Histoire de l'expédition chrestienne/Livre I/chapitre VII
LE Royaume de la Chine s’est donné un surnom ancien de la Civilité, & mœurs plus courtoises ; voire-mesme la civilité est tenue pour l’une des cinq vertus cardinales, qui parmy eux sont estimées servir de soustien aux autres, desquelles ilz recommandent amplement les devoirs en leurs livres. Ilz disent que le devoir de cete vertu consiste en la veneration mutuelle, & prudente consideration au maniment des affaires. Or ilz sont si abondans en ces ceremonies de Civilité, qu’ilz consument quasi tout le temps en icelles, & ceux qui sont un peu plus sages, sont marris de ne pouvoir se depetrer de cete apparence extérieure & fardée, par laquelle ilz surpassent aussi de beaucoup ceux d’Europe.
Je diray donc premièrement comme ilz ont accoustumé de s’entresaluer, & rendre les demonstrations d’honneur ; en apres je parleray des autres cérémonies de courtoisie, principalement lors qu’ilz sont differens des nostres. Il ne sert de rien entre les Chinois pour la Civilité ou honneur de descouvrir la teste, ny ne pensent faire honneur à aucun par le mouvement du pied, encor moins par l’embrassement, baisement de main, ou autre semblable compliment. La principale ceremonie de civilité se fait ainsi entr’eux. Ilz joignent les deux mains assemblées dans les manches de la robe de dessus, qu’ilz portent treslarges (ce que les Chinois font, si ce n’est qu’ilz manient quelque ouvrage, ou avec l’esventail s’excitent du vent) & les eslevent premierement modestement ensemble avec les manches en haut, puis les abaissent l’un s’arrestant vis à vis de l’autre, & reiterant ceste syllabe Zin, zin : lequel mot ne signifie rien, si ce n’est le Compliment de civilité ; & se pourroit à nostre façon appeller interjection de civilité. Quand l’un est officieusement visité de l’autre, & aussi quand souvent par les rues les amis se rencontrent, joignans comme dessus les deux mains dans les manches, courbans tout le corps, ilz abaissent autant qu’ilz peuvent la teste en terre, lequel compliment d’honneur se rend de tous les deux, & souvent de plusieurs ensemble. Ilz appellent cete cérémonie Zo ye. En se rendant ce devoir, l’inferieur en dignité met tousjours le superieur à droicte, ou le visité celui qui le visite (mais aux provinces Septentrionales le costé gauche est au lieu du droict) souvent aussi ce compliment estant achevé, ilz se levent debout changeans de place, & passent du costé gauche à droicte, & réciproquement du droict au gauche. Ce qui se fait à fin que celui qui a esté receu au lieu plus honorable rende l’honneur à l’autre. Quand ce devoir de courtoisie est rendu par les rues, tous deux se tournent coste à coste l’un de l’autre vers le Septentrion : mais en la maison vers le haut de la sale à l’opposite de la porte, & alors aussi ilz regardent vers le ciel en mesme endroict. Car c’est une ancienne coustume entr’eux, que les Palais, temples des Idoles, & autres édifices bien ordonnez, ou au moins les sales des maisons particulieres deputées pour recevoir les hostes, ayent la porte vers le Midy ; & que ceux qui sont assis à l’opposite de la porte, se tournent vers le Midy ; d’où provient, que parce que ces ceremonies sont faites à l’entrée de la porte de la première sale, ayant la face tournée vers le haut de la sale, ilz regardent le Septentrion.
Si quelquefois ilz veulent rendre des plus grans complimens d’honneur, ou parce que c’est la premiere fois qu’ilz se saluent, ou pour avoir esté long temps absens, ou si quel qu’un félicite un autre de quelque chose, ou le remercie, soit aussi quand il arrive quelque jour plus solemnel, ou pour quelque autre occasion que ce soit, alors apres avoir fait cete submission susdide, l’un & l’autre se jette à genoux & abaisse le front jusqu’à terre ; apres s’estant levez debout, ilz s’enclinent derechef & plient le genouil comme dessus, & ce trois ou quatre fois. Mais si cete ceremonie est rendue à quelque superieur, pere, maistre, ou à quelque autre personnage principal, icelui estant debout au haut de la sale, ou assis, reçoit l’honneur, & joignant les mains comme dessus s’encline quelque peu au lieu mesme ou il est droict, ou assis, à chasque fleschissement de genouil d’un autre. Et souvent celui qui reçoit l’honneur avec plus de modestie, se tient, non au haut de la sale vers le Septentrion, mais à costé vers le Midy. Ilz adorent leurs Idoles devant l’autel avec mesme ceremonie, soit aux temples, soit en la maison. Mais quand les serviteurs saluent leurs maistres, ou le vulgaire les plus honnorables, de premier abord ilz se jettent à genoux, & frappent legerement la terre trois fois avec le front ; laquelle mesme ceremonie ilz rendent souvent à leurs idoles. Mais si le maistre parle avec eux ; ilz se tiennent à son costé, & à chasque response se jettent à genoux. Les autres aussi du commun font le mesme, quand ilz parlent avec les grans.
Outre ces ceremonies que j’ay dictes, ne sont pas beaucoup differentes des nostres, ilz en observent d’autres en parlant, ou escrivant, esquelles ilz ne sont pas peu differens d’avec nous, & de la s’accroist aussi la difficulté non petite de ce langage : car quand l’un parle à l’autre, ilz n’usent jamais de la seconde personne, mais soit qu’ilz parlent au present, ou de l’absent, ilz usent de diverses manières de parler. Quand ilz parlent d’eux mesmes, il n’est aucunement permis d’user du pronom de la premiere personne (comme de dire moi) si ce n’est d’adventure au maistre, quand il parle à son valet, ou à quelque autre superieur devisant avec un moindre. Or ilz ont autant de façons de parler pour s’abaisser soi-mesme, comme pour eslever un autre : entre lesquelles quasi la plus modeste est de s’appeller de leur nom propre, au lieu que nous avons accoustumé nous servir du pronom moi. Et si d’adventure on vient à parler des parens, freres, enfans, du corps aussi, membres, maison, pays, lettres, & mesme des maladies d’autruy, ilz usent de quelque nom plus honorable ; au contraire, s’ilz parlent des mesmes choses à eux appartenantes, ilz emploient les paroles qui ressentent leur modestie. Lesquelles façons de parler il est necessaire de se rendre familieres. non seulement de peur que vous ne soyez estime incivil & rustique, mais aussi à fin que vous entendiez ce dequoy on discourt ou escrit.
