Histoire de l’Affaire Dreyfus/T3/6

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Eugène Fasquelle, 1903
(Vol. 3 : La crise : Procès Esterhazy – Procès Zola, pp. 339–400).

CHAPITRE VI

LE PROCÈS DE ZOLA

I. Le président Delegorgue, 339. — Première audience du procès de Zola, 341. — Les bandes de Guérin, 342. — II. Les jurés : arrêt réglementaire rendu par la Cour, 343. — III. Les témoins militaires font défaut, 344. — Conclusions de la défense adoptées, 345. — IV. La Cour refuse de laisser déposer Lucie Dreyfus, 345. — Publication des lettres de Gonse et de Picquart, 347. — Déclaration de Casimir Perier, 348. — Zola, à la sortie de l’audience, est menacé par la foule, 349. — Troubles au Palais de Justice : autres manifestations de Guérin et des antisémites, 350. — V. Attitude menaçante d’Esterhazy ; à la troisième audience, les officiers viennent, par ordre, lui serrer la main, 351. — Ses allusions au bordereau annoté, 352. — VI. Déposition de Boisdeffre, 353. — Déposition de Gonse, Lauth et Gribelin, 355. — VII. Mercier affirme que Dreyfus a été justement et légalement condamné, 356. — Paroles éloquentes de Thévenet, 358. — Silence de l’avocat Salles, 359. — VIII. « La question ne sera pas posée », 360. — Ravary et Pellieux, 361. — Jugement dans mon procès contre Rochefort ; colère du général Roget, 362. — Trarieux, 363. — IX. Du Paty de Clam à la barre, 363. — X. Première déposition d’Henry, 366. — Il feint d’être malade ; sa confrontation avec Leblois, 368. — XI. Offensive de Pellieux : intervention de Zola, 369. — XII. Picquart ; sympathies et colères qu’il inspire, 371. — Gonse charge Bertulus de dire à Picquart que son avenir dépendra de son attitude à l’audience ; réponse de Picquart, 374. — XIII. Déposition de Picquart, 375. — Son respect du secret professionnel, 376. — Impression produite par son récit, 377. — XIV. Questions de Labori à Picquart, 380. — Confrontation avec Gribelin et Lauth, 381. — Ravary et la justice militaire, 383. — XV. Tentatives d’intimidation sur les jurés, 384. — Dépêche de Gauthier (de Clagny) à Déroulède, 386. — Ernest Roche demande à interpeller Billot sur ses rapports avec les Dreyfus, par l’intermédiaire de Martinie, 387. — Sixième parjure de Billot, 388. — XVI. Henry confronté avec Picquart et Leblois, 389. — Il insulte Picquart, 391. — Protestation véhémente de Picquart, 392. — XVII. Intervention de Gonse, 398. — « Allons-y ! », 395. — Henry raconte l’histoire du dossier ultra-secret, 396. — Discours de Millevoye, à Suresnes, sur le bordereau annoté, 397. — XVIII. Déposition de Demange, 398. — « Parbleu ! », 399.

I

Le matin du 7 février, Anatole France et le philosophe Séailles, deux des témoins de Zola, déjeunèrent ensemble. Séailles dit à son ami ce qu’il se proposait de déclarer : que la justice est intangible ; qu’elle ne peut être sacrifiée ni à la passion ni à l’intérêt, de quelque nom qu’on les décore ; que le patriotisme ne consiste pas à s’obstiner dans une douloureuse erreur. « Et si, continua-t-il, le président me reproche de tenir un langage séditieux : « Après ce que vous venez de dire, oserez-vous expliquer le Phédon à vos élèves ? — C’est précisément pour cela, lui répondrai-je, que je serai qualifié à leur en faire comprendre les beautés. »

Puis, ils se rendirent au Palais de Justice, fendant, avec peine, une foule compacte et déjà bruyante.

Le Phédon était très loin de la pensée du magistrat qui avait été désigné pour présider les assises.

C’était un gros homme rond, nommé Delegorgue, que nous avons déjà vu au procès de Morès, qui n’était pas méchant et ne manquait ni de sens ni d’esprit, mais d’allure commune, le teint fleuri du gourmand, les lèvres pincées, qui cachait, sous une gravité molle, l’orgueilleux plaisir de présider cette grande affaire, comptait en tirer honneur et profit, aux petits soins avec les journalistes de la presse criarde, la voix dure, soit qu’il déclamât, soit qu’il réprimandât, soit qu’il plaisantât, volontiers insolent, et l’homme du monde le mieux fait, dans un tel procès, pour ne pas accroître le renom du magistrat-fonctionnaire que l’on décore du nom de juge. Il avait, pour assesseurs, le conseiller Lauth, chauve et rougeaud, et le conseiller Bousquet, hirsute et pâle, la barbe blanche comme la crinière, l’une embroussaillée, l’autre inculte, ancien député qui avait accepté, un jour, d’être ministre de la Justice et avait rendu la simarre au bout d’une heure, la trouvant trop lourde.

Le ministère public était occupé par l’avocat général Van Cassel, rechigné et brutal, dont on racontait que, substitut dans le Nord, il avait tiré lui-même sur un fou qui, s’étant échappé, avait grimpé en haut d’une tour[1].

Au banc des accusés, Zola, rêveur, le menton appuyé sur sa canne[2] ; le gérant Perrenx, l’air d’un ouvrier endimanché ; Vaughan, et, derrière eux, Labori, avec deux secrétaires, Hild et Monira, et les frères Clemenceau, deux exemplaires d’un même homme, Vendéens au type calmouk, les traits énergiques, les yeux vifs et pénétrants, qui promettaient la bataille.

Jamais foule plus nombreuse, agitée de plus de passions, n’avait envahi la salle des assises. Les avocats s’y entassaient, quelques-uns grimpés sur les hautes cloisons qui entourent l’enceinte réservée et sur les entablements des fenêtres ; et, mêlés à eux, pressés à étouffer, dans l’émotion du spectacle qui absorbait l’attention du monde, des femmes élégantes, des journalistes, des officiers, des oisifs, des comédiens, le « Tout-Paris des premières ».

À côté, dans les couloirs, et dans la salle qui leur était affectée, les témoins de Zola, en deux camps tranchés, les officiers d’un côté, de l’autre les « intellectuels » et Picquart. Entre eux rôdait, comme un loup maigre, Esterhazy en civil, « portant le crime sur sa figure[3] ».

Les officiers s’écartèrent de lui ; aucun ne lui serra la main[4]. Il se rabattit sur Gribelin. Aussitôt, Gonse dépêcha Lauth à l’archiviste : « Le général vous prie de ne pas parler au commandant Esterhazy[5]. »

Scheurer salua Lucie Dreyfus, lui présenta Picquart : « Vous devez, lui dit-elle, bien souffrir. — Non ! Madame, j’ai souffert pendant de longs mois, alors que je me taisais. Maintenant, je vois poindre la lumière, et j’en suis heureux[6]. »

Au dehors, les bandes que Guérin avait formées et traînait après lui, occupaient les abords du Palais, huant ou acclamant tour à tour.

Elles étaient composées de portefaix et de bouchers, de rôdeurs et de malandrins de toute espèce, pareilles à celles qui, jadis, à la veille de la Reforme, terrorisèrent le pays rhénan et furent surnommées les Juden-Schlæger, les rosseurs de Juifs. L’État-Major les subventionnait[7].

Le matin, quelques jeunes gens avaient déposé une couronne au pied de la statue de Voltaire : « Au défenseur de Calas. » La veille, la Cour de cassation avait fait afficher l’arrêt de réhabilitation de Pierre Vaux.

II

On procéda au tirage au sort des jurés. Ce furent tous de petites gens, de ce qu’on appelait à Florence le populo minuto : deux négociants, un rentier, un marchand de nouveautés, un marchand de vins, un entrepreneur de couverture, un monteur en cuivre, un employé, un tréfileur, un mégissier, un grainetier, un maraîcher. Et, tout de suite, l’avocat général demanda que le débat fût limité, par arrêt, au seul grief relevé par Billot, l’offense aux juges d’Esterhazy, quelques lignes sur quinze pages. Le ministre a méprisé les autres imputations de Zola. « On n’a pas le droit de mettre indirectement en question la chose jugée. On veut provoquer une revision révolutionnaire. » La Cour ne s’y prêtera pas[8].

Labori, puis Albert Clemenceau répliquèrent, celui-ci très calme, en quelques mots précis, exacts, d’autant plus forts ; celui-là, tout à l’opposé, par une envolée de phrases sonores, impétueux, avec un air de défi : « Vous croyez que cela (l’arrêt demandé par le ministère public) va étrangler le débat ? Allons donc ! C’est comme si l’on voulait se placer au milieu d’un torrent pour l’empêcher de couler ! » Il affirma la connexité, l’indivisibilité entre les diverses accusations portées par Zola.

Les trois experts. Belhomme, Varinard et Couard, avaient intenté, pour leur propre compte, un procès à Zola, mais devant le tribunal correctionnel, où la preuve n’est pas admise. Ils lui réclamaient trois cent mille francs[9].

Leur avocat. Cabanes, émit, en outre, la prétention d’intervenir dans l’instance. Cela fut rejeté par la Cour, mais les conclusions du ministère public sur le débat restreint furent adoptées[10].

La défense eût pu se pourvoir aussitôt contre cet arrêt, demander à la Cour de cassation le plus grand champ de bataille. Elle accepta de combattre dans ce défilé.

III

On a vu que ce débat, si étroitement cantonné par l’assignation, Boisdeffre, et Billot avec lui, le trouvaient encore trop large. Ils avaient décidé, en dernier lieu, que tous les témoins militaires, à l’exception de Gonse, Pellieux, Gribelin et Lauth, ne répondraient pas à l’appel de leur nom et s’excuseraient par lettres. Les uns invoqueront le secret professionnel, — ils en savent trop ; — les autres allégueront qu’ils sont étrangers aux faits retenus par la citation ; ils ne savent rien.

Billot était le principal accusé. Si le conseil de guerre a acquitté Esterhazy « par ordre », l’ordre émane de lui. En conséquence, le garde des Sceaux, Milliard, informa l’avocat général que « le ministre de la Guerre n’avait pas été autorisé à déférer à la citation » de Zola. Billot, à son tour, « autorisa Mercier à ne pas comparaître ».

Boisdeffre écrivit à Delegorgue « qu’il n’avait été aucunement mêlé à l’instruction du procès Esterhazy ; ce procès a dépendu, uniquement, du gouverneur militaire de Paris » ; il n’a donc rien à faire au Palais de Justice.

Défaillants encore d’Ormescheville, les juges de 1894, Lebrun-Renaud, Du Paty, Ravary, Valecalle, Henry, en mission.

Esterhazy, dans une lettre cavalière, le prit de très haut : « Cité à la requête d’un simple particulier, il estime qu’il n’a pas à répondre[11] ».

La défense avait renoncé à la déposition des juges qui l’avaient acquitté.

Le public, désappointé par cette grève de témoins, les jurés, qu’on semblait dédaigner, s’étonnèrent que d’Esterhazy à Billot, tous ceux qui incarnaient « l’honneur de l’armée » prissent la fuite devant la preuve.

La défense déposa d’énergiques conclusions ; elle réclamait la comparution des défaillants, « par tous moyens de droit ».

Cette retraite (avant la bataille) était si piteuse, la rébellion si manifeste contre la loi, que la Cour, mais le lendemain seulement, ordonna la comparution de tous les témoins.

IV

Lucie Dreyfus, la première, parut à la barre[12].

Zola avait rêvé une belle scène, cruelle et tragique : la veuve du mort-vivant qui eût raconté elle-même la tragédie qui avait brisé son bonheur, mais laissé intacte, debout, sa foi dans son mari.

Elle était vêtue, comme toujours, de noir, très pâle, tremblante devant cet énorme auditoire, si absorbée dans la pensée de ne point défaillir qu’elle n’entendit pas, sur son passage, une horrible parole. Comme elle portait une jaquette bordée de fourrure, une voix de femme murmura : « La dernière pelisse de son mari[13] ! »

Nécessairement, aux termes de son arrêt de la veille, Delegorgue refusa de laisser mettre en cause le jugement de 1894. Il prononça alors, pour la première fois, la formule qui deviendra légendaire, qui, cent fois, va tomber et retomber, « avec le bruit régulier d’un piston de machine[14] », hachant et martelant le débat, leit-motiv de la peur du vrai : « La question ne sera pas posée[15] ».

Zola, très nerveux, se dressa, réclama « la liberté qu’ont les assassins et les voleurs : ils peuvent se défendre, faire citer des témoins. Tous les jours on m’injurie, on casse mes carreaux, une presse immonde me traite comme un bandit ! » Et ce flot d’éloquence eut continué si Delegorgue n’eut interrompu par ces mots : « Vous connaissez l’article 52 de la loi de 1881 ? » Zola trébucha : « Je ne connais pas la loi, et je ne veux pas la connaître[16]. »

Une clameur lui répondit.

L’avocat général s’empara de la malencontreuse parole : « Nous, nous connaissons la loi ; nous, nous la ferons respecter ! »

Tout le pharisaïsme de la légalité s’abattit sur lui. Il chercha en vain à s’expliquer. Il ne se révoltait pas « contre la grande idée de la loi, mais contre les arguties d’une procédure hypocrite ».

Dans le tumulte qui suivit, on oublia Mme  Dreyfus, toujours debout à la barre. La cour décida que la femme du condamné ne serait pas entendue.

Leblois déposa ensuite, puis Scheurer. Leblois, adroit, ferme, de physionomie fine, intéressa beaucoup en racontant l’affaire des faux télégrammes et les aventures de Du Paty et des Comminges. Tout le monde en conclut que la prétendue dame voilée qui avait documenté Esterhazy, c’était Du Paty. On ne savait rien d’Henry.

Scheurer eût voulu donner lecture des lettres de Gonse et de Picquart ; le président s’y opposa. Je les publiai le lendemain[17].

Elles produisirent une grande impression sur tous les esprits réfléchis. Rien ne contribua plus à éclairer le rôle de Picquart. On ne sut que vanter davantage, de sa clairvoyance, qui avait prévu une telle crise, ou de sa loyauté, qui avait cherché à l’empêcher. Pourtant, ces lettres du jeune colonel, qui, seul, avait eu la vision de l’honneur et de l’intérêt véritable, et celles de Gonse, d’une hypocrisie si cauteleuse, venaient trop tard ; l’ennemi s’était préparé à en recevoir le choc, comme d’un escadron de cavalerie qui a laissé aux batteries d’artillerie le temps d’entrer en ligne.

