Histoire de l’Affaire Dreyfus/T1/12

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La Revue Blanche, 1901 (Vol.1 : Le procès de 1894, pp. 507–574).

CHAPITRE XII

LA CHUTE DE MERCIER

I. Impression produite par la parade d’exécution, 507. — Doute silencieux de nombreux spectateurs, 508. — Violence des journaux, 511. — II. À la poursuite de l’aveu, 513. — Un commandant, resté inconnu, fait à la Libre Parole le récit de prétendus aveux de Dreyfus, 514. — Conversation de Lebrun-Renaud avec quelques officiers, 515. — Le commandant d’Attel, 517. — Visite de Picquart au colonel Guérin, 519. — Boisdeffre chez Mercier, 520. — III. Intervention personnelle de l’Empereur Guillaume, 520. — Note du comte de Munster, 522. — Hanotaux quitte Paris, 523. — Dépêche du prince de Hohenlohe, 524. — Casimir-Perier décide de recevoir, dès le lendemain, 6 janvier, l’ambassadeur d’Allemagne, 526. — IV. Mercier donne à Boisdeffre l’ordre de convoquer Lebrun-Renault, 527. — Le Moulin-Rouge, 528. — Conversations de Lebrun-Renaud avec des journalistes, 529. — V. Gonse à la recherche de Lebrun-Renaud, 529. — Lebrun-Renaud chez Mercier, 530. — L’article de Clisson dans le Figaro, 532. — Lebrun-Renaud à l’Elysée, 534. — Son carnet, 537. — VI. Entrevue de Casimir-Perier et de Munster, 538. — Note du 7 janvier, 543. — L’équivoque continue, 544. — VII. Scène tragique inventée par Mercier, 545. — Rapport de Gonse à Boisdeffre, fabriqué après coup, 547. — VIII. Mercier ordonne de laisser tomber dans l’oubli la légende des aveux, 548. — Campagne d’intimidation contre tous ceux qui éprouvent un doute, 550. — Attaques contre Demange, 551. — Le silence se fait sur l’affaire, 553. — IX. Démission de Casimir-Perier, 553. — Causes et occasion de cette démission, 554. — Les candidats à la Présidence de la République, 559. — Le placard de Mercier, 560. — Élection de Félix Faure ; ministère Ribot ; l’amnistie, 561. — Mercier remplacé au ministère de la Guerre par Zurlinden, 561. — X. Dreyfus à la prison de la Santé, 561. — Son départ de Paris dans la nuit qui suit l’élection présidentielle, 565. — Scène hideuse à La Rochelle, 566. — XI. Dreyfus à Saint-Martin-de-Ré, 567. — XII. Dernières entrevues de Dreyfus avec sa femme, 571. — Son embarquement pour l’île du Diable, 574.

I

Suivons, écoutons cette foule qui s’en retourne, sous la neige, du lieu du supplice. Sa colère n’est pas calmée ; elle eût mis le traître en pièces, si elle eût pu l’approcher[1] ; elle regrette encore qu’il n’ait pas été lié au poteau de Satory, troué de douze balles. Ouvriers, bourgeois, qui se sont rendus à la parade comme à une fête patriotique, ne l’ont vu que de loin, à travers la haine et les justes colères contre le crime. Cependant le cri déchirant est entré dans leurs cerveaux, vrille encore immobile, mais qui s’enfoncera. Déjà, parmi ces furieux, quelqu’un pense : « Pourtant, s’il était innocent ! »

Chez les journalistes et les amateurs privilégiés qui ont vu de plus près, le trouble est plus profond. Nombre de journalistes trompent sciemment le public, non eux-mêmes. Ils n’étaient pas venus à cette représentation seulement par devoir professionnel, mais avec les mêmes passions que la foule, par curiosité, ou avec le vieil instinct de la bête qui est au fond de l’homme, ou pour y trouver l’éclatante confirmation du verdict. La curiosité fut satisfaite, la sauvagerie aussi. Mais la confirmation manqua. Les plus enragés, ceux-là mêmes qui avaient craché des injures à la face du supplicié, furent secoués, sinon émus.

Beaucoup d’esprits furent traversés par le doute. Le doute avait obsédé plus d’un, avant le procès ; l’unanime sentence l’avait chassé. Il revenait. Presque tous s’en tairont ; telle était la terreur, même chez les meilleurs, de paraître nier l’infaillibilité des juges, et tant la pitié elle-même était devenue suspecte. Mais cet « impondérable » qui fait la confiance[2] est à jamais évanoui ; la certitude ne se commande pas ; il n’est au pouvoir de personne de la prescrire aux consciences troublées ; plus rien désormais n’en chassera le doute. Eux-mêmes, ils s’efforceront de s’en délivrer, parce que cette pensée eût rendu la vie intolérable, et aussi par impuissance de percer le mystère du huis clos. Ils l’endormiront, mais ils ne s’en délivreront pas[3].

« Innocent, ou surprenant comédien ? » Mais comment choisir, décider ? Nul ne l’osa d’entre ceux que n’aveuglaient ni la haine ni l’intérêt. Et nul ne le pouvait. Forte est la sensation personnelle, physique, de l’innocence ; mais trop forte encore la croyance que les juges n’ont pas condamné sans preuves formelles. L’idée que ces soldats ont été systématiquement trompés ne vient à personne, même à ceux qui tiennent Mercier en médiocre estime. Aucun, dès lors, n’ose se risquer à confesser son angoisse, sinon d’une phrase intime et prudente. La grande machine de Gutenberg, on la laisse au mensonge.

Mais elle-même, la grande machine de mensonge et de vérité, indifférente, comme la nature, au bien et au mal, recula devant l’absolu du mensonge. La publicité a été trop large, le cri de Dreyfus entendu de trop de milliers de témoins, pour que Drumont ou Rochefort ou Judet puissent cacher à leurs lecteurs l’invincible protestation du condamné. Et tel est le choc qui a été ressenti, tel est le bouleversement des âmes les plus fauves, que la vérité transparaît, éclate dans les récits de leurs journaux. Les auteurs de ces rapides comptes rendus n’ont pas eu le temps de se reprendre. Le fait parle, non eux. Leurs récits sont les plus éloquents, les procès-verbaux mêmes que recueille l’Histoire ; elle n’en veut pas d’autres. Ce sont eux que j’ai suivis ligne à ligne.

Donc, demain, le pays tout entier saura le fait indélébile que le juif, dans cette heure tragique, seul contre tous, écrasé par l’universel mépris, s’est redressé pour crier : « Vive la France ! » et pour répondre aux vociférations de mort par un cri prolongé d’innocence.

Les politiques voient nettement le danger[4]. Si Dreyfus eût pleuré, baissé le front, ils eussent triomphé ! Ses larmes eussent valu un aveu ; son désespoir, l’explosion d’un remords. Et c’eût été facile à expliquer, si conforme à l’ordinaire poétique ! On lui en eût su gré : « Les pleurs n’eussent pas semblé d’un lâche[5]. » Mais « Judas marche trop bien[6] ». Une autre explication s’impose maintenant, moins aisée, mais il la faut imposer : l’impassible fermeté du condamné, cynisme ; ses clameurs d’innocence, comédie. Ou bien il faut confesser l’angoisse du doute, d’où naîtront d’autres doutes. Que n’a-t-on suivi les sages enseignements des inquisiteurs[7], les conseils du moine de la Croix ? Il engageait à couvrir d’un roulement de tambour la protestation de l’innocent[8].

Vingt émissaires, comme sur un mot d’ordre, s’exercent à développer ce thème, l’agrémentant d’injures et de variations sur l’insuffisance du supplice, sur la dérisoire expiation. Et les plus féroces sont les plus lettrés.

Judet regrette « l’adoucissement des mœurs. Nos pères avaient le pilori : quelle belle occasion de le dresser pour ce misérable ! Ils avaient la marque : quel dommage que la main du bourreau n’ait pu imprimer en toutes lettres, avec un fer rouge, sur son épaule de forçat, ce mot : Judas. » C’est « un lâche, qui tremblant pour sa vilaine peau » n’a pas eu le courage de se suicider. « Les huées n’ont pas eu le don de secouer son indifférence germanique[9] ». De même Barrès[10], Léon Daudet : « Pour ce scélérat, la souffrance n’est rien. Nous sommes plus torturés que lui[11] ». Edmond Lepelletier : « La protestation proférée par le misérable, le serment sur la tête de ses enfants, autant de mensonges et de comédies. » Mais il y a autre chose « dans cette divagation » : « Cet abominable et pervers scélérat cherche à provoquer la guerre avec l’Allemagne. » En révélant les causes de sa condamnation, il a voulu « enlever à la patrie le bénéfice du huis clos ». « Le doute qu’il tente de faire pénétrer dans certaines âmes », c’est sa vengeance. « Vous voyez bien qu’il eût été préférable de le laisser écharper… Il vit pour essayer de nous faire encore du mal. Lynch aurait dû remplacer le général Darras à la fin de la parade lugubre et inefficace[12]. » Rochefort : « Il n’avait d’autre peur que celle d’être lynché par la foule. Quand il a vu qu’elle se contentait de le huer, il a repris son insolence des plus beaux jours[13]. » Cassagnac dénonce, comme une autre trahison, la protestation suprême du supplicié : « Il n’a songé à sa femme et à ses enfants que pour les vendre aussi. Pourquoi cet épouvantable serment sur des têtes innocentes ? Pourquoi ce blasphème de malheur qu’il jette, sans conscience, au milieu de son foyer en deuil[14] ? » Son cri de : « Vive la France ! » c’est, pour le moine de la Croix, « le dernier baiser de Judas[15] ». Et la Libre Parole explique « l’incroyable sang-froid du premier rôle, son attitude qui n’inspire que du dégoût », par le phénomène atavique : « Il a puisé la force déjouer un tel rôle dans sa haine de juif contre les gens de notre sang ; les désastres qu’il nous préparait, c’était, dans sa pensée, le triomphe définitif de sa race. » D’autant plus beau a été le spectacle « par la puissance du symbole : ce n’était pas un homme qu’on dégradait pour une faute individuelle, mais toute une race dont on mettait la honte à nu[16] ».

Ainsi se prolongeaient, comme des échos roulant de montagne en montagne, les outrages qui avaient assailli Dreyfus. Tâche effroyable que celle des collaborateurs, conscients ou inconscients, du crime ! À chaque instant il craque sur leurs têtes. Comment l’étayer ? Par d’autres mensonges, des montagnes d’impostures et de calomnies. Demain, cela ne suffira pas ; il y faudra d’autres crimes.

Il se trouva, au moins, un écrivain pour flétrir ces ignominies, et, comme un poète avait déjà réclamé pour l’accusé le droit d’être innocent, un autre poète réclama pour le condamné le droit de souffrir sans être insulté. Jean Ajalbert dit son horreur « des cris et des crachats de la foule », son dégoût de la cruauté des artistes et des gens de lettres, ne désarmant pas devant le supplice[17]. « On injurie Dreyfus d’avoir marché d’un pas ferme tout le long de cette abominable promenade ; on l’eût injurié de même, si son pas eût hésité. Sa figure pouvait n’être pas belle. Après les épreuves où il a dû passer, les leurs eussent-elles été bien gracieuses ? » Il rappelait à ces chrétiens sans pardon les pardons du Christ de qui ils se réclament, « Il faudrait empêcher les sauvages de se mêler à l’appareil de la justice. »

II

La prose meurtrière des scribes ordinaires du ruisseau et des virtuoses qui leur sont venus en aide suffira-t-elle à entretenir la colère de la foule et sa foi mécanique dans la sentence des sept officiers ? Un seul penseur qui pèsera le cri d’innocence de la victime, et c’est assez pour compromettre, un jour, l’œuvre d’iniquité. Au contraire, l’aveu, c’est la suprême condamnation, celle du criminel par lui-même. Dreyfus, s’il a confessé son crime avant de paraître devant les troupes assemblées, n’est qu’un comédien.

La poursuite de l’aveu, par tous les moyens, tortures ou ruses, tant qu’un souffle de vie est au corps de l’accusé, ç’a été, pendant des siècles, toute la procédure de l’Inquisition. Calas était attaché sur la roue, les membres rompus par onze coups de barre de fer, quand le capitoul Beaudrigue, s’élançant vers ces restes qui respiraient encore, s’écria une dernière fois : « Malheureux ! dis donc la vérité[18] ! » L’aveu, refusé jusqu’à la mort, on le forge.

La parade d’exécution était à peine achevée que le bruit des aveux de Dreyfus se répandit. Il aurait dit à l’officier qui se tenait près de lui, alors qu’il attendait d’être conduit devant les troupes : « Je suis innocent ; si j’ai livré des documents à l’Allemagne, c’était pour amorcer et en avoir de plus importants. Avant trois ans, on saura la vérité, et le ministre lui-même reprendra mon affaire. »

Un commandant fit ce récit au rédacteur de la Libre Parole, Gaston Méry[19]. Le journaliste ne nomme pas cet officier. Est-ce Henry, alors commandant, qui depuis longtemps renseigne le journal de Drumont ?

D’où vient ce bruit ? Dreyfus a raconté à Lebrun-Renaud la visite de Du Paty lui demandant, au nom de Mercier, s’il ne s’est pas compromis dans quelque tentative d’amorçage. Mais il a dit aussi la réponse qu’il a faite à l’envoyé du ministre, et il n’a cessé de protester de son innocence.

Quand Lebrun-Renaud eut remis Dreyfus aux artilleurs qui étaient venus le chercher pour la parade, il descendit dans la cour où plusieurs officiers l’entourèrent. Il affirma sous serment, quatre ans plus tard, qu’il leur avait relaté ainsi les paroles de Dreyfus[20] : « Je suis innocent ; dans trois ans on reconnaîtra mon innocence. Le ministre le sait, et le commandant Du Paty de Clam est venu me voir, il y a quelques jours, dans ma cellule, et m’a dit que le ministre de la Guerre le savait. Le ministre savait[21] que si j’avais livré des documents à l’Allemagne, ils étaient sans importance et que c’était pour en obtenir de plus importants. »

Lebrun-Renaud a-t-il prononcé, dès lors, ces phrases ambiguës, volontairement équivoques, d’une subtilité jésuitique ? Cela est douteux. Il est probable que, de mémoire incertaine, il aura rapporté inexactement les propos du condamné, ou que, d’intelligence bornée, il aura commis un meurtrier contre-sens, attribuant à Dreyfus le discours de Du Paty. Et ses interlocuteurs, le colonel Guérin[22], le lieutenant Philippe[23], d’autres encore, ou se sont faits les complices de la fraude, en supprimant des propos qu’ils ont entendus toute allusion à Du Paty, ou, dans la confusion rapide de la scène, ont compris que Dreyfus était entré dans la voie des aveux, et que, démasqué, il ne s’accusait, par un dernier mensonge, que d’amorçage. Mais Lebrun-Renaud lui-même n’a pas pris pour des aveux les propos qu’il a entendus, ni ceux qu’il relate[24]. Il a surtout été frappé des protestations du condamné et de ce délai de trois ans au bout duquel l’erreur sera reconnue.

Cette conversation de Lebrun-Renaud avec le colonel Guérin et d’autres officiers dura à peine cinq minutes[25]. La parade commençait. Chacun gagna son poste.

Pendant les dix minutes qui suivirent, tous les yeux furent fixés sur le supplice et le supplicié. Puis, la dégradation accomplie, l’étrange confession qu’aurait faite Dreyfus circula[26]. Le commandant, dont le collaborateur de Drumont ignore ou tait le nom, la raconta aux journalistes. Mais déjà la visite de Du Paty à Dreyfus dans sa cellule a disparu du récit, détail trop extraordinaire pour n’avoir pas frappé les avides quêteurs de nouvelles, trop significatif aussi pour n’avoir pas été retranché avec intention[27]. Il n’en reste que le prétendu aveu de l’amorçage, dernier refuge du traître avant l’aveu définitif de tout son crime. Que vaut, dès lors, son éclatante protestation d’innocence ?

« Ce fut, d’abord, une rumeur vague et incertaine ; bientôt, comme en toutes les grandes impostures, plusieurs affirment qu’ils y étaient, qu’ils ont vu ; la joie et la légèreté sont crédules à ces bruits[28]. »

Le commandant de Mitry a causé avec le capitaine Anthoine ; Anthoine a causé avec le commandant d’Attel ; D’Attel a raconté que « Dreyfus, après sa dégradation, a tenu devant lui des propos d’où il résultait que, s’il avait livré des documents, c’était dans le but d’en obtenir en échange de ceux qu’il donnait[29] ».

Ainsi, ce n’est pas seulement avant la parade que Dreyfus a fait des aveux, mais encore après l’horrible promenade où il n’a cessé de hurler, à pleins poumons, son innocence. Or, son supplice achevé, Dreyfus a été jeté aussitôt dans la voiture cellulaire, protestant encore[30].

