudiés et pompeux le malheur de la République ; ils ont énuméré les horreurs de la guerre et les maux des vaincus, le rapt des jeunes filles et des jeunes garçons, les enfants arrachés des bras de leurs parents, les mères livrées aux caprices du vainqueur, le pillage des temples et des maisons, le carnage, l’incendie, partout enfin les armes, les cadavres, le sang et le deuil. Mais, par les dieux immortels, à quoi tendent ces discours ? À vous faire détester la conjuration ? Eh quoi ! celui qu’un attentat si grand et si atroce n’a pas ému, un discours l’enflammera ! Non, il n’en est pas ainsi ; jamais les hommes ne trouvent légères leurs injures personnelles ; beaucoup les ressentent trop vivement. Mais, Pères conscrits, ce qui est permis aux uns ne l’est pas aux autres. Ceux qui vivent humblement dans l’obscurité peuvent faillir par emportement, peu de gens le savent ; tout est égal chez eux, renommée et fortune ; mais ceux qui, revêtus de hautes dignités, passent leur vie en évidence, ne font rien dont chaque mortel ne soit instruit. Ainsi, plus haute est la fortune et moins grande est la liberté ; moins il convient d’être partial, haineux et surtout colère. Ce qui chez les autres se nomme emportement, chez les hommes du pouvoir s’appelle orgueil et cruauté.

Je pense donc, Pères conscrits, que toutes les tortures n’égaleront jamais les forfaits des conjurés ; mais, chez la plupart des mortels, ce sont les dernières impressions qui restent, et on oublie les crimes des plus grands coupables, pour ne se souvenir que du châtiment, s’il a été trop sévère.

Ce qu’a dit D. Silanus, homme ferme et courageux, lui a été inspiré, je le sais, par son zèle pour la République, et, dans une affaire si grave, il n’a obéi ni à l’affection ni à la haine. Je connais trop la sagesse et la modération de cet illustre citoyen. Toutefois son avis me paraît, je ne dis pas cruel (car peut-on être cruel envers de pareils hommes ?), mais contraire à l’esprit de notre gouvernement. Certes, Silanus, ou la crainte ou l’indignation vous aura forcé, vous, consul désigné, à adopter un nouveau genre de peine. Quant à la crainte, il est inutile d’en parler, lorsque, grâce à l’active prévoyance de notre illustre consul, tant de gardes sont sous les armes. Quant au châtiment, il nous est bien permis de dire la chose telle qu’elle est : dans l’affliction et dans l’infortune la mort est le terme de nos peines et non un supplice ; elle emporte tous les maux de l’humanité ; au delà plus de soucis ni de joie. Mais, au nom des dieux immortels ! pourquoi n’ajoutiez-vous pas à votre opinion, Silanus, qu’ils seraient d’abord battus de verges ? Est-ce parce que la loi Porcia le défend ? Mais d’autres lois aussi défendent d’ôter la vie à des citoyens condamnés, et prescrivent l’exil. Est-ce parce qu’il est plus cruel d’être frappé de verges que d’être mis à mort ? Mais y a-t-il rien de trop rigoureux, de trop cruel, envers des hommes convaincus d’un si noir attentat ? Si donc cette peine est trop légère, convient-il de respecter la loi sur un point moins essentiel, pour l’enfreindre dans ce qu’elle a de plus grave ? Mais, dira-t-on, qui blâmera votre décret contre les parricides de la République ? Le temps, la circonstance, la fortune, dont le caprice gouverne le monde. Quoi qu’il leur arrive, ils l’auront mérité. Mais vous, Sénateurs, considérez l’influence que, pour d’autres accusés, peut avoir votre décision. Les abus naissent souvent d’exemples bons dans le principe ; mais, dès que le pouvoir tombe entre les mains d’hommes moins éclairés ou moins honnêtes, un précédent juste et raisonnable reçoit une application contraire à la justice et à la raison.

Les Lacédémoniens imposèrent à Athènes vaincue un gouvernement de trente chefs. Ceux-ci commencèrent par faire périr sans jugement tous ceux que leurs crimes signalaient à la haine publique ; le peuple de se réjouir et de dire que c’était bien fait. Plus tard, lorsque s’accrurent les abus de ce pouvoir, bons et méchants furent également immolés au gré du caprice ; le reste était dans la terreur. Ainsi Athènes, accablée sous la servitude, expia cruellement sa joie insensée. De nos jours, lorsque Sylla, vainqueur, fit égorger Damasippe et d’autres hommes de cette espèce, parvenus aux dignités pour le malheur de la République, qui ne louait point une pareille action ? Ces scélérats, ces factieux, dont les séditions avaient bouleversé la République, avaient, disait-on, mérité de périr. Mais ce fut le signal d’un grand carnage. Car quelqu’un convoitait-il la maison ou la terre d’autrui, ou seulement un vase, un vêtement, on s’arrangeait de manière à le faire mettre au nombre des proscrits. Ainsi, ceux pour qui la mort de Damasippe avait été un sujet de joie furent bientôt eux-mêmes traînés au supplice, et les massacres ne cessèrent que lorsque Sylla eut gorgé tous les siens de richesses.

Certes, je ne redoute rien de semblable, ni de M. Tullius, ni des circonstances actuelles ; mais, dans un grand État, il y a tant de natures différentes ! Qui sait si, à une autre époque, sous un autre consul, maître d’une armée, un complot imaginaire ne serait pas cru véritable ? Et si un consul, fort de cet exemple et d’un décret du sénat, tire une fois le glaive, qui l’arrêtera, qui le modérera ?

Nos ancêtres, Pères conscrits, ne manquèrent jamais de prudence ni de décision, et l’orgueil ne s’opposait point à ce qu’ils adoptassent les usages étrangers, quand ils leur paraissaient bons. Aux Samnites ils empruntèrent leurs armes offensives et défensives ; aux Étrusques, la plupart des insignes de nos magistrats ; enfin tout ce qui, chez leurs alliés ou leurs ennemis, leur paraissait utile, ils mettaient une ardeur extrême à se l’approprier, aimant mieux imiter les bons exemples que d’en être jaloux. À la même époque, adoptant un usage de la Grèce, ils infligèrent les verges aux citoyens et le dernier supplice aux condamnés. Plus tard la République s’agrandit ; l’agglomération des citoyens donna aux factions plus d’importance, l’innocent fut opprimé ; on se porta à bien des excès de ce genre. Alors la loi Porcia et beaucoup d’autres lois furent promulguées, qui n’autorisent que l’exil contre les condamnés. Cette considération, Pères conscrits, est, à mon avis, la plus forte pour faire rejeter l’innovation proposée. Certes ils nous étaient supérieurs en vertu et en sagesse ces hommes qui, avec de si faibles moyens, ont élevé un si grand empire, tandis que nous conservons à peine un héritage si glorieusement acquis. Faut-il donc mettre en liberté les coupables, et en grossir l’armée de Catilina ? Nullement ; mais je vote pour que leurs biens soient confisqués, eux-mêmes emprisonnés dans les municipes les mieux pourvus de force armée, afin qu’on ne puisse jamais, par la suite, proposer leur réhabilitation, soit au sénat, soit au peuple ; que quiconque contreviendra à cette mesure soit déclaré par le sénat ennemi de l’État et du repos public[32]. »

À ce noble langage, qui révèle l’homme d’État, comparons les discours déclamatoires des orateurs qui concluaient à la peine de mort : « Je veux, s’écrie Cicéron, arracher aux massacres vos femmes, vos enfants et les saintes prêtresses de Vesta ; aux plus affreux outrages, les temples et les sanctuaires ; notre belle patrie, au plus horrible incendie ; l’Italie, à la dévastation[33]… Les conjurés veulent tout égorger, afin qu’il ne reste plus personne pour pleurer la République et se lamenter sur la ruine d’un si grand empire[34]… » Et quand il parle de Catilina : « Est-il dans toute l’Italie un empoisonneur, est-il un gladiateur, un brigand, un assassin, un parricide, un fabricateur de testaments, un suborneur, un débauché, un dissipateur, un adultère ; est-il une femme décriée, un corrupteur de la jeunesse, un homme taré, un scélérat enfin, qui n’avoue avoir vécu avec Catilina dans la plus grande familiarité[35] ? » Certes, ce n’est point là le langage froid et impartial qui convient au juge.

Cicéron fait bon marché de la loi et des principes ; il lui faut, avant tout, des arguments pour sa cause, et il va chercher dans l’histoire les faits qui peuvent l’autoriser à mettre à mort des citoyens romains. Il vante, comme un exemple à suivre, le meurtre de Tiberius Gracchus par Scipion Nasica, celui de Caius Gracchus par le consul Lucius Opimius[36], oubliant que naguère, dans une harangue fameuse, il appelait les deux célèbres tribuns les plus brillants génies, les vrais amis du peuple[37], et que les meurtriers des Gracques, pour avoir fait massacrer des personnages inviolables, furent en butte à la haine et au mépris de leurs concitoyens. Cicéron lui-même payera bientôt de l’exil sa rigueur envers les complices de Catilina.