Casimir-Perier avait écrit, la veille, à Delegorgue : « Si j’étais interrogé sur les faits qui se sont produits alors que j’occupais la présidence de la République, l’irresponsabilité constitutionnelle m’imposerait le silence. » Il déclara, en conséquence, qu’il ne pouvait pas prêter serment de dire « toute la vérité ». Thèse contestable, puisqu’il y renonça lui-même par la suite ; au surplus, ce jour-là, sans application pratique, puisqu’il ne savait rien d’Esterhazy et que Delegorgue refusait de poser les questions relatives à Dreyfus. Mais Casimir-Perier ayant ajouté : « Je suis un simple citoyen et aux ordres de la justice de mon pays ! » les revisionnistes lui firent une ovation. Ils marquaient ainsi le contraste entre cet ancien président de la République, qui déférait respectueusement à la loi, et les officiers qu’il avait fallu menacer des arrêts de la justice pour obtenir leur comparution. Ils manifestaient aussi contre Félix Faure, si âprement attaché à ce pouvoir que son prédécesseur avait quitté à tort, mais non sans noblesse, parce que les classes populaires doutaient de son dévouement à la démocratie et qu’il se croyait un obstacle au bien public.

Dans cette atmosphère surchauffée, après cinq ou six heures d’audience, les nerfs tendus à l’excès, on sentait l’oppression lourde de la haine, la plus affreuse de toutes : celle des guerres civiles.

Ce soir-là, pour la première fois, la sortie de l’audience ressembla à une émeute. Un jeune homme[18], qui avait acclamé Zola, fut accusé d’avoir crié : « À bas la France ! » et roué de coups. La bagarre devint générale dans les galeries du Palais, galerie Marchande, galerie du Harlay. Zola dut se réfugier dans un vestiaire. Puis, quand il parut, avec les quelques amis qui lui faisaient une garde du corps, le musicien Bruneau, le graveur Desmoulins, l’éditeur Fasquelle, ses avocats, sur le grand escalier du Palais, une foule énorme qui sembla plus énorme encore, fantastique, dans la nuit brumeuse d’hiver, l’accueillit par des huées et des bordées de sifflets, et, sans l’intervention personnelle du Préfet de police, il eût été frappé, renversé. Sa voiture partit au galop, poursuivie par la canaille qui poussait des cris de mort : « À l’eau ! À l’eau ! À la Seine ! » et des cris patriotiques.

Des énergumènes écrivirent au Préfet pour le blâmer d’avoir protégé Zola[19].

Pendant les deux semaines que dura le procès (quinze audiences), les mêmes scènes se renouvelèrent tous les soirs, mélange de passions sincères, et de violences calculées, payées.

Le préfet de police, Charles Blanc, excellent homme, bon républicain, ne sut pas prendre les mesures nécessaires, se laissa déborder.

La police, d’ailleurs, composée, en grande partie, d’anciens militaires, souriait aux braillards qui prenaient soin d’accompagner leurs brutalités de cris répétés de : « Vive l’armée ! » Tous les amis de Zola furent insultés, menacés. Guérin, en personne, dirigeait de jeunes gredins qui, par deux fois, assaillirent Yves Guyot, ameutèrent la foule contre lui[20]. Il faillit être jeté à la Seine.

Je vois encore une jeune femme furieuse qui me poursuivit, voulait m’arracher mon ruban de la Légion d’honneur, pendant que les manifestants hurlaient : « À mort les juifs ! Mort aux traîtres[21] ! »

Les séditieux (pour la police), c’étaient les revisionnistes, qui répondaient aux provocations par le cri de : « Vive la République[22] ! » Un jeune avocat[23] pour une exclamation inoffensive, fut frappé par un des juges d’Esterhazy[24] et par des officiers qu’excitait le beau-frère de Rochefort[25]. Le prétoire, le pavé, la rue, quinze jours durant, appartinrent à Ratapoil.

Les manifestation se prolongeaient dans la nuit. Tantôt Guérin et ses tape-durs se contentaient de brailler, pendant des heures, sur les boulevards, devant les bureaux de la Libre Parole et de faire des autodafés de journaux[26] ; tantôt ils cassaient les vitres de magasins tenus par des juifs et, même, envahissaient des ateliers, brisaient des machines, des métiers à tisser, blessaient des ouvrières[27].

Il n’était question, dans le journal de Drumont, que de la noble colère du peuple qui eût voulu jeter tous les juifs à l’eau ou, mieux encore, les rôtir[28]. L’idée, cent fois évoquée du meurtre, finit par le provoquer ; l’acte est une pensée, moins encore : une phrase qui se concrète.

À Alger, un journal imprima cette phrase : « Une truie juive vient de mettre bas deux pourceaux[29] ». La même semaine, une bande de jeunes antisémites en gaieté rencontra une juive enceinte ; ils la mirent nue et l’inondèrent d’urine[30].

Paris, la France avaient perdu l’habitude des émeutes. Celles-ci furent remarquables par une brutalité de bêtes déchaînées. Payé ou non, l’homme sauvage, le Yahou, reparaît vite. L’alcool opérait. Cinquante ans après l’invention du gin, Londres avait assisté à des scènes pareilles, d’une stupide sauvagerie[31].

De plus en plus, les bourgeois s’effrayèrent, s’irritèrent contre les défenseurs de Dreyfus qui étaient cause de ces troubles.

V

Esterhazy était parti furieux de la première audience. Quelques acclamations qu’il recueillit ne compensaient pas l’offensante attitude de Gonse et de ses officiers à son égard, « devant les civils ».

Il avait gardé, dans son abjection, beaucoup d’amour-propre. Rentré chez sa maîtresse, il se soulagea d’abord par des imprécations, des injures à toute volée, une scène de fureur et de rage[32]. Puis, à la réflexion, il eut recours à son procédé ordinaire, le chantage, avec sa propre infamie pour enjeu. Il ne se rendit pas à la seconde audience, envoya un ultimatum à l’État Major : « Ou demain, dans la salle des témoins, les officiers viendront lui serrer la main, l’admettront dans leur compagnie, ou il mangera le morceau. »

Veut-on ou ne veut-on pas qu’il soit innocent ? Son honneur intéresse-t-il ou non la sûreté de l’État[33].

Déjà, l’année d’avant, il avait menacé Boisdeffre de s’avouer l’auteur du bordereau ; mais alors, avant de lui jeter sa confession à la face, il eût pris la précaution de passer la frontière. Précaution aujourd’hui superflue. Acquitté, il est intangible, tant que ses autres trahisons ne seront pas révélées. Et qui les dénoncera ? Son crime retombera seulement sur les chefs.

Boisdeffre, encore une fois, s’inclina.

Le matin de la troisième audience, dès qu’Esterhazy, en uniforme, entra dans la salle des témoins, chacun des officiers vint, par ordre, lui serrer la main ; Ravary le premier, à qui cet honneur était bien dû, Boisdeffre ensuite, donnant l’exemple, et tous les autres[34]. Lui, l’œil mauvais, la moustache en croc, savoura son triomphe.

Cependant, le sacrifice une fois consommé, les officiers s’écartèrent de lui, les uns par répugnance de l’homme à qui Mercier (il le dit tout haut) trouvait « le physique de l’emploi » ; les autres par prudence, sous les yeux de ces civils qui observaient, parce que la fortune a d’étranges retours. Alors, il s’irrita de nouveau, ou fit semblant, afin de pouvoir attribuer à la colère les avertissements qu’il allait lancer. Il sortit, pendant une suspension d’audience, et, arpentant l’une des galeries, entouré de quelques amis « qui semblaient lui dire de se calmer », il parla très haut de façon à ce que les passants l’entendissent : « Ils m’embêtent, à la fin, avec leur bordereau. Eh ! bien oui ! je l’ai écrit, mais ce n’est pas moi qui l’ai fait ; je l’ai fait par ordre ! » Et encore : « On connaît la ladrerie de Billot. S’il a donné quatre-vingt mille francs en une année, cela a bien été pour faire quelque chose[35]. »

Le bordereau, annoté par l’Empereur allemand, recopié par Esterhazy, c’était l’argument suprême, mais qui n’était fait que pour l’ombre ; Boisdeffre, Gonse, dès qu’on en parlait publiquement, s’épouvantaient. C’est pourquoi Esterhazy le brandissait de temps à autre : « Couvrez-moi, défendez-moi, ou je révèle le plus stupide, le plus impudent des faux. » Cette preuve frauduleuse de son innocence était devenue ainsi, entre ses mains, le plus redoutable des instruments de chantage. Il l’appelait, à bon droit, « la garde impériale ». Dès qu’il menaçait de la faire donner, les chefs capitulaient. Henry, tout à l’heure, viendra à la rescousse.

VI

Les généraux, les officiers du service des renseignements défilèrent à la barre pendant quatre audiences[36].

D’abord, Boisdeffre, en uniforme, avec la plaque de la Légion d’honneur. C’est le droit de ces officiers de paraître en tenue, devant le jury. C’est un fait, aussi, qu’ils vont jeter dans la balance leur épée, leurs galons et leur panache, leur étincelante ferblanterie.

Le chef de l’État-Major général, très droit, dans sa haute taille, la gravité solennelle d’un soldat diplomate qui détient à la fois les secrets de l’armée et ceux de la politique, cherchait, d’une voix lente, les mots corrects et neutres ou refusait de répondre. Du document libérateur, « qui a trait à l’affaire Dreyfus », il ne lui est pas permis de parler. « De l’instruction relative au commandant Esterhazy, il s’est tenu à l’écart et ne sait rien. » Rien, non plus, du procès d’Esterhazy, parce que « le commandant a été interrogé à huis clos », ce qui n’était pas moins faux que le reste, mais plus notoirement.

Des communications qui auraient été faites à la presse par des officiers de l’État-Major, il sait seulement que ces officiers ont donné leur parole qu’ils y étaient étrangers ; « il s’en tient à leur parole » ; et ce sont « de braves gens qui font leur devoir, tout leur devoir, il l’atteste et il le jure ». En revanche, Picquart a commis des faits répréhensibles ; après avoir dénoncé Esterhazy, « il n’a pu trouver aucune pièce probante », bien que le Ministre lui eût prescrit de « faire tout au monde » pour arriver à la vérité ; « absorbé par une seule idée », il a négligé son service ; pourtant, il fut traité avec beaucoup d’indulgence : « On ne peut pas appeler envoyé en disgrâce, un officier envoyé en mission. » Au surplus, la culpabilité de Dreyfus « a été, de tout temps, certaine », « le jugement de 1894 est hors de discussion » ; la conviction personnelle de Boisdeffre est absolue ; « des faits postérieurs ont assis sa certitude d’une façon inébranlable ».

Il éleva la voix, scandant sa phrase, la main tendue, comme pour prêter un nouveau serment.

Delegorgue avait refusé la parole à Mme  Dreyfus qui eût protesté de l’innocence de son mari ; il laissa Boisdeffre proclamer que l’homme était coupable.

Entendez-vous ce que disent entre eux les jurés, ce que répéteront, demain, des milliers de lecteurs ? De Zola ou de Boisdeffre, il y en a un qui ment ; impossible que ce soit ce général étoilé, le premier de l’armée, le Moltke français.

Gonse répéta, d’un ton bourru, la déposition de son chef, s’abrita, comme lui, derrière le secret professionnel. Ses lettres à Picquart le gênaient : il affirma qu’elles étaient « relatives seulement à Esterhazy » ; « il n’était pas entré dans sa pensée de revenir sur l’affaire Dreyfus ». Il provoqua un tumulte en traitant de « traquenard » une question de Labori au sujet de la dame voilée[37].

Henry ne répondit pas à l’appel de son nom. L’avocat général dit qu’il était « en mission ».

Lauth, âprement, reprit ses accusations contre Picquart ; Gribelin jura qu’il avait vu Leblois, avec Picquart, attablés devant un dossier secret ; ce dossier renfermait des pièces tellement graves qu’Henry avait défendu de l’ouvrir en son absence ; cette défense s’étendait à Picquart. Leblois lui donna le démenti ; en octobre, à la date que Gribelin avait précisée au procès Esterhazy, il n’était pas à Paris. L’archiviste répéta si obstinément, pour montrer, par un détail matériel, l’exactitude de son dire : « La lampe était allumée » que Delegorgue le prit pour le lampiste de l’État Major[38].

De ces deux témoins encore, l’un mentait : lequel ?

VII

Ce fut ensuite le tour de Mercier. Les avocats avaient projeté de lui faire confesser la communication des pièces secrètes. C’eût été l’annulation certaine du jugement de Dreyfus. Mercier ne voulut ni avouer ni se parjurer.

Il y réussit, et sans mentir autrement qu’à la jésuite.

Labori, renseigné inexactement, avait décrit ainsi le document libérateur : « Une pièce dont le post-scriptum commence par ces mots : Cette canaille de D… » Mercier répondit que cette pièce lui était inconnue ; la phrase sur Ce canaille de D… se trouve, en effet, dans le contexte de la lettre de Schwarzkoppen à Panizzardi. Puis, retranché derrière l’arrêt de la Cour qui avait défendu de parler de Dreyfus, hors d’atteinte sur ce terrain où il donnera, lui soldat, à ces robins, l’exemple du respect qui est dû aux décisions de la justice, il nia « qu’il se fût vanté d’avoir fait communiquer des pièces secrètes au conseil de guerre » ; sur le fait même de la communication, il refuse de répondre.

Seulement, l’instant d’après, cette même décision de la Cour qu’il a invoquée, il l’enfreint par un coup d’audace : « Je n’ai pas à revenir sur le procès Dreyfus ; mais, si j’avais à y revenir, puisqu’on me demande ma parole de soldat, ce serait pour dire que Dreyfus était un traître, qui a été justement et légalement condamné[39]. »

On a vu que, lui-même, il avait jeté au feu, en 1894, la notice d’Henry et, récemment, le commentaire de Du Paty, incinéré son crime.