Quand les parens & amis par devoir d’amitié s’entrevisitent, ilz obligent les visitez de rendre le mesme compliment de visite. Or en ces visites on observe quasi cet ordre. Celuy qui visite à l’entrée offre un livret, auquel on ne lit autre chose que le nom du visitant, avec des Epithetes modestes, selon la qualité du visitant, ou visité ; le portier porte ce libelle à son maistre, mais si plusieurs sont visitez d’un seul, ou un seul de plusieurs, il y a tousjours des livretz selon le nombre des visitans, ou visitez, lesquelz la plus part sont de douze fueilletz de papier blanc, & longs d’une paulme, & demie. Au milieu de la première page on attache un morceau de papier rouge de la longueur du livret, & large de deux doigtz, & le plus souvent ce livre avec son papier rouge y adjousté au dehors, est enfermé en un sac de papier. Ilz en ont de tant de sortes, qu’il faut qu’ilz ayent en la maison presque vingt boittes prepareez à tous usages, avec divers tiltres ; tant ilz s’en servent continuellement. Voire mesme nous sommes contraintz de commander au portier qu’il fasse un memorial des noms des hostes, & des maisons de ceux qui sont venus pour nous visiter ; craignant que devant le troisiesme jour nous n’oublions le devoir de la visite mutuelle : & faut necessairement que ceux qui sont souvent visitez observent cete coustume. Or de mesme que si ceux qui sont visitez sont absens de la maison, ou qu’ilz ne puissent sortir pour recevoir leurs hostes, ceux qui visitent mettent leur libelle à la porte de la maison, comme tesmoin du devoir de visite qu’ilz ont fait ; ainsi il suffit à ceux qui le rendent de mettre aussi à la porte un mesme livret, car ainsi ilz croient estre satisfaictz. Tant plus celui qui visite est honorable, il fait escrire son nom par le libraire en tant plus grand charactere, & arrive quelquesfois, qu’il est plus large qu’un doigt, & remplit avec dix lettres toute une ligne de haut en bas. Car, comme j’ay dict, les Chinois posent ainsi leurs lettres.
Quand ilz s’entre-envoient des presens, ce qu’ilz font fort souvent, ou aussi en portent eux mesmes, qui sont recompensez d’autres de non moindre prix, ilz se servent aussi du mesme escrit. auquel, outre le nom propre comme dessus, ilz escrivent aussi la liste des presens qu’ilz envoient, les descrivant nettement & par ordre, chascun en chasque article. Les presens qu’on envoie peuvent sans aucune tache d’incivilité estre partie refusez, partie renvoiez sans offense de celuy qui les offre : ce que quand il se fait, on fait les remerciemens avec un semblable, livret, ou on renvoie modestement les presens, ou on escrit ceux qu’on a acceptez ou non, marquant la liste de ceux qu’on rend en eschange, & ce non sans divers complimens de ceremonie, qu’il seroit long de raconter. Cela aussi nous est fascheux & importun, que les Chinois ont accoustumé faire des petitz presens d’argent. Car les superieurs envoient souvent aux inférieurs, & les inférieurs aux superieurs dix escus, autresfois cinq, quelquesfois aussi moins. Ceux qui sont de quelque Magistrat, ou anoblis par les degrez honorables des lettres, toutes les fois qu’ilz rendent ces devoirs de visite, se revestent de l’habit particulier de leur office, qui n’est pas peu different de l’ordinaire. Ceux qui manquent de ces tiltres, & neantmoins sont personnes de qualité, ont aussi leur habit convenable aux visites, & iceluy different de l’ordinaire ; & ne se peut pas faire autrement sans offense de l’un ou de l’autre. Pour cete cause nous mesmes, à fin que nous ne soyons rejettez de la conference des hommes principaux, nous vestons quand il est necessaire de mesme façon ; si d’adventure l’un rencontre l’autre, qui ne soit vestu de cet habit de civilité, ilz ne se saluent nullement avec les ceremonies accoustumeez, jusqu’à ce que l’autre robe de soit revestu du mesme habit. Et ainsi toutes les fois qu’ilz sortent en public, leurs serviteurs portent leur robe de civilité : que si cela ne se peut faire, alors celuy qui avoit vestu cet habit de visite, s’en despouille, & ilz font les complimens de salutations que nous avons dit cy dessus en habit ordinaire.
S’ilz font plusieurs visitez en leur maison, le principal d’entre eux, prend avec les deux mains le siege de l’hoste, ou de chacun d’iceux, & les met en leur lieu, à l’endroit plus honorable de la sale ; apres il les secouë de ses propres mains, encor qu’il n’y ait pas la moindre poussiere. Et si les chaizes sont desja poseez en leur lieu, c’est toutefois la coustume de les toucher chacune avec les deux mains, & comme les poser plus proprement ; puis chacun de ceux qui sont visitez font le mesme, & tout de mesme façon. En apres le plus honorable d’entre les hostes, s’ilz sont plusieurs, prend de mesme façon le siege de celuy qu’il visite, & le pose à l’opposite de sa chaize, & tout de mesme façon secoue, ou fait semblant de secouer la poussiere. Tous les autres apres, s’ilz sont plusieurs, font le mesme par ordre de l’aage, ou dignité. Cependant que cela se fait, celuy à qui on rend ce devoir se tient à costé, & mettant les mains dans les manches & les levant, puis abaissant un peu rend graces, & refuse modestement l’honneur qu’on luy fait.
Les hostes consument beaucoup de temps pour le haut bout ou principal siege d’honneur, en fin on s’arreste à ces loix. Entre ceux qui sont com-bourgeois on a esgard à l’aage. En l’une & l’autre cour la dignité va devant. Les estrangers principalement, qui viennent des lieux plus esloignez, tiennent le premier rang. D’où provient que quasi en toute assemblée pour cete raison on cede le haut bout aux nostres. Et ne nous sert de rien de contester, ou debatre, ou refuser modestement contre la coustume receue.