Le discours de César avait fait une telle impression sur l’assemblée, que plusieurs sénateurs, entre autres le frère de Cicéron, se rallièrent à son avis[38]. Decimus Silanus, consul désigné, modifia le sien, et Cicéron enfin semblait prêt à dégager sa responsabilité en disant : « Si vous adoptez l’opinion de César, comme il s’est toujours attaché au parti qui passe dans la République pour être celui du peuple, il est probable qu’une sentence dont il sera l’auteur et le garant m’exposera à moins d’orages populaires[39]. » Cependant il persévéra dans la demande de la mise à mort immédiate des accusés. Mais Caton surtout raffermit la majorité chancelante du sénat par les paroles les plus capables d’influencer son auditoire ; loin de faire vibrer les sentiments élevés et le patriotisme, il en appelle aux intérêts égoïstes et à la peur. « Au nom des dieux immortels, s’écrie-t-il, je vous adjure, vous, pour qui vos maisons, vos terres, vos statues, vos tableaux, ont toujours été d’un plus grand prix que la République, si ces biens, de quelque nature qu’ils soient, vous voulez les conserver ; si à vos jouissances vous voulez ménager un loisir nécessaire, sortez enfin de votre engourdissement et prenez en main la chose publique[40] ; » ce qui veut dire, en d’autres termes : « Si vous voulez jouir paisiblement de vos richesses, condamnez les accusés sans les entendre. » C’est ce que fit le sénat.

Un incident singulier vint montrer, au milieu de ces débats, à quel point César éveillait les soupçons. Au moment le plus animé de la discussion, on lui apporte un billet. Il le lit avec empressement. Caton et d’autres sénateurs, supposant un message de l’un des conjurés, veulent en exiger la lecture devant le sénat. César remet le billet à Caton, placé près de lui. Celui-ci reconnaît une lettre d’amour de sa sœur Servilie, la rejette avec indignation, s’écriant : « Tiens, ivrogne[41] ; » injure gratuite, puisqu’il rendait lui-même justice à la tempérance de César, le jour où il disait que, de tous les hommes qui avaient renversé l’État, c’était le seul qui l’eût fait à jeun[42]. Caton exprime encore avec plus de force les appréhensions de son parti, en disant : « Si, au milieu d’alarmes si grandes et si générales, César seul est sans crainte, c’est pour vous comme pour moi un motif de craindre davantage[43]. » Caton alla plus loin. Après la condamnation à mort des accusés, il essaya de pousser à bout César en tournant contre eux une opinion que celui-ci avait émise dans leur intérêt : il proposa de confisquer leurs biens. Le débat prit alors une vivacité nouvelle. César déclara que c’était une indignité, après avoir rejeté ce que son avis avait d’humain, d’en adopter la disposition rigoureuse, d’aggraver le sort des condamnés et d’ajouter à leur supplice[44]. Comme sa protestation ne rencontrait pas d’écho dans le sénat, il adjura les tribuns d’user de leur droit d’intercession, mais ceux-ci restèrent sourds à son appel. L’agitation était à son comble, et, pour y mettre fin, le consul, pressé de terminer une lutte dont l’issue pouvait devenir douteuse, consentit à ce que la confiscation ne fait pas mentionnée dans le sénatus-consulte.

Tandis qu’au dehors la populace, excitée par les amis des conjurés, faisait entendre des clameurs séditieuses, les chevaliers qui formaient la garde autour du temple de la Concorde, exaspérés du langage de César et de la lenteur des débats, firent irruption dans l’assemblée ; ils entourèrent César en proférant des menaces, et, malgré sa qualité de grand pontife et celle de préteur désigné, ils dirigèrent contre lui leurs épées, que M. Curion et Cicéron détournèrent avec générosité[45]. Leur protection lui permit de regagner sa demeure : il déclara toutefois qu’il ne reparaîtrait au sénat que lorsque de nouveaux consuls sauraient y assurer l’ordre et la liberté des délibérations.

Cicéron, sans perdre de temps, alla avec les préteurs chercher les condamnés et les conduisit dans la prison du Capitole, où ils furent immédiatement exécutés. Alors la foule inquiète, ignorante de ce qui se passait, demandant ce qu’étaient devenus les prisonniers, Cicéron répondit ces simples mots : « Ils ont vécu[46]. »

Il est facile de se convaincre que César n’était point un conspirateur ; mais cette accusation s’explique par la pusillanimité des uns et la rancune des autres. Qui ne sait que, dans les temps de crise, les gouvernements faibles taxent toujours de complicité la sympathie pour les prévenus et ne ménagent point la calomnie à leurs adversaires ? Q. Catulus et C. Pison étaient animés contre lui d’une haine si ardente, qu’ils avaient obsédé le consul pour qu’il l’impliquât dans les poursuites dirigées contre les complices de Catilina. Cicéron avait résisté. Le bruit de sa participation au complot ne s’en était pas moins répandu, et il avait été accueilli avec empressement par la foule des envieux[47]. César n’était pas du nombre des conjurés ; s’il en eût été, son influence aurait suffi pour les faire absoudre en triomphe[48]. Il avait une trop haute idée de lui-même, il jouissait d’une trop grande considération, pour penser arriver au pouvoir par une voie souterraine et des moyens réprouvés. Quelque ambitieux que soit un homme, il ne conspire pas lorsqu’il peut atteindre son but par des moyens légaux. César était bien sûr d’être porté au consulat, et jamais son impatience ne trahit son ambition. De plus, il avait constamment montré une aversion prononcée pour la guerre civile ; et comment se serait-il jeté dans une conspiration vulgaire avec des individus décriés, lui qui refusa de participer aux tentatives de Lepidus, alors à la tête d’une armée ? Si Cicéron avait cru César coupable, aurait-il hésité à l’accuser, quand il n’avait pas craint de compromettre, à l’aide d’un faux témoin, un personnage aussi important que Licinius Crassus[49] ? Comment, la veille de la condamnation, aurait-il confié à César la garde d’un des conjurés ? L’aurait-il disculpé lui-même dans la suite, lorsque l’accusation fut renouvelée ? Enfin, si César, comme on le verra plus loin, d’après Plutarque, préférait être le premier dans une bourgade des Alpes que le second dans Rome, comment aurait-il consenti à être le second de Catilina ?

L’attitude de César dans ce procès n’a donc rien qui ne se puisse expliquer simplement. Tout en blâmant la conjuration, il ne voulait pas qu’on s’écartât, pour la réprimer, des règles éternelles de la justice. Il rappelle à des hommes aveuglés par la passion et la crainte que les violences inutiles ont toujours amené des réactions funestes. Les exemples tirés de l’histoire lui servent à prouver que la modération est toujours la meilleure conseillère. Il est clair aussi que, tout en méprisant la plupart des auteurs du complot, il n’était pas sans sympathie pour une cause qui se rapprochait de la sienne par des instincts et des ennemis communs. Dans les pays livrés aux divisions des partis, combien n’y a-t-il pas de gens qui souhaitent le renversement du gouvernement existant, sans cependant vouloir prendre part à une conspiration ? Telle était la position de César.

La conduite, au contraire, de Cicéron et du sénat ne peut guère être justifiée. Violer la loi était peut-être une nécessité ; mais dénaturer la sédition pour la rendre odieuse, recourir à la calomnie pour avilir les accusés, les condamner à mort sans leur permettre de se défendre, c’était une preuve évidente de faiblesse. En effet, si les intentions de Catilina n’eussent pas été travesties, l’Italie entière aurait répondu à son appel, tant on était fatigué du joug humiliant qui pesait sur Rome ; mais on le signala comme méditant l’incendie, le meurtre, le pillage. « Déjà, disait-on, les torches sont allumées, les assassins sont à leurs postes, les conjurés boivent du sang humain et se disputent les lambeaux d’un homme qu’ils ont égorgé[50]. » C’est par ces bruits habilement répandus, par ces exagérations dont Cicéron se moqua lui-même plus tard[51], que les dispositions du peuple, d’abord favorables à la révolte, se tournèrent bientôt contre elle[52].

Que Catilina se soit associé, comme tous les promoteurs de révolutions, à des hommes qui n’avaient rien à perdre et avaient tout à gagner, on ne saurait le contester ; mais comment croire que la majorité de ses complices fût composée de criminels chargés de vices ? De l’aveu de Cicéron, beaucoup d’individus honorables figuraient parmi les conjurés[53]. Des habitants des colonies et des municipes, tenant aux premières familles de leur pays, vinrent se joindre à Catilina. Plusieurs fils de sénateurs, et entre autres Aulus Fulvius[54], furent arrêtés au moment où ils allaient passer aux insurgés, et mis à mort par les ordres de leur père. Presque toute la jeunesse romaine, dit Salluste, favorisait alors les desseins du hardi conspirateur ; et, d’un autre côté, dans tout l’empire, la populace, avide de ce qui est nouveau, approuvait son entreprise[55].

