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Histoire de l’Affaire Dreyfus/T4/2

La bibliothèque libre.
Eugène Fasquelle, 1904
(Vol. 4 : Cavaignac et Félix Faure, pp. 152–221).

CHAPITRE II

LA MORT D’HENRY

I. Cuignet découvre l’un des faux d’Henry, 152. — II. Cuignet chez Roget, 154. — III. Cuignet et Roget chez Cavaignac, 155. — Cavaignac prescrit à Cuignet de procéder à une nouvelle épreuve et n’avertit pas Brisson, 157. — III. Cavaignac à Mâcon, 160. — Les conseils généraux, 161. — Clôture de l’instruction Fabre, 162. — IV. Esterhazy traduit devant un conseil d’enquête de région, 164. — Articles menaçants de Drumont, 167. — V. Rapport du colonel de Kerdrain, 169. — Première audience du conseil d’enquête, 170. — Déposition de Du Paty, 173. — Esterhazy présente sa défense, 175. — Le conseil s’ajourne à trois jours, 176. — VI. Esterhazy et Drumont télégraphient à Tézenas de venir à la deuxième audience, 177. — Esterhazy communique la lettre aux deux écritures, 178. — Votes du conseil ; lettre de Zurlinden à Cavaignac, 180. — VII. Gonse apprend par Roget la découverte de Cuignet, 181. — Cavaignac l’apprend à Boisdeffre, 183. — VIII. Interrogatoire d’Henry par Cavaignac, 184. — IX. Démission de Boisdeffre, 191. — Conversation de Roget avec Henry, 193. — Henry conduit au Mont-Valérien, 197. — X. Brisson informé du faux et des aveux d’Henry, 199. — Dîner des ministres chez Delcassé, 201. — XI. Conflit entre Brisson et Cavaignac, 202. — Effet produit par la révélation du faux, 203. — Esterhazy et Mercier, 204. — Démission de Pellieux, 205. — Les quatre conseils du 31 août et la mise en réforme d’Esterhazy, 206. — XII. La dernière journée d’Henry ; sa lettre à Gonse, 207. — Ses lettres à sa femme, 209. — Il se coupe la gorge de deux coups de rasoir, 213. — XIII. Découverte du suicide : dépêche du commandant Walter, 214. — Brisson et Cavaignac instruits du suicide d’Henry, 216. — Discussion sur la démission de Boisdeffre, 217. — XIV. Procès-verbal de la mort d’Henry, 218. — Ses obsèques à Pogny, 221.




Il y a quelques mois, Roget avait constaté par un procédé analogue les surcharges du petit bleu, en le regardant, « par transparence », devant une fenêtre[1] ; Cuignet avait assisté à l’expérience[2].

Il se reporta à la pièce de comparaison, datée de 1894, antérieure de deux ans, écrite, elle aussi, au crayon bleu. À la lampe, il observa la même anomalie, mais inversée, le corps de la pièce sur des fragments quadrillés en gris, l’en-tête et la signature sur des fragments quadrillés en violet. Ainsi les deux pièces avaient été reconstituées, fabriquées en même temps ; toutes deux étaient fausses.

La date de la pièce de comparaison était de la main d’Henry ; la lettre que le ministre avait portée à la tribune, qui était affichée sur tous les murs, Henry avait affirmé l’avoir trouvée, en 1896, dans le cornet, et reconstituée lui-même : Henry était un faussaire.

Une épouvante le prit, la même qui avait saisi Picquart deux ans auparavant, cet autre soir où lui apparut le néant du dossier secret[3].

Picquart, ce soir-là, acquit la certitude que Dreyfus, l’homme qui, depuis deux ans, incarnait la trahison, et qu’il n’avait jamais aimé, était innocent ; Cuignet était l’ami d’Henry, le savait entouré de l’estime et de la confiance de ses chefs ; l’instant d’avant, il le tenait pour un brave et bon soldat : c’était un criminel.

Il y a deux ans, les temps étaient calmes, propices aux réparations spontanées ; ils étaient devenus révolutionnaires, dans la tempête des passions.

Picquart n’avait pas eu un doute sur son devoir ; Cuignet n’hésita pas davantage.

L’honneur leur parla à tous deux le même langage. Tous deux l’entendirent.

Ils étaient fort différents d’intelligence ; leur loyauté fut la même.

Certainement, le devoir à remplir parut plus dur, plus cruel à Cuignet, et il l’était. Car Picquart apportait à des chefs qu’il croyait honnêtes une gloire alors facile ; Cuignet, en pleine bataille, leur apportait la défaite.

Il se sentit très malheureux ; puis, lui aussi, résolument, il obéit à sa conscience[4].

II

Le lendemain, 14 août, comme Picquart autrefois s’était rendu chez Boisdeffre, Cuignet se rendit chez Roget pour lui faire part de sa découverte[5].

Boisdeffre n’avait essayé d’aucune objection ; un seul cri lui échappa : « Pourquoi n’a-t-on pas brûlé le dossier secret ? »

Au contraire, Roget, parce qu’il n’avait eu aucune part au crime d’Henry, commença par le mettre en doute. Pourtant, depuis quelque temps, il n’était plus absolument certain que la fameuse lettre fût authentique, Cavaignac lui-même lui avait fait observer que la lettre ressemblait par trop à la pièce de comparaison[6]. Le papier identique, l’emploi du même crayon bleu, que le ministre avait allégués devant la Chambre comme des preuves irrécusables, à la réflexion il les trouva suspects.

Roget, à première vue, n’ayant pas aperçu les différences de coloration, Cuignet lui proposa « de se mettre dans les conditions de lumière où il s’était trouvé la veille[7] ». On fit donc la nuit dans le bureau, on apporta des lampes ; Roget reconnut que Cuignet ne s’était pas trompé[8]. Il garda pourtant quelque espoir que les choses s’expliqueraient par une erreur matérielle[9].

Les différences de nuances apparurent, plus tard, en plein jour. Mais Demange, le général Chamoin, savaient alors qu’elles existaient, les avaient vues d’avance.

Boisdeffre, quand Picquart eût achevé sa démonstration, ne l’envoya pas chez Billot, mais chez Gonse. Roget monta chez Cavaignac avec Cuignet.

Cavaignac, « sans savoir encore de quoi il s’agissait, se rendit compte à l’émotion du général que c’était très grave[10] ».

Il éprouva d’abord les mêmes difficultés que Roget à discerner le mélange des papiers ; on renouvela l’irrécusable expérience[11].

Il avait encore dans l’oreille les acclamations de la Chambre, quand il lui porta le faux ; dans les yeux, la vision des murailles couvertes de son discours.

Si l’idée lui vint de faire le silence sur la désastreuse aventure, il la chassa aussitôt. Tel que je l’ai connu, l’idée lui vint seulement qu’un autre que lui aurait pu s’en taire, ordonner à ses subordonnés de rester muets. Il ne répéta pas le mot de Gonse : « Si vous ne dites rien, personne ne le saura[12]… »

Il n’a pas trempé dans le crime d’Henry, comme Gonse et Boisdeffre dans celui de Mercier ; il n’a point, comme Boisdeffre, un jésuite pour confesseur ; il n’a point, comme Billot, peur de son passé.

Henry était absent[13], à la veille de son congé ordinaire qu’il prenait vers l’ouverture de la chasse. Repos bien gagné, dont il aura grand besoin après cette terrible année. Depuis que Cuignet avait commencé à vérifier les dossiers, Roget s’était aperçu, comme je l’ai dit, qu’Henry ne lui parlait pas, ne le regardait pas comme d’habitude. Or, rien n’était venu. Au contraire, la fortune recommençait de lui sourire : Bertulus joué, Esterhazy innocenté, Picquart pour longtemps sous les verrous, Du Paty en disgrâce. Apparemment Cuignet n’avait rien vu. Encore une fois, il avait gagné.

Cavaignac délibéra s’il mettrait Henry en demeure de s’expliquer immédiatement ; c’était l’avis de Roget ; il décida, à la réflexion, de n’en rien faire[14].

En effet, à convoquer brusquement Henry, à le mander d’urgence, par dépêche, dans ce grand jour de fête, le dimanche de l’Assomption, on risque de le mettre sur ses gardes ; s’il s’effraye et prend la fuite, Cavaignac en deviendra suspect. Au surplus, « une épreuve complémentaire », qu’il va prescrire à Cuignet, mettra le faussaire, « par la multiplicité des preuves matérielles, dans l’impossibilité de nier[15] ». Enfin, Cavaignac avait d’autres affaires, une promenade officielle à Mâcon, pour le lendemain, son conseil général de la Sarthe à présider, Esterhazy à liquider. Henry ne gagnera rien à ce sursis ; Cavaignac, au contraire, y préparera la scène triomphale des aveux d’où rebondira, dans un nouveau lustre de vertu, sa renommée compromise[16].

Telles furent ses raisons, bonnes et mauvaises, les unes certainement plausibles, les autres d’un égoïsme ou d’une inconscience cynique, comme d’aller parader en province et de s’y faire acclamer le vainqueur de Dreyfus et du Syndicat, alors que l’énorme machination s’écroulait. Car le crime d’Henry, c’est la revision inévitable et, dès qu’il sera public, il n’y aura plus un seul homme sensé ou de bonne foi qui ne dira : « Puisque l’homme de confiance de l’État-Major a été obligé de fabriquer contre Dreyfus, après coup, des pièces fausses, c’est qu’il n’y avait pas de charges vraies ; quand on est réduit à fabriquer de la fausse monnaie, c’est qu’on n’en a pas de bonne[17]. »

Mais Cavaignac, précisément, ne tira pas de la fâcheuse découverte cette conclusion, ou, si ce fut sa première vision des choses[18], il eût vite fait de l’écarter. Il a pu se tromper, être trompé (avec l’État-Major, Brisson et la Chambre) sur l’authenticité d’une pièce entre mille, bien qu’elle fût triplement marquée de faux par sa date, son contenu et son style ; et il va s’honorer en proclamant leur commune erreur, dont il ne se serait jamais aperçu si Henry avait été plus adroit et sans la lampe de Cuignet. Cependant, il était impossible qu’il se fût trompé sur Dreyfus, puisque le juif avait avoué[19] et que le reste du dossier d’Henry était excellent. Qu’importait dès lors une pièce, postérieure de deux ans à la trahison[20] ?

L’esprit, le misérable esprit humain est ainsi fait. Congestionné par la passion ou suggestionné par l’idée préconçue et l’intérêt, rien de plus commun que le cerveau, le moment après que l’évidence lui est apparue, se mente de nouveau à lui-même. Les choses sont ce qu’il veut qu’elles soient. Sur l’heure, Cuignet « raisonna » exactement comme le ministre. Il n’y avait qu’une preuve de moins contre Dreyfus. Et, de même, Roget.

L’intérêt personnel de Cavaignac à diminuer l’importance du crime d’Henry était tel qu’il n’essaya même pas d’en pénétrer le mobile, qui en eût accru la gravité[21].

Boisdeffre était absent. Il jugea inutile de le consulter, même de l’avertir ; Gonse ne comptait plus, supplanté par Roget. Se réservant l’affaire à lui seul, le ministre prescrivit le plus grand secret.

Surtout, il ne dit rien à Brisson[22]. Trois jours après avoir proposé de faire main basse sur les défenseurs de Dreyfus, il était dur d’aller confesser que ces hommes, au moins sur un point, avaient eu raison contre lui, et que le principal accusateur, à la fois de Dreyfus et de Picquart, était un faussaire. Il attendra pour rendre compte au chef du Gouvernement qu’il ait arraché à Henry, « par sa résolution et sa volonté », l’aveu du crime. Alors, la gloire d’avoir fait justice, qui n’appartient encore qu’à la lampe de Cuignet, il la revendiquera pour lui.

III

Cavaignac, à son habitude, exécuta son programme. Le 15, il se rendit à Mâcon avec le ministre de la Justice, ne lui souffla mot de l’événement de la veille et se fit prodiguer les ovations. C’était le département de Sarrien, qui, jaloux de son collègue, essaya de le retenir, chaque fois que la foule l’appelait au balcon. Mais Cavaignac s’y empressait, ou, suivi d’officiers en grand uniforme, il descendait sur la place, se mêlait aux badauds enthousiastes. Son père, en 48, après juin, où il compta ramasser dans l’ordre rétabli et dans le sang la présidence de la République, avait manqué le courant populaire ; l’aveugle torrent du suffrage universel s’était rué aux Bonaparte. Enfin, le courant venait à un Cavaignac, l’homme « le moins peuple qui fût de pensée et de cœur », qui avait perdu une première fois la partie en misant sur la vertu[23], mais qui se croyait sûr cette fois de la revanche. Il jouait serré ; ce n’était pas le vieux Sarrien qui l’eût dissuadé de recommencer Boulanger, avec l’aide du même Rochefort et du même Déroulède[24]. Il discourut à plusieurs reprises, dénonça les partisans de la revision comme de mauvais citoyens. Huit jours après, il récidiva au Mans : « En présence de tentatives impies qui ont été faites pour discréditer ceux qui travaillent à la grandeur de la patrie commune, les patriotes doivent affirmer d’une façon plus énergique que jamais leur amour et leur admiration pour l’armée[25]. »

Les mêmes dithyrambes, les mêmes injures retentirent alors dans tous les conseils généraux. L’un après l’autre, à l’exemple de celui que présidait Cavaignac, ils émirent des vœux « en l’honneur de l’armée « ou invitèrent le Gouvernement à prendre des mesures énergiques pour faire cesser « une odieuse campagne[26] ». À Perpignan, le vœu fut proposé par un député socialiste, Bourrat ; à Digne, deux radicaux, Robert, député, et Bérenguier proposèrent mon exclusion, « comme mesure de salubrité publique[27] ».

Entre temps, pendant son passage à Paris, Cavaignac s’était occupé de Picquart.

Bien que Picquart eût été jeté en prison beaucoup moins pour avoir communiqué à Leblois le dossier des pigeons voyageurs que pour avoir écrit sa lettre à Brisson, Cavaignac n’eut garde d’engager le juge Fabre à surseoir de quelques jours. Au contraire, il objecta alors à la connexité entre les deux inculpations, afin de pouvoir envoyer Picquart, sur tous les chefs, à un conseil de guerre[28]. Mais Fabre s’y refusa et, ayant clos son instruction[29], passa le dossier au substitut Siben, déjà fort informé et qui s’empressa d’adopter à son tour les accusations d’Henry, « d’une précision qui ne pouvait laisser de doute sur la matérialité des faits ». Des rancunes personnelles ne furent pas étrangères à ce portrait qu’il traça de Picquart : « Absorbé par sa préoccupation constante (d’imputer à Esterhazy le crime de Dreyfus), hanté par cette idée fixe, sûr dans son immense orgueil de détenir seul la vérité, d’être seul clairvoyant, intelligent, accessible au sentiment de justice…[30] » Enfin, comme Leblois n’avait rien divulgué ni du dossier Boulot ni de celui des pigeons voyageurs, il en déduisit (ce qui était exact en droit) que Picquart était justiciable, pour ces deux indiscrétions, des tribunaux militaires[31]. En conséquence, il requit le juge civil de se déclarer incompétent sur ces charges en ce qui concernait Picquart, d’en innocenter Leblois par un non-lieu, et de les renvoyer devant le tribunal correctionnel, Picquart pour avoir donné connaissance à Leblois, « personne non qualifiée », des renseignements tirés du dossier secret de Dreyfus, et Leblois pour en avoir donné connaissance à Scheurer[32].

Fabre adopta ce réquisitoire[33] qui eût pu être signé d’Henry, mais parfaitement juridique.

L’équité et le droit semblent parfois inconciliables ; il les faut concilier pourtant, ou la justice n’est qu’un vain mot. Le fait tout nu peut être délictueux sans que la pensée qui l’a dicté le soit. Quel est alors le devoir du juge ? Le fait par Picquart d’avoir divulgué le résultat d’une enquête poursuivie dans l’exercice de ses fonctions tombait, sans aucun doute possible, sous le coup de la loi sur l’espionnage. Cette même loi, Picquart lui-même avait conseillé à Boisdeffre de l’invoquer contre des journalistes pour avoir révélé l’une des pièces secrètes, la même qu’il était accusé maintenant d’avoir montrée à Leblois[34]. La lettre de la loi était donc formelle[35].

D’autre part, le bon sens et l’équité se révoltaient à l’idée d’appliquer à Picquart ou à Leblois le texte forgé contre des traîtres et des trafiquants de documents militaires. Même s’ils s’étaient trompés sur Dreyfus, leur erreur eût été généreuse. Or, ils ne s’étaient pas trompés ; et Fabre non plus ne s’y fût pas trompé, s’il eût connu alors le faux Henry que connaissait Cavaignac. Il n’eût pas appuyé son ordonnance sur le témoignage d’un faussaire. Avec quiconque n’était pas frappé d’aberration mentale ou de perversion morale, il eût conclu du faux d’Henry à l’innocence de Dreyfus, au non-lieu pour Picquart et Leblois.

