Histoire de l’Affaire Dreyfus/T4/5

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Eugène Fasquelle, 1904
(Vol. 4 : Cavaignac et Félix Faure, pp. 413–447).

CHAPITRE V

LA SOUSCRIPTION HENRY

I. Élargissement continu de l’Affaire ; la Révolution et l’Église, 413. — Affiche de Déroulède et article de Cassagnac, 416. — La bourgeoisie et les Congrégations, 417. — Le Sénat donne le signal de la reprise de la lutte contre le cléricalisme, 418. — Débats à la Chambre sur l’enseignement, 419. — Le Père du Lac, 420. — Inquiétudes de quelques catholiques clairvoyants : Viollet et l’abbé Pichot, 421. — Léon XIII et les Assomptionnistes, 422. — Nouvelles inventions contre Dreyfus ; la raison d’État ; le général du Barail, 423. — Campagne d’injures contre les membres de la Cour de cassation ; discours de Lœw aux obsèques de La Rouverade, 424. — Urbain Gohier et Guérin, 425. — Scènes violentes dans les réunions publiques, 426. — Intrigues de Déroulède et du duc d’Orléans à la recherche d’un général, 427. — Manifestation au Cherche-Midi, 428. — II. Mes articles sur Henry et Esterhazy, 429. — Confirmations importantes de mon hypothèse sur leur complicité, 432. — Cordier ; renseignement inexact qui me vient à son sujet, 433. — Mémoires d’Esterhazy, 434. — Déposition de Bertulus à la Chambre criminelle, 436. — Lettres que je reçois de Mme Henry, 437. — Mes réponses, 438. — III. Drumont ouvre une souscription pour subvenir aux frais du procès que m’intente Mme Henry, 439. — Souscripteurs militaires et d’Église, 440. — La vieille noblesse, 441. — Excitations à la haine et à l’assassinat, 443. — Psychologie historique du Juif, 444. — La question de race ; Jules Soury, 445. — Avertissement salutaire qui résulte des dix-huit listes rouges, 447.




I

Il y avait longtemps que l’on ne se battait plus seulement pour faire attribuer un chiffon de papier jauni à un juif ou au descendant d’un bâtard hongrois. Dans ce carrefour du dix-neuvième siècle finissant, on eût dit le passé aux prises avec l’avenir.

L’action de la Ligue des Droits fut considérable. En quelques mois, ce groupement, encore peu nombreux, mais résolu, entraîna à sa suite plus de la moitié des républicains, non pas tant par ses fréquents manifestes que par son titre, par sa formule, la vieille formule oubliée, délaissée, rajeunie, qui devint le mot d’ordre, réunit les fils divers de la Révolution, les réconcilia.

Mais de là, aussi, parce que ce mouvement était une vague nouvelle de la Révolution, et l’une de ses vagues les plus puissantes, une vague de fond, son caractère nettement anticlérical. Ce n’était point parce que l’enjeu apparent du combat était un juif, ni parce que la plupart des juifs, puis des protestants, s’engagèrent dans la lutte, par esprit de justice ou par solidarité. — Presque tous ces juifs, au contraire, et beaucoup de protestants se montrèrent fort réservés sur la question religieuse, pour ne pas aviver davantage les haines, et pour cette autre raison, plus noble, qu’ayant souffert dans le passé, plus que quiconque, de l’intolérance, ils en réprouvaient jusqu’à l’apparence. — Mais parce que la Révolution, quand elle se défend, quand elle combat pour elle-même, c’est toujours contre sa plus ancienne, son irréconciliable ennemie, l’Église.

Michelet raconte « qu’un de nos meilleurs évêques » lui dit un jour qu’il n’était plus question, parmi les catholiques, de la lutte de la Grâce et de la Justice. Force lui fut de rappeler que c’était « le fond même du dogme[1] ». On le vit bien, cela se vérifia une fois encore dans cette nouvelle rencontre où les forces du passé se coalisèrent précisément contre la justice.

Non point que tous les catholiques fussent insensibles à l’idée de justice. Plusieurs, on le sait, s’étaient déclarés résolument, dès l’hiver précédent ; d’autres les avaient rejoints. Mais ceux-là même qui vinrent au secours des principes essentiels de la Révolution n’en eurent point le sens. À la première réunion du Comité directeur de la Ligue, Viollet proposa d’émettre ce vœu : « Que les congréganistes fussent admis à enseigner dans les écoles », parce que, disait-il, « l’article 6 de la Déclaration prononce que tous les citoyens sont également admissibles à tous les emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leur vertu et de leur talent ». Il ajouta : « Ce serait un coup droit à nos adversaires, au principal, à Drumont qui, pour se faire élire à Alger, s’est engagé précisément à ne pas demander l’abrogation de la loi sur l’éducation laïque[2]. » À l’unanimité, cela fut repoussé. Acheter à ce prix la délivrance de l’innocent, vendre l’avenir pour un homme, c’eût été trop cher. Je vois encore la surprise attristée de Viollet, qui donna sa démission.

Même l’erreur initiale des républicains, politique et morale, leur fut dictée par la peur de l’Église militante : lui enlever, au moins partager avec elle, le bénéfice d’un patriotisme délirant et verbal. Le lendemain du jour où Mathieu Dreyfus dénonça Esterhazy, alors que j’étais seul des députés à marcher avec Scheurer, Bourgeois prononça un discours, dont cette Chambre de Méline vota l’affichage, sur les menées cléricales dans l’armée et l’audace croissante des congrégations[3]. Aux élections, et encore sous Brisson, les radicaux crurent habile de déblatérer avec les cléricaux contre la Revision. Enfin, ils s’étaient rendu compte de la misérable, de la honteuse duperie. Ce n’était point désarmer l’ennemi, mais la République. Ranc posa la question : « D’un côté l’esprit de l’Église, l’esprit des jésuites ; de l’autre, l’esprit de la Révolution. Il fallait que l’abcès crevât, dût-on en souffrir jusqu’à en crier[4]. »

La vraie, l’écrasante défaite pour les cléricaux, puisqu’ils avaient commis cette faute de faire de l’iniquité systématique leur affaire, c’eût été la réhabilitation solennelle de Dreyfus, le procès de ceux qui avaient engagé, faussé le procès. Ils auraient été frappés dans leurs œuvres vives, la bouche close pour longtemps par la sentence réparatrice. Quelques politiques d’Église le virent si bien que, prenant leurs précautions, d’avance ils rendirent à la République les généraux qui avaient fait condamner l’innocent et maintenir sa condamnation. Pendant que Déroulède faisait placarder par toute la France une affiche avec l’image des cinq ministres de la Guerre, Cassagnac écrivit :

Si Dreyfus revient de l’île du Diable, il faut que Mercier, Billot, Zurlinden, Cavaignac et Chanoine aillent prendre sa place toute chaude. Ces gens-là ne sont pas plus l’armée qu’Esterhazy, Du Paty et Henry, et autres favorisés des divers ministres républicains de la Guerre… S’ils se sont trompés, ils sont sans excuse ; ils ont trompé la France et commis un forfait. Il n’y aurait pas assez de châtiments pour eux[5].

Un des caractères de l’esprit français, c’est l’ambition, le besoin de tout entreprendre à la fois. Une minorité seulement des républicains, les revisionnistes de la veille, eût voulu concentrer la lutte autour de Dreyfus, ne pas engager la bataille de demain avant d’avoir gagné celle-ci. Ce serait affaiblir la question de justice que d’y mêler d’autres questions, fussent-elles urgentes ; si Dreyfus n’était pas d’abord innocenté, on se heurterait à un ennemi qui, n’ayant rien perdu de sa superbe, continuerait à dénoncer les républicains comme les amis et les protecteurs d’un traître.

Cependant, même pour ces esprits, les plus passionnés de l’Affaire ou les plus judicieux, la grande guerre contre la théocratie devenait certaine. Que la bourgeoisie d’autrefois, à l’esprit ouvert et généreux, qui avait fait Quatre-vingt-neuf et Dix huit-cent-trente, et avait été associée à Quarante-huit[6], eût été remplacée par cette bourgeoisie nouvelle dont une moitié, au moins, dans la vie civile ou dans les régiments, montrait tant de dureté, de sotte ou de méchante obstination, et affichait tant de préjugés qu’on avait cru morts, cela prouvait que la discipline jésuitique avait déformé ces cerveaux, pour qui la revendication du droit était devenue un scandale, et qu’il était grand temps de briser la redoutable machine d’éducation, restaurée au nom d’une liberté ennemie de la liberté. Et, pareillement, l’influence dominante des congrégations, tant d’argent dépensé sans compter dans la presse, les propagandes électorales, les menées politiques ; l’audace croissante de tous ces Ordres, rentrés sournoisement après l’expulsion de 1880, discrets d’abord et se cachant, puis provocateurs et sans masque, plus nombreux et plus riches sous la République qu’ils ne l’avaient jamais été depuis un siècle, autorisés ou non, anciens ou nouveaux, dont beaucoup avaient pris l’esprit des jésuites et qui avaient reconstitué une immense mainmorte[7] et une fortune mobilière plus immense encore, — une telle invasion de religieux imposait à la société laïque de relever les digues que la faiblesse des gouvernants et l’excès de confiance de la démocratie en elle-même avaient laissé emporter.