Que Catilina ait été un homme pervers et cruel dans le genre de Marius et de Sylla, cela est probable ; qu’il ait voulu arriver au pouvoir par la violence, cela est certain ; mais qu’il eût gagné à sa cause tant d’individus importants, qu’il les eût fanatisés, qu’il eût si profondément agité les peuples d’Italie, sans avoir proclamé une idée grande et généreuse, c’est ce qui n’est pas vraisemblable. En effet, quoique attaché au parti de Sylla par ses antécédents, il savait que le seul drapeau capable de rallier de nombreux partisans était celui de Marius. Aussi conservait-il depuis longtemps chez lui, avec un soin religieux, l’aigle d’argent qui avait guidé les légions de cet illustre capitaine[56]. Ses discours viennent encore confirmer cette appréciation ; en s’adressant à ses complices, il se plaint de voir les destinées de la République dans les mains d’une faction qui exclut le plus grand nombre de toute participation aux honneurs et aux richesses[57]. Il écrit à Catulus, personnage des plus respectés, avec lequel il était resté en relation, la lettre suivante, qui ne manque ni de simplicité, ni d’une certaine grandeur, et dont le calme offre un contraste frappant avec la véhémence de Cicéron.

« L. Catilina à Q. Catulus, salut. Ton amitié éprouvée, qui m’a toujours été précieuse, me donne l’assurance que dans mon malheur tu écouteras ma prière. Je ne veux point justifier le parti que je viens de prendre. Ma conscience ne me reproche rien, et je veux seulement t’exposer mes motifs, que certes tu trouveras légitimes. Poussé à bout par les insultes et les injustices de mes ennemis, privé de la récompense due à mes services, enfin désespérant d’obtenir jamais la dignité à laquelle j’avais droit, j’ai pris en main, selon ma coutume, la cause commune de tous les malheureux. On me représente comme entraîné par mes dettes à cette audacieuse résolution : c’est une calomnie. Mes biens personnels suffisent pour acquitter mes engagements ; et l’on sait que, grâce à la générosité de ma femme et de sa fille, j’ai fait honneur à d’autres engagements qui m’étaient étrangers. Mais je ne puis voir de sang-froid des hommes indignes au faîte des honneurs, tandis qu’on m’en écarte par de vaines accusations. Dans l’extrémité où l’on m’a réduit, j’embrasse le seul parti qui reste à un homme de cœur pour défendre sa position politique. Je voudrais t’en écrire davantage, mais j’apprends qu’on prépare contre moi les dernières violences. Je te recommande Orestilla et la confie à ta foi. Protège-la, je t’en supplie par la tête de tes enfants. Adieu. »

Les mêmes sentiments animaient les insurgés sous les ordres de Mallius. Ils se révèlent par ces paroles : « Nous prenons les dieux et les hommes à témoin que ce n’est ni contre la patrie que nous avons saisi les armes, ni contre la sûreté de nos concitoyens. Nous voulons seulement garantir nos personnes de l’oppression, nous, malheureux indigents, qui, grâce aux violences et à la cruauté des usuriers, sommes la plupart sans patrie, tous voués au mépris et à la pauvreté. Nous ne demandons ni le pouvoir ni les richesses, ces grandes et éternelles causes de guerres et de dissensions entre les humains ; nous ne voulons que la liberté, à laquelle tout homme de bien ne renonce qu’avec la vie. Nous vous en conjurons, vous le Sénat, prenez en pitié de malheureux concitoyens[58]. »

Ces citations indiquent assez le véritable caractère de l’insurrection, et ce qui prouve que les partisans de Catilina n’étaient pas si dignes de mépris, c’est leur persévérance et leur détermination. Le sénat, ayant déclaré Catilina et Mallius ennemis de la patrie, promit une amnistie entière et deux cent mille sesterces[59] à quiconque abandonnerait les rangs ennemis ; « or il ne se trouva pas, dit Salluste[60], un seul homme dans une si grande multitude, que l’appât de la récompense déterminât à révéler la conjuration, pas un qui désertât le camp de Catilina, tant était fort le mal qui, comme une contagion, avait infecté l’âme de la plupart des citoyens. » Ce qui prouve que Catilina, quoique sans scrupules et sans principes, avait cependant la conscience de défendre une cause qu’il voulait ennoblir, c’est que, loin d’appeler les esclaves à la liberté, comme l’avaient fait Sylla, Marius et Cinna, exemple séduisant pour un conspirateur, il refusa de s’en servir[61], malgré les conseils de Lentulus, qui lui faisait dire ces mots significatifs : « Déclaré ennemi de Rome, dans quel but Catilina refuserait-il les esclaves[62] ? » Enfin, ce qui prouve que, parmi ces révoltés qu’on nous présente comme un ramassis de bandits, prêts à se disperser sans résistance[63], il existait cependant une foi ardente et un véritable fanatisme, c’est l’héroïsme de la lutte suprême. Les deux armées se rencontrent dans la plaine de Pistoïa le 5 janvier 692 ; un combat terrible s’engage, et, l’espoir de vaincre perdu, aucun des soldats de Catilina ne recule. Tous, à l’exemple de leur chef, se font tuer, les armes à la main ; tous sont retrouvés sans vie, mais à leurs rangs, groupés autour de l’aigle de Marius, relique glorieuse de la guerre contre les Cimbres, insigne vénéré de la cause populaire[64].

Certes Catilina était coupable de tenter le renversement des lois de son pays par la violence ; mais il ne faisait que suivre les exemples de Marius et de Sylla. Il rêvait une dictature révolutionnaire, la ruine du parti oligarchique, et, comme le dit Dion-Cassius, le changement de la constitution de la République et le soulèvement des alliés[65]. Son succès néanmoins eût été un malheur ; un bien durable ne peut jamais sortir de mains impures[66].


Erreur de Cicéron.

VI. Cicéron croyait avoir détruit tout un parti, il se trompait : il n’avait fait que déjouer une conspiration et dégager une grande cause des imprudents qui la compromettaient ; la mort illégale des conjurés réhabilita leur mémoire, et on trouva un jour le tombeau de Catilina couvert de fleurs[67]. On peut légitimement violer la légalité, lorsque, la société courant à sa perte, un remède héroïque est indispensable pour la sauver, et que le gouvernement, soutenu par la masse de la nation, se fait le représentant de ses intérêts et de ses désirs. Mais, au contraire, lorsque, dans un pays divisé par les factions, le gouvernement ne représente que l’une d’elles, il doit, pour déjouer un complot, s’attacher au respect le plus scrupuleux de la loi, car alors toute mesure extra-légale paraît inspirée non par un intérêt général, mais par un sentiment égoïste de conservation, et la majorité du public, indifférente ou hostile, est toujours disposée à plaindre l’accusé, quel qu’il soit, et à blâmer la sévérité de la répression.

Cicéron fut enivré de son succès ; la vanité le rendit ridicule[68]. Il se crut aussi grand que Pompée, lui écrivit avec la fierté d’un vainqueur, n’en reçut qu’une froide réponse[69], et vit bientôt s’accomplir les paroles prophétiques de César : « On oublie les fautes des plus grands criminels, pour ne se souvenir que du châtiment, s’il a été trop sévère[70]. »

Avant même la bataille de Pistoïa, quand les poursuites contre les partisans de Catilina se continuaient encore, le sentiment général était déjà hostile à celui qui les avait provoquées, et Metellus Nepos, envoyé récemment d’Asie par Pompée, blâmait ouvertement la conduite de Cicéron. Lorsqu’au sortir de ses fonctions celui-ci voulut haranguer le peuple, afin de glorifier son consulat, Metellus, nommé tribun, lui ferma la bouche en s’écriant : « L’homme qui n’a pas permis aux accusés de se défendre ne se défendra pas lui-même. » Et il lui ordonna de se borner au serment d’usage, qu’il n’avait rien fait de contraire aux lois. « Je jure, repartit Cicéron, que j’ai sauvé la République. » Cette exclamation orgueilleuse a beau être applaudie par Caton et les assistants, qui le saluent du nom de Père de la patrie, cet enthousiasme n’aura qu’une durée éphémère[71].


César, préteur (692).

VII. César, désigné préteur urbanus l’année précédente, prit en 692 possession de sa charge. Bibulus, son ancien collègue dans l’édilité et son adversaire déclaré, lui fut adjoint. Plus son influence augmentait, plus il semble l’avoir mise au service de Pompée, qui, depuis son départ, était resté l’objet des espérances du parti populaire. Il contribua plus que tout autre à faire décerner au vainqueur de Mithridate des honneurs inusités[72], tels que le privilège d’assister aux jeux du cirque avec la robe triomphale et une couronne de laurier, et aux représentations théâtrales avec la prétexte, insigne des magistrats[73]. Bien plus, il fit tous ses efforts pour réserver à Pompée une de ces satisfactions d’amour-propre auxquelles les Romains attachaient un grand prix.