Un juge doit savoir lire dans les âmes, comme un cadi du temps d’Aroun-al-Rachid. Il peut conclure contre l’équité en faveur du droit, sans être reprochable devant la loi et même devant sa conscience ; mais la loi laisse à sa conscience la faculté de rechercher la pensée derrière le fait. L’application mécanique et violente de la lettre légale, qu’on croit parfois indispensable à l’intérêt social, est le plus souvent préjudiciables à l’idée de justice. Le juge ne doit pas appliquer la loi comme un prêtre thibétain tourne un moulin à prières. Il ne doit pas s’arrêter à l’écorce du droit.

IV

Pendant que Cavaignac, par son silence à l’endroit de Brisson, de Sarrien et de Fabre, induisait la justice en erreur, il tenait, d’autre part, la promesse, qu’il avait fait faire par Tézenas à Esterhazy, « de lui casser les reins ».

Il connut le faux d’Henry, comme on a vu, le 14 août ; le 16 au matin (le quatrième jour après sa sortie de prison), Esterhazy reçut du gouverneur de Paris l’avis qu’il était traduit devant un conseil d’enquête[36].

Ainsi, au jour prochain où Cavaignac révélera le faux, il apparaîtra comme ; le Jupiter de la justice distributive, ayant frappé indistinctement de ses foudres, à droite et à gauche, tous les coupables, Henry et Picquart, Esterhazy et Dreyfus.

Un tel justicier sera intangible.

Esterhazy fut fort décontenancé. Quand Tézenas, dans leur dernier entretien, l’engagea à partir au plus vite, il fanfaronna, comme je l’ai raconté, qu’il ne déserterait pas, parce qu’il gardait encore, croyait-il, quelques cartes. Les premières journées de la liberté reconquise lui furent douces. Il dîna avec sa maîtresse chez ses concierges et leur rendit la politesse, recevant des journalistes, déblatérant et hâblant à son ordinaire : que « le duc d’Orléans lui avait offert de passer chez Ménélick pour aller commander par là » ; qu’il n’y a pas de justice ; si Cavaignac l’a fait renvoyer des fins de la poursuite, c’est pour sauver du Paty ; Marguerite ne se serait pas laissée condamner « sans faire prendre les plumes d’autruche[37] ». Ses ressources étaient minces : trois cents francs par mois que lui faisaient Rochefort, Arthur Meyer et Drumont[38], et sa demi-solde. Mais il escomptait ses Mémoires, qui lui rapporteraient quelque argent (surtout s’il ne les publiait pas) ; sa maîtresse retrouvera des amis riches.

Précédemment, pour amadouer Cavaignac, le sachant enragé contre Picquart, il avait demandé l’autorisation de porter plainte, « pour le petit bleu », contre leur commun ennemi. La lettre resta sans réponse[39]. Dès qu’il reçut son ordre de comparution, il écrivit de nouveau à Cavaignac, insistant pour une audience, l’avertissant que, s’il s’obstinait à le sacrifier, il y perdrait la présidence de la République[40]. Encore une fois, Cavaignac haussa les épaules.

On peut supposer qu’il courut alors chez Henry. Que se dirent-ils ? À qui des deux revint l’idée de la suprême manœuvre qui fut tentée : intimider Cavaignac par Drumont ?

Esterhazy, cela est certain, commença par croire la partie perdue. Si, par miracle, il échappe au conseil d’enquête, il succombera à la plainte (en escroquerie) de Christian. L’avis de Tézenas, « d’aller vers d’autres cieux », était le bon. Le 21 août, Marguerite surprit son amant qui consultait un indicateur de chemin de fer pour l’étranger. Elle entra dans une colère de fille trompée, poussant de tels cris que la concierge accourut : « Lâche ! canaille ! sans cœur ! » — puisqu’il la voulait abandonner sans un sou, — menaçant d’aller trouver le ministre et de lui dire tout. Et le misérable, à genoux, la suppliait de n’en rien faire[41].

Encore une fois, il ajourna son départ ; et, dans un de ces accès furieux d’énergie qui succèdent fréquemment chez les tuberculeux de son espèce aux pires désespoirs, il se décida à livrer la dernière bataille.

Encore une fois, et à première réquisition, Drumont se dévoua. Le lendemain et le surlendemain de cette scène entre Marguerite et son amant, le journal-corsaire fit feu de toutes pièces, à toutes volées.

Ces deux articles[42], l’un anonyme, l’autre signé du maître lui-même, resteront comme un modèle classique de « menace sous condition ». Drumont excuse d’abord les lettres, vieilles de dix-sept ans, à Mme de Boulancy : « Combien d’autres glorieux serviteurs, généraux peut-être, ont tenu parfois des propos dont il serait injuste, après tant d’années, de leur demander compte ! » — Manifestement, Drumont, Esterhazy, tiennent en réserve « d’autres cris d’une âme ulcérée » ; quelque grand chef a écrit, lui aussi, « dans des circonstances spéciales », à une femme qui lui avait dit : « Parlez-moi comme à votre mère. » — Puis, le chantage se précise, coup droit à l’État-Major, à Boisdeffre, à Cavaignac « qui sait la vérité » et, cependant, s’apprête à sacrifier « ce malheureux Esterhazy aux coquins du Syndicat, à la meute juive dont les chiens aboient en toutes langues » :

Les juges enquêteurs ont-ils d’ailleurs constaté qu’Esterhazy ait toujours agi seul, sans conseil, sans direction peut-être, et que certains des actes qu’on lui reproche, il en ait eu l’initiative personnelle et doive en porter la responsabilité ?

Enfin, cet air de bravoure :

Les membres du conseil d’enquête feront ce qu’ils voudront, mais il me paraît utile et nécessaire de leur montrer

ce qu’ils vont faire. S’ils livrent Esterhazy au syndicat juif et allemand, ils donneront raison à la campagne organisée par Schwarzkoppen et Panizzardi, qui sont deux espions avérés… C’est l’engrenage : après Esterhazy, ce sera du Paty de Clam ; après Du Paty, Henry, Lauth et Boisdeffre, et après Boisdeffre, Mercier… En abandonnant leur malheureux camarade, les représentants de l’armée s’abandonnent eux-mêmes.

La liste, par ordre chronologique, des scandales et des crimes qui vont successivement éclater, avec le nom d’Henry lui-même en bonne place, cette phrase la donne, d’une exactitude parfaite, vision d’un prophète renseigné[43].

Cavaignac, quand il lut cette prose, dût pâlir encore, verdir. Mais que faire ? Je m’étais emparé de l’article de Drumont :

Vous voilà, averti, Cavaignac, comme le fut, en décembre dernier, votre cousin, par l’autre maître-chanteur, Esterhazy, quand il le menaça, s’il n’était pas débarrassé de toutes les charges, de se suicider, mais pas avant d’avoir livré à la publicité les petits papiers de Du Paty… Que ferez-vous, Cavaignac ? Que fera le conseil d’enquête[44] ?

Il n’avait pas l’habitude de reculer. L’eût-il voulu, il ne le pouvait plus. Il était dans le défilé d’où l’on ne sort pas.

Si Drumont et Esterhazy avaient su que le faux d’Henry était découvert, Drumont eût donné tout de suite son viatique à Esterhazy. Pour Henry (à en croire l’un de ses faussaires ordinaires, l’agent Decrion qui avait remplacé Lemercier-Picard et doublait Guénée), il prit ses précautions, envoya ses papiers, sa correspondance avec Esterhazy, en lieu sûr, à l’étranger[45].

V

Le conseil d’enquête se réunit à huis clos le 24 août, à la caserne du Château-d’Eau. Il était présidé par le général Florentin, assisté du général Langlois, du colonel de Kerdrain, des commandants de Savignac et Brochin.

Le rapporteur (Kerdrain) énuméra sévèrement les charges. D’abord, les lettres à Mme de Boulancy « dont une seule apparut suspecte aux experts » ; les autres, « dont tout cœur de Français se révolte », sont authentiques ; puis, les articles de la Libre Parole, les lettres à Félix Faure ; « le patriotisme d’Esterhazy aurait dû arrêter sa plume » ; la visite à Pellieux, en juillet, « la menace de peser sur l’esprit des chefs par des procédés inavouables » ; enfin, « l’inconduite habituelle » de l’homme qui loge chez « une ancienne femme galante », et qui a commandité une proxénète ; la tenancière l’appelait « son associé » ; il lui rabattait des clients ; l’an passé, il lui donna commission, ainsi qu’à deux agents matrimoniaux, de « trouver une jeune fille (au besoin tarée, mais riche) pour son neveu[46] ».

Il y avait loin de ce rapport à celui de Ravary. Esterhazy demanda à faire entendre cinq témoins : le colonel Mercier, le lieutenant-colonel Bergougnan, Pellieux, Du Paty, et l’un des principaux collaborateurs de Drumont, Boisandré[47].

Il ne cita point Henry, n’ayant pas encore avoué ses relations avec lui.

Le plan de défense, ou plutôt d’attaque, d’Esterhazy, fut fort habile. Les faits allégués contre sa moralité parlaient trop haut, il y en avait trop de preuves ; il n’eût pas trouvé un second témoin pour attester, avec le colonel Mercier[48], « qu’il était incapable de forfaire à l’honneur et qu’aucun nuage n’avait troublé son ménage ». Sa tactique fut, en conséquence, de discuter à peine ces charges, — sauf qu’après avoir reconnu ses lettres à la proxénète, il dit ensuite qu’on imitait si bien son écriture qu’il s’y était déjà trompé, et, pour la fille Pays, qu’ils avaient toujours vécu très modestement, qu’elle faisait elle-même sa cuisine[49] ; — mais ces fautes, dont il s’accusait, eussent-elles été relevées « dans des circonstances ordinaires » ?

Pellieux, à la question directe qui lui fut posée, répondit franchement qu’il ne le croyait pas[50]. Et c’était l’évidence ; au temps, peu lointain, où les généraux prodiguaient à Esterhazy tant de marques d’amitié et d’estime[51], quand il lui serraient la main au procès de Zola, ou s’employaient à lui trouver des seconds contre Picquart, ils n’ignoraient ni les lettres à la Boulancy, ni les lettres à Félix Faure, ni L’affaire de la maison de rendez-vous.

Billot lui-même, en janvier, lui a offert sa retraite avec le maximum. Pellieux encore[52] attesta que le refus vint d’Esterhazy, parce que le ministre avait dit à des sénateurs qu’il le chasserait de l’armée et que sa fierté s’était révoltée.

Ainsi, le procès que lui intentait maintenant Cavaignac était tout politique, et, dessinant son offensive, quand il passa à ceux de ses actes qu’on taxait d’indiscipline, il affirma qu’il les avait commis par ordre de ces mêmes chefs ; il a toujours « suivi deux directions, le cabinet et l’État-Major », et « son avocat voyait des généraux ».

Les juifs lui ont offert six cent mille francs (et cent cinquante mille à la fille Pays) pour qu’il se déclarât l’auteur du bordereau et, surtout, « révélât le rôle des chefs de l’armée ». Il n’y a jamais consenti. — Ici encore[53], Pellieux le confirma ; il le tenait pour un « brave soldat ».

Les officiers enquêteurs, fort troublés, le furent davantage encore lorsque Du Paty s’avança et qu’Esterhazy, qui sentait ses avantages, le poignarda en pleine poitrine.

Le spectacle fut dramatique. D’une part, le terrible forban, luttant pour le dernier lambeau d’honneur officiel qui lui restait, d’une logique pressante, plaisantin et féroce, ses yeux mauvais lui sortant de la tête, d’accusé transformé tout d’un coup en accusateur ; de l’autre, ce fantoche compliqué, demi-dandy, demi-lettré, égaré dans une histoire de brigands, qui avait l’air de mentir quand il disait la vérité, et n’osa jamais la dire tout entière, écrasé d’avance sous son affreuse et ridicule renommée.

Il s’étonnait, s’indignait d’avoir été cité seul par Esterhazy, alors qu’Henry en avait fait cent fois plus que lui, les soupçonnait de s’être concertés pour le perdre dans ce guet-apens[54], de se sauver en le perdant, et, paralysé ainsi par la peur, par la colère, par la honte, par un reste de galanterie et de loyauté envers les chefs et les camarades qui l’avaient poussé dans cette aventure où sombrait sa fortune, il balbutiait, cherchait ses mots, équivoquait, se rétractait, s’enfuyait dans le silence, en ressortait brusquement comme une bête traquée et affolée, s’enfonçait, sous le ricanement d’Esterhazy qui surnageait.

Dans son jargon alambiqué, aux mots vagues et cauteleux, qui était tout l’homme, il avoua sans avouer, dénonça sans dénoncer, donna à ces soldats étonnés l’impression du pire.

Première question d’Esterhazy : « Le témoin me croit-il capable d’avoir manqué à la discipline et à l’honneur ? » Du Paty : « J’ai appris en octobre qu’on cherchait à compromettre M. Esterhazy. On n’avait rien relevé contre lui, si ce n’est des écarts peu sérieux, Je n’ai pas cru pouvoir le laisser étrangler sans défense ni le laisser s’affoler. Plusieurs officiers consultés furent de mon avis. La première fois que je le vis, il était déjà prévenu… Nous l’avons réconforté de notre mieux… Pour Esterhazy, c’était le suicide ou la fuite ; il fallait éviter l’un et l’autre… Il voulait écrire à l’Empereur d’Allemagne. Je lui ai dit qu’il valait mieux écrire au Président de la République qui est le père de tous les Français… » Esterhazy : « Je tiens à ce que le lieutenant-colonel dise qui m’a dicté la lettre. » Du Paty : « Je n’en sais rien… Voudriez-vous dire que c’est moi ? » Esterhazy : « Dites la vérité ! » Du Paty : « Ce n’est pas moi. » et le dialogue continue, Esterhazy, à chaque croisement d’épée, serrant l’autre de plus près, Du Paty s’enferrant.

Le nom de l’empereur Guillaume sonnait mal, devant ces soldats. Esterhazy, qui s’en était aperçu, rectifia : « J’en appelais à l’Empereur d’Autriche comme vassal. » Et, se campant dans son orgueil héréditaire : « Étant décidé à me tuer, je voulais en appeler à tous ceux qui avaient intérêt à défendre un Esterhazy. »

Ces pantalonnades n’étaient pas pour faire illusion au général Florentin ; il présida ces débats avec une loyale impartialité ; mais c’était son devoir d’élucider si les lettres à Félix Faure avaient été dictées par Du Paty : il posa durement la question. Invariablement Du Paty nia, mais avec des réticences, des distinguo qui parurent suspects. Il a donné « la carcasse » de la première lettre ; quand la lettre, celle qui est au dossier, lui a été montrée par Gonse, il en a blâmé la rédaction « charentonnesque » ; « Esterhazy relevait plutôt du conseil de santé ». — « Mais dites donc la vérité ! » interrompait Esterhazy.

Il entra dans quelques-uns de ces détails qu’on appelle « probants » ; les lettres lui ont été dictées, l’une derrière le pont Caulaincourt, une autre au pont des Invalides : « Je les ai écrites au crayon sous la dictée de quelqu’un. » Le président à Esterhazy : « Savez-vous si le lieutenant-colonel Du Paty connaît ce quelqu’un ? — Oui, le colonel le sait. » Du Paty : « Je le connaîtrais, je ne le dirais pas ; je ne suis pas un mouchard. » Il convint toutefois d’avoir corrigé l’article « Dixi ». Le président : « Esterhazy n’a donc pas agi seul, mais avec le concours d’officiers de l’armée active ? — Oui ! » Puis, comme s’il en avait trop dit : « Esterhazy n’a jamais su qu’il était défendu par l’État-Major, mais seulement par des individualités ; j’étais un des plus intéressés à la manifestation de la vérité ; c’est pourquoi je l’ai aidé. » D’un ton solennel, Esterhazy l’adjure : « Vous connaissez aussi bien que moi l’auteur des lettres. » Du Paty se tait. Le président : « Je vous pose la question. — J’ai dit tout ce que j’avais à dire. — En résumé, vous avez aidé le commandant… Est-ce sur votre initiative ? — Je ne veux pas le dire devant Esterhazy. — Ment-il en disant que la lettre lui a été dictée ? — Il ne ment pas… ou plutôt… Je retire ce que j’ai dit. » Esterhazy, intervenant : « J’affirme que l’article m’a été apporté tout écrit et que les lettres m’ont été dictées. » Du Paty : « Je suis sûr qu’il ne ment pas en ce qui concerne l’article ; quant aux lettres, je ne sais pas… Je n’ose pas confirmer le dire du commandant ; je ne dis pas le contraire. » Il certifia enfin qu’Esterhazy, en avril, lui avait tenu ce langage : « On m’a fait des propositions ; je n’ai pas dix francs dans ma poche ; mes bottes sont percées ; j’aimerais mieux crever de faim que de faire du tort aux braves gens qui m’ont aidé. » Esterhazy : « Non, je ne veux rien leur faire, mais je voudrais bien qu’on agisse de même à mon égard[55]. »

Ainsi, malgré les objurgations d’Esterhazy, il avait refusé de dénoncer ses collaborateurs, ni Henry, ni Boisdeffre et Gonse, ni même Gribelin.