D’ordinaire, des combattants d’avant-garde sans mot d’ordre, des tirailleurs, des partisans isolés, commencent le feu, portent la guerre chez l’ennemi. Cette fois, ce furent quelques uns des plus sages, mais qui avaient accoutumé de remonter aux causes. Le plus important des groupes du Sénat mit à l’étude les moyens d’empêcher l’envahissement des grandes Écoles militaires et civiles par les élèves des congréganistes[8]. Les doctrinaires s’inquiétèrent, invoquèrent la beauté, un peu oratoire, de la liberté absolue[9]. Mais l’impulsion était donnée. Le Conseil général de la Seine ayant émis le vœu que la loi Falloux fût abrogée[10], deux députés, Levraud et Rabier, apportèrent des propositions dont la seule lecture provoqua un tumulte. L’une qui rétablissait le monopole, comme sous la monarchie de Juillet, l’autre qui interdisait l’enseignement aux religieux et fermait leurs établissements. Rabier définit l’enseignement congréganiste : « Une arme de combat aux mains de fanatiques ou de sceptiques intéressés, pour préparer des ennemis à la République et à l’État laïque. » Cassagnac et de Mun protestèrent, et, avec eux, un homme du centre, le lyonnais Aynard, qui jouissait d’une autorité considérable, et lui, du moins, avait le droit de se réclamer, sans rire, de la liberté. Même Millerand hésita et, sans s’opposer à l’urgence, dit qu’il faisait des réserves sur le fond et, quant à lui, préférait la séparation des Églises et de l’État. Dupuy annonça une loi sur les associations. L’urgence fut repoussée[11], mais Cassagnac n’osa pas insister sur la question préalable ; la Chambre décida de nommer une grande commission d’enseignement. Ces deux motions, bien que hâtivement rédigées, que sont-elles sinon le vieux projet de Condorcet et de Lanthenas, qui renvoyait les prêtres au temple, « ne leur laissait que Dieu »[12] ?

Ainsi, l’Affaire débordait de plus en plus ; le flot battait déjà le pied des couvents, des maisons d’éducation où, depuis cinquante ans, les moines équipaient en guerre les petits fils des croisés.

L’Église eût été à temps encore pour rappeler ses milices, dissiper bien des colères : il eût suffi de désavouer les Assomptionnistes (les moins rancuniers ne leur pardonnaient pas les violences des Croix, aux élections), et d’inviter Du Lac, par son général des Jésuites, à aller méditer, comme naguère le P. Didon, dans quelque Corbara. Le Pape n’en fit rien, soit qu’il en fût là, lui aussi, malgré son infaillibilité, à suivre ses troupes et, malgré sa toute-puissance, à ménager les Jésuites dont il avait été l’élève[13] ; soit qu’il crût encore au succès possible de la campagne contre-révolutionnaire, car Léon XIII, s’il accepta la République, ne rétracta rien du Syllabus. Dès lors, la feuille poissarde continua son commerce, à l’enseigne du doux Nazaréen, une fois de plus crucifié par les siens[14], et le jésuite versaillais à fourrager dans tous les mauvais coups. On le voyait toujours en mouvement, de Versailles, où était son couvent, à Paris, où il avait, outre sa cellule officielle, plusieurs petits pied-à-terre pour y recevoir des émissaires des deux sexes, ne confiant jamais ses lettres à la poste, mais à des courriers qui avaient fini par être connus de la police, enchanté, dans son intérieur, du bruit qui se faisait autour de lui, ce qui eût dû suffire à le faire disgracier par sa Société, et le plus nigaud des conspirateurs, parce qu’il était le plus présomptueux.

Ceux des catholiques qui avaient de la pitié et le sens du droit, et qui prévoyaient des représailles, furent désolés. Viollet multiplia les avertissements[15] ; un prédicateur (à Saint-Sulpice) osa dénoncer « le journal qui abritait ses fureurs sous le signe de la Rédemption »[16]. Non seulement on ne les écouta pas, mais plusieurs, qui pensaient comme eux, furent frappés. Buffet, dans une lettre à Drumont, ayant désavoué Hervé de Kérohant, le duc d’Orléans écrivit à son représentant : « J’approuve pleinement votre lettre à la Libre Parole et je vous en remercie[17]. « L’abbé Pichot venait de faire paraître sa brochure sur la Conscience chrétienne et l’Affaire, sous forme d’une lettre à la Croix. Il y rappelait quelques vieilles sentences démodées : « Si vous n’aimez que vos amis, vous n’êtes pas meilleurs que les païens… Si votre justice n’est pas meilleure que celle des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » Et, très noblement, il expliquait les motifs de son intervention : « Parce qu’il y a des circonstances où un professeur de sciences mathématiques et physiques, surtout si c’est un prêtre, ne doit plus se contenter d’enseigner que les rayons secteurs des planètes balayent des aires égales en des temps égaux… Ce serait trop commode de s’abstraire ainsi, loin des passions et de la haine. » Il se souvenait enfin d’avoir appris du P. Gratry que la morale et la géométrie sont sœurs, qu’il y en a partout, selon le mot de Leibnitz ; et il ne voulait pas rester solidaire de ceux qui trompaient le peuple et le clergé[18]. Aussitôt le général qui commandait à Limoges fit savoir à l’évêque qu’il romprait toutes relations si l’abbé Pichot continuait à enseigner au collège libre de Felletin. Un journal local[19] le poursuivit d’outrages. L’évêque finit par céder. Le prêtre eût pu mourir de faim si Albert de Monaco ne l’avait nommé à l’une des trois cures de sa principauté.

Il n’est nullement certain que la parole du frêle vieillard blanc, au sourire voltairien, qui régnait alors au Vatican, eût arrêté les politiques pour qui la religion était surtout la servante de l’esprit de parti, ou la grande rabatteuse d’écus. L’Église a pour règle de se dire opprimée, quelque puissante qu’elle soit, et, quelle que soit sa richesse, de pleurer sur sa pauvreté. Cette fois, ses intérêts et ses privilèges allaient être sérieusement menacés.

Dans ces périls, tous les moyens et tous les alliés sont bons contre les « proscripteurs » et les « spoliateurs ». Depuis longtemps, le collectivisme servait aux cléricaux à effrayer la bourgeoisie. Humbert, tout à fait leur homme, dénonça les radicaux aux socialistes : « La guerre à l’Église, admirable dérivatif à la guerre au capitalisme[20]. » Surtout, ils redoublèrent d’efforts contre la Revision, nullement décontenancés par leurs derniers insuccès, d’une ténacité qui eût honoré toute autre cause et s’ils eussent fait usage d’autres armes.

Dans ces derniers mois de 1898, on eût trois preuves nouvelles : une « liasse de papiers » que le docteur Ranson avait pris, à l’île de Ré, « dans la doublure du vêtement de Dreyfus »[21] ; des lettres de la comtesse de Munster (on insinuait qu’elle avait été la maîtresse du juif et de Schwarzkoppen) qui ne laissaient aucun doute sur la trahison[22] ; — il fallut que Delcassé allât porter à l’ambassade ses regrets pour de telles vilenies[23] ; — une dépêche de Panizzardi, de 1894, qui rassurait son État-Major et l’avisait que « toutes ses précautions étaient prises »[24] ; — renseigné par un fonctionnaire des Affaires étrangères, j’affirmai que ce texte était mensonger et demandai que le dossier diplomatique fût communiqué à la Cour de cassation[25].

On essaya aussi d’accréditer que la Russie était mêlée à l’Affaire, que l’attaché militaire Frédéricksz avait dénoncé Dreyfus à Mercier[26] ; mais l’ambassade le démentit formellement[27].

Une lettre du capitaine Marchand porta beaucoup. Il écrivit au dessinateur Forain que ses compagnons et lui, quand ils arrivèrent à Fachoda, étaient sans nouvelles de France depuis dix mois ; les Anglais leur passèrent des journaux. Ils apprirent « l’horrible campagne des infâmes » et se prirent à pleurer[28].

Plusieurs ne demandaient plus de preuves, invoquèrent, plus franchement, la raison d’État. Un ancien ministre de la Guerre, le général du Barail, en fit l’aveu : « Une infortune individuelle, si touchante qu’elle puisse être, ne saurait entrer en ligne de compte avec le malheur national qui résulterait de l’atteinte portée à l’honneur de l’armée[29]. »

Et, tous les jours, un vomissement d’injures, comme d’un crocheteur pris de vin, contre les conseillers de la Chambre criminelle, Lœw, frère d’un notaire prussien, Bard, « fripouille en hermine », tous « vendus », « stipendiés de la Synagogue », « hébétés par des débauches prolongées trop tard », « crapules » et « gorilles ». Drumont engagea les généraux à commencer en ces termes leur déposition : « Tas de gredins ! » Avec cela, des menaces quotidiennes de mort, par lettre anonyme, et des appels publics à la justice du peuple, au massacre, à la destruction de cette « Bastille judiciaire », « temple de la loi devenu une sorte de Bourse mâtinée de lupanar »[30].