Les personnes chargées de réédifier un monument public obtenaient, à la fin des travaux, l’honneur d’y graver leur nom. Catulus avait fait inscrire le sien sur le temple de Jupiter, incendié au Capitole en 671, et dont la reconstruction lui avait été confiée par Sylla. Ce temple n’était pas entièrement terminé. César réclama contre cette illégalité, accusa Catulus d’avoir détourné une partie de l’argent destiné à cette restauration, et proposa de charger Pompée, à son retour, d’achever l’œuvre, d’y mettre son nom à la place de celui de Catulus, et d’en faire la dédicace[74]. Non-seulement César donnait par là un témoignage de déférence à Pompée, mais il voulait plaire à la multitude en portant une action contre un des chefs les plus estimés du parti aristocratique.

La nouvelle de cette accusation mit le sénat en émoi, et l’empressement des grands à accourir au Forum pour rejeter la proposition fut telle, qu’ils négligèrent ce jour-là d’aller, suivant la coutume, féliciter les nouveaux consuls[75], preuve que, dans cette circonstance encore, il s’agissait bien d’une lutte de partis. Catulus se défendit lui-même, sans pouvoir toutefois aborder la tribune, et, le tumulte augmentant, César dut céder à la force. L’affaire n’eut pas d’autres suites[76].

Le sentiment public continuait à réagir contre la conduite du sénat, et n’hésitait pas à l’accuser hautement du meurtre des complices de Catilina. Metellus Nepos, soutenu par les amis des conjurés, par les partisans de son patron et ceux de César, prit l’initiative d’une loi pour rappeler Pompée avec son armée, afin, disait-il, de maintenir l’ordre dans la ville, de protéger les citoyens et d’empêcher qu’ils ne fussent mis à mort sans jugement. Le sénat, et surtout Caton et Q. Minucius, offusqués déjà des succès de l’armée d’Asie, opposèrent à ces propositions une résistance absolue.

Le jour du vote des tribus, les scènes les plus tumultueuses eurent lieu. Caton alla s’asseoir entre le préteur César et le tribun Metellus, pour les empêcher de communiquer ensemble. On en vint aux coups, on tira les épées[77], et les deux factions se chassèrent tour à tour du Forum, jusqu’à ce qu’enfin le parti du sénat l’emporta. Metellus, obligé de s’enfuir, déclara qu’il cédait à la force et qu’il allait retrouver Pompée, qui saurait bien les venger tous deux. C’était le premier exemple d’un tribun abandonnant Rome pour se réfugier dans le camp d’un général. On le destitua de ses fonctions et César de celles de préteur[78]. Ce dernier n’en tint pas compte, garda ses licteurs et continua à rendre la justice ; mais, averti qu’on voulait employer contre lui des mesures coercitives, il se démit volontairement de sa charge et se renferma dans sa maison.

Cependant cet outrage aux lois ne fut pas pris avec indifférence. Deux jours après un attroupement se forma devant la demeure de César ; on le pressait à grands cris de ressaisir sa dignité ; il engagea la foule à rester dans le devoir. Le sénat, qui s’était réuni au bruit de cette émeute, le fit appeler, le remercia de son respect pour les lois, et le réintégra dans la préture.

Ainsi César se tenait dans la légalité et obligeait le sénat d’en sortir. Ce corps, jadis si ferme, mais si modéré, ne reculait plus devant des coups d’autorité : en même temps un tribun et un préteur étaient contraints de se dérober à ses actes arbitraires. C’étaient, depuis les Gracques, les mêmes scènes de violence, tantôt de la part des grands, tantôt de la part du peuple.

La justice que la crainte d’un mouvement populaire venait de faire rendre à César n’avait pas découragé la haine de ses ennemis. Ils tentèrent de renouveler contre lui l’accusation de complicité dans la conspiration de Catilina. À leur instigation, Vettius, employé autrefois par Cicéron, comme espion, à la découverte du complot, le cita devant le questeur Novius Niger[79], et Curius, auquel des récompenses publiques avaient été décernées, l’accusa devant le sénat. Tous deux attestaient son affiliation aux conjurés, prétendant tenir ce fait de la bouche même de Catilina. César se défendit sans peine et invoqua le témoignage de Cicéron, qui n’hésita pas à le disculper. La séance néanmoins s’étant prolongée, le bruit de l’accusation se répandit dans la ville ; la foule, inquiète du sort de César, vint en masse le redemander ; elle se montrait si irritée, que, pour la calmer, Caton jugea nécessaire de proposer au sénat un décret ordonnant des distributions de blé aux pauvres ; ce qui greva le trésor de plus de 1 250 talents par an (7 276 250 francs)[80].

On se hâta de déclarer l’accusation calomnieuse ; Curius se vit privé de la récompense promise ; Vettius, conduit en prison, faillit être mis en pièces devant les rostres[81]. Le questeur Novius fut également arrêté pour avoir permis qu’on accusât devant son tribunal un préteur, dont l’autorité était supérieure à la sienne[82].

Non content de se concilier la faveur populaire, César s’attirait la bienveillance des premières dames romaines ; et, malgré sa passion prononcée pour les femmes, il est impossible de ne pas apercevoir dans le choix de ses maîtresses un but politique, puisque toutes tenaient par différents liens à des hommes qui jouaient ou furent appelés à jouer un rôle important. Il avait eu des relations intimes avec Tertulla, femme de Crassus ; Mucia, femme de Pompée ; Lollia, fille d’Aulus Gabinius, qui fut consul en 696 ; Postumia, femme de Servius Sulpicius, élevé au consulat en 703, et attiré dans le parti de César par l’influence de celle-ci ; mais la femme qu’il préféra fut Servilie, sœur de Caton et mère de Brutus, à laquelle il donna, pendant son premier consulat, une perle évaluée six millions de sesterces (1 140 000 francs)[83] ; cette liaison rend peu probables les bruits qui coururent, que Servilie favorisait une intrigue amoureuse entre lui et sa fille Tertia[84]. Est-ce par l’entremise de Tertulla que Crassus se réconcilia avec César, ou bien y était-il porté par les injustices du sénat et par sa propre jalousie contre Pompée ? Quelle qu’ait été la cause de ce rapprochement, Crassus semble avoir fait cause commune avec lui dans toutes les questions qui l’intéressaient, dès le consulat de Cicéron.


Attentat de Clodius (692).

VIII. À cette époque survint un grand scandale. Clodius, jeune et riche patricien, ambitieux et violent, était épris de Pompeia, femme de César ; mais l’extrême vigilance d’Aurelia, belle-mère de Pompeia, rendait difficiles les occasions de la voir en particulier[85]. Clodius, déguisé en femme, choisit pour s’introduire dans la maison le moment où, avec les matrones, elle célébrait, la nuit, des mystères en l’honneur du peuple romain[86]. Or il était interdit à tout homme d’assister à ces cérémonies religieuses, que sa présence seule aurait souillées. Découvert par une esclave, Clodius fut chassé ignominieusement. Les pontifes crièrent au sacrilège, et les vestales durent recommencer les mystères. Les grands, qui avaient déjà rencontré un ennemi dans Clodius, virent là un moyen de l’abattre et de créer à César une position embarrassante. Celui-ci, sans vouloir examiner si Pompeia était ou non coupable, la répudia. Un sénatus-consulte, approuvé par quatre cents voix contre quinze, mit Clodius en accusation[87]. Il se défendait par l’allégation d’un alibi, et, excepté Aurelia, aucun témoin à charge ne se présentait ; César lui-même, interrogé, déclara ne rien savoir, et, pour expliquer sa conduite, il répondit, sauvegardant à la fois son honneur et ses intérêts : « La femme de César ne doit pas même être soupçonnée. » Mais Cicéron, cédant aux inspirations mesquines de Terentia, sa femme, vint certifier que le jour de l’événement il avait vu Clodius à Rome[88]. Le peuple se montrait favorable à ce dernier, soit que le crime ne parût pas mériter un châtiment exemplaire, soit que la passion politique l’emportât sur les scrupules religieux. Crassus, de son côté, conduisit toute l’intrigue et prêta à l’accusé l’argent nécessaire pour acheter ses juges, qui l’acquittèrent. La majorité fut de trente et une voix contre vingt-cinq[89].