Esterhazy eut alors la parole pour sa défense.

Il parla longuement, pendant plus d’une heure, sommairement sur ses affaires privées, regrettant les termes des lettres à la Boulancy, « écrites à l’heure d’une grande déception » ; et, longuement, avec une grande véhémence où grondait l’orage, sur ses rapports avec l’État-Major, dont il avait été « l’homme », et sur son « sauvetage » par les émissaires du ministère de la Guerre. Du Paty n’est pas venu seul au rendez-vous de Montsouris, mais avec deux autres officiers : Henry, qu’il nomma, dans un mouvement incompressible de méchanceté (quand Du Paty s’y était refusé), et un autre « qu’il n’était pas besoin de nommer ».

Il dit tout, mêlant, à les rendre inextricables, le mensonge et la vérité : que toutes ses lettres, même celles à Picquart en Tunisie, lui avaient été commandées ; — il n’a écrit de lui-même que la lettre où il demandait à passer devant un conseil de guerre, et qui était de Tézenas ; — que Du Paty, « qui n’agissait pas en son nom propre », était entré en relations directes avec son avocat ; que Wattinne, le gendre de Billot, y venait aussi ; que l’État-Major, par Pellieux, lui avait fait mener dans les journaux une vive campagne contre le ministère d’alors et avait engagé sa promesse de ne pas le « lâcher ». Pour sa maîtresse, « cette ancienne femme galante », selon le rapporteur, elle avait été l’ambassadrice officiellement acceptée entre l’État-Major et lui. Du Paty, Henry, d’autres encore, étaient venus chez elle[56].

Enfin, « après un instant de vive hésitation[57] », le diabolique comédien termina par une menaçante requête. Tout à l’heure Boisandré, le rédacteur de la Libre Parole, avait parlé à mots couverts d’un document qu’il avait de ses yeux vu et d’où résultait qu’Esterhazy n’avait pas cessé d’être mené par l’État-Major[58], » Esterhazy précise maintenant que la pièce est de l’écriture de Du Paty (l’homme de confiance de Gonse), que Boisdeffre y est nommé et que l’accord entre ces grands chefs et lui, pour laisser Pellieux dans l’ignorance de certains faits, y paraît en plein. L’ayant remise à Tézenas, actuellement absent de Paris, il demande un délai pour la produire.

Le conseil siégeait depuis dix grandes heures[59] ; harassés, effrayés par ces révélations inattendues où éclatait, avec l’impudence de l’accusé, l’hypocrisie non moins cynique de l’accusation, les juges s’ajournèrent à trois jours, « afin de permettre à l’officier, objet de l’enquête, de se procurer le document » qui devait le justifier.

VI

La première journée de cette chaude bataille entre Cavaignac et Esterhazy, c’était Esterhazy qui l’avait gagnée.

Il s’agissait maintenant, à la journée, qui serait décisive, du 27, de faire donner la garde, c’est-à-dire Tézenas, avec la lettre « aux deux écritures », et pour qu’il attestât la promesse solennelle de Pellieux : « Esterhazy peut être tranquille ; nous avons lié partie avec lui ; et nous la gagnerons ou la perdrons avec lui. »

Le général Florentin, après vingt-quatre heures de réflexion, où il consulta apparemment Cavaignac, envoya à Tézenas une citation à témoin[60]. En même temps, le colonel de Kerdrain écrivit à Esterhazy : « Votre avocat ne sera admis à déposer qu’en remettant ladite pièce au président du conseil d’enquête[61].

Mais Tézenas, qui avait assez d’Esterhazy et qui préparait une partie de chasse, se dit malade, dans l’impossibilité de venir à Paris ; il suffirait d’envoyer le document. Et ce fut, alors, pendant tout cet entr’acte, un échange ininterrompu de dépêches entre l’avocat et son terrible client. Celui-ci conjurait :

Je vous supplie désespérément de venir[62]… Votre abandon me perd. Votre présence est le salut… Mon salut est entre vos mains… J’ai également promis production pièce sur les hauts personnages ayant connaissance relations qu’elle certifie.

(Cette dépêche, en clair, serait certainement communiquée par l’Administration des postes à Cavaignac et à Brisson.)

Venez à tout prix. Si refusez venir, télégraphiez formellement au président les propos qui vous ont été tenus sur partie liée et que j’agissais sur indications précises… Vous allez être cause de ma perte. Si vous venez je triompherai ; venez n’importe comment[63]… Venez n’importe en quel état[64].

Et Boisandré, lui aussi, télégraphiait, objurguait : « Votre absence perd tout, venez coûte que coûte[65]. » Et Drumont lui-même : « Au nom du devoir, je vous adjure de venir immédiatement, à tout prix, assister demain notre ami[66]. »

De guerre lasse, Tézenas céda, mais, alléguant les règles professionnelles, il fit simplement visite au général Florentin, le matin de la seconde audience, dit ce qu’il savait[67]. Pour la lettre de Du Paty, il la remit à Esterhazy.

Entre temps, Esterhazy, dînant avec Rowland Strong, l’un des journalistes qu’il connut chez Oscar Wilde, avait amorcé une autre opération. Il avait commencé par déclamer, à son ordinaire, que, « s’il perdait la partie, il se tuerait… » « Ce serait une fin peu intelligente », observa l’Anglais. « Je ne peux pourtant pas ramasser des bouts de cigares dans la rue ; il faut que je vive. » Strong lui suggère de faire sa confession dans la presse anglaise ; ses articles seront bien payés, deux cent cinquante livres. Aussitôt Esterhazy : « C’est Sandherr qui m’a commandé décrire le bordereau ; je raconterai cette histoire et quelques autres[68]. »

À l’audience[69], Esterhazy prit le premier la parole, donna lecture d’une lettre de l’un de ses parents, le commandant (en retraite) de Faultrier, qui l’assurait de son estime et de celle de son beau-frère, le général de Geslin ; et il passa au président la lettre de Du Paty : « Le général de Boisdeffre n’est pas sans savoir que j’ai eu des relations indirectes avec le commandant Esterhazy. »

Quand le général Florentin lui eût rendu la pièce : « J’en ai bien d’autres, dit-il en la rempochant ; en ce moment même, je me retiens[70]. » Puis, après une nouvelle audition de Du Paty, qui ne disputa plus[71], et de Pellieux, plus ferme sur ses étriers, qui nia le propos sur la « partie liée »[72], il lança une dernière fanfare : « Je me réclame des généraux, mes ancêtres. »

Les officiers passèrent au vote. Ils prononcèrent, par trois voix contre deux, que « l’officier enquêté était dans le cas d’être mis en réforme pour inconduite habituelle », mais, à l’unanimité, qu’il ne l’était pas pour faute contre la discipline, — donc, ces cinq soldats jugeaient, en conscience, qu’il avait agi par ordre, — ou pour faute contre l’honneur — par quatre voix contre une[73].

Dès le lendemain, le gouverneur de Paris, Zurlinden, transmit à Cavaignac le procès-verbal et le dossier du conseil[74]. À cette date (28 août), il croyait Esterhazy innocent de toute trahison, comme c’était encore le sentiment de Brisson et de Bourgeois, et de la majorité des deux Chambres. Il connaissait le mot de Cavaignac sur Esterhazy : « Je vais le sabrer… » ; il écrivit au ministre, sans se soucier de lui déplaire :

Le procès-verbal mentionne des révélations graves sur le rôle de certains officiers de l’État-Major de l’armée dans la première affaire Esterhazy. Ces révélations ont fortement impressionné le conseil d’enquête et ont eu une grande influence sur le résultat de ses votes. Le résultat est négatif pour deux questions et affirmatif — mais seulement à la majorité de trois voix contre deux — pour la question de « l’inconduite habituelle ».

En se rapportant aux usages de l’armée, il y aurait donc lieu d’user d’indulgence à l’égard du commandant Esterhazy, ou de se contenter d’une punition disciplinaire, la non activité par retrait d’emploi.

Dans le cas où vous voudriez néanmoins prononcer la réforme de cet officier supérieur, je me permets d’émettre l’avis que le rapport accompagnant le décret de réforme devrait spécifier loyalement que la réforme est prononcée pour inconduite habituelle, le conseil ayant repoussé les questions de faute contre la discipline ou contre l’honneur.

Cette lettre, la formule : « En se rapportant aux usages de l’armée », dans l’âpre mêlée des partis et des passions, ont été furieusement reprochées à Zurlinden.

Cavaignac s’était juré de chasser Esterhazy de l’armée ; il le tenait pour le complice de Dreyfus et n’aimait point qu’un officier eût des maîtresses[75].

VII

Cependant Cuignet avait terminé la contre-épreuve que lui avait commandée Cavaignac. Ayant décalqué les morceaux de la fausse lettre de Panizzardi et ceux de la fausse pièce de comparaison, « il rapporta le quadrillage, fit le rapprochement exact », et constata à nouveau la fraude. Il nota encore d’autres anomalies qui firent « la conviction absolue » du ministre[76].

Cavaignac décida aussitôt (26 août) qu’il interrogerait lui-même Henry, qui était de nouveau absent, mais seulement pour quelques joints, à Berck-sur-Mer, d’où il devait rentrer le 29, avec sa femme et son enfant, et se rendre avec eux, le 31, à Pogny, pour y faire, avec son frère, « l’ouverture de la chasse[77] ».

Cavaignac le saisira à son passage à Paris.

Gonse, quelques jours auparavant[78], fut informé par Roget de la découverte de Cuignet ; le jeune officier lui en fit la démonstration.

Si Gonse avait été le complice d’Henry, c’est l’évidence qu’il n’aurait pas hésité à l’avertir de l’imminent danger, pendant qu’il était temps encore de fuir ou de combiner quelque menterie où Cavaignac eût pu se laisser prendre.

Gonse a déposé par la suite que, s’il avait été mis en cause, « il eût trouvé une explication absolument normale ». Il aurait dit au ministre : « Ce sont des papiers que j’ai mélangés, au lieu de les reconstituer à leur date ; je les avais oubliés ; je me suis trompé. » Selon Gonse, « personne n’y aurait rien vu[79] ».

Mais Gonse, comme Boisdeffre, avait été seulement le complice moral d’Henry. Bien que la pièce leur eût paru suspecte, en raison même du nom de Dreyfus, puisqu’ils le savaient innocent[80], ils n’avaient pas hésité cependant à s’en servir, comme un disputeur de mauvaise foi se sert d’un argument qu’il sait mauvais, quand il n’en a pas d’autres, mais ils n’avaient pas imaginé qu’Henry l’eût fabriquée lui-même.

L’explication que Gonse eût fait valoir pour son compte, s’il avait été soupçonné, il la présenta à Roget, à la décharge d’Henry. Roget la trouva plausible[81].

Le 28, Cavaignac télégraphia à Boisdeffre, toujours malade à la campagne, de rentrer au plus vite[82]. Le général partit le lendemain, « pensant qu’il s’agissait toujours de l’affaire Esterhazy ». Ni Roget ni Gonse lui-même ne lui avaient rien fait savoir.

Cavaignac lui fit sa démonstration (celle de Cuignet) : l’intercalation des papiers sur les deux pièces aux colorations différentes, aux rayures qui ne concordaient pas. Boisdeffre ne vit pas, ou ne voulut pas voir[83] : « Si la matérialité du faux est prouvée, dit-il, je serai bien obligé d’y croire. A priori, je me refuse absolument à admettre que le colonel Henry soit un faussaire ; attendons ses explications ; je suis persuadé qu’il pourra expliquer comment il se fait que ces deux lettres sont collées ensemble et comment des morceaux sont mélangés. »

Cavaignac admit que ce n’était pas impossible[84].

Mais, pas plus que Gonse, Boisdeffre n’eut l’idée — ou, s’il l’eut, il la chassa, car ils avaient tous peur de Cavaignac — de faire suggérer à Henry la réponse, d’ailleurs stupide, qui leur était venue à l’esprit, par une vieille habitude de mentir.

VIII

Le 30 août, à deux heures, Gonse fut chargé d’amener lui-même Henry au cabinet du ministre, « sans lui rien laisser soupçonner[85] ».

Il y avait juste onze ans, à pareille date, dans les mêmes derniers jours d’août, qu’Henry, alors jeune capitaine de zouaves, s’était distingué à l’autre bout du monde, au fond de l’Indo-Chine, « dans une série de surprises et d’embuscades[86] ».

Pendant tout le temps que dura l’interrogatoire, Boisdeffre et Gonse gardèrent le silence, « une stupéfaction douloureuse » peinte sur leurs visages, la sotte figure de Gonse, la belle tête fine de Boisdeffre, à mesure que la certitude s’imposait[87].

Roget tint la plume, « sténographia le dialogue entre le ministre et Henry[88] ».

Cavaignac procéda avec beaucoup de méthode à l’interrogatoire, « ni officiel, ni judiciaire, mais simplement administratif », pour « savoir la vérité[89] ». Il prévint d’abord Henry « que l’examen des deux pièces au crayon bleu — la lettre de Panizzardi du 31 décembre 1896 et la pièce de comparaison de juin 1894 — avait permis de constater que l’une d’elles renfermait des mots appartenant à l’autre, et réciproquement, qu’ainsi elles avaient été gravement altérées. » Puis, de sa voix sèche : « Devant la matérialité des faits, l’absence d’explication serait aussi grave qu’une explication insuffisante. Quand et comment avez-vous reconstitué ces pièces ? »

Quelqu’un, qui l’a bien connu, a fait ce portrait d’Henry : « C’était un de ces hommes rudes et sanguins, comme il en faut dans l’administration de la Guerre, quand ce ne serait que pour traiter avec les marchands de bestiaux, à l’arrière des armées. » Il semblait l’un d’eux, quand il était en civil. Sous l’uniforme, il avait bonne mine.

Avec son ordinaire audace, il commença par mentir. Il a reçu les deux pièces aux dates qui y sont indiquées, il les a reconstituées lui-même[90].

Cavaignac s’était laissé toucher par l’hypothèse que la pièce de 1894 aurait été gardée en fragments, sans être reconstituée, jusqu’à 1896 ; Henry, involontairement, aurait brouillé les morceaux des deux pièces. En tout cas, il était équitable de laisser à Henry la chance de se raccrocher à la supposition de Boisdeffre et de Gonse, quitte à discuter ensuite. Il lui tendit cette perche.

Henry l’aurait saisie des deux mains si Gonse l’avait prévenu, lui avait soufflé ce mensonge. Mais Gonse, comme on a vu, n’en avait rien fait. Docile aux ordres du ministre, il avait mené Henry à l’abattoir, sans le mettre en garde, même d’un mot.

« Je suis absolument sûr, répondit Henry, de n’avoir pas décollé, puis recollé la pièce de 1894 ; du reste, je ne décolle jamais les pièces. » Cavaignac : « Gardez-vous quelquefois des morceaux sans les reconstituer ? » (Visiblement, il cherche encore à le sauver.) Henry, s’obstinant : « Je ne me rappelle pas avoir gardé de morceaux de papier en vrac pendant plus de huit ou dix jours, le temps de débrouiller un peu. »

Il s’est pris lui-même dans le lacs que rien ne peut plus dénouer. Lui-même, il se le serre encore autour du cou : « J’ai recherché la pièce de 1894, quelques jours après avoir remis l’autre au général Gonse ; je ne savais pas où elle était. »

Il s’était plaint à sa femme d’un violent mal de tête[91]. Il était usé par cette longue guerre de six ans ; il fut certainement, dans ce dernier combat, inférieur à lui-même.