Selon Rochefort, le Syndicat avait déjà dépensé quarante-cinq millions ; trente-sept, selon Judet[31].

Pour dédaigneux qu’ils fussent de ces ordures, les juges en furent écœurés. Le vieux Lœw, aux obsèques du conseiller La Rouverade, laissa échapper cette plainte : « J’ai presque envié le sort qui le soustrayait à nos angoisses[32]. »

Dupuy avait promis de faire respecter également la justice et l’armée. Il ne poursuivit qu’Urbain Gohier, sous l’injonction de Le Provost de Launay[33], et pour un volume qui n’était qu’un recueil d’anciens articles[34]. Monod, Gaston Pâris, les bons esprits que comptait la presse, se lamentaient que tant de défenseurs d’une juste cause, ayant la raison pour eux, se complussent à l’injure. Mais moins que jamais on les écouta. Avec la manie française de généraliser, tous les juifs étaient des traîtres pour Drumont et, pour Gohier, tous les officiers[35]. Depuis longtemps, Gérault-Richard, Turot, Ajalbert appelaient couramment les généraux « assassins » et « coupe-jarrets »[36]. Puis, cette éternelle accusation, réciproque, de trahir et de se vendre, devient fade. Il faut autre chose à ces millions de gosiers abreuvés de vitriol. Et c’est la fureur assaisonnée de pourriture, les goujats de l’armée cléricale, qui n’appellent Picquart que « Georgette »[37], le frénétique auteur de l’Armée contre la Nation, qui invente les « députés de Lesbos »[38], Mais ces rois de l’invective sont eux-mêmes talonnés par de plus enragés, Guérin, avec son Anti-Juif, dépasse Drumont et les Pères de la Croix ; Philibert Roger court après Gohier. Et c’est pire encore aux réunions, où la bête se déchaîne dans toute sa laideur. Pressensé manquera d’être assommé à Toulouse, avec Mirbeau et Quillard, par une bande de nervi, armés de matraques, sous une grêle de projectiles et d’ordures[39] ; à Paris, le député royaliste Lerolle est blessé[40], et Déroulède eût été frappé sans Duclaux ; il se mit, avec Vaughan et Sébastien Faure, entre le provocateur, qui s’était rendu à la salle Chaynes, et quelques brutes qui se ruaient sur lui[41]. À Nantes, les antisémites, conduits par Guérin et Millevoye, les socialistes, menés par Allemane, se battirent dans les rues[42].

Un tel désordre faisait fort les affaires des césariens, surtout à Paris, parmi les boutiquiers, les petits commerçants et les petits rentiers, gens paisibles à qui était apparue de nouveau la séduction du sabre pacificateur. Même avant la lettre de Zola, « le seul fait de discuter le jugement de Dreyfus leur avait paru une injure formidable à l’armée »[43]. Les perpétuelles invectives contre les « patriotes de trahison »[44], les « uhlans de la rue Saint-Dominique »[45] et toute cette « meute de forbans »[46], les mettaient hors d’eux. Ils eussent acclamé le soldat qui aurait fait taire ces braillards.

C’est ce que Déroulède et le duc d’Orléans sentaient très bien, toujours à la recherche du général qui ferait le coup[47]. Toutefois, ils avaient beau frapper aux portes des casernes, ils n’y trouvaient encore que des parleurs, comme Pellieux et Roget, de loyauté vacillante, fanfarons et brouillons, mais qui ne se décidaient pas, tenus, d’ailleurs, en respect par Zurlinden, fidèle et scrupuleux dès qu’il ne s’agissait plus de L’Affaire. On n’avait pas encore découvert le chiffre du duc et de ses correspondants (Buffet, Lur-Saluces, Chevilly), qui le renseignaient au jour le jour[48] ; en décembre, il était à Londres.

Le plus actif, à cette époque, fut Guérin, du moins en apparence, car il se peut qu’il se soit surtout amusé du prétendant[49], qui le payait exactement et qu’il payait de l’éternelle promesse d’une émeute provoquée, d’où sortirait le Monck inconnu. En tous cas, il remuait beaucoup, fort encouragé dans son impunité, acquitté par les juges correctionnels pour ses voies de fait du 25 octobre, et compris, avec les assommeurs d’Alger, dans l’amnistie que la Chambre avait votée pour tous les crimes et délits politiques, sauf pour les outrages à l’armée, — ce qui excluait Zola, mais personne n’avait osé réclamer pour lui[50]. Comme le prince s’impatientait, Guérin lui annonça une manifestation pour le 12 décembre, quand Picquart paraîtrait devant le conseil de guerre, et convoqua ses hommes, en même temps que Déroulède faisait appel aux siens. Malgré l’arrêt de sursis, les royalistes se rendirent, avec Sabran, de Ramel, son écharpe de député en sautoir, et Godefroy, aux abords du Cherche-Midi, où ils trouvèrent Millevoye, Marcel Habert et le colonel Monteil, mais surtout une masse de police qui les dispersa. Le duc d’Orléans n’en reçut pas moins un bulletin de victoire : « Succès d’estime. Environ 2.000 hommes. Mais la police n’a pas laissé passer. C’est à recommencer[51], »

Picquart leur ayant été soustrait par la Cour de cassation, les fauteurs de guerre civile se jetèrent sur moi.

II

L’occasion fut une suite d’articles sur Henry et Esterhazy.

On ne pouvait faire un pas dans cette histoire, que je tâchais d’esquisser au jour le jour, sans rencontrer Henry ; derrière chaque mensonge : Henry ; derrière chaque faux : Henry.

Le premier argument pour Dreyfus, c’était cette vérité élémentaire : « Pas d’acte sans mobile. » Quel a été le mobile d’Henry ?

Au procès de Zola, sous les comédies violentes qu’il joua, l’homme m’avait paru double et triple, nullement un soudard. Lemercier-Picard me le dénonça comme l’un des instigateurs du piège qui m’avait été tendu. Je ne fus point dupe du plus fameux de ses faux, mais sans soupçonner qu’il en fût l’auteur. D’autre part, bien qu’acharné contre Du Paty, j’avais observé qu’il n’était rien au bureau des Renseignements ; et que, certainement, quelqu’un du service lui avait remis le document libérateur pour Esterhazy.

Vinrent ses aveux, son suicide et, tout de suite, son panégyrique par Maurras, la soudaine transformation du faussaire en héros, pour dérouter l’opinion et comme pour l’empêcher de fouiller plus avant.

J’essayai d’appliquer un peu de méthode cartésienne au peu qu’on savait alors de cette histoire (20 octobre).

La mensualité d’Esterhazy chez Schwarzkoppen (2.000 marks) semble considérable « pour un espion qui n’aurait pas eu d’associés à rétribuer ». Le marquis de Moustier, ministre de France à Berlin, paya 500 francs, au mois de mai 1855, le document qui révélait que la Russie était à bout de forces, la garnison de Sébastopol décimée par le typhus, le bastion de Malakoff le point vulnérable, alors que les assiégeants le tenaient pour imprenable. Autre chose : « L’enquête qui a abouti à l’arrestation de Dreyfus avait pour origine la constatation de fuites dans les bureaux de l’État-Major. » Or, Dreyfus condamné, déporté, les fuites ont continué[52]. Donc, quelqu’un renseignait Esterhazy. Il est impossible que l’espion n’ait été doublé d’un pourvoyeur : « Je signale son existence avec la certitude d’un astronome qui, apercevant certaines perturbations dans l’orbite d’une planète, en déduit l’existence d’un astre inconnu dont l’influence est la cause de ces irrégularités[53]. »

Après le rapport de Bard qui révélait la vieille camaraderie d’Esterhazy et d’Henry, je repris l’examen du problème.

Aucune des raisons qui ont été données du faux d’Henry « ne satisfait la raison », — la haine des juifs, la nécessité d’opposer à Picquart, au Syndicat, une preuve certaine (qu’on ne montre pas) ; la mauvaise honte de convenir d’une erreur ; — en effet, l’acquittement, la condamnation, la revision passaient par-dessus sa tête, s’il n’avait pas eu un intérêt personnel à sauver Esterhazy. Et il a commis bien d’autres crimes. Qu’est-ce donc qui liait ces deux hommes ? « Le bordereau fut étudié longtemps au bureau des Renseignements avant d’être envoyé à l’examen des autres bureaux. Henry n’a-t-il pas reconnu, dans l’écriture du bordereau, celle, qui lui était familière, d’Esterhazy[54] ? »

Henry, après la scène des aveux, a attesté à Roget, qui lui parlait d’autre chose, que le bordereau est venu par la voie ordinaire, qu’il l’a reçu, « que toute autre version est contraire à la vérité ». Or, il vient de se parjurer huit fois. Donc, « l’autre version » est la vraie. Quelle version ? Ici, je bifurquai, parce que je ne savais encore rien des deux agents, la femme Bastian (la voie ordinaire), et Brücker ; l’une, illettrée, qui ramassait, sans y regarder, les papiers déchirés et souillés dans les corbeilles et les cheminées ; l’autre, intelligent, dangereux, qui apporta le bordereau intact, ne souffrit pas qu’Henry le frustrât de son butin.