Ému de cette prévarication, le sénat rendit, à l’instigation de Caton, un décret d’information contre les juges prévenus de s’être laissé corrompre[90]. Or, ceux-ci se trouvant composés de chevaliers, l’ordre équestre prit fait et cause pour ses membres et se sépara ouvertement du sénat. Ainsi l’attentat de Clodius eut deux graves conséquences : la première, de donner une preuve éclatante de la vénalité de la justice ; la seconde, de rejeter encore une fois les chevaliers dans le parti populaire. Mais on fit bien plus pour les indisposer : les publicains réclamaient une réduction sur le prix des fermages de l’Asie, qui leur avaient été adjugés à un taux devenu trop élevé par suite des guerres ; l’opposition de Caton fit repousser leur demande. Ce refus, légal sans doute, était, dans ces circonstances, souverainement impolitique.


Retour et triomphe de Pompée (692).

IX. Tandis qu’à Rome les dissensions renaissaient à tout propos, Pompée venait de terminer la guerre d’Asie. Vainqueur de Mithridate en deux rencontres, il l’avait obligé de s’enfuir vers les sources de l’Euphrate, de passer dans le nord de l’Arménie ; enfin, de là en Colchide, à Dioscurias, sur la côte orientale de la mer Noire[91]. Pompée s’était avancé jusqu’au Caucase, où il avait défait deux peuples de ces montagnes, les Albaniens et les Ibériens, qui s’opposaient à son passage. Après être parvenu à trois jours de marche de la mer Caspienne, ne redoutant plus Mithridate, rejeté parmi les barbares, il commença sa retraite à travers l’Arménie, où Tigrane vint se mettre à sa discrétion ; ensuite, se dirigeant vers le sud, il passa le mont Taurus, attaqua le roi de Commagène, combattit le roi des Mèdes, envahit la Syrie, fit alliance avec les Parthes, reçut la soumission des Arabes nabatéens, celle d’Aristobule, roi des Juifs, et prit Jérusalem[92].

Pendant ce temps, Mithridate, dont l’énergie et les vues semblaient grandir avec les dangers et les revers, exécutait un plan hardi : faisant le tour oriental de la mer Noire, s’alliant avec les Scythes et les peuples de la Crimée, il était arrivé sur les bords de l’Hellespont cimmérien ; mais il méditait de plus vastes desseins. Après avoir noué des intelligences avec les Celtes, il voulait parvenir au Danube, traverser la Thrace, la Macédoine et l’Illyrie, franchir les Alpes, et, comme Annibal, tomber en Italie. Seul il était à la hauteur de cette entreprise, mais il dut y renoncer : son armée l’abandonna ; Pharnace, son fils, le trahit, et il se donna la mort à Panticapée (Kertsch). Pompée put disposer alors à son gré des vastes et riches contrées qui s’étendent depuis la mer Caspienne jusqu’à la mer Rouge. Pharnace reçut le royaume du Bosphore. Tigrane, privé d’une partie de ses États, ne conserva que l’Arménie. Le tétrarque de Galatie, Dejotarus, obtint des accroissements de territoire, et Ariobarzane l’agrandissement du royaume de Cappadoce, rétabli en sa faveur. Divers petits princes dévoués aux Romains furent dotés, trente-neuf villes rebâties ou fondées. Enfin le Pont, la Cilicie, la Syrie, la Phénicie, déclarées provinces romaines, durent accepter le régime que le vainqueur leur imposa. Ces contrées reçurent des institutions qu’elles conservèrent plusieurs siècles[93]. Toutes les côtes de la Méditerranée, excepté l’Égypte, devinrent tributaires de Rome.

La guerre terminée en Asie, Pompée s’était fait devancer par son lieutenant, Pupius Pison Calpurnianus, qui briguait le consulat, et, à cet effet, demandait l’ajournement des comices. Cet ajournement fut accordé, et Pison nommé consul à l’unanimité[94], avec M. Valerius Messala, pour l’année 693, tant la crainte qu’inspirait Pompée rendait chacun docile à ses désirs, car on ignorait ses intentions, et on redoutait qu’à son retour il ne marchât de nouveau sur Rome à la tête de son armée victorieuse ; mais Pompée, ayant débarqué à Brindes vers le mois de janvier 693, congédia ses troupes, et arriva à Rome sans autre escorte que celle des citoyens qui étaient allés en foule à sa rencontre[95].

Après la première manifestation de la reconnaissance publique, il ne trouva plus l’accueil sur lequel il comptait, et des chagrins domestiques vinrent augmenter ses déceptions. Il avait appris la conduite scandaleuse tenue par sa femme Mucia pendant son absence, et il se décida à la répudier[96].

L’envie, ce fléau des républiques, se déchaîna contre lui. Les nobles ne cachaient pas leur jalousie ; ils semblaient se venger de leurs propres appréhensions, auxquelles venaient encore se joindre des ressentiments personnels. Lucullus ne lui pardonnait pas de l’avoir frustré du commandement de l’armée d’Asie. Crassus était envieux de sa célébrité ; Caton, toujours ennemi de ceux qui s’élevaient au-dessus des autres, ne pouvait lui être favorable, et lui avait même refusé la main de sa nièce ; Metellus Creticus conservait un souvenir amer des efforts tentés pour lui contester la conquête de l’île de Crète[97], et Metellus Celer était blessé de la répudiation de sa sœur Mucia[98]. Quant à Cicéron, dont l’opinion sur les hommes variait suivant leur plus ou moins de déférence pour son mérite, il trouvait son héros d’autrefois sans droiture et sans élévation[99]. Pressentant le mauvais vouloir qu’il allait rencontrer, Pompée mit tout en œuvre et dépensa beaucoup d’argent pour faire arriver au consulat Afranius, un de ses anciens lieutenants ; il comptait sur lui pour obtenir les deux choses auxquelles il tenait le plus : l’approbation générale de tous ses actes en Orient et une distribution de terres à ses vétérans. Malgré de vives oppositions, L. Afranius fut nommé avec Q. Metellus Celer. Mais, avant de présenter les lois qui l’intéressaient, Pompée, qui jusque-là n’était pas rentré dans Rome, demanda le triomphe. On le lui accorda seulement pour deux jours ; la cérémonie n’en fut pas moins remarquable par sa magnificence. Elle eut lieu le 29 et le 30 septembre 693.

On portait devant lui des écriteaux où étaient inscrits les noms des pays conquis, depuis la Judée jusqu’au Caucase, et des bords du Bosphore jusqu’aux rives de l’Euphrate ; les noms des villes et le nombre des vaisseaux pris sur les pirates ; le nom de trente-neuf villes repeuplées ; le dénombrement des richesses versées dans le trésor ; elles étaient évaluées à 20 000 talents (plus de 115 millions), sans compter les libéralités à ses soldats, dont le moins récompensé avait touché 1 500 drachmes (1 455 francs)[100] ; les revenus publics, qui n’étaient, avant Pompée, que de 50 millions de drachmes (48 millions et demi), atteignirent le chiffre de 81 millions et demi (79 millions). Parmi les objets précieux qui furent exposés aux regards des Romains, on remarquait la Dactyliothèque (collection de pierres gravées) du roi de Pont[101] ; un échiquier fait de deux seules pierres précieuses, ayant cependant quatre pieds de long sur trois de large, orné d’une lune en or, du poids de trente livres ; trois lits pour les repas, d’une valeur immense ; des vases d’or et de pierres précieuses en assez grand nombre pour garnir neuf buffets ; trente-trois couronnes en perles ; trois statues d’or, représentant Minerve, Mars et Apollon ; une montagne du même métal, à base carrée, décorée de fruits de toutes sortes et de figures de cerfs et de lions, le tout environné par un cep de vigne d’or, cadeau du roi Aristobule ; un petit temple dédié aux Muses, garni d’une horloge ; un lit de repos en or, ayant appartenu, disait-on, à Darius, fils d’Hystaspe ; des vases murrhins[102] ; la statue d’argent du roi de Pont Pharnace, le vainqueur de Sinope, contemporain de Philippe III, de Macédoine[103] ; la statue d’argent du dernier Mithridate et son buste colossal en or, haut de huit coudées, ainsi que son trône et son sceptre ; des chars armés de faux et garnis d’ornements dorés[104] ; puis le portrait de Pompée lui-même, brodé en perles. Enfin des arbres apparurent pour la première fois comme objets rares et précieux : c’étaient l’ébénier et l’arbuste qui fournit le baume[105]. On voyait, précédant son char, les Crétois Lasthènes et Panares, enlevés au triomphe de Metellus Creticus[106] ; les chefs des pirates, le fils de Tigrane, roi d’Arménie, sa femme et sa fille ; la veuve du vieux Tigrane, appelée Zosime ; Olthacès, le chef des Colchidiens ; Aristobule, roi des Juifs ; la sœur de Mithridate, avec cinq de ses fils ; les femmes des chefs de Scythie ; les otages des Ibériens et des Albaniens ; ceux des rois de Commagène. Pompée était sur un char orné de pierreries et revêtu du costume d’Alexandre le Grand[107] ; et, comme déjà il avait obtenu trois fois les honneurs du triomphe pour ses succès en Afrique, en Europe et en Asie, on portait un grand trophée, avec cette inscription : Sur le monde entier[108].