Apres que tous sont assis, soudain un des serviteurs domestiques, & le plus leste, vestu d’une sotane, tenant une belle table ez mains, sur laquelle y a autant d escuelles, que d’hostes, & en icelles est la potion Cia ; de laquelle avons parlé cy dessus, en presente aux hostes, y meslant tousjours un morceau de dessert, pour lequel prendre on adjouste une petite cuilliere d’argent. Le serviteur commençant au plus honorable, presente à chascun son escuelle, jusqu’au maistre que les autres visitent ; car iceluy s’assied tousjours au plus bas lieu. S’ilz sont long temps assis ensemble, le serviteur revient de mesme façon pour la seconde & troisiesme fois, ou plus ; mais ce morceau de dessert est changé toutes les fois qu’on recommence à boire.
Les hostes ayant achevé leur devis, devant que sortir de la sale, reiterent selon leur coustume (comme au commencement) les reverences pres de la porte. Alors le maistre les suit jusqu’à la porte de la maison, où encor ilz s’enclinent ; alors le maistre prie les hostes qu’il leur plaise monter ou à cheval, ou en lictiere, comme ilz sont venus ce qu’ilz refusent de faire, & prient le maistre de la maison de vouloir r’entrer ; alors icelui retournant à l’entrée, fait encor la reverence. Et les hostes luy rendent les mesmes complimens & honneurs. Finalement estan rentré dans la porte il s’encline pour la troisiesme fois, & les hostes luy font le semblable avec mesme cérémonie, alors le maistre se desrobant de la veue des hostes à l’entrée de la maison, il leur donne le loisir de monter à cheval, ou entrer en lictiere ; & sortant soudainement les salue en s’en allant, criant Zin, & eslevant & abaissant ses deux mains dans sa robe. Ce que font semblablement de poinct en poinct les hostes, & puis s’en vont. Finalement le maistre de la maison envoie un de ses serviteurs pour suivre & atteindre ceux qui s’en vont, & les saluer en son nom ; de mesme font les hostes, & le resaluent par leurs valetz.
Maintenant je traicteray des festins des Chinois, ausquelz ilz sont non moins officieux que frequentz, & quelques uns aussi journaliers. Car ilz traictent quasi tous leurs affaires en banquetant, non seulement ceux qui touchent à l’estat de la vie humaine, mais encor ceux qui regardent la religion ; & ilz mettent les banquetz entre les principaux tesmoignages de la bien-vueillance, lesquels parmi eux ne s’appellent pas banquetz, mais à la façon des Grecz à bon droict beuvettes. Car encor que leurs gobeletz, ou tasses ne contiennent pas plus de vin que la coque d’une noix, neantmoins ilz réitèrent fort souvent leurs traitz.
En mangeant ilz ne se servent ni de fourchettes, ni de cueilleres, ni de cousteaux ; mais ilz usent de bastons menus longz de paulme & demie, avec lesquelz ilz portent toute sorte de viandes à la bouche, avec une adresse admirable, ne touchant du tout rien avec les doigtz. On doit neantmoins sçavoir qu’on porte tout à table detrenché par morceaux, si ce n’est quelque chose de mol, comme œufs, poissons, & autres semblables, car tout cela est coupé avec les bastons. Ilz usent de boisson chaude : mesme aux plus grandes chaleurs, soit vin, soit la decoction Cia, soit eau. Et certes il semble que cela n’est pas peu proufitable à l’estomach. Car les Chinois aussi sont la plus part de plus longue vie & ont les forces vigoureuses jusqu’à l’aage de septante, & souvent de quatre vingtz ans. Je croy aussi que d’icy arrive qu’aucun des Chinois n’a la pierre ou gravelle, maladie qui tourmente souvent ceux de nostre Europe, & pour ce (crois-je) qu’ilz boivent tousjours froid.
Quand quelqu’un est convié en quelque banquet solemnel, un jour ou plusieurs devant le festin, celuy qui invite l’autre, envoie un livret de ceux dont a esté parlé dans lequel outre le nom de l’invitant y escrit comme dessus, celui qui convie dit en peu de motz à la maniere accoustumée, elegamment & courtoisement, qu’il a appresté un petit festin d’herbes potageres, & lavé ses gobeletz à fin qu’à tel jour & heure, qui est quasi environ la nuict, il entende la doctrine de celuy qu’il convie, & apprenne quelque chose de lui ; & en apres prie qu’il ne desdaigne pas de luy faire cete faveur. Au dehors de ce libelle ilz adjoustent du long un papier rouge (comme dessus) & en iceluy le nom plus honorable de l’invité (car les Chinois sont chacun appeliez de plusieurs noms, comme je diray plus bas) avec des tiltres divers, selon la qualité de celuy qui est appellé. C’est-là la coustume de convier un chacun. Le jour mesme du festin ilz envoient à chacun un semblable livret, mais en iceluy ilz font seulement priez de se haster, & de ne desdaigner pas de venir au temps prefix ; finalement à l’heure du banquet ilz envoyent le troisiesme, qu’ilz disent envoyer à fin qu’il reçoive ceux qui viennent au chemin.
Quand on est arrivé en la maison du festin, apres avoir achevé les salutations communes comme dessus, ilz s’assoient en la sale, & boivent de leur Cia. De là on va au lieu du convive. On a accoustumé de l’orner splendidement, non avec des tapisseries, dont ilz n’ont aucun usage, mais de peintures, fleurs, vases, & semblables anciens meubles. On donne à chacun sa table longue & large de quelques coudées, mais communément plus longue. Quelquefois aussi on dresse à un seule deuz tables l’une devant l’autre. Ces tables sont ornées de quelque precieux linge pendant de tout costé quasi comme noz autelz, & les chaizes aussi non seulement reluisent de ce leur betume transparent, mais sont embellies de diverses peintures & d’or.
