Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 208
Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.
samedi, 27 de mai. Monsieur Lovelace, ma chère, a été fort malade. Son mal l’a pris subitement. Il a vomi du sang en abondance. C’est quelque vaisseau rompu. Il s’était plaint, hier au soir, d’un mal d’estomac. Je m’en suis sentie d’autant plus touchée, que je crains qu’il ne soit venu de nos violentes contentions. Mais étois-je coupable ? Que j’ai cru le haïr ces jours passés ! Mais je vois que, dans mon cœur, la colère et la haine ne sont que des mouvemens passagers. Il est impossible, ma chère, de haïr ceux qu’on voit en danger de mort, ou dans l’affliction. Je ne me sens point capable de résister à la bonté, ni au sincère aveu d’une faute commise. Aussi long-temps qu’il l’a pu, il a pris grand soin de me faire cacher sa maladie. Si tendre ! Si attentif dans la violence de sa douleur ! Je voudrais ne l’avoir pas vu dans cet état. Ce spectacle a fait sur moi trop d’impression ; alarmée encore, comme je l’ai été, par les craintes de tout le monde. Le pauvre jeune homme ! être surpris tout d’un coup dans une santé si florissante ! Il est sorti dans une chaise à porteurs. Je l’en ai pressé. Mais je crains de lui avoir donné un mauvais conseil ; car le repos est ce qu’il y a de mieux dans les maladies de cette nature. On n’est que trop prompte, dans les cas d’importance, à donner son avis sans certitude et sans lumières. Je lui ai proposé, à la vérité, de faire appeler un médecin : mais il ne veut pas en entendre parler. Je respecte beaucoup la faculté ; et d’autant plus, que ceux qui la traitent avec mépris n’ont pas plus d’égard, comme je l’ai toujours observé, pour des institutions d’un ordre encore plus respectable. Je vous avoue que mon esprit n’est pas tranquille. Je crains de m’être trop exposée devant lui et devant les femmes de la maison. Elles pourront me trouver excusable, parce qu’elles nous croient mariés. Mais, s’il manque de générosité, j’aurai peut-être sujet de regretter une surprise qui m’apprend à me connaître mieux que je ne me suis connue jusqu’à présent ; sur-tout lorsque j’ai raison de croire qu’il ne s’est pas assez bien conduit avec moi. Cependant je vous dirai, comme je le crois sincèrement, que, s’il me donne occasion de reprendre l’air de réserve et de le tenir éloigné, j’espère que je trouverai assez de force dans la connaissance que j’ai de ses défauts, pour me rendre supérieure à mes passions ; car M Lovelace, ma chère, n’est pas un homme estimable dans toutes les parties de son caractère. Que pouvons-nous faire de plus, que nous gouverner par les rayons de lumière qui nous luisent par intervalles ? Vous ne vous étonnerez pas que je paroisse grave sur cette découverte . Quel nom je lui donne ! Mais quel nom puis-je lui donner ? Je n’ai pas le cœur assez à l’aise pour approfondir ce cœur comme je le devrois. Dans le mécontentement que j’ai de moi-même, je n’ai pas la hardiesse de jeter les yeux sur ce que je viens d’écrire. Cependant je ne sais pas comment j’aurais pu faire pour écrire autrement. Jamais je ne me suis trouvée dans une situation d’esprit si bizarre. Je serais embarrassée à vous la décrire. Auriez-vous jamais été de même ; c’est-à-dire, redoutant la censure de mon amie, sans croire néanmoins que je la mérite ? Je ne suis sûre que d’une chose, c’est que je la mériterais effectivement, si mon cœur avait quelque secret que je voulusse vous déguiser. Mais je n’ajouterai pas un seul mot, après vous avoir assurée que je veux faire un examen plus rigoureux de moi-même, et que je suis, etc.
Cl Harlove.