Il fut acclamé. Delegorgue prétextera plus tard « qu’il n’avait pas eu le temps de l’arrêter, que le général avait parlé trop vite[40] ».

Vainement, Labori protesta que le silence de Mercier, sur sa question précise, équivalait à un aveu.

Disons tout de suite que Delegorgue, après avoir laissé l’ancien ministre de la Guerre déclarer que le verdict de 1894 était légal, refusa d’interroger deux des anciens collaborateurs de Mercier, Charles Dupuy et Guérin[41], puis Trarieux, sur ce qu’ils savaient de l’illégalité.

Cependant, un autre ancien ministre de la Justice, Thévenet, appelé seulement à déposer sur la bonne foi de Zola, réussit à aborder le redoutable problème, non pour l’éclairer d’un renseignement particulier, mais pour montrer que « c’était la difficulté vraiment capitale de ce grand débat ». Trarieux, précédemment, avait dit à Scheurer : « Si Dreyfus était un traître, la forme eût-elle été violée pour lui, je n’oserais élever la voix et je ne le ferais point[42]. » Thévenet pensait autrement. On touchait, ici, en effet, non pas à une simple question de droit, d’ailleurs incontestée, mais à un principe beaucoup plus élevé, celui de la liberté de la défense, celui du droit imprescriptible qu’a tout homme accusé, même de trahison, de savoir quels sont les documents qui raccusent. Et d’un vif mouvement d’éloquence, il emporta l’auditoire :

Le silence des généraux doit-il être interprété comme un aveu ? Il est bien fait, en tous cas, pour troubler profondément toutes les consciences… S’il n’y a pas eu communication clandestine et illégale, pourquoi ne pas le proclamer ?… Voilà ce qui inquiète, voilà ce qui prolonge et perpétuera, peut-être, ce procès qui est un mal pour la Patrie.

Oui ! que faut-il croire ? que faut-il penser de ce silence ? Ne sommes-nous plus une nation libre, respectueuse de la loi, vantant la loyauté et la franchise ?

Y a-t-il un magistrat parmi ceux qui m’écoutent, un de mes confrères du barreau, un de vous, Messieurs les jurés, qui puisse comprendre cette incertitude sur un fait de cette importance[43] ?

Salles, quand il parut à la barre, avec sa figure de brave homme, les lèvres agitées d’un tremblement nerveux, était indécis sur son devoir. À qui obéir ? Au juge ? À sa conscience ? Il était le maître du procès, il tenait, dans ses mains, le sort de cette immense affaire.

Delegorgue, comme tout l’auditoire, eut la sensation aiguë que ce témoin, d’un mot, d’un seul, pouvait renverser tout l’échafaudage de mensonge. Il refusa, dès lors, de lui poser cette question : « Connaissez-vous un fait qui puisse être intéressant pour la défense de Zola ? » Et, laissant Labori s’indigner, il l’interrogea lui-même : « Avez-vous quelque chose à dire relativement à l’affaire Esterhazy ? » « Non ! reprit Salles, sur l’affaire Esterhazy, je n’ai rien à dire ! » Sur quoi, tout de suite, il apparut que Salles avait des choses graves à dire sur l’autre affaire.

Delegorgue ne fut jamais plus brutal dans son systématique déni de justice, au nom de la justice. Durement, il malmena Labori, répéta, sans se lasser, son éternel : « La question ne sera pas posée. » Le vieil avocat restait à la barre, très pâle, retenant avec une visible souffrance l’aveu prêt à s’échapper. Albert Clemenceau, d’un rapide mouvement tournant, l’interpella : « Nous prétendons que ce témoin tient de la bouche d’un juge du conseil de guerre, qu’une pièce secrète a été communiquée… Que le témoin nous démente d’un mot, M. le président n’aura pas le temps de l’arrêter ! » Alors, comme toute la salle, frémissante, et le grand Christ de Bonnat, au fond du prétoire, semblaient crier à ce « mur vivant » qui restait muet : « Mais parlez donc ! Comment la vérité ne sort-elle pas malgré vous de votre bouche de vieillard ? » le juge hurla : « Monsieur, ne répondez pas ! », et il ordonna à l’huissier d’appeler vite un autre témoin[44].

Cette fureur de Delegorgue à empêcher Salles de parler, le refus de Mercier à répondre à la question précise, son aveu par le silence, c’était, pour tous les esprits libres, la preuve formelle que Dreyfus avait été illégalement condamné.

VIII

Ainsi, malgré les précautions juridiques et militaires, à chaque témoin, qu’il dît vrai ou qu’il se parjurât ou qu’il se tût, la zone de clarté s’élargissait.

Il était significatif que d’Ormescheville, Vallecalle, les juges de Dreyfus, Forzinetti, dix témoins, prêts à convaincre Lebrun-Renaud de mensonge, et Lebrun lui-même, qu’un remords sembla avoir tourmenté à cette époque[45], ne parussent à la barre que pour y entendre le monotone refrain : « La question ne sera pas posée. »

Il était significatif encore que Mme  de Boulancy refusât de comparaître, qu’elle eût changé de domicile pour échapper aux citations. Il fallut batailler pour qu’une commission rogatoire lui fût adressée[46].

Le général Guerrier et Maurice Weil avaient été assignés trop tard ; son pouvoir discrétionnaire permettait au président de les faire entendre ; il s’y refusa[47].

Des incidents de couloirs jetaient sur ces incidents d’audience une lumière crue. On apprit, un jour, que Mme  de Boulancy était venue jusqu’au Palais de Justice, dans un accès de colère ou de vengeance, puis qu’elle était repartie dans un de ses accès de frayeur. (Esterhazy la poursuivait de ses menaces, jusque chez elle ; tremblante, « à travers la porte entre-bâillée et maintenue par une chaîne de sûreté[48] », elle le suppliait de se retirer.) Un autre jour, c’était Forzinetti qui abordait Lebrun-Renaud, le prenait par la tunique : « Si vous avez tenu, au sujet des aveux de Dreyfus, après ce que vous m’avez dit à moi, le langage qu’on vous prête, vous êtes un infâme menteur[49]. » Et, se haussant sur ses jambes sept fois « reboutées », le vieux soldat empoigna son ancien camarade, muet et pale sous l’outrage, que Gonse lui arracha des mains[50].

Dans cette même salle des témoins, les officiers continuaient à s’écarter de Picquart, pendant qu’à côté, dans la salle des assises, chacun des témoins militaires s’acharnait contre lui. Ravary et Pellieux s’y employèrent de leur mieux[51], le vieux commandant avec son ordinaire vilenie, cauteleux et louche, le général, d’une voix franche, lançant son réquisitoire comme un régiment à l’assaut, et, après tant de militaires qui avaient l’air de gratte-papiers, l’air d’un soldat qui est un chef.

Le faux d’Henry ne lui ayant laissé aucun doute sur la trahison de Dreyfus, il en avait conclu (logiquement) que les ennemis de l’armée calomniaient Esterhazy. Aussi, au contraire des camarades qui, tout en jurant que Dreyfus était coupable, ne parlaient pas d’Esterhazy comme d’un innocent, il se porta fort pour lui, « fier d’avoir participé à son acquittement et d’avoir prouvé qu’il n’y avait pas deux traîtres parmi les officiers ». Dès lors, les prétendues preuves de Picquart sont des faux savamment combinés, « les mailles du filet tendu par les juifs » ; « les fac-similés du bordereau ressemblent singulièrement à des faux » ; les lettres « à la Boulancy » sont aussi des faux, et les expertises faites sur des fac-similés ne signifient rien[52].

Pauffin revendiqua l’entière responsabilité de sa démarche auprès de Rochefort[53].

On connut, au cours d’une audience[54] le jugement dans mon procès contre Rochefort. Les juges l’avaient condamné, ne pouvant faire autrement (cinq jours de prison, 2.000 francs d’amende, autant de dommages-intérêts), mais ils s’étaient rattrapés dans leurs considérants, lui accordant de larges circonstances atténuantes et me malmenant. Cependant l’État-Major manifesta une vive indignation : « C’est une honte, clama le général Roget, Rochefort est le meilleur défenseur du drapeau[55] ! « Jusqu’à l’Affaire, il avait le plus souvent traité les généraux de « gâteux et de cacochymes » et l’honneur de l’armée « de formule antédiluvienne[56]. » Et, telle était la crainte qu’il inspirait que les socialistes prirent parti contre moi, « comme si l’on pouvait diffamer l’infamie faite homme[57] ».

Trarieux déposa longuement[58]. Il fit, comme l’avait fait Scheurer avant lui, l’historique de sa conviction, très renseigné, abondant, la phrase ample, le geste trop régulièrement solennel, sans peur du lieu commun, ce qui, parfois, est une force, avec beaucoup de méthode et de précision. Nulle loyauté plus haute que celle de ce parfait honnête homme, si profondément épris de justice, qui avait fait de la morale sa religion ; d’un courage simple, mais à toute épreuve, et, quoique le sang riche de la Gironde coulât dans ses veines, avec quelque chose d’austère et de grave qui le faisait, bien que catholique, passer pour protestant.

IX

Du Paty de Clam, le lendemain[59], succéda à Trarieux.

Depuis que Leblois avait raconté ses démêlés avec les Comminges, il faisait un terrible effort sur lui-même pour cacher sa rage. Il continuait à porter beau, dans son uniforme de colonel, très sanglé à la taille, le teint blanc et rose, le monocle à l’œil, et, jouant avec ses aiguillettes d’or, il affectait un grand mépris pour ses détracteurs. Mais, parfois, il n’y tenait plus, et, comme mû par un ressort, il arpentait les couloirs, l’allure d’un ataxique, avec des gestes de pantin[60]. Il était dur, en effet, pour un homme comme lui, orgueilleux entre tous, hier encore l’un des favoris du monde aristocratique, allié aux plus grandes familles, d’avoir été dénoncé, d’abord comme un tortionnaire et un fou féroce, par un écrivain illustre, et maintenant, dans un tel procès, d’un retentissement universel, comme un suborneur de jeunes filles, qui se vengeait par des lettres anonymes et rachetait des enveloppes mystérieuses à des dames voilées, la nuit, derrière un bal public. L’expiation commençait.

Cependant, il n’éprouvait aucun remords ni de ses mauvaises actions, ni de ses sottises, et se croyait un soldat héroïque, une victime de l’inflexible discipline dont il restait l’esclave[61].

Il s’avança dans le prétoire, mécaniquement, au pas cadencé de la parade prussienne, et, sentant sur lui tous ces yeux curieux ou chargés de haines, il s’arrêta comme un automate, à deux pas de la barre, les talons joints, les jarrets tendus, les reins cambrés, le regard éperdu, et salua militairement la cour et le jury. Puis, les mains le long de la couture du pantalon, dans la position du soldat devant ses chefs, raide, il attendit, au milieu d’un immense éclat de rire et d’horreur.

Quoi ! c’est à un tel fantoche, à ce caricatural revenant de l’Inquisition, que Dreyfus a été livré !

Quand il eût prêté serment, il protesta, et c’était bien son droit, mais d’un ton qui cherchait à être rogue et qui sonnait faux, contre les accusations dont il avait été l’objet. « Il ne s’en trouve point atteint, car il a toujours agi en galant homme, et il a l’estime de ses chefs, ce qui lui suffit. » Mais il s’indigne qu’une jeune fille, — celle qu’il avait dû épouser — ait été mise en cause. « Au nom de l’honneur français », il prie la Cour « d’écarter des débats de pareilles questions ».

Labori expliqua qu’il s’agissait, dans sa pensée, de la comtesse Blanche de Comminges, « une jeune fille de cinquante ans », et comment son nom avait été mêlé à l’affaire des faux télégrammes. Il demanda ensuite au témoin s’il avait connu le comte de Comminges et « entretenu une correspondance avec une ou deux personnes de sa famille ». Mais Du Paty, d’une voix qui s’étranglait, refusa de répondre, alléguant, non sans raison, que ces questions touchaient « à l’honneur d’une famille et à la mémoire d’un mort[62] » ; et, comme Labori renonça à l’interroger sur autre chose, il salua la Cour et le jury, pivota et se retira au milieu des sarcasmes et des huées.

X

Il n’entrait pas ce jour-là dans le plan d’Henry de faire un coup d’éclat, seulement de paraître le moins longtemps possible à la barre. Il n’avait point de goût pour la justice civile ; surtout, il redoutait les questions des avocats qui font du témoin une espèce d’accusé.

Ce matin même, tous les témoins militaires lisaient ostensiblement un article de Rochefort où la comparution des officiers était, de nouveau, traitée d’infamie : « Le Billot dont l’armée rougit est le prisonnier du Syndicat… Il n’y a vraiment pas besoin d’aller à l’île du Diable pour rencontrer des traîtres ; il suffit de passer devant le banc des ministres[63]. » Il avait raconté, la veille, que Billot avait reçu trente mille francs des juifs ; c’était moi qui les lui avais portés[64].

De même, Drumont : « Le Syndicat a insisté pour qu’on entende les officiers, et, comme on n’a rien à lui refuser, on a entendu les officiers… Jamais Byzance n’a vu cela[65]. »

Il n’avait pas été difficile à Henry d’expliquer à Boisdeffre que, lui surtout, il ne devait pas déposer. De là, son absence aux trois premières audiences, sa prétendue mission. Mais la défense l’avait fait réassigner.

Impossible, cette fois, de se dérober, sous peine d’éveiller les soupçons. Il était donc venu, mais avec l’air défait et l’appareil d’un malade, congestionné, les yeux rouges, et, dans l’atmosphère tropicale de la salle des assises, enveloppé d’une lourde capote où il semblait grelotter[66].

Hier en mission, aujourd’hui malade ! Labori observa que « le mal avait dû être subit ». Il compatissait toutefois aux « souffrances du témoin. » Henry releva que l’avocat « avait l’air de mettre sa maladie en doute ». — « Si je n’étais pas malade, je serais encore en mission. J’ai dix-huit campagnes d’Afrique, et j’ai bien le droit d’avoir la fièvre[67]. »

Aussi bien, car il pensait à tout, s’était-il pourvu d’un certificat de médecin que Gonse exhiba : « Le lieutenant-colonel Henry aurait dû garder la chambre… » Gonse, tout le temps, couvrit de sa protection papelarde le gros homme qui avait pris un purgatif. Vieux truc militaire qu’Esterhazy, un jour, avait recommandé à Christian.