Du Paty et sa mission au Cherche-Midi ne sont point mentionnés dans la version de De Mitry et d’Anthoine, la même que le rédacteur de la Libre Parole a reçue du commandant inconnu, et dont s’emparèrent, comme d’un argument décisif, le journal de Rochefort, Barrès et Judet[31]. Plusieurs officiers propagèrent les paroles attribuées au condamné[32].

Les journalistes furent informés, mais non le général Darras. Il lui fut rendu compte qu’aucun incident particulier ne s’était produit. Darras le dit à Picquart qui avait été désigné par Mercier pour assister à la cérémonie et qui était placé derrière lui. Picquart, à son tour, rendit compte au chef du cabinet du ministre[33].

Grand fut donc l’étonnement de Picquart lorsqu’on commença à raconter, vers le soir, au ministère, que Dreyfus avait fait des aveux[34]. Des officiers de l’État-Major en causaient ; le contrôleur Peyrolles en avait fait le récit qu’il tenait du colonel Guérin. Les journaux, la Cocarde, le Jour, le Temps, en donnaient le texte. Picquart n’en discute pas la vraisemblance, toujours dominé par la pensée des preuves secrètes et décisives, mais se croit en faute pour n’avoir pas signalé au ministre ces aveux poursuivis depuis tant de semaines et qui fuyaient toujours.

Il court au Gouvernement militaire de Paris, interroge le colonel Guérin. Celui-ci lui redit, tels qu’il les a compris, les propos du capitaine de la garde républicaine[35] ; il ignore jusqu’à son nom[36] ; il ne sait si Dreyfus a précisé les pièces qu’il aurait livrées ; il a informé le général Saussier, qui, chef de la justice militaire, eût fait recueillir officiellement les aveux, s’il avait ajouté foi au récit, et qui n’en a rien fait[37]. Saussier, en effet, a connu par Forzinetti la visite de Du Paty au Cherche-Midi et il a reçu le rapport de Lebrun-Renaud qui relate seulement à quelles heures son service a commencé et a fini. À la colonne des observations, cette mention : « Rien à signaler[38]. » Or, l’aveu du condamné eût valu que l’officier de service y insistât. Guérin offre de faire appeler le témoin pour le lendemain[39].

Alors Picquart se rend en hâte chez Boisdeffre et l’informe. Boisdeffre le conduit chez Mercier. Mais Mercier demande à être seul avec le chef de l’État-Major. Il cause cinq minutes avec lui, et Boisdeffre, en sortant, dit à Picquart qu’il n’a plus besoin de lui[40].

Si Mercier avait pris pour des aveux les propos que donnaient les journaux, sa joie eût été grande, et il ne s’en fût pas caché devant Picquart, dans le plein de sa victoire. Mais, ayant reconnu dans la mensongère nouvelle la déformation de la réponse de Dreyfus à Du Paty, il s’en inquiète, loin de s’en réjouir, parce que la démarche de Du Paty, qui révèle sa propre incertitude, doit rester ignorée, et que le nom de l’Allemagne, qui figure dans les prétendus aveux, ajoutera de nouvelles difficultés aux complications diplomatiques, qui venaient de surgir le jour même.

III

L’empereur Guillaume, en effet, était entré lui-même en scène.

La note officielle du 30 novembre n’avait trompé que le comte de Munster. Quand le ministre des Affaires étrangères y déclarait « que les allégations des journaux, au sujet des ambassades et légations étrangères à Paris, étaient dénuées de tout fondement », il l’entendait des fables colportées par la presse. Munster, au contraire, qui pense que sa parole de gentilhomme n’a pas été mise en doute par Hanotaux, applique ce démenti au fait même contre lequel il a protesté, affirmant qu’aucun attaché ou agent allemand n’a jamais eu de rapports avec Dreyfus.

En jouant sur les mots, dans une phrase d’une aussi jésuitique audace, Hanotaux et Dupuy ne comptaient pas, sans doute, abuser indéfiniment l’ambassadeur allemand, mais gagner du temps.

Le bruit public, le procès, de quelque ombre épaisse que Mercier l’eût enveloppé, ne tardèrent pas à détromper Munster. L’Allemagne était nommée par tous les journaux, insultée par les thuriféraires de Mercier, accusée d’invraisemblables manœuvres, comme d’avoir imposé le huis clos au patriotisme frémissant du ministre de la Guerre. Selon Rochefort, « non seulement Munster a exigé le huis clos, mais, comme Mercier voulait la peine de mort, l’ambassadeur, brandissant ses passe-ports, a indiqué dans le code militaire l’article que le conseil de guerre devra appliquer, et qui ne vise que la déportation[41] ». Le journal de Drumont affirme de même que « le Gouvernement français a cédé aux menaces de Guillaume[42] ». La presse allemande attribuait l’excès des colères populaires moins à la religion et à la race de Dreyfus qu’à un retour du vieux chauvinisme, de la vieille haine contre l’Allemagne. La phrase de Demange sur l’unique pièce du dossier confirmait la rumeur d’un document volé à l’ambassade impériale. Les prescriptions les plus sévères n’avaient pas empêché des officiers de parler. L’incoercible force de la vérité a rompu, encore une fois, les toiles d’araignée de la diplomatie.

Ainsi, la parole de Munster, parlant au nom de son Empereur, a été donnée en vain ; Mercier a continué à accuser Dreyfus d’avoir été aux gages de l’Allemagne, et le démenti adressé aux journaux qui mêlaient les ambassades à l’affaire n’a été qu’une feinte.

Comme les journaux redoublaient de violence contre l’Allemagne après la condamnation, Munster demanda au Figaro l’insertion d’une note catégorique. « Jamais l’ambassade n’a eu le moindre rapport, soit direct, soit indirect, avec le capitaine Dreyfus. Aucune pièce émanant de lui n’a été volée à l’ambassade, aucune démarche n’a été faite pour le huis clos du procès[43]. »

Cette déclaration, qui fut publiée comme « émanant d’un personnage accrédité de l’ambassade d’Allemagne », éclatant au lendemain de la condamnation, c’est le chef-d’œuvre de l’impudence ou la preuve irréfutable de l’erreur judiciaire. Mais tels sont le désordre des esprits, l’habitude du mensonge et la haine, que la note ne produisit aucune impression. Les ministres sont certains à la fois de l’origine du bordereau et de l’infaillibilité des sept juges. Accoutumés à tromper le peuple-roi, les politiciens décident que le comte de Munster a publié la note pour tromper son souverain, l’Empereur.

La foule, à leur exemple, haussa les épaules. Les journaux s’entêtèrent. Celui de Drumont invite l’Allemagne « à élever une statue à Dreyfus » qui n’est venu d’Alsace en France, tout enfant, que pour trahir. Il n’était entré à l’École polytechnique, à l’École de guerre, à l’État-Major que pour y surprendre les secrets de la défense et les vendre à la Prusse. C’est de l’un des juges que Papillaud tient « cette information sûre » ; grossissement, en effet, de la notice biographique qui a été lue par Maurel en chambre du conseil[44]. Gaston Méry affirma, le lendemain, que la lettre de Dreyfus n’avait pas été prise dans des papiers de rebut par un agent de la Sûreté, mais vendue à l’État-Major par un officier allemand ; il y a ainsi « dans l’armée allemande, comme dans la nôtre, des Dreyfus[45] ». La Cocarde, journal de Barrès, maintient « de bonne source » que le huis clos a été imposée par Munster à Mercier[46]. l’Intransigeant révèle que la pièce originale, volée à l’ambassade, a été restituée pour éviter la guerre, mais qu’elle a été photographiée au préalable par Bertillon qui en a déposé au huis clos[47].

Paris s’amusait de ces histoires, à la fois crédule et sceptique. Munster s’en indigna, les transmit à Berlin, où l’irritation ne fut pas moins vive.

Le jour même où parut la note du Figaro, Hanotaux quitta Paris pour le Midi[48]. Depuis deux semaines, il gardait la chambre, fuyant dans une maladie, qui n’était pas entièrement feinte, l’importune dénégation de Munster. Cependant il recevait à déjeuner, la veille ou le jour même de son départ, l’historien Gabriel Monod, son maître. Monod, déjà tourmenté de doutes, posa brusquement cette question à son ancien élève : « Êtes-vous certain de la culpabilité de Dreyfus ? — Ce n’est pas moi qui l’ai jugé, reprit froidement Hanotaux, je n’ai rien à vous dire. » Monod n’insista pas, mais ce refus de répondre accrut son inquiétude. Il sortit avec le secrétaire du ministre, qui, arrivé dans la rue, lui confia : « Nous croyons que le général Mercier a commis une épouvantable erreur[49]. »

Dupuy, en l’absence d’Hanotaux, avait pris l’intérim des Affaires étrangères. Munster lui renouvela ses protestations ; Dupuy récrimina contre les journaux, mais, pas plus qu’Hanotaux, il n’eut le courage de regarder le problème en face. Affronter la tempête populaire lui paraissait le seul péril du moment.

Les ministres se réunirent en conseil le jour de la parade d’exécution ; c’était un de leurs jours habituels de séance. Ils se félicitèrent que le dernier acte du drame eût été accompli. Comme les journaux prédisaient que Dreyfus ne serait pas plus tôt déporté à la presqu’île Ducos qu’il s’échapperait, tel Bazaine de l’île Sainte-Marguerite, avec la complicité du Gouvernement vendu aux juifs, — soit pour porter à la Prusse ceux des secrets qu’il ne lui avait pas encore livrés, soit même pour entrer avec son grade, capitaine de hulans, dans l’armée allemande, — ils décidèrent de jeter à la foule aboyante un nouvel os. Ils adoptèrent le projet de Mercier sur les îles du Salut : Dreyfus irait à l’île du Diable.

Quelques heures après, le comte de Munster communiquait à Dupuy la dépêche qu’il venait de recevoir du chancelier allemand :

« S. M. l’Empereur, ayant toute confiance dans la loyauté du Président et du Gouvernement de la République, prie Votre Excellence de dire à M. Casimir-Perier que, s’il est prouvé que l’ambassade d’Allemagne n’a jamais été impliquée dans l’affaire Dreyfus, Sa Majesté espère que le Gouvernement de la République n’hésitera pas à le déclarer.

« Sans une déclaration formelle, les légendes, que la presse continue à semer sur le compte de l’ambassade d’Allemagne, subsisteraient et compromettraient la situation du représentant de l’Empereur.

Signé : de Hohenlohe »

Cette dépêche sonna comme un ultimatum aux oreilles de Dupuy ; il la porta aussitôt au Président de la République, avec la demande d’audience de l’ambassadeur[50].

Dès le début de sa présidence, Casimir-Perier avait réclamé du ministre des Affaires étrangères la communication des dépêches ; Hanotaux s’y était refusé, et, parce que le Président ne l’avait point congédié sur l’heure, il avait continué à gérer son ministère comme une satrapie. Aux observations réitérées du chef de l’État, il opposa une obstination hautaine, la crainte que des indiscrétions ne fussent commises dans l’entourage immédiat, le cabinet du Président. Il était allé jusqu’à négliger de lui transmettre des paroles qu’un souverain étranger avait prié un ambassadeur de France de faire parvenir au premier magistrat de la République.

Casimir-Perier savait qu’Hanotaux avait eu, au sujet de l’affaire Dreyfus, des entretiens avec l’ambassadeur d’Allemagne ; Hanotaux s’était abstenu de les lui faire connaître[51].

À l’heure des plus sérieuses difficultés, le ministre était absent de Paris.

Informé de l’incident par une dépêche de Dupuy, Hanotaux télégraphia qu’il était d’avis de s’expliquer clairement du fond de l’affaire avec l’ambassadeur d’Allemagne, qu’il désirait procéder lui-même à cet échange de vues et qu’il rentrait à Paris[52].

L’avis était judicieux ; la prétention d’ajourner l’échange de vues à son retour, impertinente et grosse de dangers.

C’était, en outre, méconnaître l’appel direct, personnel de l’empereur Guillaume à Casimir-Perier.

Celui-ci ne récrimina pas, et, d’une claire vue des choses, décida qu’il recevrait, dès le lendemain, l’ambassadeur d’Allemagne[53]. Il lui dirait la vérité sans détours, « seule explication qui fût digne de celui qui parlait au nom de la France[54] ».

Mais quelle est la vérité ? Il l’ignore. Il réclame sur l’heure les dossiers qui le peuvent éclairer, celui du ministère des Affaires étrangères et celui du ministère de la Guerre[55].

Mercier venait d’être saisi de cette demande et informé de la dépêche allemande, quand Boisdeffre se présenta à son cabinet, avec Picquart, pour l’entretenir des prétendus aveux de Dreyfus. Les journaux du soir les annonçaient ; ceux du lendemain en seraient remplis.

La légende, qu’elle soit née de propos déformés ou d’une manœuvre d’Henry, aggrave d’un terrible embarras la situation[56]. Elle attribue à Dreyfus l’aveu qu’il a livré des documents à l’Allemagne, mais pour la tromper. Si l’aveu a été fait, il en résulte que l’ambassade d’Allemagne est prise en flagrante imposture par son espion même. L’espion a trahi à la fois l’Allemagne et la France.

Mercier sait qu’il n’en est rien, parce que Dreyfus n’a pu faire à un officier inconnu, à l’heure de la dégradation, le mensonger aveu qu’il a refusé à Du Paty, chargé des promesses du ministre.

Mais qu’est-ce que Dreyfus a réellement dit à Lebrun-Renaud ? Que lui a-t-il dit de l’Allemagne ? Lui a-t-il révélé la mission de Du Paty ?

IV

Mercier, dans son trouble[57], finit par reconnaître qu’il fallait d’abord interroger l’officier de la garde républicaine qui avait conduit le condamné à la parade, et lui imposer silence, pour le cas où Dreyfus lui aurait fait de dangereuses confidences sur la scène du Cherche-Midi et sur le fond même du procès.

Il rappela Boisdeffre, lui conta l’incident, et le chargea de faire rechercher cet officier (dont il ignorait le nom), avec l’ordre d’être le lendemain matin, à la première heure, dans son cabinet[58].

Boisdeffre, qui avait congédié Picquart après son premier entretien avec Mercier, se rendit chez lui avec Gonse. Il était onze heures du soir quand le chef et le sous-chef de l’État-Major général arrivèrent chez le jeune commandant. Le concierge informa ces deux grands personnages que Picquart était absent et ne rentrerait que le lendemain[59]. Alors Boisdeffre donna à Gonse l’ordre d’aller lui-même, le lendemain matin, à la première heure, quérir le capitaine de la garde républicaine et l’amener chez le ministre[60].

À la même heure[61], Lebrun-Renaud racontait son entretien avec Dreyfus dans un bal public du boulevard extérieur, le Moulin-Rouge.

Déjà il en avait fait la confidence, plusieurs fois dans la journée, aux officiers de son mess, au député Chaulin-Servinière qu’il rencontra sur le boulevard[62]. Il s’amusait de son rôle. Il devenait aussi bavard que son rapport officiel à ses chefs hiérarchiques était muet[63].

Le soir, au Moulin-Rouge, il refit son récit à un journaliste. Hérisson, dit Clisson[64], qu’accompagnaient un autre journaliste, Fontbrune, et le peintre Dumont. Il était assez excité, gonflé de son importance : « C’est moi, dit-il, qui ai conduit Dreyfus du Cherche-Midi à l’École militaire[65]. » Et, sans être pressé d’aucune question, il raconta l’entretien que Clisson porta aussitôt au Figaro[66]. Il n’y fit aucune allusion aux aveux dont avaient parlé les journaux du soir[67]. S’il en avait parlé, Clisson les aurait reproduits fidèlement[68]. Ce journaliste, violemment convaincu du crime de Dreyfus, ne vit que « l’intérêt historique » de la conversation ; il la nota, « comme un phonographe », sans être ébranlé dans sa foi. Cinq jours plus tard, accusé d’avoir publié l’apologie du traître, il écrira à la Libre Parole « qu’il ajouterait, s’il en était besoin, son crachat à tous ceux que son crime a valus au forçat[69] ».

Un autre publiciste, le baron de Vaux, ancien officier, avait remporté de la parade d’exécution le sentiment de l’innocence de Dreyfus[70]. Il alla également, le même soir, au Moulin-Rouge, et vit Lebrun-Renaud, qui était de ses amis, causer avec Clisson et Fontbrune[71]. Il ne lui parla pas, mais son secrétaire l’aborda après le départ de Clisson, et l’officier lui conta, dans les termes mêmes qui furent rapportés par le Figaro[72], le long monologue de Dreyfus, sa protestation d’innocence, sa foi dans un avenir prochain et l’origine du bordereau volé à l’ambassade d’Allemagne[73].

V

Gonse ne dormit guère.