Cavaignac, à présent, ne pouvait plus rien pour cet homme qui se condamnait lui-même. Sûr désormais de son fait, il va montrer aux généraux « atterrés[92] » ce que c’est qu’un juge. Il répète, très dur, que la pièce de 1894 contient des morceaux appartenant à celle de 1896. « Cela me paraît impossible », riposte Henry. Cavaignac : « Il y a une preuve matérielle que certains morceaux ont été interchangés. »

Henry, qui lisait maintenant dans les yeux blêmes de Cavaignac la terrible accusation, se risqua à la formuler lui-même ; il ne la craint pas, puisqu’il va au devant ; sa fameuse loyauté ne supporte pas le soupçon. « Comment j’explique le fait ?… C’est que j’aurais fait moi-même l’intercalation ! Je ne peux pourtant pas dire que j’ai fabriqué une pièce que je n’ai pas fabriquée. » Puis, une sottise : « Il aurait fallu aussi fabriquer l’enveloppe… »

On peut croire qu’il attendait quelque intervention de Boisdeffre et de Gonse. Ils restèrent muets, Cavaignac continua de le presser : « Le fait de l’intercalation est certain. — J’ai reconstitué les papiers tels que je les ai reçus. — Je vous rappelle que rien n’est plus grave pour vous que l’absence de toute explication. Dites-nous ce qui s’est passé. Qu’avez-vous fait ? — Que voulez-vous que je vous dise ? — Que vous donniez une explication. — Je ne peux pas. — Le fait est certain ; pesez bien les conséquences de ma question. » Henry, pour toute réponse, répète : « Que voulez-vous que je vous dise ? — Ce que vous avez fait. — Je n’ai pas fabriqué les papiers. — Vous avez mis des morceaux de l’une (des deux pièces) dans l’autre ? »

Henry, se sentant pris, entra enfin dans la voie des aveux, mais, pour une parcelle de la vérité que lui arrachait Cavaignac, lâchant de nouveaux mensonges, les premiers qui venaient à son cerveau en déconfiture et qui d’ailleurs s’effondraient rien qu’à être formulés. Ainsi, fourbant tant qu’il put, il mit seulement son crime en plus de relief.

Il balbutia, d’abord, que, n’ayant pas bien compris quelques mots de la pièce de 1896, il y avait ajouté quelques découpures de l’autre pièce : « J’ai arrangé des phrases : « Il faut pas que on sache jamais… » ; mais la première phrase est exacte (celle où Dreyfus est nommé) ; je vous assure que je n’ai rien fabriqué ; je n’ai pas eu trois pièces à ma disposition, mais seulement deux. » Cavaignac : « Ce que vous dites est contraire à la matérialité des faits. — Je vous dis tout. — Ce n’est pas vrai ; vous avez fabriqué la pièce. — Je vous jure que non. » Il ne cédait que pas à pas. Ainsi, la phrase qu’il avait seulement « arrangée », il consentait qu’il l’avait ajoutée : « Je l’ai faite pour donner plus de poids à la pièce. » Cavaignac : « Quels sont les mots que vous avez fabriqués ? — Je ne me rappelle plus ; j’ai décollé une partie de la pièce de 1894, pas la pièce entière. J’ai fabriqué une partie de la dernière phrase. — Vous avez fabriqué la pièce entière. — Je vous jure que non. »

Les parjures ne lui avaient jamais rien coûté ; il les prodigua. Tout le long de l’interrogatoire : « Je vous jure que non ! » — « Vous ne dites pas la vérité… » passent comme un leit-motiv.

« Vous avez fait la deuxième pièce en vous inspirant de la première. — Je vous jure que non. Je jure que le commencement de la lettre est bien authentique. — Le commencement a été inventé aussi ; mais dites donc toute la vérité ! — Non, je n’ai mis que la dernière phrase… — Avouez, puisque les pièces parlent d’elles-mêmes. — Il y a des mots dans le corps de la lettre qui viennent de l’autre, mais le commencement de la lettre est de l’écriture même de Panizzardi… »

Cavaignac, qui ne pouvait admettre qu’un faux où il s’était laissé prendre fût stupide, en avait conclu qu’Henry n’avait pas été seul à le combiner. Par trois fois, il lui posa la question : « Qui vous a donné l’idée de ces arrangements ? » Henry n’eût pas mieux demandé que d’en partager la gloire avec un autre ; mais qui accuser sans empirer son cas ? Il répondit donc à chaque fois, d’abord avec un peu d’hésitation, que, seul, il avait eu l’idée.

« Mes chefs étaient très inquiets, je voulais les calmer, faire naître la tranquillité dans les esprits. Je me suis dit : « Ajoutons une phrase ; si nous avions une preuve dans la situation où nous sommes ! » D’ailleurs, personne n’en a rien su, Gribelin n’en a rien su… J’ai agi seul dans l’intérêt de mon pays[93]. »

La pièce de 1894 est datée de sa main ; quand l’a-t-il datée ? « Je l’ai datée en 1894, je ne crois pas l’avoir datée après ; je ne me souviens plus. La pièce de 1896 était-elle signée ? — Je ne pense pas avoir fait la signature[94]. — Et les enveloppes ? — Je jure que je n’ai pas fait les enveloppes. — C’est bien invraisemblable que vous ayez ajouté seulement la phrase de la fin. — Je le jure. »

À ce moment, Cavaignac, écœuré, harassé comme un homme qui s’épuise à manœuvrer une pompe d’où ne sort qu’un mince filet d’eau, commande à Henry de se retirer. Puis, se ravisant, il le rappelle. Il lui faut toute sa victoire.

Il n’avait fait encore qu’affirmer, en homme sur de son fait, âprement, mais sans preuves. L’idée lui vint de les donner : « Les quadrillages des fragments de papier sont de nuances différentes. »

Henry aperçoit enfin sa méprise, la sotte inadvertance qui l’a perdu. Trébuchant, se roidissant, il cherche à savoir : « Quels sont les morceaux qui auraient été intercalés ? — Je ne vous demande pas de me poser des questions, mais de me répondre : Vous avez fabriqué toute la lettre ? — Je jure que je n’ai pas fabriqué la lettre. — Vous ne voulez pas dire la vérité ? — Je ne peux pas vous dire que je l’ai écrite en entier. La première lettre, je l’ai trouvée ; je n’ai ajouté que la fin de la seconde. — Tout ce que vous avez pu recevoir, c’est l’en-tête et la signature. — J’ai reçu la première partie. — Ou vous n’avez rien reçu du tout. » Il s’obstine encore ; Cavaignac : « Vous aggravez encore votre situation par ces réticences. — J’ai agi pour le bien du pays. » Le ministre : « Ce n’est pas ce que je vous demande. » Henry se débattant encore : « Quand j’ai eu la première partie… — Ce n’est pas possible ; je vous répète que c’est écrit sur la pièce ; vous ferez mieux de tout dire. — Alors, vous êtes convaincu que c’est moi ? »

Il dut jeter alors un regard de désespoir vers les trois généraux, Gonse et Boisdeffre, pâles comme des morts, Roget qui écrivait toujours. Il se sentit acculé, se rendit.

Cavaignac : « Dites ce qui est ; vous avez reçu l’enveloppe et l’en-tête ? — Oui, j’ai reçu l’enveloppe et l’en-tête. — Qu’y avait-il ? Rien que : « Mon cher ami » ? — Henry, d’un dernier effort de mensonge ; « Je vous l’ai dit, la première partie… — Il n’y avait rien que : « Mon cher ami ». Vous vous mettez, je le répète, dans la plus mauvaise situation. » Henry, « de plus en plus troublé et hésitant[95] » : « Voici ce qui est arrivé : j’ai reçu l’en-tête et quelques mots. — Quels mots ? — D’autres choses qui n’avaient pas trait à l’Affaire. — Ainsi, voici ce qui est arrivé : vous avez reçu en 1896 une enveloppe avec une lettre dedans, une lettre insignifiante ; vous avez supprimé la lettre et vous avez fabriqué l’autre ? — Oui. »

Cavaignac s’arrêta.

Il lui avait fallu une heure pour obtenir ce « oui », l’explicite et irrévocable aveu[96].

C’eût été le moment ou jamais de saisir l’homme à la gorge, de lui faire cracher toute la vérité sur l’Affaire.

IX

Cavaignac ayant donné à Roget l’ordre de conduire Henry dans une pièce voisine et de « l’y garder à vue »[97], Boisdeffre prit une feuille de papier sur le bureau du ministre et écrivit[98] :

Paris, 30 août.
Monsieur le Ministre,

Je viens d’acquérir la preuve que ma confiance dans le colonel Henry, chef du service des Renseignements, n’était pas justifiée. Cette confiance, qui était absolue, m’a amené à être trompé et à déclarer vraie une pièce qui ne l’était pas et à vous la présenter comme telle.

Dans ces conditions. Monsieur le Ministre, j’ai l’honneur de vous demander de vouloir bien me relever de mes fonctions.

Boisdeffre.

Gonse, d’ordinaire penaud, était pétrifié.

Cavaignac, qui n’avait cru culbuter qu’Henry, fut fort surpris : « Tout le monde, dit-il à Boisdeffre, peut être trompé ; il vous appartient de poursuivre l’enquête, de présider à la répression des actes qui ont entraîné l’erreur que vous avez commise en toute loyauté[99]. »

Ce fut, pour Boisdeffre, une raison de plus de persister dans sa démission. Il dit au ministre « que tout le monde, en effet, pouvait être induit en erreur, mais que tout le monde n’avait pas eu comme lui le malheur d’affirmer devant un jury qu’une pièce était vraie, alors qu’elle était fausse, et de dire qu’il était prêt à se retirer si on ne croyait pas en sa parole ; quand on s’est trouvé dans ce cas, il n’y a plus qu’à s’en aller[100]. »

Et il s’en alla.

Cavaignac n’avait pas eu un moindre malheur, puisqu’il avait attesté à la Chambre et au pays l’authenticité matérielle et l’authenticité morale du faux.

Le faux est un crime[101]. Le devoir de Cavaignac était d’inviter d’urgence le gouverneur de Paris, qui est le procureur général de la justice militaire, à donner un ordre d’informer et à faire conduire le faussaire au Cherche-Midi[102].

Comme « il était sorti volontairement des voies régulières »[103], en procédant lui-même à l’interrogatoire d’Henry, il eût pu ordonner lui-même l’arrestation[104].

Il a été pendant près d’une heure le plus efficace, le plus utile des serviteurs de la justice ; déjà il en était las ; il n’était pas capable d’un plus grand effort. Au surplus, « s’il avait prévu » qu’Henry se tirerait difficilement d’affaire, « il n’avait pris aucune mesure » pour le cas où le misérable avouerait[105]. Il convint avec Zurlinden de faire conduire Henry au mont Valérien, aux arrêts de forteresse[106].

« En attendant la décision » de Cavaignac, Roget, pendant l’heure qu’il passa avec Henry, seul à seul, « essaya de le faire parler[107] ». Henry, « dégagé du poids qui l’oppressait », avait « recommencé à regarder le général en face[108] ». Celui-ci le crut sincère. Ils étaient entrés ensemble avec Cuignet à l’État-Major[109] et, malgré les différences de grade et d’âge, avaient été trois amis.

Roget « essaya surtout de savoir si Henry avait eu un complice ». Henry, « avec la plus grande énergie », affirma à plusieurs reprises que non ; « personne au monde ne savait ce qu’il avait fait[110] ». Il était « très préoccupé de ce que l’on allait décider de lui[111] ». Quand il regardait Roget dans les yeux, quel soupçon cherchait-il à y lire ? Que Gonse ou Boisdeffre lui aurait commandé le faux[112] ? Ou qu’il en aurait parlé à Esterhazy ? Qu’il se serait concerté avec lui ?

Tout en causant, Roget fut amené[113] » à dire : « Savez-vous si on a proposé une forte somme au commandant Esterhazy pour se déclarer l’auteur du bordereau ? Savez-vous s’il a existé des relations entre le colonel Sandherr et le commandant Esterhazy[114] ? »

Ce « point » préoccupait Roget[115]. Il ne lui aurait pas déplu qu’Esterhazy, pour une fois, n’eût pas menti, qu’il eût fait partie du contre-espionnage[116],

Henry, prudemment, répondit : « Je crois qu’ils se sont connus en Tunisie, mais je n’ai jamais vu le commandant au bureau qu’une fois, en 1895 ; il venait apporter au colonel des documents qu’il avait recueillis par hasard[117] ».

Quand Picquart, en 1896, l’avait questionné au sujet d’Esterhazy, Henry n’avait point soufflé mot de cette visite, de cette contribution accidentelle, bizarre, au service ; des Renseignements[118].

Puis, brusquement, sans qu’aucune question lui eût été posée par Roget au sujet du bordereau, comme sous l’influence d’une peur subite, éveillée par le nom d’Esterhazy, qu’un autre de ses mensonges ne fut soupçonné et n’entraînât la découverte de tout son crime : « C’est à moi qu’on a apporté le bordereau saisi en 1894. Il est venu par la voie ordinaire (c’est-à-dire déchiré en morceaux par Schwarzkoppen, ramassé dans le panier à papiers par la Bastian) avec des documents que vous connaissez et dont l’authenticité est indiscutable. Toute autre version est contraire à la vérité et matériellement impossible[119]. »

Roget ne semble pas s’être étonné de l’étrange attestation qu’il n’avait pas demandée à Henry. Sa curiosité ni sa logique n’allèrent à supposer qu’Henry n’avait pas commis qu’un seul crime, qu’il n’était pas devenu du premier coup un criminel, que la version officielle de l’arrivée du bordereau était fausse (puisque Henry, spontanément, faisait allusion à une autre version). Il croyait alors que Schwarzkoppen jetait au panier les lettres de ses espions, que la Bastian y avait ramassé le bordereau, « en menus morceaux[120] », qu’Henry l’avait recollé. Il venait d’entendre Henry se parjurer vingt fois, jurer vingt fois sur l’honneur qu’il n’avait pas fabriqué le faux. Il croyait toujours (par une vieille habitude, qui subsista longtemps chez les dupes d’Henry) que le fourbe était une âme simple, un pauvre homme.

Henry, encore terrassé par la subite catastrophe, ignorait toujours comment son crime avait été découvert. Cavaignac ni Roget ne lui en ayant rien dit, il ne saura jamais rien de la lampe merveilleuse de Cuignet. Il dut imaginer qu’Esterhazy, pour se venger, l’avait méchamment dénoncé, par une dernière trahison. Et, si Esterhazy a parlé, qu’a-t-il dit, que dira-t-il encore ?

Ce soir, demain, quand le bandit, qui tant de fois déjà a menacé de prendre la fuite, aura passé la frontière, on saura tout.

Son cerveau chauffait ; par cette torride journée d’août, il sentait fondre le peu de raison qui lui restait, après tant de secousses, depuis tant d’années ; sans un jour de sécurité, depuis quelques mois ; dans une si torturante angoisse, depuis deux heures à peine que Gonse l’avait livré à Cavaignac.

Le colonel Féry, major de la place, vint le chercher pour le mener au mont Valérien dans un fiacre[121]. Lui-même, il y a quatre ans, il avait conduit ainsi Dreyfus au Cherche-Midi.

Il avait, au préalable, fait remise sommaire de son service à Gonse, qui l’avertit des décisions du ministre[122]. « Je ne sais pas, lui dit Henry, ce qui me retient de prendre mon revolver pour me casser la tête. »

Le colonel Féry l’escorta d’abord chez lui. C’était un petit appartement très simple[123], dont le service était fait par son ordonnance et par une bonne. Les femmes des criminels, quand elles sont elles-mêmes honnêtes et loyales, ignorent tout des affreuses réalités. Les crimes sont moins difficiles à commettre qu’à raconter.

La peur de l’indiscrétion n’est pas le seul rempart où s’arrête la confidence, mais une dernière honte. La fille des Nettancourt était plus en éveil que la fille du cabaretier de Péronne ; elle ne soupçonna rien jusqu’au jour où éclata le drame ; la maîtresse n’en sut pas davantage ; à l’époque fructueuse de la trahison, quand Esterhazy servait à la fille Pays une « mensualité de cinq cents francs[124] », il ne lui disait pas qu’il prélevait pour elle le quart de sa propre mensualité chez l’Allemand. Si Henry montra son faux à sa femme ou lui en parla, comme la malheureuse l’a donné à entendre[125], il ne lui confessa pas que l’homme qu’il avait fait condamner, qu’il assassinait pour la seconde fois, était innocent. Il lui conta, d’abord, comme à Picquart, qu’il « avait perdu de vue Esterhazy » depuis longtemps ; puis, quand Esterhazy vint « cinq ou six fois » chez lui, que « c’était pour son duel[126] ». Toutes deux, Mme Esterhazy, Mme Henry, s’étaient mariées par amour, et toutes deux, dans les épouvantables tragédies, furent également vaillantes et fidèles. Chez ces pauvres êtres que brise le destin, tout est respectable ; et touchant, surtout le mensonge.