Il joua supérieurement son insolente comédie : « Stupéfié par une nuit d’insomnie et des médicaments avalés jusqu’à l’intoxication pour se tenir debout, il lutte[68]… » Quand les questions d’Albert Clemenceau et de Labori deviendront embarrassantes, il feindra de ne pas les entendre : « J’ai pris de la quinine, hier, je suis un peu sourd. » Cela donne le temps de réfléchir. De plus, la maladie excuse les défaillances de mémoire, d’involontaires erreurs.

Après le grotesque spectacle que venait de donner Du Paty, c’était, pour les amis de l’armée, une heureuse diversion que ce vrai officier qui refoulait ses souffrances pour accomplir son pénible devoir. Il refusa de s’asseoir, comme Delegorgue, complaisamment, l’y invitait, parce qu’un soldat de sa trempe doit rester debout ; et il se cramponnait à la barre, de ses fortes mains, ces mains terribles de boucher qui auraient assommé un bœuf et qui n’auraient pas moins aisément étranglé un homme.

Sa grande taille, sa prestance de « colosse trapu »[69] ajoutaient à l’émotion. Rien de pitoyable comme un Hercule[70] malade. Cependant, quelques-uns commencèrent, dès ce jour, à lire en lui ; le crime paysan a son odeur particulière ; je la sentis ; de même quelques autres balzaciens, Ranc, Claretie. Séverine aussi s’inquiéta : « Le regard, sans flammes, a une lueur madrée… Le torse penché sur la barre, il tend l’oreille, un pli d’attention entre les sourcils durs, ne répond qu’à bon escient, comme s’il traversait un gué aux pierres oscillantes[71] ».

Il fut interrogé d’abord sur le mystérieux dossier, « le dossier volé, lui dit Delegorgue, dans l’armoire de votre cabinet ». Henry répondit « qu’il était absent quand le dossier fut pris par Picquart » et confirma la déposition de Gribelin sur la prétendue consigne de Sandherr. Il convint qu’il avait marqué l’enveloppe de son paraphe, mais refusa de dire ce qu’elle contenait. Zola insista. « Un dossier secret, c’était un dossier secret », répliqua obstinément Henry. — « C’était le dossier de l’affaire Dreyfus ? — Non ! dit Henry, le dossier Dreyfus est sous scellés depuis 1895. » Il sous-entendait : le dossier judiciaire. On n’y comprenait plus rien.

Mais il se tira moins aisément d’affaire avec Leblois qui, pressant, agile, excité par la lutte, l’accula. Henry avait repris sa vieille accusation au sujet des dossiers de l’affaire Boulot et des pigeons voyageurs. Leblois riposta qu’Henry lui-même avait conféré avec lui d’une affaire d’espionnage, cette même affaire Boulot. Henry s’enfonça en d’épaisses arguties. Il a causé, mais non « conféré » avec Leblois. Et nullement de questions d’espionnage. « Je n’en avais pas besoin puisque j’étais au courant ! » Il niait avoir vu Leblois dans son cabinet ; Leblois le lui décrivit. « Alors, c’est que Leblois est venu dans mon cabinet quand je n’y étais pas[72]. »

Il s’embourba tellement que Gonse, sur un signe qu’il lui fit, intervint : « Le colonel Henry est extrêmement souffrant ; il a fait un grand effort pour venir ici ; je demande à la Cour de l’autoriser à se retirer ! » Ce qui fut accordé.

On remarqua l’accent qu’Henry avait mis au nom de Picquart, chaque fois qu’il le prononça.

XI

Les choses tournaient mal pour l’État-Major. Dès qu’on pressait sur une allégation quelconque des témoins militaires, il en sortait un mensonge. Aussi, pourquoi avoir laissé s’engager le débat sur toutes ces histoires de dossiers, de photographies ? De quoi Zola est-il accusé ? D’avoir dit que le conseil de guerre a acquitté Esterhazy par ordre ? Et l’on n’en a pas parlé encore !

Pellieux, au début de la cinquième audience, s’en plaignit.

De s’être entendu parler une fois en public, il avait senti sa force. Il était décidé à en user, et pour sa propre gloire, et dans l’intérêt de la vérité, puisqu’il ne doutait pas du crime de Dreyfus.

Les chefs de l’État-major n’ont pas de plus dangereux ami que ce soldat ambitieux et sincère.

Pellieux, comme Cavaignac, s’était étonné que Billot, puisque le crime de Dreyfus était démontré, n’eût pas repoussé, avec mépris, la dénonciation de Mathieu. Pourquoi tant de concessions au Syndicat ? Pellieux, puis Ravary, ont proposé de rendre en faveur d’Esterhazy des ordonnances de non-lieu. Pourquoi Saussier, Billot ont-ils exigé qu’Esterhazy passât en conseil de guerre ?

Sa bonne foi éclate encore, quand il convient que « le conseil de guerre n’a pas eu à juger un accusé[73] » et qu’Esterhazy, muni de deux propositions de non-lieu, était d’avance innocenté. Cependant, les juges du conseil de guerre ont voulu des débats complets ; bien plus, malgré le ministre, ils se sont refusés à prononcer le huis clos total. Et c’est de tels hommes que Zola traite en criminels, ces officiers indépendants et loyaux, « dont plusieurs ont versé leur sang sur le champ de bataille pendant que d’autres étaient on ne sait où ! »

D’ailleurs, les preuves du crime de Dreyfus abondent, dans l’armoire d’Henry, antérieures et postérieures au jugement ; et déjà une furieuse envie le tenait de sortir l’une de ces pièces, la plus décisive, et d’en finir avec les chicanes « à côté » de l’État-Major.

Pendant que Pellieux célébrait les vertus des juges d’Esterhazy et se faisait gloire d’avoir été « leur chef », Zola s’était fort excité ; il s’écria « qu’il y a différentes façons de servir la France. On peut la servir par l’épée et par la plume. M. le général de Pellieux a, sans doute, gagné de grandes victoires : j’ai gagné les miennes. Par mes œuvres, la langue française a été portée dans le monde entier. J’ai mes victoires ! Je lègue à la postérité le nom du général de Pellieux et celui d’Émile Zola : elle choisira ! »

Cette éclatante protestation de l’intelligence contre le Sabre parut, aux uns, le cri d’un légitime orgueil, aux autres, l’explosion d’une ridicule vanité.

Les avocats assaillirent vivement Pellieux, le pressèrent de questions. Il tint tête, sans broncher, attaqua. Ses parades ne furent pas toujours heureuses, mais ses ripostes furent rapides et brillantes. Les camarades, tout le temps, se dérobaient derrière le secret professionnel, le huis clos, mille bas prétextes. Au contraire, il parut joyeux de cette escrime, de ces combats, nouveaux pour lui, fatigua les rudes jouteurs qui le harcelaient. Le succès fut pour lui. Sa parole métallique, qui sonnait comme l’épée, le ton, à la fois courtois et d’une belle insolence, de ses répliques, sa prestance, une élégance apprêtée, mais qui n’en avait pas l’air, quelque chose de décidé et d’audacieux qui émanait de lui, les impatiences et les colères dont il ne réprimait qu’à demi le bouillonnement, fixèrent l’attention des Césariens qui, depuis le cimetière d’Ixelles, n’avaient pas trouvé de successeur à Boulanger, et des royalistes qui, depuis tant d’années, cherchaient Mouk ou Pavia[74]. Il n’avait été, jusqu’alors, qu’un nom, pas beaucoup plus illustre que Gonse ; il devint une espérance. C’est lui qui donnera le « coup de balai ». Tous les fauteurs de coups d’État regardèrent vers lui. Il était aussi bon catholique que beau soldat, l’homme nouveau qui fait aboutir les grandes entreprises. À cette vaste agitation militaire et religieuse qui s’étendait chaque jour, d’autant plus redoutable que les dupes y étaient plus nombreuses que les conspirateurs, il manquait un chef. Il avait des lettres, il entendit sonner le Tu Marcellus… parmi les bravos.

XII

Enfin Picquart fut introduit.

Il était, depuis quatre mois, l’une des énigmes du drame. Du premier jour où son nom fut brusquement lancé dans la plus effrénée des publicités, il fut illustre, mais il resta inconnu.

Hors du monde militaire où il avait vécu assez étroitement, et, d’ailleurs, sans se livrer, qui le connaissait ? À peine quelques amis, son cousin Gast, le fils de Gounod, Leblois, le docteur Hervé. Avant même qu’il fût revenu d’Afrique, il fut transfiguré aussi bien par la haine que par l’enthousiasme. Les passions aux prises s’emparèrent de cet homme qui, toujours, avait fui le bruit. Elles firent deux Picquart : un héros de roman, un traître.

Pour les partisans de la Revision, Picquart était une manière de chevalier redresseur de torts, de Roland moderne, parti en guerre contre l’Iniquité ; et ils le célébraient d’autant plus que, le premier, il avait souffert pour la vérité, et qu’il était le seul uniforme dont ils pussent se réclamer, dans ce pays pris de folie militaire.

De l’autre côté, à l’État-Major, la haine était terrible contre lui : « Il a trahi les camarades. Il devait se taire. Entre officiers, il faut avant tout se soutenir. — Quoi ! même aux dépens d’un autre officier, injustement condamné ? — Il déshonore l’armée. » Nécessairement, comme il n’est pas fou, c’est qu’il est vendu aux juifs.

Tous vendus. Tous ceux qui étaient à vendre, et tous les imbéciles, expliquaient tout par la corruption. Et des millions de braves gens en étaient convaincus.

Ni Billot ni Boisdeffre ne s’y trompaient. Ils savaient la loyauté de Picquart, s’inquiétaient terriblement de ce qu’il dirait. Le huis clos, dès qu’il parut, avait été prononcé au procès d’Esterhazy. Impossible, au procès de Zola, de recommencer la manœuvre de l’éteignoir.

Mais Boisdeffre et Billot connaissaient aussi l’amour de Picquart pour son métier. Ils en avaient déjà joué. Picquart avait silencieusement accepté, l’an passé, son envoi en Afrique.

Le nouveau gouverneur de Paris, Zurlinden (il avait eu Picquart sous ses ordres, et ne manquait ni de probité ni d’indépendance), trouvait excessive la proposition de mise en réforme faite par les juges du Mont-Valérien ; Billot, en conséquence, feignant d’hésiter, annonça officiellement qu’il statuerait seulement après le procès de Zola[75]. Un tel marchandage appuyé par les journaux[76] ne parut pas encore suffisant. Deux officiers furent chargés de tâter Picquart. Le colonel Bailloud vint le voir au Mont-Valérien, mais, reçu en ami, eut honte de sa mission et s’en tut. Le commandant Bessières, un peu plus tard[77], lui insinua que sa rentrée en grâce dépendait de lui seul. Il répondit qu’il respecterait son serment de dire la vérité.

Il avait été convenu que Picquart ferait seul, sans surveillance, le trajet quotidien du Mont-Valérien au Palais de Justice et du Palais à sa prison. On lui insinua de ne pas revêtir son uniforme, trop éclatant, qui provoquerait des manifestations. (Les journaux auraient raconté qu’il ne le portait plus, se faisant justice à lui-même.) Il s’y refusa ou demanda un ordre[78].

Gonse pensa à agir sur Picquart par le juge Bertulus, qui jouissait encore de l’entière confiance de l’État-Major, mais qui, déjà, ne la méritait plus. Il avait vu Picquart, pour la première fois, au cours de l’enquête sur la plainte en corruption contre les frères Dreyfus. Il reçut ensuite sa déposition, dans l’affaire des faux télégrammes[79]. Prévenu contre lui par Henry, qui l’avait décrit, au temps où Picquart dirigeait le service des renseignements, comme un méticuleux et pédant personnage, Bertulus l’écouta d’abord avec défiance, puis fut saisi par la netteté, la précision de ses dires, corroborés souvent par les faits.

Il causait parfois avec Gonse, au ministère, des affaires en cours. Même, un jour, quelque temps avant le procès, le général lui montra la photographie d’une pièce qui était signée « Alexandrine » ; le juge fit mine de l’examiner de près ; Gonse, assez précipitamment, la lui enleva des mains, sous prétexte qu’il était pressé. Puis, quand Bertulus prit congé : « Vous voyez Picquart ; dites-lui bien que, de son attitude à l’audience, dépend tout son avenir. Il sait que je le tiens en haute estime. Ne me nommez pas, mais faites-lui comprendre que sa carrière militaire ne sera pas brisée, s’il sait rester militaire[80]. »

Bertulus accepta la mission, et, tout le temps que dura le procès, chaque fois qu’il vit Picquart, et il le vit presque tous les jours, il lui rappela « ce qu’un officier de son rang devait à l’armée ».

Picquart répliquait, froidement, qu’il saurait concilier ses deux devoirs, de soldat et de témoin.

Il essaya, en effet, de le faire.

Dans la salle des témoins, pendant les quatre premières audiences, il se tint sur une extrême réserve. Il parut l’un de ces hommes qui gèlent, dans l’air, les questions indiscrètes. Toutes ces histoires de faux télégrammes (que Leblois et Trarieux avaient essayé en vain d’élucider), et ces autres, plus confuses encore (que Lauth et Gribelin avaient confirmées), de clichés photographiques retouchés, de correspondances saisies à la poste, de lettres antitimbrées, de perquisitions sans mandat et de propositions suspectes, intriguaient beaucoup.

XIII

Il s’avança à la barre, d’un pas rapide, très droit dans son uniforme bleu soutaché d’or, grand, mince, souple, l’air jeune à quarante-trois ans, les yeux étroits au regard lointain, le visage fermé, l’expression un peu lasse, une certaine dureté triste qui attire les êtres sensibles, surtout quelque chose de très différent d’avec les militaires qui avaient comparu avant lui, un méditatif, un artiste.