Avant l’aube, « un peu avant six heures du matin[74] », il accourut à l’État-Major du Gouvernement et demanda le colonel Guérin pour avoir le nom et l’adresse du capitaine de la garde qui avait mené Dreyfus à la parade. L’officier de service lui fit observer que Guérin ne savait que ce qui lui avait été raconté, ainsi qu’à d’autres officiers[75] ; alors, Gonse, en grande hâte, se rendit à l’État-Major de la place où il eut enfin le renseignement qu’il cherchait[76]. Il partit de là pour la caserne des Célestins, où habitait Lebrun-Renaud, et l’emmena en voiture au ministère de la Guerre[77].

Ce n’est jamais une petite affaire pour un officier, même supérieur, que d’être reçu par le ministre de la Guerre. Être convoqué, au petit réveil, chez le chef de l’armée, et non par un planton, mais par le sous-chef de l’État-Major général, c’était, pour un simple capitaine, une grosse histoire, et faite pour l’abasourdir. Arrivé au ministère, il fut introduit tout de suite chez Mercier[78]. De quel ton fut-il interrogé ? Il s’en tait. Il redit à Mercier, en présence de Gonse, « toute la conversation du capitaine Dreyfus »[79], telle qu’il l’avait déjà contée au sous-chef de l’État-Major, pendant leur trajet en voiture.

Pourquoi leur aurait-il fait un autre récit que celui qu’il avait fait, la veille, au Moulin-Rouge, et qu’il refera, le même jour, quelques heures plus tard, au colonel de son régiment[80] ? Tout surpris et intimidé qu’il était, il est manifeste qu’il n’en fît pas d’autre[81], qu’il confirma son rapport officiel qui ne mentionne aucun incident. L’auditoire était moins complaisant ; il s’excusa, pataugea.

Enfin, pressé de questions, il répéta ce que Dreyfus lui avait conté de la visite de Du Paty dans la prison, et du bordereau, trouvé dans un chiffonnier de l’ambassade d’Allemagne.

Ni Mercier ni Lebrun-Renaud ne connaissaient encore l’article du Figaro ; dès lors, il n’en fut pas question[82]. Aucun des propos de Dreyfus n’avait fait à Lebrun-Renaud l’impression d’un aveu. Il en conviendra lui-même[83], et le silence de son rapport le proclame. S’il avait pris les phrases de ce monologue haché pour des aveux, comment Mercier ne les aurait-il pas fait recueillir juridiquement ? Il était si anxieux, il y a sept jours à peine, quand il envoyait Du Paty au Cherche-Midi, « de savoir ce qui avait été livré par Dreyfus[84] » ! Pour le savoir, il promettait d’atténuer la peine du traître. Comment cette inquiétude patriotique s’est-elle si vite évanouie ? Quoi ! il ne renvoie pas Du Paty à Dreyfus : « Vous avez fini par avouer ; dites tout ! »

Loin que le récit de Lebrun-Renaud ait donné à Mercier « la conviction complète que les aveux avaient été faits[85] », il lui fut une preuve du contraire, preuve dont il n’avait nul besoin, et une raison de faire le silence sur la prétendue confession du condamné. En conséquence, l’officier reçut l’ordre menaçant de ne plus parler de ces choses, de se taire absolument de la mission de Du Paty, qui doit rester secrète[86], et de l’ambassade d’Allemagne où la pièce a été volée. Il doit décliner toute conversation au sujet de ses rapports avec Dreyfus.

Mercier avait à peine formulé l’impérative consigne qu’un nouvel incident se produisit. Le Président de la République venait de lire l’article du Figaro, la conversation de Lebrun-Renaud avec Clisson. Et, non seulement il s’est indigné de l’inconvenance d’un officier qui, « chargé d’une telle besogne[87] », s’en va raconter à des journalistes, dans un bal de filles, les confidences d’un homme condamné pour trahison, mais surtout, comme il sait avec quelle attention l’ambassadeur d’Allemagne et l’Empereur Guillaume lui-même lisent les journaux, il s’alarme du parti que, tout à l’heure, dans l’audience qui a été fixée pour l’après-midi, le comte de Munster va tirer de cette affirmation de Dreyfus que le bordereau a été pris dans un chiffonnier de l’ambassade. Dreyfus, évidemment, n’ignore pas sur quelles preuves il a été condamné ! Propos plus grave que tous les articles de journaux, qui avaient pourtant motivé l’intervention directe de l’Empereur allemand, la dépêche de son chancelier et la menace de rappeler, ne fût-ce que pour un inquiétant congé, son ambassadeur à Paris.

Casimir-Perier, aussitôt, fit part à Dupuy « de l’irritation que lui causait ce nouveau scandale[88] ». Dupuy, non moins ému, et pour les mêmes causes, téléphona à Mercier[89]. Celui-ci, qui avait Lebrun-Renaud sous la main, proposa au président du Conseil de lui envoyer le coupable, qui recevrait de lui et du Président de la République un avertissement exemplaire. Quand ce petit capitaine, déjà averti et blâmé par le ministre de la Guerre pour ses bavardages, l’aura été encore par le premier ministre et par le chef de l’État lui-même, la tombe sera moins muette que lui. Terrorisé, il ne parlera plus des inquiétantes protestations du juif. Mercier sera tranquille.

Il donna donc l’ordre à Lebrun-Renaud de se rendre au palais de l’Élysée[90]. Mercier affirme[91] que, convaincu de la réalité des aveux de Dreyfus, et « jugeant que la chose valait la peine d’être portée immédiatement à la connaissance du Président de la République et du président du Conseil », il leur adressa l’officier de la garde pour les édifier à cet égard ; mais il ne dit rien du coup de téléphone de Dupuy. Tout son mensonge s’écroule, au tintement de la sonnerie électrique[92].

Ainsi Lebrun-Renaud n’allait à l’Élysée que pour y être interrogé et chapitré[93] sur ses bavardages de la veille et sur l’article de Clisson, que, dit-il, il ne connaissait pas encore. Tandis qu’il attendait, dans l’antichambre, d’être introduit chez le Président[94], il entendit, derrière la porte capitonnée, quelqu’un qui disait : « Qu’est-ce que ce gendarme, qui trahit le secret professionnel et donne de la pâture à la presse ? Il pourrait lui en cuire d’une pareille indiscrétion[95]. » Il savait que ce n’était que trop vrai, baissait la tête. Il n’était point là pour recevoir des félicitations.

Enfin, Dupuy le fait entrer chez le Président de la République « qui le reçoit froidement[96] », et l’interroge : « Des indiscrétions ont été commises, avez-vous vu des journalistes ? « Il répond qu’il a vu diverses personnes, des officiers de la réserve et de la territoriale, qu’il y avait peut-être des journalistes parmi eux[97]. Il n’a cru parler qu’à des amis. Dupuy intervient : « Si vous avez quelque chose à dire, c’est à vos chefs qu’il faut le dire[98]. » Casimir-Perier insiste : « Vous n’avez pas vu de journalistes ? — Je n’ai vu personne[99]. » Il était troublé, intimidé, chose fort naturelle, et mentait sans sérénité.

Le Président lui posa diverses questions « qui roulaient toutes » sur ces pièces qu’on aurait trouvées dans la corbeille d’une ambassade. C’était la phrase inquiétante du récit de Clisson. A-t-il parlé à ses camarades de ces pièces, de cette corbeille et de cette ambassade[100] ?

Lebrun-Renaud répondit « qu’il n’avait pas parlé de ces choses à ses camarades[101] ».

Comme l’article du Figaro ne met dans la bouche de Dreyfus qu’une longue protestation d’innocence, la pensée d’interroger l’officier sur les prétendus aveux ne vient même pas à Casimir-Perier[102]. La pensée en serait venue à Lebrun-Renaud, si Mercier l’avait envoyé à l’Élysée pour en informer les deux présidents. Il eût obéi à l’ordre. Ces grands personnages semblent convaincus de la culpabilité de Dreyfus. Lebrun-Renaud eût atténué sa faute en racontant les aveux, extorqués, surpris par lui. Il n’en fait rien, parce que Mercier ne le lui a pas commandé, et qu’il n’y a pas eu d’aveux.

Casimir-Perier lui ordonna de se taire à l’avenir, lui adressa des reproches[103]. Lebrun-Renaud, qui ne demandait qu’à s’en aller, salua et sortit[104].

Dupuy le fit attendre ; Mercier arriva à l’Élysée quand l’entretien était terminé. S’il a envoyé, de lui-même, le « gendarme » à l’Élysée pour y faire le récit des aveux, son premier mot aux deux présidents sera : « Le traître a donc avoué ! » Il n’en dit rien ; rien au président du Conseil ; rien au Président de la République !

Mercier et Dupuy rédigèrent, en présence de l’officier, une note pour l’Agence Havas, et la lui communiquèrent, afin qu’il s’en pénétrât. Lebrun-Renaud, interrogé par le ministre de la Guerre lui-même, « avait certifié n’avoir fait aucune communication à aucun organe ni représentant de la presse[105] ».

Ce mensonge permettra d’éluder les questions les plus inquiétantes de l’ambassadeur d’Allemagne. Il écarte le danger présent.

Politique constante de ces hommes qui représentent la République. À l’exemple de Louis XV, ils ajournent le déluge.

Lebrun-Renaud eut encore à essuyer les reproches du commandant de la garde républicaine, le colonel Risbourg, qui « le reçut fort mal » et l’interrogea à son tour. Il commença une longue histoire, « où il était question des colonies, d’élevage, du bordereau, des paniers de certaine ambassade où l’on avait ramassé des documents ». Risbourg « énervé » l’interpella : « Monsieur, précisez ! Avez-vous reçu des aveux[106] ? » Le capitaine balbutia la phrase qui avait paru dans les journaux de la veille[107].

Il déposera plus tard qu’en rentrant à la caserne[108], il aurait inscrit sur son carnet cette même formule qu’il avait tue au Président de la République et que son chef avait eu tant de peine à lui arracher, comme étant tout ce qu’il avait retenu de sa conversation avec Dreyfus[109]. Quoi ! il n’inscrit ses souvenirs dans son carnet qu’après avoir été stylé par ses chefs !

Le soir même, il retourna au Moulin-Rouge et raconta qu’il n’avait fait aucune communication aux journaux, parce que le condamné Dreyfus ne lui avait fait aucun aveu. Le juif tremblait après la parade ; l’officier le regarda fixement ; Dreyfus lui dit ces seules paroles : « J’ai froid, mon capitaine[110]. »

VI

Casimir-Perier, dans l’audience qu’il accorda à Munster[111], se montra aussi habile que digne.

La fiction constitutionnelle qui fait de lui le plus irresponsable des souverains lui pesait comme une lourde responsabilité. Cependant, il sut y rester fidèle, même dans cet entretien d’un caractère insolite.

Il a discerné nettement dans la dépêche allemande ce qui lui permettra à la fois de répondre à la question posée et d’atténuer les conséquences de l’incident.

Il dit à l’ambassadeur que, chef d’État irresponsable, il eût dû peut-être laisser au ministre des Affaires étrangères et, en son absence, au président du Conseil, le soin de s’expliquer. Mais il résulte du texte même de la dépêche, où son nom personnel est prononcé, que le chancelier allemand ne s’adresse pas seulement au Gouvernement français et à son chef. C’est comme une conversation particulière que l’Empereur allemand, par l’intermédiaire de son ambassadeur, désire avoir avec lui. Puisqu’il est fait appel à sa loyauté personnelle, l’incident est personnel, non diplomatique. Et il affirme au comte de Munster que la pièce, appelée le bordereau, a été trouvée à l’ambassade d’Allemagne.

Munster ne dissimula pas sa surprise : « Il n’est pas possible, dit-il, qu’une pièce importante se soit égarée ainsi à l’ambassade. — Si vous l’avez jugée sans grande importance, reprit Casimir-Perier, vous l’avez jugée comme nous-mêmes. » Il entendait par là que l’odieux de la trahison ne se mesure pas à la valeur des documents livrés.

La parole du Président défiait le doute ; son affirmation s’imposait d’autant plus qu’elle était inattendue. Hanotaux, à équivoquer sur l’origine du bordereau, s’était acculé dans une impasse. Casimir-Perier en sort par la vérité. La plus grande force qui soit au monde opère, le plus souvent, avec lenteur. Ici, brusquement, elle retourne la situation, et tout l’embarras est maintenant pour l’ambassadeur.

Il sait, d’une part, à n’en pas douter, qu’aucun agent allemand n’a eu de rapport avec Dreyfus ; et, de l’autre, désormais, que la pièce accusatrice vient de son ambassade. Mais, comme ces deux faits, également exacts, ne se peuvent concilier que par une erreur des experts et des juges, comme l’erreur ne peut avoir qu’une cause : l’existence d’un autre espion, comme il ignore tout de ce vrai traître, et, le connût-il, comme il n’a pas le droit de le dénoncer, il se trouve pris, à son tour, et réduit à demander à Casimir-Perier un moyen de se tirer d’affaire.

Le Président de la République a déclaré loyalement quelle est l’origine du bordereau ; il pensa pouvoir déclarer, s’attachant à la lettre de la dépêche impériale, qu’il n’impliquait pas l’ambassade d’Allemagne dans l’affaire du capitaine Dreyfus. « Rien, dit-il, de ce que nous avons n’établit que le document ait été sollicité. L’ambassade n’est pas plus responsable des papiers qui lui sont adressés que la France de ceux qu’elle peut recevoir. »

Ainsi, d’un même argument, il donna à la question précise qui lui était posée par l’Empereur allemand une réponse satisfaisante, et il écarta la question, non moins gênante, de la façon dont le bordereau était parvenu entre les mains de Mercier.

Réponse subtile et d’une habileté consommée. Elle dut pourtant coûter à Casimir-Perier. Non pas qu’il ait cru alors à l’innocence de Dreyfus. S’il a trouvé pauvre le dossier qu’il ne connaît que de la veille[112], il ne s’inclinait pas moins devant la chose jugée, et la croyait bien jugée. Mais, s’il ne lui répugne pas d’insinuer que le traître a pu s’offrir lui-même, il ne va pas jusqu’à croire que l’attaché militaire allemand n’a pas été en relations avec l’espion français, soit directement, soit par l’intermédiaire de l’attaché italien. C’est ainsi qu’il rattache, d’après les dossiers qu’il a vus et les affirmations de Mercier, la pièce Canaille de D… au bordereau[113]. Et, comme le texte du bordereau montre cet espion harcelant l’attaché allemand qui le laisse sans nouvelles, cela suffisait pour permettre de dire qu’on n’avait nulle preuve que le document eût été sollicité ; le bordereau, en effet, ne l’a pas été, offre misérable de misérables renseignements. Mais Casimir-Perier n’eût pas attesté qu’il croyait Schwarzkoppen étranger au crime de Dreyfus ; et cependant, cette conviction qu’il n’a pas, il se l’attribue devant le représentant du souverain qui s’adresse à lui.

Ainsi l’équivoque subsistait. Le Président de la République refusait, dans son for intérieur, d’accepter la parole impériale que Dreyfus n’a eu aucun rapport, direct ou indirect, avec aucun agent allemand, et il s’accrochait à l’hypothèse d’un mensonge intéressé de Schwarzkoppen. Munster, d’autre part, confiant dans l’absolue loyauté de son interlocuteur, lui prêtait une pensée qu’il était loin d’avoir, mais son soupçon de quelque affreuse erreur devenait une certitude. Et, de même Schwarzkoppen qui, par la suite, dans ses conversations, n’hésitera pas à désigner Du Paty comme l’auteur responsable de cette erreur. Il continuera à le voir chez Mme D’Orval, et, comme il lui parle « plus poliment que sincèrement, à la française[114] », l’infatué marquis croit l’attaché allemand « très heureux qu’il lui ait évité tous les pièges tendus pour le mettre personnellement en cause[115] ». Mais, aux manœuvres de 1896, un jour que l’attaché militaire suisse, le colonel Chauvet, l’entretiendra de l’affaire Dreyfus, Schwarzkoppen montrant Du Paty, dira « qu’il ne voudrait pas avoir la conscience de cet homme ni être dans sa peau[116] ».

La déclaration de Casimir-Perier consommait le sacrifice d’un innocent, mais elle écartait toute possibilité de conflit. Il n’y avait d’humiliation pour personne.

Le reste devenait facile. Casimir-Perier poursuivit ses avantages. Le chancelier allemand demande une déclaration formelle. Le Président propose qu’une nouvelle note officielle soit publiée. Il ne lui appartient pas de la rédiger ; c’est affaire au président du Conseil. Mais comme déjà d’autres notes ont été publiées, il y aura intérêt à ce que la nouvelle n’en diffère pas beaucoup, parce que des divergences seraient recherchées, marquées, et deviendraient un nouvel élément de discussion. Il y aura avantage aussi à ce que la note vise toutes les ambassades et légations, parce qu’une note qui n’eût visé que l’ambassade d’Allemagne aurait fait planer sur les autres un soupçon immérité. Il sera donc affirmé qu’aucune ambassade ou légation étrangère n’est « impliquée », puisque c’est le mot de la dépêche, dans l’affaire. « Nous avons arrangé d’autres affaires, insistait Casimir-Perier ; il faut que celle-ci ne s’envenime pas. »

L’entretien s’achevait, en grande douceur, sans que le nom de Dreyfus eût été prononcé autrement que pour désigner l’objet du litige.