Devant que s’asseoir à table pour manger, le conviant tient avec les deux mains sur son assiete une tasse travaillée d’or, d’argent, de marbre (dont cy dessus est faict mention) ou d’autre semblable matiere pleine de vin, & avec une profonde reverence saluë celui qui doit tenir le premier rang. Apres il sort de la sale en la Cour, & s’estant premièrement courbé avec reverence ; versant ceste tasse en terre, ayant la face tournée vers le midy, il l’offre au Dieu du Ciel, & s’estant derechef encliné il revient en la sale, & prenant une autre tasse resaluë le mesme principal du banquet avec une seule reverence, au lieu où ont accoustumé se faire ces ceremonies ; & alors ilz s’approchent ensemble de la table du milieu de la sale, en laquelle se doit asseoir ce mesme chef du festin. Du costé que la table est plus longue (car celui là est tenu le plus honorable, & non le bout de la table entre les Chinois) il pose avec les deux mains, faisant la reverence, une tasse sur l’assiette, puis prend des petits bastons de table de la main du serviteur, & les met à costé de la tasse. Ces bastons sont la pluspart d’yvoire, ou de quelque matiere plus dure, qui ne se sallit pas aisément : & du costé qu’on en touche les viandes sont coustumiers d’estre gravez d’or, ou d’argent. Apres il prend un siége, & le pose au milieu de la sale, le baliant comme dessus légèrement avec les manches. Apres retournez au milieu de la sale ilz s’enclinent derechef tous ensemble : le conviant honnore apres avec mesmes ceremonies tous ses hostes. C’est la coustume de mettre celui qui tient le second lieu au costé gauche, le troisiesme au droict. En fin celui qui doit tenir le premier rang prend la tasse du conviant des mains d’un serviteur domestique avec son assiette, & commande qu’on verse du vin, & ensemble faict la reverence selon leur coustume, avec le conviant, & tous les autres conviez & pose la tasse sur sa table sur son assiette. Or la table du conviant est tellement dressée au lieu plus bas de la sale, qu’estant assis il a le Midy, & la porte derrière le dos, & devant la principale table, en apres il disposé les bastons, & le siege, avec la mesme ceremonie que le conviant les a presentez. En fin chacun s’approche comme pour poser derechef plus proprement avec les deux mains la tasse, les bastons, & le siege, & pendant que tout cela se fait, celui à qui ces complimens d’honneur sont rendus, se tient à costé de celui qui les rend, & tenant les mains, & les frappant legerement dans les manches, proteste qu’il ne mérite pas cet honneur, & se courbant modestement rend grâces.
D’autant que les Chinois ne touchent aucune viande avec les mains, pource ne lavent ilz pas les mains, ni au commencement, ny à la fin du festin. Toutes ces ceremonies estant achevées, ilz font tous ensemble la dernière reverence à celui qui les convie, & les hostes une autre entre eux, puis chacun s’assied à table en sa place. Toutes les fois qu’on boit, le conviant prend la tasse à deux mains sur son assiette, & la levant doucement, & soudain abaissant, il invite les autres à boire en mesme temps estant tous tournez vers celui qui les convie, ilz font le mesme, & commencent tous ensemble de boire. Ce qu’ilz font si lentement en humant, que pour vuider leur tasse ilz la portent souvent quatre & cinq fois à la bouche. Ilz gardent tousjours celle façon de boire, sçavoir en humant, encor qu’ilz boivent de l’eau, & ne boivent jamais rien tout d’un trait comme nous.
La première tasse estant vuidée, on apporte peu à peu les viandes, desquelles ilz prennent tous (le conviant selon leur coustume commençant le premier en prenant les bastons des deux mains, & les eslevant & abaissant) & toutes les fois qu’ilz en touchent une, ilz en prennent deux ou trois morceaux, & les portent à la bouche. En quoy ilz observent ceci soigneusement, sçavoir que personne ne remette les bastons sur la table, que celui qui tient le premier lieu au festin, n’ait faict le mesme. Ce qu’ayant faict, soudain les serviteurs versent du vin chaud dans chasque tasse des conviez, commençant au principal, & apres avec mesme ceremonie on mange & boit, une, deux, & plusieurs fois : mais ilz consument plus de temps à boire, qu’à manger. Or durant tous le repas ilz devisent fort de choses joyeuses, ou regardent une comédie, ou l’on entend quelque chantre ou joueur d’instrument de musique : car iceux aussi souvent, encor que non appellez, s’ingerent parmi les festins, pour l’espoir de la recompense qu’on leur donne, quand ilz sont appellez.
Ilz mangent de tout ce qu’on a accoustumé de servir à table parmi nous, & n’apprestent pas mal leurs viandes ; mais on porte peu de chasque metz. Ilz establissent la magnificence du convive en la variété. Car ilz remplissent la table de plats mediocres, & d’autres plus petitz, & ne separent pas les chairs d’avec les poissons, comme nous ; mais ils les meslent sans esgard, & n’ostent jamais aucun metz qui a esté une fois servi. Parquoy seulement ilz ne replissent pas les tables, ains mettent plats sur plats, de sorte qu’ilz semblent des chasteaux. On ne sert point de pain sur les tables des festins, ny de riz (qui entre les Chinois tient lieu de pain ), si ce n’est d’aventure en quelques festins moins somptueux, sur la fin de table. Et si on sert du riz, on ne boit pas de vin devant ; car les Chinois, mesmes en leurs repas ordinaires, ne boivent jamais de vin devant qu’avoir mangé du riz. Ilz admettent aussi divers jeux en leurs convives, ausquelz celui qui a perdu est contraint de boire avec grand applaudissement & cris de resjouyssance avec les autres.
A la fin du banquet ilz changent de tasses, qui encor qu’elles soient esgales, personne n’est neantmoins jamais contraint de boire outre ses forces ; ains seulement est amiablement convié. Le vin de la Chine se cuit quasi comme nostre biere, & n’est pas fort fumeux ; il enyvre toutefois les plus vaillans biberons. Mais le lendemain on le porte plus aisement. Au manger ilz sont du tout plus retenus ; & arrive souvent que celui qui doit sortir de la ville se trouvera en sept ou huict festins, pour contenter tous ses amis. Mais ceux-cy ne sont pas des plus magnifiques. Car ceux-là employent toute la nuict, & s’allongent jusques au lendemain matin ; en apres les restes des viandes & mets sont amiablement distribuez entre les serviteurs des hostes.