Henry raconta brièvement quelque chose, mit dans une valise un peu de linge, une trousse, prit un air calme pour embrasser sa femme qui pleurait et son fils qu’il appelait le petit zouave : « Tout cela s’arrangera. Ma conscience est tranquille. Le ministre m’envoie au Mont-Valérien. Il faut que j’y aille. Tu sais que je suis un honnête homme et que je n’ai rien à me reprocher. » Puis, à l’officier : « Descendons vite, mon colonel, j’en ai assez. »

Au cours du trajet, il retomba, comme assommé, et, n’ayant pas conscience de sa situation, il monologuait : « C’est inconcevable. Que veut-on ? C’est à devenir fou. Ce que j’ai fait, je suis prêt à le faire encore ; c’était pour le bien du pays et de l’armée. Je n’ai jamais fait de mal à personne ; j’ai toujours fait mon devoir. Quel malheur d’avoir rencontré sur mon chemin de pareils misérables ! Ils sont cause de mon malheur ! Ma pauvre femme, mon pauvre petit garçon ! Tout s’écroule en une seconde. Je ne ferai pas l’ouverture de la chasse. Tout le monde nous attend là-bas. Que va-t-on penser ? »

Il répétait plusieurs fois les mêmes phrases, mécaniquement.

À quels « misérables » s’en prenait-il[127] ? Un seul homme l’avait perdu : Esterhazy.

Féry le remit au commandant d’armes de la forteresse[128] ; Walter le conduisit au pavillon des officiers, dans la même chambre que Picquart avait occupée l’hiver passé et que Cuignet, plus tard, occupera à son tour.

X

À l’heure même où Henry était emmené au Mont-Valérien, Cavaignac allait chez Brisson[129]. Il lui rendit compte des événements. Brisson fut atterré.

Il était hanté, depuis quelques jours, par la fameuse pièce. Jaurès, l’avant-veille[130], Trarieux, la veille, dans une lettre ouverte à Cavaignac[131], avaient démontré encore une fois, rien que par le bon sens, par la critique des textes et des faits, que c’était un faux. L’événement le plus dramatique et le plus imprévu les justifiait, ainsi que Picquart, Scheurer, tous ceux qui, dès qu’elle parut au procès de Zola, s’écrièrent, comme moi, « qu’elle puait le faux[132] », qu’elle était absurde et stupide[133]. Donc Dreyfus est innocent.

L’idée qu’il s’était trouvé au ministère de la Guerre un lieutenant-colonel pour commettre un crime si bas, et dans un dessein aussi infâme, le remplissait de « stupeur ». J’ai dit déjà qu’il avait reçu dans son enfance des enseignements d’un vieux soldat, volontaire de Valmy, colonel de la garde impériale, qui s’était battu par toute l’Europe. Il oubliait qu’il y avait eu aussi, dans les armées de Napoléon, des gredins, des pillards et d’autres traîtres que Bourmont. Il ne s’imaginait pas plus un soldat sans honneur que sans armes. Il était « patriote » dans toute la force du mot en 1792 ; nul ne souffrit plus cruellement que lui de l’abominable découverte.

Encore quelques jours et des sophistes sans pudeur entreprendront la glorification d’Henry ; les anciens camarades du faussaire, dans la déraison des passions ou sans psychologie, lui chercheront obstinément des excuses. Brisson, enfin réveillé, se retrouvant lui-même dans ce douloureux sursaut, n’admit pas de circonstances atténuantes à un tel crime.

Il était « bouleversé » aussi par « le repentir d’avoir fait afficher un faux », — toutes les murailles de France en étaient encore salies, — d’avoir réclamé sa part au triomphe oratoire de son ministre de la Guerre, d’avoir manqué de clairvoyance et de judiciaire. Lui, Brisson, avoir présidé à ces choses ! Il écrira plus tard : « J’ai eu des rêves où j’arrachais ces malheureuses affiches avec mes oncles[134]. »

Il resta seul pendant une heure à méditer et, tout de suite, se mit en face de son devoir. « Cette heure fut comme le point du jour qui a toujours été croissant en lui jusqu’au midi[135]. » La grâce l’avait touché, il aperçut l’œuvre de réparation à accomplir et, sans la maudire, comme feront tant d’autres, il se jura de poursuivre la revision[136].

Les ministres (sauf Bourgeois qui était en voyage) dînaient, ce soir-là, chez Delcassé. Le visage de Brisson, à l’ordinaire grave et triste, parut plus sombre encore. Celui de Cavaignac avait sa rigidité habituelle.

Après le repas, comme cela avait été convenu avec Brisson, Cavaignac fit le récit de l’événement[137]. Rien encore n’avait transpiré.

Lorsque Cavaignac eût terminé sa communication, un grand silence se fit. Tous ces hommes d’État se regardèrent ou regardèrent devant eux, attendant le mot décisif, n’osant le prononcer. Puis, tout à coup, une exclamation retentit : « Allons ! dit Vallé, c’est la revision. »

« Moins que jamais, monsieur ! » riposta Cavaignac[138].

Brisson, d’un grand geste, fit signe au champenois de se taire.

XI

De ce qu’il n’avait pas commis le crime d’enterrer sa formidable et ridicule erreur, Cavaignac se croyait plus infaillible que jamais.

La discussion s’engagea. Brisson proposa le renouvellement de l’État-Major général et ajouta « qu’il fallait se mettre en face de la revision ». Cavaignac lui tint tête, appuyé par plusieurs des ministres. Il a déjà refusé la démission de Boisdeffre ; il ne consentira pas davantage à d’autres représailles, comme de frapper Pellieux, qui, le premier, au procès de Zola, a produit le faux et menacé le jury, ou Gonse, le supérieur direct d’Henry, qui, à la même audience, a certifié l’authenticité de la pièce apocryphe. Des paroles vives furent échangées. Finalement, on ajourna la suite des débats au lendemain, au conseil des ministres que présiderait Félix Faure, rentré de la veille. Nul ne s’étonna qu’Henry n’eût pas été enfermé au Cherche-Midi : pourquoi l’avoir mis simplement aux arrêts de forteresse[139] ? On décida seulement qu’une note officielle, relatant les aveux d’Henry, serait communiquée aux journaux[140].

La surprise fut extrême, même chez ceux des défenseurs de Dreyfus qui, par voie de déduction, s’étaient convaincus que la fausse lettre avait été fabriquée avec « la complicité des bureaux de la Guerre ». Précisément, c’était le titre de l’article de Jaurès pour le lendemain ; jamais encore il n’avait serré la vérité d’aussi près :

Pendant deux ans, le ministre de la Guerre eu comme annexe un atelier de faussaires travaillant à innocenter un traître… C’est là qu’est le nid de la vipère… Parmi les officiers, les uns, en relation personnelle et directe avec Esterhazy, ont participé immédiatement au faux. D’autres lui ont ménagé les facilités d’accès, l’accueil propice. D’autres encore ont fermé les yeux, ont accepté complaisamment l’œuvre imbécile et informe qu’on leur proposait[141].

Seulement, celui qu’il dénonçait comme le complice présumé d’Esterhazy, c’était Du Paty. Le nom d’Henry, du chef même du bureau des Renseignements, éclata comme un coup de tonnerre. Les revisionnistes poussèrent un cri sauvage de triomphe ; les nationalistes, dans la première heure de stupeur et d’effroi, s’avouèrent vaincus[142],

Des journalistes coururent réveiller Esterhazy. Le forban, « avec le plus grand sang-froid et sans paraître troublé le moins du monde », demanda des détails et conclut : « Voilà qui va faire du bruit[143]. »

On eût juré qu’il avait, au moins, prévu la catastrophe[144].

Le lendemain, Marguerite plaisanta : « Faut-il qu’Henry soit bête pour avoir avoué ? Nous savions bien que c’était lui qui avait fait la pièce ! « Puis, comme un journaliste la pressait de questions : « Je ne mange pas le morceau, moi !… Je ne suis pas officier d’État-Major ! » En belle fille amoureuse, elle parla chaudement de son souteneur : « Esterhazy me dirait qu’il faut vivre avec trente sous par jour, j’accepterais[145]. »

La nouvelle, télégraphiée dans le monde entier, y fit passer le frisson dont Paris avait tressailli. À Dieppe, Bertulus confia au docteur Peyrot[146], pour qu’il la racontât à Sarrien, la scène du 18 juillet dans son cabinet : « Je vais être un témoin terrible pour Henry ; la lumière vient de se faire en moi[147]. » À Évian, dans la salle d’hôtel où la dépêche fut affichée, Mercier, quand il la lut, et se croyant seul : « Foutu ! » dit-il, et il partit le soir même.

Pellieux, au contraire, parce qu’il avait cru à l’authenticité de la pièce, adressa à son supérieur immédiat, le général Borius[148], pour être transmise à Cavaignac, une lettre vibrante de colère :

Monsieur le Ministre,

Dupe de gens sans honneur, ne pouvant espérer conserver la confiance de mes subordonnés sans laquelle il n’y a pas de commandement possible, ayant perdu de mon côté la confiance en ceux de mes chefs qui m’ont fait travailler sur des faux, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien liquider ma retraite pour ancienneté de services[149].

Il ne brisait pas seulement son épée d’un beau geste. Il proclamait que, s’il n’avait pas été indignement trompé par Boisdeffre et Gonse, il n’aurait pas innocenté Esterhazy. Et la condamnation d’Esterhazy, c’eût été la revision.

Les ministres tinrent ce jour-là (31 août) quatre conseils, deux à l’Élysée, sous la présidence de Faure, deux sous celle de Brisson, au ministère de l’Intérieur[150]. L’avant-veille, le jeune Empereur de Russie avait fait adresser une circulaire aux puissances, leur proposant une conférence pour arriver aux moyens de « mettre un terme aux armements incessants des peuples et de prévenir des calamités qui menacent le monde entier[151] ». Il en fut à peine question. Tout le débat, confus, parfois âpre, porta sur la démission de Boisdeffre. Cavaignac et Brisson parlèrent tous deux de donner la leur ; Brisson, « sur la table du Conseil », avait déjà rédigé la sienne. On convint d’attendre pour prendre une décision le retour de Bourgeois. De Dreyfus, de la revision, pas un mot[152]. Faure signa la mise en réforme d’Esterhazy[153].

XII

Au Mont-Valérien, Henry, debout de très bonne heure, quand l’ordonnance qui le servait entra chez lui, parut « dans un état de grande prostration[154] ». Il demanda du papier à lettres[155], de quoi écrire. La serrure de la porte était endommagée, le boulon cassé du côté de la chambre, de sorte que, pour sortir dans le couloir, il était forcé d’appeler le planton, à travers la porte fermée. Avec l’assentiment de ce soldat, il déplaça la tige de fer ; le bouton passa de l’extérieur à l’intérieur ; maintenant, pour entrer chez lui, il fallait frapper : c’est lui qui ouvrait[156].

« Il déjeuna légèrement, à 11 heures, et fit mettre aussitôt à la poste une lettre[157] », à l’adresse de Gonse :

Mont-Valérien, 31 août.
Mon Général,

J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien venir me voir ici. J’ai absolument besoin de vous parler.

Veuillez agréer, je vous prie, mon Général, l’expression de mes sentiments respectueux.

J. Henry.

Un peu plus tard, le lieutenant de service entra dans sa chambre, n’observa rien de suspect.

Il y a de la sommation dans ce laconique billet. Bien qu’il eût toujours bousculé Gonse, il était trop soldat pour ne pas se rendre compte, s’il avait encore quelque sens, combien la visite qu’il réclamait de Gonse eût été extraordinaire. Quoi ! le sous-chef de l’État-Major général se serait rendu chez ce faussaire, dans sa prison ! Henry avait joué de la presse comme pas un, connaissait les habitudes des journalistes. De sa fenêtre, il eût pu les voir guettant le Mont-Valérien. La démarche de Gonse aurait été connue aussitôt, trompettée dans le monde entier, comme celle d’un complice apeuré.

Qu’avait-il à dire à Gonse ? Le général avait assisté à l’interrogatoire chez Cavaignac ; puis Henry lui avait remis son service ; il l’avait revu encore en présence de Roget et du colonel Féry. Ainsi, le temps ni l’occasion ne lui avaient manqué de s’expliquer. Si Gonse a été son complice, ou Boisdeffre, si les chefs ont ordonné le coup qu’il a fait, c’était devant le ministre qu’il fallait leur jeter à la face l’accusation. Cavaignac, devant un tel scandale, aurait hésité. Rien d’irréparable encore ne s’était produit. Henry lui-même, il avait essayé d’abord de l’épargner. Par trois fois, il lui avait tendu le mensonge sauveur.

Hier, Cavaignac eût pu le croire, s’il avait mis en cause les chefs. Aujourd’hui, c’était trop tard. Henry eût dit la vérité que, faussaire de son propre aveu, il n’était plus qu’un menteur.

Et, si ce n’était pas du faux qu’Henry avait « absolument besoin de parler » à Gonse, de quoi donc ? Était-ce sa confession complète qu’il lui voulait faire ?

À cette heure, il lui eût fallu du génie pour prévoir que celui de ses crimes qu’il avait avoué, le crime le plus bas qui soit avec la trahison, demain deviendrait patriotique ; que les défenseurs de l’armée le glorifieraient d’avoir trompé ses chefs, les catholiques d’avoir commis un faux infâme ; qu’il passerait héros.

Pourtant, s’il n’avait failli qu’une seule fois, « dans l’intérêt de la patrie », comme il dit à Cavaignac, il eût pu compter sur l’indulgence des juges militaires et qu’il s’en tirerait à bon compte. Et d’autant plus il aurait pu s’en flatter que le ministre ne l’avait pas envoyé au Cherche-Midi, mais au Mont-Valérien, au pavillon des officiers qui n’ont encouru que des peines disciplinaires.

Ce qu’il voyait, c’était, au contraire, le triomphe des revisionnistes, leur arrivée au pouvoir, leur justice et leurs vengeance, ils voudront tout savoir et sauront tout, depuis le bordereau intact où du premier regard Henry reconnut l’écriture familière d’Esterhazy, et vingt autres faux, tout ce qu’il a machiné avec Lemercier-Picard et Guénée. Et tant de vilenies, tant de dangers bravés audacieusement, ont un mobile. Ce n’est pas pour le plaisir qu’il a jeté le nom de Dreyfus à la foule antisémite, accumulé contre lui les mensonges et les faux témoignages, ou qu’il a traqué Picquart jusqu’à la prison, Du Paty jusqu’au déshonneur. À tout cela, il a eu un intérêt. Lequel ?

Demain, ses avocats, ses apologistes se compteront par milliers. Aujourd’hui, autour de lui, c’est le vide. Ses chefs, devant Cavaignac, n’ont pas trouvé une parole d’excuse, d’indulgence. Il avait demandé les journaux. Ses amis de la veille, Drumont, Judet, Rochefort, se taisaient, d’un silence accablant. L’Éclair, son journal favori, le vouait au mépris public, par la plume d’Alphonse Humbert : « Cet officier, à jamais flétri, a commis le plus abominable de tous les crimes. Ce faux serait indigne du plus indigne des Français. »

Ainsi, la victoire avait bien passé dans l’autre camp. Il ne savait toujours rien de Cuignet[158]. Esterhazy est-il en fuite ? Ou va-t-on l’arrêter ?

Hier, une première fois, quand il dit adieu à Gonse, l’idée du suicide a traversé son cerveau[159] ; mais c’était une nature si vigoureuse, d’un fond terrien si solide, qu’il se raccrocha encore à la vie. Il écrivit à sa femme :

Ma Berthe adorée, je vois que sauf toi tout le monde va m’abandonner, et cependant tu sais dans l’intérêt de qui j’ai agi. Ma lettre est une copie et n’a rien, absolument rien de faux. Elle ne fait que confirmer les renseignements verbaux qui m’avaient été donnés, quelques jours auparavant. Je suis absolument innocent, on le sait, et tout le monde le saura plus tard ; mais, en ce moment, je ne puis parler. Prends toujours bien soin de notre petit Joseph adoré, et aime le toujours, comme je l’aime et comme je t’aime.

Au revoir, ma chérie ; j’espère que tu pourras venir me voir bientôt. Je vous embrasse tous deux du plus profond de mon cœur[160].

Cette lettre est à la fois touchante et mensongère (son faux qui n’est qu’une copie, la traduction écrite de renseignements oraux, comme on le sait), — presque testamentaire (les recommandations au sujet de son fils), — empreinte d’un dernier espoir, peut-être simulé (« tout le monde saura plus tard que je suis innocent, tu pourras venir me voir bientôt »), énigmatique comme ce scélérat qui eut tant d’amis, et si fidèles. Dans l’intérêt de qui a-t-il agi ? Il écrit à sa femme qu’elle le sait ; elle n’en savait rien, ne sut, plus tard que répéter, comme une enfant, la leçon apprise : « Il n’entendait désigner personne en particulier ; il a agi dans l’intérêt du pays[161]. » Sans vouloir mêler la grammaire à la mort qui approche, on peut observer que, s’il n’avait entendu « désigner personne en particulier », il eût dit : « dans quel intérêt ». Le mot qui désigne quelqu’un[162].

On a constaté l’influence de la chaleur sur le suicide. Au passage des tropiques, il n’est pas rare de voir des matelots se précipiter brusquement dans la mer, quand le soleil darde verticalement ses rayons[163] ». Le 31 août 1898, la température était chaude au dehors, sans être excessive, mais orageuse[164]. Il faisait très chaud dans la chambre d’Henry, en plein soleil, cette impulsion « irrésistible », que le navigateur Charles de Gortz nomme les horreurs[165], Henry lui-même en a noté les symptômes.