Munster portait à Casimir-Perier une sincère amitié ; il était très désireux d’en finir au plus vite. Il accepta l’idée d’une note, promit d’en référer, le jour même, à Berlin, et, ne doutant pas de la réponse affirmative, demanda un nouveau rendez-vous, pour le jour suivant, avec le président du Conseil. Casimir-Perier s’empressa de le lui assurer par téléphone.

La partie était gagnée. Le lendemain, 7 janvier, Dupuy, après s’en être entretenu avec Casimir-Perier, proposa à Munster la note suivante, qui serait publiée par l’Agence Havas :

« À la suite de la condamnation de l’ex-capitaine Dreyfus par le conseil de guerre, certains journaux continuant à mettre en cause[117] les ambassades étrangères à Paris, nous sommes autorisés, pour empêcher l’opinion de s’égarer, à rappeler la note communiquée à cet égard dès le 30 novembre 1894. »

Ce projet, télégraphié à Berlin, fut accepté le lendemain. Le 9, Munster vint l’annoncer lui-même à Casimir-Perier, et dit que l’incident devait être considéré comme clos. La note parut dans les journaux du soir[118]. Tout était réglé quand Hanotaux rentra à Paris.

Victoire nouvelle de la paix, non de la vérité. Rien n’était changé ; il n’y avait qu’une note de plus. L’empereur Guillaume, s’il accepta l’explication diplomatique du Gouvernement français, continua à affirmer que Dreyfus n’avait eu de rapports avec aucun agent allemand, s’irrita du mystère et n’approuva l’attitude de son ambassadeur qu’après avoir reçu ses explications verbales[119] ; mais il pensait avoir fait son devoir, ayant cherché à sauver un innocent sans livrer son agent, — ignorant d’ailleurs que celui-ci était l’auteur du crime, — et à dégager l’Allemagne sans compromettre la paix. Casimir-Perier croyait à la culpabilité du condamné, et, lui aussi, il pensait n’avoir point de reproche à se faire, ayant réussi à satisfaire la fierté allemande, sans que la fierté française en souffrît la plus légère atteinte. Dès lors, le crime du juif restait un article de foi pour la France, un ténébreux mystère pour presque tout le monde civilisé. La France voyait le drame à travers le daltonisme de sa colère ; le monde, d’une vision plus claire, distinguait, dans les ténèbres, mille sujets de doute. Quand nul intérêt personnel n’est en jeu, quand toute passion se tait, sauf la curiosité du vrai, il n’est pas malaisé de raisonner juste. Ainsi raisonnait le monde. Ivre de passions sincères et de passions factices, la France déclamait. Pour la France, la parade d’exécution, c’était la fin de la tragédie : « Dreyfus n’est plus un homme, c’est un numéro de la chiourme[120] » ; le climat de l’île du Diable « moins délicieux que celui de la Nouvelle-Calédonie[121] » fera le reste, et le forçat, alors, aura payé sa dette[122]. Tous les peuples civilisés avaient frémi au récit des scènes sauvages de l’École militaire ; Dreyfus n’y avait point paru un comédien ; et les penseurs se consolaient de l’angoisse que la pensée d’une erreur judiciaire met au cœur des justes par l’intime certitude que la vérité éclaterait un jour. Sur cette page que la France croyait être la dernière, ils écrivaient : « La suite prochainement[123]. »

VII

Le remous même de la tempête, où avaient éclaté tant de fureurs insoupçonnées, alarmait le Gouvernement. L’incident allemand était l’œuvre de la presse. Le maintien de l’ambassadeur allemand à Paris avait été subordonné par l’Empereur au désaveu officiel des journalistes qui l’avaient diffamé. Il n’en eût pas voulu pour goujats d’écurie, mais il ne se résignait pas à leurs outrages. Faiblesse d’esprit qui semblait inexplicable aux politiques français, cuirassés contre l’injure ; mais grave avertissement pour l’avenir. L’habileté, l’autorité morale de Casimir-Perier avaient dissipé le nuage en une heure. Tant que les journaux s’acharneraient contre le condamné, de nouveaux périls pouvaient surgir de leurs imaginations et de leurs insultes.

Mercier avait senti passer le vent du glaive. Par la suite, il inventa toute une scène tragique, une nuit à l’Élysée où il serait resté pendant quatre heures, jusqu’après minuit, à attendre avec le Président de la République et Dupuy si la guerre ou la paix allait sortir des communications télégraphiques qui s’échangeaient entre l’Empereur allemand et le comte de Munster. Cependant, au ministère de la Guerre, Boisdeffre, entouré d’officiers, se tenait prêt à expédier immédiatement les ordres de mobilisation[124]. Misérable roman, forgé sans vergogne pour justifier, par la crainte de l’Allemagne, la communication des pièces secrètes[125], antérieure de dix jours à la note du chancelier. Casimir-Perier, dès qu’il connut l’impudent mensonge, infligea à Mercier un dur démenti[126], et Mercier s’enlisa dans sa propre imposture.

Il avait assigné d’abord à cette scène la date du 6 janvier[127], alors que la conversation de Casimir-Perier avec Munster avait, dès l’après-midi de ce jour, écarté tout danger, que Munster avait pris pour le lendemain rendez-vous avec Dupuy, que la réponse du chancelier arriva le 7 et que Boisdeffre, loin de préparer des ordres de mobilisation, était, le 6, absent de Paris, où il ne rentra que tard dans la soirée[128], Il déclara ensuite qu’il ne pouvait retrouver la date de cette nuit si pleine d’angoisse[129], où la France avait été « à deux doigts de la guerre », date impossible à découvrir, en effet, et qui ne fut pas retrouvée davantage par Boisdeffre, ajoutant son faux témoignage à celui de son chef, puisque tout ce récit n’est qu’une fable[130].

Pourtant l’inquiétude de Mercier avait été réelle, ignorant qu’il était des choses de la diplomatie et conscient de son crime. Si Boisdeffre, moins nerveux, était allé à la chasse, Gonse avait passé dans les transes cette après-midi du 6. Picquart, rentrant de Versailles, avait appris que Gonse, la veille dans la nuit, était venu chez lui. Il courut chez son chef, et Gonse lui confia l’incident diplomatique, s’en désola plus d’une heure durant, exhala ses craintes[131]. Mais rien des aveux[132], ni ce jour-là, ni les jours suivants.

Cependant, trois ans plus tard, Gonse a produit une lettre, datée de ce même jour, où il raconte, avec force détails, que Lebrun-Renaud a fait à Mercier le récit complet des aveux de Dreyfus, « demi-aveux ou commencement d’aveux, mélangés de réticences et de mensonges », et que le traître est convenu d’avoir livré, non des originaux, mais des copies[133]. Ce rapport, Gonse l’aurait fait porter chez Boisdeffre pour qu’il l’eût dès son retour. Boisdeffre, le lendemain, le lui aurait rendu, « en raison de son importance, pour qu’il le gardât comme un souvenir et comme un témoignage des aveux[134] ». — Ailleurs, se contredisant, Gonse prétend qu’il en avait lui-même gardé copie[135]. — Or, chose étrange, dans cette lettre, dont la place était au dossier de Dreyfus, Gonse ne fait même pas allusion à l’incident allemand. Pendant que Mercier et Gonse étaient émus au point de redouter une déclaration immédiate de guerre, Boisdeffre était allé à la campagne. Pourtant, le développement de l’incident devait intéresser le chef de l’État-Major. Mais Gonse s’en tait ; il ne l’informe que de ces aveux dont il n’a rien dit à Picquart !

Il est manifeste que cette lettre a été écrite après coup, et datée, par un faux audacieux, du 6 janvier 1895[136].

VIII

Gonse n’avait point parlé des aveux à Picquart, non seulement parce que son inquiète pensée était occupée d’un autre sujet, mais parce que Mercier avait ordonné de laisser l’imprudente calomnie tomber dans l’oubli.

« Incidemment », et « quatre ou cinq jours après », Mercier dit à Casimir-Perier, sans préciser, que « Dreyfus, du reste, avait fait des aveux[137] ». Mais il n’en dit rien aux ministres, ses collègues[138], et Boisdeffre s’en tait, et Gonse, et Sandherr, et Henry. Ils s’en taisent tous, à Forzinetti comme à Cordier[139] et à Picquart. Et Dreyfus surtout en est laissé dans l’ignorance[140] ; défense de laisser aucun bruit du dehors venir à lui ; défense aux siens, quand ils le verront dans sa prison, de lui dire un mot, un seul mot de son procès ; il ne connaîtra ce nouveau mensonge, pour la première fois, que quatre années plus tard, le 8 janvier 1899, par la commission rogatoire de la Cour de cassation[141].

La consigne du silence ne fut pas donnée qu’aux officiers, mais à tous les amis qu’on avait dans les journaux. La note officielle niait seulement que Lebrun-Renaud eût fait des communications à la presse[142] ; elle fut acceptée, comme un démenti de tous les propos, exacts ou non, prêtés à Dreyfus. Plus personne ne reparle des aveux, ni Barrès, ni Judet, qui, sans perdre une heure, en avaient tiré argument, ni Drumont, ni Rochefort, dont les journaux en avaient triomphé.

À Clisson, qui a raconté la protestation d’innocence de Dreyfus, il semblait que la Libre Parole eût dû répondre : « Vous mentez ! Lebrun-Renaud n’a pu vous tenir ce langage, puisque Dreyfus, au contraire, lui a fait des aveux. » Mais comme l’ordre est d’étouffer la naissante légende, le journal des jésuites se contente d’accuser Clisson d’être un partisan caché du traître. Serait-il l’ami de Dreyfus comme il le fut de Crémieu-Foa[143] ?

Les aveux, même incomplets, c’est la confirmation du crime. La manœuvre a échoué par suite de la note allemande et des bavardages du Moulin-Rouge. Alors, d’un seul coup, en une heure, toute la presse retourne ses batteries. L’armée d’Ignace n’obéit pas plus promptement à son général. Silencieuse sur les aveux, elle donne toute d’une voix pour dénoncer à l’indignation « la cynique attitude du traître[144] » ; Dreyfus persiste, à la prison de la Santé, comme au Cherche-Midi, à protester, « bien vainement du reste[145] », qu’il a été condamné à tort, « à jouer la comédie de l’innocence, même devant les siens[146] ».

Les journaux ont reçu communication de la notice individuelle qui accompagnera Dreyfus à l’île du Diable : « Dreyfus n’a exprimé aucun regret, fait aucun aveu, malgré les preuves irrécusables de sa trahison ; en conséquence, il doit être traité comme un malfaiteur endurci, tout à fait indigne de pitié[147]. » Cet état signalétique suivra le martyr au bagne, sans qu’il y soit changé une virgule. Châtiment de son refus d’avouer, le traitement impitoyable est maintenu, renforcé.

Et, puisque tous ceux qui ont été émus de son cri d’innocence sont aussi criminels que lui, les journalistes du Sabre les dénoncent avec rage. « La campagne du doute est odieuse, infâme[148]. » « Plaider la cause du traître Dreyfus, après le jugement du conseil de Guerre, est une honte, ce n’est pas français[149]. » « Si la légende pouvait s’établir qu’on a frappé un innocent, alors il faudrait regretter la solidité des barrières et la mollesse de la foule. Mieux eût valu cent fois que Dreyfus ne fût pas sorti vivant de l’École militaire et qu’il eût été écartelé sur place[150]. » « Il est honteux que des journaux aient publié des récits émouvants des entrevues de Dreyfus et sa femme[151]. » Et encore : « Non, il ne faut pas qu’elle naisse cette légende de l’innocence, c’est-à-dire de la condamnation morale d’officiers qui représentaient l’armée tout entière[152] ! »

Je cherche en vain les noms, les articles des mauvais citoyens qui se sont rendus coupables de ce crime nouveau : le Doute. Nul n’a poussé l’audace jusqu’à confier ses angoisses au papier ; quelques-uns seulement en ont causé, à mi-voix. Mais la tentation leur pourrait venir d’épancher leurs cœurs trop pleins, trop lourds. De là, contre l’éventuelle campagne du doute, cette campagne d’intimidation. La peur d’être dénoncés comme des complices du traître, vendus aux juifs, arrêtera ces téméraires. Il y a une terreur pire que celle de la guillotine : c’est celle de l’égout.

Cependant, un homme a parlé, un seul, et celui dont la parole inspire le plus de crainte, parce qu’il connaît le dossier. Le jour même de la parade d’exécution, un journaliste a interrogé Demange ; il a répondu : « Le capitaine Dreyfus, puisqu’il est condamné, est coupable aux yeux de tous. Je m’incline devant l’arrêt. Mais à part moi, dans mon for intérieur, je demeure persuadé de la façon la plus absolue de son innocence ; ma conviction n’est pas changée[153]. » Ces paroles, il les répète partout, dans les couloirs du Palais de Justice, à Dupuy lui-même[154].

Et cela doit cesser. Sur un autre mot d’ordre, la presse dénonce Demange comme l’instigateur payé de ces coupables manœuvres. Ce droit sacré de la défense qui ne s’arrête pas à la sentence, le journal d’Édouard Hervé le conteste[155]. L’avocat connaît la preuve matérielle du crime que le Gouvernement ne peut pas publier, sans risquer « d’amener la guerre » : qu’il se taise ! « La robe, écrit un autre, ne doit pas couvrir le mensonge[156] ». Plus vil encore, le Petit Journal invite Demange à se contenter de ses honoraires « qu’il a bien gagnés, si larges qu’ils soient ». « Que l’avocat perde ou non le sens de sa dignité dans les mollesses courantes, les roueries secondaires de son labeur quotidien, cela ne regarde pas que le Conseil de l’ordre. » De « vilaines aventures » le pourraient surprendre. On le peut excuser d’avoir accepté la défense d’un traître, « curieux d’ajouter à sa galerie un monstre ». Mais, « si le vertige avant la sentence s’explique, la continuation du plaidoyer après la sentence serait presque de la complicité[157] ».

C’est une des pires ignominies de cette histoire.

Ainsi, au nom de la férocité et des plus bas intérêts érigés en patriotisme, défense à l’avocat de dire ce que lui commande sa conscience, défense au penseur qui a été ému de dire son angoisse, défense au journaliste d’écrire qu’une femme a gardé sa foi au plus malheureux des hommes, défense à l’épouse d’embrasser son mari condamné.

Et cette presse qui a allumé l’incendie, maintenant que le feu a consumé tout ce qu’il a pu brûler, s’indigne des ruines qui lancent leur fumée vers le ciel. Hier, affamée de cruauté, parce que les clameurs de la foule affolée servaient les desseins de la Congrégation et ses propres passions, elle réclame aujourd’hui le silence, parce que la discussion, le crime une fois accompli, gênerait la cristallisation des haines de race et de religion dans l’âme populaire. Tous les moyens sont bons pour imposer ce silence : outrages, calomnies, menaces, appels aux fureurs de la rue, et, plus honteux encore, appels à la peur de l’étranger et de la guerre. « Cette querelle n’est entretenue que par les reptiles d’Outre-Rhin. Il y va de la sécurité du pays. Si Dreyfus n’est pas tué, que son affaire soit morte pour toujours[158] ! » Le silence se fit.

IX

Un événement imprévu, qui parut inexplicable, détourna de ces dernières polémiques les esprits lassés.

Le 15 janvier, Casimir-Perier donna sa démission de Président de la République.