Tout le monde croyait alors que le bordereau était venu par le cornet, en menus morceaux[55].

Il me parut que « l’autre version », c’était que le bordereau n’avait pas été remis à Henry, alors que « l’autre version », c’était Brücker, le bordereau dans son enveloppe.

Je conclus par ce dilemme :

Si Henry, rien qu’une fois, a dit la vérité, si, lui-même, il a reçu, reconstitué le bordereau, alors, tout invraisemblable que ce soit, il na pas reconnu l’écriture d’Esterhazy, puisqu’il n’a pas supprimé la pièce, et ce soldat s’est fait criminel pour sauver « l’honneur du bureau ».

Si, au contraire, il a menti, si le bordereau a été reçu, reconstitué par un autre, Henry est complice[56].

Ces déductions, cette hypothèse, qui devint aussitôt une presque certitude pour la plupart des revisionnistes[57], tant elle expliquait tout l’obscur du drame, causèrent une irritation extrême parmi les anciens camarades d’Henry. Ils ne voulaient même plus qu’il eût été un faussaire ; son faux n’était qu’une ruse de guerre. Les journaux crièrent au sacrilège[58].

Mon article avait à peine paru que les confirmations affluèrent de toutes parts. Panizzardi et l’attaché militaire de Russie en Suisse, le général de Rosen, tenaient de Schwarzkoppen qu’Esterhazy lui avait nommé Henry comme son pourvoyeur[59]. Je connus les lettres d’Esterhazy à Jules Roche[60] ; les dépenses d’Henry excédaient sa solde[61] ; on raconta, dans les bureaux de rédaction, mais sans en donner de preuves, qu’il entretenait une maîtresse[62].

D’autre part, il me vint un renseignement inexact[63] : que le bordereau, selon Cordier, aurait été remis à Sandherr. Je fus empêché de continuer par moi-même l’information, parce que les démarches les plus simples, surtout quand il s’agissait d’officiers appelés à déposer, étaient alors périlleuses. Cordier m’a dit par la suite que ses interlocuteurs l’avaient mal compris ; fort exubérant et très aisément ému, la première fois qu’il parut devant la Cour de cassation, il fallut renoncer à l’entendre[64]. Depuis longtemps, il avait deviné Henry, qui le détestait ; le sachant enclin à la revision, Henry avait annoncé « qu’il l’écraserait, comme il avait écrasé Picquart ». Le lendemain des aveux, Cordier, dans les couloirs de l’État-Major, s’écria « qu’il avait, toujours dit qu’Henry porterait un jour le bonnet vert des forçats »[65].

Enfin, Esterhazy s’était décidé à publier ses Mémoires[66], où il racontait qu’il avait connu Henry depuis plus de vingt ans, qu’ils avaient été lieutenants ensemble, et que c’était un bon et brave soldat. Alors qu’il accablait d’outrages tous ses anciens chefs, Esterhazy n’avait d’éloges que pour Henry : « Des politiciens égoïstes et sans cœur l’ont forcé à s’évader dans la mort ; ils l’ont contraint au suicide parce qu’il savait trop de choses. » Esterhazy a été chargé par Sandherr de « canaliser » Schwarzkoppen, « le plus enragé » des attachés militaires étrangers à recueillir des renseignements. Trop fier encore pour avouer qu’il avait été un espion, Esterhazy reprenait la légende du contre-espionnage et entrait, cette fois, dans toutes sortes de détails assez plaisants, comme quoi il avait remis à l’Allemand, le stock-fisch, pour lui et pour l’« andouille » italienne, des monceaux de faux documents, munis d’ailleurs « des cachets du ministère ». « Henry, lui aussi, connaissait à merveille ses relations avec Schwarzkoppen. » Et, certainement. Henry en avait parlé à Cavaignac, à Roget ; il n’avait pas dit qu’il ne l’avait vu qu’une fois chez Sandherr, apportant des documents ; et ces documents venaient de quelque part, « n’avaient pas été trouvés sous les quatre fers d’un chien ». Mais ces misérables ont mutilé, tronqué les aveux d’Henry[67].

Ainsi, il n’invoquait, à l’appui de son imposture, que des morts, Sandherr et Henry[68], sachant bien que tous les vivants le démentiraient. Comment croire que Sandherr eût pris sur lui d’employer un officier à une telle besogne, sans l’assentiment de ses chefs et de connivence seulement avec Henry[69] ? Esterhazy, à son ordinaire, brouilla tout, les renseignements sur l’artillerie, authentiques pour la plupart, qu’il avait portés à Schwarzkoppen, le dessin (qu’il avait fait copier, en effet, par le soldat Écalle) d’un fusil nouveau[70], et jusqu’aux fausses circulaires de mobilisation qu’Henry, un jour, avait proposé à Picquart de faire tenir par des voies mystérieuses à l’attaché allemand[71]. Si Picquart eût accepté, il était dans l’engrenage.

Au surplus, « le bordereau n’est pas arrivé au service des Renseignements, déchiré en morceaux, comme on l’a prétendu, par le cornet. Il y est venu par une tout autre voie ». Esterhazy ne précisait pas encore laquelle, se bornant à dire que à le bordereau n’avait pas été pris dans une ambassade », ce qui n’était qu’une sottise, et que Schwarzkoppen avait démenti, avec raison, la légende du panier à papiers. Seulement, les amis de Picquart avaient fait le silence sur ce démenti, qui les gênait à cause du petit bleu[72].

Tant d’arguments, les uns exacts, les autres qui en avaient l’air, et l’adhésion des hommes les plus instruits de l’Affaire, surtout celle de Mathieu Dreyfus, de Zola et de Monod, m’encouragèrent à continuer. Je publiai deux nouveaux articles[73].

Le jour où parut le second, le plus formel que j’eusse encore écrit, Bertulus déposa devant la chambre criminelle[74]. Il raconta la séance où Henry s’effondra, pleura, sanglota, sous l’accusation d’être le pourvoyeur d’Esterhazy, sans un mot de protestation.

Je ne l’avais pas revu depuis le jour où, dans son cabinet, il m’avait invité à l’avertir, si Lemercier-Picard venait chez moi, pour qu’il accourût et l’arrêtât, et je ne savais rien de son dramatique entretien avec Henry. Nul concert entre nous, aucune communication. Quelque temps après, quand je connus sa déposition, je n’allai pas plus chez lui que chez Cordier, et pour le même motif. Le hasard fit la coïncidence ; mais combien, parmi les conseillers, parmi les militaires aussitôt informés, crurent au hasard ?

Les amis d’Henry, les adversaires de la Revision résolurent, avec leur promptitude et leur audace habituelles, d’agir.

Je m’étais trompé sur la remise du bordereau en d’autres mains que celles d’Henry (en apparence, c’était la base de mon système) ; surtout, depuis plus de vingt ans que j’étais dans la politique, j’avais réuni sur moi beaucoup d’animosités, tant pour mes propres actes que par l’affaire du Panama, où j’avais été moi-même étranger, mais où mon nom avait été mêlé. Sauf à mes débuts, dans la lutte contre le Gouvernement du Seize-Mai, j’avais nagé contre tous les courants ; on m’avait trouvé avec Gambetta contre l’extrême gauche et les partisans de la paix à tout prix, avec Ferry contre les ennemis de la politique coloniale, l’un des derniers auprès du vieux Grévy, l’un des premiers contre Boulanger ; puis, à la Chambre, l’adversaire de la liberté illimitée de la presse et, avec Spuller et Casimir-Perier, le défenseur d’une République ouverte aux bonnes volontés et tolérante ; de plus, d’un tempérament agressif, avec le goût de la lutte, trop sûr, souvent, d’avoir raison, libre penseur et juif, et, comme la plupart des juifs d’Occident, dont les pères, pendant tant de siècles, errèrent sous les proscriptions, Français d’hier. Mon rôle dans l’affaire Dreyfus m’avait ramené des sympathies précieuses, mais avait exaspéré les haines. J’ai écrit, un jour, à Camille Pelletan : « N’est pas impopulaire qui veut[75]. » Il y a des jours où, l’ayant voulu, on le regrette.

Pour que j’eusse, en combattant, tout le soleil dans les yeux, on m’opposa une femme.