Quant au reste des ceremonies, celles-la me semblent estre les principales qui regardent l’honneur deu au Roy. Le Roy est honnoré & reveré avec plus de devoirs exterieurs, qu’aucun autre Prince de tout le monde, soit prophane, soit sacré. Personne ne parle à cestui-ci hormis les Eunuques qui servent au Donjon du palais, & les parens du Roy qui demeurent dans l’encloz du mesme palais ; telz que sont les filz & filles. Or laissans à part toute ceremonie & devoir rendu au Roy par les Eunuques, comme moins necessaire à nostre dessein, tous les Mandarins entièrement qui demeurent hors du palais (car les Eunuques ont aussi chacun leur ordre, & degrez d’offices) ne parlent au Roy que par requestes escrites. Mais ces requestes sont de tant de sortes & differentes façons, qu’elles ne se peuvent composer que par ceux qui y sont experimentez, si bien que chasque homme lettré ne les sçauroit disposer.
A chasque nouvel an qui commence à la nouvelle Lune qui precede ou suit prochainement le cinquiesme de Fevrier, duquel les Chinois content le commencement du Printemps, on envoye de chasque Province un Ambassadeur pour visiter officieusement le Roy, ce qui est rendu plus solennellement tous les trois ans, en forme d’offre de subjection, comme j’ay recité cy-dessus. Or en toutes les villes le premier jour de chasque Lune, tous les Magistratz se rendent ensemble chascun en sa ville en un mesme lieu, auquel est le throsne du Roy, & les armoiries Royales, des dragons gravez, & dorez, avec autres graveures appartenantes à l’ornement ; ilz s’enclinent souvent & plient les genoux devant icelui, selon la coustume de ce peuple, & avec un certain geste & composition de corps convenable à la modestie & veneration, & à mesme temps tous souhaittent à haute voix au Roy dix mil ans de vie. Le mesme honneur est partout rendu au Roy tous les ans le jour de sa naissance, auquel jour les Magistratz de Pequin, & autres Ambassadeurs des Provinces, & aussi les parens du Roy, qualifiez & ornez de divers tiltres d’honneur hors de la Cour, viennent là, pour feliciter le Roy de sa longue vie, & tesmoigner avec des presens magnifiques le contentement qu’ilz ont de la bonne continuation d’icelle.
Outre ceux-cy, tout autant que le Roy nomme de Magistratz, ou pourvoit de quelque autre office, sont obligez par les loix (ce qui se faict devant l’aube du jour) d’aller devant son throsne rendre action de grâces. Et là estans advertis, & devancez par les maistres des ceremonies, ilz rendent exactement les devoirs d’Honneur au throsne Royal (car le Roy pour lors ne comparoist pas) & personne n’y commet aucune faut impunément. Ce que quand ilz font, ilz sont revestus d’un habit particulier de drap de pourpre damassé, & ont leurs testes orneez de tyares d’argent doré, & en chasque main tiennent une table d’yvoire large de quatre doigts, & longue de deux palmes touchans la bouche avec icelle toutes les fois qu’ilz disent quelque chose au Roy.
Or anciennement quand le Roy venoit en son throsne il paroissait en un lieu eslevé à une grande fenestre ; & tenoit aussi en main une table d’yvoire pour couvrir sa face, & une autre sur sa teste, large de demie couldée laquelle estoit posée sur le diademe Royal & le front, à laquelle plusieurs pierres de grand prix estoient tellement enfileez & pendantes, qu’elles couvroient tout le front, & le visage, & le desroboient, bien que present, à la veuë des regardans. Le jaune est la couleur du Roy, & est defendue à tous autres. Ses habits sont tissus de divers dragons de fil d’or, & ces dragons se voient non seulement sur l’habit du Roy, mais encor gravez ou depeincts par tout le palais, & sur les vazes d’or & d’ argent, & autres meubles ; voire mesme les toictz & les tuilles sont de couleur jaune & remplis de dragons. Ce qui peut estre a donné occasion à quelques-uns d’asseurer que les tuilles du palais Royal estoyent d’or ou de cuivre. Mais en verité elles sont de terre, ce que je puis asseurer les ayant toucheez de mes propres mains ; mais elles sont teintes de couleur jaune, & chacune presque attachée avec un clou aux poultres & soliveaux sur le toict ; car elles sont beaucoup plus grandes que les nostres ; la teste desquelz cloux est dorée, à fin que rien ne paroisse au palais Royal qui ne porte la couleur du Roy. Si quel qu’un rapportoit à son usage ceste couleur. ou dragons, il seroit tenu coulpable de leze Majesté, si n’est que d’adventure il fust du sang Royal.
Il y a quatre portes au palais Royal à chasque partie du monde, vis à vis l’un de l’autre. Tous ceux qui faisans chemin passent outre ces portes, descendent de cheval s’il vont à cheval, ou de la selle s’ilz sont portez en icelle, & marchent à pied jusqu’à ce qu’ilz les aient passéez. Tous font cela ; mais les plus grandz plus soigneusement & de plus loing ; & non seulement à Pequin, mais encor plus religieusement à Nanquin au palais des anciens Roys, encor que depuis plusieurs anneez aucun des Roys ne se soit retiré en icelui. Les portes du Midy, soir dedans, soit dehors sont trois. Le Roy a accoustumé entrer ou sortir par celle du milieu, les autres sont receus à droicte & à gauche : par quoi cete porte du milieu n’est jamais ouverte que pour l’entrée ou sortie du Roy.
Les Chinois n’ont aucune autre datte ou marque de temps, soit en leurs livres imprimez, soit en tout instrumenr public, quel qu’il soit, si ce n’est celle de la creation & advenement à la couronne de celuy qui regne, comme nous avons accoustumé de faire de la nativité de nostre Seigneur Jesus-Christ, premiere année de nostre Salut. Quelquefois pour certaines causes le Roy a accoustumé de conferer un tiltre aux parens des premiers Magistratz, par quelque escrit fait par les Philosophes Royaux au nom du Roy. Les Chinois estiment tant cela, que c’est chose merveilleuse. Car pour l’obtenir, ilz n’espargnent aucune despence, & la conservent en la famille comme une chose d’honneur sacrée. Et il y a encor quelques autres tiltres exprimez en deux ou trois characteres, que le Roy donner aux vefves qui ont refusé jusqu’à la veillesse les secondes nopces, ou aux vieillardz qui ont vescu cent ans entiers, ou en autre semblable cas, desquelz on ne fait pas moins d’estime que des premiers. Ilz mettent ces inscriptions en veue sur l’entrée de leur maison : & non seulement les Roys confèrent cest honneur, mais encor est-ce la coustume que les Mandarins en donnent à leurs amis. On erige aussi aux Magistratz, qui ont bien mérité de la republique, des arcz de marbre aux despens du public, telz que nous avons accoustumé aux triomphes. Les villes font le mesme à leur citoien qui aura obtenu quelque dignité de marque, ou le premier lieu à l’examen des lettrez, ou en semblables evenemens, & ce avec grand appareil.