Depuis quelques semaines, il s’était fortifié, à la fois par découragement et par une haute notion du devoir, dans son projet de se démettre de ses fonctions. Il s’en était ouvert, dès l’automne, à quelques amis dont j’étais[159]. Nos objurgations lui parurent démenties par l’événement. L’ami, dont l’éloquente objection eût pu l’arrêter, était mort. Il eût voulu que Burdeau fût remplacé à la présidence de la Chambre par un de ses amis politiques. Les ministres avaient opposé leur veto à la candidature du ministre de la Marine, Félix Faure, et la Chambre avait préféré Brisson à Méline. La marée montante des scandales lui causait un amer dégoût. L’esprit public risquait de s’y corrompre. L’affaire Dreyfus n’avait pas été seule à alimenter l’appétit malsain des foules. Des fournisseurs avaient été arrêtés pour concussion, une fournée de journalistes pour des tentatives de chantage[160]. Le Gouvernement se faisait gloire de ces poursuites, étalant sa vertu. Tout semblait corrompu dans ce pays si profondément honnête. Le chef de l’État continuait à n’être informé des grandes et des petites affaires que par les journaux. Hanotaux lui refusait toujours la connaissance des dépêches. S’il avait conjuré le danger allemand, il restait exposé à s’entendre dire un jour, dans des circonstances peut-être plus graves, par un ambassadeur étranger, que ses déclarations n’étaient pas conformes à celles du ministre des Affaires étrangères de France[161]. Systématiquement, les ministres réduisaient la Présidence de la République à n’être plus qu’une machine à signatures. Cependant, socialistes, césariens, démagogues de toutes sortes, s’excitaient à poursuivre contre le chef de l’État leur campagne de diffamations et d’injures. Jaurès avait défendu devant le jury, dans un plaidoyer plus cruel que l’article poursuivi, le plus violent de ses insulteurs[162]. La Cour d’assises de la Seine n’avait pas plus tôt condamné Gérault-Richard à un an de prison[163], qu’un arrondissement de Paris l’élisait député. Casimir-Perier reçut ce soufflet le jour même ou il réglait l’incident soulevé par l’Empereur allemand. Cette coïncidence lui parut ajouter l’ingratitude à l’outrage. En vain, pour panser cette blessure, la Chambre avait-elle renoncé à l’un de ses plus anciens privilèges, refusé de suspendre la détention de l’élu du XIIIe arrondissement[164]. Ce vote n’avait été emporté qu’avec le concours de la droite ; les chefs du parti radical[165] avaient voté avec l’imposante minorité, toute républicaine. La défiance, la haine qui s’acharnaient contre Casimir-Perier malgré tant d’années de dévouement à la République, c’était, pour sa sensibilité nerveuse, une perpétuelle souffrance. Mais il s’en inquiétait encore pour sa magistrature elle-même, qui se trouvait diminuée, croyait-il, par tant d’injustice. Il pensait ne pas pouvoir ramener l’opinion égarée. Et la Présidence de la République, sans la confiance de la nation, n’est rien.

Une querelle de contentieux administratif ouvrit la crise.

À quelle date la garantie d’intérêt, assurée par les conventions de 1883 aux grandes compagnies de chemins de fer, finirait-elle pour deux d’entre elles, Orléans et Midi ? En l’absence de toute clause écrite, les compagnies prétendaient que la garantie ne finirait qu’avec la concession, en 1956 ; le Gouvernement et le ministre qui avait présidé aux négociations de 1883, Raynal, soutenaient que la date de 1914, fixée aux anciennes conventions, n’avait pas été abrogée par les nouvelles. Débat surtout théorique, la probabilité étant que la garantie, dans la prospérité croissante, cesserait de jouer bien avant 1914.

Barthou, ministre des Travaux Publics, porta la question devant le Conseil d’État, qui, le 12 janvier 1895, la trancha en faveur des compagnies. Friand de popularité parlementaire, le ministre donna sa démission, alléguant que son attitude antérieure ne lui permettait pas d’appliquer l’arrêt du Conseil[166]. Dupuy le pria de garder son portefeuille[167]. Barthou s’obstina. Poincaré, ministre des Finances, annonça son intention de le suivre dans sa retraite. Les ministres se réunirent, le 14 au matin, à l’Élysée, informèrent le Président de la République. C’était la crise. Belle occasion pour le Cabinet d’affirmer son indépendance à l’égard des grandes puissances d’argent. Comme l’arrêt était sans appel, Casimir-Perier, le riche Perier, l’homme d’Anzin, aurait seul la responsabilité de l’accepter. Le Président vit le piège, refusa d’y tomber, déclara que sa propre démission accompagnerait celle des ministres.

Les ministres cédèrent, sauf Barthou, déjà parti. Ils iraient se faire renverser par la Chambre. Dupuy, Poincaré, l’un brutal, l’autre subtil, pousseraient à leur propre chute.

Millerand interpella, reprochant au Gouvernement d’avoir créé le litige, engagé à tort l’action devant le Conseil d’État, au lieu d’inviter le Parlement à affirmer sa volonté souveraine. Il proposa, au nom des socialistes, la nomination d’une commission d’enquête chargée de statuer sur la mise en accusation de Raynal, pour crime commis dans l’exercice de ses fonctions, comme si le silence des conventions avait été le prix de quelque honteux trafic ou l’abandon volontaire des droits de l’État. Raynal était des amis personnels de Casimir-Perier et l’un de ses anciens collaborateurs.

Bravement, Raynal demanda à ses amis de le renvoyer devant la Haute Cour de justice, « pour y confondre les affamés de scandales et les professionnels de la calomnie ». Il appartenait au président du Conseil de s’opposer à l’audacieuse motion ; il dit n’avoir rien à ajouter à la déclaration de Raynal, et chercha à justifier l’attitude du Gouvernement, simple plaideur exposé soit à perdre soit à gagner, son procès. Il fut écouté dans le silence. Barthou se fit applaudir en expliquant sa démission. La motion des socialistes fut adoptée par trente voix de majorité. Par manière de représailles, une portion du centre refusa de voter l’ordre du jour de confiance que réclamait Dupuy. Poincaré, dans des conversations de couloirs, poussa ses propres amis à voter contre le ministère dont il faisait partie. Une majorité de vingt-deux voix renversa le cabinet[168].

Les ministres portèrent leur démission au Président de la République ; il annonça aussitôt la sienne. Il voyait une nouvelle injure dans le vote sur la mise en accusation de Raynal, avec le sentiment très net que le Cabinet s’était laissé battre pour le découvrir lui-même. Il était résolu à ne pas appeler les radicaux vainqueurs[169] au pouvoir. Les ministres combattirent son dessein. Il les congédia, mais pria Félix Faure, dont l’attitude à son égard avait toujours été correcte, de le venir voir dans la soirée.

Il lui exposa alors les raisons qui le déterminaient, sa conception personnelle de la Présidence de la République. Félix Faure lui répondit qu’il en avait une autre, mais qu’il agirait comme lui, s’il s’en faisait cette idée[170]. Il était sincère, mais il avait, lui aussi, rencontré les sorcières sur la lande.

Casimir-Perier se garda, le lendemain, de consulter ou seulement de prévenir ses amis. Il n’avisa que le président du Sénat, Challemel-Lacour, qui vivement l’objurgua, mais en vain. La nouvelle éclata, dans la soirée, à la surprise de tous[171].

Le 16, les Chambres écoutèrent la lecture du message dans un silence hostile, coupé de murmures. « Si on ne refuse pas un poste au moment du danger, écrivait Casimir-Perier, on ne conserve une dignité qu’avec la conviction de servir son pays. » Il ne se résignait pas « à comparer le poids de ses responsabilités morales et l’impuissance à laquelle il était condamné ».

Le blâme fut universel comme l’étonnement. Ceux-ci l’accusèrent de désertion, ceux-là de caprice. Ceux qui rendaient hommage à la noblesse de la pensée blâmèrent la faiblesse de l’acte.

L’opinion, à l’étranger, ne fut pas moins sévère. Les plus modérés répétaient les mots de défaillance et de couardise morale, de susceptibilité coupable[172]. Les socialistes allemands poussèrent un cri de triomphe : « Aux compagnons français qui ont livré le combat d’avant-garde revient le mérite d’avoir renversé cet homme[173] ! » Toute l’Europe conservatrice s’effraya de leur victoire, n’attribuant qu’aux injures de la presse socialiste une pareille défection. L’Empereur allemand avait été informé des premiers par une dépêche. Il courut chez l’ambassadeur de France, Herbette, qui était encore couché, ne savait rien et ne put lui fournir aucune explication[174].

Le mécanisme de la Constitution fonctionna, de nouveau, avec une régularité d’horloge. Challemel-Lacour fixa au lendemain, 17, la réunion du Congrès.

Les radicaux et les socialistes portèrent Brisson. C’était sa quatrième candidature à la Présidence de la République. Les républicains se partagèrent entre Félix Faure et Waldeck-Rousseau, qui avait hésité tout le jour à céder aux instances de ses amis, et ne se décida que vers le soir, trop tard, Faure ayant déjà pris position. La droite royaliste hésitait. À la dernière heure arriva une dépêche du duc d’Orléans. Le prétendant ordonnait de voter pour Faure, qui s’était prononcé autrefois contre l’expulsion des princes. Et quelqu’un, déjà, songeait qu’il serait facile à intimider par l’opportune révélation d’un vieux drame de famille[175], à « faire marcher » par d’odieuses menaces.

Mercier n’osa pas poser ouvertement sa candidature, mais il fit distribuer un placard qui la recommandait : « En 1887, le Congrès a élu Sadi-Carnot, parce qu’il avait refusé de se prêter aux tripotages de Wilson ; en 1895, le Congrès doit élire celui qui a livré au conseil de guerre le traître Dreyfus. » Général patriote, il était « le candidat des patriotes, des honnêtes gens, des vrais républicains ». Casimir-Perier, avant de donner sa démission, « a rêvé d’un coup d’État » ; Challemel-Lacour l’y encouragea ; mais Mercier a refusé son concours, fait échouer le complot. Le placard, comme un prospectus de dentiste américain, était orné du portrait du général.

Mercier eut trois voix. La droite vota pour Faure, sauf quelques bonapartistes qui donnèrent leurs voix à Brisson. Presque tous les sénateurs républicains, une trentaine de députés votèrent pour Waldeck-Rousseau ; Brisson arriva en tête du premier tour de scrutin. Waldeck-Rousseau se désista alors en faveur de Faure qui fut élu par 430 suffrages contre 361 à Brisson.

Une tempête éclata sur les bancs de l’extrême gauche : « À bas les vendus ! C’est le Président des droites ! Il ne sera plus là dans trois mois ! À Mazas[176] ! »

Félix Faure, avec beaucoup de correction, confia au chef des radicaux, Bourgeois, le soin de former un ministère. Bourgeois, après de longues négociations, échoua dans sa mission. Le nouveau Président appela alors Ribot qui constitua son cabinet en vingt-quatre heures. Ribot prenait la présidence du Conseil avec les Finances, donnait les Sceaux à Trarieux, gardait Hanotaux aux Affaires étrangères, faisait passer Leygues de l’Instruction publique à l’Intérieur et Poincaré des Finances à l’Instruction publique, s’adjoignait quelques hommes nouveaux, Dupuy-Dutemps, Chautemps, qui représentaient l’élément radical, le sénateur Gadaud et André Lebon.

L’attribution des portefeuilles de la Guerre et de la Marine fut ajournée jusqu’après la première rencontre du Cabinet avec la Chambre. Le message présidentiel dispensait Ribot d’une déclaration ministérielle ; mais il accepta aussitôt une interpellation de Goblet. S’étant prononcé pour une politique « d’union républicaine et de progrès démocratique », il obtint une majorité écrasante, 329 voix contre 79. Puis Trarieux déposa un projet d’amnistie qui fut voté, séance tenante, à l’unanimité moins quatre voix[177]. Rochefort allait pouvoir rentrer en France.

Mercier souhaitait ardemment conserver son porte-feuille. Mais ses maladresses, le cynisme avec lequel il exploitait la condamnation de Dreyfus, se faisant gloire d’un événement douloureux, jouant à l’incorruptible et au seul patriote, sa tentative de recommencer, à son profit, l’aventure de Boulanger, jusqu’au misérable placard qui avait été distribué le jour du Congrès, son arrogance et sa bassesse avaient écœuré tous les républicains. Ils n’étaient pas moins édifiés sur son incapacité. Ribot n’avait pas songé un instant à conserver un tel collaborateur.

Il le remplaça par le général Zurlinden et appela l’amiral Besnard à la Marine[178].

Rochefort, Drumont, le moine de la Croix, firent l’aumône d’un regret à l’instrument, désormais inutile, de leurs haines. Millevoye lui consacra un article lyrique : « La revanche de Dreyfus. » Le premier acte de Ribot avait été de sacrifier le justicier à l’Allemagne, aux juifs, aux cosmopolites, au monde des pots-de-vin et des coups de bourse. « Et voilà Dreyfus vengé ! Le voyage aux Îles du Salut lui sera moins amer[179] ! »

Deux jours après[180], le nouveau ministre des Colonies réclamait la discussion immédiate du projet de loi sur les îles du Salut. Le projet fut adopté, sans débat, à mains levées.

X

Pendant la nuit qui suivit l’élection de Félix Faure, Dreyfus fut brusquement réveillé dans sa cellule, à la prison de la Santé, et jeté dans un train de forçats, à destination de La Rochelle et de l’île de Ré.

Depuis la parade d’exécution, le no 164 appartenait à l’Administration pénitentiaire (ministère de l’Intérieur). Son attitude à la Santé fut la même qu’au Cherche-Midi, si ferme et si touchante que le directeur. Patin[181] se convainquit, tout comme Forzinetti, que son prisonnier était innocent. La virile douleur de ses lettres, l’héroïque tendresse des lettres de sa femme, parlaient plus haut à ce simple fonctionnaire, habitué aux criminels, mais bon et sincère, que les hurlements de la foule et le verdict des sept officiers.

Dreyfus, en arrivant à la Santé, avait eu d’abord une heure de détente horrible, pleurant et sanglotant comme un enfant, tout le corps secoué par la fièvre. Puis il s’était repris : « Pourvu, mon Dieu ! que mes forces physiques ne m’abandonnent pas ! » Il rappelait à sa femme qu’en lui promettant de vivre il lui avait fait le plus grand des sacrifices ; il tiendrait sa parole. Mais ses souffrances étaient atroces. L’horreur qui s’attache à son nom, « cette atmosphère de mépris qui entoure le nom de sa femme », sont une torture de tous les instants. Cependant, il pardonne à cette foule sauvage, comprend sa fureur contre un officier accusé de trahison. Sa femme le remerciait de son courage, lui parlait de ses enfants qui croyaient leur père en voyage, si heureux, « si inconscients de la vie ». Elle ne faiblira pas à sa noble mission : « Je ne pense qu’à toi, je ne veux vivre que pour toi et dans l’espoir de te retrouver bientôt[182]. » Il avait le courage du soldat, mais se demandait parfois s’il saurait avoir l’âme du martyr[183], s’excusait d’exhaler sa douleur. « Comment deux êtres comme nous peuvent-ils être si cruellement éprouvés !… Te souviens-tu des projets charmants que nous avions ébauchés pour cet hiver ? Nous devions enfin profiter un peu de notre liberté, aller, vers cette époque, comme deux jeunes amoureux, nous promener au pays du soleil… J’ai mis les photographies des enfants devant moi, sur la toilette de ma cellule. Quand je les regarde, mon cœur se fend, mais cela me fait en même temps du bien… Le temps passe lentement. Comment dépenser mon énergie, faire taire mon cœur ? J’envie le casseur de pierres sur les grandes routes, abruti dans son travail machinal. » Mais il se roidissait contre la douleur, domptant ses nerfs : « il faut que je supporte tous les calvaires jusqu’au jour où mon innocence éclatera. » Comment déchiffrer l’énigme ? Il roulait mille projets extravagants dans sa cervelle, et cependant ne trouvait rien, ne savait qu’une chose qu’il répétait sans cesse : « Il faut que l’on reconnaisse que mon honneur est aussi haut placé que celui de qui que ce soit au monde… Il faut chercher, toujours chercher. Si je pouvais endormir mon cerveau jusqu’au jour où l’on aura trouvé le coupable ! » Il essayait en vain de lire. Des frissons le secouaient chaque fois que lui revenait la pensée de l’horrible parade, si récente. Il s’efforçait de revivre dans le passé : « Nous étions si heureux ! Tout nous souriait dans la vie. Te souviens-tu quand je te disais que nous n’avions rien à envier à personne ? » Il lui donnait des conseils pour l’éducation des enfants : « Fais d’eux des êtres vigoureux et sains[184]. »

Au bout de six jours, il leur fut permis de se voir, non seul à seul, mais en présence du directeur et avec défense d’aborder aucun sujet touchant au procès[185]. Ce sera la terreur constante des gens du ministère de la Guerre qu’un bruit du dehors parvienne au prisonnier. Ils se revirent, une autre fois, trois jours après[186]. Il puisait un nouveau courage dans ces courtes visites ; elle l’aimait comme elle ne l’avait jamais aimé : « Quelle profonde admiration j’ai pour toi !… Je suis fière de porter ton nom. Lorsque les enfants auront l’âge de comprendre, ils te seront reconnaissants des souffrances que tu as endurées pour eux[187]. » Mais les émotions, la fatigue l’avaient épuisée ; elle tomba malade, dut prendre le lit. Ce fut pendant cette maladie que Dreyfus fut emmené de Paris, sans qu’elle en ait été seulement avertie. Cet ordre fut le premier acte de la nouvelle Présidence.