Le 7 décembre, la veuve d’Henry, qu’on avait fait venir de Pogny, où elle s’était retirée, m’écrivit pour protester contre « d’infâmes calomnies » et m’imputer, assez singulièrement, une note qui avait paru le matin même dans le Radical : « Vous prétendez, sans l’ombre de preuves, que mon mari, n’ayant que 8.500 francs de solde, en dépensait beaucoup[76]. » Je dis simplement que ce fait précis avait été allégué par un autre : « Je m’incline devant la douleur profondément respectable de Mme Henry, mais sa lettre s’est trompée d’adresse[77]. » Elle répliqua, transcrivant cette fois une phrase que j’avais en effet écrite, sur un renseignement du comte Tornielli, qui fut confirmé par l’ambassadeur Barrère[78] : « C’est pendant cette année (celle qui suivit la condamnation de Dreyfus) que les deux traîtres et Schwarzkoppen firent leurs plus belles récoltes, Schwarzkoppen de renseignements, Henry et Esterhazy d’écus, près de cent mille francs. » Si je ne faisais pas la preuve « que son pauvre mari avait reçu cette somme de l’étranger », « j’étais le plus criminel, le plus odieux, le plus lâche des diffamateurs, je n’échapperais pas à la responsabilité que j’avais encourue ; elle ne me permettrait pas de me dérober ».

Déjà, on annonçait de toutes parts qu’elle m’allait intenter un procès.

J’aurais pu répondre à l’évidente provocation qu’il n’y a d’outrage à la mémoire des morts que si l’héritier vivant a été visé à travers le mort ; — ainsi l’a voulu le législateur[79] ; — que je n’avais nommé ni la veuve ni l’enfant d’Henry, et que l’idée d’insulter à un tel deuil n’eût pu venir qu’à un sauvage. Peut-être eût-il été plus habile de laisser l’offensive aux gens qui poussaient l’infortunée. Mais cette habileté me répugnait. Je déclinai « toute controverse avec la malheureuse signataire de cette lettre », mais j’ajoutai que « la loi lui offrait le moyen d’établir, en me poursuivant aux assises, qu’Henry n’avait pas été le complice d’Esterhazy »[80].

La question de compétence est sujette à controverse. Des auteurs veulent « que les procès pour outrage à la mémoire des morts soient portés devant le tribunal correctionnel, qui jugera seulement de l’intention, puisque l’intention, dans l’espèce, fait le délit[81]. Selon d’autres, si le mort fut un fonctionnaire public, la diffamation et l’intention seront soumises toutes deux au jury[82]. Or, je n’avais point cherché à atteindre la veuve d’Henry et il importait de prouver qu’Henry avait eu un intérêt personnel à perdre Dreyfus.

III

Drumont, qui avait pris l’affaire en mains, annonça que Mme Henry était réduite à réclamer l’assistance judiciaire, mais que ce serait une « honte pour la France », et qu’il ouvrait une souscription pour subvenir aux frais du procès et permettre aux « braves gens » de se compter. Il plâtra au balcon de son journal, sur le boulevard, en plein Paris, une longue bande de toile avec ces mots : « Pour la veuve et l’orphelin du colonel Henry contre le juif Reinach », et, tout un mois, du 14 décembre au 15 janvier, les « patriotes » portèrent ou envoyèrent leur obole, cent trente mille francs[83], en l’honneur de « l’officier français tué, assassiné par les juifs ». « Si minime que soit l’offrande versée, c’est un soufflet sur la face immonde de Reinach, l’ignoble[84]. »

Le nombre des souscripteurs s’éleva à environ 15.000, dont un millier d’officiers, la plupart sous l’anonyme, d’autres ouvertement [quatre généraux[85], neuf colonels, une centaine de commandants, de capitaines et de lieutenants]. Les journaux républicains rappelèrent à Freycinet les règlements sur les souscriptions où les militaires n’ont pas le droit de participer sans une autorisation spéciale ; il les rappela à son tour aux chefs de corps[86], et plusieurs officiers désobéirent, aimant mieux subir les arrêts que ne pas figurer sur les listes[87].

Vingt-huit généraux en retraite s’inscrivirent, Mercier en tête, avec Lebelin de Dionne, Bonnefond, La Veuve, Béranger, de Biré, de Kerhué, un ancien ministre de la Marine, Gicquel de Touches, et près de quatre cents anciens officiers, dont Charette, Cluseret, ministre de la Guerre sous la Commune, et Parseval, l’un des hommes de confiance du duc d’Orléans[88].

Les prêtres s’abritèrent pour la plupart sous l’anonyme[89], quelques-uns enragés, l’un « qui voudrait du talon écraser le nez de Reinach », un autre « qui voudrait manier l’épée aussi bien que le goupillon », l’abbé Gros « pour une descente de lit en peaux de youpins » ; mais seulement trois cents sur cinquante mille, et pas un évêque, ce qui « écœura un pauvre prêtre »[90].

Au contraire, la vieille noblesse donna en masse, les plus grands noms de l’Armorial, gravés aux pages les plus fameuses ou les plus brillantes de la Royauté, et tenant, cette fois, l’honneur de figurer à côté des anonymes qui voudraient « fesser » les juifs, « leur administrer des lavements au vitriol, leur crever les yeux, leur tanner ou truffer la peau, les écorcher vifs, bouter hors de France, jeter à l’égout, pendre, rôtir, farcir, mariner, saigner, flamber avec de la paille, donner aux chiens, embarquer sur des bateaux à soupapes, piquer à coup d’épingles jusqu’à ce qu’ils en crèvent, passer à l’huile bouillante, étriper et chaponner ». C’étaient les ducs de Brissac, de Luynes, de la Rochefoucauld et d’Audiffred-Pasquier, avec les duchesses d’Avaray, de Mortemart et d’Uzès, les princes de Broglie et Radziwill, cinquante marquis (de Barthélémy, de Biron, de Chaumont-Quitry, de Choiseul, de l’Estourbeillon, de La Ferronays, de Lubersac, de Ludre, de Luppé, de Moutiers, de Polignac, de Ségur), et trois cents comtes, vicomtes et barons [d’Armaillé, Albert de Mun, La Bourdonnays, de Bourbon-Lignières, d’Elva, de Colbert-Laplace, de Fitz-James, de Bouillé, de Montalembert, d’Harcourt, d’Hunolstein, de Montesquieu, de Puységur, de Noailles[91], de Villebois-Mareuil, de Bonald, de Rochetaillée, de Ganay, de Lusignan, de Dreux-Brézé]. La noblesse de l’Empire s’abstint. On ne relève sur les listes qu’un seul nom de victoire (Montebello).

Les politiques et les gens de lettres furent de beaucoup moins nombreux, fort mêlés d’ailleurs : Boysset, ancien proscrit de Décembre, entre Déroulède et Magne ; l’ingénieur Yribe, qui avait, sous la Commune, démoli la colonne Vendôme, et le poète Coppée ; quelques fanatiques sincères comme le vieux Keller ; d’autres, apparemment, pour que Drumont ne signalât pas leur absence à l’appel, Barrès, Ramel, Montfort, deux secrétaires d’ambassade[92], et, nécessairement, les deux juifs antisémites, Pollonnais et Arthur Meyer.

Des collégiens souscrivirent aussi, des ateliers de lingères et de modistes.

Le chiffre de la plupart des versements était fort modeste, beaucoup de deux et quatre sous, ce qui permit de croire que des donateurs plus importants fractionnèrent leur offrande pour le plaisir de multiplier les appels au massacre collectif des juifs, des protestants et des francs-maçons[93], et au meurtre individuel. Des lettrés de brasserie ou de salon se divertirent apparemment à ce jeu, à côté des milliers de truands, de malandrins et de forcenés authentiques qui donnèrent à leur hommage à Henry la forme appropriée de la menace et de l’outrage. Les panégyriques du « martyr », du vaillant colonel », « nouveau Brutus » et « nouveau d’Assas », héros « mort au champ d’honneur » et « pour la patrie », alternaient avec les fantaisies scatologiques et d’ineptes injures : « cloportes, crotales, vermine, poux, punaises, gorilles. » On a fait le relevé de ces excitations à la haine et à l’assassinat : 36 à l’adresse de Brisson et de Zola, 41 à celle de Bard, 43 à celle de Picquart, 48 à celle de Lœw, 58 à celle de Clemenceau, 929 à la mienne[94]. C’était l’étiage des popularités.

Des centaines de pages sont pleines de phrases comme celles-ci :

Pour pendre Reinach… Pour le cravacher… Sept balles pour l’ignoble Orang… À moi la peau de Reinach !… Pour lui sortir les boyaux… Pour l’étrangler… Pour l’écorcher vif… Une botte de foin à Brisson… À la lanterne Reinach !… Pour lui fumer les jambons… Contre l’espion anglais Clemenceau… À la frontière Jaurès !… Clemenceau, Reinach et Brisson à Montfaucon !… Pour flamber le gorille… À la potence !… Contre le cochon de juif Reinach, sept officiers de Bretagne… Quatre sous de la tête de Reinach… Pour saigner le porc Reinach… Pour l’étriper… Pour avoir les boyaux de Dreyfus et de Reinach… Pour étaler l’opprobre de Brisson… Six bons b… qui ont donné sur le museau à Pressensé… Pour pendre Zola… Pour pendre Lœw… Dreyfus et Picquart au bagne !… Reinach à l’égout !