Il commença une autre lettre en ces termes :

Ma Berthe bien-aimée, je suis comme fou, une douleur épouvantable m’étreint le cerveau, je vais me baigner dans la Seine.

Puis la plume lui tomba des mains.

Du fort, on aperçoit la rivière qui le contourne de trois côtés.

Cette brûlure qui lui dévorait le cerveau, non seulement l’ardeur du midi et sa fièvre l’ont allumée, mais l’alcool qu’il avait bu à grandes rasades. Il vida une demi-bouteille de rhum[166] pour se donner du courage.

Sa lettre à Gonse est une sottise ; d’ailleurs, le général ne l’aura pas avant le soir ; certainement, il ne viendra pas.

Henry avait emporté au Mont-Valérien ses rasoirs, qui lui eussent été enlevés au Cherche-Midi.

Le suicide, dans les temps modernes ; est d’ordinaire, sauf chez les monomanes, le résultat d’une très prompte détermination. Ceux qui parlent toujours de se tuer, comme Esterhazy, se donnent rarement la mort. On guérit de la manie, de l’attrait du suicide. Chez l’individu sain, quand il se trouve dans une situation désespérée, si la pensée de la mort violente le pénètre, c’est avec une rapidité extrême, vive et subite comme une flèche, et tyrannique comme la plus obstinée des idées fixes, qui veut qu’on lui obéisse aussitôt. La raison fonctionne encore, mais surtout pour trouver des arguments à l’appui de l’impérieuse obsession. Henry put en évoquer plusieurs : la mort rapide, moins cruelle que les humiliations d’un long procès, le supplice de la dégradation, les tortures de l’emprisonnement cellulaire ou du bagne ; un peu de pitié (tout ce qu’il pouvait espérer alors) qui naîtra de sa tombe ; sa femme, puisqu’il n’aura pas été condamné, qui aura droit à toute sa pension[167].

Le matin, il avait revêtu un costume civil. Soit à cause de la chaleur qui le consumait, soit pour être plus libre de ses mouvements, il enleva ses vêtements de dessus, se mit en bras de chemise.

Il était environ 3 heures[168]. Il s’étendit sur le lit et, de deux coups de rasoir, se coupa la gorge. La section du côté gauche très nette, la jugulaire coupée en bec de flûte, la paroi postérieure intacte, la section du côté droit saccadée, la jugulaire entamée, moins que l’autre, comme sciée, les carotides intactes. Il tenait le rasoir de la main gauche. La main retomba sur le bord du lit, le rasoir se ferma, soit automatiquement, soit par quelque choc — ou, plutôt, mécaniquement, il le ferma lui-même. — Brierre de Boismont cite l’exemple de deux hommes qui eurent la force, après s’être coupé le cou devant la glace de leur cheminée, de faire un assez long trajet, en s’accrochant aux meubles et inondant tout l’appartement, de leur sang, pour aller regagner leur lit, s’y étendre et mourir. Un autre, après s’être fait une blessure au front, avoir divisé la carotide de droite, tranché l’artère crurale et le pli du bras, tomba par terre, se releva et s’élança de la fenêtre dans la rue[169].

Un jet énorme de sang jaillit, ses mains, ses manches, le drap et le matelas en furent inondés, toute la chambre. Il se vida complètement.

C’était une manière de colosse. La mort fut lente à venir, certainement un quart d’heure[170].

XIII

Un peu après six heures, l’ordonnance qui apportait le repas d’Henry frappa à la porte et, n’obtenant pas de réponse, avertit le lieutenant de semaine, Fête[171], qui essaya d’ouvrir, et, y ayant échoué, força la serrure. Il aperçut Henry « étendu sur son lit, plein de sang, la gorge ouverte », et courut avertir le commandant d’armes. Walter constata les faits[172]. Le corps était froid[173].

Walter envoya chercher les deux médecins militaires du fort, qu’on ne put rencontrer[174], puis le médecin civil de Suresnes[175], qui était occupé à un accouchement.

Un jeune interne des hôpitaux, Léon Lévy, qui faisait au fort son service d’un an, venait de partir pour Paris. Il s’était promené dans la cour intérieure jusqu’à 5 heures, avec un officier de réserve, n’avait vu ni entendu rien d’insolite ; aucun visiteur, officier en uniforme ou en civil, comme le bruit en courut par la suite, ne s’était présenté[176].

Dans le désarroi, l’espèce de terreur qui s’était abattue avec le crépuscule et la découverte du drame sur le fort, au milieu de l’affolement des officiers consternés et stupides, au sens classique du mot, Walter garda son sang-froid. Il télégraphia au gouverneur militaire de Paris qu’un événement grave venait de se produire, qu’il en rendait compte par une lettre au commandant de la place, qu’un bicycliste partait aussitôt pour la porter : « Il serait bon qu’un officier de la place vînt immédiatement au Mont-Valérien[177] ».

La lettre relatait l’événement en quelques mots.

Brisson, après cette épuisante journée où le Conseil s’était réuni quatre fois, se disposait à sortir, quand l’idée lui vint de passer par le cabinet du secrétaire où arrivent les télégrammes en communication. Le troisième qui lui passa sous les yeux fut celui de Walter. Il téléphona sur le champ au gouvernement militaire de Paris, donna lecture de l’inquiétant télégramme à l’officier de service qui vint à l’appareil ; l’officier répondit qu’il ne savait rien, ni « de l’événement grave » ni du bicycliste.

Brisson, énervé, se demande si l’homme n’aurait pas été assassiné[178]. Il insiste. Enfin, un autre officier, appelé par son camarade, lui annonce le suicide d’Henry ; puis Zurlinden lui-même le lui confirme : « J’ai une horrible nouvelle à annoncer…[179] ».

Le général venait de l’apprendre. Il avait d’abord téléphoné au ministère de la Guerre. On lui avait répondu que Cavaignac était au ministère de l’Intérieur[180].

Quelques instants après, Cavaignac y arriva, en effet, pour aviser Brisson qu’il consentait enfin au remplacement de Boisdeffre, non pas par mesure disciplinaire, mais parce que le général, se jugeant lui-même, avait persisté à maintenir sa démission. Cavaignac l’avait prié à nouveau[181] de présider aux répressions nécessaires. Boisdeffre s’y était refusé, ignorant encore que le rasoir d’Henry allait trancher la question.

Aux premiers mots, Brisson interrompit Cavaignac : « Mais ne savez-vous pas que le colonel Henry s’est suicidé ? — Ah ! il s’est suicidé ? — Oui, et c’est une source de vérité qui se tarit pour nous[182]. »

Ce fut tout.

Depuis la veille, Esterhazy aurait dû être sous les verrous, les scellés apposés chez Henry. Il l’eût fallu d’autant plus après le suicide. Brisson n’en dit pas un mot.

Une aussi étrange discrétion, un tel manque de résolution et d’énergie, quand Brisson aurait eu tant de comptes sévères à demander, la douleur et l’effroi de tant d’événements inattendus et tragiques peints sur son visage, rassurèrent fort Cavaignac. Alors même qu’il aurait eu la conscience de ses fautes, il n’eût pas consenti à paraître jamais devant Brisson en posture d’accusé. Le voyant ainsi accablé, frappé de la foudre, il n’eût pas été lui-même, l’un des hommes les moins humains qui fût jamais, s’il n’en avait profité pour reprendre aussitôt, comme s’il n’avait été pour rien dans ces catastrophes et dans ces hontes, toute son arrogance.

Il revint donc à l’objet de sa visite, qui était la publication de la lettre de démission de Boisdeffre et de sa propre réponse où, le couvrant, affirmant qu’il le tenait pour loyal, il l’avait chargé d’enquêter lui-même sur Henry[183]. Brisson et Delcassé, qui était survenu, lui objectèrent en vain que la mort d’Henry rendait l’invitation dérisoire. Cavaignac n’en voulut pas démordre. Enfin, après une heure de cette chicane, alors qu’il y avait des décisions bien autrement graves et urgentes à prendre, c’est-à-dire à agir, on convint d’une note qui reproduirait les deux lettres et se terminerait par l’annonce que le général Renouard serait appelé à la direction de l’État-Major général[184].

Brisson, la veille, avait commencé par réclamer non seulement le départ de Boisdeffre, mais la mise en disponibilité de Gonse et de Pellieux. Il n’en parla plus.

Cavaignac, quels que fussent son orgueil et son insensibilité, n’était pas entré dans le cabinet de Brisson sans un battement de cœur. Il retourna en maître au ministère de la Guerre, plus intangible, pensait-il, que jamais. Zurlinden, Boisdeffre, d’autres officiers, l’attendaient dans la cour, « en silence, très émus ». Il faisait nuit, près d’onze heures du soir. Zurlinden lui dit quelques mots et rentra aux Invalides[185].

XIV

Ainsi que Walter l’avait demandé, un officier de service à la place de Paris, Varlot, lieutenant à la garde républicaine, avait été envoyé d’urgence au Mont-Valérien et y était arrivé à 8 heures et demie[186].

Il se rendit aussitôt, avec Walter et Fête, dans la chambre d’Henry. « Le médecin, appelé pour constater le décès, n’était pas encore arrivé ». Ils dressèrent un procès-verbal. Sur la table (à côté de la bouteille de rhum qu’ils ne mentionnèrent pas), les deux dernières lettres qu’avaient écrites Henry, « l’une fermée, à l’adresse de sa femme, l’autre ouverte, portant des paroles incohérentes[187] ». Dans les poches des vêtements, « une lettre (sans intérêt) adressée à M. J. Henry, 13, avenue Duquesne », — à lui-même, — des cartes de visite, un portefeuille avec cent francs, un porte-monnaie avec deux cent soixante-cinq francs. Aucun autre papier ni dans les vêtements ni dans la chambre. Papiers et argent furent remis à Varlot pour être transmis au général commandant la place[188].

Le soldat Léon Lévy rentra sur ces entrefaites. Walter le fit appeler. Le jeune homme examina le corps exsangue, que nul n’avait encore touché, et les plaies. Il ferma lentement les yeux d’Henry, ces yeux gris, d’un bleu pâle, exorbités ; que ce fût un juif qui fermât les yeux du bourreau de Dreyfus, cela ajoutait au tragique de ces scènes.

Le lendemain, Lévy, aidé de deux infirmiers, fit la toilette du mort. Lui-même, puis le major Pauzat et le docteur de Lagorsse, procédèrent aux constatations médico-légales[189]. Enfin, le commissaire de police dressa procès-verbal du suicide, saisit le rasoir, avisa le parquet qui délivra le permis d’inhumer. L’acte de décès[190] fut dressé à la mairie de Suresnes. Il porte simplement que « Hubert-Joseph Henry, âgé de cinquante-deux ans, officier de la Légion d’honneur et lieutenant-colonel d’infanterie », était décédé la veille, au Mont-Valérien. Deux officiers (Junck et Féry) vinrent également reconnaître le mort.

Brisson, dans la matinée, avait recommandé à Cavaignac de se conformer aux prescriptions du Code en cas de mort violente[191] ; toutefois, de ne pas faire transporter le corps à Paris, pour éviter les manifestations[192]. Lévy, par ordre de Walter, avait déjà rédigé le bon de transfert au Val-de-Grâce en fin d’autopsie et fait atteler une prolonge, quand un contre-ordre arriva du ministère de la Guerre.

L’autopsie, devant l’évidence du suicide, était superflue. On eût dû publier les rapports et procès-verbaux officiels du commandant d’armes et du commissaire de police[193]. Cavaignac n’en fit rien et, par cette négligence, créa lui-même la rumeur d’un mystérieux assassinat.

Dans l’intervalle, Mme Henry était arrivée avec son enfant au Mont-Valérien, accompagnée d’un officier d’État-Major. Le parquet ensanglanté de la chambre avait été lavé à grande eau, le col d’Henry entouré d’un pansement pour éviter à la veuve la vue des atroces blessures. L’infortunée, d’une blancheur de cire, l’air d’une morte, se mit en prière ; l’enfant resta dans la cour, pleura, puis joua avec le trompette de garde. Quelques officiers vinrent la saluer, ce jour-là et le jour suivant, s’incliner devant le cadavre de leur camarade[194]. Gribelin et Lauth sanglotaient. Ils veillèrent le corps. On installa une chapelle ardente dans la salle de mess des officiers. Lévy fut mis à la disposition de Mme Henry, mais, tout abîmée de douleur qu’elle fût, elle se montra très forte, n’eut besoin d’aucun secours. Elle reçut de nombreuses lettres de condoléances. La mise en bière eut lieu le troisième jour (2 septembre). Le lendemain, l’abbé Combel, curé de Suresnes, récita sur le cercueil les prières des mots que l’Église refuse d’ordinaire aux suicidés ; mais elle fait fléchir ses sévérités pour ceux qui se sont donné la mort dans un instant de folie, surtout quand ils ont servi de leur vivant les bonnes causes. Des artilleurs en tenue placèrent alors le cercueil sur un fourgon des pompes funèbres, en présence des officiers et du commandant du fort, mais sans que les soldats rendissent les honneurs, et le corps fut conduit à la petite gare de Suresnes pour prendre de là le chemin de Pogny, du village natal d’Henry, où la famille avait décidé de l’ensevelir. Il y arriva le soir même et fut porté à la vieille maison paternelle. Le maire de la commune, la foule des villageois, formant cortège, suivirent dans la nuit, à travers les prairies de la Marne. Les obsèques eurent lieu le jour suivant (4 septembre), sans le concours du clergé. L’évêque de Châlons[195], moins politique que l’archevêque de Paris, défendit par dépêche, au curé de Pogny, de célébrer aucune cérémonie religieuse ; l’église était déjà parée, drapée de noir. « La population fut vivement affectée » de ce refus. On mit sur la bière l’uniforme d’Henry, un soldat porta sur un coussin ses nombreuses décorations, la fanfare elles pompiers encadrèrent le convoi. Deux officiers, le capitaine Mareschal, du bureau des Renseignements, et un officier d’infanterie[196] tinrent, avec deux amis personnels, les cordons du poêle. Des couronnes avaient été envoyées ; l’une portait cette inscription : « Un ami de la France. » Au cimetière, le docteur Renaudin, maire de Pogny, prononça un discours « patriotique et ému[197] ».