Ce contraste seul suffisait à expliquer ce qu’on savait de lui, son conflit avec les chefs, puis avec lui-même, sa soumission, le trouble de sa conscience. Des pensées complexes ont habité ce long front ; ces mains subtiles, déliées, ne sont pas d’un sabreur, mais d’un musicien ; point communicatif, évidemment, très renfermé en lui-même, avec des cachettes impénétrables à ses amis les plus intimes, plutôt hautain, avec le sentiment exact de sa valeur intellectuelle, il a été, même aux jours de sa faveur, plus estimé qu’aimé. Toutefois, le sérieux, chez lui, ne manque pas de grâce. Il est, comme bien des gens des Marches de Lorraine, un composé. Il a enté sur la solidité germanique l’élégance française. Rien que son attitude décèle le courage tranquille. Dans l’épreuve qu’il traverse, nulle amertume apparente, nulle tentative d’exploiter l’intérêt qui naît des belles infortunes. En cela, il ressemble encore à l’autre, là-bas, dans l’île. Il acceptera l’imminente disgrâce comme un devoir. Il se sent digne de tout, mais il est capable de n’être rien. Il aimerait à rester soldat, mais il se résignera à devenir héros. Il parle avec un grand calme, beaucoup de réflexion (comme il pense), et avec de fréquents intervalles de silence, la bouche sèche d’abord, le gosier un peu étranglé ; mais il s’est vite ressaisi et il a posé sa voix, « raisonnable », dans la justesse du ton, du récit et du personnage[81].

Il exposa, pendant plus d’une heure, au milieu d’une attention soutenue, comment il avait découvert Esterhazy et ce qui en était suivi ; mais sans essayer ni d’embellir son rôle, ni d’incriminer ses chefs ou ses camarades, sur une stricte défensive, se bornant à réfuter les imputations imbéciles dont il était l’objet. Ainsi, il ne raconta ni l’entrevue de Bâle, ni la fausse lettre à l’encre sympathique, ni l’invitation que lui adressa Gonse de se désintéresser de l’homme de l’île du Diable, ni la réponse dont il cingla le général, ni ses entretiens avec Boisdeffre et Billot, ni mariée, à son insu, d’une pièce qui fit la conviction du ministre, ni tant d’autres incidents qu’il révéla par la suite et qui auraient singulièrement fortifié son récit. Rien qu’à évoquer la tragique soirée où il avait examiné le dossier secret et ce qu’il y avait vu, rien qu’à répéter en quels termes il avait demandé à Gribelin, qui ne s’y était pas trompé, « le petit dossier qui a été communiqué aux juges de Dreyfus », il eût fourni la preuve éclatante que Dreyfus avait été illégalement condamné. Ces quelques mots fussent devenus tout le procès. Or, il n’en dit rien, jugeant que le secret professionnel l’en empêchait et « s’enfermant dans une consigne de fer, s’y enfermant, comme le lui reprochera Labori[82], jusqu’à l’exagération, en présence de la grandeur des intérêts en cause ». Tous les autres officiers ont parlé du mystérieux dossier et de la pièce principale qui s’y trouve ; Henry va jurer, tout à l’heure, que, depuis l’avant-veille du procès de Dreyfus jusqu’au jour où Picquart s’en empara, le dossier n’était pas sorti de l’armoire de fer. Mais ils sont de l’autre côté, avec les chefs.

Il savait « ce que la loi militaire eût fait de lui, s’il s’était abandonné à un geste trop vif ou à une parole imprudente[83] ». Surtout, bien qu’on le traitât de rebelle, il avait conservé la religion de la discipline, et, malgré les persécutions qu’il avait déjà endurées, quelques illusions. Il ne comprendra pleinement que demain, après l’outrage public qu’il recevra d’Henry, qu’avoir surpris le crime du haut État-Major et avoir refusé de s’y associer, ç’avait été le forfait inexpiable. Le lien était rompu ; rien ne le renouera plus. Ayant fait montre de prévoyance, il eût pu s’en faire gloire ; il s’en tut et, bien plus, confessa que, sentant « de la gêne autour de lui », quand il avait découvert Esterhazy, il s’était rendu compte « qu’il eût bien fait de ne pas continuer ». Il ne fit entendre aucune plainte ; s’il passa un nuage sur son front, ce fut à la pensée de quitter l’armée où il se flattait « d’avoir gardé des sympathies très vives ». Il eût pu accuser ceux qui l’accusaient. Il se loua de « la très grande courtoisie » de Pellieux, qui l’avait si durement traité. Il n’employa que des euphémismes en parlant des manœuvres dont il avait été l’objet. Il atténua, estompa tout.

Cependant, son récit porta beaucoup, non seulement à cause de la nouveauté des faits qu’il révélait et qui parurent décisifs, bien que mutilés, à tous les esprits sans préjugés, mais en raison même de cette circonspection.

À l’entendre, d’un ton si réservé, avec une sobriété élégante de geste et de parole, rappeler ses mésaventures et ses disgrâces, il n’y eut personne qui ne sentît qu’il restait volontairement en deçà de la vérité, soit qu’il lui eût été défendu d’en dire davantage, soit que, par scrupule, sagement, il se le fût interdit à lui-même. Cependant Gonse et tout l’État-Major s’irritaient qu’il en eût tant dit, beaucoup trop, et considéraient qu’il y avait, dans ce qu’il taisait, beaucoup moins de discrétion que de menace.

Cette prudence si légitime, cette politique, qui sont, à la fois, chez lui, instinctives et calculées, furent dénoncées par les journalistes « patriotes » comme les marques d’un esprit cauteleux ; ils l’observèrent curieusement et s’appliquèrent à le faire passer pour un perfide : « Il cueille sa pensée subtile comme une fleur vénéneuse » ; il est « de la race des grands félins[84] ». Ce qu’ils turent, par contre, ou ce qui échappa à ces âmes basses, ce fut le spectacle singulièrement émouvant de cet homme qui, frappé, persécuté, calomnié, emprisonné, silencieux jusqu’au jour où la loi lui a commandé de parler, ne disait rien que de vrai, et se condamnait ainsi lui-même, puisque, dans ces tristes jours, le crime par excellence, pour un témoin militaire, c’était de ne pas mentir et de tenir son serment.

Dans ce grand mouvement pour la Justice, ce qui est noble et beau va paraître de plus en plus avec le recul des années ; on y démêlera aussi ce qui fut verbiage, rhétorique et échauffement du cerveau. On ne trouvera chez Picquart aucune de ces scories. Ses défauts mêmes, son peu de sensibilité, l’en préservent. L’atticisme se manifeste dans les actes comme dans le langage. Tel qu’on le vit alors, rien ne l’explique mieux que son style. Il y porte la même exactitude que dans sa conduite, le même sérieux, la même mesure. Il évite toute dissertation, qui serait périlleuse, feint d’ignorer les causes profondes, les hommes, s’efface derrière les faits. On n’aperçoit ainsi que les faits eux-mêmes, ce qui passe pour la perfection du récit. Il ne cherche pas à exciter l’intérêt par le pathétique, par l’éloquence, par les épithètes. Il a cette qualité des bons classiques, d’écrire et de parler très purement « sans y prendre garde[85] », ce quelque chose de moyen (je ne dis pas de médiocre) dans la pensée et, par conséquent, dans la forme, qui donne la double sensation du solide et du clair, et cette simplicité que tous les gens de goût admirent, mais où personne n’atteint s’il n’en a le don. On voudrait parfois une trame du discours plus serrée, sinon plus forte, mais le tissu en est solide, bien uni, d’une excellente matière. La phrase suit bien l’ordre des idées, sans effort. Plus de chaleur ne nuirait pas, un peu d’émotion plairait. Mais il possède la plus rare des qualités littéraires : « Nulle qualité dominante[86]. »

XIV

Ce discours de Picquart fut suivi de scènes d’une violence extrême. Comme les revisionnistes, nombreux ce jour-là, beaucoup d’avocats en robe, lui firent une ovation, les témoins militaires sortirent en furieux, à la suspension d’audience, Pellieux en tête, clamant qu’ils avaient été insultés et que le cri de « Vive Picquart ! » équivalait à celui de « À bas l’Armée ! »

Le bâtonnier Ployer, malmené ce matin même, par Drumont, trouva l’occasion bonne pour rentrer en grâce.

La toque en main, il s’approcha des généraux, les pria d’excuser quelques échauffés[87]. Autour de lui, avocats et journalistes gesticulaient, s’injuriaient, prêts à en venir aux coups ;

Labori, à la reprise de l’audience, questionna Picquart. Ses brèves répliques, qu’il fallut, parfois, arracher, toujours nettes et précises, accrurent la colère des militaires. Jamais ses chefs n’ont allégué comme une impossibilité matérielle, résultant de documents, qu’Esterhazy ne pouvait pas être l’auteur du bordereau. Picquart savait qu’il allait à l’encontre de ses intérêts en poursuivant ses recherches sur Esterhazy ; mais ses chefs, à qui il eût obéi, ne lui donnèrent jamais l’ordre de cesser. Sa mission en Afrique fut une disgrâce déguisée. Sans l’intervention du général Leclerc, on l’envoyait à la frontière tripolitaine, dans des parages qui n’étaient pas « des plus sûrs ». Esterhazy a su trouver, dans les bureaux de la Guerre, des amis qui lui ont prêté aide et secours pour la fabrication des fausses lettres et des fausses dépêches. Ravary s’est refusé à chercher les auteurs de ces faux. Le général Guerrier a fait rayer des états de service d’Esterhazy une fausse citation à l’ordre du jour ; le conseil de guerre n’en a rien su. Le document libérateur, c’est la photographie de cette pièce Canaille de D… que Gribelin accuse Picquart d’avoir montrée à Leblois : « Vous voyez le lien entre la disparition du document libérateur et la visite de Leblois dans mon bureau ! »

Ce n’était qu’une partie de la vérité ; mais quelle trouée dans l’ombre ! L’honneur des protecteurs d’Esterhazy coulait par tous les pores.

Pellieux, certain, on l’a vu, de l’infamie de Dreyfus, ressentait, en conséquence, une irritation violente contre Picquart, officier en révolte qui accusait un innocent et faisait le jeu des ennemis de l’armée : « Sans lui, l’Affaire n’existerait pas[88]. » Il s’exaspéra encore de l’insolence des avocats de Zola qui s’acharnaient, voulaient tout savoir. Les officiers l’entouraient, l’excitaient : « Il n’y a que vous pour tenir tête à toute cette canaille[89] ! »

Leur haine éclata aux confrontations.

Gribelin se fit donner par Picquart le brevet de « parfait honnête homme[90], » puis jura à nouveau qu’il avait vu Leblois et le colonel attablés devant le dossier secret. — Lauth, tout le temps que Picquart déposa, s’était démené furieusement, la figure contractée, comme prêt à bondir sur lui, pendant que Du Paty, très pâle, écoutait en silence[91]. Il perdit toute mesure quand il se trouva à la barre, face à face avec son ancien chef. Il répéta, avec violence, ses vieilles inventions et y ajouta. Picquart a voulu faire apposer un timbre sur le petit bleu et faire disparaître les traces de déchirures sur la photographie, pour pouvoir dire, là-haut, à l’État-Major, que la carte venait de la poste ». Il a voulu également lui faire certifier que la carte, d’une écriture inconnue, était d’une écriture connue (celle de Schwarzkoppen). De plus, « Henry n’est pas sûr actuellement d’avoir tout enlevé des cornets, notamment le petit bleu, pièce ressortant (sic) de son service ». Ces cornets, enfin, Picquart les a gardés plusieurs jours. Dès lors, Lauth est persuadé que « Picquart a mis, lui-même, le petit bleu dans le paquet ». Il ne l’en accuse pas, « parce qu’il n’a pas de preuves ». Il n’en a pas parlé à ses chefs « parce qu’il n’est pas un dénonciateur ». Mais « il le croit depuis plus d’un an, depuis l’automne de 1896[92] ».

Picquart démentit Lauth, lui posa, ainsi qu’à Gribelin, cette question : « Avez-vous vu une seule lettre sur laquelle j’aie fait apposer un cachet[93] ? » Ils se turent. Albert Clemenceau, par des raisonnements mathématiques ou de simple bon sens, démolit (ce jour-là et le suivant) le reste de l’accusation. Inutilité, s’il s’agit de tromper les chefs, de faire disparaître les traces de déchirures du petit bleu sur les photographies, puisque les chefs réclameront l’original. Impossibilité d’apposer un timbre sur le petit bleu, déchiré en cinquante petits morceaux sans que la fraude apparaisse. Le cachet fût appliqué, forcément, sur les bandes gommées[94]. La carte, si elle vient de l’ambassade, peut être déchirée, mais ne peut pas être timbrée. Si elle a été saisie à la poste, elle peut être timbrée, mais ne peut pas être déchirée. Elle ne peut être à la fois déchirée et timbrée que si elle a été prise chez Esterhazy, mais, alors, elle est sans valeur.

Picquart dit, fort bien, que rien ne prouvait mieux « l’inexistence des intentions qui lui étaient prêtées » que ce fait, mis en lumière par la défense, qu’elles eussent été absurdes, illogiques et, d’ailleurs, impossibles.

Il établit encore qu’il n’avait jamais fait perquisitionner chez Esterhazy ; il n’a envoyé chez lui qu’un seul agent qui a constaté que beaucoup de papiers avaient été brûlés et qui n’a rapporté qu’une carte (de Drumont ; mais Picquart ne le nomma pas). Voilà le « cambriolage » dont l’ont accusé Pellieux et Ravary, dont il a été mené si grand bruit que les revisionnistes eux-mêmes le lui ont reproché. Pellieux dut convenir que, ce qu’il avait affirmé, il le tenait exclusivement d’Esterhazy[95].

Enfin, Ravary dit le mot de la situation : « La justice militaire ne procède pas comme la vôtre. » Albert Clemenceau s’exclama : « Il n’y a qu’une justice, il n’y en a pas deux ! » — « Notre code, répliqua Ravary, n’est pas le même[96] ! ».

Ce commentaire affaiblissait la belle franchise de sa première affirmation ; la protestation de Clemenceau n’était pas fondée ; en fait, c’est Ravary qui avait raison. Il y avait, en effet, deux justices, deux conceptions du devoir et de l’honneur, deux mentalités, deux Frances.

À la sortie du Palais, on s’assomma beaucoup. Le soir, on saccagea des magasins juifs. Toute la nuit, les braillards antisémites manifestèrent à travers la ville apeurée, comme à la veille d’une émeute. Tous les cerveaux battaient la fièvre.

XV

Pendant que les bandes de Guérin opéraient dans la rue, Drumont délibéra avec quelques amis, très effrayés par le succès de Picquart et redoutant, pour peu que le jury se laissât émouvoir, l’effondrement du procès ; par conséquent, la Revision, le triomphe des juifs et l’écroulement de la belle entreprise qui avait si bien commencé.