Tour ce qui est de précieux ou bien faict par tout le Royaume, tous les ans en grande quantité & avec grandz despens est envoyé au Roy à Pequin. Les Magistratz aussi, qui demeurent en la ville Royale, marchent en public avec moindre parade. Car excepté les principaux, il n’est pas permis aux autres d’estre portez dans une chaize à bras, ains vont à cheval ; & ceux ausquelz par les loix est permis user de la chaize, ne peuvent avoir que quatre porteurs : hors de la cour il est permis aux ordres des moiens Magistratz de marcher avec plus grande pompe. Les Chinois rapportent ceste modestie à la reverence qu’on doit au Roy, & croient que ceux qui en sont plus pres, la doivent rendre encore plus grande. Tous les Mandarins de cour s’assemblent tous les ans quatre fois, aux quatre saisons de l’année, aux sepulchres des anciens Rois & Roines, & y font leurs ceremonies & presens. Mais le premier & principal honneur est rendu à Humvu Recuperateur du Royaume. Ilz se préparent à ces ceremonies quelques jours auparavant, publians cessation d’œuvres, & des jeusnes qu’ilz observent religieusement dans l’enclos de leur maison.
Apres le Roy, ilz deferent les secondz devoirs d’honneur à leurs Magistratz. Ilz font principalement demonstration de cela par leurs façons coustumieres de parler, & par visites officieuses, ausquelles ne sont pas receuz, ny aspirent autres que ceux qui ont, ou autrefois ont eu quelque charge en la Republique. Car ceux-là estans de retour en leurs pays, bien qu’ilz soient decheuz par leur propre faute, se rendent neantmoins quelquefois remarquables par la reverence de leur Magistrature. Et les Magistratz des villes les honorent, & leur rendent les complimentz de visite, & pour le respect de leur presence accordent beaucoup de choses principalement à ceux qui ont receu les premier honneurs aux degrez des lettres, & offices publicz.
Si quelques Mandarins s’estans bien acquittez de leur charge, & ayans bien mérité du public sont eslevez à un autre office, ou pour quelque autre cause s’en vont de la ville, ilz sont publiquement honorez de grans presens, & sont priez pour mémoire éternelle de leurs bien faictz laisser leurs brodequins, marque du Magistrat. Ce qu’ilz font, & se gardent enfermez en un coffre public avec diverses inscriptions & vers à sa louange. Aux autres qui sont plus qualifiez ils eslevent un marbre en quelque lieu public, ou leurs bien faicts envers la Republique gravez par quelque escrit elegant se conservent pour servir de mémoire à la posterité. Et y en a aussi ausquelz on érige publiquement des temples aucc grande despense : & sur les autels sont mises des statues approchantes de leur naturel, autant que l’industrie de l’artisan le peut porter. Apres aussi est ordonné une rente annuelle, & certains hommes establis pour les parfumer continuellement, & leur allumer des lampes tousjours ardantes. Pour cet effect on ordonne des grans encensoirs de fonte, de mesme façon que ceux avec lesquelz ilz adorent leurs idoles. Mais toutefois ilz scavent separer ce cult de l’adoration de la Deité ; car ilz demandent beaucoup de choses aux Dieux : mais les doctes offrent seulement à ceux-cy des cérémonies de courtoisie pour memoire de leurs bien-faicts. Il n’y a toutefois pas de doute que plusieurs du vulgaire meslent l’un & l’autre cult. On va à certain temps à ces temples, desquels toutes les villes son pleines, & qui aussi par le soin des amis sont souvent érigez aux indignes, on leur fleschit les genoux & fait la reverence, on leur offre des viandes, & fait-on quelques autres semblables choses.
Tous les livres des Chinois qui traident des mœurs sont pleins de preceptes pour exciter les enfans à l’obeissance & honneur deu aux parens, & aux superieurs. Et à la verité si nous considerons ceste apparence exterieure de pieté, il n’y a aucune autre nation en tout le monde accomparable aux Chinois. Ce que je prouveray par quelques indices. Ilz observent une coustume solemnelle de rendre honneur aux plus anciens s’assoians pres d’eux de sorte qu’ils ne demeurent jamais en mesme rang, & encor moins devant, mais se tiennent d’un ou d’autre costé ; laquelle ceremonie les disciples aussi observent avec leurs maistres. Ils parlent aussi à eux avec grande reverence & respect. Ilz nourrissent ceux qui sont pauvres jusqu’à la mort, mesme de leur propre sueur & travail, autant qu’ilz peuvent largement & abondamment. Mais ilz ne sont en rien plus religieux que quand ilz font leurs funérailles, tant en vestant l’habit de dueil (en quoy aussi ilz sont différents de toutes autres nations) qu’en la facture du tombeau & cercueil de quelque matière plus precieuse, selon leurs moiens & richesses. Ils passent souvent leurs forces en appareil de la sepulture, que plustost on jugeroit estre pompe que dueil.
L’habit de dueil des Chinois n’est pas noir ou obscur. mais blanc. Au dueil des parens les enfans sont vestus d’un habit de chanvre fort rude, au moins les premiers mois ; & la façon de leur sotane longue, bonnet & souliers est assez mal-seante, & au premier aspect miserable ; ilz ceignent aussi les reins d’une corde ressemblante celles des navires, quasi de mesme qu’ont accoustumé les peres de l’ordre de Sainct François. C’est une coustume inviolable que le dueil du pere ou de la mere dure trois ans. Ilz rendent en leur livre la cause de ceci, sçavoir pour rendre la pareille à leurs parens qui l’espace des trois premiers ans de leur aage les ont portez sur leurs bras, & eslevez avec tant de peine. Au dueil des autres le temps des pleurs dure moins, selon qu’ilz sont plus proches ou plus esloignez du sang. Car quelquefois il finit en un an ; quelquefois en trois mois.