Tant de splendeur flattait l’orgueil national sans désarmer les envieux. Les victoires en Orient ayant toujours été obtenues sans d’immenses efforts, on en rabaissait le mérite, et Caton avait été jusqu’à dire qu’en Asie les généraux n’avaient eu à combattre que des femmes[109]. Au sénat, Lucullus et d’autres consulaires importants firent repousser l’approbation de tous les actes de Pompée. Et cependant, ne ratifier ni les traités conclus avec les rois, ni l’échange des provinces, ni les impositions des tributs, c’était tout remettre en question. On alla encore plus loin.

Vers le mois de janvier 694[110], le tribun L. Flavius proposa de racheter et d’affecter aux vétérans de Pompée, pour y établir des colonies, le territoire déclaré domaine public en 521, et vendu depuis ; de partager entre les citoyens pauvres l’ager publicus de Volaterræ et d’Arretium, en Étrurie, confisqué par Sylla et non encore distribué[111]. Les dépenses qu’entraîneraient ces mesures devaient être couvertes par cinq années du revenu des provinces conquises[112]. Cicéron, qui désirait plaire à Pompée sans nuire aux intérêts de ceux qu’il appelait ses riches amis[113], proposa de ne pas toucher à l’ager publicus, mais d’acquérir d’autres terres avec les mêmes ressources. Néanmoins il approuvait alors la fondation de colonies, lui qui, deux ans auparavant, appelait l’attention de ses auditeurs sur le danger de pareils établissements ; il avouait qu’il fallait éloigner de Rome cette populace dangereuse, sentina urbis, lui qui autrefois avait engagé cette même populace à rester à Rome pour jouir des fêtes, des jeux, des droits de suffrage[114]. Enfin, il proposa d’acheter des propriétés particulières en laissant l’ager publicus intact, tandis que dans son discours contre Rullus il avait blâmé, comme une dérogation à toute coutume, la fondation de colonies sur des propriétés achetées à des particuliers[115]. L’éloquence de l’orateur, si prépondérante pour faire rejeter la loi de Rullus, ne réussit pas à faire adopter celle de Flavius : elle fut attaquée avec une telle violence par le consul Metellus, que le tribun le fit mettre en prison ; mais, cet acte de rigueur ayant soulevé une réprobation générale, Pompée eut peur du scandale : il fit dire à Flavius de remettre le consul en liberté et abandonna la loi. Blessé alors de tant d’injustices, voyant son prestige diminué, le vainqueur de Mithridate regretta d’avoir licencié son armée, et résolut de s’entendre avec Clodius, qui jouissait d’une grande popularité[116].

Vers la même époque, Metellus Nepos, revenu une seconde fois en Italie avec Pompée, fut nommé préteur, et fit abolir par une loi tous les péages de l’Italie, dont la perception excitait de vives réclamations. Cette mesure, inspirée probablement par Pompée et César, fut approuvée par tous ; cependant le sénat tenta, mais vainement, d’effacer de la loi le nom de son auteur, ce qui montre, suivant Dion-Cassius, que cette assemblée n’acceptait rien de ses adversaires, pas même un bienfait[117].


Marche fatale des événements.

X. Ainsi toutes les forces de la société, paralysées par les divisions intestines, impuissantes à produire le bien, semblaient ne se ranimer que pour lui faire obstacle ; la gloire militaire comme l’éloquence, ces deux instruments de la puissance romaine, n’inspiraient plus que défiance et jalousie. Le triomphe des généraux semblait bien moins un succès pour la République qu’une satisfaction personnelle. Le talent de la parole exerçait encore tout son empire, tant que l’orateur était à la tribune ; mais à peine en était-il descendu que le prestige s’évanouissait, et le sentiment public restait indifférent à de magnifiques artifices de langage employés à favoriser des passions égoïstes, et non à défendre, comme autrefois, les grands intérêts de la patrie.

Chose digne de remarque ! lorsque le destin pousse une société vers un but, tout y concourt fatalement, autant les attaques et les espérances de ceux qui désirent un changement que la crainte et la résistance de ceux qui voudraient tout arrêter. Après la mort de Sylla, César seul tenta avec persévérance de relever le drapeau de Marius. Dès lors, rien de plus naturel que ses actions et ses discours eussent la même tendance. Mais ce qui doit fixer l’attention, c’est de voir les partisans de la résistance et du système de Sylla, les adversaires de toute innovation, amener à leur insu les événements qui aplanirent à César la voie au pouvoir suprême.

Pompée, le représentant de la cause du sénat, porte le coup le plus sensible à l’ancien régime, par le rétablissement du tribunat. La faveur qui s’attachait à ses prodigieux succès en Orient l’avait élevé au-dessus de tous ; par nature comme par ses antécédents, il penchait du côté de l’aristocratie ; la jalousie des nobles le rejette dans le parti populaire et dans les bras de César.

De son côté le sénat, qui prétend conserver intactes toutes les anciennes institutions, les abandonne en face du danger ; par jalousie envers Pompée, il laisse aux tribuns l’initiative de toutes les lois d’intérêt général ; par crainte de Catilina, il abaisse les barrières qui interdisaient aux hommes nouveaux l’accès au consulat et y fait arriver Cicéron. Dans le procès des complices de Catilina, il viole à la fois et les formes de la justice et la première garantie de la liberté des citoyens, le droit d’appel au peuple. Au lieu de se souvenir que la meilleure politique, dans les circonstances graves, est d’accorder aux hommes importants un témoignage éclatant de reconnaissance pour les services rendus dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, au lieu de suivre après la victoire l’exemple donné après la défaite par l’ancien sénat, qui remerciait Varron de n’avoir pas désespéré du salut de la République, le sénat se montre ingrat envers Pompée, ne lui tient aucun compte de sa modération ; et, quand il peut le compromettre, l’enchaîner même par les liens de la reconnaissance, il repousse ses plus légitimes demandes, et ce refus apprend aux généraux à venir que, lorsqu’ils retourneront à Rome après avoir agrandi le territoire de la République, après avoir doublé les revenus de l’État, s’ils congédient leur armée, on leur contestera l’approbation de leurs actes, et on marchandera aux soldats la récompense due à leurs glorieux travaux.

Cicéron, lui-même, qui veut maintenir l’ancien état de choses, vient le saper par sa parole. Dans ses harangues contre Verrès, il signale et la vénalité du sénat, et les exactions dont se plaignent les provinces ; dans d’autres, il dévoile de la manière la plus effrayante la corruption des mœurs, le trafic des emplois et le défaut de patriotisme parmi les hautes classes ; en parlant pour la loi Manilia, il soutient qu’il faut un pouvoir fort dans les mains d’un seul, afin d’assurer l’ordre en Italie et la gloire à l’extérieur, et c’est lorsqu’il a employé toute son éloquence à montrer l’excès du mal et l’efficacité du remède, qu’il croit pouvoir arrêter l’opinion publique par le froid conseil de l’immobilité.

Caton déclarait ne vouloir aucune espèce d’innovations, et il les rendait plus indispensables par sa propre résistance ; non moins que Cicéron, il jetait le blâme sur les vices de la société ; mais, tandis que celui-ci variait souvent par l’inconstance de son esprit, Caton, avec la ténacité systématique d’un stoïcien, demeurait inflexible dans l’application de principes absolus ; il combattait même les projets les plus utiles, et, empêchant toute concession, rendait les haines comme les factions irréconciliables. Il avait séparé Pompée du sénat en faisant rejeter toutes ses propositions ; il lui refusa sa nièce malgré l’avantage, pour son parti, d’une alliance qui aurait entravé les projets de César[118]. Sans égard pour les conséquences politiques d’un rigorisme outré, il avait fait déposer Metellus, tribun, et César, préteur ; mettre en accusation Clodius, ouvrir une enquête contre les juges, ne prévoyant pas les suites funestes d’un procès où l’honneur d’un ordre entier était mis en question. Ce zèle irréfléchi avait rendu les chevaliers hostiles au sénat ; ils le devinrent encore davantage par l’opposition de Caton à la réduction du taux des fermes de l’Asie[119]. Aussi, appréciant alors les choses à leur véritable point de vue, Cicéron écrivait à Atticus : « Avec les meilleures intentions, notre Caton gâte toutes les affaires ; il opine comme dans la république de Platon, et nous sommes la lie de Romulus[120]. »

Rien n’arrêtait donc le cours des événements ; le parti de la résistance les précipitait plus que tout autre. Évidemment on marchait vers une révolution ; or une révolution, c’est un fleuve qui renverse et inonde. César voulait lui creuser un lit ; Pompée, assis fièrement au gouvernail, croyait commander aux flots qui l’entraînaient. Cicéron, toujours irrésolu, tantôt se laissait aller au courant, tantôt croyait pouvoir le remonter sur une barque fragile. Caton, inébranlable comme un roc, se flattait de résister à lui seul au cours irrésistible qui emportait la vieille société romaine.