Le délégué du ministère de l’Intérieur, Bouillard, fut brutal, bousculant le prisonnier, lui donnant à peine le temps de s’habiller. Il faisait un froid terrible. Toute la nuit, il fut enfermé dans l’une des cellules du wagon pénitentiaire, les menottes aux mains et les fers aux pieds, grelottant de fièvre. Il ne sentait plus ses membres engourdis et gelés. Au matin, il n’obtint qu’avec beaucoup de peine un peu de café noir et de pain.

À la Rochelle, où le convoi des forçats arriva vers midi, « aucune mesure d’ordre n’avait été prise[188] ». Bientôt, le singulier manège du délégué du ministre, des gardiens allant et venant avec des chuchotements et des allures de mystère, éveilla l’attention de quelques curieux. On devina qu’il y avait, dans cette voiture cellulaire, un prisonnier important. Puis une indiscrétion fut commise, le nom de Dreyfus prononcé courut la ville, et de tous côtés des groupes se formèrent, se massèrent autour de la prison et de la gare. Du wagon où il était enfermé, Dreyfus entendait cette foule tumultueuse, les clameurs furieuses : « À l’eau ! À mort le traître ! »

Comment transférer le condamné au port où mouillait le bateau de l’île de Ré ? On attendit la nuit ; on doubla les postes de soldats, baïonnette au canon. Mais la foule grossissait toujours, s’exaspérant de sa propre colère. Enfin, on le fit descendre du wagon, enveloppé d’un grand caban, et des gardiens le conduisirent vers la place par un chemin détourné. Quand il y parut, séparé seulement de la foule par une barrière, « les clameurs redoublèrent, devinrent effroyables ». Une bousculade se produisit. Un instant, il se trouva presque seul au milieu des manifestants. « Les coups de canne et les coups de poing pleuvaient sur lui sans relâche[189]. » Un officier d’infanterie le frappa du pommeau de son sabre[190]. Impassible, il offrit son corps à la foule, repoussa les gardiens qui cherchaient à le protéger, responsables de lui ; il eût voulu parler, crier son innocence. Mais les hurlements : « À l’eau ! À mort ! » ne cessaient de retentir, d’une folie croissante. « Des mains se tendaient pour l’empoigner[191] ». Alors deux gendarmes le prirent par les épaules et le traînèrent jusqu’à une voiture où ils le jetèrent, « lamentable chiffon, écrit le collaborateur de Drumont, presque digne de pitié ».

Cependant la canaille ne désarmait pas et poursuivait la voiture lancée au triple galop. On l’eut à peine fait descendre dans la chaloupe que ces sauvages arrivèrent sur le quai ; leurs cris de mort le suivirent sur les flots, dans la nuit[192].

Quand il arriva à l’île de Ré, il dut marcher dans la neige pour arriver au Dépôt, par un froid atroce, la tête en feu, les mains gelées et brisées par les menottes. Le directeur, Picqué, le fît mettre nu pour le fouiller. Puis il le conduisit dans sa cellule dont la porte resta ouverte sur le poste des gardiens.

La scène hideuse de la Rochelle, quand les journaux la racontèrent, provoqua un mouvement d’horreur[193], sauf au journal de Drumont. La Libre Parole écrivit avec satisfaction : « Dreyfus sait maintenant ce que pense la France et de son crime et de ses cyniques dénégations[194]. »

Le juif, écrivant à sa femme, pardonnait à ses bourreaux. Ils le croyaient « le traître, c’est-à-dire le dernier des misérables !… Je ne sais plus si j’ai un cœur ». Il regrettait de n’être pas tombé sous les coups de la foule. « Quand j’aurais encore crié : « Vive la France ! » peut-être qu’alors eût-on cru à mon innocence[195] ? »

XI

Le régime du prisonnier à la Santé avait été humain ; au dépôt de Saint-Martin-de-Ré, il fut cruel.

Nuit et jour, deux surveillants, relevés de deux heures en deux heures, le gardaient, avec la consigne de ne pas perdre de vue un seul de ses mouvements. Ils avaient été envoyés de différentes maisons centrales, par ordre de Dupuy, avec défense de lui adresser la parole ou de répondre à aucune de ses questions[196]. Mais, comme leurs oreilles n’avaient pas été bouchées, ils l’entendirent protester sans cesse de son innocence, et l’un d’eux raconta qu’il en avait été convaincu[197].

Dreyfus ne fut plus autorisé qu’à écrire deux fois par semaine à sa femme, mais point aux autres membres de sa famille. Sa lettre écrite, plume, papier et encre lui étaient retirés[198]. Il demanda en vain le droit de travailler dans sa cellule. Défense encore de parler à sa femme du traitement qu’il subissait.

Les lettres qu’il lui écrivait n’étaient remises qu’après de longs retards. Elle se désespérait d’être sans nouvelles : « Je souffre horriblement. Il me semble qu’à mesure qu’on te torture, on m’arrache des lambeaux de moi-même… »

Au bout de cinq jours, le 24, elle reçut sa première lettre du 19 : « Que de larmes j’ai versées sur cette pauvre petite lettre, sur cette pauvre partie si petite de toi-même qui m’arriva après tant de jours d’inquiétude ! Faut-il qu’on ait peu de pitié pour maltraiter, pour torturer ainsi deux pauvres êtres qui s’adorent, qui n’ont qu’un but, qu’un rêve : réhabiliter leur nom, celui de leurs enfants, injustement sali ! »

Pendant huit jours, du 26 janvier au 3 février, il fut également privé des lettres de sa femme, isolé dans sa douleur, forgeant mille suppositions lamentables.

Comme il s’obstinait à croire à la pitié humaine, il adressa une suprême requête au ministre de l’Intérieur : « Après ma condamnation, lui dit-il, j’étais résolu à me tuer. Ma famille, mes amis, m’ont fait comprendre que, moi mort, tout était fini, mon nom, le nom de mes enfants déshonoré à jamais : il m’a donc fallu vivre. » Mais, quelle que soit l’horreur de cette existence, il demande seulement justice : « Dans un siècle comme le nôtre, dans un pays comme la France, imbu des plus nobles idées, il est impossible qu’avec les puissants moyens d’investigation dont vous disposez, vous n’arriviez pas à éclairer cette tragique histoire… Au nom de ce que vous avez vous-même de plus cher, faites poursuivre les recherches… » En terminant, il prie le ministre de l’autoriser à écrire plus de deux fois par semaine à sa femme, « à cette malheureuse enfant qui a tant besoin d’être soutenue », et à travailler dans sa cellule « pour permettre à son cerveau d’attendre l’heure éclatante de la réparation… C’est tout ce que demande le plus infortuné des Français[199] ».

La lettre resta sans réponse.

Le lendemain de l’arrivée de Dreyfus au dépôt, Picqué examina, pièces par pièces, tous les vêtements de son prisonnier. Il trouva dans la poche intérieure d’un gilet la copie du bordereau dont Dreyfus s’était servi pendant les débats de son procès, et qu’il avait emportée pour en conserver le souvenir exact. Ce chiffon de papier parut à Picqué quelque chose de redoutable. Il ne savait rien du procès, et, comme tout le monde, ignorait le texte du bordereau et l’existence même de cette unique pièce du dossier. Il l’envoya aussitôt au ministre, à Paris, avec un rapport[200]. Mais il ne fit point part à Dreyfus de cette saisie, « craignant qu’il ne se livrât à quelque acte de désespoir ».

Une légende circula plus tard qu’une preuve nouvelle de son crime avait été ainsi découverte au dépôt de Saint-Martin-de-Ré, le brouillon du bordereau !

Désormais, chaque jour, Dreyfus fut mis nu et fouillé.

Ceux-là seuls qui ne les ont pas éprouvées ou vu infliger traitent de petites misères les mille humiliations, vexations, privations, besognes sales et dégradantes, dont est faite la vie d’un forçat ou d’un prisonnier. Dreyfus, d’une nature fière et délicate, en souffrit, brisé à la fois dans son corps et dans son âme. Mais il resta stoïque, supportant sans une plainte les douleurs physiques.

Seule, la douleur morale lui arrachait des cris de désespoir ou de colère : « Ah ! la lâcheté humaine, j’en ai mesuré l’étendue dans ces jours tristes et sombres !… Jamais, vois-tu, deux infortunés n’ont souffert comme nous. Nuit et jour, je pense à ce mot accolé à mon nom. Il n’y a plus qu’un point fixe dans ma mémoire : l’espoir de connaître un jour la vérité, de voir mon innocence reconnue et proclamée… Je suis bien las de souffrir. »

Mais cet aveu de ses souffrances, il ne le fait qu’à sa femme. Il se roidit devant les hommes, ses geôliers. « La nuit dernière, quand je pensais à toute ma vie passée, à tout ce que j’ai peiné, travaillé, des sanglots m’ont saisi à la gorge ; il me semblait que mon cœur se déchirait, et j’ai dû, pour que les gardiens ne m’entendissent pas, tant j’étais honteux, de ma faiblesse, étouffer mes pleurs sous mes couvertures. »

Et encore : « Entre le courage qui fait affronter le danger, quel qu’il soit, et le courage qui permet de supporter sans faiblesse les pires outrages, le mépris et la honte, il y a une grande différence. Je n’ai jamais baissé la tête, crois le bien ; ma conscience ne me le permettrait pas. J’ai le droit de regarder tout le monde en face. Mais tout le monde ne peut pas descendre dans mon âme ! »

Ce qu’il redoute surtout du voyage qui lui reste à faire avant d’arriver au lieu de sa déportation, ce ne sont pas les épouvantables conditions de la traversée, c’est de se trouver, pendant tout ce temps, « en face de marins, d’officiers de marine, c’est-à-dire d’honnêtes et loyaux soldats, qui verront en lui un traître, ce qu’il y a de plus abject parmi les criminels. Rien qu’à cette pensée, son cœur se serre. »

Il ne peut plus ni « regarder en arrière », car les larmes le saisissent quand il pense à son bonheur passé, ni regarder les portraits de ses enfants, car les sanglots encore le prennent à la gorge. Et il ne veut pas pleurer devant les témoins qui ne le quittent plus d’une minute, ni s’affaiblir devant tant d’épreuves imminentes. Il faut vivre pour attendre la résurrection de l’honneur.

Cependant, sa conviction est absolue : « Tôt ou tard, la lumière jaillira. » Il a confiance dans l’Histoire. « Il se trouvera bien, dans notre beau pays de France, si généreux, un homme honnête et assez courageux pour chercher et découvrir la vérité[201]. »

XII

Près d’un mois s’était écoulé depuis qu’il n’avait vu sa femme. Elle obtint, enfin, du nouveau ministre de l’Intérieur[202], le droit d’aller à l’île de Ré, d’être admise, deux fois par semaine, dans la prison. Et, toute joyeuse dans son malheur, « d’une joie d’enfant », elle partit avec l’une des belles-sœurs de son mari[203].

Elle arriva dans cette île désolée le 13 février, et, tout de suite, se rendit au fort. Elle y fut seule admise. Le directeur du dépôt la reçut durement et donna des ordres. Il la fit attendre longtemps, dans la cour, par un froid glacial, à la porte des condamnés. Les soldats qui faisaient l’exercice et les condamnés qui chargeaient des sacs, regardaient curieusement cette femme vêtue de deuil.

Quand elle pénétra dans le dépôt, on la conduisit dans la petite salle du greffe. La porte fut refermée et verrouillée derrière elle. Après une nouvelle attente, le directeur vint la rejoindre. Plaçant sa montre sur la table, il dit : « Je vous accorde une demi-heure. » Puis, il posa les conditions. Elle n’approcherait pas du prisonnier. Lui, Picqué, se tiendrait entre eux. Défense absolue de parler de quoi que ce soit touchant l’affaire[204]. Défense de prononcer le nom d’aucune personne, sans avoir, au préalable, averti le directeur de la parenté du condamné avec cette personne. Défense de se servir d’une langue étrangère.

Elle accepta ces conditions. Picqué, dès le lendemain de l’arrivée de Dreyfus, l’en avait prévenu. Dreyfus écrivit à sa femme : « Il faut demander le droit de m’embrasser[205]. » Ce droit, dans l’autorisation donnée par le ministre, avait été passé sous silence. Le bourreau conclut qu’il avait été refusé[206].

Dreyfus entra alors, escorté de deux gendarmes. On le plaça dans l’entrée attenante à la chambre ou sa femme se trouvait. Ordre lui fut donné de ne pas approcher.

Ainsi isolés et séparés par le directeur, ils purent parler pendant une vingtaine de minutes[207]. Elle défaillait. Il la couvait d’un regard intense, cherchant à imprégner ses yeux de son image. Elle lui dit sa confiance, sa certitude que le vrai coupable ne tarderait pas à être découvert ; il la supplia de presser les recherches, de ne rien épargner pour aboutir vite. Picqué note ainsi ses propos : « La souffrance physique lui importe peu, mais les souffrances morales qu’il endure le tuent ; il se rend compte des sentiments que doivent éprouver ceux qui l’approchent et qui ont le droit de le considérer comme le dernier des misérables ; un assassin peut inspirer de la pitié, tandis que lui… »

Avant de partir, elle dit à Picqué combien son mari lui avait paru altéré, son angoisse qu’il ne fût malade. La brute répondit que le prisonnier mangeait beaucoup, se jetait sur les plats de légumes secs, qu’il avait la boulimie.

L’entrevue du lendemain se passa dans les mêmes conditions affreuses.

Comme la prochaine rencontre avait été fixée par le directeur au 20 février, elle retourna à Paris pour voir ses enfants et demander au ministre l’autorisation de rejoindre son mari aux Îles du Salut, de partir par le même bateau que lui.

Elle revint, le 20, à l’île de Ré. En arrivant à l’auberge, elle apprit qu’on avait aperçu au large un bateau qu’on pensait être destiné au transport des condamnés. La loi sur les îles du Salut venait d’être votée par le Sénat, promulguée.

À l’entrevue de l’après-midi, elle dit à son mari que le départ lui semblait proche ; peut-être pourrait-elle s’embarquer dans le même convoi.

Le lendemain, 21 février, elle le vit pour la dernière fois. Elle supplia le directeur de lui permettre de serrer la main de son mari. Il avait sa consigne. En serrant la main de celui qui partait pour un exil éternel, elle eût pu lui faire quelque signe cabalistique. Il refusa.

Elle demanda à embrasser son mari, ayant, elle, les mains liées derrière le dos. Picqué refusa encore, brutalement.

Le misérable savait que Dreyfus serait embarqué le soir même. Il ne lui en dit rien, ni à sa femme. Elle repartit pour Paris, rassurée par ce silence, par cette inhumanité même, avec la certitude de revenir la semaine prochaine et d’accompagner dans son bagne l’homme qu’elle aimait. Dreyfus fut ramené dans sa cellule, également rassuré, et, aussitôt, écrivit à celle qui venait de le quitter une lettre d’une tendre sollicitude, la remerciant, lui promettant de rester fort contre toutes les souffrances : « Je me demande comment un homme qui a vraiment forfait à l’honneur peut continuer à vivre. »

À peine avait-il écrit cette lettre qu’il fut brusquement prévenu d’avoir à s’apprêter pour le départ. Vers où ? Il l’ignorait. Le lieu même de sa déportation lui avait été caché.

Il fut encore déshabillé et fouillé, par ordre spécial[208] des ministres de la Marine et des Colonies[209]. On s’étonna de ne rien trouver de suspect sur lui. Puis il fut conduit au quai entre des gardiens et embarqué sur une un canot à vapeur qui l’amena, à la nuit noire[210], dans la rade de l’île d’Aix. Le froid était terrible, quatorze degrés au-dessous de zéro.

Le vaisseau la Ville-de-Saint-Nazaire avait été désigné pour le transport. Dreyfus y fut enfermé dans une cellule grillée.

Un hamac lui fut jeté, et il fut laissé sans nourriture.

Ses forces étaient épuisées. Il tomba, sanglotant, dans un coin, criant le nom de sa femme.

Avertie de son départ, elle fût restée. D’un dernier regard qu’il eût senti, elle eût suivi, vers le bagne où elle voulait le rejoindre, le lourd vaisseau qui l’emportait.

Ainsi se séparèrent ces deux créatures humaines, également innocentes, le 21 février 1895, plus d’un siècle après la Révolution française et l’abolition de la torture.