Le temps aussi ordonné par les loix pour le dueil du Roy ou de la Roine legitime est aussi de trois ans, aussi loing que s’estendent les limites du Royaume. Mais maintenant par grace du Roy, qui est cogneue par edict public, les jours sont comptez pour mois, & ainsi tout le Royaume monstre l’espace d’un mois la tristesse conceue pour la mort du Roy en habit de dueil. Les cérémonies de dueil des Chinois sont contenues en un juste volume ; ainsi quand quelqu’un de quelque famille vient à mourir, ses survivans, à qui touche le dueil, regardent ce livre, à fin que la pompe funèbre se fasse selon les coustumes perscrites. En ce volume non seulement sont descris, mais encor se voient les vestemens, bonnetz, souliers, ceintures de dueil, & toute autre cérémonie qu’on doit observer.
Quand quelque homme qualifié meurt, le filz du defunct & plus proche parent advertit tous les autres parens & amis avec un libelle conceu en la façon triste des paroles accoustumeez, & ce trois ou quatre jours apres la mort, pendant lequel temps ilz font le cercueil & en icelui enferment le corps mort ; apres ilz estendent sur le pavé & tendent quelque la sale de toile blanche, ou de nates, au milieu de laquelle ilz elevent un autel ; sur l’autel ilz posent le cercueil & l’effigie du defunct. En cete sale s’assemblent tous les parens & amis aux jours assignez (qui entre les principaux sont coustumierement cinq ou six) & sont aussi revestus de dueil, l’ un vient apres l’autre à chasque heure du jour, & mettent des parfums, & deux cierges sur l’autel du defunct, lesquelz estans allumez ilz font honneur au defunct avec quatres reverences, & fleschissementz de genouil, dont est amplement parlé cy-dessus. Mais premièrement ilz jettent un peu d’encens dans l’encensoir ardant au devant du cercueil, & de l’image qui est dessus. Cependant que ces cérémonies se font, un filz du defunct, ou plusieurs se tiennent debout à costé en habit blanc de dueil, & pleurant & lamentant, toutefois modestement. Derrière le cercueil crient & se plaignent aussi desmesurement toute la multitude des femmes domestiques revestues de dueil, mais couvertes d’une courtine. C’etaussi chose coustumiere, & mise en usage par les Sacrificateurs des Idoles, de brusler du papier plié en certaine façon, voire aussi des draps de soye blancs. Ce qu’ilz font croyans qu’ilz baillent un habit aux defunctz, pour tesmoignage de bien vueillance, & amitié.
Les filz gardent souvent les corps morts de leur parens trois ou quatre ans en la maison enfermez dans le cercueil : car ilz remplissent & garnissent tellement toutes les fentes avec leur luisant betume, que la mauvaise odeur ne s’en peut aucunement exhaler. Pendant lequel temps ilz leur presentent tous les jours à manger & à boire, comme s’ilz estoient vivans : & les filz pendant ce temps ne s’assoient pas dans leurs chaizes accoustumées, mais sur un escabeau bas couvert de blanc ; ilz ne dorment pas aussi dans leurs lictz, mais sur des paillasses posées sur la terre pres du cercueil du mort. C’est crime de manger de la chair, ou quelque autre viande bien apprestée ; ilz ne boivent pas de vin, ni ne se baignent, & mesme ilz s’abstiennent de la compagnie de leurs femmes, il ne leur est pas permis de se trouver en festins, ni de sortir en public pendant certains mois. Ce que quand ilz font, ilz couvrent aussi leurs selles à bras de draps de dueil, & font beaucoup d’autres choses qu’il seroit trop long de reciter. Ilz retranchent neantmoins tousjours quelque chose de ceste austerité, selon que le terme des trois anneez approche de plus pres.
Le jour que le corps est emporté, les parens & amis conviez par un autre livret s’assemblent derechef tous revestus de blanc en habit de dueil, pour honorer la pompe funèbre. Icelle s’ordonne à la façon d’une procession, plusieurs statues d’hommes, femmes, elephans, tigres et lyons, toutes de papier, mais de diverses couleurs, & dorées sont portées devant, qui puis apres sont toutes bruslées devant le tombeau. Les ministres aussi & faiseurs de prières prophanes accompagnent le dueil d’une longue suitte. Iceux font plusieurs cérémonies par les chemins, & sonnent des tambours, flustes, cymbales, clochettes, & autres instrumens de musique. Des porte-faix aussi portent devant des grands encensoirs de fonte sur leurs espaules. En apres vient le cercueil orné de grande pompe. Car il est emporté soubz un grand pavillon, diversement estoffé, & enrichy de crespes fins, par quarante & souvent cinquante fossoieurs : les filz le suyvent marchans à pied, mais s’appuyans sur des bastons, & comme estans desja foibles à force de dueil : en apres suyvent les femmes tellement enfermées das des courtines portatives, qu’elles ne peuvent pas estre veues : il y a aussi des autres femmes plus esloignées de parenté qui sont portées sur les selles funebres. Or il faut que tous les tombeaux soient hors de la ville aux foux-bourgz.
S’il arrive que les filz soient absens au temps du decez de leurs parens, toute la pompe funèbre est differée jusqu’à leur venue. Or quand le filz est adverti de la mort de son pere, s’il est homme de qualité, il dresse un cœnotaphe ou sepulchre vuide à son pere au lieu ou pour lors il se retrouve, & reçoit les condoleances des amis, & puis retourne au plus tost au pays, & renouvelle derechef les mesmes ceremonies, & avec mesme ordre que nous avons dict cy-dessus. Et le filz aussi est contraint par les loix de s’en retourner, quel que grande que sois la dignité qu’il a en la Republique (fust-ce mesme des Presidents des Sièges que nous avons cy dessus dict s’appeller Ciamsciu, voire mesme aussi de Colao) & achever en la maison, le dueil de trois ans, & ne sont pas devant ce temps receus aux Magistratures qu’ilz avoient devant. Mais il faut entendre cela seulement du dueil de pere, ou mere, & non des autres parens. De cete loy sont exempts au dueil de leurs parens les Mandarins militaires.