On s’était occupé déjà des douze citoyens obscurs d’où dépendait l’avenir. Des émissaires étaient allés les trouver à domicile, menacer leurs femmes. À la cour d’assises, Rochefort, régulièrement, prenait place près des jurés, parlait assez haut pour être entendu d’eux, à qui la loi interdit d’adresser la parole à l’audience, et causait avec les jurés supplémentaires. Bien mieux. Drumont avait signalé que l’un des jurés titulaires était fournisseur de Rothschild, dès lors, à la solde des juifs, et le pauvre homme[97] en était tombé malade ou avait feint de l’être. Le soir même, il envoya un certificat de médecin et fut remplacé par un des jurés supplémentaires[98].

L’avertissement aux jurés était très clair, tous petites gens, comme on a vu, artisans et commerçants, soucieux de n’être pas dénoncés à leur clientèle comme de mauvais Français, et faciles à terroriser.

Le jeu, pourtant, était dangereux : on eût pu se heurter à des consciences plus solides.

Il parut donc nécessaire de joindre à ces manœuvres individuelles une opération d’ensemble ; le mieux, pour agir sur ce jury incertain, troublé par tant d’échappées de la vérité, ce sera d’obliger Billot à proclamer, une fois de plus, au cours du procès, la culpabilité certaine de Dreyfus. On l’obligera, par la même occurrence, à donner carte blanche aux hommes d’action, à Pellieux, qui, si brillamment, a gagné ses éperons et dont Gonse, peureux et jaloux, chaque fois que ce vrai soldat prend la parole, s’en va dire qu’« il fait encore du vent ».

Depuis quelque temps, Rochefort avait entrepris une nouvelle campagne contre Billot au sujet de ses relations avec Mathieu Dreyfus, par l’intermédiaire de l’ancien contrôleur Martinie. Celui-ci, du premier jour[99], avait avoué, mais prenant pour lui la responsabilité de la démarche, mettant Billot hors de cause ; il écrivit ensuite à Rochefort deux lettres virulentes où il accusait Mathieu de l’avoir trahi, comme son frère avait trahi la France[100]. Le député Ernest Roche, que les socialistes appelaient « le laquais de Rochefort », avertit Billot qu’il l’interpellerait sur ce scandale.

C’était là, si l’on savait manœuvrer, l’occasion cherchée. D’une part, Drumont, dans son journal, annonça l’intervention au débat de Gauthier (de Clagny), antisémite notoire et césarien avéré, parce que les « patriotes en ont assez de voir Billot protéger Picquart, ex-distributeur des fonds secrets[101] » ; — Gauthier, d’autre part, adressa à Déroulède, alors absent de Paris, une dépêche virulente où il lui dénonçait « l’attitude louche de Billot », », « la faiblesse » du ministère, la veulerie de Félix Faure ; et il expédia son télégramme en clair, selon un procédé connu, pour que le Gouvernement, qui prend connaissance de toutes les dépêches politiques, fût le premier informé que la patience des tyrans de l’opinion était à bout[102].

Déroulède, jusqu’alors, s’était tenu à l’écart de l’Affaire. Après avoir fait son devoir, comme tant d’autres qui s’en targuèrent moins, pendant la guerre[103], et sonné ensuite, dans ses Chants du soldat, Tyrtée incorrect mais entraînant, le clairon de la revanche, il tenait depuis quinze ans boutique de patriotisme, et, tout en se disant républicain, joua un rôle tapageur dans tous les mauvais coups contre la République. Cependant, et bien qu’il fût devenu antisémite, il avait douté que Dreyfus fût coupable, et sa réserve avait fort inquiété l’État-Major. Vingt officiers lui furent dépêchés pour le convaincre[104]. Il résista assez longtemps. Il n’était plus député, ayant donné sa démission lors de l’affaire, où il fut mêlé, des faux papiers de Norton. Il était revenu aux lettres. Mais il n’y avait pas retrouvé ses succès d’autrefois ; comment concevoir sans lui un mouvement catholique et militaire, et d’apparence patriotique ?

Déroulède, flatté d’être traité en chef, répondit qu’il se réjouissait de l’attitude de Paris et « des dépositions des militaires, enfin nettes et catégoriques, malgré M. Billot ».

C’était toujours le même procédé, et, chaque fois qu’il fut employé, il réussit.

En effet, dès que Brisson, au début de la séance[105], eut donné lecture de la demande d’interpellation d’Ernest Roche, Billot s’élança à la tribune et, tout de suite, après avoir écarté « d’un démenti absolu, l’infamante insinuation » dont il était l’objet[106], il jura, « pour la sixième fois, que Dreyfus avait été légalement jugé et justement condamné ». Et, comme si ce sixième parjure ne suffisait pas encore, il ajouta, s’adressant cette fois moins aux députés qui l’applaudissaient qu’aux jurés qu’il avait reçu l’ordre d’intimider : « Si jamais, dans l’affolement des passions, oubliant les intérêts sacrés de la patrie, on voulait imposer au Gouvernement la revision du procès, vous pourriez chercher un autre ministre de la Guerre ; je ne resterais pas vingt-quatre heures au pouvoir[107]. »

Ainsi, une fois encore, obéissant à un hideux chantage, et le premier, donnant l’exemple, il jeta son épée dans la balance.

La Chambre le crut ou fit semblant. Quand Roche, suffoqué par une telle audace dans l’imposture, ayant dans sa poche l’aveu écrit de Martinie, demanda à établir, pièces en mains, sa véracité, ce fut Brisson lui-même qui couvrit le ministre : « M. le général Billot, dont nous avons, depuis trente ans, pris l’habitude de respecter la parole. »

La Chambre, à la demande de Méline, ajourna l’interpellation après le procès de Zola[108]. En effet, de la discussion immédiate eût pu résulter la preuve que Billot avait menti, alors, au contraire, que son serment incontrôlé pèsera de tout son poids sur le verdict du jury.

Ce coup nouveau de Drumont fut décisif. Les défenseurs de Dreyfus s’obstinaient à croire que la bonté de leur cause suffisait à assurer la victoire. Leurs adversaires ne négligeaient aucun moyen. Ils agissaient partout à la fois. Ils avaient le sens de l’à-propos. Ils ne mettaient pas seulement de la lucidité, mais de la méthode dans le crime. Ils n’étaient pas audacieux qu’en discours. Ils avaient, selon une forte parole[109], « le don respectable de la haine ». Leur haine ne s’endormit jamais.

Maintenant, retournons à la cour d’assises et racontons ce qui s’y passa le même jour.

XVI

Henry, malade le 11, s’était ressaisi. Pourtant, par prudence, il se dit encore soufrant, mais il ne demanda que « la permission de s’appuyer à la barre ».

Les journalistes de l’État-Major le regardaient avec admiration : « Son visage est ouvert comme un livre. Vous y lisez ces grandes vertus des forts : la patience et la franchise. Fort et doux, mais dans les yeux on voit poindre une lueur d’orage[110]. »

Dès les premiers mots de la confrontation, il s’embourba. Il avait commencé par « jurer » qu’ayant surpris Picquart avec Leblois, le dossier secret entre eux, d’où sortait la pièce Canaille de D…, il en avait averti Gonse, « quelques jours après », lui conseillant de reprendre le dossier, ce que le général fit le surlendemain. Mais Picquart, très maître de soi, et le regardant fixement, dit que Leblois était rentré à Paris le 7 novembre, que Gonse avait repris le dossier le 30 octobre et que, dès lors, rien ne pouvait subsister des allégations d’Henry. Et, comme Leblois, qu’Henry, d’une grosse malice, cherchait à mettre en opposition avec Picquart, le confirma, au contraire, sur tous les points, le colosse se fâcha, reprocha à Leblois de « patauger à côté de la vérité », et s’embrouilla dans des explications contradictoires. La photographie de la fameuse pièce tour à tour rentra dans l’enveloppe et en sortit. Henry, en octobre, a vu au ministère Leblois, qui était alors dans le grand duché de Bade ; « en tous cas, à mon retour de permission ». Enfin, s’il a dit à Ravary qu’il a vu Leblois « compulser le dossier » avec Picquart, « c’était au figuré[111] ».

Pendant qu’Henry équivoquait ainsi, perdait pied et s’enfonçait, Picquart, un peu en arrière, l’observait, « d’un sourire étrange[112] », et, comme un chasseur à l’affût, attendait, dans un grand calme très exaspérant, le moment de l’achever. Ayant fait dire à Henry par quelle porte il était entré dans son cabinet[113] et à quelle distance il se tenait de son bureau[114], Picquart, sans rien contester de ses réponses, demanda simplement que l’on produisît la pièce. La photographie, quand Pellieux la lui a montrée, était très obscure, brouillée. Henry, entrant par la grande porte du cabinet, debout de l’autre côté du bureau, n’aurait pas pu la reconnaître. D’ailleurs, elle ne porte pas : « Cette canaille de D… », mais « Ce canaille de D… »

Il n’y avait plus qu’à faire l’expérience, et non seulement Henry était pris en flagrant délit de faux témoignage, mais toute la fable de la « dame voilée » s’écroulait du coup.

Henry, très rouge, grogna : « Moi, je reconnaîtrais la pièce à dix pas. » Picquart, toujours impassible, mais très correct, lui donna « le démenti le plus formel ».

Alors, brusquement, la mâchoire tendue, les yeux hors de la tête, Henry se tourne vers Picquart, et frappant la barre de la main, apoplectique, d’une voix tonnante[115] : « Et moi, je maintiens tout ce que j’ai dit, et j’ajoute que le colonel Picquart en a menti ! »

Acte, geste et ton du voleur surpris, forcé, qui tire son couteau. Il a l’intuition que quelque chose de violent, d’éclatant, peut seul le tirer d’affaire.

Mais Picquart, d’un suprême effort de volonté, a retenu son bras qui se levait, et devenu tout à coup d’une pâleur de cire, les dents serrées, les mains agitées d’un tremblement fébrile, il dit aux jurés, d’une voix frémissante, l’affreuse situation qui lui était faite et pourquoi on le traitait ainsi, pourquoi Lauth l’accusait d’avoir mis lui-même le petit bleu dans le cornet, pourquoi Gribelin, Henry, portaient contre lui d’autres accusations, non moins odieuses. Ah ! c’est très simple, et « vous le comprendrez quand vous saurez que ces mêmes hommes, Henry, Gribelin, aidés de Du Paty et sous la direction de Gonse, ont été les principaux artisans de l’autre affaire !… Ils ont travaillé alors en conscience, pensant, je veux le croire, qu’ils étaient dans la vérité. Il ont reçu ensuite du colonel Sandherr, qui déjà au moment de cette affaire, était atteint de la grave maladie dont il est mort depuis, la consigne, comme une sorte de testament, de défendre, contre les attaques, le jugement qui était l’honneur du Bureau ! » Et ils ont défendu la consigne par tous les moyens.

Il rompait les ponts derrière lui, mais c’en était trop, il n’en pouvait plus, il ne pouvait pas contenir, plus longtemps, le jaillissement des eaux-vives de sa douleur :

Moi, j’ai pensé autrement lorsque j’étais à la tête de ce service, et, comme j’ai eu des doutes, j’ai voulu m’éclairer et j’ai cru qu’il y avait une meilleure manière de défendre une cause que de se renfermer dans une foi aveugle.

Messieurs les jurés, voilà je ne sais combien de temps, voilà des mois que je suis abreuvé d’outrages par des journaux qui ont été payés pour répandre ces calomnies et ces erreurs… Pendant des mois, je suis resté dans la situation la plus horrible pour un officier, car je me trouvais attaqué dans mon honneur sans pouvoir me défendre ! Demain, peut-être, je serai chassé de cette armée que j’aime et à laquelle j’ai donné vingt-cinq ans de ma vie ! Cela ne m’a pas arrêté lorsque j’ai pensé que je devais rechercher la vérité et la justice. Je l’ai fait, et j’ai cru rendre en cela un plus grand service à mon pays et à l’armée. C’est ainsi que j’ai cru qu’il fallait faire mon devoir d’honnête homme ![116]

Le président Delegorgue, devant le délit d’audience commis par Henry, s’était contenté d’observer aux deux colonels, « d’un ton bonhomme[117] » : « Vous êtes en désaccord tous les deux[118]. »

XVII

Henry avait compté que le tumulte, la rixe, le duel inévitable, après un pareil scandale, mettraient fin aux débats. Au contraire, l’avocat général resta muet, comme figé dans son fauteuil, et les avocats reprirent, avec une ténacité excitée, leurs questions.

La brusque explosion de Picquart avait également déconcerté Henry et Gonse. Habitués à abuser, pour leur compte, de la force et à ne respecter qu’elle, toute manifestation d’énergie intimide les militaires. Aussi la riposte d’Henry parut faible : « Sandherr n’a légué aucune consigne aux officiers du bureau ; chacun travaillait pour son compte, isolément, selon sa conscience, dans l’intérêt de la patrie ; pour lui, sur tout ce qu’il a de plus sacré au monde, il affirme qu’il n’a jamais vu le petit bleu dans les papiers et il était seul à les recevoir[119]. » Et Gonse, tout à fait décontenancé, geignit : « Il n’y a jamais eu de machination à L’État-Major. Si Picquart a été envoyé en mission, c’est qu’on cherchait à le distraire de sa prétendue découverte, à rectifier son jugement, et, nullement, pour le faire tuer par les nomades. » Il se plaignit qu’un journal, à ce propos, l’eût appelé « Gonse-Pilate[120] ». Il avait toujours cherché « à rendre la vérité aussi éclatante que possible », alors que Picquart avait commis la faute de garder le petit bleu par devers lui, pendant plusieurs mois, sans en avertir ses chefs. Puis, quand Picquart s’en fut justifié, en se couvrant de Boisdeffre qui l’avait approuvé « par écrit et verbalement[121] », Gonse, brusquement, lui offrit la paix. Il dit que « c’était un officier qui avait très bien fait son service jusque-là et qui était susceptible de le faire très bien dans l’avenir, s’il le voulait[122] ».