  1. Instr. Tavernier, 2 novembre 1898, Roget. — Voir t. III, 610.
  2. Cass., I, 340 ; Rennes, I, 502, 513, Cuignet ; Cass., I, 121, Roget ; Rennes, I, 198, Cavaignac : « Cuignet voyait cette différence de coloration avec une netteté absolue. »
  3. Voir t. II, 293 et suiv.
  4. Cass., II, 29, Cuignet : « Quand j’ai dénoncé Henry, j’ai rempli un cruel devoir dont l’accomplissement m’a fait souffrir et me fera souffrir toujours ; si c’était à refaire, je le ferais encore ; mais j’aurais souhaité n’avoir jamais été mêlé à cette horrible aventure. »
  5. Ibid., I, 121, Roget ; 340, Cuignet ; Rennes, I, 198, Cavaignac.
  6. Cass., I, 120, Roget.
  7. Ibid., I, 340, Cuignet.
  8. Ibid., I, 121, Roget.
  9. Rennes, I, 319, Roget ; il dit « qu’il ne fut convaincu que par l’aveu d’Henry ». Cavaignac : « Le général Roget observa lui-même la différence de coloration avec un peu plus de difficulté, mais il ne fut pas convaincu par ce premier examen ».
  10. Cass., I, 121, Roget ; 340, Cuignet.
  11. Les récits de Cuignet et de Roget s’accordent sur tous les points. Celui de Cavaignac à Rennes (I, 198) en diffère, avec l’intention manifeste de grandir son rôle. Cuignet n’aurait averti Roget, le 14 août, qu’après avoir, dès la veille au soir, déclaré à Cavaignac « qu’il avait fait sur une pièce, qui est intitulée le faux Henry, une observation qui le troubla singulièrement » ; le 14, Cavaignac « n’aurait pu apercevoir la différence de coloration qui avait frappé Cuignet ». « Je lui prescrivis, en présence de l’émotion que cette découverte m’avait causée, de procéder à des opérations que je déterminais très nettement et qui devaient arriver à faire sur ce point la conviction absolue… Il procéda à ce travail minutieux… C’est ainsi que je suis arrivé à me faire une conviction absolue, et c’est cette conviction, obtenue ainsi, qui m’a permis d’obtenir dans l’interrogatoire l’aveu du lieutenant-colonel Henry. » — De même, dans la séance de la Chambre des députés du 6 avril 1903 : « M. Brisson n’a pas craint de dire que, sur la question du faux Henry, ma conviction était faite le 14 août ; cela n’est pas vrai. Ma conviction n’a été faite que le jour où j’ai fait venir devant moi l’homme… etc. » — Cuignet (I, 340) dépose en ces termes : « M. Cavaignac, bien que convaincu de l’existence du faux, ne voulut pas mettre Henry en demeure de s’expliquer immédiatement. »
  12. Voir t. II, 359.
  13. Il allait, du samedi au lundi, rejoindre sa femme à Berck-sur-Mer.
  14. Cass., I, 340, Cuignet. — Chambre des députés, 6 avril 1903, Cavaignac : « Si j’avais voulu écarter ou dissimiler l’aveu, savez-vous ce que j’aurais fait, le jour où le premier doute est venu dans mon esprit ? Sans aller jusqu’au bout de mon enquête, j’aurais livré le lieutenant-colonel Henry à quelqu’une de ces instructions judiciaires où vous avez su accumuler les garanties pour l’accusé à tel point qu’il n’en reste plus pour la recherche de la vérité. »
  15. Cass., I, 340, Cuignet ; Rennes, I, 198, Cavaignac.
  16. Chambre des députés, 5 avril 1903, Cavaignac : « Je suis sorti volontairement des voies régulières, j’ai fait venir le coupable devant moi ; j’ai arraché de lui, par ma résolution et par ma volonté, l’aveu que vous essayez aujourd’hui d’exploiter contre nous. »
  17. Jaurès, les Preuves, 246.
  18. Cass., I, 25, Cavaignac.
  19. C’est ce qu’il dit à Brisson le 3 septembre suivant, puis à la Cour de cassation (I, 36) et à Rennes (I, 183).
  20. Rennes, I, 199, Cavaignac : « Je dirai que je considère que cette affaire, postérieure aux faits dont est saisi le conseil, ne peut avoir aucune influence sur l’appréciation de faits antérieurs de deux ans. » À la Chambre, dans son discours du 7 juillet 1898 : « Ainsi la culpabilité de Dreyfus n’est pas établie seulement par le jugement qui l’a condamné ; elle est encore établie par une pièce postérieure de deux années ; elle est établie par cette pièce d’une façon irréfutable. »
  21. Cass., I, 36, Cavaignac : « Je pense, sans pouvoir l’affirmer d’une façon tout à fait positive, que l’explication donnée à la fin de l’interrogatoire d’Henry que le faux qu’il avait commis avait pris la place d’un document réellement arrivé, est bien une affirmation exacte. » Il ajoute ensuite cette énormité : « Je pense même que l’arrivée des deux documents postérieurs au faux est une des choses qui ont donné à Henry l’idée d’intercaler son faux dans une correspondance réellement échangée. »
  22. Chambre des députés, 6 avril 1903, Brisson : « M. Cavaignac n’a averti le président du conseil que le 30 août. » — « J’étais peu honoré de la confiance du ministère de la Guerre. » (Souvenirs.)
  23. Jaurès, les Preuves, 216 : « C’est l’autre, l’heureux courtier du Havre, qui a cueilli le fruit ; et pendant les votes du congrès (1895), entre les deux tours de scrutin, M. Cavaignac blême, chancelant, ivre d’une sorte d’ivresse blanche, se demandait s’il n’allait pas tenter le destin. Il n’osa pas, et son rêve se referma sur lui comme un cilice. »
  24. Discours de Déroulède, le 21 août 1898, à Ruelle : « Rappelez-vous ce que disait aux fêtes de gymnastique de Mâcon le vigilant et énergique ministre de la Guerre, M. Cavaignac : « Le secret de notre force est dans l’affection que vous portez au drapeau tricolore. » Elle est déjà vieille, mais elle est toujours bien vraie, la métaphore qui fait de nos trois couleurs la robe même de notre France… etc. »
  25. Discours du 23, au banquet du Mans.
  26. Ce dernier vœu fut émis par les conseils généraux de la Sarthe, de l’Aveyron, de la Charente, des Côtes-du-Nord, du Morbihan, des Pyrénées-Orientales, de la Vendée, de la Haute-Marne, de la Loire-Inférieure, de l’Ille-et-Vilaine, de la Mayenne de Maine-et-Loire, de la Charente-Inférieure, de la Gironde, de la Loire et du Lot.
  27. 24 août 1898. — La motion de Bérenguier et de Robert vivement applaudie par le public du conseil général, fut écartée « comme étrangère aux attributions de l’assemblée départementale ». Elle avait été déposée en réponse à une lettre où je m’excusais de ne pas assister à la session. — Jaurès releva la motion de Bourrat : « Honte et défi à ceux qui imaginent nous faire peur ! » (Les Preuves, 230.)
  28. 19 août.
  29. 20 août.
  30. Instr. Fabre, 212, Siben.
  31. C’est ce qui fut confirmé par l’arrêt de la Cour de cassation en règlement de juges, 3 mars 1898.
  32. Instr. Fabre, 217, 218.
  33. Ordonnance de renvoi du 25 août 1898.
  34. Procès Zola, I, 287, 318 ; Instr. Fabre, 75 ; Cass., I, 166 ; Rennes, I, 440, Picquart. — Voir t. II, 358.
  35. Picquart et Leblois s’étant pourvus en règlement de juges, comme on le verra, devant la Cour de cassation, celle-ci les renvoya devant la chambre des mises en accusation sur le chef de communication du dossier Dreyfus-Esterhazy ; cette chambre rendit alors (13 juin 1899) une ordonnance de non lieu, mais qui était fondée uniquement en fait, c’est-à-dire sur l’arrêt du 3 Juin 1899 qui ordonnait la revision du procès Dreyfus :« Considérant que de cette décision résulte quant à présent, à l’égard de Picquart et de Leblois, une présomption de faits paraissant en contradiction manifeste avec les charges qui ressortent des informations du juge d’instruction… » En d’autre termes, Picquart n’a pas cherché à substituer à l’innocent un coupable donc pas de pensée délictueuse, pas de délit.
  36. Dessous de l’Affaire Dreyfus, 44. — L’ordre d’enquête datait du 11 juillet.
  37. Cass., I, 782, femme Gérard. Elle attribue la plupart de ces propos à la fille Pays qui les restitue à Esterhazy (796).
  38. Intransigeant du 20 septembre 1898.
  39. Dessous de l’Affaire, 40.
  40. Cass., I, 593, Esterhazy.
  41. Ibid., I. 788, femme Gérard.
  42. Libre Parole des 22 et 23 août 1898.
  43. Strong raconte ces propos d’Esterhazy : « Je vais tout dire ; ce sera la ruine de Du Paty et de tous les gens qui m’ont abandonné… Si on m’arrache mes épaulettes, je ferai tout pour entraîner la ruine de ceux qui me lâchent. » (Cass., I, 742)
  44. Siècle du 24 août 1898.
  45. Dép. de Decrion à la Cour de cassation (17 janvier 1899).
  46. 22 août 1898 (Cass., II, 170 à 174). — Esterhazy accuse Roget d’avoir fait fabriquer ces rapports de police. (Dép. à Londres, éd. belge, 162)
  47. « Ces cinq témoins ont été entendus à la demande de l’officier objet de l’enquête. » (Procès-verbal de la séance du conseil ; (Cass., II, 180.) De même Esterhazy (Dessous, 45.)
  48. Commandant le 133e régiment d’infanterie, à Belley. (Cass., II, 175).
  49. Cass., II, 181, 184, Esterhazy.
  50. Ibid., 176, Pellieux.
  51. Cass., II, 176, Bergougnan ; I, 591, Esterhazy : « Quant à la question d’inconduite, ainsi que j’ai eu l’honneur de le faire observer au général Florentin, il y avait de longs mois que tout cela était connu ; les chefs n’avaient rien trouvé à redire… »
  52. Ibid., II, 176, Pellieux.
  53. Ibid., Pellieux convint qu’Esterhazy, un jour, lui avait tenu « de fâcheux propos », étant « très surexcité », mais sans l’intention « de faire chanter les chefs ».
  54. Instr. Tavernier, 23 juillet 1899, Du Paty.
  55. Cass., II, 177 à 180.
  56. Cass., II, 180 à 182, Esterhazy.
  57. Cass., II. 183, Esterhazy.
  58. Ibid., I, 591, Esterhazy ; II, 180, Boisandré.
  59. Procès-verbal : « Comme la séance commencée à 9 heures du matin a duré jusqu’à 7 heures du soir. » — Dessous de l’Affaire, 48 : « Les juges furent si surpris, si bouleversés, qu’ils renvoyèrent la suite de l’audience à une autre séance. »
  60. Dépêche de Mme Tézenas à Tézenas, château de la Thierraye, La Bazoche-Gouet (Eure et-Loir), de Paris, 26 août. — Cette dépêche et celles qui seront citées plus loin, ont été publiées à la suite de la déposition d’Esterhazy à Londres. (Éd. belge, 142, et suiv.).
  61. Cass., I, 591, Esterhazy. — Le fac-similé de la lettre de Kerdrain est reproduit dans les Dessous de l’Affaire, 195, 196.
  62. 26 août, 3 h. 22 soir.
  63. 26 août, 5 h. 15 soir. Cass., I, 638, Roget : « Esterhazy envoie à son avocat cette fausse dépêche en clair qui paraît avoir été faite tout exprès pour compromettre l’État-Major ; comme si Esterhazy ne savait pas que les originaux des télégrammes de cette nature sont toujours portés à la Sûreté générale qui les communique au gouvernement ». — La dépêche fut versée par le ministre de la justice au dossier de la Cour de cassation, ainsi que cela fut établi devant le conseil de l’Ordre, saisi d’une plainte d’Esterhazy contre Mornard, qui avait cité la dépêche dans son plaidoyer. (Revision, 245 ; Conseil de l’Ordre, 16 novembre 1898.)
  64. 26 août, 6 h. 55 soir.
  65. 26 août, 3 h. 22 soir.
  66. 26 août 5 h. 38 soir, Signé : « Édouard. » — Strong, la veille, lui avait écrit de revenir d’urgence de la campagne, « de s’occuper un petit peu plus de leur ami ». (Cass., I, 742.)
  67. Cass., I, 591 ; Esterhazy ; Dessous, 50.
  68. Cass., I, 743, 744, Strong.
  69. 27 août 1898.
  70. Cass., II, 184. Esterhazy.
  71. Ibid., 185, Du Paty. Il dit que, sauf les lettres à Félix Faure, il avait tout raconté à Cavaignac.
  72. Ibid., 186, Pellieux.
  73. Cass., II, 187.
  74. Rennes, III, 403. Zurlinden.
  75. Esterhazy écrira, le 13 mars 1900 : « Quel plus monstrueux abus de pouvoir que celui commis par ceux qui m’ont fait exécuter alors que, quelques semaines auparavant, ainsi que l’attestent ces deux lettres du colonel Henry (Voir t. III, 618), j’étais chargé par eux et pour eux des besognes les plus confidentielles ! Ce sont de lâches et immondes canailles. »
  76. Rennes, I, 199, Cavaignac ; Cass., I, 340, et Rennes, I, 502, Cuignet.
  77. Dates et renseignements donnés par Mme Henry (Jour du 1er septembre 1898).
  78. « Huit jours avant » les aveux d’Henry, dit Gonse. (Rennes, II, 556.) Donc le 22 ou le 23 août.
  79. Rennes, I, 556, Gonse.
  80. Voir t. II, 419, 420 ; et t. III, 447.
  81. Rennes, I, 319, Roget : « Les pièces étaient certainement truquées ; il n’en résultait pas nécessairement qu’elles fussent fausses. »
  82. Ibid., 629, Boisdeffre : « Je crois que c’était un dimanche, le 29 août. » Le dimanche tombait le 28 août. L’erreur (peut-être du sténographe) est manifeste. En effet, Boisdeffre ajoute qu’il partit le lendemain et que Cavaignac interrogea Henry le surlendemain, c’est-à-dire le 30.
  83. Rennes, I, 529, Boisdeffre : « Le ministre me dit tout de suite ce qui avait fait sa certitude. Il n’était pas possible de le voir à l’œil nu. »
  84. Ibid., 319, Roget : « Il y avait là une explication possible… Le ministre voulait savoir la vérité…, etc. »
  85. Ibid., I, 529, Boisdeffre.
  86. Lettre du général Munier, d’Hanoï, le 6 octobre 1887. au colonel commandant la troisième brigade, à Hué : « Dans la série de surprises et d’embuscades, qu’il a organisées du 28 août au 1er septembre, aux environs du poste de Yen-Gia, et qui ont eu pour résultat la capture de deux chefs rebelles importants, M. le capitaine Henry, du 2e zouaves, a fait preuve d’une très grande énergie et d’une parfaite entente de la guerre de partisans. »
  87. Cass., I, 121, Roget : « J’ai vu sur leur visage une expression de stupéfaction si douloureuse… »
  88. Rennes, I, 199, Cavaignac : « Cet interrogatoire a été en quelque sorte sténographié par le général Roget, à qui j’avais confié cette mission et qui a noté au fur et à mesure les réponses d’Henry sur des notes qui ont été conservées et figurent encore au dossier. » — L’interrogatoire commença à 2 h. 30 (Revision, 98, procès-verbal). — Les notes de Roget ont été communiquées à la Cour de cassation (III, 82, Ballot-Beaupré, liasse no 1). La rapporteur constate que le procès-verbal lui-même n’a été rédigé que le 3 septembre, « Et Henry n’était plus là pour y apposer sa signature ! » La sincérité du procès-verbal a été mise en doute par Esterhazy (Cass., I, 593) et par de nombreux écrivains revisionnistes. Le document, dans son ensemble, ne me paraît pas sérieusement contestable.
  89. Rennes, I, 319, Roget.
  90. Je suis pas à pas le procès-verbal. (Revision, 98 à 104).
  91. Jour du 1er septembre 1898.
  92. Cass., 121, Roget.
  93. Selon Cuignet (Cass., I, 348), Cavaignac lui aurait dit : « Quand j’ai posé à Henry la question : « Avez-vous agi seul ? » j’ai saisi une hésitation dans son regard. Il m’a répondu d’abord en hésitant et en assurant peu à peu sa voix : « Oui, j’étais seul. » — Roget, au contraire, raconte « qu’Henry, après son aveu, pendant qu’il le gardait à vue, lui affirma à plusieurs reprises qu’il n’avait pas eu de complices. » (Revision, 104). « Henry m’a toujours affirmé avec la plus grande énergie qu’il n’avait pas eu de complices… Cependant, je ne suis pas très sûr qu’il n’y ait pas eu quelque inspiration ; c’est une simple impression que je donne à la Cour. » (Cass., I, 121). — Cavaignac est muet sur l’incident raconté par Cuignet. — Pour Cuignet (I, 342), le complice, c’est Du Paty.
  94. On a généralement admis, et j’ai admis également (t. II, 414), d’après le témoignage de Cuignet, qu’Henry a « inter-échangé » les signatures des deux pièces authentiques (de 1894 et de 1896) avec lesquelles il a fabriqué ses faux. D’un examen ultérieur, il semblerait résulter que l’une des deux signatures (Alexandrine) aurait été calquée sur l’autre. Henry dit « qu’il ne pense pas avoir fait la signature » ; il l’aurait donc faite.
  95. Procès verbal, 103, observation de Roget.
  96. Procès-verbal : « L’heure à laquelle a fini l’interrogatoire n’a pas été consignée ; il pouvait être de 3 h. 15 à 3 h. 30. »
  97. Ibid., 104.
  98. Rennes, I. 529, Boisdeffre.
  99. Lettre du 31 août 1898 à Boisdeffre.
  100. Rennes. I. 530, Boisdeffre.
  101. Le crime de faux en écriture privée entraîne la réclusion, le crime de faux en écriture publique les travaux forcés à perpétuité. (Code militaire, art. 207 ; Code pénal, 145 et suiv.)