S’il arrivé que quel qu’un meure hors de son pays, celui qui doit prendre le soin du dueil fait tout son possible, & n’espargne aucuns frais pour faire reporter & charrier le corps mort en son pays, à fin qu’il soit remis au tombeau de ses Ancestres. Chasque famille à son tombeau particulier la pluspart en quelque colline hors de la ville, avec des grands sepulchres de marbre, & au devant diverses statues d’animaux & d’hommes. On dresse aussi des epitaphes de marbre certes magnifiques. En iceux on escrit d’un beau charactere & escriture elegante les gestes louables des Ancestres. Les parens s’assemblent tous les ans à ces tombeaux aux jours à ce deputez ; là ilz font leurs ceremonies, bruslent des parfums, desplient des presens, & font un banquet funèbre selon la coustume du peuple receue de tout temps.
On fait aussi les mariages & les nopces avec beaucoup de ceremonies. L’un & l’autre se fait dez l’enfance, & ne veulent pas que l’espoux soit beaucoup plus aagé que l’espouse. Les parents font d’une part & d’autre ces contractz, & ne demandent pas pour iceux le consentement des enfans, lesquelz toutefois les filz ou filles approuvent tousjours. Les principaux se marient tousjours avec les principales, & recherchent l’esgalité des familles en l’eslection de la femme legitime. Quand aux autres concubines que chacun tient à sa volonté, elles sont prefereez par la beauté. L’on ne regarde pas la noblesse du sang, ny aux biens : car icelles s’acchete la plus part pour le prix de cent escus, & souvent a meileur marché. Le commun peuple & les pauvres s’acheptent des femmes à prix d’argent, & quand il leur plaist les vendent. Mais le Roy & ses enfans ez mariages (laissant en arriere la noblesse du sang) n’a esgard qu'à la seule beauté du corps. Et aussi les femmes qualifieez n’aspirent pas à ces mariages, tant parce que les femmes du Roy ont peu de pouvoir, que d’autant qu’estans tousjours enfermées au palais, elles sont pour jamais privées de leurs parens ; en apres aussi pour ce que les Magistratz ayans charge des mariages, faisans leurs choix, il y en a peu entre plusieurs qui sont eslevées aux nopces Royales. Entre les femmes du Roy il y en a une principale, qui seule peut estre appellée legitime. Outre celle-ci, le Roy & héritier du Royaume, en espouse neuf autres un peu moindres ; & puis trente six autres, qui toutes jouyssent du tiltre conjugale : à celles-cy sont adjoindes beaucoup plus de concubines, qui ne sont appellées ny Roynes, ny femmes. Celles d’entre-elles qui enfantent des filz sont les plus aymées, & principalement la mere du premier-né, qui est appellé successeur du Royaume. Cela est non seulement coustumier au Roy, & à la famille Royale, mais aussi à tous autres par tout le Royaume.
Ceste seule principale femme s’assied à table avec le mary, toutes les autres (principalement exceptées les parentes du Roy) sont servantes du pere de famille, & suyvantes de la femme legitime, en la presence de laquelle il leur est permis se tenir debout, & non de s’asseoir. Les enfans n’appellent pas mere celle qui les a enfantez, mais la principale femme, & pleurent celle-là seule l’espace de trois ans quand elle meurt, & se privent de leurs offices eux-mesmes, non pour faire les funerailles de leur propre mere, ains de celle-là.
Ez mariages cela est religieusement observé, que personne ne prenne du tout point femme de mesme surnom, encor qu’il n’y ait entre-eux aucune alliance de sang. Or les surnoms des Chinois sont en beaucoup plus petit nombre que les nostres. Car il ne s’en compte pas mille ; & n’est permis à aucun d’inventer un nouveau surnom, mais il faut qu’il en prennee un de ceux qui sont reçeu d’ancienneté ; & icelui tiré des peres, & non des meres ; si ce n’est d’aventure que quelqu’un soit adopté en une autre famille. Ilz n’ont point d’esgard aux degrez de consanguinité ou d’affinité quand les surnoms sont differens, & ainsi ilz marient leurs enfans avec les parens de leur mere quasi en tout degré.
L’espousée ne porte aucun dot quand & soy ; & encor que le jour qu’elle va en la maison du mari elle porte un si grand appareil de meuble avec soy, qu’elle remplit les plus grandes rues, tous ces meubles neantmoins sont achetez aux despens du mary, qui quelques mois devant envoye en don quelque grande somme d’argent.
Chacun entre les Chinois festoie tous les ans le jour de sa naissance, & le celebrent par presens, banquets, & autres signes de resjouyssance ; cela se fait principalement l’année cinquantiesme. auquel temps ilz sont ordinairement mis au nombre des vieillards, & en apres tous les dix ans. Les enfans, s’ilz sont de l’ordre des lettrez, demandent de leurs amis divers poëmes, & emblèmes escrits avec grande artifice, esquelz sont contenues les louanges de leurs peres, pour honnorer cete solemnité. Entre iceux aussi quelque uns font imprimer des livres, & le jour mesme de la nativité en embellissent les parois de la sale de la maison, & rendent encor d’autres complimens à celuy qu’ilz félicitent pour son aage.
Ce jour aussi est solemnel entre les Chinois, auquel les filz parvenus en aage prennent le bonnet viril, non autrement que les jeunes hommes Romains anciennement despouillans l’habit d’enfance, prenoient la robe viril. Cet aage communément est de vingt ans ; car jusqu’à ce temps ilz portent les cheveux espars.
Mais principalement par tout le Royaume la plus grande feste, & qui est observée esgalement de toutes sectes, est le commencement de l’an nouveau, le premier jour de la nouvelle Lune, & encor à la pleine Lune ; car alors est la feste des lanternes, pour ce que chacun en chaque maison allume des lanternes diversement & artificiellement faites de papier, verre, velin, desquelles le marché est plein pour estre vendues pendant tous ces jours, dont chacun se choisit celle qui luy plaist le plus : & souvent les sales & les maisons semblent brusler pour les lanternes allumeez de tous costez. Et pendant ces mesmes jours on court diversement ensemble toute la nuict, & les masques portent partout des lanternes enlaceez les unes dans les autres en forme de dragons. Ilz allument aussi beaucoup de feux de joye, & representent plusieurs esbatements avec la poudre à canon, & les rues, & maisons semblent par iceux toutes en feu, ce qu’il fait beau voir.