  1. Asconius, Argument du discours de Cicéron « In toga candida, » p. 82, éd. Orelli.
  2. Plutarque, Cicéron, iii.
  3. On appelait hommes nouveaux ceux qui, parmi leurs ancêtres, n’en comptaient aucun ayant exercé une magistrature élevée. (Appien, Guerres civiles, II, ii.) Cicéron confirme aussi ce fait : « Je suis le premier homme nouveau que, depuis un grand nombre d’années, on se rappelle vous avoir vus nommer consul ; et ce poste éminent, où la noblesse s’était en quelque sorte retranchée, et dont elle avait fermé toutes les avenues, vous en avez, pour me placer à votre tête, forcé les barrières ; vous avez voulu que le mérite les trouvât désormais ouvertes. » (Cicéron, Deuxième discours sur la loi agraire, i.)
  4. Salluste, Catilina, xxiii.
  5. « Cicéron favorisait tantôt les uns, tantôt les autres, pour être recherché par les deux partis. » (Dion-Cassius, XXXVI, xxvi.)
  6. Deuxième discours sur la loi agraire, xxv.
  7. Les territoires concédés par un traité étaient exceptés, ce qui affranchissait de cette obligation le territoire africain, devenu, depuis Scipion, domaine de la République, et donné par Pompée à Hiempsal. En Campanie, chaque colon devait avoir dix jugera, et, sur le territoire de Stella, douze.
  8. Cicéron, Deuxième discours sur la loi agraire, xxvi.
  9. Cicéron, Lettres à Atticus, II, 1. — Plutarque, Cicéron, xvii. — « Lorsque de jeunes Romains remplis de mérite et d’honneur se trouvaient dans une position telle, que leur admissibilité aux magistratures eût amené le bouleversement de l’État, j’osai braver leur inimitié, leur faire interdire l’accès aux comices et aux honneurs. » (Cicéron, Discours contre L. Pison, ii.)
  10. « On veut ôter à la République tout refuge, toute garantie de salut en des conjonctures difficiles. » (Cicéron, Discours pour Rabirius, ii.)
  11. « Cette puissance suprême que, d’après les institutions de Rome, le sénat confère aux magistrats consiste à lever des troupes, à faire la guerre, à contenir dans le devoir, par tous les moyens, les alliés et les citoyens ; à exercer souverainement, tant à Rome qu’au dehors, l’autorité civile et militaire. Dans tout autre cas, sans l’ordre exprès du peuple, aucune de ces prérogatives n’est attribuée aux consuls. » (Salluste, Catilina, xxix.)
  12. Salluste, Catilina, lix.
  13. Cicéron, Discours pour Rabirius, ix.
  14. Suétone, César, xii.
  15. Dion-Cassius, XXXVII, xxvi, xxvii.
  16. Macrobe, Saturnales, I, xvi. — Priscien, VI, p. 716, éd. Putsch. — Macrobe (l. c.) cite le XVIe livre du traité de César sur les auspices. — Dion-Cassius, XXXVII, xxxvii, s’exprime ainsi : « Surtout parce qu’il avait soutenu Labienus contre Rabirius et n’avait point voté la mort de Lentulus. » Mais l’auteur grec se trompe, la nomination de César au grand pontificat eut lieu avant la conjuration de Catilina. (Voy. Velleius Paterculus, II, xliii.)
  17. Appien, Guerres civiles, II, i, viii, xiv.
  18. Plutarque, César, vii.
  19. Plutarque, César, vii.
  20. Suétone, César, xiii.
  21. Suétone, César, xlvi.
  22. « Le 23 août, jour de l’inauguration de Lentulus, flamine de Mars, la maison fut décorée, et des lits d’ivoire furent dressés dans les triclinia. Dans les deux premières salles étaient les pontifes Q. Catulus, M. Æmilius Lepidus, D. Silanus, C. César, roi des sacrifices, et… L. Julius César, augure. La troisième reçut les vestales. Le repas fut ainsi composé : pour entrée, hérissons de mer, huîtres crues à discrétion, palourdes (espèce d’huîtres d’une grosseur extraordinaire), spondyles (coquillage du genre de l’huître), grives, asperges, poule grasse, et, en dessous, pâté d’huîtres et de palourdes, glands de mer noirs et blancs (coquillage de mer et de rivière, suivant Pline), encore des spondyles, glycomarides (autre coquillage mentionné par Pline), orties de mer, becfigues, filets de chevreuil et de sanglier, volailles grasses saupoudrées de farine, becfigues, murex et ursins (coquillage hérissé de pointes qui donnait la pourpre aux anciens). Second service, tétines de truie, hure de sanglier, pâté de poisson, pâté de tétines de truie, canards, sarcelles bouillies, lièvres, volailles rôties, farines (c’est la farine que l’on obtient à la manière de l’amidon, sans mouture ; on en faisait plusieurs sortes de crèmes, amylaria) pains du Picenum. » (Macrobe, Saturnales, II, ix.)
  23. « C’était au point qu’il ne fallait plus pour renverser le gouvernement malade qu’une légère impulsion du premier audacieux venu. » (Plutarque, Cicéron, xv.)
  24. Cicéron, Discours pour M. Cælius, v. Ce discours fut prononcé en l’an 698.
  25. Plutarque, Cicéron, xix.
  26. Salluste, Catilina, xxvii, xxviii.
  27. Cela ressort de ce que Florus (III, vi) dit du commandement de la flotte qu’avait L. Gellius et d’un passage de Cicéron (Premier discours après son retour, vii). L. Gellius s’exprima clairement sur le danger qu’avait couru la République, et proposa de faire décerner une couronne civique à Cicéron. (Cicéron, Lettres à Atticus, XII, xxi ; — Discours contre Pison, iii. — Aulu-Gelle, V, vi).
  28. Cicéron, Première Catilinaire, i. — Seconde Catilinaire, i.
  29. Salluste, Catilina, xxxii.
  30. Salluste, Catilina, xxx, xxxi. — Plutarque, Cicéron, xvii.
  31. Salluste, Catilina, xlvii.
  32. Salluste, Catilina, li. — Appien, Guerres civiles, II, vi.
  33. Cicéron, Quatrième Catilinaire, i.
  34. Cicéron, Quatrième Catilinaire, ii.
  35. Deuxième Catilinaire, iv.
  36. Première Catilinaire, i, ii.
  37. Deuxième Discours sur la loi agraire, v.
  38. Suétone, César, xiv.
  39. Cicéron, Quatrième Discours contre Catilina, v.
  40. Salluste, Catilina, lii.
  41. Plutarque, Caton, xxviii. — Voy. le Parallèle d’Alexandre et de César, vii.
  42. Suétone, César, liii.
  43. Salluste, Catilina, lii.
  44. Plutarque, Cicéron, xxviii.
  45. Salluste, Catilina, xlix.
  46. Suétone, César, viii.
  47. Salluste, Catilina, xlix.
  48. « On craignait son pouvoir et le grand nombre d’amis dont il était soutenu, car tout le monde était persuadé que les accusés seraient enveloppés dans l’absolution de César, bien plutôt que César dans leur châtiment. » (Plutarque, Cicéron, xxvii.)
  49. « Et j’ai moi-même entendu plus tard Crassus dire hautement qu’un si cruel affront lui avait été ménagé par Cicéron. » (Salluste, Catilina, xlviii.)
  50. On peut lire dans les historiens du temps le récit des fables inventées à plaisir pour perdre les conjurés. Ainsi Catilina, voulant lier par un serment les complices de son crime, aurait fait passer à la ronde des coupes remplies de sang humain et de vin. (Salluste, Catilina, xxii.) Selon Plutarque, ils auraient égorgé un homme, et tous auraient mangé de sa chair. (Plutarque, Cicéron, xiv. — Florus, IV, i.)
  51. Cicéron avoua lui-même que ces accusations étaient des lieux communs pour le besoin de la cause. Dans une lettre à Atticus, il décrit une scène qui se passa au sénat peu de temps après le retour de Pompée à Rome. Il nous dit que ce général se contenta de louer tous les actes du sénat, sans rien ajouter de personnel à lui, Cicéron ; « mais Crassus, continue-t-il, se leva et en parla avec beaucoup d’éloquence… Bref, il aborda tout ce lieu commun de fer et de flamme, que j’ai coutume de traiter, vous savez de combien de manières, dans mes harangues, dont vous êtes le souverain critique. » (Cicéron, Lettres à Atticus, I, xiv.)