Sur ces milliers de manifestants, très peu étaient convaincus, dans leur for intérieur, qu’Henry fût un héros. Par contre, leur haine était sincère contre le Juif qui fit toujours la coalition de toutes les forces d’en haut et d’en bas, parce que tous les contrastes sont en lui, à la fois mystique et positif, le seul peuple qui n’a eu qu’un Dieu et le seul qui considère la vie comme l’unique bien, qui va de la Kabbale à la brocante et à l’usure, et qui, retranché si longtemps de la communauté des hommes, a pris les hautes vertus idéales du solitaire et les vices bas de l’esclavage. Quand Drumont s’en allait répétant que la Révolution a été faite surtout au profit des juifs, il disait une sottise ; il n’était pas loin de la vérité quand il leur reprochait de l’avoir préparée et de la continuer. En effet, ils ont été toujours révolutionnaires, avec leur prophètes, d’abord, qui menacent les riches, « mangeurs de pauvres »[95] ; puis, au temps des oppressions, artisans cachés des grandes transformations, avec les « docteurs de l’incrédule »[96], qui créent l’averroïsme[97] et le panthéisme[98], leurs exégètes qui sont au berceau de la Réforme[99], les kabbalistes qui sont au berceau de la franc-maçonnerie ; enfin, depuis 1789, avec leurs marchands d’or qui, mettant en pratique le saint-simonisme[100], ont été parmi les principaux architectes du monde moderne, et avec leurs socialistes, Lassalle et Marx, qui en ont conspiré la chute. Ainsi, de Cicéron[101] jusqu’à Nietzsche, en passant par Gouguenault des Mousseaux, avaient-ils été dénoncés, à bon droit, par tous les conservateurs, comme les machinateurs des révolutions. Et ainsi encore, pendant que les grands financiers juifs, avec les quelques billets de banque qu’on obtint d’eux en cachette, ne furent que des comparses dans l’Affaire, les petits juifs donnèrent beaucoup plus, non pas en argent (car ils étaient pauvres et, par ce temps de méchanceté exaspérée, trouvaient péniblement du travail), mais en esprit. Ils répandirent leur âme autour d’eux. Il est exact que les juifs, jalousés pour leur or, furent souvent détestés pour leurs vices, l’âpreté au gain, la morgue, un désir trop vif de se pousser ; mais ils furent haïs aussi pour leur vertu, l’idéal de leurs penseurs qui est la justice[102], la Jérusalem terrestre, nullement les beaux mensonges de l’au-delà qu’exploitent les heureux du monde et les prêtres[103] — en opposition avec la Foi, qui se suffit à elle-même et qui est le principe chrétien.

Enfin, bien que dans les veines des juifs d’Europe coulât à peine une goutte du sang des sémites palestiniens et que la plupart de ces juifs descendissent de païens ou de barbares convertis[104], l’idée de race n’était pas étrangère à ces haines ; elle circulait obscurément dans le peuple et se réclamait d’une fausse science. Elle avait été adoptée notamment par un Jules Soury, haut mandarin de lettres, physiologiste, critique, historien, professeur dans une grande école de l’État et lauréat des académies, le même homme qui avait englobé autrefois dans une grossière accusation d’hystérie le Christ, « dégénéré épileptique », et Jeanne d’Arc, « garçon enjuponné ». Bien qu’il eût rétracté récemment ces pages, il était resté matérialiste et athée, et s’en vantait ; mais, en même temps, il était devenu antisémite, par quelque rancune de cuistre, disait-on, et s’acharnait, à grands renforts d’arguments ethniques, à attiser l’incendie. Il accordait à peine aux juifs la dignité d’hommes : « Ce n’est qu’en France, disait-il, qu’on entend répéter qu’un homme, un individu quelconque, en vaut un autre ; aucun éleveur, aucun berger, voire aucun chien de berger ne raisonnerait ainsi. » Dès lors, tout pays qui accorde le droit de citoyen aux individus de cette race inférieure commet une folie. « Ah ! que le saint roi Louis IX avait raison quand il recommandait de ne pas discuter avec eux, mais de leur donner de l’épée dans le ventre, tant qu’elle y peut entrer ! » Et, sans doute, « les temps sont passés où ce genre d’arguments pouvait être employé ; nous savons tous, en effet, quels glapissements aigus, de peur qu’on les égorge, ont accoutumé de pousser les juifs », dès qu’on les menace. Mais, du moins, on peut « les renvoyer en leur terre de Chanaan », les convertis comme les autres, car « on ne cesse jamais d’être juif »[105].

Quand on raisonnait ainsi en haut, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’en bas, un officier israélite s’étant fracassé le crâne dans une chute de cheval, un journal d’Oran[106] eût proposé d’acheter « la généreuse bête pour lui ménager l’existence douce qu’elle avait si bien gagnée » ; ou qu’« un groupe d’officiers d’une place frontière attendit impatiemment l’ordre d’essayer les nouveaux explosifs sur les juifs »[107].

On m’engagea à poursuivre la Libre Parole ; je n’en voulus rien faire et continuai à vaquer fort tranquillement à mes occupations et à me promener dans Paris, où je fus quelquefois insulté, mais seulement par des gamins. Les passions d’autrefois, avant l’invention de la presse, éclataient en arquebusades ; elles se satisfont maintenant par des outrages, ce qui est encore une forme du progrès.

Beaucoup de républicains, même de revisionnistes de la première heure, furent stupéfaits, n’en crurent pas leurs yeux à voir se succéder les dix-huit listes rouges. Cette apologie d’un faussaire, ce flot de haine jésuitique, infecte et vile, une telle folie sanglante, ces vertus mortes ou qui le semblaient : la franchise, l’urbanité, la bonté, — tant de symptômes de décadence les affligeaient comme une honte pour la France et un recul de la civilisation. Nul avertissement ne fut plus salutaire. L’Affaire continuait sa grande œuvre d’enseignement, de réveil. On ne marchait plus dans la nuit. On savait maintenant où était l’ennemi. Il y avait, d’ailleurs, parmi ces souscripteurs, de braves gens, frappés d’une cécité momentanée, comme ce commandant de Bréon, dont la conscience, avant un an, s’élèvera au niveau des plus hautes. Mais rares étaient ceux qui avaient plus de pitié que de ressentiment contre des hommes assez malheureux pour se tromper ainsi.