  1. Autorité, Croix, etc.
  2. Avenir militaire, article cité.
  3. Parmi ceux qui, en des conversations privées, exprimèrent le doute dont ils avaient été assaillis, je puis nommer F. de Rodays, directeur du Figaro, Marinoni, directeur du Petit Journal, Jean Dupuy, directeur du Petit Parisien, Victor Simond, directeur du Radical, le chroniqueur judiciaire Bataille. Un riche industriel, blasé, amateur de spectacles violents, Albert Menier, revint malade de la parade d’exécution.
  4. « Le cérémonial du 5 janvier, dit l’Avenir militaire, a produit un effet fâcheux, diamétralement opposé à celui que recherche le Code de justice militaire et dont les conséquences fatales se manifesteront bientôt, sans qu’on puisse les arrêter. » Et le journal militaire explique que tout le mal vient du huis clos, de l’incertitude qui subsiste dans les esprits.
  5. Léon Daudet.
  6. Barrès, la Parade de Judas, dans la Cocarde du 5 janvier.
  7. « Pour empêcher le scandale, on imposait silence au patient de crainte qu’il ne pût exciter dans la foule des sentiments de pitié. » (Lea, Histoire de l’Inquisition, I, 621, avec renvoi à Eymeric, Direct. Inquis., 512.)
  8. Croix du 31 décembre : « Dreyfus se propose d’attester son innocence sur la tête de sa femme, du grand rabbin et de ses enfants… »
  9. Petit Journal du 6 janvier. — l’Avenir militaire, qui voit si justement le doute naître à la fois du mystérieux procès et de la dégradation publique, exprime lui-même le regret de l’abolition des « tortures raffinées auxquelles la législation française a demandé pendant des siècles une satisfaction à la vindicte des lois contre les perturbateurs de l’ordre public ». Du moins, l’« attitude cynique de Dreyfus » est un argument en faveur de ces supplices.
  10. Cocarde du 6.
  11. Figaro du 6.
  12. Écho de Paris du 9.
  13. Intransigeant du 9. — Dans le numéro du 7 : « Rien de plus révoltant que l’attitude arrogante et rageuse du misérable. »
  14. Autorité du 6 janvier
  15. Croix du 7.
  16. Libre Parole du 6.
  17. Gil Blas du 9.
  18. Voltaire, xxxvi, 160, Histoire des Calas.
  19. Libre Parole du 6 : « Un commandant nous raconte… » Méry donne le texte que je reproduis, moins ces mots : « Je suis innocent. » Mais ce texte avec ces mots est celui des autres journaux, Temps et Cocarde du 5 au soir, Autorité du 6. Le Temps et l’Autorité remplacent le mot « Allemagne » par « étranger » ; au contraire, le Petit Journal : « Il aurait bien livré des documents, ce qui est un aveu formel, mais, ajoutait-il, c’était pour en obtenir d’autres des Allemands. »
  20. Cass., I, 275, 19 décembre 1898 ; Rennes, III, 74. — Sur la feuille détachée de son calepin qu’il montra le 6 juillet 1898 à Cavaignac et qu’il brûla ensuite, Lebrun-Renaud aurait inscrit simplement, le 6 janvier 1895 : « Dreyfus était très abattu, m’affirmait que, dans trois ans, son innocence serait reconnue. Vers huit heures et demie, sans que je l’interroge, il me dit : « Le ministre sait bien que, si je livrais des documents, ils étaient sans valeur et que c’était pour m’en procurer de plus importants. » — Dans sa déclaration à Gonse et à Henry, le 20 octobre 1897, il donne la même version où il n’est pas davantage question de Du Paty. (Cass., II, 132.)
  21. Cette rédaction, où Lebrun-Renaud cherche à rattraper d’autres mensonges, peut très bien vouloir dire : « Du Paty m’a dit que le ministre savait que je suis innocent et que le ministre savait que si j’avais livré des documents… » C’est-à-dire que le ministre était au courant de la tentative d’amorçage. — Quand Lebrun-Renaud donna, pour la première fois, ce texte à la Cour de cassation, le 19 décembre 1898, la visite de Du Paty à Dreyfus était connue depuis un an, après avoir été tue jusqu’alors, comme on verra, avec un soin jaloux, et par Lebrun-Renaud lui-même. Il essaya donc (avec l’aide de Boisdeffre et de Gonse) de mêler la vérité, désormais avérée, à ses anciens mensonges. À Rennes, Lebrun-Renaud récite textuellement la même phrase.
  22. Cass., I, 279 ; II, 139, rapport du 14 février 1898 ; Rennes, III, 88, colonel Guérin. — Guérin rapporte ainsi le propos : « Si j’ai livré des documents, ces documents étaient sans aucune valeur, et c’était pour en avoir d’autres plus importants, des Allemands. »
  23. Cass., I, 287, lettre au général Risbourg, datée : Bougie, 7 décembre 1898, versée au dossier par le général. Philippe donne ce texte : « Depuis que je suis avec cette canaille de Dreyfus, lui aurait dit Lebrun-Renaud, il cherche par tous les moyens à lier conversation avec moi, mais je ne lui réponds pas. Ainsi, il m’a dit que s’il avait livré des documents, ils étaient insignifiants, et que c’était dans le but de s’en procurer de plus importants, ajoutant qu’il était innocent du crime odieux pour lequel il allait être dégradé, mais que, dans trois ans, son innocence serait reconnue. »
  24. Cass., I, 277 : « On peut très bien ne pas considérer la déclaration de Dreyfus comme des aveux ; si on m’a parlé d’aveux, j’ai pu dire qu’il ne m’en avait pas été fait. J’ai considéré que c’étaient plutôt des excuses que présentait Dreyfus. » — Le lendemain de la dégradation, 6 janvier, Lebrun-Renaud dit à un ancien fonctionnaire que « Dreyfus ne lui avait fait aucun aveu » (Cass., 381, Bayol). Même dénégation, un an après, à un magistrat, le juge De Valles (Cass., I, 382). Dans le courant de l’été 1897, il dit à Forzinetti, très catégoriquement et sans hésitation : « Jamais le capitaine Dreyfus ne m’a fait aucun aveu. » (Cass., I, 323, Forzinetti.) Même déclaration au comte de Kératry. (Ibid.) Le 9 février 1898, il dit encore, à un dîner chez l’abbé Valadieu, aumônier de l’hôpital Cochin : « Ah ! cette canaille de Dreyfus qui n’a jamais cessé de parler de son innocence ! » (Cass., I, 387, Hepp.) Même déclaration de Mme Chapelon (Aurore du 20 janvier 1898).
  25. Rennes, III, 74, Lebrun-Renaud : « À 9 heures moins cinq, quatre artilleurs viennent chercher Dreyfus. Ma mission était terminée ; c’est alors que je sortis de la salle et que je rencontrai le colonel Guérin. Je lui répétai… » Guérin confirme cette indication : « À 9 heures moins cinq… » (Cass., I, 279) et dépose : « Le premier coup de 9 heures sonna : je quittai les officiers qui m’entouraient et entouraient Lebrun-Renaud ; j’allai me poster à la droite des troupes. » Rennes, III, 89.)
  26. Cass., II, 137, Louis Druet. — Et les journaux, Cocarde, Temps, etc.
  27. L’incident a disparu également de la version que le capitaine Anthoine aurait connue du commandant d’Attel (Cass., I, 282 ; Rennes, III, 84).
  28. Tacite, Histoires, I, xxxiv : « Vagus primum et incertus rumor : mox, ut in magnis mendaciis, interfuisse se quidam et vidisse affirmabant, credula fama inter gaudentes et incuriosos. »
  29. Déclaration du commandant de Mitry au général Gonse, du 22 janvier 1898 (Cass., II, 134). — Voir Appendice XX.
  30. Rennes, III, 89, colonel Guérin : « Je ne suis pas indigne rester parmi vous… »
  31. « Il aurait bien livré des documents, ce qui est un aveu formel ; mais pour en obtenir d’autres, ce qui est un mensonge de plus à son actif, et personne n’en sera dupe. » (Petit Journal du 6.)
  32. Cass., II, 133, commandant Bernard ; II, 137, Louis Druet : « J’ai fait un certain trajet à pied avec MM. Caron et Girod qui, comme moi, ont entendu plusieurs officiers propager les paroles attribuées à Dreyfus. »
  33. Cass., I, 142 ; Rennes, I, 382, Picquart.
  34. Ibid. — Cass., I, 261, Boisdeffre : « Nous avons eu la nouvelle dans l’après-midi ou le soir. » Le colonel Guérin fixe entre 6 heures et 6 heures et demie la visite qu’il reçut de Picquart (Rennes, I, 90). — Le contrôleur Peyrolles avait, aussitôt après la dégradation, causé avec Guérin qui lui dit que Dreyfus avait fait des aveux à Lebrun-Renaud. (Cass., I, 281). Peyrolles rencontra des officiers d’État-Major qui le questionnèrent. Il leur répondit :« Oh ! rien, rien de nouveau. Ah ! si cependant, on dit que Dreyfus aurait fait des aveux. » (Rennes, III, 96.) — L’archiviste Wunenburger(Cass., I, 327) dépose qu’il a connu les aveux, ce même jour, par quatre mots de d’Attel.
  35. Cass., I, 142 ; Rennes, I, 382, Picquart.
  36. Cass., II, 140, colonel Guérin, rapport du 14 février 1898, et Rennes, III, 93.
  37. Cass., II, 140 ; Rennes, III, 92, Guérin. Voir t. VI, 447-448. — Guérin ne dit pas à Picquart que Saussier trouvait les aveux inconciliables avec les protestations publiques de Dreyfus. Picquart partit en voiture avec lui et lui dit qu’il y avait d’autres traîtres, lui parla de Maurice Weil, lui demanda des renseignements sur cet ami de Saussier.
  38. Cass., I, 277, Lebrun-Renaud.
  39. Cass., II, 140 ; Rennes, III, 90 et 91, Guérin.
  40. Cass., I, 142 ; Rennes, I, 382, Picquart. — Rennes, I, 520, Boisdeffre : « Je ne nie pas du tout ce qu’a dit le colonel Picquart ; je ne dis qu’une chose, c’est que je ne me souviens pas et que je suis étonné que les choses se soient passées ainsi. »
  41. Intransigeant du 25 décembre. — De même l’Éclair, etc.
  42. Libre Parole des 14, 15 décembre, etc.
  43. 26 décembre 1894.
  44. Libre Parole du 27 décembre.
  45. Libre Parole du 28 décembre.
  46. Cocarde du 29.
  47. Intransigeant du 29.
  48. 26 décembre.
  49. Cass., I, 457, Monod. — À Rennes, Hanotaux dépose qu’il a perdu tout souvenir de ce déjeuner (dont Monod se rappelle le menu), et que son secrétaire Willox ne s’en souvient pas davantage, pas plus que du propos allégué. (I, 224.)
  50. Cass., I, 329, Casimir-Perier.
  51. Rennes, I, 67, Casimir-Perier.
  52. Rennes, I, 222, Hanotaux.
  53. Rennes, I, 62, Casimir-Perier.
  54. Ibid., 66.
  55. Ibid., 65.
  56. C’est ce dont Mercier lui-même convient expressément à Rennes. Après avoir accusé Casimir-Perier et Dupuy « d’avoir voulu à toute force étouffer ces aveux où le nom de l’Allemagne était prononcé », il ajoute : « Je dois reconnaître que ces aveux, à ce moment-là, tout en donnant une satisfaction morale à ceux qui les entendaient, comme le Président de la République, n’avaient aucune utilité ni extérieure, ni intérieure. À l’extérieur, ils pouvaient nous créer de très graves difficultés. » (Rennes, I, 104.)
  57. Il révèle lui-même ce trouble dans le récit, d’ailleurs mensonger sur presque tous les points, qu’il a fait à Rennes de l’incident diplomatique (I, 97 et 98). — Voir page 546.
  58. Boisdeffre, qui prétend ne pas se souvenir d’être allé, une première fois, avec Picquart, à 7 heures, chez Mercier, se coupe un peu plus loin : « En sortant de chez le ministre, le soir à huit heures, de nouveau, après avoir dîné, je suis allé chercher le général Gonse, et nous nous sommes rendus avec lui chez le commandant Picquart qui était absent. » (Rennes, I, 520.)
  59. Rennes, I, 520, Boisdeffre ; I, 549, Gonse. — « J’étais allé comme d’habitude, dépose Picquart (I, 383), passer la soirée du samedi et la matinée du dimanche, à Versailles, chez ma mère, »
  60. Rennes, I, 520, Boisdeffre ; I, 550, Gonse.
  61. Cass., I, 402, Clisson : « Je me suis rencontré avec Lebrun-Renaud vers dix heures et demie du soir. »
  62. Cass., I, 275 ; Rennes, III, 74.
  63. Cass., I, 277, Lebrun-Renaud.
  64. Cass., 402, Clisson.
  65. Ibid.
  66. Ibid., 403.
  67. Ibid.
  68. Cass., I, 403, Clisson. « J’ai publié simplement le récit, sans phrases, comme un phonographe aurait pu le faire. » (Lettre de Clisson à la Libre Parole.)
  69. Libre Parole du 10 janvier.
  70. Cass., I, 283, De Vaux.
  71. Ibid.
  72. C’est ce récit que j’ai suivi plus haut, ligne à ligne.
  73. Clisson écrivit : « une ambassade étrangère », mais tout le monde comprit.
  74. Rennes, III, 91, colonel Guérin ; I, 520, Boisdeffre ; Cass., I, 245, Gonse.
  75. Rennes, III, 91, colonel Guérin ; I, 520, Boisdeffre ; Cass. I, 143, Gonse.
  76. Cass., I, 520, Boisdeffre ; I, 245, Gonse.
  77. Cass., I, 275 ; Rennes, III, 75, Lebrun-Renaud. De même Gonse, Cass., I, 245. — Il était 7 heures ou 7 heures et demie. (Cass., I, 275 ; Rennes, III, 74, Lebrun-Renaud ; Cass., I, 245, Gonse, etc.)
  78. Cass., I 275 ; Rennes, III, 75, Lebrun-Renaud, De même Mercier, Rennes, I, 103.
  79. Rennes, III, 75, Lebrun-Renaud.
  80. Cass., I, 284, Risbourg. — Voir page 537.
  81. Lebrun-Renaud le déclara lui-même, le 12 janvier 1899, à un rédacteur du Soir : « Je fus introduit chez le général Mercier qui ne me parla nullement des aveux, mais de ce que m’avait dit Dreyfus au sujet du bordereau trouvé dans un chiffonnier d’ambassade. De même que le général Mercier, M. Casimir-Perier ne me parla pas des aveux. »
  82. L’entretien, au ministère, eut lieu vers huit heures du matin (Cass., I, 245, Gonse). Lebrun-Renaud fut reçu par Casimir-Perier vers dix heures et demie ; c’est l’heure qu’il indique lui-même (Cass., I, 276), et il ajoute qu’il ignorait encore, quand il se rendit à l’Élysée, l’article du Figaro. (Rennes, III, 75.)
  83. Cass., I, 277, et Rennes, III, 80, Lebrun-Renaud.
  84. Rennes, I, 100, Mercier.
  85. Rennes, I, 103, Mercier. — Voir Appendice XXI.
  86. Cette mission fut ignorée jusqu’au 14 janvier 1898, date à laquelle Mme Dreyfus, dans une lettre à Cavaignac, raconta l’incident et publia la lettre de son mari à Mercier, à l’issue de cette visite. — Voir Appendice XXI.
  87. Rennes, I, 64, Casimir-Perier.
  88. Rennes, I, 64 et 68, Casimir-Perier.
  89. Cass., I, 658, Dupuy : « Le 6, au matin, ému, au point de vue extérieur, de certains récits parus dans les journaux du 5 au soir et du 6 au matin, j’en fis l’observation par téléphone au général Mercier. Celui-ci m’envoya le capitaine Lebrun-Renaud, qui me rejoignit à l’Élysée où je l’avais devancé. »
  90. Lebrun-Renaud se contredit, se coupe à chaque phrase dans le récit qu’il fait de l’incident : « Le ministre m’a donné l’ordre de me rendre à l’Élysée. — Pourquoi faire ? demande un juge. — Pour y parler des aveux ; mais on ne m’a pas laissé le temps de le faire. Le général Mercier m’a dit : « Allez répéter au Président de la République ce que vous a dit le capitaine Dreyfus. » (Rennes, III, 77).
  91. Rennes, I, 103, Mercier.
  92. Ce petit détail, — s’il est de petits détails dans la recherche de la vérité, — est relevé ici pour la première fois. Il eût été du devoir étroit de Dupuy de rappeler ce fait à Mercier, quand celui-ci fit à Rennes sa déposition si imprudemment inexacte. Dupuy s’en souvenait, puisqu’il en avait déposé, le 26 décembre 1898, en son cabinet ministériel, devant la délégation de la Cour de cassation. Mais Dupuy se tut. Et personne alors n’eut l’idée de se reporter à sa déposition.
  93. « Il m’avait été envoyé, dépose Casimir-Perier, par le ministre de la Guerre pour que je lui fisse comprendre à quel point sa conduite me paraissait critiquable » (Rennes, I, 64).
  94. Rennes, III, 75, Lebrun-Renaud. — Cass., I, 281 ; Rennes, III, 96, Peyrolles.