  102. Articles 83, 84, 85, 99 — « L’ordre d’informer est donné par le ministre de la Guerre si l’inculpé est colonel, officier général, maréchal de France » (art. 99, § 2). Henry n’était que lieutenant-colonel.
  103. Chambre des députés, 6 avril 1903, Cavaignac : « Je suis sorti volontairement des voies régulières…, etc. »
  104. Ce que Mercier avait fait pour Dreyfus. — Voir t. 1er, 103.
  105. Rennes, I, 319, Roget.
  106. Ibid. : « On envoya chercher les ordres du général Zurlinden. » (Compte rendu sténographique.) « On envoya chercher le général Zurlinden. » (Compte-rendu revisé.)
  107. Revision, 104, Procès-verbal ; Cass., I, 12 ; Enquête Mazeau (Commission d’enquête sur les accusations de Quesnay de Beaurepaire contre la chambre criminelle de la Cour de cassation), 23e pièce ; Rennes, I, 319, Roget. — Le procès-verbal de Roget est du 3 septembre 1898, ses dépositions devant la Cour de cassation, la commission d’enquête et à Rennes, des 24 novembre 1898, 22 janvier et 17 août 1899.
  108. Cass., I, 121, Roget : « Car certainement, dans la situation où il se trouvait depuis plusieurs mois, l’aveu était pour lui une délivrance. »
  109. Henry le 12 janvier 1893, Roget le 19, Cuignet le 9 février.
  110. Cass., I, 121, Roget.
  111. Procès-verbal, 104.
  112. Roget (Cass., I, 121) nie que Gonse et Boisdeffre aient jamais pu avoir l’idée que la pièce était fausse.
  113. Procès-verbal, 104 ;
  114. Ibid. — Devant la commission d’enquête, Roget relate ainsi la première question : « Vous savez qu’on a offert une somme d’argent considérable (600.000 francs) au commandant Esterhazy pour qu’il se déclarât l’auteur du bordereau ? »
  115. Enquête Mazeau, 26, Roget.
  116. Voir t. III, 564.
  117. Procès-verbal, 104. — Selon Esterhazy, Roget a tronqué cette réponse. Henry savait qu’il fréquentait chez Sandherr et quels « services considérables » il lui rendait, « et à son pays ». (Cass., I 593 ; Dép. à Londres, etc.)
  118. Voir t. II, 250.
  119. Dans le procès-verbal du 3 septembre 1898, ces trois phrases suivent sans autre indication les phrases précédentes sur les rapports de Sandherr et d’Esterhazy. Dans sa déposition à la commission d’enquête, Roget rapporte d’abord les questions qu’il posa au sujet de Sandherr et, sans reproduire la réponse d’Henry sur ce point, continue ainsi : « Après m’avoir renseigné sur le point qui me préoccupait, Henry ajouta… » Il reproduit ensuite les deux phrases : « C’est à moi… il est venu… », mais supprime la troisième. En note, à ces mots : par la voie ordinaire : « Le colonel Henry me dit textuellement : « Par qui vous savez. » Devant la Cour de cassation, Roget explique : « Mon rapport était fait pour le ministre ; il n’avait pas besoin d’être plus explicite (au sujet de l’agent qui a apporté le bordereau) et on en a tiré certainement des interprétations qu’il ne comportait pas et qui ont pu faire porter la suspicion sur l’origine du bordereau. » (I, 124). Devant la commission d’enquête, Cavaignac (33) fait une observation analogue qu’il motive par ce passage du rapport introductif de Manau : « Quel agent ? Pourquoi ne l’a-t-il pas nommé ? Singulière et troublante discrétion permettant toutes les suppositions, autorisant toutes les inquiétudes sur ce point comme sur tant d’autres. » (Revision, 160.)
  120. C’est ce qu’il dit encore à Rennes (I, 267.) Il convint cependant le lendemain, sur une question de Demange que « le bordereau était déchiré très peu. C’était surtout un document froissé et roulé en boule, mais il y a cependant quelques déchirures, au moins deux. » (336). — Picquart a cru pendant longtemps que le bordereau venait du panier à papiers ; quand il sut que Schwarzkoppen ne l’avait jamais eu entre les mains, il admit qu’Henry avait reconnu l’écriture d’Esterhazy sur le Bordereau (Instr. Tavernier, 30 décembre 1898) et que le bordereau avait été apporté par Brucker sans qu’il fût possible à Henry de le supprimer (Rennes, I, 475). Plus tard (Gazette de Lausanne du 2 juin 1903), il fut repris de doutes sur la scène entre Henry et Brucker.
  121. « Vers cinq heures ». Rapport du 30 août 1898, au dossier de la Cour de cassation (III, 83).
  122. Dossier, liasse 1, cote 16, note de Gonse. — À Rennes, Gonse, équivoquant, dit « qu’il n’a pas vu le colonel Henry après son arrestation », c’est-à-dire après que Féry l’eut mené au Mont-Valérien. « Par conséquent, je n’ai pas pu l’interroger sur ce point » (le mobile de son crime).
  123. 13, avenue Duquesne. — Le loyer était de 1.100 francs. — Henry prenait fréquemment ses repas, parfois avec sa femme et son enfant, au restaurant Gangloff, au coin de l’avenue de la Bourdonnais et de l’avenue Bosquet.
  124. Rapport de Desvernine du 4 juin 1896. (Voir t. II, 253).
  125. Rennes, I, 263, Mme Henry : « Il avait laissé échapper quelques expressions qui indiquaient bien quel était son état d’esprit. Il a fait un faux en présence des agissements du colonel Picquart, pour sauver l’armée qui se trouvait dans une impasse terrible par la mauvaise foi de ses ennemis. Parfaitement ! »
  126. Ibid.
  127. Cass., I, 46, Zurlinden : « je pense qu’il voulait parler de Picquart et peut-être de Leblois. » 123, Roget : « J’imagine qu’il parlait de Picquart et de Du Paty. » II, 37, Du Paty : « J’imagine qu’il s’agissait du général Mercier. » — La plupart des écrivains revisionnistes ont supposé qu’il l’entendait de Gonse et de Boisdeffre.
  128. À 6 heures et demie, (Rapport du colonel Féry).
  129. « Le mardi 30 août, vers 5 heures du soir. » (Souvenirs de Brisson, dans le Siècle du 10 avril 1903.)
  130. Petite République du 28 août 1898. L’article est intitulé « Faux évident ».
  131. Siècle du 29.
  132. Siècle du 17 février 1898.
  133. Ranc, Jaurès, Monod. — Voir t. III, 443.
  134. Souvenirs de Brisson. (Siècle du 14 avril 1903).
  135. C’est ce que dit Angélique Arnaud d’elle-même. (Sainte-Beuve, Port-Royal, I, 97).
  136. Chambre des députés, 19 décembre 1898, Brisson.
  137. Souvenirs de Brisson.
  138. Récit d’un témoin.
  139. « En droit constitutionnel, je suis responsable de la mort d’Henry, envoyé au Mont-Valérien où il fut mal gardé. » (Souvenirs de Brisson, Siècle du 13 juillet 1903.)
  140. Voici le texte de cette note qui fut portée à 11 heures à l’Agence Havas : « Aujourd’hui, dans le cabinet du ministre de la Guerre, le lieutenant-colonel Henry a été reconnu et s’est reconnu lui-même l’auteur de la lettre en date d’octobre 1896 où Dreyfus est nommé. Le ministre de la Guerre a ordonné immédiatement l’arrestation du lieutenant-colonel Henry qui a été conduit à la forteresse du Mont-Valérien. » — Selon un récit de Drumont, Cavaignac eût voulu que la note précisât qu’il restait convaincu de la culpabilité de Dreyfus, mais Brisson s’y opposa. (Libre Parole du 1er septembre 1898, etc.)
  141. Les Preuves, 219, 223, 229.
  142. Le Petit Journal, la Libre Parole, l’Intransigeant le Soleil, l’Écho de Paris publient la nouvelle sans aucun commentaire ; l’Éclair, qui tant de fois reçut les communications d’Henry, l’exécute ; l’Autorité dit que « l’on peut réclamer la revision selon les formes légales sans être pour cela un mauvais citoyen » ; le Gaulois se recueille.
  143. Événement du 31 août 1898. — Cass., I, 290, femme, Gérard : « Il est arrivé trois messieurs à 2 heures du matin… Mme Pays nous a dit que c’étaient trois officiers de l’État-Major. » Marguerite rectifie : « C’étaient deux journalistes dont un rédacteur à l’Événement, Chabrier. » (798). L’autre était un rédacteur du Petit Bleu, Louis Gaillard. Elle dit qu’ils revinrent « le jour du suicide avec un troisième (Dollfus) ».
  144. « On commente différemment le rôle de M. Esterhazy dans cette affaire. » (Patrie du 31 août 1898.)
  145. Cass., I, 290. Mme Gérard. — « Hein ! lui, l’homme intègre, le soldat du devoir ! » Petit Bleu du 1er septembre 1898.)
  146. Médecin en chef des Hôpitaux de Paris, membre de l’Académie de Médecine, sénateur de la Dordogne.
  147. Rennes, I, 355, Bertulus. — Peyrot fit le récit à Sarrien et au docteur Paul Reclus.
  148. Commandant la place de Paris.
  149. Texte produit par le général de Pellieux, le 4 juin 1899, à l’enquête du général Duchêne, et par le général André à la Chambre des députés, séance du 7 avril 1903.
  150. Brisson, dans le Siècle du 14 avril 1903.
  151. Messager officiel du 16-28 août, circulaire du 12-24 août 1898.
  152. Brisson dans le Siècle du 14 avril et du 23 novembre 1903.
  153. Au conseil de l’après-midi (31 août 1898).
  154. Temps du 2 septembre 1898.
  155. « Du papier à faire des rapports », selon Esterhazy, qui, nécessairement, ne donne pas l’origine du propos qu’il prête à Henry, (Dép. à Londres, éd. du Siècle, 57.)
  156. Renseignements verbaux du commandant Walter.
  157. Note du général Roget, en date du 5 septembre 1898, au dossier de la Cour de cassation : « Je, soussigné, déclare qu’après lecture du procès-verbal, établi comme officier de police judiciaire par le commandant Walter à la date du 31 août 1898, procès-verbal qui contient le passage ci-après : « Il déjeuna légèrement à 11 heures et fit mettre aussitôt à la poste une lettre dont on n’a pas regardé l’adresse ; je me suis enquis de la personne à laquelle avait pu être adressée la lettre ci-dessus visée. Ayant appris que M. le général Gonse était le destinataire de cette lettre, j’ai prié cet officier de vouloir bien m’en donner connaissance… La copie ci-dessus ayant été prise afin de pouvoir remettre à M. le général Gonse l’original qui ne nous a paru d’aucun intérêt, nous nous sommes dessaisi de la lettre pour être remise à son destinataire. » — La note de Roget est visée par Mornard (Cass., III, 513).
  158. Le nom de Cuignet ne fut prononcé dans aucun des journaux du matin. Aucune indication sur la façon dont le faux avait été découvert.
  159. Rapport du colonel Féry.
  160. Cass., III, 84, Dossier Henry.
  161. Rennes, I, 263, Mme Henry.
  162. Cass., I, 47, Zurlinden : « Je crois que le personnage dans l’intérêt de qui Henry disait avoir agi est le commandant Esterhazy. C’est, en effet, dans la lutte pour sauver Esterhazy des manœuvres de Picquart…, etc. »
  163. A. Brierre de Boismont, Du Suicide et de la Folie-Suicide, 60. — De même Guillon, Mémoires de Médecine militaire, t. XLIV ; Allgemeine Zeitung für Psychiatrie. t. II, ch. III : Observations des docteurs Dietrich, Larrey, Rhut, Payen, du comte Charles de Gortz, etc.
  164. Bulletin du bureau central météorologique : moyenne, 19°6, supérieure de 2°,6 à la normale ; temps nuageux ; baromètre, 764,5.
  165. The Horrors (Boismont, 60).
  166. Cette bouteille, à demi vide, n’est pas mentionnée dans le procès-verbal officiel, mais fut remarquée par les différents témoins, Walter, le docteur Léon Lévy.
  167. La pension fut liquidée à 1.667 francs. (Journal officiel, 26 novembre 1898.)
  168. « Il a dû se suicider vers 3 heures de l’après-midi. » (Procès-verbal du 31 août 1898. Signé : Walter, Varlot, Fête.) — On raconta plus tard que l’officier de service était entré dans sa chambre vers 3 heures, qu’Henry, « assez nerveux », lui aurait dit : « J’ai fort à faire, j’ai beaucoup à écrire ; priez donc qu’on me laisse tranquille. » (Matin du 2 septembre 1898, etc.) Aucune des pièces officielles ne signale cet incident, mais il est exact, comme je l’ai raconté, que Fête entra, un peu (dus tôt, vers une heure, dans la cellule d’Henry, et le trouva, assis devant sa table, à écrire.
  169. Du Suicide, 541, 542. — Beaucoup de médecins ont observé ou connu des cas analogues. — Voir dans Quinze ans de haute police, par Desmarest, le récit de la mort du capitaine anglais Wright au Temple, le 26 octobre 1805 : « On le trouva mort étendu dans son lit, ayant la gorge coupée, son rasoir ensanglanté dans la main, et, sur la table, le Moniteur de la veille, contenant la capitulation d’Ulm » (140). Sidney, Smith et les royalistes accusèrent Napoléon d’avoir fait assassiner Wright par le duc de Rovigo.
  170. Note du docteur Léon Levy.
  171. Du 16e bataillon d’artillerie à pied.
  172. À six heures et demie. — Lettre du commandant Walter au général commandant la place de Paris, du Mont-Valérien, le 31 août, 7 h. 30 du soir. — Voir Appendice II.
  173. Procès-verbal.
  174. Le docteur Pauzat, du bataillon d’artillerie, et le docteur Peyroux, du 119e de ligne, qui était, ce jour là, en manœuvres aux environs de Maisons-sur-Seine.
  175. Le docteur de Lagorsse.
  176. Récit du docteur Léon Lévy. — Dès le lendemain de la mort d’Henry, on raconta que « dans l’après-midi, un officier de l’État-Major était venu trouver Henry dans sa cellule. Une longue conversation eût lieu entre les deux hommes ; on ne sait au juste sur quels points elle roula particulièrement. Mais, en sortant, l’officier d’État-Major dit à l’officier de service : « Ne dérangez pas pour l’instant le lieutenant-colonel Henry, il a à travailler. « À 5 heures… etc. (Matin du 1er septembre Débats, etc.) Le ministère de la Guerre démentit aussitôt cette information (Agence nationale du 1er), affirma qu’Henry n’avait pas reçu d’autre visiteur que l’officier de service. C’est cette visite qui servit de prétexte à la légende ; un rédacteur du Petit Bleu, Louis Gaillard (le même qui avait essayé de faire parler Marguerite Pays), fit causer une fille d’auberge (au pied du Mont-Valérien). Elle tenait d’un soldat qu’un officier en civil avait été introduit mystérieusement chez Henry. Ce fut la version d’Esterhazy. (Dép. à Londres, 52.)
  177. Dépêche du Mont-Valérien, le 31 août, 7 h. 20 du soir. La lettre partit à 7 h. 30 ». — Voir Appendice II.
  178. Souvenirs de Brisson : « Entre 7 heures et demie et 9 heures, un bicycliste a trois ou quatre fois le temps de venir du Mont-Valérien. »
  179. Note de Brisson du soir même, 31 août 1898, et Zurlinden, Ma Réponse aux Souvenirs de M. Brisson, dans le Gaulois du 23 mai 1903.
  180. Zurlinden, Ma Réponse.
  181. « Paris, 31 août : Mon cher général, il me paraît nécessaire que vous présidiez, vous-même à la répression des actes qui ont entraîné l’erreur commise par vous dans votre loyauté. C’est seulement ensuite, si vous persistez, dans votre intention, que je pourrai résoudre la question que vous me soumettez. Agréez, je vous prie, l’assurance de mes sentiments affectueux. Cavaignac. »
  182. Note de Brisson du 31 août 1898.
  183. Note de Brisson.
  184. Delcassé s’est chargé de faire parvenir cette rédaction à l’Agence Havas. » (Même note.) — Le général Renouard était alors commandant de l’École supérieure de guerre et membre du comité technique de l’État-Major.
  185. Zurlinden, Ma Réponse.
  186. Procès-verbal. — Zurlinden téléphona avec Brisson à 9 heures.
  187. « Les feuilles de papier grand format sur lesquelles il avait écrit ne furent pas retrouvées ; elles avaient disparu ; aucune trace de papiers brûlés ou détruits. » (Esterhazy, Dép. à Londres, 52.) Ces feuilles, selon Esterhazy auraient été enlevées par l’officier d’ordonnance de Cavaignac qui avait été introduit auprès d’Henry, vers midi.
  188. Procès-verbal.
  189. Rapport du commissaire de police à Puteaux.
  190. Signé : Genteur, maire ; Antoine Dieuaide, brigadier des sergents de ville, et Hilaire Boutereau, sergent de ville.
  191. Art. 44 du Code d’instruction criminelle.
  192. Note de Brisson (3 septembre 1898).
  193. Je les ai publiés pour première fois, le rapport du commissaire de police dans le Radical du 13 mai, la lettre de Walter et le procès-verbal signé des trois officiers dans le Temps du 4 juin 1903. — Brisson ne les avait pas demandés à Cavaignac.
  194. Boisdeffre et Gonse apportèrent eux-mêmes leurs condoléances à Mme Henry, quand elle rentra à son domicile.
  195. Mgr Latty. — La dépêche est ainsi conçue : « Quoi qu’il arrive, maintenez refus absolu. »
  196. Le capitaine Blankaert.
  197. Temps du 5 septembre 1898.