Picquart, en s’emportant d’un si beau mouvement, qui lui gagna tous les cœurs un peu nobles, s’était singulièrement fortifié. Toutefois, il va se contenir de nouveau au lieu de poursuivre son heureuse offensive, parce qu’il est naturellement réservé, de la race des Cunctator, et qu’il a encore l’empreinte. Il dit à Bertulus qui l’en félicitait : « Tant que j’aurai l’honneur de porter l’épaulette, je sacrifierai tout[123] ! » Le juge, chaque fois qu’il rencontrait Gonse, lui faisait promettre que Picquart ne serait pas rayé des cadres de l’armée[124].

Cependant l’invite, qui fut fort remarquée[125], de Gonse à Picquart avait fait dresser l’oreille à Henry, toujours très attentif, et il la jugea d’autant plus grave qu’elle succédait au violent éclat où il s’était pour la première fois et irrémédiablement compromis. Ainsi, les méfiances d’Esterhazy étaient fondées ; non seulement le ministre de la Guerre (il ne connaissait pas encore la séance de la Chambre), mais les chefs de l’État-Major eux-mêmes hésitaient de nouveau, après avoir promis de s’engager à fond ; dès lors, il devenait nécessaire, à la cour d’assises comme dans la presse, de faire sentir la pointe.

Il manœuvra en conséquence. Albert Clemenceau, l’ayant fait revenir à la barre, l’avait, une fois de plus, convaincu de mensonge. Même en admettant que le dossier n’eût pas été repris par Gonse en octobre, l’avocat démontrait qu’il était encore impossible de placer l’affirmation d’Henry, entre le 7 novembre 1896, date du retour de Leblois à Paris, et le 14, date où Picquart avait quitté le service. Henry, en effet, avait dit successivement qu’il avait parlé à Gonse trois jours après avoir vu Leblois chez Picquart et que Picquart avait reçu son ordre de mission huit jours après cette dénonciation. Cela faisait onze jours qui ne pouvaient s’intercaler entre le 7 et le 14[126]. Il restait seulement qu’Henry jurait « qu’il y avait du feu dans la chambre[127] ».

Henry, se sentant ainsi submergé à nouveau, renouvela alors son coup ordinaire, celui du soldat de caserne, impuissant à se contenir, qui s’emporte et qui sacre. Il protesta, à la stupeur de Picquart déconcerté par une telle effronterie, que la pièce Canaille de D… n’avait jamais eu « aucun rapport avec le dossier Dreyfus » ; puis, brusquement : « Je vais d’ailleurs m’expliquer sur le dossier secret. » Et comme Labori lui donna son assentiment : « Eh bien ! allons-y[128] ! »

Il raconta alors qu’en 1894, au mois de novembre, tout au début de l’affaire Dreyfus, Sandherr lui commanda de rechercher, dans ses dossiers secrets, tout ce qui avait trait aux affaires d’espionnage, depuis un an, et d’en faire un dossier. Il réunit, en conséquence, huit ou neuf pièces et les remit au vieux colonel, lui faisant observer toutefois que l’un de ces documents, très important, très secret, ne devait pas sortir du bureau sans avoir été copié ou photographié. (C’était la pièce Canaille de D…) Sandherr lui dit alors qu’il s’en chargeait, fit faire deux ou trois photographies de cette pièce, puis, le 15 ou le 16 décembre, lui rendit tout le dossier. Henry, sans faire le dépouillement des documents, les mit dans une enveloppe qu’il parapha au crayon bleu, colla et enferma dans son armoire de fer, d’où elle ne sortit que le jour où Picquart la demanda à Gribelin. (Ainsi tombe la légende des pièces secrètement communiquées aux juges de Dreyfus.)

Cependant Henry, quand Sandherr lui rendit le dossier secret, s’était étonné que le colonel n’en eût plus besoin. « J’en ai un plus important », répondit Sandherr. Sur quoi. « lui ayant fait jurer de n’en parler jamais », il lui montra une lettre plus importante, en effet, que celles de l’autre dossier », ajoutant « qu’il la gardait, avec quelques autres pièces, pour s’en servir au besoin ». Et plus jamais Henry n’en entendit parler ; jamais le colonel ne lui remit le redoutable dossier.

Picquart ne comprit rien à cette histoire ; il n’avait jamais entendu parler de ces pièces mystérieuses ; il savait seulement qu’Henry mentait quand il racontait que l’autre dossier n’avait pas été communiqué aux juges de Dreyfus. En effet, Picquart avait conseillé la communication secrète et il croyait que c’était lui-même qui avait remis les pièces secrètes aux juges.

Pourtant, il se tut.

Gonse et Boisdeffre se turent, eux aussi, mais ils avaient compris. Ils savaient ce qu’était cette « lettre », plus importante que toutes les autres pièces.

Cela se passait le 12 février. Le 15, dans une réunion publique à Suresnes, Millevoye dit qu’il connaissait la preuve irrécusable du crime de Dreyfus. C’était une pièce gardée au saint des saints de l’État-Major, si terrible que « la divulgation officielle d’un tel document déchaînerait la guerre ». Il en donna le texte :

Je demande que ce canaille de Dreyfus vous livre le plus tôt possible les pièces qu’il a promises. Signé : Guillaume[129].

L’auditoire éclata de rire ; Millevoye s’effondra sous les huées.

Ces ouvriers trouvaient l’invention par trop grotesque. Cette impériale annotation du bordereau, qui avait convaincu ou terrifié Billot et Félix Faure, leur fit hausser les épaules.

Henry, qui avait atteint son but, Gonse et Boisdeffre, qui ne se souciaient pas de livrer le faux des faux à la discussion, furent atterrés de l’intempestive offensive de Millevoye, comme ils l’avaient été précédemment de celle de Rochefort. Henry écrivit à Esterhazy qui l’avait averti : « C’est décidé : il faut faire le silence sur les épîtres du Q couronné ; on en a stupidement parlé ; donnez la consigne[130]. » Millevoye, rabroué, garda le silence, dans son propre journal, sur l’incident[131].

Le coiffeur Chauvin, député socialiste, assistait à la réunion. Il en fit le récit à Jaurès. Les journaux revisionnistes signalèrent joyeusement, mais sans y insister, l’énorme sottise, bien digne de l’imbécile qui avait produit à la tribune les faux du mulâtre Norton.

Grande faute de n’avoir fait que rire de l’imprudent bavardage de Millevoye. Il eût fallu pousser l’affaire à fond.

Le gouvernement prussien fut plus avisé. La Gazette de l’Allemagne du Nord démentit officiellement[132] que l’Empereur eût jamais écrit en ces termes au comte de Munster.

On s’étonna qu’un grand gouvernement s’abaissât à relever de telles inepties. On ne remarqua pas la coïncidence entre les dernières révélations d’Henry et les déclarations de Millevoye.

Henry ne reparut plus à la barre.

XVIII

Il n’y eut jamais de plus ingénieux metteur en scène que l’huissier-audiencier de la cour d’assises. Delegorgue l’ayant invité, après la déposition d’Henry, à faire venir le témoin suivant, il introduisit Demange. Et, sur l’heure, la première partie du roman d’Henry s’effondra, toute cette histoire du dossier secret qui, n’ayant pas quitté son armoire, n’avait pu être communiqué aux juges.

Le mot, le seul mot, que Salles, bâillonné, avait refusé de prononcer. Demange va le dire, et si prestement, d’une si subite inadvertance, que le couperet de Delegorgue, n’aura pas, cette fois, le temps de tomber.

Comme il s’attachait surtout à rappeler les conseils de prudence qu’il n’avait cessé de prodiguer à Mathieu Dreyfus, ce qui semblait une critique de Zola, Delegorgue le laissait aller ; ce dont Demange profita déjà pour glisser « qu’il avait su de Salles qu’il y avait eu violation de la loi[133] ». Puis, le mot insinué, il le répéta trois et quatre fois, racontant que son avis personnel avait toujours été de saisir le ministre « par la voie de l’annulation ». Il l’avait dit aux Dreyfus, à Scheurer. Par malheur, « le Gouvernement ne désirait pas, à ce moment, faire la lumière sur l’affaire Dreyfus », et lui, n’étant préoccupé que de son client, étranger aux luttes des partis, il avait conseillé, de nouveau, la patience. « Il faut attendre encore, des temps plus calmes, l’apaisement. » Aussi bien ne peut-on pas reprocher à Zola d’avoir eu recours à une procédure révolutionnaire, puisque les voies légales lui étaient fermées.

Delegorgue se croyait hors du défilé ; il avait déjà refusé, par deux fois, de poser une question de Labori sur l’origine de la conviction de Demange, quand Albert Clemenceau renouvela lestement sa précédente manœuvre : « N’est-ce pas qu’un juge du conseil de guerre a affirmé l’existence d’une pièce secrète à Me  Salles qui l’a répété à Me  Demange ? — « Mais oui ! parbleu ! » riposta Demange[134].

C’était dit. La cuirasse d’acier qui avait repoussé les grands mots, le petit mot, la vulgaire interjection, la flèche légère y pénétrait.