  95. Cass., I, 281, Peyrolles. Ce témoin rapporte l’anecdote d’après Lebrun-Renaud lui-même, qui la lui conta, au mois de mai 1898, en allant à Versailles pour le second procès Zola. À Rennes, Peyrolles fait le même récit, avec une légère variante : « Ah ! ce sale gendarme, ce cogne… » (Rennes, III, 97.) — Lebrun-Renaud dépose : « C’étaient des mots comme ceux-ci : canaille, misérable. » (Rennes, III, 77.) Il rapporta d’une autre façon encore, le jour même, au colonel Risbourg, commandant de la garde républicaine, les propos qu’il aurait entendus, les attribuant d’ailleurs à tort à un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, Grumbach. C’était le chef du cabinet civil du Président, Paul Lafargue, qui s’exprimait, avec cette vivacité, sur le gendarme.
  96. Cass., I, 285, Risbourg, d’après Lebrun-Renaud : « Froidement, mais bien ».
  97. Cass., I, 276 ; Rennes, III, 75, Lebrun-Renaud. — Cass., I, 659, Dupuy.
  98. Cass., I, 659, Dupuy.
  99. Rennes, III, 75, Lebrun-Renaud.
  100. Cass., I, 285, Risbourg : « Je l’ai interrogé sur la visite qu’il avait faite à l’Élysée, il me répondit : « Toutes les questions qui ont été faites ont roulé sur ce que Dreyfus avait pu me dire, sur les pièces qu’on aurait trouvées dans une corbeille, dans une ambassade. » — Lebrun-Renaud, quand il déposa trois et quatre ans plus tard sur ce point, se tient dans un vague intentionnel : « Il me demanda quelques détails sur l’attitude de l’ex-capitaine Dreyfus. » (Cass., I, 276.) « Il ne m’interrogea réellement que sur quelques petites choses que m’avait dites Dreyfus. » (Rennes, III, 75.) — Le récit, fait par Lebrun-Renaud au général Risbourg, est du jour même où il fut appelé à l’Élysée, trois heures après. Rennes I, 152, lettre de Dupuy à Casimir-Perier de février 1898, versée aux débats : « Il ne nous a rien dit de précis. À coup sûr, il n’a pas redit le propos : Si j’ai livré des pièces… »
  101. Cass., I, 285, Risbourg.
  102. Rennes, I, 64, Casimir-Perier ; III, 75, Lebrun-Renaud : « Il ne me parla pas des aveux, il ne me parla de rien. » — Cass., I, 659, Dupuy : « La question des aveux ne s’est pas posée, nos préoccupations, à cette époque, se portant exclusivement sur le côté extérieur de la question. »
  103. Rennes, II, 75, Lebrun-Renaud : « Je sortis après avoir, reçu de lui des reproches. »
  104. Cass., I, 659, Dupuy, I, 869 ; Rennes, I, 152, lettre de Dupuy à Casimir-Perier : « Il m’a dit : J’étais intimidé et troublé, je ne demandais qu’à m’en aller. — Enfin, lui ai-je dit, vous êtes-vous rendu compte du but pour lequel le ministre vous avait envoyé à l’Élysée ? — Ah, pour cela, oui ; c’était pour m’y faire donner un savon. »
  105. Note Havas du 6 janvier 1895 : « Le ministre de la Guerre a interrogé le capitaine Lebrun-Renaud sur les affirmations qui lui sont attribuées par certains journaux relativement à une conversation avec l’ex-capitaine Dreyfus. Le capitaine Lebrun-Renaud a certifié au ministre qu’il n’a fait aucune communication à aucun organe ni représentant de la presse. »
  106. Cass., I, 284, Risbourg.
  107. « Le ministre sait bien que, si j’ai livré des documents à l’Allemagne, c’était pour en avoir de plus importants. »
  108. Rennes, III, 76 : « Le président : Vous avez écrit le jour même ? — Lebrun-Renaud : Non, mon colonel, le lendemain vers trois heures, en sortant de chez le colonel Risbourg. (Mouvement prolongé.) » — Le 4 juillet 1898, quand Lebrun-Renaud remit à Cavaignac la feuille détachée, il lui fit la même déclaration. (Cass., II, 341.)
  109. Lebrun-Renaud raconte, dans ces mêmes dépositions, qu’à la fin de l’année, il détruisit son carnet, mais n’en garda que cette feuille et ne la montra à personne, jusqu’au jour où un autre ministre de la guerre, Cavaignac, la lui demanda. Alors, la lui ayant fait voir, il la détruisit. (Cass., I, 276 ; Rennes, III, 76 et 81.) — Cavaignac, dans son discours du 7 juillet 1898, donne le texte de cette feuille où il n’est fait aucune allusion à la visite de Du Paty à Dreyfus, allusion que Lebrun-Renaud rétablira, pour cause, devant la Cour de cassation et à Rennes.
  110. Cass., I, 381, déposition du gouverneur Bayol à qui Lebrun-Renaud fit ce récit.
  111. Rennes, I, 63 et 64, Casimir-Perier.
  112. Rennes, I, 65, Casimir-Perier. « Ce n’est que quatorze jours après la condamnation que j’ai eu connaissance d’un dossier ; je ne sais même pas si je puis dire du dossier. J’ai dû le faire réclamer expressément au ministère de la Guerre. La condamnation est du 22 décembre, et c’est le 5 janvier, à l’occasion de l’entretien que je devais avoir le lendemain avec l’ambassadeur d’Allemagne, que j’ai réclamé la communication de ce dossier. »
  113. Casimir-Perier, après sa démission, donna cette version à plusieurs de ses amis, notamment, le 22 février 1897, à Scheurer-Kestner.
  114. Dostoïewski, Les frères Karamasof, I, 28.
  115. Du Paty, note sur l’entrevue du Cherche-Midi, in fine. (Cass., II, 148).
  116. Lettre du colonel Chauvet à M. Andrade.
  117. Au lieu du mot « impliquer » de la dépêche allemande. Il fut considéré que le sens était le même, et que la formule était plus diplomatique.
  118. Temps du 9 janvier, portant la date du lendemain, 10 ; Liberté, Débats, etc… et les journaux du lendemain.
  119. C’est ce qui résulte d’une lettre de Munster à Schwarzkoppen, écrite de Berlin le 17 janvier 1895, et qui fut interceptée par le bureau des renseignements : « En ce qui concerne Dreyfus, on est tranquillisé ; on finit tout de même par trouver que j’ai bien agi. Ce qui dernièrement a pu mettre l’Empereur en colère à propos de cette question, nul ne le sait ici, pas même Hohenlohe. C’est probablement un nigaud qui aura jasé, un dandy d’aide de camp, de ceux qui ne savent rien en dehors de leurs brandebourgs. À part cela, l’Empereur est gai et bien portant, mais il veut tout faire par lui-même. Sa visite à Herbette a causé un grand émoi. » (Dossier secret, pièce 46 ; Cass., I, 364, Cuignet ; Rennes, II, 105, Mercier). — Pour la deuxième phrase, voir page 559.
  120. Petit Journal du 6 janvier.
  121. Ibid.
  122. Estafette du 7, article intitulé : « La dette du forçat ».
  123. Berliner Courrier du 6 janvier. De même la Kreuz-Zeitung, (Journal de la Croix), le Journal de Genève, le Times, etc.
  124. Rennes, I, 97, 98, Mercier.
  125. Ibid., 96.
  126. Rennes, I, 154 Casimir-Perier.
  127. Rennes, I, 97, Mercier : « M. Casimir-Perier n’est pas allé jusqu’au bout de sa déposition. Il n’a pas dit que, ce même jour, nous sommes restés, lui, Président de la République, le président du Conseil, et moi, ministre de la Guerre… etc. »
  128. Cass., I, 37, Cavaignac ; I, 246, Gonse ; I, 261, Boisdeffre ; Rennes, I, 156, Demange ; I 531, Boisdeffre.
  129. Rennes, I, 456, Mercier.
  130. Voir Appendice XXII.
  131. Rennes, I, 383, Picquart. — Gonse (Rennes, I, 551) nie avoir vu Picquart ce jour-là, et dit que, le 6, il n’était nullement préoccupé.
  132. Rennes, I, 383, Picquart. — Boisdeffre garde le même silence. Au mois de mars 1895, Boisdeffre demande à Forzinetti s’il croit toujours à l’innocence de Dreyfus. Sur la réponse affirmative de Forzinetti, Boisdeffre se tait et ne lui dit rien des prétendus aveux. D’autre part, Du Paty prétend (Cass., I, 441) que Gonse et Sandherr lui apprirent, le 6 janvier, les aveux de Dreyfus. Pourquoi Gonse aurait-il dit à Du Paty ce qu’il cachait à Picquart ? Pourquoi Sandherr n’en dit-il rien à Picquart, quand il lui remit son service et lui révéla l’existence du dossier secret ?
  133. Cass., II, 131.
  134. Rennes, I, 520 et Cass., I, 261, Boisdeffre Cass., I, 246, Gonse.
  135. Rennes, I, 351, Gonse.
  136. Cette lettre fut probablement fabriquée par Gonse en 1898, à l’usage de Cavaignac. — Voir Appendice XX où je donne une autre preuve du faux.
  137. Cass., I, 331 ; Rennes, I, 70, Casimir-Perier.
  138. Cass., I, 291, Guérin ;293, Poincaré ; 336, Barthou ; 659, Dupuy.
  139. Cass., I, 302, Cordier.
  140. Rennes, II, 238, Dreyfus.
  141. Cass., I, 813.
  142. C’est ce que le Figaro du 7 répondit très nettement : « Il y a eu seulement une conversation tenue par ce brave officier, de la meilleure foi du monde devant des personnes qu’il ne soupçonnait point devoir les rapporter. »
  143. Libre Parole du 8, article de Boisandré, sous ce titre : « Les défenseurs de Dreyfus. »
  144. Libre Parole du 8 janvier 1895.
  145. Ibid. — De même Lepelletier, dans l’Écho de Paris du 9, la Croix, etc.
  146. Intransigeant du 9.
  147. Cet état signalétique parut, pour la première fois, dans le Matin du 5 ; les journaux le reproduisirent la semaine suivante.
  148. Écho de Paris du 9.
  149. Soleil du 6.
  150. Écho de Paris du 9, article d’Edmond Lepelletier.
  151. Soleil du 9 janvier 1895.
  152. Ibid.
  153. Journal du 6.
  154. Le 11 janvier.
  155. Soleil du 9 janvier : « Il se mène une odieuse campagne en faveur de Dreyfus. On a distribué des copies autographiées des déclarations faites, le jour de sa dégradation, par ce misérable. Il serait intéressant de savoir qui a pris l’initiative de cette distribution et quel argent en a couvert les frais. D’autre part, Me Demange, malgré le verdict unanime des sept juges militaires, continue à affirmer que Dreyfus est innocent. Cette campagne est un outrage à l’armée. »
  156. Lepelletier dans l’Écho de Paris du 9.
  157. Petit Journal du 13, article de Jude, intitulé : « Les privilèges de l’avocat : Pour la France ou pour Dreyfus ! »
  158. Petit Journal du 13 janvier, article de Judet.
  159. Voir page 137.
  160. Plusieurs de ces poursuites aboutirent à des acquittements.
  161. Rennes, I, 67, Casimir-Perier.
  162. Gérault Richard, rédacteur du Chambard. (Procès du Chambard, plaidoirie de Jean Jaurès, une brochure de propagande Paris, 1894).
  163. Audience du 5 novembre 1894.
  164. Séance du 10 janvier 1895. La proposition de l’extrême gauche fut rejetée par 309 voix contre 218.
  165. Léon Bourgeois, Sarrien, Guyot-Dessaigne, Doumer, Lockroy, Camille Pelletan, Pierre Legrand, etc…
  166. 13 janvier 1895.
  167. Il avait pris l’habitude d’envoyer à l’Agence Havas des assertions inexactes. Le 13 janvier, à 2 heures, l’Agence officielle recevait une note démentant toutes divergences de vues dans le Cabinet. Le soir même, Barthou envoyait à l’Agence la lettre qui confirmait sa démission.
  168. Cette majorité était composée des radicaux, des socialistes et de quelques députés du centre, impatients de devenir ou de redevenir ministres ; Méline, Krantz qui avait combattu l’ordre du jour demandé par le Cabinet, Cochery, Darlan, Delpeuch, André Lebon, etc. Je votai pour le Cabinet, par crainte du lendemain.
  169. Bourgeois avait voté, le 10 janvier, pour la suspension de la détention de Gérault-Richard ; il avait été porté absent à la séance du 14.
  170. Je tiens le fait à la fois de Casimir-Perier et de Félix Faure.
  171. 15 janvier 1895.
  172. Daily News, Daily Chronicle, Times, Germania, Étoile belge, etc.
  173. Vorwœrts.
  174. C’est à cette visite que fait allusion la dernière phrase de la lettre de Munster à Schwarzkoppen du 19 janvier : « Sa visite à Herbette a causé un grand émoi. »
  175. Un notaire de Tours, Belluot, avait été condamné par contumace, en 1843, pour des détournements et des faux. Il s’était enfui, laissant sa femme enceinte de l’enfant qui était devenue Mme Félix Faure. La Libre Parole révéla cette histoire dans son numéro du 11 décembre 1895. Elle en annonça d’autres.
  176. Journal officiel du 18 janvier.
  177. 28 janvier.
  178. 29 janvier.
  179. Patrie du 29 janvier.
  180. 31 janvier.
  181. Cass., I, 406, Fournier, inspecteur général des services administratifs : « J’ai été frappé de ce fait que cinq fonctionnaires de l’ordre pénitentiaire qui avaient vu Dreyfus, étaient convaincus de son innocence : Forzinetti, Durlin, directeur du Dépôt, Patin, directeur de la Santé, Pons, contrôleur à la Santé, le gardien Renard à Saint-Martin de Ré.
  182. Lettres des 5, 6 et 7 janvier 1895.
  183. 9 janvier.
  184. Lettres d’un innocent, 11 à 16 janvier.
  185. Vendredi, 11 janvier. Il put voir également ses beaux-parents et Demange.
  186. Lundi, 14.
  187. Lettre du 13 janvier.
  188. Libre Parole du 20 janvier.
  189. Libre Parole du 20 janvier.
  190. Éclair du 24. — Je connais le nom de cet homme, mais un remords lui est peut-être venu de sa lâcheté ; je ne le frapperai pas en le nommant.
  191. Libre Parole.
  192. « Le bateau était déjà loin que la foule continuait à crier : À mort ! » (Libre Parole.)
  193. L’Éclair même protesta dans un article éloquent de Séverine.
  194. Numéro du 20 janvier, article signé Cravoisier. — De même ici « la cynique dénégation » remplace les aveux.
  195. Lettres d’un innocent, 19 et 21 janvier.
  196. Cass., I, 807, Picqué.
  197. Cass., I, 406, Fournier.
  198. Lettres d’un innocent, 19 janvier. Toutes les lettres, soit de Dreyfus, soit de sa femme et de son frère, étaient d’abord communiquées au Directeur de l’administration pénitentiaire, qui décidait si elles pouvaient être ou non transmises.
  199. 26 janvier.
  200. Cass., I, 807, Picqué. Rapport du 19 janvier 1895. Le rapport se termine ainsi : « Il ne discontinue pas de parler de son innocence et j’ai dû couper court à ses protestations. »
  201. Lettres d’un innocent, janvier et février 1895, p. 80 à 102.
  202. Georges Leygues.
  203. Mme Léon Dreyfus. M. Valabrègue (de Carpentras) accompagna ses deux belles-sœurs.
  204. « Vous y assisterez et vous veillerez à ce qu’il ne soit rien dit qui ait trait aux débats pour lesquels le huis-clos a été prononcé. » (Lettre du Directeur de l’administration pénitentiaire du 8 février 1895).
  205. Lettre du 19 janvier 1895. — Note du Directeur de l’administration pénitentiaire en date du 15 janvier 1895 : « Les visites que pourra recevoir l’ex-capitaine Dreyfus, après approbation de l’autorité supérieure, auront lieu en présence du Directeur, qui devra mettre immédiatement fin à la conversation s’il était question des débats qui ont eu lieu à huis-clos. »
  206. Rapport de Picqué du 17 février 1895 : « L’entrevue eut lieu en ma présence dans la loge du portier. Le condamné se tient dans l’encadrement de la porte, où une chaise est placée à son usage ; ils sont séparés l’un de l’autre exactement par une distance de deux pas ; ils sont donc dans la même pièce. Je n’ai pas cru devoir leur permettre de s’embrasser ni de se toucher la main, dans la crainte qu’ils ne profitassent de cette circonstance pour échanger des correspondances ou des paroles à voix basse. »
  207. Pendant une heure. (Rapport de Picqué du 14 février 1895.)
  208. Rennes, I, 47, rapport du Dr  Ranson.
  209. L’amiral Besnard et Chautemps.
  210. À 8 heures et demie (rapport Ranson). « En raison de la soudaineté de ce départ, personne n’y assistait. Aucun incident ». (Dépêche de Picqué au ministre de l’Intérieur, du 21 février 1895).