  52. « La populace, qui d’abord, par amour de la nouveauté, n’avait été que trop portée pour cette guerre, change de sentiment, maudit l’entreprise de Catilina, et élève Cicéron jusqu’aux nues. » (Salluste, Catilina, xlviii.)
  53. Salluste, Catilina, xxxix. — Dion Cassius, XXXVII, xxxvi.
  54. « Plusieurs jeunes gens estimables étaient attachés à cet homme méchant et corrompu. » (Cicéron, Discours pour M. Cælius, iv.) « Il avait réuni autour de lui des hommes pervers et audacieux, en même temps qu’il s’était attaché nombre de citoyens vertueux et fermes, par les faux semblants d’une vertu affectée. » (Cicéron, ibidem, vi.)
  55. Salluste, Catilina, xvii.
  56. « … et cette aigle d’argent, à laquelle il avait consacré dans sa maison un autel. » (Cicéron, Deuxième Catilinaire, vi.)
  57. Salluste, Catilina, xx.
  58. Salluste, Catilina, xxxiii, Discours des députés envoyés par Mallius à Marcius Rex.
  59. Salluste, Catilina, xxx.
  60. Salluste, Catilina, xxxvi.
  61. « En attendant, il refusait des esclaves qui, dès le commencement, n’avaient cessé de venir le joindre par troupes nombreuses. Plein de confiance dans les ressources de la conjuration, il regardait comme contraire à sa politique de paraître rendre la cause des citoyens commune à celle des esclaves. » (Salluste, Catilina, lvi.)
  62. Salluste, Catilina, xliv.
  63. « Gens qui tomberont à nos pieds, si je leur montre, je ne dis pas la pointe de nos armes, mais l’édit du préteur. » (Cicéron, Deuxième Catilinaire, iii.)
  64. Salluste, Catilina, lxi.
  65. Dion-Cassius, XXXVII, x.
  66. L’Empereur Napoléon, dans le Mémorial de Sainte-Hélène, traite aussi de fable cette opinion des historiens qui prétendent que Catilina voulait brûler Rome et la livrer au pillage, pour gouverner ensuite sur des ruines. L’Empereur pensait, dit M. de Las-Cases, que c’était plutôt quelque nouvelle faction, à la façon de Marius et de Sylla, qui, ayant échoué, avait vu accumuler sur son chef toutes les accusations banales qu’on élève en pareil cas.
  67. Cicéron, Discours pour Flaccus, xxxviii.
  68. « Il excita l’animadversion publique, non par une mauvaise action, mais par l’habitude de se vanter lui-même. Il n’allait jamais au sénat, aux assemblées du peuple, aux tribunaux, qu’il n’eût sans cesse à la bouche les noms de Catilina et de Lentulus. » (Plutarque, Cicéron, xxxi.)
  69. Cicéron, Lettres familières, V, vii ; Lettre à Pompée.
  70. Voy. le Discours de César cité plus haut.
  71. Il n’est pas sans intérêt de reproduire ici, d’après les lettres de Cicéron, la liste des discours qu’il a prononcés pendant l’année de son consulat : « J’ai voulu, moi aussi, avoir (comme Démosthène) mes harangues politiques, qu’on peut nommer consulaires. La première et la seconde sont sur la loi agraire : l’une, dans le sénat, aux calendes de janvier ; l’autre, devant le peuple ; la troisième, sur Othon ; la quatrième, pour Rabirius ; la cinquième, sur les enfants des proscrits ; la sixième, sur mon désistement de ma province ; la septième est celle qui a chassé Catilina ; la huitième a été prononcée devant le peuple le lendemain de sa fuite ; la neuvième, à la tribune, le jour où les Allobroges sont venus déposer ; la dixième, au sénat, le 5 décembre. Il y en a encore deux, moins longues, qui sont comme des annexes des deux premières sur la loi agraire. » (Cicéron, Lettres à Atticus, II, i.)
  72. Velleius Paterculus, II, xl. — Dion-Cassius, XXXVII, xxi.
  73. Suétone, César, xlvi.
  74. Dion-Cassius, XXXVII, xliv ; XLIII, xiv.
  75. Suétone, César, xv.
  76. Suétone, César, xvi.
  77. Dion-Cassius, XXXVII, xliii. — Suétone, César, xvi. — Cicéron, Discours pour Sextius, xxix.
  78. Suétone, César, xvi.
  79. Cicéron, Lettres à Atticus, II, xxiv.
  80. Plutarque, César, ix.
  81. Suétone, César, xvii.
  82. Suétone, César, xvii.
  83. Suétone, César, l.
  84. Suétone, César, l.
  85. Plutarque, César, x.
  86. Suétone, César, i. — Plutarque, Cicéron, xxvii ; — César, x. « Ce sacrifice est offert par les vierges vestales ; offert pour le peuple romain, dans la maison d’un magistrat qui possède l’imperium, avec des cérémonies qu’on ne peut révéler ; offert à une déesse dont le nom même est un mystère impénétrable pour tous les hommes et que Clodius nomme la Bonne Déesse, parce qu’elle lui a pardonné un pareil attentat. » (Cicéron, Sur la réponse des aruspices, xvii.) La Bonne Déesse était, comme la plupart des divinités de la terre chez les anciens, regardée comme une sorte de fée bienfaisante veillant à la fertilité des champs et à la conception des femmes. Le sacrifice nocturne était célébré, l’un des premiers jours de décembre, dans la maison du consul ou du préteur, par l’épouse de ce dignitaire et par les vestales. Pour commencer la fête on faisait le sacrifice propitiatoire d’un porc, et l’on récitait des prières pour la prospérité du peuple romain.
  87. Cicéron, Lettres à Atticus, I, xiv.
  88. Cicéron, Lettres à Atticus, I, xvi.
  89. Cicéron, Lettres à Atticus, I, xvii.
  90. Cicéron, Lettres à Atticus, I, xvi.
  91. Appien, Guerre de Mithridate, ci.
  92. Appien, Guerre de Mithridate, cvi.
  93. Dion-Cassius, XXXVII, xx.
  94. Dion-Cassius, XXXVII, xliv. — Contrairement à d’autres auteurs, Dion-Cassius affirme que les comices ont été retardés. (Plutarque, Pompée, xlv.)
  95. « Plus on était alarmé, plus on fut satisfait de voir Pompée rentrer dans sa patrie comme simple citoyen. » (Velleius Paterculus, II, xl.)
  96. Cicéron, Lettres à Atticus, I, xii.
  97. Metellus faisait la conquête de la Crète, lorsque Pompée envoya un de ses lieutenants pour le déposséder, sous prétexte que cette île était comprise dans son grand commandement maritime.
  98. Dion-Cassius, XXXVII, xlix.
  99. « Jamais de droiture ni de candeur, pas un mobile honorable dans sa politique ; rien d’élevé, de fort, de généreux. » (Cicéron, Lettres à Atticus, I, xiii.)
  100. Plutarque, Pompée, xlvii.
  101. Pline, XXXVII, v.
  102. Vases très-recherchés qui venaient de la Carmanie. Ils reflétaient les couleurs de l’arc-en-ciel, et, suivant Pline, un seul vase se vendit 70 talents (plus de 300 000 francs). (Pline, XXXVII, vii et viii.)
  103. Pline, XXXIII, liv. — Strabon, XII, 545.
  104. Appien, Guerre de Mithridate, cxvi.
  105. Pline, Histoire naturelle, XII, ix et liv.
  106. Dion-Cassius, XXXVI, ii. — Velleius Paterculus, II, xxxiv, xl.
  107. Appien, Guerre de Mithridate, cxvii.
  108. Plutarque, Pompée, xlvii. — Dion-Cassius, XXXVII, xxi.
  109. Cicéron, Discours pour Murena, xiv.
  110. Cicéron, Lettres à Atticus, I, xviii.
  111. Dion-Cassius, XXXVII, l.
  112. Cicéron, Lettres à Atticus, I, xix.
  113. Cicéron, Lettres à Atticus, I, xix.
  114. Cicéron, Deuxième discours contre la loi agraire, xxvii.
  115. « C’est que vos ancêtres ne vous ont point donné l’exemple d’acheter des terres aux particuliers pour y envoyer le peuple en colonies. Toutes les lois, jusqu’à présent, n’en ont établi que sur les domaines de la République. » (Cicéron, Deuxième discours contre la loi agraire, xxv.)
  116. Plutarque, Caton d’Utique, xxxvi.
  117. Dion-Cassius, XXXVII, li.
  118. Plutarque, Caton, xxxv.
  119. « On vilipende le sénat, l’ordre des chevaliers s’en sépare. Ainsi cette année aura vu renverser à la fois les deux bases solides sur lesquelles j’avais, à moi seul, assis la République, c’est-à-dire l’autorité du sénat et l’union des deux ordres. » (Cicéron, Lettres à Atticus, I, xviii.)
  120. Cicéron, Lettres à Atticus, II, i.