  1. Van Cassel était substitut à Saint-Omer. Le fou jetait des briques et des plâtras sur les gendarmes qui entouraient la tour. Le sous-préfet Riff fit ouvrir le feu sur le malheureux, qui fut blessé. Le substitut Van Cassel prit part à la salve, avec un revolver. La Cour de Douai lui infligea une amende (10 décembre 1875).
  2. Il reçut, pendant cette première audience, des centaines de dépêches. « À quatre heures, il y en a bien un kilo. (Albert Bataille, dans le Figaro du 8 février 1898.)
  3. Mémoires de Scheurer.
  4. Ranc, témoin oculaire, dans le Matin du 25 février 1898. — Rennes, II, 161. Gonse.
  5. Philippe Dubois, Impressions d’un témoin, dans l’Aurore du 8 février.
  6. Mémoires de Scheurer.
  7. Bertulus saisit, plus tard, chez Esterhazy une carte-télégramme de Guérin qui demandait de l’argent à Pauffin (de Saint Morel). Celui-ci la communiqua à Esterhazy (cote 9 scellé 6 ; cote 10, scellé 16 ; Cass., II, 236.)
  8. Procès Zola, compte rendu sténographique, I, 37 à 41. Van Cassel. — Pour la physionomie des quinze audiences, voir Albert Bataille, Le Procès Zola, ou tome XVII des Causes criminelles (compte, rendu du Figaro) ; Séverine, Vers la Lumière (compte rendu de la Fronde) ; Bonnamour (G. Bec), Le Procès Zola, compte rendu de l’Écho de Paris.
  9. Assignation du 21 janvier 1898.
  10. Arrêt du 7 février. — La légalité de l’arrêt fut contestée par Manau devant la Cour de cassation ; le moyen ne fut pas admis, mais par cette raison que le pourvoi, contre un arrêt interlocutoire, doit être fait dans les trois jours. Procès Zola, II, 459, Chambaraud ; 484, Manau.)
  11. Cette lettre d’Esterhazy fut lue seulement à la seconde audience, le 8 février. Labori n’insista pas pour qu’Esterhazy fût réassigné, mais Albert Clemenceau fut d’un autre avis : « Et s’il ne répondait pas, je demanderai à la Cour qu’il fût amené devant elle par la force armée. » La Cour accepta les conclusions de la défense.
  12. Audience du 8 février 1898.
  13. Séverine, Vers la Lumière, 69.
  14. Séverine, Vers, la Lumière, 66.
  15. Procès Zola, I, 85.
  16. Zola, quand les clameurs s’apaisèrent, ajouta : « … en ce moment-ci, je fais appel à la probité des jurés ».
  17. Picquart avait autorisé Scheurer à en donner lecture à la barre. Pour la publication dans les journaux, il lui dit de faire à sa guise, qu’il n’interviendrait pas. C’est ce que me dit Scheurer après l’audience. J’envoyai aussitôt des copies au Siècle, à l’Aurore, à la Petite République, au Radical, etc. Picquart, en effet, ne protesta pas. S’il dit, plus tard, « qu’il s’était opposé de la façon la plus absolue à cette publication » (I, 318), cela était vrai pour la période qui avait précédé le procès de Zola. (Voir p. 148.)
  18. Genty, préparateur d’examens.
  19. Presse du 10 février 1898.
  20. Libre Parole du 9 février 1898 : « Vous êtes une vieille fripouille ! » lui dit Guérin ; une foule furieuse le poussait, plus mort que vif etc.
  21. « La foule crie : « À l’eau le youtre ! À mort les juifs ! » Son mufle immonde de bête sarcastique se plisse d’une façon horrible… » (Libre Parole du 9.)
  22. Gazette de France du 10, Aurore du 12, etc.
  23. Me  Courot : il avait crié : « Vive l’armée, mais enlevez certains chefs ! »
  24. Le colonel Bougon.
  25. 11 février. (Temps, Figaro, etc.)
  26. Ils dansaient autour de ces bûchers en chantant un refrain obscène : « Zola est un gros cochon. — Quand on l’attrapera, nous le flamberons. » (Libre Parole du 9 février 1898.)
  27. Le 11 février, au faubourg Saint-Antoine, ils saccagent les ateliers d’un commerçant juif, blessent les gardiens : un autre jour, ils envahissent la boutique d’un libraire alsacien qu’ils prennent pour un juif. Mêmes scènes rue des Blancs-Manteaux, boulevard de Sébastopol, etc… Temps, Matin, etc.)
  28. Libre Parole du 12 février : « Pourtant, ça doit sentir bigrement mauvais, le youpin grillé… Les sales juifs, épouvantés, se plaquaient contre les murs, tels des punaises. » — De même la Croix, le Pèlerin, la Gazette de France, etc.
  29. Silhouette du 31 janvier.
  30. Rapport du commissaire de police d’Alger.
  31. En 1742, rapport de lord Londsale. (Taine, Littérature anglaise III, 256.)
  32. Récit de Marguerite Pays à Christian Esterhazy dont je le tiens.
  33. C’est ce qu’Anatole France a très bien montré. (L’Anneau d’améthyste, 291.)
  34. Ranc, dans le Matin du 15 février 1898 : « J’ai assisté à quelque chose de bien intéressant : le repêchage à la poignée de main… Je dois dire, en témoin fidèle, qu’il va un ou deux de ces officiers à qui le sacrifice a paru amer et la poignée de mains pénible. »
  35. Cass., I. 267, Chincholle. — Esterhazy (Cass., I, 598.) dit que Chincholle a menti. — Le député Grandmaison raconta à la Cour de cassation « qu’Esterhazy, à la Libre Parole, s’était moqué des experts du bordereau ; il disait, car mes souvenirs sont imprécis, ou bien : « Le bordereau a été calqué par moi sur l’original écrit par Dreyfus », ou bien : « Dreyfus a écrit le bordereau sur papier pelure en décalquant des mots pris dans mon écriture. » Cass., I, 737.) C’est évidemment le premier propos qui a été tenu ; l’autre phrase, c’est la théorie même des experts dont Esterhazy se moquait. — Billot écrivit au Président de la Cour de cassation qu’il « n’avait jamais remis ni fait remettre un centime à Esterhazy. Si une somme d’argent quelconque lui a été remise ou offerte, c’est à mon insu et contre ma volonté. » (Cass., I, 554.)
  36. 9, 10, 11, 12 février 1898.
  37. Le président, devant le vacarme, suspendit l’audience. À la reprise, après une intervention du bâtonnier, Gonse retira le mot et Labori le remercia de « ses loyales paroles ».
  38. Procès Zola, I, 139, Gribelin : « Devant Dieu, je le jure, et je vous ai vu aussi bien que je vous vois en ce moment. » Sur quoi, Delegorgue : « Vous étiez entré pour allumer la lampe ? »
  39. Procès Zola, I, 171, Mercier. — Il dit encore, ce qui était exact, qu’il était étranger « aux renseignements faux ou vrais, publiés en 1896 par l’Éclair » et que les révélations de la Libre Parole, en 1894, avaient été faites contrairement à ses instructions. « cette publication pouvait venir de la famille Dreyfus. Simple appréciation, d’ailleurs, et qui ne repose sur aucun indice ni sur aucun témoignage. »
  40. Procès Zola, I, 199, Delegorgue.
  41. Labori renonça aux dépositions de Delcassé, Leygues, Poincaré, à qui il eût voulu poser la même question.
  42. Procès Zola, I, 180, Trarieux.
  43. Procès Zola, I, 207, Thévenet.
  44. Procès Zola, I, 258, 261 ; compte rendu de l’Aurore.
  45. Le 9 février 1898, Lebrun-Renaud dînait chez l’abbé Valadier ; la conversation tomba sur Dreyfus : « Ne m’en parlez pas, dit-il, il n’a fait que hurler son innocence. » Le soir, un officier vint le chercher de la part de Pellieux. Lebrun s’excusa auprès des invités : « Le général désire s’entretenir avec moi au sujet de ma déposition. » (Cass., I, 388, Maurice Hepp.) L’abbé Valadier (I, 296) dit qu’il ne fut pas question de Dreyfus ni des aveux.
  46. Procès Zola, I, 134, 210, 303.
  47. Ibid., I, 259.
  48. Ibid., I, 510 et suiv., Mme  de Boulancy.
  49. Un député de la Mayenne, Chaulin-Servinière, avait raconté tenir de Lebrun-Renaud que Dreyfus lui avait fait des aveux précis. (Intransigeant du 7 février 1898.)
  50. Séverine, Vers la lumière, 89 ; Ph. Dubois, Impressions d’un témoin, dans l’Aurore du 11 février ; récit de Forzinetti dans le Siècle du 7 juillet 1898. Il attendit en vain les témoins de Lebrun.
  51. 10 février.
  52. Procès Zola, I, 245, 247, 276.
  53. Ibid., I, 252, Pauffin.
  54. 10 février 1898.
  55. Il tint ce propos à cinquante personnes, devant un juge.
  56. Intransigeant des 16 janvier et 29 juillet 1896, etc.
  57. Gérault-Richard, dans la Petite République du 11 février 1898 : l’article est intitulé « L’Immonde ». Par la suite, Gérault m’exprima des sentiments fort différents, polémiqua violemment avec Rochefort et se battit en duel avec lui.
  58. 9 février.
  59. 10 février 1898.
  60. Ph. Dubois, Impressions d’un témoin, 1er  février.
  61. « Le seul convaincu ». (Séverine, dans le Petit Bleu du 11 février 1898.)
  62. La comtesse Blanche de Comminges et le capitaine de Comminges opposèrent aux mêmes questions le même refus de répondre. (Procès Zola, II, 215, 510.)
  63. Intransigeant du 10 février 1898.
  64. Conversation de Rochefort avec Barbey, du 9 février, dans le Siècle du 10.
  65. Libre Parole du 10.
  66. Séverine, 84 : « Congestionné, dit-il, par la fièvre et qui, de fait, dans cette atmosphère tropicale, semble grelotter sous sa lourde capote. » Bonnamour, 65 : « Congestionné, les yeux rouges, enveloppé de sa capote. » (Écho du 1er  février 1898.)
  67. Procès Zola, I, 281, Henry.
  68. Bonnamour, 65.
  69. Séverine, 84.
  70. Bonnamour, 92.
  71. Séverine, 84.
  72. Procès Zola, I, 216 à 232, Henry.
  73. Procès Zola, I, 266, Pellieux.
  74. Saint-Genest, enragé maintenant contre Dreyfus, « le dernier des misérables », publiait des articles lyriques en l’honneur des généraux, célébrait « le triomphe de l’armée ». (Figaro du 21 février 1898.)
  75. Agence Havas du 5 février 1898.
  76. Millevoye expliqua que Picquart pourrait n’être suspendu de son grade que pour un an. (Patrie du 5 février 1898.)
  77. À la première audience du procès Zola.
  78. Cass., I, 209. Picquart.
  79. Cass., I, 220, Bertulus ; II, 207, Picquart.
  80. Cass., I, 221, Bertulus. — Gonse (Cass., 571) place cette conversation « après le procès Zola » et conteste avoir tenu les propos rapportés par le juge ; il lui a montré, non pas le faux d’Henry, mais la pièce Canaille de D… « On m’avait dit de me méfier de Bertulus ; le conseil était bon. » — De même, à l’enquête des chambres réunies. (II, 24.)
  81. A. Bataille, 193 ; Séverine. 92 ; Bonnamour, 80, etc… Mémoires de Scheurer.
  82. Procès Zola, II, 346, Labori.
  83. Procès Zola, II, 346, Labori.
  84. Bonnamour, 80, 81, 90, 190, etc.
  85. J. J. Weiss, Essais de littérature, 381.
  86. Taine, Essai sur Tite Live, 340, en parlant de Xénophon.
  87. « Marchant en avant de ses confrères, — ils sont au moins deux cents, — Me Ployer s’avance vers les généraux et, enlevant sa toque, dit à deux reprises : « Vive l’Armée ! » (Journal des Débats.)
  88. Cass, I, 108, Roget.
  89. Ph. Dubois, Impressions d’un témoin, dans l’Aurore du 11 février 1898.
  90. Procès Zola, I, 328, Picquart.
  91. Ph. Dubois, Impressions d’un témoin.
  92. Procès Zola, I, 331, 332, 342, Lauth.
  93. Ibid., I. 344, Picquart.
  94. Ibid., I, 343, 354, 345, 356.
  95. Procès Zola, I, 333, Pellieux.
  96. Ibid., I, 345, Ravary.
  97. Leblond, entrepreneur de couverture.
  98. Procès Zola, I, 347. — Il avoua lui-même (15 février 1898) à un rédacteur de la Presse que son indisposition avait eu pour cause l’émotion produite sur lui par l’article de Drumont.
  99. Lettre au Siècle du 5 janvier 1898 ; Soir et Libre Parole du 6.
  100. Intransigeant du 11 février.
  101. Libre Parole du 12.
  102. Cette dépêche du 12 février 1898 fut publiée, le 13, par la Libre Parole, sous ce titre : « Paul Déroulède ; dépêche interceptée. » Comme la Libre Parole publia, en même temps, la réponse de Déroulède, le mot intercepté signifiait que la dépêche avait été lue, comprise par le Gouvernement. Elle était ainsi conçue : « L’attitude de Billot est entièrement louche : il a permis à Picquart de déposer en uniforme, malgré l’avis du conseil d’enquête. Celle de Milliard est étrangement suspecte. L’irritation contre la faiblesse du Gouvernement augmente dans tous les milieux, même parlementaires. Une crise ministérielle prochaine ne paraît pas impossible. Le Président de la République aurait actuellement un grand rôle à jouer. Mais son indifférence devant tant de tristes scandales étonne tous les patriotes. On annonce une interpellation d’Ernest Roche (sur les relations de Billot avec Mathieu Dreyfus). Peut-être interviendrai-je ? Je suis profondément attristé de voir l’inertie du Gouvernement, qui ne comprend pas le parti à tirer du mouvement de colère patriotique qui anime tout le peuple. »
  103. Il s’engagea, ainsi que son frère André, au début de la guerre, et fut fait prisonnier à Sedan. S’étant échappé, il fit la campagne de l’Est et, plus tard, la campagne de Paris contre la Commune. Le Militær-Wochenblatt du 22 décembre 1870 le cite (n° 189, p. 1203) parmi les officiers qui, s’étant engagés sur l’honneur à ne plus prendre les armes contre l’Allemagne, ont manqué à leur parole : « Sous-lieutenant Déroulède, du 16e bataillon de la garde mobile à Breslau ». Le général Thibaudin figure sur la même liste. — Déroulède affirme qu’il s’était seulement engagé, après Sedan, « à se mettre à la disposition de l’autorité prussienne, à Berlin, où celle-ci lui désignerait un lieu de captivité. Se considérant désormais dégagé, vis-à-vis de l’ennemi… etc. » (II. Galli, Paul Déroulède raconté par lui-même, 16.)
  104. « Cependant, l’idée supérieure de justice, des sentiments profondément humains, les plus honorables scrupules lui inspirèrent, tout d’abord, une réserve absolue. » Il interrogea les différents ministres de la Guerre ; après les avoir entendus, aucun doute ne subsista plus dans son esprit. (Galli, 112.) Il dit ses doutes à vingt personnes, notamment le jour des obsèques de son cousin Guiard. (Lettre de Monod à Jaurès, Petite République du 4 juillet 1899) et convint lui-même, à la veille du procès de Rennes, qu’il avait été troublé (Patrie et Libre Parole du 6 juillet 1899. — Voir t. V, 259).
  105. 2 février 1898.
  106. « Ni la Chambre, ni le pays, ni l’armée, ne peuvent attendre, une minute de plus, qu’un démenti formel, absolu, soit donné à des insinuations aussi infamantes. »
  107. « Billot s’est vu, l’interpellation sur la gorge, contraint d’affirmer… etc. ». (Intransigeant du 15 février 1898).
  108. Par 478 voix contre 72.
  109. De Mommsen.
  110. Bonnamour, 92.
  111. Procès Zola, I, 362, 363, Henry.
  112. Bonnamour, 91.
  113. Procès Zola, I, 364, Henry : « Par la grande porte. »
  114. « Je ne pourrais pas dire si c’est à 10 centimètres ou à un pas seulement. — Enfin, le colonel Henry était de l’autre côté de mon bureau ? — En face de vous, et j’ai parfaitement vu la pièce, car c’est cette place qui m’a permis de voir la pièce et le dossier. »
  115. Bataille, 219 ; Séverine, 102. — Bonnamour, dans l’Écho de Paris du 13 et dans le livre où il reproduit son compte rendu, applique la provocation d’Henry non pas à l’affaire de la pièce Canaille de D…, mais à celle du petit bleu : « Tourné vers les jurés, le colonel Henry, de sa voix posée, sans rudesse et si calme, assure : « Dans le paquet qui m’a été remis et que j’ai dépouillé avant le colonel Picquart, je le jure, il n’y avait pas trace du petit bleu. » Le lieutenant-colonel Picquart proteste. L’hercule, alors, fait le demi-tour, s’accoude à la barre. Avec un geste droit comme un coup d’épée, les yeux fixés vers son contradicteur, il dit résolument : « Eh bien ! colonel, vous en avez menti. » — Une pareille transposition est intentionnelle. Il en résulte, pour les 400.000 lecteurs de l’Écho, que le petit bleu est un faux et Picquart un faussaire.
  116. Procès Zola, I, 365, Picquart.
  117. Bonnamour, 93.
  118. Procès Zola, I, 363.
  119. Ibid., I, 366, Henry.
  120. Siècle du 15 janvier 1898, article signé Testis. — L’article a été reproduit dans un volume intitulé Gonse-Pilate et autres histoires, par « Un intellectuel ».
  121. Procès Zola, I, 367, Picquart.
  122. Ibid., I, 368, Gonse.
  123. Cass., I, 222, Bertulus.
  124. Ibid.
  125. Bataille, Le Procès Zola, 221.
  126. Procès Zola, I. 374, Albert Clemenceau.
  127. Ibid., I. 358, Henry.
  128. Ibid., I, 375, Henry.
  129. Temps du 16 février 1898 ; Aurore, Siècle, Petite République des 17 et 18. — Jaurès, Les Preuves, 278. — À la même époque, le général de Sancy raconta au comte de Bernis que le bordereau original (sur papier fort) avait été volé à l’ambassade d’Allemagne pendant un incendie ; Munster l’avait réclamé ou ses passeports ; Mercier avait rendu la pièce, mais après l’avoir fait copier par Esterhazy. (Mémoires de Scheurer.)
  130. Dép. à Londres, 26 février 1900. — Voici la fin du billet : « Amitiés. H. » — Esterhazy ajoute : « Henry m’écrivit après avoir, évidemment, consulté en haut. »
  131. Patrie du 16 février 1898. Ce silence est commenté dans l’Aurore du 17.
  132. 18 février.
  133. Le jour de la première audience, le Matin avait publié une conversation de Demange qui racontait à des étudiants la confidence qu’il avait reçue de Salles.
  134. Procès Zola, I, 382, Demange. Il ajouta « qu’il n’avait jamais vu que le bordereau ». — Dans une audience ultérieure, l’éditeur Stock dit qu’il tenait « d’un membre du conseil de guerre que, non pas une, mais des pièces secrètes, dont il eût pu énumérer quatre, avaient été communiquées en chambre du conseil » (II, 177.) Mais Delegorgue lui retira la parole. Le docteur Gibert, menacé par Félix Faure d’un démenti (au sujet de leur conversation du 21 février 1895), renonça à déposer. (Voir t. II, 173.)