  1. Révolution Française, I, 20.
  2. Notes (inédites) de Viollet.
  3. 16 novembre 1897.
  4. Matin du 8 novembre 1898.
  5. Autorité du 31 octobre 1898.
  6. Au lendemain de Sedan, le duc d’Aumale, à Bruxelles, causait avec Claretie : « Quelle honte ! Une si noble nation ! Un si grand pays, qui a fait 89, qui a fait 1830… » Et, après une seconde d’hésitation : « Qui a fait 48 ! »
  7. D’après le Tableau des immeubles possédés et occupés par les Congrégations le 1er janvier 1900, tableau dressé par le ministère des Finances et distribué à la Chambre, ces immeubles, d’une contenance de 48.767 hectares, étaient estimés un milliard (1.071.775.260 francs), pour 735 congrégations autorisées, 595 non autorisées et 143 associations. (II, 1125.) — La valeur vénale de ces immeubles était évaluée à 48 millions 925.480 francs pour la Société de Jésus, à 3.690.830 pour les Assomptionnistes, à 4.788.700 pour les Capucins, 5.386.030 pour les Chartreux, à 10.729.875 pour les Dominicains, à 3 millions 466.600 pour les Eudistes, à 3.742.400 pour les Franciscains (frères mineurs), à 6.593.390 pour les Maristes, à 3 millions 140.525 pour les Oblats, à 3.220.800 pour les Rédemptoriste, à 3.691.890 pour les Salésiens, à 11.127.970 pour les Trapistes, etc., sans préjudice des biens aux mains de personnes « tierces », interposées, selon le vieux procédé de dissimulation qui remonte à la bulle de Grégoire IX (Quo elongati).
  8. Union républicaine, séance du 10 novembre 1898.
  9. Temps, Débats du 12.
  10. 16 novembre.
  11. Sur la proposition de Levraud par 293 voix contre 139, sur celle de Rabier par 387 contre 225. (26 novembre 1898.)
  12. Michelet, Révolution, IV, 290.
  13. Au collège de Viterbe, puis au collège Romain.
  14. Non seulement Léon XIII ne désavoua jamais les Pères de l’Assomption autrement que dans ses conversations avec le Gouvernement de la République, mais à la veille même de sa mort, il envoyait encore « sa bénédiction spéciale » à « Sa Paternité Révérendissime », le P. Bailly, élu supérieur général de sa congrégation. Rampolla écrivit au fondateur des Croix : « Sa Sainteté ne doute pas que, malgré les adversités de l’heure présente, vous saurez maintenir et même accroître encore ce prestige dont jouit votre institut, prestige que ses œuvres ont mérité de lui procurer… De votre Paternité Révérendissime, le très affectionné dans le Seigneur, M., Cardinal Rampolla. De Rome, le 25 juin 1903. »
  15. Temps du 23 novembre 1898, Siècle du 10 décembre, etc.
  16. C’est ce que dit également Quincampoix, l’auteur de la Voix d’un catholique : « La décence publique souffre de cette exhibition constante dans un tel cadre, en un tel lieu, du symbole trois fois saint de la charité et de l’amour. C’est rendre Jésus-Christ solidaire de ces faux apôtres. » (35.)
  17. Libre Parole des 3 et 6 décembre 1898.
  18. « Le clergé a été dupe. Il a donné sa confiance aveugle aux chefs militaires comme il l’avait donnée à Léo Taxil. Il a cru au Syndicat de trahison comme il croyait à Diana Vaughan. » (Lettre du 12 décembre au Figaro.)
  19. L’Avenir du Puy-de-Dôme.
  20. Éclair du 26 novembre 1898.
  21. Gaulois du 24 septembre.
  22. Éclair et Intransigeant des 7 et 8 novembre.
  23. 11 novembre, Agence Havas : « Ayant eu connaissance des articles où l’on fait intervenir la comtesse de Munster, le ministre des Affaires étrangères a dû apporter l’expression de son indignation contre des procédés qu’on ne saurait trop flétrir. »
  24. Gaulois et Intransigeant des 9 et 10 novembre. — Panizzardi avait quitté Paris ; il avait été nommé colonel du 5e régiment de bersaglieri et officier des Saints Maurice et Lazare. (Bulletin militaire italien, 6 août 1898.)
  25. Siècle du 10 novembre : « La dépêche existe ; mais elle dit exactement le contraire de ce que rapporte l’Intransigeant. »
  26. Gaulois du 2.
  27. Agence Havas du 3.
  28. Lettre du 6 novembre. — Marchand ne connaissait pas Forain. Pendant son séjour au Caire, il avait vu un dessin de lui : Kitchener qui, montrant Marchand, disait à un pasteur : « Comment décourager ce brave ? » Le pasteur : « Je vais essayer en lui lisant quelques journaux français. »
  29. Il était le fils de ce capitaine de carabiniers qui, à Waterloo, après avoir chargé deux fois avec une grande vaillance, traversa tout à coup le champ de bataille, sous une pluie de balles, au moment où Drouot rassemblait la garde, et avertit les Anglais, « Conduit au major du 52e d’infanterie, qui causait avec le colonel Fraser : « Vive le roi ! Préparez-vous ! Ce b… de Napoléon sera sur vous avec la garde avant une demi-heure. » Et Wellington, avisé juste à temps, prit ses dispositions pour massacrer la garde, qui l’aurait attaqué à l’improviste, sans cette trahison. (Henry Houssaye, Waterloo, 391.) — Houssaye, dans ce récit, par égard pour le général du Barail, qui vivait encore, ne nomma pas son père.
  30. Autorité, Libre Parole et Intransigeant des 1, 2, 7 novembre 1898, etc.
  31. Intransigeant du 21 décembre, Petit Journal du 3.
  32. 11 novembre.
  33. Sénat, séance du 9 novembre. Le 14 Fournière questionna Dupuy sur ces poursuites, intentées alors à la requête des ministres de la Guerre et de la Marine. Au cours du débat, Drumont se prononça pour la liberté illimitée de l’écrivain, mais réclama l’arrestation « des banquiers juifs et allemands » qui avaient organisé la campagne pour Dreyfus.
  34. L’Armée contre la Nation. Voici quelques-uns des passages poursuivis : « L’armée est seulement l’école de tous les vices crapuleux. » (16.) « La caserne pourrit la France d’alcoolisme et de syphilis. » (17.) « Ils (les généraux) se solidarisèrent jadis avec Bazaine, comme ils se sont solidarisés depuis avec le Uhlan. » (119.) — Le Conseil municipal de Paris, par 44 voix contre 23, vota l’achat de 200 exemplaires de ce volume.
  35. « Les officiers, dans leurs mess, réclamèrent du Champagne en apprenant que Chanoine venait de montrer une fois de plus comment ils trahissent. » Dans le morne article, du 1er novembre 1898, Gohier appelle Cavaignac « l’héritier de deux générations d’assassins » et dit de Dupuy « qu’il est mal lavé du meurtre de Carnot ».
  36. Petite République du 23 septembre. Droits de l’homme du 20, etc.
  37. Dans cinquante articles de la Libre Parole, de la Croix, etc.
  38. Aurore du 8 novembre.
  39. 22 décembre 1898. Un coup de pistolet fut tiré ; la balle passa entre Quillard et Pressensé. Ils avaient été précipités de la tribune, frappés à coups de canne, couverts de crachats. (Aurore du 24 ; lettre collective de Mirbeau, Pressensé et Quillard à Dupuy.) Mêmes violences à Montpellier, le 5 ; à Paris (salle du Pré-aux-Clercs), le 16 ; à Mâcon, le 20.
  40. 9 décembre, à la réunion de la salle Thomas.
  41. 10 décembre. (Barrès, Scènes du Nationalisme, 221 et suiv. ; Vaughan, Souvenirs, 218 à 227.)
  42. 11 décembre.
  43. Denys Cochin, dans la Revue de Paris du 1er avril.
  44. Jaurès, Petite République du 31 octobre.
  45. Gohier, Aurore du 1er novembre.
  46. Quillard, Droits de l’Homme du 18.
  47. Haute Cour, I, 170, projet de lettre au général Metzinger ; Buffet, à l’audience du 10 novembre 1899, tout en convenant de cette lettre, se défend « d’avoir cherché des points d’appui dans l’armée ». Au contraire, Lur-Saluces, dans une lettre d’octobre 1898 à Cordier (II. 110), dit franchement : « Le bloc important à entamer, c’est l’armée, ou plutôt ses grands chefs, car elle est très montée ; mais, en haut, on est timide. »
  48. Buffet, pour savoir si son chiffre était découvert, envoya cette dépêche, qu’il qualifie de « farce » et qui ne fut lue que plus tard : « Comte de Sabran, Alesuth (Hongrie) : Monseigneur bien arrivé Lyon : rassurez Madame. Signé : Buffet. » (Haute Cour, I, 102 ; audience du 16 novembre 1899.)
  49. C’est l’accusation que portent contre lui Spiard (Coulisses, 68, 69, etc.) et Méry (Libre Parole du 21 mai 1902, etc.).
  50. 21 novembre 1898. — La loi fut arrêtée par la commission du Sénat. Ranc fit observer à Dupuy que Zola était exclu de l’amnistie : « Parfaitement, reprit-il, et je juge cette exception nécessaire. » (7 décembre.)
  51. Haute Cour, I, 103, télégramme du 12 décembre signé Chevilly. — La dépêche n’émanait pas de Chevilly, mais de Thuret, membre du service d’honneur du duc. (Réquisitoire du procureur général Bernard ; de même Buffet, Chevilly.) Buffet prétendit avoir été étranger à la manifestation ; tous les autres convinrent de leur participation. Monteil déclara que « la fédération des ligues » datait de cette journée et « que cette concentration réunissait les royalistes et les socialistes les plus intransigeants ». (8 décembre 1899.)
  52. Cela fut reconnu par Cuignet (Cass., I, 371) et par Picquart (Rennes, I, 415). Je savais par le comte Tornielli que « la récolte du colonel prussien ne fut jamais plus riche que pendant l’année qui suivit la condamnation de Dreyfus ».
  53. Siècle du 25 octobre. Ce premier article est intitulé : Les complices d’Esterhazy. (Tout le Crime, 1 à 9.)
  54. Déjà, dans l’article précédant, je m’étais arrêté devant cette question : « Henry, sans le coup de rasoir, aurait pu expliquer bien des choses. Il aurait pu dire si à l’époque du procès de Dreyfus, il y avait, à l’État-Major, des gens qui connaissaient déjà l’écriture d’Esterhazy. »
  55. Picquart n’exprima un premier doute qu’en novembre : « Je me demande si un document comme le bordereau a été jeté au panier comme une pièce sans valeur ou s’il n’a pas été pris par d’autres moyens. » (Cass., I, 140.) Il précisa plus tard, à Rennes (I, 474, 475). Devant Tavernier, il convint « qu’Henry devait connaître l’écriture d’Esterhazy » (30 septembre 1898). — Picquart connut mon article par Labori, mais lui dit qu’il n’admettait pas la complicité d’Henry et d’Esterhazy. Il a contesté, par la suite, mon système dans plusieurs articles où il prit Du Paty à partie, l’accusa, ce qui était la thèse de Cuignet (Cass., I, 342), d’avoir divulgué à Drumont l’arrestation de Dreyfus, bien que Papillaud eût reconnu l’authenticité de la lettre d’Henry. (Gazette de Lausanne du 1er août 1903.) Ces allégations de Picquart, si contradictoires avec ses déclarations aux enquêtes et audiences, parurent peu probantes. (Rouanet, Petite République du 7 août 1903 ; Monod, Revue historique de janvier 1904.)
  56. Siècle du 7 novembre 1898 : Henry et Esterhazy. (Tout le Crime, 10 à 42.)
  57. Jaurès (6 décembre 1898, 28 janvier 1899), etc.), Clemenceau (10 novembre, 7 décembre 1898, 27 janvier 1899), Ranc, Monod, le docteur Gibert, Mathieu Dreyfus. Scheurer m’écrivit que j’avais « si bien marié Esterhazy et Henry que rien ne les séparerait plus ». De même Zola. Il avait longtemps objecté au marquis Paulucci, qui lui affirmait la culpabilité d’Henry : « C’est un homme du peuple. » Il m’écrivit que, dans sa lettre à Félix Faure, il avait voulu nommer Henry, puis, dans l’incertitude, l’avait passé sous silence. (Voir Appendice III.) Dans son roman à clef (Vérité), il fait d’Henry l’associé d’Esterhazy.
  58. Libre Parole du 8 novembre 1898 : « Au long de dix colonnes de la feuille publique d’Yves Guyot, l’immonde gorille Reinach déposait hier des ordures… Il est répugnant de triturer ces déjections du plus méprisé des youtres… etc.
  59. Voir t. II, 74. — La conversation de Schwarzkoppen avec Rosen me fut rapportée par l’écrivain Pavlowsky ; il tenait le récit du baron Yonine, ministre de Russie en Suisse, et le répétait à qui voulait l’entendre, sans qu’aucun démenti n’intervînt (Séménoff, Européen du 8 janvier 1904).
  60. Cass., I, 709. (Voir t. II, 482.)
  61. Voltaire du 14 et 16 novembre 1898, article de Paul Degouy, toujours très renseigné, le frère de l’officier de marine qui avait été arrêté à Kiel et grâcié, à la demande de la comtesse Marie de Munster, le jour des obsèques de Carnot. — Pendant son dernier séjour à Berck-sur-Mer, les dépenses d’Henry, à l’Hôtel de la Plage, attirèrent l’attention de plusieurs baigneurs, qui m’écrivirent, au lendemain de mon article, pour me signaler le fait. L’un d’eux est un professeur de l’Université, très réservé à l’ordinaire et d’esprit très pénétrant. — L’Observer (de Londres) publia, le 11, un article très documenté sur la complicité d’Esterhazy et d’Henry.
  62. Le propos du directeur d’un grand journal royaliste à ce sujet me fut rapporté dès le lendemain.
  63. Le propos avait été tenu par Cordier, d’abord à Gavary, ministre plénipotentiaire, et à Vignon, maître des requêtes au Conseil d’État, qui m’en avisèrent. Il le répéta dans les couloirs de la Cour de cassation ; Develle en fut informé.
  64. Enq. Mazeau, 68, Sevestre : « Il était en état d’ivresse ». 76, Lœw : « Ce témoin nous a fait des dépositions diverses ; j’ai dû interrompre après deux essais infructueux d’obtenir une déclaration saine et claire. » Cordier protesta qu’il était seulement troublé. (Temps du 26 janvier 1899.)
  65. Cordier, dans le Temps du 26 janvier 1899. Selon le Gaulois, il aurait dit : « On a donné ma place à deux forçats, Henry et Picquart. »
  66. Les Dessous de l’Affaire Dreyfus, avec une introduction datée de Londres le 15 novembre 1898. L’ouvrage parut en fascicules illustrés, à partir du 21.
  67. Dessous, 27, 29, 70, 155 à 162, 201.
  68. Dessous, 161 : « Les dreyfusards disent aujourd’hui : « Sandherr est mort, Henry est mort, personne ne parlera plus. »
  69. Voir t. II, 566.
  70. Cass., I, 794, Écalle.
  71. Voir t. II, 231. — « C’étaient de fausses circulaires que je donnais comme très secrètes, mais qui n’en étaient pas moins revêtues de tous les signes d’authenticité capables d’éveiller la méfiance du dernier des facteurs ruraux. » (Dessous, 159.)
  72. Ibid., 136, 138.
  73. Siècle du 26 novembre 1898 (Arcades ambo) et du 6 décembre (Les Deux Traîtres).
  74. 6 décembre. (Cass., I, 219 à 229.)
  75. 31 janvier 1901. (Les Blés d’hiver, 298.)
  76. Lettre du 7 décembre 1898.
  77. Siècle du 8.
  78. Cass., I, 394, Paléologue. D’après l’information de Barrère, « Esterhazy aurait reçu, en ces dernières années, une somme de 200.000 francs ».
  79. Article 34 de la loi du 29 juillet 1881.
  80. Siècle du 9 décembre 1898.
  81. Notamment Barbier, Code expliqué de la presse, II, 89.
  82. C’est le système qui fut adopté par la cour d’assises (Arrêt du 3 décembre 1900). Le Procureur général se pourvut ; la Cour de cassation allait rendre un arrêt de principe, quand intervint la loi d’amnistie ; l’affaire fut rayée des rôles.
  83. Exactement 131.110 fr. 15 centimes.
  84. Libre Parole du 17 décembre 1898.
  85. Gerboin, Prudhomme, Marin et de Tissonnière. — Les listes de la Libre Parole ont été republiées sous ce titre : Le Monument Henry, avec préface de Pierre Quillard.
  86. 24 décembre 1898.
  87. Trente officiers furent punis de quatre jours d’arrêts. « En sévissant contre eux, le vieux Tartufe (Freycinet) a commis une infamie et une lâcheté ; nous saurons nous en souvenir. » (Libre Parole du 25.)
  88. Parmi les souscripteurs, quelques-uns (que je ne nommerai pas) étaient mes obligés ; d’autres (que je nommerai pas davantage) avaient quitté l’armée dans des conditions fâcheuses, mis en demeure de s’en aller.
  89. Cent seulement signèrent leurs souscriptions, l’abbé de Mun, l’abbé Allain, deux protonotaires apostoliques, etc.
  90. « Écœuré de constater qu’aucun évêque de France… » (Libre Parole du 25 décembre, 12e liste.)
  91. Son frère, le comte Mathieu, avait signé les listes de protestation pour Picquart. (Voir p. 391.)
  92. Léon Béclard et Bailly. — Quelques ingénieurs : d’Ocagne, Bellem, quelques avocats : Auffray, César Caire ; des médecins.
  93. « La Saint-Barthélémy pour les juifs… pour tous les youpins !… Un socialiste qui souhaite une Saint-Barthélémy juive… Mort aux juifs ! À nous, Jeanne d’Arc !… Sus aux juifs !… À la potence !… À l’eau les juifs !… etc. »
  94. Manau est nommé 32 fois, Hervé de Kérohant 22, Yves Guyot 20, Jaurès 19, Pressensé 18, Rothschild 14, Trarieux et Rouanet 13. — La Ligue des Droits m’adressa, le 3 janvier 1899, « l’expression de sa sympathie », protestant que « je n’avais point outrepassé mon droit d’historien en cherchant à établir que l’auteur du faux de 1896 était également le complice du traître qu’il voulait sauver ».
  95. Amos, viii, 4 : « Écoutez ceci, vous qui engloutissez les pauvres. » — Psaumes, xxvi, 10, lxxxii, 2, 3 ; Isaïe, I, 17 ; etc.
  96. Darmesteter, Coup d’œil sur l’histoire du peuple juif.
  97. Renan, Averroès et l’averroïsme, 284.
  98. Sur le Fons vitæ, d’Ibn Gabirol, précurseur de Spinoza voir Bernard Lazare, l’Antisémitisme, 334.
  99. Nicolas de Lyra est l’élève des juifs, et peut-être juif lui-même lui-même.
  100. Olinde Rodrigues, Péreire, d’Eichtal juifs.
  101. Pro Flacco, xxvii.
  102. Lévitique, xix. 36 ; Isaïe, I ; Jérémie, xxii, 15. « Pour le juif, la piété, c’est la justice. » (Spinoza, Traité de théologie politique, xvii.) — Voir Renan, Discours et conférences, 360 et suiv.
  103. Spinoza, Lett., xxxiv : « Les hautes spéculations n’ont aucun rapport avec l’Écriture. »
  104. L’Église juive d’Alexandrie était recrutée en très grande partie dans la population égypto-hellénique ; Dion Cassius et Juvénal parlent de Romains, Grégoire de Tours de Gaulois (du temps de Gontran et de Chilpéric), convertis au judaïsme. « Les juiveries d’Allemagne et d’Angleterre sont venues de France… Les juifs russes sont des khazars convertis et qui n’ont probablement rien ou presque rien d’ethnographiquement juif. » (Renan, Discours, 360.)
  105. Campagne nationaliste, 91 à 124. — Le volume est dédié au général Mercier, « qui a bien mérité de la patrie en contribuant plus qu’aucun homme de France au deux condamnations à Paris et à Rennes du traître Alfred Dreyfus. » Le livre de Soury a été l’objet d’une réponse d’Eugène Fournière : l’Artifice nationaliste.
  106. Réveil du 18 juillet 1897. — L’article fut porté à la Chambre par Rouanet (19 mai 1899).
  107. À deux reprises, 4e et 8e listes.